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HISTOIRE UNIVERSELLE DE DIODORE DE SICILE

traduite en français par Monsieur l'Abbé TERRASSON

Tome septième

Paris 1744

livre 37 : guerre marsique

LIVRE XXXVII.

I. La guerre Marsique a tiré son nom de la révolte du premier peuple d’Italie qui y donna lieu : car d’ailleurs l’Italie entière se joignit aux Marses contre les Romains. On dit que la première source de cette guerre fut le passage que les Romains firent de la tempérance et de la frugalité qui régnait en leur ancienne manière de vivre, et à laquelle seule ils devaient la grandeur et l’étendue de leur empire, à ce débordement prodigieux de luxe et de débauche auquel ils s’abandonnèrent dans la suite : car de fut là précisément la cause de la division qui s’introduisit dans la république entre le sénat et le peuple. Avant ce temps, le Sénat ayant besoin d’être soutenu dans ses entreprises militaires par les peuples de l’Italie, leur promit le droit de Bourgeoisie qui était devenu l’objet de leur ambition et de leurs voeux, et s’engagea de le leur confirmer par une loi. Mais comme ils ne se pressaient pas de tenir leur promesse ; ce fut des Italiens mêmes que naquit l’incendie de cette fâcheuse guerre contre les Romains. En la soixante et onzième Olympiade, L. Marcius Philippus et Sex. Julius Caesar étant consuls à Rome, commença la guerre appelée Marsique, dans laquelle il y eut de part et d’autre des défaites sanglantes et singulières, aussi bien que des prises funestes de villes. Il s’écoula un long espace de temps où la fortune paraissait balancer exprès entre l’un et l’autre parti, passait incessamment de l’un à l’autre, comme si elle n’eut voulu en favoriser aucun. Cependant après la perte d’une infinité d’hommes des deux côtés, les Romains au bout d’un temps assez long, et au prix de bien des soldats qu’il leur en coûta demeurèrent les maîtres et les souverains, comme ils l’étaient auparavant. Ils eurent à faire tout à la fois aux Samnites, aux habitants d’Asculum, aux Lucaniens, aux Picentins, à ceux de Nole, et de plusieurs autres provinces ou villes. La principale de ces dernières était Corfinum, que tous les peuples regardaient en quelque sorte, comme leur capitale commune, et qu’ils venaient de décorer de tous les édifices qui indiquent une grande ville, et qui en marquent la supériorité sur les autres. On y voyait un marché très vaste, et une grande maison de ville dans laquelle on gardait toutes les espèces d’armes et toutes les machines qui pouvaient servir à la guerre, mais surtout l’argent que l’on destinait à cet usage. Il y avait outre cela un sénat de cinq cents personnes, d’où l’on tirait tous ceux qui devaient être chargés des principales fonctions de la république, de la gloire de l’Etat, et de la sûreté des citoyens. Aussi ces magistrats exerçaient-ils chez eux l’autorité souveraine. Ils firent une loi selon laquelle ils devaient nommer chaque année deux consuls et douze commandants d’armées. Dans l’année dont il s’agit, leurs deux consuls furent Q. Pompaedius Silo, Marse de nation, le premier homme de sa province, et C. Aponius Motulus, Samnite d’origine et célèbre entre tous ses compatriotes par la gloire que ses actions lui avaient acquise. Ces deux consuls ayant partagé l’Italie comme en deux provinces consulaires, se chargèrent chacun de la sienne. On confia à Pompaedius le pays qui s’étend depuis Cercola jusqu’à la mer Adriatique du côté du Nord et du Couchant, en lui donnant six capitaines pour aides et pour conseil. Le reste de l’Italie, c’est-à-dire, les provinces situées à l’Orient et au Midi, furent commises à la garde de C. Motilus, auquel on donna de même six adjoints. Après avoir mis leur gouvernement sous cette forme, qui pour dire vrai était imitée des premiers temps de Rome et rappelait la première institution du sénat ; ils se livrèrent tout entiers au soins de la guerre qui se préparait, en donnant à toute l’Italie le nom de patrie et même de ville unique et commune. Ils firent en effet la guerre aux Romains avec tant de zèle et de courage, qu’ils leur furent presque toujours supérieurs ; jusqu’à ce que le consul Cnéius Pompée nommé général, et Sylla revêtu du même titre sous Caton l’autre consul, ayant vaincu et battu les Italiens à plusieurs reprises, les réduisirent au point de ne pouvoir plus se défendre. Ils ne laissèrent pourtant pas de fomenter la guerre encore quelque temps. Mais enfin C. Coscinius ayant été envoyé pour commandant dans l’Iapyge, ils furent battus plus d’une fois ; ainsi découragés par leurs défaites réitérées, ils abandonnèrent leur nouvelle ville de Corfinium ; d’autant plus que les Marses et les autres nations du voisinage se laissaient toutes entraîner dans le parti des Romains. Ainsi s’étant d’un commun accord transportés tous à Aesernic, ville des Samnites, ils se donnèrent cinq préteurs, à l’un desquels nommé Q. Pompaedius Silon, ils déférèrent l’autorité absolue, à cause de son expérience et de sa capacité dans la guerre. Celui-ci, du consentement de tous les préteurs ses associés, leva une grosse armée qui forma avec les vétérans un corps de trente mille hommes. Outre cela, affranchissant les esclaves, et leur donnant des armes telles qu’on put les trouver, il fit encore un corps d’environ vingt mille hommes d’infanterie et de mille cavaliers. Etant venu à la rencontre des Romains, commandés par Mamercus, il en mit à la vérité quelques-uns par terre ; mais il perdit plus de dix mille hommes des siens. Metellus s’avançant de son côté dans la Pouille avec une grosse armée assiégea et emporta Venusium, où il fit plus de trois mille prisonniers, et les Romains prenaient visiblement le dessus sur leurs ennemis. Ce fut en ce temps là que les peuples d’Italie firent une députation en forme à Mithridate roi du Pont, qui se distinguait alors par le nombre et par le bon ordre de ses troupes. Ils l’invitaient à passer incessamment en Italie pour y opprimer les Romains, dans l’espérance que cet ennemi étranger serait capable de détruire leur puissance. Mithridate leur répondit qu’il conduirait son armée chez eux, dès qu’il aurait soumis l’Asie, qui était alors son objet. Les rebelles déchus ainsi de leur espérance furent extrêmement découragés. Il restait peu de Samnites en état d’agir, les sabelliens se tenaient enfermés dans leur ville de Nole, et l’on ne voyait plus que Lamponius et Cleptius qui commandaient le peu qui restait de Lucaniens. Ainsi la guerre marsique, paraissait être sur sa fin, et devoir être bientôt suivie de celle qu’on attendait de la part de Mithridate ; les mouvements, les brigues et les partis dont on avait vu des exemples en d’autres temps, se renouvelèrent dans Rome pour le choix du commandant qu’on devait nommer pour une guerre de cette importance. La grandeur des récompenses qui devaient être attachées au succès contre un pareil ennemi, faisaient rechercher par les plus illustres citoyens de Rome la commission de le combattre. Les prétendants réduits enfin à deux C. Julius et C Marius dont le dernier avait été six fois consul, semblaient partager également les suffrages du peuple. Et ce ne fut pont même encore la le seul objet qui mit les esprits dans l’agitation et dans le trouble. Le consul Sylla partant de Rome se rendit à son armée déjà assemblée devant Nole, et par l’effroi qu’il causa à plusieurs villes des environs, il les obligea de se rendre ; mais ayant entrepris ensuite son expédition en Asie contre Mithridate, dans le temps que Rome était agitée par bien des séditions et des meurtres ; M Aponius et Tib. Cleptius, auxquels on peut ajouter encore Pompaedius, préteurs des peuples d’Italie non encore soumis, résidants tous dans la Brutie, assiégeaient toujours isia, ville forte qu’ils ne pouvaient prendre. C’est pourquoi laissant une partie de leur armée devant cette place, ils en conduisent tout le reste devant Rhege ; espérant que s’ils pouvaient emporter cette dernière ville, ils feraient passer aisément de là leurs troupes dans la Sicile, et parviendraient bientôt à se rendre maîtres de cette île, la plus grande et la plus fertile qui soit éclairée par le soleil. Mais C. Urbanus qui la gouvernait alors de la part des Romains comme préteur, rassemblant son armée et toutes ses forces en grand appareil, fit trembler par ce seul préparatif les Italiens, et délivra en même temps la ville de Rheges qu’ils assiégeaient encore. Peu de temps après la guerre civile entre Sylla et Marius s’étant élevée, après une grande perte de citoyens de part et d’autre, ce qui restait de vaincus s’attacha à Sylla demeuré vainqueur. Ce fut la véritable fin de la guerre marsique, la plus forte qu’il y eut eu encore contre les peuples de l’Italie, et qui se termina avec une guerre civile entre les Romains mêmes.II. On sortait à peine de la guerre marsique, lorsqu’une seconde guerre civile s’éleva dans Rome entre Sylla et C. Marius encore jeune, et fils de ce C. Marius qui avait été sept fois consul. Cette guerre coûta bien des milliers d’hommes à la République ; mais la victoire demeura à Sylla, qui ayant été fait dictateur, prit le surnom d’Epaphrodite, qui signifie cher à Vénus. Quelques présomptueux que parût ce titre, les effets ne le démentirent point, et il ne termina sa vie qu’au milieu des triomphes que ses victoires lui avaient procurés. Pour Marius quoiqu’il se fut défendu jusqu’au bout avec très grand courage, vaincu pourtant enfin, il se réfugia dans Praeneste, avec dix mille cinq cents hommes, et s’y étant enfermé, il y soutint encore un siège très long : abandonné enfin de son parti même, il ne trouva de ressource que dans la main d’un de ses esclaves qu’il conjura de le délivrer de tous ses maux ; et qui l’ayant tué en effet du premier coup de poignard qu’il lui porta, se poignarda lui-même aussitôt après. Telle fut la fin de cette guerre civile, dont les restes pourtant ayant donné encore quelque occupation à Sylla, furent enfin dissipés et anéantis. Mais à peine fut-elle éteinte qu’il s’en éleva une seconde entre Pompée et César. On avait donné au premier le surnom de Grand, en considération des exploits qu’il avait déjà faits ou sous les ordres de Sylla, ou commandant lui-même en chef. Mais enfin les Romains se virent rejetés par cette nouvelle division en de nouveaux troubles et en de nouveaux massacres. Pompée dans une défait signalée perdit tout ce qu’il avait de troupes, et vint périr lui-même dans le port d’Alexandrie où il fut égorgé, et ce fut par ce coup que le pouvoir immense des consuls déjà réduit à des bornes très ferrées, passa réellement tout entier à la personne de César : ce qui semblait devoir terminer toute guerre intestine et civile. Mais après qu’il eut été égorgé lui-même, il s’éleva contre les meurtriers Brutus et Cassius, une nouvelle guerre civile, qui leur fut déclarée par les deux consuls Lepidus et Antoine conjointement avec Octavien Auguste. Cette guerre paraissait finie par la défaite et par la mort de Cassius et de Brutus, lorsqu’on vit éclore et se former en guerre ouverte et déclarée la prétention réciproque d’Auguste et d’Antoine à l’autorité souveraine, qui après bien du sang répandu de part et d’autre demeura pleinement à Auguste. Celui-ci en jouit tranquillement pendant le reste de sa vie et mit fin pour toujours à l’autorité consulaire, déjà déchue de son ancien lustre par les troubles qui amenaient visiblement son extinction totale et prochaine.

II. On sortait à peine de la guerre marsique, lorsqu’une seconde guerre civile s’éleva dans Rome entre Sylla et C. Marius encore jeune, et fils de ce C. Marius qui avait été sept fois consul. Cette guerre coûta bien des milliers d’hommes à la République ; mais la victoire demeura à Sylla, qui ayant été fait dictateur, prit le surnom d’Epaphrodite, qui signifie cher à Vénus. Quelques présomptueux que parût ce titre, les effets ne le démentirent point, et il ne termina sa vie qu’au milieu des triomphes que ses victoires lui avaient procurés. Pour Marius quoiqu’il se fut défendu jusqu’au bout avec très grand courage, vaincu pourtant enfin, il se réfugia dans Praeneste, avec dix mille cinq cents hommes, et s’y étant enfermé, il y soutint encore un siège très long : abandonné enfin de son parti même, il ne trouva de ressource que dans la main d’un de ses esclaves qu’il conjura de le délivrer de tous ses maux ; et qui l’ayant tué en effet du premier coup de poignard qu’il lui porta, se poignarda lui-même aussitôt après. Telle fut la fin de cette guerre civile, dont les restes pourtant ayant donné encore quelque occupation à Sylla, furent enfin dissipés et anéantis. Mais à peine fut-elle éteinte qu’il s’en éleva une seconde entre Pompée et César. On avait donné au premier le surnom de Grand, en considération des exploits qu’il avait déjà faits ou sous les ordres de Sylla, ou commandant lui-même en chef. Mais enfin les Romains se virent rejetés par cette nouvelle division en de nouveaux troubles et en de nouveaux massacres. Pompée dans une défait signalée perdit tout ce qu’il avait de troupes, et vint périr lui-même dans le port d’Alexandrie où il fut égorgé, et ce fut par ce coup que le pouvoir immense des consuls déjà réduit à des bornes très ferrées, passa réellement tout entier à la personne de César : ce qui semblait devoir terminer toute guerre intestine et civile. Mais après qu’il eut été égorgé lui-même, il s’éleva contre les meurtriers Brutus et Cassius, une nouvelle guerre civile, qui leur fut déclarée par les deux consuls Lepidus et Antoine conjointement avec Octavien Auguste. Cette guerre paraissait finie par la défaite et par la mort de Cassius et de Brutus, lorsqu’on vit éclore et se former en guerre ouverte et déclarée la prétention réciproque d’Auguste et d’Antoine à l’autorité souveraine, qui après bien du sang répandu de part et d’autre demeura pleinement à Auguste. Celui-ci en jouit tranquillement pendant le reste de sa vie et mit fin pour toujours à l’autorité consulaire, déjà déchue de son ancien lustre par les troubles qui amenaient visiblement son extinction totale et prochaine. 

LIVRE XXXVIII.

mort de Catulus

Cinna et Marius ayant fait assembler en conseil les plus illustres capitaines de ce temps-là, ils conféraient entr’eux des moyens les plus propres à rétablir la tranquillité publique. Le résultat de leur délibération fut de faire égorger les plus illustres de leurs adversaires qui pouvaient ébranler la disposition où ils avaient mis eux-mêmes les choses ; afin qu’ayant purgé l’état de tous ceux qui pouvaient leur être contraires, ils gouvernassent tranquillement avec leurs amis l’empire dont ils s’étaient emparés. Aussitôt oubliant, ou plutôt violant toutes les avances de réconciliation qu’ils avaient données ; on commença l’exécution de tous les proscrits sans écouter les justifications de personne. C. Lutatius Catulus entr’autres, qui après la défaite des Cimbres, avait obtenu l’honneur du triomphe, et qui était singulièrement chéri de tous les citoyens, fut cité devant un tribun du peuple comme digne de mort. Craignant le péril où le jetait cette calomnie, il vint lui-même trouver Marius, et le supplia de l’aider dans une si fâcheuse conjoncture. Marius avait été auparavant son ami, mais aliéné depuis par quelque soupçon, il lui répondit en un mot et sucement : il faut mourir. Ainsi Catulus renonçant à toute espérance de salut, et ne songeant plus qu’à éviter une mort honteuse, il imagina une façon nouvelle et inusitée de terminer sa vie : car s’enfermant dans une maison nouvellement bâtie, et dont la chaux était encore toute fraîche, il en augmenta l’odeur par le feu, et se laissa suffoquer par la fumée.

LIVRE XL.

 

Dans le dessein que nous avons de rapporter les différentes guerres qui ont été faites aux Juifs, nous croyons qu’il est à propos de dire un mot de l’origine et des moeurs de cette nation. Une grande partie s’étant répandue sur l’Egypte, la plupart de ses habitants attribuèrent ce fléau à quelque offense faite aux dieux : car comme il abordait là des étrangers de toute nation, qui dans leurs sacrifices et les autres cérémonies religieuses apportaient les pratiques de leurs différents pays, il arriva de-là que le culte des dieux, tel qu’il était établi dans l’Egypte même, souffrit de grandes altérations, et qu’il s’en était déjà aboli une partie considérable. Là-dessus, les naturels du pays craignirent que s’ils ne chassaient incessamment ces étrangers, l’Egypte ne tombât dans des maux qui n’auraient plus de remèdes. Ainsi ayant mis hors de leurs confins tous ceux qui n’étaient pas nés dans leur enceinte ; une partie de ces derniers, hommes courageux et distingués, servirent de chefs aux autres, pour les conduire dans la Grèce et en d’autres pays où ils arrivèrent après avoir essuyé différentes traverses dans cette transmigration. Entre ces chefs les plus considérables furent Danaus et Cadmus. Mais le plus grand nombre de ces bannis se jeta dans cette région qu’on appelle maintenant Judée, qui n’est pas à la vérité bien éloignée de l’Egypte, mais qui dans ce temps-là était absolument déserte. Le chef de ceux-ci se nommait Moïse, homme supérieur par sa prudence et par son courage. Ce fut lui qui se saisissant le premier de cette contrée, y bâtit plusieurs villes, et la plus célèbre de toutes, nommée Jérusalem : mais surtout il y construisit un temple singulièrement respecté de tous les Juifs. Il enseigna à son peuple le culte de dieu, et il institua les cérémonies de la religion. Enfin il donna des lois à sa nation, dont il fit une république. Il la partagea en douze tribus, jugeant ce nombre le plus parfait de tous, comme répondant à celui des douze mois de l’année. Mais il ne voulut placer dans ce temple aucune image des dieux ; jugeant que la forme humaine ne convient point à la divinité, et que le ciel qui environne la terre est le seul dieu et le seul maître de toutes choses. Il établit des cérémonies sacrées et des lois morales, très différentes de celle de toutes les autres nations : car mécontent de ce que la sienne était bannie de l’Egypte, il lui inspira des moeurs qui tenaient quelque chose de l’inhumanité et de l’inhospitalité : et choisissant entr’eux ceux qui étaient les plus agréables à la multitude, et en même temps les plus capables de la gouverner, il en fit les prêtres de la nation. Il leur confia tout ce qui concernait le culte divin et les sacrifices : et les établit en même temps gardiens des lois, et juges dans toutes les causes importantes. C’est ce qui a fait dire que les Juifs n’ont jamais eu de véritable roi, et que le soin et le pouvoir de gouverner la multitude a toujours été entre les mains de celui des prêtres qui paraissait surpasser les autres en vertu et en sagesse. Ils donnent à celui-ci le nom de Grand-Prêtre, et ils le regardent comme l’interprète et le ministre des ordres de dieu. C’est lui qui dans les assemblées publique leur expose ses commandements, et le peuple est si soumis dans ces occasions, que dès que le Grand-Prêtre se montre, ils se prosternent à terre, et l’adorent comme l’interprète des volontés de dieu même. A la fin du livre des lois on lit ces mots : Moïse rapporte aux Juifs ces paroles qu’il a entendues dans la bouche de Dieu même. Ce législateur leur a laissé de très sages instructions sur la guerre, au sujet de laquelle il exhorte les jeunes gens à s’armer de courage et de patience et les dispose à souffrir constamment tous les maux qui en peuvent être les suites. Il entreprit lui-même des expéditions contre les nations voisines : et ayant conquis beaucoup de pays, il le partagea également entre toutes les familles de son peuple ; de telle sorte pourtant que la portion des prêtres était toujours la plus forte : afin que délivrés de toute inquiétude sur les besoins de la vie, ils s’appliquassent uniquement au culte et au service de dieu. Il n’était pas permis aux particuliers de vendre leur héritage, de peur que quelques-uns d’entr’eux devenant riches par ces acquisitions, ne se missent en état d’opprimer les pauvres, ce qui réduirait bientôt la nation à un petit nombre de familles et de sujets. Il veilla beaucoup à l’entretien des enfants dans tout le pays, et comme on les y nourrissait à peu de frais, la nation des Juifs a toujours été très nombreuse : leurs pratiques à l’égard des mariages et des sépultures ont toujours été très différentes de celles des autres peuples. Mais dans la suite des temps, et surtout à la fin de la quatrième race des rois de Perse, détruite par Alexandre à la tête des Macédoniens, il se fit un grand changement dans les lois et dans le gouvernement politique des Juifs.

Fin des fragments de Diodore, tirés de Photius.

CONTINUATION DES FRAGMENTS DE DIODORE

Tirés du Recueil de Fulvius Urfinus.

Ces fragments sont la suite de ce qui en a été donné à la fin du second volume de cette traduction depuis la p. 355 jusqu’au bas de la p. 359.

FRAGMENT III.

Les ambassadeurs envoyés à Rome de la part de Nabis et de Flaminius, pour y traiter de la paix, s’étant acquittés de leur commission dans le Sénat ; l’avis de tout le corps fut de confirmer les traités, et de retirer de toute la Grèce et leurs garnisons et leurs armées. Flaminius instruite de cette disposition du sénat, manda aussitôt et de toutes parts les principaux d’entre les Grecs, et formant d’eux une assemblée générale, il leur fit valoir cette bonne volonté de Rome à leur égard. Il entama même l’apologie de Nabis, et prétendit qu’il n’avait pu mieux faire. Il déclara ensuite que par un décret du peuple romain toute la Grèce était libre, exempte de garnisons romaines, et ce qui est encore plus remarquable, se gouvernerait par ses propres lois. De son côté aussi il demanda une grâce aux grecs, à l’égard de tous les Italiens qui se trouveraient chez eux, ou esclaves ou prisonniers de guerre : savoir qu’ils en fissent la recherche eux-mêmes, et que les ayant affranchis ou délivrés, ils les renvoyassent dans l’espace de trente jours : ce qui fut aussi exécuté.

IV. Le sénat accorda une seconde audience aux ambassadeurs de la Grèce, et les écouta favorablement, dans le dessein d’attacher cette nation à ses intérêts ; par rapport à la guerre que l’on s’attendait d’avoir bientôt avec Antiochus. On répondit cependant aux ambassadeurs de Philippe, roi de Macédoine, que si ce prince demeurait fidèle à sa parole et à ses promesses, non seulement on le soulagerait des tributs qu’on lui avait imposés, mais qu’on lui rendrait même son fils Démétrius qu’on retenait pour otage à Rome. A l’égard des envoyés d’Antiochus, le Sénat nomma dix de ses membres pour écouter les propositions qui venaient de la part de ce prince. Ce fut devant ces dix que Ménippe chef de l’ambassade déclara que son maître n’avait rien tant à coeur, que de lier amitié et société avec Rome. Que d’ailleurs il s’étonnait beaucoup que les Romains lui enjoignissent de ne se point mêler de certaines affaires de l’Europe, de retirer ses garnisons de certaines villes, et de ne plus exiger d’impôts de quelques autres. Car ce n’était point ainsi qu’on en usait avec des amis entre lesquels doit régner l’égalité : et que le ton de commandement semblait n’avoir lieu qu’à l’égard de gens actuellement vaincus. Que cependant ceux qu’il avait envoyés à Lysimaque lui rendraient compte de l’état où se trouvaient actuellement les choses. Que du reste lui Antiochus n’avait jamais ni déclaré, ni fait la guerre aux Romains, et qu’il était prêt de sa part à signer un traité d’alliance avec eux. Là dessus Flaminius dit qu’il ne s’agissait actuellement que de deux articles : l’un, que si le roi renonçait à prendre aucune part aux affaires de l’Europe, Rome se désisterait de même de tout intérêt sur l’Asie : et l’autre, que si le roi n’acceptait pas cette condition, les Romains prêteraient des secours à leur amis opprimés. Les ambassadeurs ayant répondu qu’ils ne signeraient rien qui pût faire quelque tort à l’empire de leur maître : le Sénat répliqua sur le champ que si Antiochus se mêlait le moins du monde des affaires de l’Europe, les Romains délivreraient aussitôt tous les Grecs de l’Asie. Las ambassadeurs grecs là présents ayant applaudi à ces paroles, ceux du roi conjurèrent le Sénat de peser les inconvénients de part et d’autre et de ne rien précipiter : et pour cela d’accorder à leur roi quelque temps, pendant lequel le Sénat même délibérerait plus à loisir sur toutes ces choses.

V. Les Etoliens ayant envoyé au Sénat romain des propositions de trêve ou de paix ; le Sénat leur prescrivit ou de se livrer sur le champ à sa bonne foi, ou de payer actuellement mille talents d’argent. Mais eux mécontents de la brièveté de cette réponse ne firent ni l’un ni l’autre ; ce qui les jeta en de grands dangers et de grandes craintes. Car ayant pris sur le champ le parti du roi, ils ne trouvèrent dans la suite aucune ressource à leurs maux.

VI. Antiochus apprenant que les Romains étaient passés en Asie, envoya au consul pour ambassadeur Héraclide de Byzance chargé de lui demander une trêve ; en partageant ses conquêtes avec la République, à laquelle il cédait Lampsaque, Smyrne et Alexandrie, trois villes qui semblaient être le principal objet de leur jalousie et de leur querelle présente : car elles étaient les trois premières des villes grecques de l’Asie, qui se fussent adressées au Sénat pour obtenir leur liberté.

VII. Antiochus fit dire à P. Scipion qui était alors à la tête du Sénat, que s’il lui procurait la paix avec les Romains, il lui rendrait son fils qu’il avait pris aux environs de l’île d’Eubée ; et que non seulement il n’exigeait de lui aucune rançon ; mais qu’il accompagnerait cette restitution d’une grosse somme d’argent. Scipion répondit qu’il était très reconnaissant envers le roi de l’offre qu’il lui faisait de rendre son fils, et que d’ailleurs il n’avait aucun besoin d’argent. Mais qu’en reconnaissance de sa générosité, il lui conseillait de ne point se brouiller avec les Romains, après l’épreuve qu’il avait faite de leur puissance. Le roi jugeant cette réponse trop fière dans les circonstances présentes des choses, ne profita pas de cet avis.

VIII. Les ambassadeurs d’Etolie étant venus à Rome avant la défaite d’Antiochus, ne présentaient au Sénat aucune excuse de leurs infidélités récentes, et ils faisaient valoir au contraire les services qu’ils avaient rendus à la République. Là-dessus un des sénateurs se leva, et leur demanda si leur nation se mettait sous la protection des Romains, et se fiait à leur parole. Ils ne répondirent rien, aussitôt l’assemblée jugea qu’ils tournaient leurs espérances du côté d’Antiochus, et les renvoya dans la Grèce, sans rien conclure avec eux.

IX. Antiochus las de la guerre envoya des ambassadeurs au consul, pour le prier de lui pardonner toutes les fautes qu’il avait faites, et de lui accorder la apix à quelque prix que ce fût. Le consul voulant conserver d’un côté toute la dignité de la République, et gagné de l’autre par les sollicitations de son frère Publius, accorda la paix au roi aux conditions suivantes : que le roi céderait absolument l’Europe aux Romains et tous les environs du mont Taurus, villes et nations ; qu’ils leur remettrait outre cela ses éléphants, et tous ses vaisseaux de guerre : qu’il payerait encore tous les frais de la guerre évalués à quinze mille talents d’Eubée ; qu’il répondrait du Carthaginois Annibal, de l’Etolien Thoas et de quelques autres, et qu’il donnerait enfin vingt otages que les Romains feraient inscrire. Antiochus se soumit à toutes ces conditions par le désir extrême qu’il avait de la paix, qu’il obtint en effet à ce prix.

X.  Après la défaite d’Antiochus, toutes les villes et toutes les puissances d’Asie envoyèrent des ambassadeurs à Rome pour traiter de leur liberté. Quelques unes mêmes demandaient des marques de reconnaissance pour les services qu’elle avaient rendus à Rome en combattant elles-mêmes contre Antiochus. Le Sénat leur donna à toutes des espérances favorables, et leur dit qu’on enverrait incessamment en Asie dix députés qui régleraient toutes choses avec les généraux mêmes. Ces ambassadeurs étant retournés dans leur pays, et les dix députés romains s’assemblant sur les lieux avec Scipion et Aemilius, décidèrent et firent publier que tout le pays des environs du mont Taurus demeurerait à Eumène, aussi bien que les éléphants. On donna pour limites aux Rhodiens la Carie et la Lycie. On décida que toutes les villes qui payaient ci-devant tribut à Eumène seraient réunies à ses états, et que celles qui le payaient à Antiochus en seraient désormais exemptes.

XI. Le proconsul Cneius manlius ayant reçu des ambassadeurs de la Galatie, qui cherchaient à terminer la guerre, leur répondit qu’il acceptait des propositions d’accommodement, quand leurs rois viendraient eux-mêmes au-devant de lui.

XII.  Le même passant dans la Lycaonie se fit fournir par Antiochus tous les vivres dont il avait besoin, et de plus exigea de lui les mille talents de contribution annuelle que ce roi était convenu de payer.