Agathias traduit par Mr. Cousin

AGATHIAS

 

HISTOIRE DE L'EMPEREUR JUSTINIEN

LIVRE I

Traduction française : Mr. COUSIN

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

HISTOIRE DE L'EMPEREUR ALEXIS.

Ecrite par Anne Comnène.

LIVRE SECOND.

Chapitre I.

1. Enfants de Jean Comnène. 2. Isâc, et Alexis entrent dans les bonnes grâces de l'Empereur Nicéphore Botaniate. 3. Ils sont persécutés, par deux favoris. 4. Ils implorent la protection de l'Impératrice. 5. Leur amitié comparée à celle d'Oreste, et de Pylade. 6. Ils prennent la résolution de se retirer. 7. L'Empereur se désigne un successeur. 8. Les Comnènes promettent à l'impératrice de traverser le projet de l'Empereur.

1.  CEUX qui désireront savoir de quelle race était issu mon père Alexis, le pourront apprendre par la lectture des Livres de Bryenne César, où ils verront aussi quelle était la naissance de l'Empereur Nicéphore Botaniate. Pour moi, je me contenterai de remarquer, qu'entre les enfants de Jean Comnène mon aïeul, Manuel qui était l'aîné reçut de Romain Diogène qui régnait alors, la charge de général des armées d'Asie , qu'Isâc puiné eut le gouvernement d'Antioche, et se rendit célèbre aussi bien que son aîné par un grand nombre de rares exploits ; et que mon père Alexis fut honoré par l'Empereur Michel Ducas du commandement de l'armée destinée contre Ursel.

2.. Nicéphore Botaniate successeur de Michel Ducas ayant reconnu que mon père Alexis était un excellent homme de guerre, qui avait signalé sa valeur en Orient sous son frère Isâc, et qui depuis commandant en chef avait défait le Tyran Ursel le considéra extrêmement , et bien loin de dissimuler l'estime, et l'affection qu'il avait pour ces deux frères , il la déclara en toute sorte d'occasions, jusqu'à leur faire souvent l'honneur de les faire manger à sa table.

3. Borile et Germain ces deux Barbares séchaient de douleur de ce que les efforts de leur jalousie ne pouvaient nuire à ces deux grands hommes, et ne cessaient de déchirer leur réputation, tantôt par de fausses impressions qu'ils donnaient à l'Empereur, tantôt par les bruits malicieux qu'ils répandaient dans le public, et tantôt par d'autres artifices qu'ils inventaient pour les perdre, depuis principalement qu'Alexis avait été choisi dans la fleur de la jeunesse pour commander l'armée d'Occident, et depuis qu'il y eut dompté les rebelles, et qui leur amené leurs chefs captifs.

4. Les Comnènes après avoir cherché dans leur esprit les moyens de se conserver n'en trouvèrent point de plus propre, que de s'insinuer dans les bonnes grâces de l'Impératrice, en quoi il leur fut d'autant plus aisé de réussir, que de leur naturel ils étaient fort propres à gagner les cœurs. Isâc y était déjà entré fort avant par le mariage qu'il avait contracté avec une cousine de cette Princesse , de forte qu'étant assuré pour lui de sa protection , il ne songeait plus qu'à procurer à mon père le même avantage.

5. On dit qu'Oreste et Pylade s'aimaient avec une si forte passion, que chacun d'eux oubliait dans la plus grande chaleur du combat sa propre défense, pour veiller à celle de son ami, et pour lui faire un bouclier de son corps.. Les deux frères dont je parle faisaient à peu prés la même chose, et ils étaient unis par le lien d'une amitié si étroite, qu'ils se pressaient de courir les hasards l'un pour l'autre , et qu'ils n'avaient ni biens, ni maux, ni prospérités, ni disgrâces qu'ils ne partageaient ensemble. Lorsqu'Isâc fut dans l'alliance de l'Impératrice , il fit tant par l'entremise de ceux en qui elle avait le plus de créance, qu'il lui persuada d'adopter Alexis. Le jour ayant été pris pour cette cérémonie , elle fut faite avec les solennités prescrites par les lois. Depuis ce temps-là, Alexis fut délivré des inquiétudes, dont il était auparavant tourmente, et se vit dans la même liberté que son frère d'aller à toute heure au Palais, quoi qu'ils y allassent plus souvent pour faire leur cour à l'Impératrice, que pour la faire à l'Empereur.

6. Cette petite prospérité ne fit qu'accroître la haine de leurs ennemis, dont ils crurent ne pouvoir éviter les effets qu'en se retirant de la Cour. Ils n'osèrent néanmoins déclarer ce dessein à l'Impératrice de peur qu'elle ne les en détournât, et qu'elle ne découvrît leur secret, fait par le désir de les retenir auprès d'elle , ou par l'inclination de rendre en cela un bon office à l'Empereur. Ne pouvant donc quitter la Cour ils trouvèrent cet autre expédient pour s'y maintenir en sûreté.

7. L'Empereur, qui n'espérait plus d'avoir d'enfants dans une extrême vieillesse, et qui se voyait proche de la mort, songea à choisir un successeur. Il destinait à cette haute dignité un de ses parents nommé Synadéne, issu d'une illustre famille d'Orient, jeune, et bien fait, qui avait du cœur, et de l'esprit. Au lieu que ce vieillard pouvait trouver toute sorte de sûreté, en remettant la couronne sur la tête de Constantin à qui elle appartenait par droit de succession , et d'accroître par ce choix l'affection de l'Impératrice , il aima mieux commettre une injustice , dont les suites lui devaient être funestes. Quand ce bruit-là fut répandu, l'impératrice en fut fort alarmée pour l'intérêt de son fils, bien qu'elle n'en témoignât aucune chose.

8. Elle ne put, néanmoins, si bien dissimuler sa douleur que les Comnènes ne la découvrissent, et qu'ils ne cherchassent l'occasion de s'offrir de la soulager. Leur mère qui conduisait l'affaire chargea Isâc de porter la parole en présence de son frère. Etant donc allés tous deux chez l'Impératrice, Isâc lui parla, en ces termes. Madame il y a quelques jours que nous remarquons que vous entretenez dans vôtre cœur une inquiétude aussi secrète , que si vous n'aviez aucun serviteur fidèle , à qui vous puissiez la confier. L'Impératrice ne voulant pas alors leur déclarer ses sentiments se contenta de jeter un profond soupir, et de. dire, qu'il ne fallait point demander à ceux qui étaient éloignés de leur pays le sujet de leur tristesse , puisque cet éloignement en était un sujet plus que suffisant. Elle ajouta qu'il était vrai, néanmoins , qu'elle avait de jour en jour de nouvells raisons de s'affliger. Ils ne repartirent rien , mais après s'être tenus quelque temps debout , les yeux baissés vers la terre, et les mains entrelacées , ils prirent congé d'elle, et se retirèrent. Le jour suivant ils retournèrent la visiter, et l'ayant trouvée un peu plus gaie ils prirent la liberté de lui dire. Madame, vous êtes notre Souveraine qui pouvez nous commander avec un pouvoir absolu , et nous sommes des sujets fort obéissants , et fort disposés à tout faire et à tout souffrir pour votre service. Ne vous laissez donc pas, s'il vous plaît, consumer par la tristesse. Ayant effacé par ces paroles la défiance de son esprit, et tiré de sa bouche la confession du secret qu'ils avaient déjà découvert sur son visage, ils lui jurèrent une inviolable fidélité, lui promirent d'exécuter tout ce qu'elle aurait agréable de leur commander, et de faire tous les efforts dont ils feraient capables pour conserver la Couronne à son fils. Ils la supplièrent seulement d'avoir la bonté de les avertir de ce qu'elle découvrirait des desseins de leurs ennemis. Ils confirmèrent leurs promesses par des serments, et s'en retournèrent incontinent après, de peur d'augmenter par une trop longue conférence les soupçons de leurs espions.

Chapitre II.

1. Isâc et Alexis affectent de ne plus paraître ensemble. 2. Ils promettent à l'Empereur de reprendre la Ville de Cyzique. 3. Ils se mettent bien à la Cour.

1.  CE traité les ayant délivrés d'un soin fort fâcheux ils parurent plus joyeux que de coutume, bien que tous deux , et principalement Alexis fussent d'humeur à cacher avec une profonde dissimulation les sentiments de leur cœur. Comme ils étaient fort bien informés de tout ce que tramaient contre eux les deux Scythes dont la jalousie, et la haine croissaient de jour en jour ils résolurent de ne plus aller que l'un après l'autre au Palais, de peur d'être pris tous deux dans le même piège. Mais leur fortune bien loin d'être aussi déplorée qu'elle leur paraissait, était plus florissante que celle de leurs ennemis, comme ce que je dirai incontinent le fera voir.

2. La ville de Cyzique ayant été prise par les Turcs, l'Empereur n'en eut pas sïtôt reçu la nouvelle qu'il envoya chercher Alexis , qui n'était pas venu ce jour-là au palais. Lorsque son frère Isâc qui y était le vit entrer, il s'approcha pour lui demander le sujet de sa venue. Alexis répondit, qu'il avait eu ordre de venir. Quand ils furent entrés, et qu'ils se furent prosternés selon la coutume aux pieds de l'Empereur, il leur commanda de demeurer pour dîner avec lui , et les fit placer vis à vis l'un de l'autre aux deux bouts. ayant remarqué que ceux qui étaient auprès d'eux parlaient bas, et avaient une contenance fort triste, ils eurent peur que ce ne fût un piège qui leur eût été dressé, et ne pouvant rien faire autre chose dans cette fâcheuse conjoncture, ils s'entretenaientt par le langage des yeux. Comme depuis longtemps ils avaient acquis l'amitié des officiers par toute forte de caresses, et de bons offices , le Maître d'Hôtel en s'approchant de la table, dit à Isâc à l'oreille , qu'un de ses domestiques venait de le prier de lui dire que la ville de Cyzique était prsfe . Isâc le redit à Alexis qui ayant un esprit vif, et tout de feu le comprit à demi mot. Alors ils commencèrent tous deux à respirer , et à méditer la réponse qu'ils feraient à l'Empereur s'il leur communiquait cette nouvelle , et s'il leur demandait leur avis. Pendant qu'ils roulaient ces pensées-là dans leur esprit , l'Empereur leur dit, que les Turcs avaient pris Cyzique. Les Comnènes qui étaient tout disposés à le consoler, et à relever son courage le supplièrent de ne se point affliger de la prise de cette ville, qu'ils promettaient de reprendre dans peu de temps, et rassurèrent.que pourvu qu'il eût soin de conserver le chef de l'Empire ils feraient bientôt souffrir aux Barbares des pertes sept fois plus grandes que celles qu'ils avaient causées. L'Empereur fut fort réjoui de leurs promesses,  et les ayant renvoyés, il passa le reste du jour sans inquiétude.

3. Depuis ce temps-là , les Comnènes se rendirent plus assidus à la cour qu'auparavant, et apportèrent un plus grand soin à s'insinuer dans l'affection des personnes de condition, évitant avec toute la précaution imaginable d'irriter la fureur de leurs ennemis. Ils apportèrent sur tout une application particulière pour attacher si étroitement l'Impératrice à leurs intérêts , qu'elle ne respirât plus , pour ainsi parler, que par eux. L'alliance d'Isâc et l'adoption d'Alexis leur donnaient la liberté d'aller chez-elle quand il leur plaisait, mais cela n'empêchait pas qu'ils n'usassent de toute la circonspection dont ils étaient capables , pour conserver les bonnes grâces de l'Empereur , et pour se mettre à couvert de l'envie des Scythes qui possédaient cet esprit faible, et inconstant, étant sans doute fort dangereux de dépendre de la légèreté de ces naturels, dont les résolutions ne sont pas moins flottantes que la mer la plus orageuse.

Chapitre III.

1. Résolution prise de crever les yeux aux Comnènes. 2. Ils prennent les armes. 3. Naturel des esclaves. 4. Avis donné à Alexis. 5. Son départ de Constantinople.

1. QUAND les deux esclaves virent que les affaires allaient d'un autre air , qu'ils ne s'étaient promis, et que les Comnènes entraient si avant dans les bonnes grâces de l'Empereur, qu'il ne leur serait pas aisé de les perdre , ils roulèrent divers expédients dans leur esprit, et enfin ils s'arrêtèrent à la résolution de les envoyer quérir une nuit comme par ordre de l'Empereur , et de leur faire crever les yeux sur des crimes supposés.

2. Les Comnènes ne trouvèrent point d'autre moyen de se sauver qu'en prenant les armes, et ils se virent réduits par la violence de leurs ennemis à cette fâcheuse nécessité. En effet, y avait apparence d'attendre qu'on leur appliquât un fer chaud sur les yeux , et qu'on les privât de la lumière ? Ils tinrent, néanmoins, leur résolution fort secrète jusques à ce qu'il se présenta une occasion de la faire paraître. Alexis avait reçu ordre, en qualité de grand Domestique d'Occident, de faire entrer dans Constantinople une partie des soldats à qui l'on voulait donner des armes pour les mener ensuite contre les Sarrasins qui avaient pris la ville de Cyzique. Il se servit de ce prétexte pour mander tout ce qu'il avait d'amis parmi les gens de commandement. A l'heure même, un nomme envoie par Borile demande à l'Empereur si c'est par son ordre, qu'Alexis remplie la ville de gens de guerre ? L'Empereur fait venir Alexis j et lui demande si ce que l'on dit est vrai ? Il ne put nier qu'il n'eût fait entrer quelques troupes , mais sans demeurer d'accord que le nombre en fut aussi grand qu'on disait, il soutint qu'en cela il n'avait fait que suivre ses ordres, et pour rendre sa réponse plus vraisemblable , il ajouta, que les troupes étant dispersées en des quartiers séparés la différence de leur marche les faisait paraître plus nombreuses. Borile s'opiniâtra à maintenir le contraire , mais cependant Alexis eut l'avantage d'être cru, et d'être absous. Comme Germain était d'un naturel moins violent, il ne fît pas de peine à Alexis en cette rencontre. Les deux Scythes n'ayant pu aigrir l'Empereur contre les Comnènes résolurent d'exécuter la nuit suivante le dessein qu'ils avaient pris de les perdre.

3, Les esclaves sont naturellement ennemis des maîtres, et quand ils ne leur peuvent nuire, ils déchargent au moins leur rage sur leurs compagnons. Les deux Scythes étaient de cette humeur, quand ils virent qu'il ne leur était pas aisé de se défaire de Botaniate , ils conspirèrent contre les Comnènes. On dit que Borile souhaitait de monter sur le trône, et que Germain appuyait cette prétention ambitieuse ; mais n'en ayant pu venir à bout, ils tournèrent leur fureur contre leurs ennemis, et déclarèrent la mauvaise volonté qu'ils avaient jusqu'alors tenue cachée.

4. Un officier, Alain de nation , ayant entendu parler de ce dessein alla au milieu de la nuit en donner avis à Alexis, et quelques-uns assurent que ce fut par l'ordre de l'Impératrice. Quoi qu'il en soit, Alexis mena l'Alain à sa mère, et à son frère, et s'étant assemblés pour délibérer sur cette fâcheuse nouvelle , ils se résolurent de faire éclater le dessein qu'ils avaient toujours tenu secret, et de se servir du dernier, et de l'unique moyen qui leur restait pour sauver leur vie.

5. Mon père Alexis sachant que l'armée était prés de Chiorli petite ville de Thrace, alla sur la première veille de la nuit trouver Pacurien , homme de petite taille , mais de grand courage, et issu d'une des plus nobles familles d'Arménie. Il lui fit le récit de tout ce qui lui était arrivé , et lui raconta comme les deux Scythes s'étaient animés de jalousie, et de haine contre lui, comme ils avaient tramé une conspiration contre sa vie , et comme ils étaient prêts de lui faire crever les yeux. Il ajouta, que s'il fallait mourir, il aimait mieux mourir en homme de cœur après s'être signalé par une action héroïque, que de se laisser tuer comme un esclave. Après que Pacurien eut tout écouté , et qu'il eut reconnu que c'était une affaire où il n'y avait point de temps à perdre, il dit à Alexis, si vous voulez partir demain à la pointe du jour, je vous suivrai; mais si vous vous amusez à délibérer, sachez que je vous déférerai à l'Empereur. Alexis lui répartit, puisque vous voulez entrer dans mes intérêts, ce que je regarde comme une insigne faveur , je me conformerai à vos intentions , mais il faut que nous nous engagions ensemble par un serment réciproque. Ils se firent à l'heure même serment l'un à l'autre, et entre les autres conditions dont ils demeurèrent d'accord , Alexis promit à Pacurien la charge de grand Domestique , lorsqu'il serait parvenu à l'Empire. En quittant Pacurien il alla trouver Umpertopule qui était un autre vaillant homme, à qui il déclara les mêmes intentions, et qu'il conjura d'avoir la bonté de l'assister. Umpertopule lui promit aussitôt d'exposer sa vie pour son service. Il ne faut pas s'étonner de la promptitude avec laquelle ces hommes illustres embrasèrent les intérêts d'Alexis , par ce qu'il y avait longtemps qu'il avait gagné leur estime, et leur admiration par la grandeur de son courage , par la prudence de sa conduite, et surtout par la magnificence de sa libéralité. Car quoiqu'il ne possédât que des biens médiocres , et qu'il n'eût jamais usé de violence pour en amasser , il ne laissait pas d'avoir la plus forte inclination de donner qu'on ait jamais vu. Il faut aussi avouer que la libéralité consiste plutôt dans la bonne volonté de celui qui donne, que dans la quantité , ni dans le prix des présents qu'il fait. Ceux qui possédant peu de bien le communiquent à propos sont plus libéraux que ceux qui ayant des trésors immenses les cachent dans la terre, et divisent pour ainsi dire , le cumin par la plus folle, et la plus honteuse de toutes les avarices. Mon père Alexis ayant reçu la foi d'Umpertopule, et lui ayant donné la sienne s'en retourna en sa maison pour y conférer avec ses proches, et la nuit du Dimanche appelé Tyrophage il partit de Constantinople,

Chapitre IV.

1. Chanson sur son départ. 2. Les Comnènes se retirent au Palais de Blaquernes et les les Dames de leur maison à l'église de sainte Sophie. 3. Eglise de saint Nicolas bâtie pour servir d'asile. 4. Réponse de Dalassène aux envoyés de l'Empereur. 4. Elle s'attache aux portes de la grande Eglise, et demande que l'Empereur lui envoie une Croix pour assurance qu'il ne lui ferait point fait de mal.

1.  LORSQUE le peuple sut son départ, il chanta une chanson composée en langage vulgaire, par laquelle il faisait voir très  clairement l'affection qu'il lui portait, et l'approbation qu'il donnait à sa conduite. En voici les termes ,ou au moins le sens. Que vous avez agi prudemment, Alexis, le Samedi nommé Tyrophage, et que le Dimanche suivant vous vous êtes heureusement échappé, comme un épervier fort léger, des filets que les Barbares vous avaient tendus.

2. Anne Dalassène mère des Comnènes, qui avait accordé sa petite fille au neveu de Botaniate, appréhendant que le gouverneur de ce jeune prince ne découvrit à l'Empereur la conjuration qui se tramait contre lui, commanda que sur le soir tous les gens se tinssent prêts pour l'accompagner à l'Eglise, où elle avait accoutumé d'aller tous les jours. Ce commandement fut exactement exécuté. Les officiers se rendirent au palais, et on prépara les chevaux comme si les Dames de la Cour eussent voulu à l'heure même monter dessus. Cependant, le petit fils de Botaniate reposait avec son gouverneur dans son appartement. Sur la première veille de la nuit, les Comnènes étant prêts de prendre leurs armes, et de partir de Constantinople, firent fermer la première porte de leur palais, et en remirent les clefs entre les mains de leur mère. Ils firent aussi fermer les portes de l'appartement où reposait le mari de leur nièce, mais on ne les ferma pas tout à fait de peur de l'éveiller. La plus grande partie de la nuit s'étant écoulée durant qu'ils faisaient toutes ces choses, ils firent ouvrir la porte de leur palais un peu devant l'heure à laquelle les coqs ont accoutumé de chanter, et ils marchèrent à pic avec leur mère, leurs sœurs, leurs femmes, et leurs enfants, jusqu'à la place de Constantin., où s'étant séparés, les hommes allèrent au palais de Blaquernes, et les Dames à l'Eglise de sainte Sophie. Le Gouverneur du jeune Botaniate s'étant éveillé, et ayant reconnu ce qui se passait, courut avec un flambeau à la main , et les atteignit avant qu'elles fussent arrivées à l'Eglise des quarante Martyrs. Dès que la généreuse mère des Comnènes l'aperçut, elle lui dit que ses ennemis l'ayant accusée de faux crimes, elle était obligée de chercher sa sûreté dans l'Eglise. Qu'elle le rendrait néanmoins au palais à la pointe du jour, et qu'il eût soin d'en avertir les gardes. Le Gouverneur obéit à cet ordre, et à l'heure même elle entra avec sa suite dans l'Eglise de saint Nicolas évêque, et qui a été bâtie proche de la grande Eglise, dont elle semble n'être qu'une partie, afin quelle servît d'asile à ceux qui avaient commis quelque crime.

3. Comme les anciens Empereurs avaient un soin particulier de pourvoir aux besoins de leurs sujets , je me persuade qu'ils firent bâtir cette Eglise, afin que les coupables qui s'y pourraient retirer fussent exempts des peines qu'ils auraient méritées. Celui qui gardait l'Eglise ne leur en ouvrit pas la porte d'abord, mais il leur demanda qui elles étaient, et d'où elles venaient? Un homme qui était avec elles ayant répondu que c'étaient des Dames qui venaient d'Orient, et: qui ayant dépensé la plus grande partie de l'argent qu'elles avaient destiné aux frais de leur voyage, désiraient faire leur prière dans l'Eglise, et s'en retourner promptement en leur pays ; il ouvrit la porte à l'heure même.

4. Le jour suivant, Empereur ayant assemblé le Sénat, se plaignit de la fuite du Grand-Domestique, et envoya à l'Eglise Straboromain, et Euphemien pour en amener les Dames qui s'y étaient retirées. Dalassène leur répondit, Allez dire à l'Empereur que mes fils ont toujours été très affectionnés à son service, et qu'ils lui ont donné des preuves certaines de leur fidélité dans une infinité d'occasions, où ils ont répandu leur sang pour maintenir l'intérêt de son Empire. Qu'ayant vu que leurs ennemis avaient conjuré leur ruine par jalousie de l'affection qu'il leur portait, et qu'ils avaient résolu de leur crever les yeux , ils s'étaient retirés sans aucun dessein de révolte et par la seule nécessité d'éviter un si terrible danger ,dans l'intention de trouver un temps plus favorable pour pouvoir l'informer de la malice de leurs ennemis , et pour implorer la protection de sa justice. Comme Straboromain et Euphemien la pressaient de venir trouver l'Empereur, elle leur dit en colère, Permettez, au moins, que j'entre dans la grande Eglise pour y faire ma prière, car ce ferait une chose étrange d'être venue jusqu'à la porte sans y entrer, et sans implorer l'intercession de la Mère de Dieu , pour apaiser la colère de l'Empereur. Ils trouvèrent sa demande raisonnable, et consentirent qu'elle entrât dans l'Eglise. Elle marcha donc d'un pas fort lent, feignant ne pouvoir aller plus vite à cause de son âge, et de son infirmité.

5. Lors qu'elle fut arrivée à l'entrée de l'Eglise, elle fit deux révérences, et à la troisième elle s'agenouilla, et embrassa la porte , criant à haute voix, Qu'on lui couperait plutôt les mains que de l'en arracher jusqu'à ce que l'Empereur lui eut envoyé uns Croix pour gage et pour assurance de la vie qu'il promettait de lui conserver. Straboromain détacha la Croix qu'il avait au cou, et la lui offrit; mais elle la refusa en lui disant, C'est de l'Empereur, et non de vous , que je désire recevoir l'assurance que je demande, et non par une Croix aussi petite que la vôtre, mais par une Croix qui soit d'une juste grandeur, et qui puisse être vue de tout le monde. Allez donc rapporter à l'Empereur ce que j'attends dé la justice et de la démence. Sa belle fille femme d'Isâc son fils, laquelle était entrée dans l'Eglise dés qu'on l'avait ouverte pour y chanter les Mâtines, ôta son voile, et dit à Straboromain, et à Euphemien, Madame sortira d'ici si elle le trouve à propos , mais pour nous, quand nous y devrions mourir , nous sommes résolues d'y demeurer jusqu'à ce que nous ayons reçu le gage et l'assurance que nous demandons. L'opiniâtreté de ces femmes donna de l'appréhension à Straboromain, et à Euphemien, qui de peur d'exciter une sédition par une trop grande fermeté, allèrent rapporter l'état de l'affaire à l'Empereur, et ce Prince étant doux de son naturel se laissa fléchir, et envoya à Dalassène une Croix pour lui servir d'assurance.

Chapitre V.

1. L'Empereur fait enfermer les Dames. 2. Elles gagnent leurs gardes, et apprennent d'eux ce qui se passe. 3. Les Comnènes engagent Paléologue dans leur parti. 4.. Ils se donnent le rendez-vous à Chiorli. 5. Ils donnent avis à Jean Ducas de leur entreprise. 6. Jean Ducas se résout de les suivre  et ayant rencontré un receveur des impositions publiques , il se saisit de son argent. 7. Il engage des Turcs dans le même parti. 8. Il se joint aux Comnènes et ils marchent tous ensemble vers Constantinople. 9. Joie et acclamation des peuples. 10. Division des esprits touchant le choix d'un Empereur.

1.  DALASSENE ne fut pas sitôt sortie de l'Eglise de sainte Sophie, que l'Empereur commanda de l'enfermer avec ses filles et: ses belles filles dans l'appartement destiné aux femmes lequel on appelé Petrée. Il envoya aussi tirer la femme de Jean César de l'Eglise de Blaquernes consacrée en l'honneur de la Mère de Dieu, de laquelle elle était Protovestiaire, et la fit mettre avec les autres, défendant expressément de rien prendre de leurs meubles.

2. Leurs gardes les avertissaient tous les matins de ce qui s'était passé de nouveau touchant les Comnènes, et c'était la générosité avec laquelle la Protovestiaire leur faisait fournir ce qui était nécessaire pour leur subsistance qui les rendait si assidus et si prompts à leur rendre ce bon office.

3. Pour ce qui est des Comnènes, dés qu'ils furent au Palais de Blaquernes, ils en rompirent la première porte, prirent dans l'écurie les chevaux qui leur étaient propres, coupèrent les jarrets à ceux qu'ils ne pouvaient emmener, et s'en allèrent au monastère de saint Cosme qui est hors de la ville. Là ils prirent congé de la Protovestiaire qui n'avait pas encore été mandée alors par Botaniate, et ils déclarèrent leur dessein à George Paléologue, à qui ils n'en avaient rien dit auparavant, à cause de l'affection que son père portait à l'Empereur. Bien loin de l'approuver il le condamna d'abord avec des paroles fort outrageuses, et les assura qu'ils n'en tireraient qu'un triste repentir. Mais la Protovestiaire qui était sa belle mère ayant usé de menaces pour l'obliger d'y prendre part, il devint un peu plus traitable. Le premier soin qu'il prit fut de mettre dans un lieu sûr Anne sa femme, et Marie sa belle-mère, qui était issue d'une des plus illustres familles de la nation des Bulgares, et qui passait pour la plus belle personne de son siècle.

4. Alexis et Paléologue convenaient tous deux de mettre ces deux Dames dans un lieu ou elles fussent en sûreté, mais ils ne s'accordaient pas dans le choix du lieu, Alexis étant d'avis de les mettre dans une forte citadelle avec une bonne garnison, et Paléologue étant d'avis de les mettre dans l'Eglise de Blaquernes. Ce dernier sentiment ayant prévalu, ils les menèrent à cette Eglise, et les confièrent à la garde de la Mère du Verbe qui contient, et qui garde toutes choses.

5. Ils délibérèrent ensuite sur ce qu'ils avaient à faire, et ils trouvèrent à propos que les Comnènes partissent les premiers. Paléologue qui avait son argent, ses meubles, et son équipage dans le monastère de l'Eglise dont je viens de parler, les fit charger sur les chevaux des moines, et se rendit bientôt après à Chiorli ville de Thrace, et se joignirent tous aux troupes qui y étaient arrivées dès auparavant par l'ordre d'Alexis. ayant jugé à propos de donner avisa Jean Ducas César qui demeurait alors dans les terres de Morobonde, du dessein qu'ils avaient formé, ils lui dépêchèrent un courrier, qui étant arrivé de grand matin, Jean neveu du César courut à sa chambre, et lui cria que les Comnènes s'étaient révoltés. Le César s'étant éveillé lui donna un petit coup sur la joue, et lui défendit de lui venir dire de semblables impertinences. Il ne laissa pas de rentrer incontinent après pour redire la même nouvelle, et pour répéter les mêmes, termes par lesquels les Comnènes l'avaient exprimée: Ces termes ne manquaient pas d'élégance, et ils couvraient leur rébellion sous une agréable figure. Voici comme ils étaient conçus. Nous avons apprêté un festin, dont les mets, comme nous croyons, ne seront pas mal assaisonnés. Si vous avez agréable de prendre votre part de la bonne chère , faites-nous l'honneur de venir en diligence.

6. Jean s'étant mis à son séant commanda de faire entrer le courrier, de la bouche duquel ayant appris ce qui avait été fait par les Comnènes, il s'écria qu'il était bien malheureux, et se couvrit le visage avec les mains, comme pour songer profondément à ce qu'il avait à faire. Puis s'étant tout d'un coup résolu de suivre la fortune des Comnènes, il demanda ses chevaux, et partit. Il rencontra en chemin un homme qui portait de l'argent à Constantinople, à qui il demanda qui il était, et où il allait ? Cet homme lui répondit qu'il était receveur des impôts, et qu'il portait à l'Empereur de l'argent qu'il avait reçu. Le César le pria de passer la nuit avec lui, et comme il faisait difficulté d'y consentir, le César qui naturellement était éloquent, et qui comme un Eschine, ou un Démosthène, persuadait tout ce qu'il voulait, l'emmena dans une hôtellerie, où il le traita fore civilement, le fit manger avec lui, et eut soin qu'on lui donnât un bon lit. Dès que le jour parut le receveur monta à cheval pour continuer son voyage ; mais le César le pria de demeurer avec lui, et sur ce qu'il le refusait, il usa de paroles rudes, et le menaça de lui faire faire de force ce qu'il ne voulait pas, et comme il continuait de résister, il commanda de prendre son argent et son bagage, et de le laisser aller. Le receveur n'osa aller à Constantinople sans argent, de peur d'être arrêté par l'ordre des officiers de la Chambre de l'Empereur, n'osant aussi s'en retourner à cause des désordres que la révolte des Comnènes avait excités, il suivit le César contre sa première intention.

7. Le César trouva encore fort heureusement des Turcs qui venaient de passer le fleuve Eurus, et s'étant arrêté il leur demanda d'où ils venaient, et où ils allaient, et leur promit de grandes sommes d'argent s'ils voulaient se joindre avec lui au parti des Comnènes. Ils s'y accordèrent à l'heure-même, et leurs chefs prêtèrent le serment de fidélité.

8. Les Comnènes furent ravis de joie de le voir arriver avec une fuite plus nombreuse qu'ils n'espéraient, et surtout, mon père Alexis, qui courut au devant de lui, et l'embrassa très étroitement. Ils marchèrent à l'instant vers Constantinople, sur ce qu'il leur dit que toute l'espérance du succès consistait dans la promptitude de l'exécution.

9. Les habitants sortaient hors de leurs villes pour proclamer Alexis Empereur. Il n'y eut que ceux d'Andrinople, qui étant irrités de ce qu'il avait pris Bryenne, demeurèrent attachés aux intérêts de Botaniate. Les Comnènes prirent deux villes Aryre, où ils demeurèrent un jour, et Schise en Thrace où ils se campèrent.

10. Tous les esprits étaient comme suspendus dans l'attente de l'élection d'un Empereur. Bien que la plupart souhaitassent de voir élever Alexis à ce haut comble de gloire, Isâc ne laissait pas d'avoir ses partisans. La division de ces deux frères qui avaient les armes à la main, faisait appréhender avec raison d'horribles massacres. Alexis était appuyé par de puissants alliés , par Jean Ducas César dont je viens de parler, qui était un des plus prudents pour le conseil, et des plus hardis pour l'exécution qu'il y eût en ce temps-là; par Michel, et Jean ses neveux, et par George Paléologue qui avait épousé leur sœur. Il n'y avait rien qu'ils ne tentassent, point de corde qu'ils ne touchassent, et point de machine qu'ils ne fissent jouer, pour relever sur le trône. Il n'y avait point de jour auquel ils n'attirassent quelqu'un à leurs avis, et auquel ils n'affaiblissent le parti d'Isâc. En effet, dès que le César paraissait, il n'y avait rien qui pût lui résister. L'opiniâtreté la plus dure cédait aussïtôt à la majesté de son visage, et à la force de son éloquence. Les autres alliés concouraient au même dessein avec un pareil empressement, et employaient toutes les raisons que leur esprit leur pouvait fournir pour gagner les voix des officiers, et des soldats. Il vous donnera, disaient-ils, des récompenses, mais il ne les donnera pas sans jugement, comme les Princes qui ne gouvernant pas par eux-mêmes ne connaissent jamais le mérite, ni la vertu. Il vous a commandés d'abord en qualité de capitaine , et depuis en qualité de grand Domestique d'Occident. Vous l'avez vu à vôtre tête dans les escarmouches, et dans les batailles, dans les plaines, et sur les montagnes. Il connaît aussi vos noms et vos visages, et fait ce qui est dû à vôtre courage. Voila ce que faisaient et ce que disaient les Ducas. Mais pour Alexis, il n'y avait point d'honneur qu'il ne déférât à son frère Isâc, soit par l'affection sincère qu'il lui portait, ou parce qu'étant assuré des suffrages de l'armée, et de l'aversion qu'elle avait pour Isâc, il voulait bien le consoler du refus qu'il souffrait, par l'assurance apparente qu'il lui donnait de lui céder l'autorité souveraine, sans que cela lui fit de tort.

Chapitre VI.

1. Isâc met les brodequins à Alexis. 2. Prédiction faite à Alexis, 3. Les Ducas le proclament Empereur. 4. Lettre de Melissène. 5.. Réponse faite à ses ambassadeurs. 6. Acceptée par eux. 7. Eludée par le secrétaire d'Alexis. 8. Prise et description d Arête  9. Consternation de Botaniate. 10. Alexis se résout de prendre la ville par intelligence. 11 Le César se déguise en moine pour en visiter les dehors. 12. Un homme envoyé par Alexis gagne les Nemiziens qui gardaient une partie des murailles.

1.  PENDANT que l'on consumait le temps à conduire ces intrigues, l'armée s'assembla autour du camp chacun étant agité de différentes inquiétudes selon la différence de ses passions , et de ses désirs. Alors Isâc s'étant levé de sa place voulut mettre lui-même les brodequins aux pieds de son frère Alexis, et comme celui-ci y apportait quelque résistance, Laissez--moi faire , dit Isâc, Dieu veut se servir de vous pour conserver notre famille, et en même temps, il lui renouvela le souvenir de ce qui lui avait été autrefois prédit par un devin inconnu.

2. Comme ils se promenaient un jour ensemble prés d'un lieu nommé Carpien , un homme parut devant eux, si toutefois un génie qui avait une parfaite connaissance de l'avenir n'avait rien au dessus de la nature de l'homme. Il avait l'apparence extérieure d'un évêque, la tête nue, et chauve, la barbe rase. Il s'approcha ensuite à pied d'Alexis qui était à cheval, et l'ayant tiré par la cuisse il lui dit à l'oreille ces paroles de David, Ps. 44. Etant tout brillant de gloire comme vous êtes , votre vertu n'aura que des succès illustres , et avantageux. Après cela, il disparut, et bien qu'Alexis poussât son cheval pour le suivre , et pour savoir qui il était, il ne pût le trouver. Quand il fut revenu, Isâc lui témoigna une grande curiosité de savoir ce qui lui était arrivé. Alexis s'excusa d'abord de le lui dire; mais enfin étant pressé , il le fit n'en parlant toutefois que comme d'une illusion, et d'un songe, bien que dans le fond de son cœur il crût que celui qui lui avait parlé était Saint Jean l'Evangéliste le fils du tonnerre.

3. Isâc voyant donc l'accomplissement de la prédiction , et d'ailleurs remarquant l'ardeur avec laquelle l'armée se portait à la promotion d'Alexis, usa de quelque sorte de violence pour lui mettre lui-même les brodequins d'écarlate. Les Ducas qui soutenaient son parti tant par l'estime de ses bonnes qualités , que par l'intérêt de l'alliance par laquelle ils étaient unis avec lui , le proclamèrent ensuite Empereur. Leurs parents , leurs amis, et l'armée répondirent à la proclamation avec une conspiration d'autant plus surprenante que peu auparavant plusieurs étaient si passionnés partisans d'Isâc, qu'ils ne faisaient point de difficulté de publier qu'il n'y avait rien qu'ils ne fussent prêts de faire , et de souffrir, plutôt que de permettre qu'aucun autre lui fût préféré.

4. Sur ces entrefaites , il se répandit un bruit que Melissène était arrivé à Damalis avec des troupes , qu'il y avait été salué en qualité d'Empereur , et revêtu des marques delà Souveraine puissance. Comme l'on doutait de la vérité de cette nouvelle il arriva des ambassadeurs de sa part avec la lettre qui suit.

JE suis venu par la grâce de Dieu sain et sauf jusqu'à Damalis , j'ai appris ce qui vous est arrivé , et de quelle manière l'éternelle Providence vous a préservé des pièges que les Scythes vous avaient tendus. Comme je tiens à grand honneur d'être dans vôtre alliance , et que Dieu qui sait le fond de mon cœur m'est témoin que je vous aime aussi sincèrement qu'aucun de vos parents , il est de votre prudence de pourvoir de telle forte à notre intérêt commun que nous assurions notre repos et que nous nous mettions à couvert des orages , et des tempêtes. Pour venir heureusement à bout d'un si grand dessein , il faut que nous prenions Constantinople , et que vous contentant de commander en Occident vous me laissiez commander en Asie avec la couronne , et la robe Impériale. Il faut aussi que vous consentiez que dans les acclamations publiques mon nom soit joint au nom de celui que vous choisirez de votre coté , pour lui déférer la Souveraine puissance. Si vous agrées ces conditions la distance des lieux , ni la diversité des affaires, n'empêcheront pas que nous ne gouvernions tous ensemble l'empire avec une parfaite intelligence.

5. On ne répondit rien sur le champ à. ces ambassadeurs, et le jour suivants on leur fit voir qu'il n'était pas possible de leur accorder leurs demandes ; que néanmoins George Mangane secrétaire d'Alexis leur dirait ce qu'on pourrait faire pour leur satisfaction.

6. Cependant, on commença le siège de Constantinople, et on attaqua le mieux qu'on put les murailles. Le jour suivant on manda les ambassadeurs pour leur dire qu'on accorderait à Melissène le titre de César avec le bandeau, les acclamations, et les autres honneurs dus à cette dignité. Qu'outre cela, on lui donnerait Thessalonique, cette ville si célèbre par l'Eglise de Saint Demetrius Martyr , dont le corps répand un baume précieux, et salutaire qui guérit les maladies de ceux qui s'en approchent avec une foi ferme , et confiante. Bien que cette réponse ne pût être agréable aux ambassadeurs par ce qu'on ne leur accordait que la moindre partie de ce qu'ils demandaient, néanmoins, quand ils virent les grands préparatifs qui se faisaient pour le siège, et la multitude des troupes qui arrivaient de toutes parts, ils appréhendèrent qu'on ne leur refusât après la prise de la ville, ce qu'on leur offrait alors, et ils supplièrent qu'on les assurât de ces offres par des lettres scellées de la bulle d'or. Alexis qui venait d'être proclamé le leur accorda volontiers, et commanda à Mangane son secrétaire d'Etat d'en expédier les lettres.

7. Ce secrétaire trouva durant trois jours divers prétextes pour user de remises. Tantôt il disait qu'après avoir été accablé d'affaires pendant le jour il n'avait pu travailler la nuit. Tantôt qu'il avait dressé les lettres, mais qu'elles avaient été brûlées par une étincelle qui était tombée dessus.

8. Cependant, les Comnènes s'emparèrent d'Arête. C'est un lieu élevé au milieu de la plaine , qui d'un côté est vis à vis de la mer, d'un autre vis à vis de la ville, d'un autre il est exposé à l'Occident, et d'un autre au Septentrion. Il est battu par tous les vents, et arrosé par le courant d'une eau claire, et vive. Il n'y paraît non plus d'arbres , ni d'herbes que si l'on avait pris un soin tout particulier d'en arracher jusques aux moindres racines. La température de l'air que l'on y respire invita autrefois Romain Diogène à y faire bâtir un magnifique palais où lui et ses successeurs pussent jouir à leur aise de la douceur du repos. De ce lieu-là les Comnènes envoyèrent attaquer Constantinople avec des armes ordinaires faute d'élépoles, et d'autres machines.

5. Lorsque Botaniate vit que d'un côté l'armée des Comnènes se fortifiait, et que de l'autre celle de Melissène qui n'était pas moins nombreuse était déjà arrivée à Damalis il désespéra de ruiner deux partis si puissants , et sentant refroidir par l'âge , l'ardeur que la jeunesse avait autrefois allumée dans ses veines il fut tout prêt de déposer la Souveraine puissance. Cette appréhension n'ayant pas été tenue secrète comme elle le devait, jeta une telle consternation parmi le peuple que plusieurs se défiant de la faiblesse de leurs murailles , renoncèrent à leur défense , et s'abandonnèrent à la douleur.

10. Comme les Comnenes jugeaient que la prife de la ville ferait difficile, tant à caufe de la grandeur de l'entreprife en ellc-même, que de la qualité de leur armée qui étant compofée de différentes Nations ne pouvait être maintenue aufli aifement qu'une autre dans une bonne
intelligence ils crurent ne pouvoir rien faire de plus avantageux pour l'exécution de leur def- fcin, que d'exciter les habitans à une réduction volontaire. Alexis qui embraffait ce moyen-là avec plus de chaleur que les autres avait envie de gagner par careises , et par promettes ceux qui gardaient les murailles. Après y avoir pen- fé toute la nuit il alla à la pointe du jour à la tence du César , lui communiqua sa penfée , et le pria de faire avec lui le tour de la ville pour examiner la contenance des afliegez , et: pour reconnoître par ouilferoitplusaifé de les prendre.

ii. Le César n'eut pas cette propofition fort agréable par ce que qu'il falait pour cela qu'il fc déguifât en Moine, cela ne lui étant jamais arrivé, il craignait d'attirer fur lui, par cet habit, les railleries des habitans, comme il les attira en effet. Car s'étant laifle emmener par Alexis dés que les foldats de la garnifon l'aperçurent ils l'appelèrent Moine, mais mépri- fant leurs railleries, il enfonça son froc,et continua fou entreprife, comme font les grandes âmes qui ne renoncent pas pour de légers accidensàde bonnes refolutions. Il s'informa donc fort exactement de ceux qui gardaient les tours, et il apprit qu'il y en avait de gardées parles Immortels, d'autres par les Varanges qui font des Barbares armez de haches venus des environs de l'Ile de Tulé , et qu'enfin il y en avoir d'autres gardées par les Nemiziens qui fcrvoiencdepuis long-temps dans les armées de l'Empire. Après une exa<Sbe vifîte, et une meure délibération, il confeilla à Alexis de ne s'a- drefler ni aux Varanges, ni aux Immortels, parce que ceux-ci perdraient plutôt la vie que de manquer à la fidélité dans laquelle ils avaient été élevez , et que ceux-là ayant depuis longtemps été emploiez à la garde du Prince , ils conferveraient une affection inviolable à son fervice comme une vertu héréditaire ; mais il fut d'avis que l'on fondât les Nemiziens qui pourraient peut-être livrer la tour qui leur avoir

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eteconhee.

ii. Alexis reçut le confeil du César avec le même respeft que la réponfe d'un oracle , et à-rheure-même, ilenvoiaunhomme au commandant des Nemiziens, qui après une aflez longue conférence, promirent enfin de trahir la ville.

Chapitre VII.

/. <*Ambaffadeurs de Meliffene fans Lettres. 2. Paleologue traite avec les Nemizjiens , et monte dans une tour. 3. Il introduit l'armée des Comne- nes dans la ville. 4. Defordres commis far les foldats.

Ans le même temps , les Ambaffa- deurs de MclifTene demandèrent avec de prenantes inftances les Lettres qui leur avaient été promifes. Alexis fit appeler son Secrétaire, qui les apporta aufïi-tôt , mais comme c'était un esprit fort difîimuléqui prevoiait de loin l'avenir, etqui confiderait plus l'intérêt que toute autre cnofe , il dit, que la cafletc du feauétait égarée, de peur que si l'on accor- doità MelifTenela qualité de César il n'aspirât à celle d'Empereur. Ainfi les Comnenes ren- voierent les AmbafTadeurs , et les chargèrent de dire à leur maître que Dieu avait réduit Con- ftantinople fous leur puiiTance, et que s'il avait agréable de les y venir trouver ils confereraient avec lui , et s' accorderaient fans peine fur tou-r tes les prétentions.

z. Après cela, ils envoierent George PaIcologuc à Gilpraete Capitaine des Nemiziens pour reconnoitrc les intentions, et pour monter fur unetour au cas qu'il voulue le permettre, afin de donner enfuite le fîgnal aux troupes. Comme Paleologue César avait une merveil- leufe ardeur pour les expéditions militaires , et principalement pour les fïeges , de forte qu'on lui pouvait donner le titre de preneur de villes qu'Homère adonné àMars il Fut ravi d'être emploie en cette belle occafion. Cependant , les Comnenes commandèrent aux gens de guerre de prendre les armes, et de marcher en bon ordre versConftantinople. George Paleologue arriva au pie de la muraille au commencement de la nuit , et ayant traité avec Gilpra6te monta à la tçte des fiens dans une tour.

3. L'armée arriva incontinent après , et Te rangea en cet ordre. Les Comnenes se mirent au milieu avec la cavalerie , et; avec les troupes pefamment armées, et la fleur des plus vaillans hommes ; les troupes légèrement armées se mirent tout à l'entour. A la pointe du jour ils se prefenterent l'épée à la main, comme pour donner un aflaur. Paleologue leur ayant donné à l'heure même le fignal, et leur ayant fait ouvrir une des portes ils entrèrent tu- multuairement avec les boucliers , les traits, etlcs lances, dans cette grande ville qui s'était enrichie depuis long-temps de trefors des nations , et qui s'était remplie des dépouilles de la terre, etde la mer, le cinquième jour de la femaine en laquelle nous célébrons la Fête de Pafque , et en laquelle nous immolons , et nous mangeons l'Agneau Pafcal, en la quatrième indication , au mois d'Avril de l'année 6,89. à conter depuis la création du Monde.

4. Ils se répandirent en un moment par toutes les rues, et par toutes les places publiques , et n'épargnèrent ni les maifons , ni les Eglifes. On ne faurait marquer la valeur du butin qu'ils amaiTerent, et excepté qu'ils ne répandirent point de fang, ils commirent toute forte de violences, et d'impietez avec la dernière impudence. Les originaires du païs fc portoicnt à, cet excès, et cncherifïbient fur la Fureur des Barbares, comme s'ils euflent oublié leur naiffance, et renoncé à leurs mœurs.

Chapitre VIII.

/. Botaniate se refout de céder la Couronne à Meliffene. 2. Paleologue monte fur la flote de 'Botaniate. 3. Il harangue les Matelots. 4. Il leurperfuade de reconnaître Alexis four Empereur, j. Il rencontre son père qui condamne Ça conduite. 6. Le père demande des troupes à Botaniate pour chaffer les Comnenes hors de la 'ville. 7. 'Botaniate le charge de leur proposer la paix. S. Il la pro- pofe. o. Paleologue Ce Car s y oppofe. 10. Borile amaffe des forces. //. Le Patriarche confeille a Botaniate de se démettre de la Souveraine puiffance. 12. Botaniate fuit son confeil, et se retire dans fEglife.

Otaniatc volant l'état déplorable où Tes affaires étaient réduites , que d'un côté Conftantinople était affiegée par les Comnenes, que de l'autre Damalis était occupée par MeliiTcne , et ne fâchant quel remède y apporter., il se refolut enfin de céder à ce dernier la Souveraine puùTancej et pour cet effet, il en-

voia voiaun des plus fidèles de ses Domeftiques avec son Spataire très-vaillant homme pour le chercher , et pour le lui amener dans son Palais à travers de l'armée des Comnenes qui étaient déjà maîtres de la Ville.

z. Paleologue qui marchait cependant à pie vers la mer, fuivi feulement d'un des fïens, ayant trouvé une barque entra dedans, et commanda aux Rameurs de le mener à la flote. Quand il en fut proche il vit que celui qui avait ordre d'amener MelifTcne à Botaniate, prepa- roitles vaifleaux pour ce fujct, et que le Spataire était déjà fur un des plus beaux. Comme il le connoiflbit particulièrement il lui deman*- da d'où il venoit, et ou il alloit, et le pria de le recevoir dans son vaifTeau. Le Spataire lui répondit quil le recevrait 'volontiers 3 s'il n'avait ni houclier , ni épée. Que cela ne vous empêche pas de me recevoir , repartit Paleologue , et à - l'heure -même , il ôta son bouclier , son cafquc , et son poignard, et entra dans le vaif- feau du Spataire, qui le reçut, et l'embrasa comme son ancien ami.

3. Paleologue qui avait beaucoup d'ardeur dans toutes ses entrcprifes, ne perdit point de temps , mais fauta à la proue du vaifleau, et parla aux Matelots, en ces termes. Où alle^ 'vous j ^Jr- que prétendez-vous faire ? Vous voule^ attirer des maux qui retomberont fur vous. Ne *voie%-vous pas que la ville eft prife ? Le grand Dor Tome IV. N

meftique a été proclamé empereur. Vousvoie^ d'ici les Compagnies de fis gardes f 'vous entende^ les acclamations dont la 'ville retentit. Il n'y a plus de place fur le Trône pour un autre que pour lui. Je veux bien que Botaniate fait un bon Prince ; mais il faut avouer que les Comnenes ont fans comparaison fins de mérite que lui. S'il a quelques troupes, nous en avons de plus nomhreufeSj et de plus puiffantes. IIn'cftpas jufte de trahir vos femmes 3 etvos Enfants, ni de vous trahir vous- mêmes. Après Avoir reconnu l'état de la ville où notre armée viftorieufe marche enfèignes déploiéfSj et ait elle conduit Alexis a» Palais avec les marques de la dignité Impériale , fuive^ le parti du vainqueur j et faites en forte quil croie vous être redevable d'une partie de sa vt- flaire.

4. Les Matelots se laiflerent tous perfua- der par ce difcours , et comme le Spataire le trouvait mauvais, Paleologue le menaça de le faire lier au fond du vaifïeau, ou de le faire jer- ter dans la mer. A l'initanc même il commença la proclamation d'Alexis, à laquelle les Matelots répondirent, et il fit lier le Spataire qui le vouloir empêcher. Enfuite, il reprit ses armes , joignit toute la flote , et acheva de gagner ceuxquiavaientrefîfté jufqucs alors à la force deses raifons. En cet endroit-là il fit prifon- niercelui que Botaniate avait envoie pour lui amener MclifTcne, et au mefmc moment , il commanda de mettrelcs voiles au vent. Qu^and il fut abordé à la citadelle il y proclama Alexis avec plus d'appareil, et plus de pompe qu'il n'a- voic taie auparavant. Pourôter toute eiperance aux troupes <de Meliflene d'arriver à Conftanti- nople , il défendit aux Matelots de partir du Port.

5. ayant aperçu, peu de temps aprés,unvaif- fcau qui voguait vers le grand Palais, il commanda à ses Rameurs de le joindre, ce qui ayant cité fait, il vit dedans Nicéphore Paleologue son père, à qui il fit une profonde révérence. Mais son père au lieu d'être bien- aife de le voir, ' et au lieu de l'appeler sa lumière, comme Ulyife appela autrefois Telemaque qui venait non le combatre comme un ennemi, mais le fecourir comme un fils lorfque les galans de Pénélope rcmpliflbient sa maifon defeftins, de jeux, de dan/es, et de combats, et qu'ils se propofaient

fa femme pour le prix de celui qui remporterait l'avantage; au lieu,dis-je,de traitter ainfi son fils, il l'appela infenfé, parce qu'il était d'un autre £èntiment, et d'un autreparti que lui. Il lui demanda ce qu'il venait faire là? Paleologue lui ré- pondit.jene 'viens rien faire par ce que vous êtes mon fere.Cc père irrité lui repartit, attens ttnpeu^ tu Verras ce que je ferai si l'Empereur me veut croire.

6. Nicéphore Paleologue étant donc entré dans Je Palais 3 et ayant vu que les troupes des Comnenes étaient dispcrfées par toutes les rues, et acharnées au pillage demanda à Botaniate quelques foldats Anglois pour les aller charger, et pour les chaflfer de Conftantinople.

7. Botaniatequidefesperait abfolument de rétablir ses affaires, lui témoigna avoir averfîon de la guerre, et le pria dcpropofer aux Com- nenes de faire la paix. Bien que cette commifïîon ne lui fût pas fort agréable, il ne laifTa pas de l'accepter. Cependant, Paleologue César ayant appris que les Comnenes se tenaient dans une pleine afTurance, et qu'ils s'amufaient à délibérer s'ils iraient rendre leurs respects àleur mère, où s'ils ferendraient maîtres du Palais , leur en- voia témoigner combien il blâmait les remifes,

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et les longueurs par lefquelles ils ruinaient leur fortune.

8. Nicéphore Paleologue les rencontra dans ce temps-là,et leur p irla de cette forte, au nom, etcommeenlaperionnede l'Empereur, se fuis

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'Vieux , et jejuis Jeul. je n ai m enfant, mjreres, m

prochesparens. Si vous fuoulc^ (Iladrefîbitfa parole à Alexis) je'vous adopterai. le nspriverai aucun de ceux a^ui 'vous ontfui'vi de ta recompcnje que 'vous leur ave% promifè 3 et me contentant du titre d'Empereur, du vain honneur de s acclamations populaires j des ornement de la dignité Impériale, et de l'appartement que j'occupe dans le Palais, je 'vous abandonnerai absolument l'adminiftration des affaires.

9. Les Comnenes ayant écouté ces propofi- tions laiiTerent échaper quelques paroles par lef- quelles ils femblaienty confentir.Mais le César,

qui les avoir entroiiies, accourut, la colère dans la bouche, et les menaces fur le vifage 3 et les pré/fade courir promtement au Palais; les reprenant fortement de perdre par leur négligence des momens qui leur dévaient être précieux. Quand il eut aperçu Nicéphore Paleologue, il lui clemanda ce qu'il avait deffein de faire ? Il lui répondit, qu'ilcroioitquilneferoitrtcn; mais qu'il 'venoitrenouvelerlespropufîtions de Paix qu'il avait déjà faites ; que l'Empereur offrait d'adopter Alexis, et de Je décharger far lut du gouvernement de l'Empire t qu'il ne Je refermait que le nom d'Empereur 3 la ro- be}lcs brodequins d'ccarlate, etlc logement. Qu'étant âgé il ne demandait que du repos. Le César le regardant d'un œil fier, et fevere, et fronçant le four- cil, lui repartit, ^lle^direàBotaniate^quelespro- pojîtions qui auraient peut-être été recelâmes avant laprijê de Conftantinoplene le font plus depuis la pri- Je. Etant âgé, comme il eft} il faut qu il dejcende du Trône 3 et qu'il nejôngcplui qu'à confcrverlepeu qui lui refte déjanté^ çy dévie.

10. Quand Borile eut appris que les foldats des Comnenes avaient quitté leurs rangs, et qu'ils pillaient les maifons,il crut qu'il ferait aifé de les défaire ; pour cet effet, il amaffa un grand nombre de ses amis, de foldats du paï's de Corne, et d'autresBarbares3cjuiauheud'épées,por- taientdes haches fur leurs épaules ; et les rangea depuis la place de Conftantin jufqu'au Milion.

ix. Mais le Patriarche, qui était un parfait

Histoire De L'EMp.ALExisJLiv.II.

modèle de vertu, qui vivait dans une étroite pauvreté, et dans une aufterité aufli rigoureufc que celle des anciens folitaires, et qui avait reçu de Dieu le don de connoître l'avenir, lui con- feilla,fait de lui-même, ou à la prière du César. de qui il était intime ami, d'obeï'r à la volonté de Dieu qui en mettait un autre fur le Trône, et de ne pas répandre le fang Chrétien par la fureur d'une guerre civile.

u. Botaniate fuivitceconfeil, et parce qu'il apprehendait lesinfultesdes foldats il s'habilla, pour se retirer dans la grande Eglife. Mais comme il avait oublié , dans le trouble où il étoit., d'ôter l'ornement des manches enrichi de pierreries que portent les Empereurs, Borilç se rç-^ tourna,pour le lui arracher, et lui dit, avec une fanglante raillerie, Vous voila maintenant dans an équipage qui vous jïed fort bien. Quand il fut arrivç à f'Eghfe, il y demeura en repos,

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HISTOIRE

DE L'EMPEREUR

ALEXIS.

Ecrite par dnne Comnene.
LIVRE TROISIESME.

Chapitre I.

/. Botaniate eft mis dans un Monastère.

2. Reflexion fur fin faïence de la fortune.

3. Parole remarquable de Botaniate. 4.. L'Impératrice Marie demeure dans le Palais avec les Comnene s. j. Portrait de Confiantin. 6. Jufiifcation de l'Impe- ratrice.

i, T Es Comnenesne furent pas plutôt mat-

i jtrcsdaPalais^qucMichclquiavaitépou-

fé leur niéce,"et qui fut depuis Secrétaire d'Eta^

et Radene Préfet de Conftantinople , s'étant faifis par leur ordre de Botaniate, le mirem dans une barque, et le menèrent au Monaftere de Pe- riblepte, où ils l'exhortèrent à prendre l'habit Angélique, et bien qu'ils ufâtde remifes, ils le prelfcrent si fort par l'apprehenfion que les Scythes, dont le parti n'était pas tout à fait ruine, ou les foldats du païs de Corne qui n'étaient pas encore gagnez n'excitalTcnt une fedition-, qu'il y confcntit le jour même, et fouffrit qu'on lui coupât les cheveux.

z. Il faut avouer que la fortune se joue de la condition des hommes avec une étrange info- lence. Quand elle les veut favorifer, clic les tire de la poufïiere pour les placer fur le trône, pour leur mettre le fceptre en main, et la couronne fur la tête. Mais quand elle change de caprice,elle arrache cette couronne, brife ce fceptre, renverfe ce trône, et déchire leurs orne- mens pour les couvrir d'un habit de Moine.

3. Un de ses anciens amis lui ayant demandé comment il fupportait ce changement, il répondit, aue l'abftinence des viandes lui ferait ajje% incommode ; mais que le refte lui ferait fort peu de peine.

"4. L'Impératrice Marie demeura dans le Palais avec son fils Conftantin, qu'elle avait eu de ^'Empereur Michel, de peur qu'il ne courût quelque hazard. L'alliance qu'elle avait avec les Comnenes, dont l'un était son gendre, et l'autre son fils adoptif, fuffifait pour cxcufer

cette

cette demeure, bien qu'elle n'ait que trop fourni de matière à de fort mauvais foupçons. Cène futdonc pas la familiarité qu'elle avait avec les Comnenes, ni Tesperance de leur donner de l'amour, qui la retint dans le Palais, mais la crainte d'expofer son fils dans une ville où elle était étrangère, et où elle n'avaitni parens,ni alliez, ni anus, qui lui puflent donner de l'appui.

y. Ce jeune enfant qui n'avait que fept ans, était d'une merveilleufe beauté. Je prie ceux qui prendront la peine de lire cet ouvrage de me pardonner cette digreflion. Il était agréable dans ses difcours, dans ses actions, et dans ses jeux, comme je l'ai appris de ceux qui l'ont vu. Il avait la chevelure fort blonde, la peau blanche comme du lait, et mêlée d'un rouge fem- blable au vermillon d'une rofe qui commence à s'épanouir. Ses yeux étaient femblables aux yeux d'un épervier, etétincelaient auprès de ses fourcils, comme le diamant étincele auprès de l'or où il eft enchafifé. Enfin, c'était une beauté qui avait quelque chosede divin, et qui meri- tait d'être comparée à la beauté de l'amour. Ce futlàlefeul fu jet qui obligea l'Impératrice à demeurer dans le Palais.

6. J'ai naturellement avcrfîon à fuppofcr de faufsesHiftoircs, comme font pluiîeursqui font poffedez de jaloufie, ou de haine. Je n'ajoute pas foiaux bruitsconfusdelamultitude,etayant été élevée jufqu'àl'âge de huits ans entre lesbras Tome Illl O