Anonymes

ANONYME

 

UNE CHRONIQUE LATINE INEDITE  DES ROIS DE CASTILLE (1236)

 

(1et 2) (3, 4 et 5) (6, 7 et 8)

Oeuvre numérisée et traduite par Marc Szwajcer

 


 

ANONYME

 

INTRODUCTION

 

UNE CHRONIQUE LATINE INEDITE  DES ROIS DE CASTILLE (1236)[1]

(MS. G 1 DE LA R. ACADEMIA. DE LA HISTORIA.)

Par G. Cirot

 

 

 

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6. Vers le début du règne de l'empereur, un certain sarrasin du nom d'Aventumerth[2] fit son apparition. Il venait des terres de Bagdad, ville noble et importante, où il avait étudié pendant une longue période et il avait prêché au royaume du Maroc, tenu alors par les Maures appelé du nom spécifique de Moabites[3] et communément connus sous celui d’Almoravides, le nom de leur roi étant Ali.[4] Il prêcha en particulier contre l'arrogance et l'oppression des Moabites, qui opprimaient cruellement le peuple soumis a leur domination, faisant des exactions souvent immodérées afin d'exercer à leur gré le vice de la libéralité, ou plutôt de la prodigalité, dans lequel ils étaient plongés et dont ils se glorifiaient. Il s’adjoignit d'innombrables personnes qui voulaient volontiers retirer de leurs têtes du très dur joug de la servitude, gagnant, comme un homme sage et discret, mais infidèle, l'esprit des hommes en leur promettant le don inestimable de la liberté. Parmi ceux qui suivirent Aventumerth était un homme simple, généreux et combatif, du nom d’Abdelmún[5] dont il utilisa assez fréquemment les services lors de négociations difficiles. Lui et ses partisans combattirent alors contre le roi moabite et son peuple, et le vainquirent souvent, mais ils furent finalement battus et expulsés du royaume et prirent la grande ville de Marrakech.

Abdelmún, sous l’influence d’Aventumerth comme son prophète,[6] s’installa comme roi dans la ville nommée et dans le royaume des moabites. Ceux qui obtinrent ce royaume sont appelés almohades, ce qui signifie unitaires, car ils confessent n’adorer qu’un seul Dieu, celui que prêchait Aventumerth, comme cela est exposé clairement dans un certain libelle écrit.

D’Abdelmún descendent ceux qui ont gouverné le royaume de Marrakech jusqu’à nos jours. Ce royaume fut florissant jusqu’à maintenant et ce n’est que grâce à Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il commença à décliner miraculeusement.[7] Le fils d’Abdelmún fut Aben Jacob, qui mourut au Portugal pendant le siège de la noble et importante ville de Santarem.[8] Un fils d’Aben Jacob participa à la bataille d’Alarcos[9] qui fut remportée sur les chrétiens grâce à la permission divine ; il prit Calatrava et Alarcos et d’autres châteaux dans le voisinage, tels Malagón et la tour Guadalferza.[10] Ce roi et ses actes seront discutés plus tard, [11] mais maintenant assez sur ce sujet.

7. Louis, roi de France, prit pour épouse une fille de l'empereur du nom de Sancha.[13] Le fait que l’empereur ait eu deux fils causa un préjudice à son royaume et entraîna de nombreux assassinats et de nombreux maux qui eurent lieu dans les Espagnes.[14] En effet, avec la permission de Dieu pour les péchés des hommes, il divisa son royaume entre ses deux fils à l'instigation du comte de Galice, Fernando. A Sanche,[15] son fils aîné il légua la Castille, Avila, Ségovie, et d'autres villes proches d'Estrémadure, Tolède et toutes les parties de la Trasierra, ainsi que la Tierra de Campos[16] à Sahagun[17] et des Asturies de Santillana.[18] Il légua à Fernando,[19] son plus jeune fils le reste de son royaume, le León, la Galice, Zamora et Salamanque, Toro et d'autres villes proches. Après cette malheureuse division, lorsque l'Empereur revint avec son armée de la terre des Sarrasins, il fut tué près du port de Muradal[20] et fut enterré dans l'église de Tolède.[21]

8. Le roi Sanche, son fils, avait pris une femme, avant la mort de son père, Doña Blanca, fille de Ramiro Garcia, roi de Navarre, qui, avant la mort de l'empereur, avait un fils, Alphonse, notre glorieux et célèbre roi.[24] Le roi Sanche entreprit au début de son règne, certaines entreprises ardues et admirables, et donc tous ceux qui le connaissaient espéraient que ce qui avait eu lieu serait de nouveau entrepris, ce serait un bon roi. Mais le Tout-Puissant dispose de tout, et un an après la mort de son père, il mourut[25] et fut enterré aux côtés de son père dans l'église de Tolède.

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6. [C]irca inicium regni imperatoris predicti surrexit quidam sarracenus aventum mert nomine qui ueniens de partibus ciuitatis nobilis et famose. s. Baldac. ubi longo tempore studuerat predicauit in regno marroquitano quod tunc tenebant mauri. qui (fol. 91) speciali nomine dicebantur moabite. quos uulgus uocat almorauedes et nomen regis eorum ali. Predicauit igitur specialiter contra superbiam et opressionem moabitarum quas gentes sibi subditas crudeliter oprimebant. exactiones inmoderatas facientes frequenter ut liberalitatis sue imo pocius prodigalitatis uicium quo laborabant. et in quo gloriabantur possent pro libitu suo exerce.[exercere] Asciuit autem sibi gentes. innumeras que libenter ipsum sequebantur uolentes excutere de ceruicibus suis iugum durissime seruitutis concilians sibi tanquam uir sapiens et discretus licet infidelis animos hominum promictens eis munus inestimabile libertatis. inter illos autem qui sequebantur predictum aventu mert fuit uir discretus largus. et bellicosus nomine abdel nu cuius ministerio in arduis negociis frequencius utebatur. pugnauit autem predictus auentum mert et fautores sui contra regem moabitarum supradictum. et contra gentem et. sepe uicti ab ipsis moabitis tandem ipsos uicerunt et eos de regno expellentes ciuitatem famosam .s. marrocos occupauerunt. Institutus est autem rex inpredicta ciuitate et in regno moabitarum abdelmum supradictus per manum auentum mert. qi pph'e[Quasi prophete] sui. Nominati sunt autem illi sic qui obtinuerunt regnum predictum almohades hoc est uiuentes[unientes?[1]] q2. s. unum deum se colere fatebantur. quem predicauerat auentum mert sicut in libello quodam quem ipse composuit manifeste declaratur. De predicto abdelmum egressi sunt qui regnum marroquita2 tenuerunt usque in presens tempus. quod ex tunc floruit usque nunc. sed modo per uirtutem domini nostri ihu. xpi. mirabiliter incipit desolari. filius predicti abdelmum fuit auen iacob qui mortuus est in portugalia quando obsedit uillam nobilem et famosam. s. sanctarem. cuius[Sic (ajouter filius)] fuit in bello de allarcos et obtinuit permissione dei contra xpianos et cepit calatraua et alarcos et alia castra circum adiacencia. et malagon. et turrem de guadalferza. De quo rege et factis eius in sequentibus dicetur. Sed hec actenus : —

7. [F]iliam eiusdem imperatoris sanciam nomine. Lodouicus rex francorum duxit in uxorem. Binarius filiorum eius regnum ei'dem[eiusdem?[12]] imperatoris et causa fuit multarum cedum et multorum malorum que in yspaniis acciderunt. Diuisil siquidern regnum suum permittente deo propter peccata hominum duobus filiis suis ad instanciam fernandi comitis de gallecia. Sancio. s. primogenito dedit cas | tellam et abulam. et segouiam et alias uillas circumadiacentes in extrema dura et tolletum et omnia que sunt ultra serram uersus partes illas. Terram et de campis usque ad sanctum facundum et asturias sancte iuliane. Residuum uero regni sui uersus legionem et galleciam taurum et camoram et salamanticam cum aliis circumadiacentibus uillis dedit ferrando minori filio suo. Post hanc autem infelicem diuisionem cum predictus imperator reuerteretur de terra sarracenorum cum exercitu suo mortuus est iuxta portum de muradal et sepultus est in ecclesia tolletana.

8. Rex uero sancius filius eius duxerat in uxorem ante mortem patris dnam blancam filiam ramiri garsie[22] regis nauarre de qua susceperat filium ante mortem imperatoris. s. alfonsum s. gloriosum et famosum dominum nostrum. Idem rex sancius ardua quedam et mirabilia aggressus est in principio regni sui. itaque omnes qui nouerant eum sperabant per ea que ante gesserat et per ea que de nouo agrediebatur quod futurus esset rex uirtuosus. Sed altissimus qui cuncta disponit uno anno post mortem patris ipsius uilam finium.[Sic] et sepultus est iuxta patrem suum in ecclesia tolletana.[23]


 

[1] Cf. Rodrigue, VII, 10 ; unitos.

[2] Abu Abd Allah Ibn Toumert († 1130), natif du Maroc, fit un pèlerinage à la Mecque et étudia à Bagdad avec le célèbre philosophe al-Ghazali. De retour au Maroc, il dénonça la corruption du gouvernement almoravide. Se proclamant le Mahdi (Mahdi), il lança une guerre sainte contre les Almoravides. Aventumerth dans Rodrigue (éd. Beale), VII, 10.

[3] Le mot Moabitae est employé une seule fois dans la Chronique léonaise (II, § 37), et pour désigner les Maures d'Afrique. Il l'est souvent dans la Chron. Adefonsi imp. Lafuente le rend par morabitas. Le Chronicon Lusitanum (Aera 1180) rend par Arabes, comme Ismaelitae par Endeluces (Andaluces).

[4] Ali Abou Hasan ben Yousouf (1107-1143). Ali succédait à son père Yousouf ibn Tashufin (1061 à 1106) comme émir des musulmans almoravides.

[5] Abd-al-Moumin, premier calife almohade, qui régna de 1130 à 1163.

Abdelmon dans Rodrigue, qui dit que c'était le fils d'un potier (VII, 10). Rodrigue ne concorde pas avec notre auteur. Il fait intervenir trois principaux personnages : Aventumerth, un savant du nom d'Almohadi, et Abdelmon, « qui regalia exercebat ». Sandoval (t. II, p. 295) le suit.

[6] Lafuente (t. III, p. 48 et suiv.), qui remplace le nom Aventumerth par celui de Abu-Abdallah, expose les faits d'une façon assez différente. Abu-Abdallah se fait nommer mahedi (prophète); Abdelmumen ne devient calife et ne s'empare de Marruecos (Marrakech) qu'après la mort du mahedi. Tout cela est conforme à Conde (Hist. de la domination de los Arabes en España, 3e partie, ch. 36-38, 30-31, 33-36, 39-40), qui ajoute que le mahedi Abdala était fils de Tamurt : de là le nom Aben Tumert (Ibn Toumart). Cf. Asin, Origen y carácter de la révolución almohade (Rev. de Aragón, 1904).

[7] Allusion aux victoires d'Alphonse VIII.

[8] Abu Yousouf Yaqoub (Abu Yousouf Yaqoub) (1163 à 1184) envahit l'Espagne au printemps de 1184 et fit le siège de Santarem (environ 45 miles au nord de Lisbonne), mais Alfonse I Henriques du Portugal) avec l'aide de Ferdinand II de León le força à la retraite. Le calife fut blessé et décéda le 29 juillet 1184 pendant son retour à Séville. Cf. Dozy, Recherches, t. II, p. 443.

[9] La bataille d'Alarcos, également désignée par les Espagnols sous le nom de désastre d'Alarcos, se déroule le 19 juillet 1195 et oppose les troupes almohade du sultan Yakoub l'Almohade, qui gagne son surnom d'Al-Manzor (le Victorieux) à l'issue de cette bataille, à l'armée castillane du roi Alphonse VIII. La bataille a lieu au village d'Alarcos, aujourd'hui proche de la ville espagnole de Ciudad Real. Le royaume de Castille (principal moteur de la reconquête chrétienne) subit une sévère défaite et doit signer un traité de paix de 10 ans avec les Almohades. Par cette victoire, l'empire almohade consolide ses positions dans Al-Andalus et devient, jusqu'en 1212, la nouvelle puissance en Afrique du nord et au sud de la péninsule Ibérique. La bataille d'Alarcos est considérée comme le dernier grand exploit militaire musulman en Espagne. Wikipédia.

[10] Cf. § 12, n. 4 ; § 18, n. 7, et § 13, n. 4.

[11] Yaqoub ibn Abu Yaqoub (Yaqoub ibn Abu Yaqoub) fut proclamé calife le 30 juillet 1184 et gouverna jusqu'en 1199. Il prit le nom d’al-Mansour, qui vaincra.

[12] L'i ressemble à un l. Abella lit de même.

[13] Elisabeth, d'après Luc (p. 103, l. 47 et p. 106, l. 8) et Rodrigue (VII, 9), qui racontent à ce propos le voyage en Espagne de Louis (VII) inquiet des bruits qui couraient sur la naissance de sa femme. Cf. Florez (Reynas, t. I, p. 280), qui relève cinq noms différents pour los deux filles d'Alphonse VII et de Bérengère, et les distribue comme il peut, identifiant Isabelle avec Constance, Sancha avec Reala et Beatrix. Il cite sur le voyage de Louis VII la chronique de Robert de Torigny. Sancha épousa en 1153 Sanche de Navarre (El Sabio). Une autre Sancha, fille d'Alphonse VII et de Rica, épousa Alphonse II d'Aragon en 1174 (ibid., p. 296); cf. § 15, note 2.

[14] Allusion à l'anarchie qui marqua la minorité d'Alphonse VIII, et aux guerres de Ferdinand et Alphonse de León avec Alphonse VIII et Ferdinand III. Le début de celle phrase doit avoir été estropié par le copiste, car on ne peut l'interpréter littéralement.

[15] Sanche III de Castille (1157 - 1158).

[16] Tierra de Campos (prov. de Palencia et de Valladolid).

[17] Sahagun, à égale distance de Palencia et de León.

[18] Les Asturies de Santillana appartenaient à la région côtière le long du golfe de Gascogne, c’est la province actuelle de Santander.

[19] Fernand II de León (1137? - Benavente, Zamora, 21 janvier 1188). Roi du León (1157 - 1188).

[20] Cf. Luc (p. 105, l. 41): « in loco qui dicitur Fresnoda »; An. Toled. 1: « Fue el Emperador con huest a tierra de Moros e tornose ende en XXI dias de Agosto al puerto de Muradal, e murio y, Era MCXCV »; Chr. de Cardeña : « Era MCXCV. en el puerto de Muradal ». Cf. Sandoval, Cinco Reyes, t. II de l'éd. Cano, p. 339. Voisin du défilé de Despeñaperros, le port de Muradal est un des passages par où l'on peut franchir la Sierra Morena. Voir Gomez de Arteche, Geogr. historicomilitar, p. 625 de l'édit. de 1880. Cf. plus loin, §§ 12, 18 et 22. Quant au lieu dit Fresneda, il y en avait deux, selon Rodrigue (VIII, 6) et la Chr. générale (p. 697, l. 10).

[21] Alphonse VII mourut le 21 août 1157 à Paraje de La Fresneda (environ 40 miles au sud-est de Ciudad Real, après la libération avortée d'Almeria, qui tomba aux mains des Almohades.

Dans le manuscrit, il n'y a d'alinéas que vers le début et vers la fin; ils y sont terminés par deux points et un trait, et l'initiale manque régulièrement au paragraphe suivant. On distinguera donc facilement les alinéas du manuscrit de ceux que j'ai établis moi-même.

[22] Abella « forte Garciae Ramiri ». Cf. Luc, p. 105, l. 50.

[23] Sanche III, dit Sanche le Désiré, qui était né vers 1133, épousa Blanca, fille de Garcia Ramirez IV de Navarre, le 30 Janvier 1151 à Calahorra. Leur fils, Alphonse VIII, naquit le 11 novembre 1155. Blanche mourut le 12 août 1156, et Sanche III le 31 août 1158. Il fut enterré dans la cathédrale de Tolède.

Cf. Rodrigue, VII, 12-14 ; Luc, p. 105, l. 50; An. Toled. I: « Murio el Rey D. Sancho el postrimer dia Dagosto, Era MCXCVI » (1158).

[25] Mort subite à l’âge de 25 ans.