Brosset

VAKHTANG V

 

HISTOIRE DE LA GEORGIE

Traduction de M.-F. Brosset, Histoire de la Géorgie, 1849.

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Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 


 

HISTOIRE DE LA GEORGIE

Traduction de M.-F. Brosset, Histoire de la Géorgie, 1849.

ARTICLE DE WIKIPEDIA

Marie-Félicité Brosset (24 janvier 1802-22 septembre 1880) est un orientaliste français spécialiste des études géorgiennes et arméniennes.

Marie-Félicité Brosset nait à Paris dans une modeste famille de commerçants. Orphelin de père, très tôt il est d’abord destiné à l’état ecclésiastique et à l’enseignement dans un collège de jésuites.

Il abandonne rapidement ses études théologiques à Orléans pour se fixer à Paris et étudier les langues sémites puis le chinois, le mandchou et le tibétain. À partir de 1824 il se consacra à l’étude de l’arménien et du géorgien. Pour apprendre cette langue il doit composer un dictionnaire à son propre usage à partir de la traduction géorgienne de la Bible. Au bout de quatre années il était en l’état de converser avec des princes géorgiens venus à Paris. Il allait être chargé de mission en Géorgie lorsque la Révolution de 1830 éclate.

Il quitte la France, après avoir sollicité une chaire d’adjoint pour les littératures arméniennes et géorgiennes à l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg. En 1837 il est élu membre de cette même académie. Il devint également conseiller d’État, Inspecteur des écoles primaires de Saint-Pétersbourg (1841) puis Bibliothécaire à la Grande Bibliothèque impériale (1842) et enfin Conservateur des monnaies orientales du palais de l’Ermitage (1851).

En 1847/1848 il effectue un voyage dans le Caucase au cours duquel il recueille de nombreux documents relatifs à la Géorgie notamment les Chroniques Géorgiennes qu’il s’emploie à traduire, publier et commenter. Membre associé de la Société Asiatique de Paris dès 1825, il publia plus de 200 études dont sous le nom de Brosset « Jeune » en 1829 une Chronique géorgienne, puis entre 1848 et 1858, en français à Saint-Pétersbourg, une monumentale Histoire de la Géorgie des origines au XIXe siècle qui demeure jusqu’à nos jours une autorité en matière d’histoire de ce pays même si les travaux de Cyrille Toumanoff ont apporté un éclairage nouveau sur l’origine de la dynastie des Bagratides.

L'écrivain franco-géorgien Gaston Bouachidzé a publié sa biographie.

·            Histoire de la Géorgie depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, v. 1-7. Saint-Pétersbourg, 1848-58.

·            Histoire de la Géorgie de l'Antiquité jusqu'au XIXe siècle, 1854, Partie 2: Histoire moderne.

·            Additions et éclaircissements à l'Histoire de la Géorgie Publiée par l'Académie impériale des sciences Saint-Pétersbourg, 1851.

·            Chronique Géorgienne Publiée par la Société royale asiatique de France Paris (1830).

·            Rapport sur un voyage archéologique exécuté dans la Géorgie et dans l'Arménie en 1847/1848 Publiée par l'Académie impériale des sciences Saint-Pétersbourg, 1851.

·            Les ruines d’Ani, capitale de l'Arménie sous les rois Bagratides aux Xe et XIe siècles, v. 1-2, St.-РЬ., 1860-61.

·            Collection d'historiens arméniens: dix ouvrages sur l'histoire de l'Arménie et des pays adjacents du Xe au XIXe siècle.

 

Remarque :

Cette traduction fait suite à l’Histoire de la Géorgie traduite par J. Klaproth, parue dans le Journal Asiatique, restée inachevée, et disponible sur ce même site. La traduction de Brosset est plus « récente » : 1849.

L’Introduction, malgré son intérêt, a été omise et le texte reprend là où Klaproth s’était arrêté. Certaines références à des notes ou pages antérieures peuvent donc ne pas figurer. Les mots géorgiens n’ont pas été introduits dans le texte.

 


 

HISTOIRE DE LA GEORGIE

 

14e règne, Amzasp I et Déroc, Karthlosides, fils d'Azorc et d'Armazel

(Durant 10 ans, 103 — 113 de J. C.).

Ceux-ci régnèrent et moururent,[1] laissant pour successeurs leurs fils, Pharsman-Kouel à Armaz, Mirdat dans la cité intérieure.

15e règne, Pharsman II, dit Rouel, le bon,[2] et Mirdat I, Karthlosides, fils d'Amzasp I et de Déroc

(Durant 16 ans, 113— 129 de J. C.).

Jusqu'alors tous ces rois étaient amis, et avaient mêmes alliés, mêmes adversaires ; mais à cette époque Mirdat de Karthli, ayant épousé une parente des rois de Perse, devint, à l'instigation des Perses, ennemi de Pharsman-Kouel, roi d'Armaz, et forma avec eux le projet de le tuer, quoique sans motifs. Il l'invita chez lui, comme pour un banquet,[3] mais quelqu'un prévint Pharsman, qui se tint sur ses gardes et ne vint pas. Depuis lors leur mésintelligence eut lieu à découvert,[4] les Perses appuyant Mirdat, et les Arméniens Pharsman. Mirdat était un homme sombre, sanguinaire: Pharsma-Kouel, bon, généreux dans ses dons, prompt à pardonner, était d'une belle prestance, d'une haute stature ; guerrier robuste, énergique, poussant jusqu'à l'audace son intrépidité dans les combats, il semblait un être immatériel et l'emportait sur tous les rois[5] du Karthli, ses prédécesseurs. Il avait l'affection, même des Géorgiens sujets de Mirdat, que ceux-ci détestaient à cause de son humeur sanguinaire et opiniâtre. La plupart de ces derniers s'étant également mis en campagne, Pharsman eut le dessus et mit en fuite Mirdat, qui s'en alla en Perse.[6]

Or Pharsman avait alors pour spaspet[7] un certain P’harnavaz, bon comme lui et géant renommé, son frère de lait, son serviteur fidèle, sûr et dévoué. Comme le roi l'avait établi en place de Mirdat, dans la contrée du Chida Karthli,[8] ce général y résidait toujours, tandis que le roi allait et venait, réglant les affaires du royaume. Ayant alors amené une troupe considérable de Perses, Mirdat marcha contre Pharsman, qui réunit les soldats géorgiens, s'adjoignit un renfort d'Arméniens, et s'avança par les défilés de Ricinis-Thaw.[9] Des combats de braves eurent lieu pendant plusieurs jours. Quand il paraissait des géants persans que ceux du Karthli et de l'Arménie ne pouvaient vaincre, le roi Pharsman ou son spaspet P’harnavaz sortaient des rangs et triomphaient d'eux. Dans ces rencontres Pharsman tua dix-sept géants persans, et son général P’harnavaz vingt-trois. Il y avait alors chez les Perses un géant, nommé Djouancher,[10] qui, de sa main, arrêtait un lion. Celui-ci ayant défié Pharsman-Kouel à un combat singulier, le roi s'arma avec empressement et se montra. Tous deux poussent un cri terrible, fondent l'un sur l'autre et commencent à se porter des coups de cimeterre. Le fracas de leur bataille était semblable aux grondements et aux éclats de la foudre. Pharsman l'emporta, renversa et priva de la vie son adversaire, puis, retournant vers les siens, il leur cria d'une voix retentissante : « Lions impétueux, voyez ces brebis frappées de la grêle ! » Géorgiens et Arméniens se précipitent alors sur les Perses, les enfoncent, les taillent en pièces, font des milliers de captifs. Mirdat s'enfuit de nouveau en Perse.

Il revint l'année suivante, avec des troupes plus considérables. Quoique Pharsman-Kouel eût rassemblé ses cavaliers et ses fantassins, il resta dans Mtzkhétha, parce que son armée était trop inférieure à celle de Mirdat. Celui-ci se tint à Djadchwi.[11] Chaque jour il y avait des combats de géants, dans lesquels Pharsman tua douze ennemis, et le spaspet P’harnavaz seize. Alors cédant à sa bouillante valeur, Pharsman, sans tenir compte du nombre des Perses, sortit au point du jour, à la tête de ses troupes, et fondit sur les ennemis ; la fortune lui ayant donné la victoire, il mit en fuite leur armée, avec un grand carnage, et Mirdat passa de nouveau en Perse. Depuis lors la renommée de Pharsman-Kouel et du spaspet P’harnavaz s'étant répandue, à la tête des troupes de la Géorgie et de l'Arménie, il se mit à guerroyer contre les Perses, et pénétra dans leur pays, sans rencontrer nulle part la moindre résistance. Les Perses se vengèrent, en recourant à la ruse. Ils firent venir un cuisinier, à qui ils promirent une grande récompense: «Va, lui dirent ils, fais-toi agréer du roi Pharsman ; prends avec toi une drogue mortelle, que tu mettras dans ses mets, et que tu lui serviras à manger. Le cuisinier partit, fit ce que les Perses lui avaient recommandé et donna la mort[12] à Pharsman. Alors tous les Géorgiens, grands et pauvres, commencèrent à gémir, à pleurer, à sangloter. Chacun se lamentait : des chanteurs de deuil étaient assis dans les villes et dans les villages; on se rassemblait, on rappelait la bravoure, la munificence, la bonté, la beauté de Pharsman-Kouel. « Malheur à nous ! disait-on, un sort funeste nous a frappés. Notre roi, celui qui nous avait délivrés du joug de nos ennemis, a été tué par des enchanteurs, et nous sommes livrés à l'esclavage des nations étrangères. »

Sur ces entrefaites les Perses entrèrent en campagne, amenant avec eux Mirdat, s'emparèrent de la Géorgie et rendirent au prince ses domaines. Ayant aussi conquis l'apanage de Pharsman, ils mirent[13] à Armaz un éristhaw. Quant au spaspet P’harnavaz, il emmena la femme et le fils de Pharsman et s'enfuit dans l'Arménie, car la femme du roi défunt était fille du roi de cette contrée. La Géorgie fut occupée par Mirdat et par l'éristhaw persan; pour les Mègres,[14] ils demeurèrent fidèles au fils de Pharsman.

Dans ce temps-là les Arméniens étant devenus amis des Grecs, leur roi[15] fit venir de Grèce des troupes et se mit en campagne contre les Perses : les Géorgiens, de leur côté, s'adjoignirent les Mègres et se formèrent une armée considérable. Mirdat et l'éristhaw persan mandèrent des troupes de Perse. Etant entrés dans le Chida-Karthli, les Arméniens, les Géorgiens et les Mègres rencontrèrent, sur la rivière de Likhwi, les Karthles et les Perses. Il y eut entre eux, à Rekh;[16] une bataille, où beaucoup succombèrent des deux côtés, mais les Perses et les Karthles furent vaincus, Mirdat et l'éristhaw persan tués,[17] et leur armée taillée en pièces.

16e roi, Adam, Karthloside, fils de Pharsman II

(règne 3 ans, 129—132, et sa mère 11 ans, 132—146 de J. C.).

Adam, fils de Pharsman-Kouel, ayant été placé sur le trône, mourut après trois ans de règne, laissant un fils âgé d'un an. Jusqu'à ce que celui-ci fût en âge, l'autorité resta entre les mains de la mère de son père, épouse de Pharsman-Kouel et nommée Ghadana.[18])

17e roi, Pharsman III, Karthloside, fils d'Adam

(règne 36 ans, 146 — 182 de J. C.).

Quand le petit-fils de Pharsman-Kouel, aussi nommé Pharsman, fut devenu grand, il régna, et après lui,[19] son fils Amzasp.

18e roi, Amzasp II,[20] Karthloside, fils de Pharsman III

(règne 4 ans, 182—186 de J. C.)

Cet Amzasp était un homme fort, un grand géant, semblable à Pharsman-Kouel. Sous son règne une armée osse considérable s'avança par la route du Dwaleth, sans que le roi en eût connaissance avant qu'ils eussent franchi la montagne. Les Osses vinrent et s'arrêtèrent, pour prendre haleine, sur le Liakhwi, pendant huit jours, durant lesquels pas un seul d'entre eux ne fit de courses dans la Géorgie, car le but de leur expédition était de ruiner Mtzkhétha. Cependant Amzasp convoqua tous ses éristhaws. Ceux de l'E. vinrent à son appel. C'étaient l'éristhaw de Cakheth, ceux de Khounan et de Samchwildé. En outre le spaspet rassembla tous ses cavaliers. Pendant que les troupes se réunissaient, ces Osses vinrent du côté des portes,[21] au N. de la cité, dans la direction de Moukhnar.[22] Pour le roi Amzasp, il avait garni de soldats les forts et les portes de la cité, en sorte que les portes et les remparts fourmillaient de fantassins, tirés de Mtzkhétha même. Outre cela il y avait un corps mobile, de 30.000 hommes de pied, et 10.000 de cavalerie.[23] Ces derniers étant sortis avec le roi, les piétons furent disposés des deux côtés de l'Aragwi, dans les fortifications des portes, et le roi s'avança avec les cavaliers au lieu dit Saphourtzlé, ayant à dos la ville et l'infanterie préposée à la garde des portes.

Cependant les combats de braves ayant commencé, Amzasp, l'arc à la main, se mit à décocher des flèches, avec une ardeur égale à la force de son bras. Il dirigeait ses coups à une distance prodigieuse, au milieu des Osses, l'éloignement empêchant de penser ni de voir qu'il eût un arc. Nulle armure, si forte qu'elle fût, ne résistait à ses flèches. Ce jour-là il abattit quinze géants et quantité de chevaux, tandis que ses braves portaient la mort parmi ceux des Osses et leur faisaient éprouver des pertes très sensibles. Ce-jour-là Amzasp étant rentré dans la ville avec ses cavaliers, tandis que les piétons restaient en leur lieu, à la garde des portes, la nuit même il reçut un renfort de cavalerie, amené en toute haie par les éristhaws.

Au point du jour Amzasp sortit de nouveau sur le terrain de la ville, tenant une pertuisane. Alors il parut un Osse, nommé Khouankhoua,[24] distingué parmi les siens. Tous deux poussent un cri, se précipitent. Du premier élan, le roi atteint l'ennemi de sa pertuisane, qui ressort par derrière, et le tue. Dégainant son cimeterre, il attaque à leur tour les autres géants et en tue deux, puis il se retourne et rentre dans la ville avec ses cavaliers. Les piétons restaient à leur poste, près des portes ; durant la nuit un nouveau renfort de cavalerie arriva, et l'on résolut d'attaquer les Osses. De bon malin le roi sortit et fondit sur eux, avec toutes ses forces, cavaliers et fantassins, dispersa leur camp, tua leur roi et tailla en pièces leur armée, si nombreuse.

L'année suivante, secondé par des troupes arméniennes, réunies à ses propres forces, il passa dans l’Oseth, sans éprouver de résistance, s'en empara et revint chez lui, triomphant. Après cela, devenu fier, il commença à verser le sang et fit périr beaucoup de nobles personnages, ce qui le rendit odieux au peuple géorgien, se montra hostile aux Arméniens et se rapprocha des Perses. Alors les cinq éristhaws de l'O. se révoltèrent contre lui : à savoir, les deux de l'Egris, ceux d'Odzrkhé, du Clardjeth et de Tsounda, qui s'entendirent avec le roi d'Arménie,[25] et lui demandèrent pour roi son fils,[26] né de la sœur d Amzasp. Le roi d'Arménie marcha contre la Géorgie, avec une armée considérable et des soldats grecs auxiliaires[27] ; il négocia également avec les Osses, qui se mirent volontiers en campagne, parce qu’Amzasp leur devait du sang; et qui, par la route du Thaw-Cwer, allèrent se joindre aux éristhaws mègres. Amzasp appela les Perses, qui vinrent en nombre considérable, et rassembla aussi le reste des Géorgiens. Alors les Mègres et les Osses traversèrent aussi une petite montagne[28] et se rendirent tous auprès du roi d'Arménie. Cependant Amzasp se mit en campagne et les rencontra à Gouthis-Khew. Comme il ne se trouvait, dans l'armée si nombreuse des alliés, ni Grec, ni Arménien, ni Osse, ni Mègre, ni même Géorgien, qui pût combattre seul à seul contre Amzasp, les deux partis se rangèrent en bataille et en vinrent aux mains. Amzasp fut vaincu, ses troupes mises en fuite et la Géorgie subjuguée. Amzasp périt,[29] son armée fut taillée en pièces, et le roi d'Arménie laissa sur le trône de Géorgie son fils Rew, qui avait pour mère la sœur d'Amzasp.

19e roi, Rew, Arsacide,[30] fils du roi d'Arménie et de la sœur d'Amzasp II

(règne 27 ans, 186 — 213 de J. C.).

Ce Rew épousa une Grecque, nommée Séphélia, fille du logothète,[31] qui apporta avec elle l'idole d'Aphrodite, et l'érigea à l'entrée de Mtzkhétha.[32] Quoique païen, ce prince était clément et secourable pour tous les malheureux. En effet, il avait quelques notions de l'Evangile de N. S. Jésus-Christ, qu'il aimait assez ; il ne permit pas non plus que, sous son règne, on immolât des enfants aux idoles, comme cela se pratiquait précédemment, et tant qu'il fut roi, nul ne fit de pareils sacrifices : il prescrivit, au contraire, d'immoler des brebis et des bœufs, et mérita par-là le nom de Juste.[33] Quand il mourut,[34] après un règne heureux, son fils Vatché lui succéda,

20e roi, Watché, Arsacide, fils de Rew

(règne 18 ans, 213 — 231 de J. C.).

Après Watché, régna

21e roi, Bacour Ier, Arsacide, fils de Watché

(règne 15 ans, 231 — 246 de J. C., 515 — 530 du 11e cycle).

Après Bacour, régna

22e roi, Mirdat II, Arsacide, fils de Bacour Ier

(règne 16 ans, 246 — 262 de J. C., 530 du 11e — 14 du 12e cycle).

Après Mirdat, régna

23e roi, Asphagour, Arsacide, fils de Mirdat II

(règne 3 ans, 262 — 265 de J. C.).

Cet Asphagour répara[35] la ville forte d'Oudjarma.

Depuis Alexandre, tous les souverains de notre pays étaient idolâtres. Asphagour fut le dernier roi Pharnawazide.[36] De son temps la Perse eut pour roi Kasré Anouchirwan,[37] Sassanide, qui extermina la dynastie Ajghalide, et qui est connu sous le nom d'Ardaschir, ainsi qu'il est écrit dans l'histoire de Perse.

En Arménie régnait Cosaros,[38] qui, s'étant mis à guerroyer contre Kasré, fut assiste par Asphagour, roi de Géorgie. Ce dernier, ouvrant les portes du Caucase, y laissait passer les Osses, les Lecs et les Khazars,[39] et allait près de Cosaros[40] pour faire la guerre à la Perse.[41] Lors de leur première invasion dans ses états, le roi Kasré, leur ayant présenté la bataille, fut mis en fuite et ses troupes exterminées, de sorte qu'il n'essaya plus de leur résister. Les deux rois[42] renouvelèrent leurs attaques et portèrent le ravage dans la Perse.

Ici unirent les rois géorgiens Pharnawazides et fils des rois d'Arménie.[43]

Entrée des Perses en Géorgie et avènement de Mirian.

Les Arméniens, les Géorgiens et la race du N., ayant vaincu le roi de Perse et multiplié leurs incursions[44] et leurs ravages dans ce pays, le roi, ne pouvant leur résister et cédant à l'excès de sa douleur, convoqua les mthawars des cantons, les patiakhch et les éristhaws[45] ; ayant tenu conseil avec eux pour aviser au moyen de mettre un terme aux maux dont il était frappé, il promit de grands présents et honneurs à celui qui trouverait une ressource pour le venger. Or dans rassemblée il se trouvait un mthawar distingué, nommé Anac,[46] parent de Cosaros, roi d'Arménie, qui se leva et, se plaçant devant Kasré : « Les Perses, dit-il, s'enfuient devant Cosaros, roi d'Arménie, qui a massacré nos cavaliers, imprimé la terreur au cœur des Perses et tellement augmenté sa puissance que nous ne pouvons lui résister. Or mon conseil est que, par la voie pacifique des prières et par le paiement d'un tribut, nous apaisions le roi Cosaros. » Ce que disait Anac, il ne le pensait pas, mais il cachait devant le conseil ses projets intimes. S'approchant du roi, il lui dit en particulier : « Sache que mon intention n'est pas conforme à ce que j'ai dit. Daigne me permettre de t'entretenir seul à seul, et je dévoilerai à ta majesté mes projets secrets. » Les grands s'étant retirés, après avoir délibéré entre eux, en présence du roi, celui-ci manda mystérieusement Anac, qui lui dit: « Vis éternellement, o roi, je trouverai un moyen de te venger de Cosaros. J'irai près de lui, avec ma femme, et comme ma parenté m'attirera sa confiance, secondé par ta fortune, je le tuerai et me sacrifierai pour toi. »

Le roi ayant approuvé ce conseil, Anac partit, peu de jours après, avec son frère et sa femme, comme s'il se fût révolté contre le roi de Perse, et vint aux frontières d'Arménie, dans la ville de Khilkhala,[47] où était la résidence d'hiver du roi Cosaros. Celui-ci, persuadé de sa bonne foi, à cause de l'adresse avec laquelle il s'était échappé, et voyant qu'il était venu avec toute sa famille, lui fit un accueil très honorable, lui donna le second rang après lui et l'emmena avec joie. La saison des frimas s'étant écoulée dans le repos, aux approches de l'été, quand les rivières grossirent, le roi s'en alla dans la contrée de l'Ararat.[48] Déjà il s'apprêtait à une nouvelle irruption en Perse, lorsqu'un jour, étant allé à la chasse avec Anac et son frère, ceux-ci, qui avaient des épées bien tranchantes, cachées sous leurs manteaux de poil de chameau, prirent leur temps, tuèrent le roi et s'enfuirent.[49] Les grands d'Arménie les poursuivirent, les uns sur les ponts, les autres aux gués,[50] et les ayant resserrés dans un passage étroit, leur fermèrent la route. Ils furent tués et leurs familles exterminées, à la réserve de deux[51] de leurs enfants, qui furent emmenés par leurs pères nourriciers : l'un s'enfuit en Grèce, et l'autre vers les frontières de Perse.

A ces nouvelles le roi Kasré Sassanide, rempli de joie, se mit en campagne avec toutes ses troupes et pénétra d'abord dans l'Arménie, dont il s'empara, tua ou fit prisonniers les membres de la famille royale. Cependant Trdat, un fils du roi Gosaros, enfant en bas âge, se réfugia sur le territoire grec, où il fut élevé. Kasré étant entré dans la Géorgie, après la conquête de l'Arménie, Asphagour s'en alla dans l'Oseth, afin d'en tirer un secours de troupes et de fortifier ses villes et citadelles ; mais à peine y fut-il arrivé, que la mort l'y surprit.[52] »

Cet Asphagour n'ayant pas laissé de fils, mais seulement une fille, tous les éristhaws du Karthli se réunirent auprès du spaspet Maïjan, dans la ville de Mtzkhétha, et délibérèrent au milieu de la plus grande douleur: «Ne laissons pas, dirent-ils, le chagrin dominer nos âmes et obscurcir nos intelligences, mais cherchons une ressource contre les maux par lesquels nous sommes éprouvés. — Si nous avions, dit le spaspet Maijan, une bonne armée pour lutter contre les Perses, fussent-ils cent contre un, nous nous dévouerions à la mort pour leur résister. Si du moins il nous restait un héritier du trône, un parent de nos rois, qui fût digne de régner, renfermés dans nos villes fortes, nous affronterions le trépas, dussions-nous, comme autrefois nos pères, nous nourrir de chair humaine. Mais maintenant il est survenu des circonstances telles, que le grand roi d'Arménie a été tué par les Perses ; que son pays, auquel notre royaume est intimement lié, a été conquis, et que le roi de Perse a ouvert la bouche pour dévorer notre patrie toute entière. Sans appui pour lui tenir tête, notre peuple se voit abandonné, orphelin, comme des brebis sans pasteur. Mon avis est que nous offrions notre soumission au roi de Perse, que nous recourions à sa clémence, en le priant de nous donner son fils[53] pour roi, et de le marier à la fille de notre roi Asphagour. Nous lui ferons savoir que cette princesse descend des Nébrothides, des glorieux Arsacides et de nos monarques, fils de P’harnavaz. Nous lui demanderons de conserver la religion de nos pères, sans nous mêler avec les Perses, et de nous traiter en gentilshommes. Sensible à notre prière, peut-être ne refuserait-il pas de l’accomplir. Mais s'il doit nous enlever la religion de nos pères, mettre au-dessus de nous les grands de la Perse, faire périr la race de nos rois, il vaut mieux pour nous mourir qu'être témoins de telles choses. Renfermés dans nos villes fortes, nous succomberons tous à la fois. »

Tous les éristhaws ayant approuvé la proposition du spaspet Maïjan, ils envoyèrent un ambassadeur au roi de Perse, pour l'informer de leur résolution. Le roi s'enquit d'abord de la ville de Mtzkhétha, dont on lui dépeignit la longueur, la largeur et la situation au voisinage des Khazars et des Osses[54] ; puis il demanda quelle était la naissance de la fille d'Asphagour et apprit qu'elle tenait aux Nébrothides, aux Arsacides et au sang de Pharnawaz. Satisfait du tout, il accueillit la demande des Géorgiens et se décida à placer son fils comme roi dans la ville de Mtzkhétha, qui lui parut l'emporter en force sur toutes celles de l'Arménie, de la Géorgie, du Ran et de tous les environs. La position de cette ville auprès de ses ennemis du N. lui servirait de point d'appui pour attaquer et soumettre tous les Caucases. Il accorda donc aux Géorgiens toutes leurs demandes, se lia par des serments et clés promesses et alla à Mtzkhétha. Le spaspet Maïjan et tous les éristhaws vinrent à sa rencontre, amenant Abechoura,[55] la fille d'Asphagour. Le roi donna celle-ci en mariage à son fils, de qui il était accompagné, et qui était âgé de sept ans. Il était né d'une esclave et s'appelait en persan Mihran, Mirian en langue géorgienne. C'est ce Mirian qui, au temps de sa vieillesse, connut le Dieu créateur, reçut par l'organe de Ste. Nino la prédication des apôtres et apprit à confesser la Trinité, à adorer la croix vénérable.[56]

Quatrième race royale : Khosroïdes. Elle fournit vingt souverains, durant 472 ou plutôt 469 ans, 265 — 570, et 619 — 787 de J. C. ; la durée moyenne des règnes fut de 23 ans et 6 mois ; le plus long fut de 69, le plus court de 2 ans.

24e roi, Mirian, Khosroïde,[57] fils du roi de Perse (règne 77 ans, 265 — 342 de J. C.)

Maintenant je dirai la vie de Mirian, fils de Kasré Ardaschir, Sassanide.

§ 1[58]

Ayant accueilli la demande des Géorgiens, le roi Kasré fit épouser à son fils, Mirian la fille des rois de Géorgie et l'installa comme roi à Mtzkhétha, en lui donnant la Géorgie, l'Arménie,[59] le Ran, le Mowacan et le Héreth. Mirian était alors âgé de 7 ans et avait avec lui sa mère ; mais au lieu de cette dernière, qu'il aimait comme un autre lui-même, Kasré lui laissa, pour père-nourricier et pour administrateur, l'un de ses grands, nommé Mirwanos, avec 40.000 cavaliers persans d'élite, qu'il ne fit pas, toutefois, entrer dans la Géorgie, à cause de ses serments, par lesquels il s'était engagé envers les Géorgiens, mais bien dans le Héreth, dans le Mowacan et dans l'Arménie. Il ordonna à Mirwanos que, sur ce nombre, 7.000[60] cavaliers choisis fussent toujours dans la ville de Mtzkhétha, pour garder la personne de son fils. Ses conventions avec les Géorgiens étaient : que toutes les portes,[61] villes et citadelles, fussent occupées par les soldats persans, mais qu’il ne serait pas permis au reste de la nation persane de se mêler avec les habitants ; que le fils de Kasré suivrait les deux religions, à savoir, le culte du feu comme ses ancêtres, et celui des idoles, comme les Géorgiens, en vertu du serment qui leur avait été fait.[62]

Le roi Kasré partit, après avoir subjugué et soumis toutes les vallées du Caucase et mis partout des commandants, auxquels il prescrivit d'obéir à Mirian, son fils. Il enjoignit aussi à ce dernier et à son père-nourricier Mirwanos de faire la guerre aux Khazars, et s'en alla en Perse. Cependant Mirwanos augmenta les fortifications de la Géorgie, et s'occupa surtout de rendre très forts les remparts de la ville de Nécrési. Mirian grandissait, adorant les sept idoles[63] et le feu. Il aima les Géorgiens au point d'apprendre leur langue et d'oublier celle de la Perse, embellit sur nouveaux frais les idoles et leurs autels, traita leurs prêtres avec bonté, les honora plus qu'aucun roi de Géorgie et orna le tombeau de P’harnavaz. Il se conduisit de la sorte pour plaire aux Géorgiens, qu'il aimait à combler de présents et des honneurs les plus recherchés. Aussi était-il chéri de toute la nation, plus qu’aucun de ses prédécesseurs, et il régna de la sorte, depuis Mtzkhétha, sur la Géorgie et l'Arménie, sur le Ran et le Héreth, sur le Mowacan et l'Egris.

Quand ce prince eut atteint sa quinzième année,[64] sa femme, fille des rois de Géorgie, étant morte, avec elle s'éteignit la race des rois et reines Pharnawazides. Tous les Géorgiens furent affligés du trépas de leur reine, mais n'en demeurèrent pas moins attachés à Mirian : aussi bien ne pouvaient-ils faire autrement ; puisqu'il n'existait plus de descendant de P’harnavaz qui fût digne de régner sur leur pays, ils durent se résigner à obéir à Mirian, qui redoubla de bons traitements envers eux. Il fit venir du Pont, pour l'épouser, la fille d'Ouliotor, nommée Nana,[65] et commença à guerroyer contre les Khazars ; ses combats étaient continuels. Quelquefois, se détachant de Mirian, les Lecs laissaient passer les Khazars : on se rencontrait alors dans le Héreth ou dans le Mowacan, et l'on se battait. D'autres fois c'étaient les Dourdzoucs et les Didos qui les faisaient venir : il s'ensuivait des combats, où jamais les Khazars n'étaient victorieux. L'avantage restait toujours à Mirian, qui, de cette façon, en vint souvent aux mains avec les Khazars.

La plupart de ces expéditions avaient lieu à Derbend, car les Khazars venaient assiéger cette ville, afin de s'en rendre maître et d'ouvrir la grande porte d'où ils se précipiteraient sur la Perse ; mais aussitôt qu'ils arrivaient, Mirian allait au secours de Derbend, et les Khazars se retiraient sans combat, ou contraints par la force des armes. Quand il fut dans sa quarantième année,[66] le roi de Perse, son père, mourut, et Bartam, frère cadet de Mirian, lui succéda. A cette nouvelle Mirian convoque tous ses soldats, les réunit et marche sur Bagdad,[67] afin de monter sur le trône de son père. Son frère aussi, ayant réuni une armée considérable, vint à sa rencontre pour le combattre, dans la vallée de Nisibe ; mais les anciens et les marzpans de la Perse, les voyant prêts à tirer le glaive l'un contre l'autre, s'interposèrent comme instrument de conciliation, et les deux rois ayant accepté l'arbitrage, ils s'assirent pour délibérer.

Mirian exposa ainsi ses prétentions : « Je suis le fils aîné de notre père ; on m'a donné comme apanage, à ce titre, des contrées étrangères, conquises par la force, où mes jours se passent à combattre les Khazars, contre lesquels j'ai souvent défendu la Perse, au prix de mon sang: ainsi le trône de mon père m'appartient. — Quoiqu'il soit l'aîné, répliqua à cela Bartam, il est né d'une servante, et c'est bien assez pour celui qui a une telle mère, d'avoir reçu un royaume. Moi, je suis né d'une reine de Perse, fille du souverain de l'Inde. Vous avez entendu les dernières volontés de mon père, vous l'avez vu mettre la couronne sur ma tête.[68] » Alors, d'après le jugement des arbitres, le royaume de Perse fut donné à Bartam, en lui ôtant, pour satisfaire Mirian, le Djazireth, la moitié de la Syrie, l'Adrabadagan, le tout ajouté à la Géorgie, à l'Arménie, au Ran, au Mowacan, au Héreth ; et Mirian partit. Mais pendant qu'il était encore là, les Osses Phéroch et Cawtzia firent une excursion et ravagèrent la Géorgie. Aussitôt Mirian se hâte d'entrer dans l'Oseth, s'en empare, y porte la dévastation, jusqu'à la Khazarie, et, par la route du Dwaleth,[69] rentre dans ses états.[70]

Quelques années après, les Khazars étant venus, suivant leur habitude, attaquer Derbend, Mirian marcha au secours. Pendant qu'il était là, combattant contre les Khazars, le roi des Gouth entra dans la Grèce avec une armée considérable ; l'empereur grec s'étant mis à la tête de ses troupes, pour leur résister, le roi des Gouth le provoqua à un combat singulier.[71] L'empereur n'était pas en état de lui tenir tête ; mais il y avait un fils de Cosaros, roi d'Arménie, ci-dessus mentionné, portant le nom de Trdat, qui avait été élevé en Grèce et était un géant. Comme il se trouvait alors dans l'armée grecque, les troupes le choisirent pour ce combat.[72] Couvert des vêtements et de l'armure impériale, on l'envoya en place de l'empereur contre le roi des Gouth, qui sortit à sa rencontre. Ils se précipitèrent l'un sur l’autre ; Trdat vainqueur s'empara du roi, et son armée fut mise en déroute. En conséquence l'empereur donna des troupes à Trdat, et l'envoya dans ses domaines d'Arménie,[73] où il se porta avec ses gens et en chassa les troupes et éristhaws de Mirian.[74] Celui-ci, qui revenait de combattre les Khazars, fit alors venir de Perse un de ses parents, appartenant à la famille royale, nommé Phéroz, qui amena avec lui une armée nombreuse. Il lui donna sa fille en mariage, et la contrée de Khounan à Barda, sur les deux rives du Mtcouar, où il l'établit comme éristhaw. Ayant fait venir de Perse d'autres renforts, il commença à guerroyer contre Trdat. Tantôt ce dernier, recevant des secours de Grèce, marchait contre Mirian, qui ne pouvait lui résister, et se contentait de défendre les villes et les citadelles, tandis que Trdat parcourait le pays ; tantôt Mirian, renforcé par les Perses, avait le dessus, et Trdat, hors d’état de lui faire tête, allait et venait dans l’Arménie. Cette lutte se prolongea sans repos bien des années, aucun Perse n'osant affronter Trdat seul à seul, en sorte qu'il devint fameux dans l'univers, et que l'avantage lui resta dans toutes les rencontres, ainsi qu'il est écrit dans l'histoire des Arméniens.[75]

Après cela régna en Perse un fils de Bartom,[76] neveu de Mirian ; il envoya à ce dernier un exprès, avec ce message: «Traversons l'Arménie et entrons en Grèce. » Le roi s'étant mis aussitôt en campagne, Mirian vint aussitôt le joindre à In tête d'une multitude aussi nombreuse que l'herbe des champs et les feuilles des arbres. Ils traversèrent l'Arménie, sans résistance de la part du roi Trdat, qui se contenta de défendre les villes et les citadelles, et les laissa dévaster le pays : ils pénétrèrent donc on Grèce. L'empereur Constantin ne résista point, et vit avec une profonde douleur la Grèce livrée au pillage. Alors des hommes religieux le ranimèrent, en lui disant : « Vois la puissance merveilleuse du Christ et la force qu'il donne à ceux qui croient en lui, de sorte que, sous l'égide de la croix, les fidèles chrétiens triomphent tous de leurs ennemis. » L'empereur Constantin crut à leurs paroles, ainsi qu'il est écrit tout au long dans l'histoire grecque, se fit baptiser,[77] et marchant sous l'étendard de la croix, livra bataille, avec une poignée de troupes, aux armées innombrables des Perses. Par la force de J. C., il mit leurs bataillons en déroute, tailla en pièces cette multitude et la dispersa.[78] Les deux frères[79] ayant tourné le dos avec quelques soldats, Constantin les poursuivit et pénétra dans leurs domaines. Le roi de Perse rentra dans son royaume ; pour Mirian, il se tint dans la Géorgie, afin d'en défendre les villes et les citadelles. Il était très découragé et craignait d'être obligé de quitter la Géorgie, car tous ses grands, tant Perses que Géorgiens, avaient succombé dans la bataille.[80] Il expédia un ambassadeur à l'empereur Constantin, pour lui demander la paix et pour lui promettre de le servir et d'exterminer les Perses. L'empereur, qui redoutait une nouvelle attaque du roi de Perse, fut très content de cela et fît sa paix avec Mirian, en vue du secours qu'il attendait de lui. Il prit en otage le fils du roi Mirian, nommé Dakar, réconcilia ce dernier avec Trdat et lui procura son alliance. Trdat ayant marié sa fille Salomé avec Rew,[81] fils de Mirian. Il fixa également leurs frontières de telle sorte, que les contrées dont les eaux coulent vers le S. et tombent dans l'Araxe appartiendraient à Trdat, mais que celles dont les eaux vont au N., s'unir au Mtcouar, seraient à Mirian.[82] Après s'être ainsi interposé entre eux, il partit.

Mirian régnait sur la Géorgie, sur le Ran, sur le Héreth et le Mowacan ; il possédait aussi l'Egris, jusqu’à la rivière de ce nom. Il donna à son fils Rew, comme apanage, le Cakheth et le Coukheth, et les installa, lui et son épouse Salomé, fille du roi Trdat, à Oudjarmo,[83] où ils résidèrent. Quant à Phéroz, gendre de Mirian, il avait le pays ci-dessus mentionné, dont le roi lui avait fait présent, et dont il était éristhaw.

Dans ce temps-là vint la sainte et bienheureuse femme Nino, à qui nous devons le baptême. Elle demeura trois ans à Mtzkhétha, répandant la prédication de la foi en J. C., opérant sans remèdes des guérisons ; après quoi elle commença à prêcher à haute voix la religion du vrai Dieu, Jésus-Christ. Quand[84] sainte Nino convertit la Géorgie, il s'était écoulé 331 ans depuis l'Ascension du Sauveur.

§ 2.

Conversion du roi Mirian et de toute la Géorgie, par la sainte et bienheureuse Nino, notre mère et apôtre.[85]

Racontons maintenant la vie de notre bienheureuse mère et apôtre Nino, illuminatrice de toute la Géorgie, telle que la bienheureuse elle-même nous l'a dite à l'heure de sa mort, et telle que l'a écrite la fidèle reine Salomé, d'Oudjarma, femme du fils du roi Mirian et fille de Trdat, roi d'Arménie.

Dans le temps où S. Georges le Cappadocien[86] fut martyrisé pour le Christ, il y avait un seigneur d'une ville de Cappadoce, nommé Zabilon,[87] qui s'en-allait à Rome, présenter ses hommages à l'empereur Maximien et recevoir de lui des présents. A la même époque il y avait à Colastra[88] un homme, père de deux enfants, un fils et une fille ; le premier se nommait Iobénal, et l'autre Sosana. Le mari et la femme étant morts, le frère et la sœur, restés orphelins, se levèrent et s'en-allèrent dans la ville sainte de Jérusalem, ayant confiance dans la sainte église de la Résurrection,[89] espoir de tous les chrétiens, et y firent leurs prières. Le jeune Iobénal devint secrétaire et sa sœur Sosana entra au service de Niaphor[90] Sara, Bethlémite.

Cependant le jeune Cappadocien Zabilon, ci-dessus mentionné, arriva à Rome, en présence de l'empereur. Dans ces temps-là les Brandj, s'étant révoltés, vinrent pour combattre les Romains dans la plaine de Patalan ; Zabilon, avec l'assistance de Dieu, leur résista vigoureusement, les mit en fuite et prit leur roi et tous leurs chefs, qu'il conduisit à l'empereur. Celui-ci les ayant condamnés à mort, ils se mirent à pleurer et à conjurer Zabilon « de les admettre dans sa religion et de les conduire au temple de son Dieu, avant de leur ôter la vie. C'est toi, disaient-ils, qui nous a pris ; en agissant de la sorte avec nous, tu deviendras innocent de notre mort, o homme héroïque. » A ces mots Zabilon se hâta d'aller secrètement trouver le patriarche et l'informa du tout, à l'iusu de l'empereur. Aidé de Zabilon, le patriarche leur conféra le baptême, les fît entrer dans l'église et participer au mystère du corps et du sang de J. C., et leur montra la gloire des apôtres. Au matin suivant, les Brandj se levèrent de bonne heure, et revêtus d'habits funèbres, se rendirent au lieu du supplice. Ils prièrent, remercièrent Dieu, d'avoir reçu le baptême, et dirent : « Nous sommes immortels dans le trépas, puisque Dieu nous a accordé la gloire de recevoir le viatique incorruptible du corps et du sang de son fils immortel, plus élevé que les montagnes, plus profond que l'abîme. Béni soit-il dans l'éternité ! Nous ne mangerons pas, comme nos parents, le fruit de l'amertume, et n'habiterons point dans les ténèbres.[91] Viens, bourreau, crièrent-ils, et enlève nos têtes. »

Comme ils parlaient ainsi, Zabilon, témoin de ce spectacle, se sentit ému et pleura amèrement; en cflet, tels que des brebis, ils tendaient la tête au coup mortel, et lui, il avait pitié d'eux, comme les brebis de leurs jeunes agneaux. Poussé par la compassion, Zabilon se rendit alors auprès de l'empereur et intercéda pour les condamnés, près de mourir. L'empereur lui accorda leur grâce et lui dit : « Je te les donne, fais d'eux ce que tu voudras.» Zabilon[92] les ayant renvoyés, ils le prièrent de les ramener dans leur pays, d'y faire connaître la religion de J. C. et de conférer le baptême à leurs compatriotes. Se rendant à leurs instances, Zabilon demanda au patriarche un prêtre et se fît ordonner par l'empereur, sous un prétexte quelconque, de partir avec eux, ce qu'il fit. Il ne restait plus qu'un jour de marche, quand la nouvelle se répandit en avant « que le roi vivait, et qu'il venait avec tous ses grands. » Ce bruit ayant mis en rumeur les dix éristhawats de Khozamo, de Khoza, de Gaakhladja,[93] de Khonébaga, de Khingiraga,[94] de Zadja, de Zaga, de Zarda, de Zamra et de Thmoni, et tout le royaume, la multitude vint à leur rencontre, sur les bords d'un fleuve grand et profond.[95] Le roi fit arrêter le peuple sur les deux rives du fleuve et bénir l'eau, dans laquelle tous se plongèrent et se lavèrent ; après quoi ils remontèrent en un certain lieu, et le prêtre leur imposa les mains. Il resta là durant dix jours, fit participer toute la multitude au sacrement de J. C., lui laissa des prêtres, et après avoir mis ordre à tout, fit ses adieux et s'en-alla à Rome, comblé de riches présents. « J'irai à Jérusalem, pensa-t-il alors, et je ferai hommage de tous ces trésors aux saints lieux de J. C. » Zabilon partit et distribua aux pauvres tous ses biens. Le secrétaire dont il a été parlé plus haut, étant devenu patriarche,[96] Zabilon et ce dernier se lièrent intimement. Sara Niaphor dit au patriarche: « Ce Zabilon est le père des Brandj, il les a baptisés. Comme c'est un homme plein de crainte de Dieu et de sagesse, donne lui ta sœur Sosana en mariage. » Le saint patriarche y consentit, et maria Sosana avec Zabilon, qui partit pour Colastra, sa patrie. De leur union naquit un seul enfant, sainte Nino, le docteur[97] de la Géorgie, qui fut élevée par Sosana, sa mère, dans le service des pauvres. Quand elle eut douze ans, ses parents vendirent tous leurs biens et s'en-allèrent à Jérusalem.

Alors Zabilon, s'étant fait bénir par le patriarche,[98] se sépara de sa femme. Pressant contre sa poitrine sainte Nino, sa fille, il arrosa son visage de deux ruisseaux de larmes,[99] et lui dit : « Ma chère et unique fille, je te laisse orpheline, et te confie au père céleste, au Dieu qui nourrit tous les êtres, car il est le père des orphelins, le juge des veuves. Ne crains rien, mon enfant, ne songe quà rivaliser avec Marie Magdeleine et avec les sœurs de Lazare en amour pour le Sauveur ; si tu l'aimes comme elles, il t'accordera aussi tout ce que tu demanderas. » Après l'avoir embrassée pour jamais, il la quitta, passa le Jourdain et s'en-alla chez des peuples sauvages, où le Dieu créateur de toutes choses sait ce qu'il devint. Quant à son épouse, le patriarche la chargea de servir les femmes indigentes, tandis que sainte Nino était au service de Niaphor,[100] Arménienne de Dovin, durant deux ans, se faisant dire toutes les souffrances de J. C., son crucifiement, sa sépulture, les merveilles de la résurrection, l'histoire détaillée de ses vêtements, du linceul, du suaire ; car il n'y eut jamais et il n'y avait alors à Jérusalem personne aussi instruit qu'elle dans la loi ancienne, ainsi que dans la nouvelle, et qui en eût une si complète intelligence. L'Arménienne se prit alors à l'instruire et lui dit : » Je te vois, mon enfant, semblable dans ta force à une lionne, dont le rugissement domine la voix de tous les quadrupèdes ; à une aigle qui, dans son vol sublime, s'élève plus haut que son mâle, dont l'œil, petit comme une perle, embrasse tout l'univers dans sa prunelle : de son regard elle distingue une proie, l'éprouve comme le feu, et dès qu'elle l'a vue, elle déploie ses ailes et se précipite. Telle sera ton existence. Je veux maintenant t'expliquer tout. Le Dieu immortel ayant regardé les habitants mortels de ce monde et étant venu pour appeler les nations, comme il voulait sauver le monde, il accorda ses premiers bienfaits aux Juifs, rendant la vie aux morts, la vue aux aveugles, la santé aux malades. Ceux-ci s'émurent, et après en avoir délibéré, envoyèrent des courriers[101] dans tout l'univers, pour que les Juifs accourussent en hâte. « Voilà, disaient-ils, que nous périssons. Venez, rassemblez-vous tous.[102] » Alors, de toutes les contrées accoururent des hommes instruits dans la loi de Moïse, qui résistèrent en face à l'Esprit-Saint, et firent précisément ce qui était nécessaire au monde, en crucifiant le Sauveur et en jetant le sort sur ses vêtements. La robe sans couture échut aux habitants du N., à ceux de Mtzkhétha. Quand ils eurent enseveli Jésus, ils firent garder son tombeau, mais il ressuscita, ainsi qu'il l'avait prédit, et l'on ne trouva dans le sépulcre que les linceuls, qui tombèrent, peu de temps après, entre les mains de l'Evangéliste saint Luc, et furent déposés lui seul sait où. Quant au suaire, comme il ne se trouvait pas, quelques-uns diront de saint Pierre « qu'il avait réussi à le prendre et le gardait, » mais sans donner de détails plus précis. Les croix sont cachées en cette ville, sans que personne sache en quel lieu, et quand Dieu voudra, il les fera paraître à leur tour. » En entendant ces paroles de Niaphor, Ste Nino bénit et remercia Dieu, et demanda : « Où est cette terre du N., où se trouve la robe de N. S. ? — La ville de Mtzkhétha, lui répondit Niaphor, est au pays de Géorgie, district montagneux de l'Arménie, adonné à la gentilité, car il est maintenant au pouvoir des Oujics.[103] »

Dans ce temps-là il vint d'Ephèse une femme, pour adorer le saint sépulcre, et Niaphor demanda à cette femme : « L'impératrice Hélène est-elle encore dans les ténèbres de l'erreur ? — Je suis sa servante. répondit-elle, et participe à toutes ses pensées, tant explicites que secrètes. Je sais qu'elle désire embrasser la religion chrétienne et recevoir le baptême.[104] » Ayant entendu les paroles de cette femme, Ste Nino dit à Niaphor: « Laisse-moi aller près de l'impératrice Hélène; peut-être pourrai-je l'approcher et lui parler de J. C. » Niaphor ayant communiqué au patriarche le désir et le projet de Ste Nino, celui-ci, qui était son oncle maternel, fit venir la sainte fille de sa sœur; l'ayant placée sur les degrés de l'autel, il imposa ses saintes mains sur ses épaules, et poussant vers le ciel un soupir, du plus profond de son cœur, il dit : « Seigneur, Dieu des siècles, je te confie cette orpheline, enfant de ma sœur, et je l'envoie publier ta divinité, annoncer ta résurrection. Partout où il te plaira qu'elle se dirige, sois, divin Jésus, son compagnon de voyage, son refuge, son docteur, son orateur, comme. tu le fus toujours pour ceux qui craignent ton nom. »

Sainte Nino s'éloigna de sa mère, qui lui donna le baiser d'adieu, et imprimant sur elle le signe merveilleux de la croix, la laissa partir, en la recommandant à Dieu et en la bénissant. La sainte se rendit alors près de la femme venue d'Ephèse. En arrivant dans l'empire de Rome,[105] dans la maison de la femme qui avait voyagé avec elle, elles y virent une princesse[106] du sang royal, nommée Riphsimé, et Gaïané sa mère nourricière, qui demeuraient dans un couvent de vierges,[107] toutes deux soupirant pour le Christ et attendant le baptême de Jérusalem. La femme, en leur présentant Ste Nino, informa la princesse Riphsimé des événements de sîi vie. La princesse amante du Christ ne l'eut pas plus tôt vue, qu'elle l'accueillit avec tendresse et l'admit dans sa maison, sur la recommandation de la voyageuse. Durant le séjour de Ste Nino chez elle, cette année même, Riphsimé reçut le baptême, objet de ses désirs, elle, sa mère nourricière Gaïané et toute sa maison, composée de 50 personnes,[108] des mains de Ste Nino[109] ; elle continua de rester dans le couvent, et la sainte avec elle, durant deux ans.

Dans ce temps-là l'empereur faisait chercher une fille belle et bien faite, qui fût digne d'être son épouse. Les gens chargés de cette recherche étant venus dans le couvent de vierges, où ils virent et distinguèrent Riphsimé, s'informèrent de sa famille; ayant su qu'elle était de race royale, et charmés d'ailleurs de la beauté de ses traits, qui surpassait tout ce qu’ils avaient vu jusque-là, ils tracèrent sur une planche l'image de sa gracieuse figure, et l'envoyèrent à l'empereur. Celui-ci, enchanté, épris d'amour, résolut de célébrer son mariage par de grandes réjouissances, et expédia incontinent des exprès et des ordonnateurs dans son empire, afin que tous vinssent, suivant ses ordres, prendre part à la joie des noces impériales. Les saintes femmes, voyant la malice cachée de l'ennemi et les traits brûlants qu'il voulait décocher sur les saints du Christ, étaient dans l'inquiétude ; car ce roi était un vase de colère, perfide comme le serpent dans le paradis, non moins impie que lui, et adonné au culte impur des idoles abominables.[110]

Les bienheureuses Riphsimé et Gaïané, et toutes les saintes femmes de sa suite, voyant le malheur qui les menaçait, et se rappelant leur «haste promesse de vivre dans une louable solitude, ainsi qu'on le leur avait enseigné, regrettèrent amèrement que la peinture et l'envoi du portrait de Ste Riphsimé eussent fait connaître sa beauté à un prince infidèle. Elles se livrèrent à une rigoureuse austérité ; après avoir adressé à Dieu, sans interruption, de ferventes prières, et délibéré ensemble, elles résolurent de quitter secrètement le pays, au nombre de cinquante-trois.[111] Etant arrivées dans leur fuite aux contrées de l'Arménie, au lieu dit la Ville-Neuve, ville merveilleusement construite, qui est Dovin,[112] résidence royale, elles entrèrent dans des chaumières servant de pressoirs, situées au N. et à l'E., où elles s'entretinrent, du prix de leur travail. Informé que les saintes Riphsimé, Gaïané et leurs compagnes s'étaient soustraites à sa puissance et à son maudit amour, l'empereur fut en proie au plus violent désespoir et envoya de tous côtés des gens pour les chercher.

Les messagers de l'empereur arrivèrent alors auprès de Trdat, roi d'Arménie, et lui présentèrent la lettre impériale, ainsi conçue: « L'empereur autocrate, à mon cher frère, ami et collègue, Trdat. Je te salue. Que ta fraternité, notre alliée, sache d'abord, que la race pécheresse des chrétiens nous est nuisible, car elle fait mépriser notre autorité de la multitude et ne tient aucun compte de Notre Majesté. En effet ces gens servent un homme mort crucifié, adorent du bois et estiment glorieux de mourir pour leur seigneur. Quoiqu'ils ne craignent pas les Juifs, ils craignent celui que les Juifs ont tué et crucifié. Dans leur aveuglement, ils insultent les rois, méprisent les dieux, ne comptant pour rien la puissante splendeur du soleil, de la lune et des astres, disant que ce sont des ouvrages de ce crucifié. Enfin ils ont bouleversé le monde à ce point, que les pères et les mères s'éloignent l'un de l'autre sans attendre la mort. En vain nos proclamations et de rigoureux supplices les ont anéantis, ils renaissent plus nombreux. Ayant vu par hasard une jeune fille qui leur appartient, je voulais faire d'elle mon épouse ; mais elle, au lieu de désirer l'alliance d'un souverain, m'a repoussé comme impur, a pris secrètement la fuite et s'en est allée dans les terres de tes domaines. Informe-t'en, mon frère, fais des recherches, et dès que tu l'auras trouvée, avec ses compagnes, livre-les à la mort. Quant à celle qui les a séduites, c'est la belle Riphsimé ; envoie-la-moi, ou, si elle te plaît, garde-la, car tu n'en trouveras pas de pareille chez les Grecs. Du reste, sois en santé, pour servir les dieux. »

Au reçu de l'ordre impérial, Trdat commença incontinent ses recherches et trouva les saintes femmes dans les pressoirs dont nous avons parlé. Il n'eut pas plus tôt vu Riphsimé, qu'il se sentit épris d'amour et de désir, et, dans le transport de sa joie, résolut d'en faire son épouse. Sainte Riphsimé s'étant montrée rebelle à ses projets, il la fît périr dans les supplices, et avec elle Gaïané, sa mère nourricière, et beaucoup d'autres qui l'accompagnaient, ainsi qu'il est écrit dans le livre de son martyre et de la conversion des Arméniens. Pour le roi Trdat, par un effet de la Providence divine, il fut changé en sanglier.[113] Cependant quelques saintes femmes se cachèrent et s'enfuirent. Sainte Nino, l'une d'entre elles, se mit à l'abri d'un buisson épineux de rosiers, qui n'avaient pas encore donné leurs fleurs. Comme elle était dans sa retraite, elle vit la figure d'un diacre descendant du ciel, avec une étole de lumière, tenant à la main un encensoir, d'où s'échappait un nuage de parfums obscurcissant le ciel, et accompagné d'une foule d'êtres célestes. C'était en effet le moment où les saintes martyres avaient rendu l'âme et s'étaient réunies aux puissances brillantes du ciel, qui y remontaient alors. A cette vue Ste Nino s'écria : « Seigneur Jésus, pourquoi m'abandonner aux aspics et aux serpents ? » Aussitôt elle entendit une voix d'en-haut, qui disait : « Tu seras aussi conduite de la sorte vers le Seigneur, dans le paradis. Dans ce temps-là les épines qui t'environnent seront devenues des feuilles de rosés odorantes.[114] Lève-toi et marche au N., où la moisson est belle, mais absolument sans ouvriers.[115] »

Après cela Ste Nino partit et vint à Orbantha,[116] aux frontières de l'Arménie, où elle passa l'hiver au milieu des privations. Le quatrième mois après celui de mars, c'est-à-dire en juin, elle se mit en route et arriva aux frontières du Djawakheth, où elle rencontra le grand lac de Pharawna,[117] d'où coule une rivière. De là ses regards aperçurent de hautes montagnes, couvertes de neige, quoique dans les mois d'été, et produisant une température très rigoureuse. Ste Nino, toute tremblante, s'écria: « Seigneur, Seigneur, ôtez-moi la vie. » Après avoir résidé là deux jours, elle demanda de la nourriture à de pauvres gens, qui péchaient dans le lac. Il y avait aussi là des pasteurs, qui, en faisant la garde de nuit auprès de leurs troupeaux, imploraient la protection de leurs dieux Armaz et Zaden et leur promettaient des victimes, « quand ils arriveraient heureusement en leur présence.[118] » Or ces gens parlaient en arménien, langue dont Nino avait appris quelques mots auprès de Niaphor. Ayant donc trouvé un de ces bergers, qui connaissait l'arménien, elle lui demanda dans cet idiome : « De quel village êtes-vous ? — Nous sommes, répondirent-ils, des villages d'Elarbin, de Saphourtzlé, de Kindzara, de Rabat et de la grande ville de Mtzkhétha,[119] où les Dieux sont adorés, et où les rois règnent. — Par où est Mtzkhétha ? dit-elle. — Le fleuve qui sort du lac traverse Mtzkhétha. »

Effrayée de la longueur de la route et de l'étendue des plateaux qu'elle apercevait, Ste Nino soupira, et mettant une pierre sous sa tête en guise de coussin, s'endormit à l'écoulement du lac.[120] Durant son sommeil il lui apparut un homme de taille moyenne, ayant les cheveux de demi-longueur,[121] qui lui donna un livre scellé, en disant: « Porte promptement ceci au roi païen de Mtzkhétha. » S'étant mise à pleurer, sainte Nino lui dit, d'une voix suppliante : « Seigneur, je ne suis qu'une femme étrangère et ignorante, qui ne sais pas parler beaucoup. Comment irai-je dans un pays étranger, chez des peuples qui me sont inconnus?[122] » Alors l'homme lui ouvrit le livre, qui était écrit en lettres romaines et scellé du sceau du Christ. Il y avait dix sentences écrites, comme sur les tables de pierre de Moïse, qu'il donna à lire à Ste Nino. Celle-ci s'éveilla, tenant l'écrit dans ses mains.[123] Tel en était le commencement :

1) Partout où sera prêché l'Evangile, le nom de cette femme y sera connu.

2) IL n'y a ni sexe masculin ni sexe féminin, mais vous êtes tous semblables.

3) Allez, instruisez toutes les nations et baptisez-les au nom du Père, du Fils et du S.-Esprit.

4) Lumière qui brillera pour les gentils et glorifiera ton peuple d'Israël.

5) Cet Evangile du paradis sera annoncé dans tout l'univers.[124]

6) Qui vous recevra me recevra ; qui me recevra, recevra celui qui m'envoie.

7) Marie aima beaucoup le Seigneur, car elle écoutait toujours ses paroles de vérité.

8) Ne craignez pas ceux qui font périr votre corps, mais qui ne peuvent faire périr votre âme.

9) Jésus dit à Marie-Madeleine : « Va, ô femme, et annonce à mes frères. »

10) Quand vous prêcherez, que ce soit au nom du Père, du Fils et du S.-Esprit.[125]

Ayant lu ces paroles, Ste Nino commença à prier le Seigneur, et comprenant que c'était une vision céleste, elle demanda, les yeux levés vers le ciel, à Celui qui demeure dans les hauteurs, au Dieu qui conserve toutes choses, de la protéger. Elle partit, suivant le cours du fleuve qui sort du lac et se dirige vers l'O., et ensuite tourne au levant, à travers des contrées rudes et âpres, dont les difficultés, jointes à la frayeur que lui causaient les bêtes sauvages, ne cessèrent de l'éprouver qu'à l'endroit où le fleuve commence à prendre sa direction vers l’E. : depuis lors elle eut de la satisfaction, car elle rencontra des voyageurs avec lesquels elle arriva dans les terres de la Géorgie, dans la ville d'Ourbnis. Elle y vit des hommes étrangers, servant des Dieux inconnus, adorant comme des divinités le feu, le bois et la pierre. Le cœur centriste par ce spectacle, elle entra dans le bourg des Juifs,[126] avec qui elle put s'entretenir, grâces à la connaissance de la langue hébraïque. Elle resta là un mois, à examiner l'état et la force du pays Un jour elle vit une grande multitude se mettre en mouvement pour aller à la ville de Mtzkhétha, la métropole du royaume, afin d'y acheter des choses nécessaires et de prier le dieu Armaz. Nino les accompagna. Arrivés à la ville de Mtzkhétha, ces gens s'arrêtèrent au pont, au delà de Mogoutha, où, témoin du culte rendu par ces pauvres abusés au feu des Mages, elle pleura sur la damnation de ce peuple et sur son isolement comme étrangère.

Voici que le lendemain, au bruit éclatant des trompettes, accompagné de clameurs effroyables, un peuple innombrable comme les fleurs des champs sort dans les rues ; des cris affreux se font entendre, jusqu'à l'apparition du roi. A l'heure indiquée, il se fait un mouvement de retraite et de dispersion de tous les hommes, que la crainte porte à s'enfuir et à se cacher dans leurs demeures. Bientôt paraît la reine Nana, puis la foule se montre peu à peu, les rues et les places sont ornées d'étoffes de diverses couleurs et de feuillages, après quoi le roi Mirian s'avance, inspirant la terreur par son regard que l'œil a peine à supporter. Le peuple commence à célébrer ses louanges, a Qu'est ceci ? demande Ste Nino à une femme juive. — C'est le Dieu des Dieux, Armaz, qui invite les gens à paraître devant lui : nulle idole ne peut lui être comparée. » Après ces informations Ste Nino monte pour voir Armaz, avec le peuple qui couvrait les montagnes, et dont les drapeaux et les parures embellissaient la fête, comme les fleurs d'un champ. Etant arrivée à la citadelle d'Armaz, Ste Nino se plaça au voisinage de l'idole, sur l'escarpement de la muraille, et contempla le spectacle merveilleux, indicible, du tremblement et de la frayeur des souverains et du peuple, se tenant en présence des fausses divinités. En effet elle vit un homme debout, en cuivre, revêtu d'une cotte de mailles en or, d'un casque et d'épaulières de même métal, ayant des yeux de béryl et d'émeraude ; il tenait un cimeterre flamboyant et resplendissant, qui tournoyait dans sa main, de telle sorte que, pour n'en être pas atteint et frappé à mort, nul n'approchait sans précaution de l'idole. Chacun donc l'examinait et disait : « Malheur à moi, si j'ai manqué au respect du grand Dieu Armai ; si je me suis permis de parler à des Hébreux ; s'il m'est seulement arrivé d'entendre les Mages, serviteurs du soleil, et ceux qui disent, par ignorance, qu'il y a un grand Dieu, le fils du Dieu du ciel ; s'il y a en moi quelque souillure de ce genre, puissé-je être atteint de son épée, redoutable à toute la terre. » Ce n'était qu'après cet examen préalable qu'ils adoraient l'idole, dans la crainte et le tremblement.[127]

A droite de celle-ci, il y en avait une autre, également d'or,[128] représentant un homme debout et nommée Gatz ; à sa gauche se tenait une figure d'homme, en argent, nommée Gaïm : le peuple géorgien les regardait comme des Dieux. A cette vue la bienheureuse Nino commença à soupirer, à gémir avec larmes sur l'ignorance des habitants de la terre du N., à l'égard de Dieu, ignorance qui leur cachait la lumière et les tenait plongés dans les ténèbres : elle regarda cette multitude, ces rois puissants, tous ces princes dévorés tout vivants par l'enfer, oubliant le Créateur, pour adorer comme des divinités la pierre, le bois, le cuivre, l'airain façonné, usurpant les droits du Créateur. Alors elle se ressouvint d'une parole de son oncle paternel, le digne et saint patriarche Iobénal : « Je t'envoie comme un homme complet ; tu arriveras dans un pays étranger, chez des nations dargouel zéwel barcadoul,[129] ce qui, en langue brandje, signifie : des hommes ennemis de Dieu et révoltés contre lui.» Levant donc les yeux au ciel, elle dit: « Seigneur, malgré ta puissance, tes ennemis pèchent contre toi ; c'est à cause de ta grande longanimité qu'ils agissent de la sorte, et que, cendre et poussière périssable qu'ils sont sur la terre, ils imaginent de telles choses ; mais n'oublie pas que tes mains ont fait l'homme à ton image. Puisqu’une des personnes de la Trinité s'est incarnée pour sauver tout le monde, prends aussi en pitié ces nations, châtie les âmes de ces seigneurs de la terre, de ces princes des ténèbres, aussi méchants que méprisables, et jette-les dans des lieux de douleur. Montre-toi à moi, Dieu de mon père et de ma mère, à moi ta servante et l'enfant de tes serviteurs, afin que toutes les extrémités de la terre connaissent ton salut, que le nord se réjouisse avec le midi, et que tout l'univers n'adore qu'un seul Dieu, J. C. ton fils, à qui appartiennent gloire et actions de grâces dans l'éternité ! »

A peine Ste Nino achevait cette prière, qu'aussitôt, par un prodige instantané, il s'éleva un vent d'occident, un brouillard et des nuages effrayants à voir, accompagnés du fracas épouvantable de la foudre : ce vent de l'ouest apportait des vapeurs d'une amertume et une fétidité repoussantes. A la vue du fléau qui la menaçait, la multitude se mit à courir et à s'enfuir dans les villes et dans les villages, car le Seigneur leur laissait peu de temps pour s'échapper et se mettre, dans ses refuges, à l'abri de la catastrophe. Aussitôt qu'ils se furent échappés, le nuage de la colère arriva avec toutes ses fureurs, jetant sur le lieu où étaient les idoles des grêlons gros comme des pierres, qu un homme robuste aurait peine à lancer de ses deux mains, et les brisa en mille pièces, tandis que le vent, par sa violence, renversait les murailles et en dispersait les pierres dans les escarpements des rochers. Pour Ste Nino, elle resta sans atteinte, au lieu même où elle s'était placée à son arrivée.[130]

Le lendemain, le roi Mirian et tout le peuple, étant venus pour chercher leurs Dieux et ne les trouvant pas, furent saisis de crainte ; tremblante, stupéfaite, mais opiniâtre dans ses croyances, cette multitude disait: « Ithroudjan, le dieu des Chaldéens, et notre dieu Armaz, sont ennemis déclarés, parce que autrefois Armaz a fait refluer la mer sur eux,[131] et, maintenant Ithroudjan se venge en lui envoyant un tel fléau. — Le Dieu qui a changé Trdat, roi d'Arménie, en sanglier, répondaient les autres, et depuis, lui a rendu la forme humaine, c'est le même qui, aujourd'hui, nous châtie. » Ils s'exprimaient ainsi parce que, depuis la métamorphose de Trdat en sanglier et son retour à la forme humaine, on ne se cachait pas, en Géorgie, pour louer et glorifier le Christ, et la grâce divine commençait à se répandre dans l'orient.

Le jour même de la catastrophe et de l'anéantissement des idoles, la grêle cessa et la fureur du vent se calma : sainte Nino sortit alors de l’angle du rocher. Ayant trouvé l'œil de béryl de l'idole d'Armaz, elle le prit et s'en alla tout droit vers le promontoire qui termine le plateau où étaient anciennement une citadelle et une ville ; elle y vit sur pied quelques arbres, de ceux que l'on appelle brindj, beaux, élancés, ayant de hautes branches, dans l'endroit où le roi Bartam venait jouir du repos et de la fraîcheur.[132] Arrivée sous leur ombrage, Ste Nino y traça le signe de la croix de J. C. et resta là six jours, priant et remerciant Dieu d'avoir, dans sa miséricorde, regardé et sauvé le peuple, égaré par les démons. Les idoles avaient été brisées dans le sixième mois après mars,[133] c'est-à-dire en août, le sixième jour de ce mois, où J. C. fut transfiguré en présence des prophètes et de ses disciples.

Comme sainte Nino était, ainsi que je l'ai dit, à l'ombré d'un arbre, il vint une fille de la cour, nommée Ghrochana, qui, s'étonnant de voir la sainte en cette posture, lui demanda, par l'entremise d'une autre femme, parlant grec, qui elle était, et toutes les autres circonstances de sa position. Nino l'informa de tout, excepté de sa famille, et se fit passer pour une captive.[134] Alors Ghrochana, touchée de compassion pour l'étrangère, engagea Ste Nino à venir avec elle au palais royal. La sainte ayant refusé et repoussé ses offres, Ghrochana partit. Trois jours après elle se leva de là, passa le Mtcouar et vint dans le verger du roi, où sont maintenant la colonne élevée par Dieu même et l'église du catholicos : y ayant vu une maisonnette, appartenant au gardien du verger, elle y entra. La femme du gardien, nommée Anastasia,[135] ne l'eut pas plus tôt aperçue, qu'elle vint à sa rencontre, la baisa et la serra tendrement comme une ancienne connaissance et une amie, lui lava les pieds et la reposa de ses fatigues, en la frottant d'huile et lui présentant du pain et du vin. Sainte Nino resta là l'espace de neuf mois. Comme cette Anastasia et son mari s'affligeaient beaucoup de n'avoir pas d'enfants, Ste Nino vit en songe un homme revêtu de lumière, qui lui dit : « Va dans le jardin, tu trouveras sous les cèdres un petit arbrisseau[136] tout près de se couvrir de fleurs odoriférantes.

Prends-là de la terre et fais-en manger à ces époux: leur union deviendra féconde. Après avoir prié, Ste Nino donna aux époux, à manger, ce que la vision lui avait montré, et ils eurent un grand nombre de fils et de filles, aussi crurent-ils en J. C., sur la parole de Ste Nino, et devinrent-ils en secret ses disciples.

Lorsqu'elle eut demeuré neuf mois avec les gardiens du verger, Ste Nino trouva hors des murs de la ville un lierre feuillu, formant une espèce de petite tente au-dessus d'un buisson, par un effet de la Providence divine : c'était dans le lieu où se trouve maintenant le sanctuaire de l'église archiépiscopale supérieure. Elle en fit son lieu de repos, et y dressa une croix, arrangée par elle-même avec des sarments de vigne, devant laquelle elle passait la nuit sans dormir, de même que ses jours n'étaient, jusqu'à la nuit, qu'une prière non-interrompue, une suite de jeûnes et d'oraisons. Etonnes de cette accumulation de pratiques pieuses, les deux époux, gardiens du jardin royal, lui consacraient leurs services. Pendant qu'elle était là, Ste Nino allait souvent au bourg des Juifs,[137] et sachant la langue hébraïque, elle s'informa du lieu où était la robe de Notre-Seigneur, dont elle avait entendu dire à Jérusalem, par Niaphor: a qu'elle avait été enlevée par les Juifs de Mtzkhétha ; » et en effet elle n'omettait aucun effort pour connaître toutes les circonstances concernant cette robe.

Elle rencontra alors un prêtre juif, nommé Abiathar, et son épouse Sidonia, à qui elle annonça la bonne nouvelle de J. C. Ils accueillirent avec foi les leçons de Ste Nino et se firent ses disciples, eux et d'autres femmes juives, au nombre de six; seulement ils ne reçurent pas le baptême, parce qu'il n'y avait pas alors de prêtre pour le leur conférer, et se contentèrent de suivre ses leçons en secret. Dieu, par la main de Ste Nino, opérait beaucoup de prodiges et de guérisons, mais les remèdes qu'elle employait n étaient qu'en apparence la cause qui délivrait les malades et les infirmes de maux réellement incurables.[138] Telle fut, durant l'espace de trois ans, la conduite de Ste Nino, dans la ville de Mtzkhetha, tandis que Mirian et le grand roi de Perse, son neveu, allèrent en Grèce, et furent vaincus par l'empereur Constantin, grâces à la puissance de la croix, portée en avant de ses troupes.[139]

 


 

[1] En 113 de J. C., 397 du 11e cycle. Ce premier membre de phrase, qui n'est qu'une addition, manque au manuscrit T, comme bien d'autres du même genre ; ce qui prouve que ce manuscrit est plus ancien.

[2] Il paraît que c'est de ce Pharsman que parle Zonaras, t. I, p. 590 : ce prince, en l'année 136 de J. C., sons le règne d'Adrien, excita en Albanie une guerre dont la Médie et l'Arménie eurent beaucoup à souffrir, et qui s'étendit jusqu'en Cappadoce, mais les Romains surent l'apaiser par une adroite politique ; v. Stritter, Mem. pop. t. IV, p. 270, 333. Le surnom de Kwel donné à Pharsman, signifie positivement, miséricordieux, bon, d'après Soulkhan-Saba ; mais je crois qu'il doit avoir le double sens du grec ἀγαθὸς bon et brave, et si je m'en tiens au premier, comme étant justifié par la vie de ce prince, je pourrais citer des passages où le mot en question a le sens de brave ; v. p. 441 : « Voyez maintenant la bravoure et les transports d'énergie déployés alors ! »

[3] L'Annaliste se sert ici du mot persan  qui a ce sens.

[4] Ce mot ne se trouve que dans mon manuscrit.

[5] Mon manuscrit ajoute ; Arsacides. Je crois devoir répéter ici ce que j'ai dit ailleurs, qu'Aderc et ses successeurs étaient Karthlosides du côté paternel, et Arsacides seulement par le mariage du premier Kartham avec une fille de Bartom Ier ; v. la Table généalogique.

[6] C'était Artachès III qui y régnait : 109 — 129 de J. C.

[7] On se rappelle que, d'après l'institution du roi P’harnavaz, l'éristhaw de Karthli avait le titre de spaspet.

[8] L'auteur dit simplement « dans Chida-Kalak », i. e. dans la cité intérieure. » Ce passage confirme le sens que j'ai déjà donné plusieurs fois au mot pris pour l'ensemble des habitants d'une province, et comme tous les manuscrits sont d'accord, je l'ai partout laissé dans le texte le mot.

[9] La position de ce lieu est inconnue : serait-ce Sarciné, à l'O. de Mtzkhétha, ou Démir-Capi, Derbend ?

[10] Le manuscrit R porte Djouanber ; mais je crois que la vraie leçon est Djouancher, sans toutefois pouvoir le prouver, car l'un des principaux personnages du livre est certainement nommé Djouanber, conformément à la leçon ici alléguée.

[11] Cette localité est sur la gauche du Kour, au S. du mont Zaden, c'est là que s'élève l'église de Djouari-Patiosani ou de la Croix vénérable. Géogr. de la Gé., p. 481, et carte du Cakbeth.

[12] Dans la Chron. arm. « avec une flèche, » en 122 de J. C., 406 du 11e cycle.

[13] Suivant la Chron. arm. ce fut P’harnavaz qui reconquit l'apanage de Pharsman, avec le secours des Arméniens : ce qui semble plus logique.

[14] Ces détails manquent dans la Chron. arm.

[15] Dans l'état où est la chronologie des rois géorgiens précédents, il est difficile de dire à quel roi d'Arménie l'Annaliste fait allusion. Suivant les dates fixées par Wakhoucht, ce devrait être Artachès III, qui en effet, vers la fin de sa vie, se soumit à l'empereur Adrien ; Tchamitch, Hist. d'Ami, t. I, p. 350. Artavazd IV lui succéda et régna deux ans, 129— 131 ; il eut pour successeur Tiran, frère comme lui, d'Artachès, qui fut dans les meilleurs termes avec Antonin-le-Pieux, et reçut de lui les insignes de la royauté, en 140 de J. C. ; ibid. 353. Ce prince, suivant Moïse de Khoren, 1. II, ch. 59, éd. Whist., fut constamment l'ami des Romains, et eut, à cause de cela même, de grands démêlés avec Phéroz, roi de Perse. Je laisse au lecteur à choisir entre ces données.

Les cinq règnes doubles, dont l'histoire se termine ici, me paraissent une chose étrange, puisqu'il est impossible d'admettre que les deux rois soient morts précisément dans la même année et n’aient eu chacun qu'un enfant mâle. Si donc, d'une part, on n'a rien de positif à opposer à la tradition, de l'autre, je crois que la critique peut profiter de la latitude que lui laisse un tel état de choses.

[16] Ou Rékha ; Géogr. de la Gé. p. 476.

[17] En 129 de J. C., 413 du 11e cycle.

[18] Elle cessa de régner en 146 de J. C., 439 du 11e cycle.

[19] Il mourut en 182 de J. C., 466 du 11e cycle.

[20] Le chiffre est indiqué par le manuscrit T.

[21] Mon manuscrit dit : « du côté du nord de la ville. » Je crois que les mots portes et ville doivent ici s'entendre, l'un dans le sens de « postes avancés, » et l'autre dans celui de « la contrée » ; cette interprétation s'accorde mieux avec la suite du récit.

[22] Ici Moukhnar, ou Moukhran, est pris, non pour la ville même de ce nom, mais pour la contrée où elle se trouve.

[23] Chron. arm. « 16000 cavaliers et 30000 fantassins », en toutes lettres.

[24] Wakhoucht, p. 29, le nomme Khoukhou ; la Chron arm. Khonakhoua.

[25] D'après l'époque où régnait Amzasp, on peut croire que ce roi était Vagharch ou Vologèse, fils de Tigrane VI, qui régna 178 — 198 de J. C., suivant la chronologie de M. S.-Martin ; suivant celle de Tchamitch, ce serait Tigrane III, 152 — 194. Le savant français, qui donne à ce dernier le No. III, parmi ses homonymes (Mém. t. 1, p. 301), le nomme néanmoins Tigrane VI dans ses Tables (ibid. p. 412). Je n'aperçois pas la raison de cette variante, si ce n'est que M. S.-Martin eût changé d'opinion durant l'impression de ses Mémoires et cessé alors de s'en rapporter aux indications de Tchamitch.

[26] Nommé Vroïn et Viron, dans la Chron. arm. ; plus bas il y est appelé Rew, comme dans le texte géorgien. Un fils du roi Artachès III s'appelait Vroïr ; Mos. Khor. l. II, c. 53, éd. 1827.

[27] Au milieu des incertitudes de la chronologie, il est difficile de préciser les faits, de manière à emporter démonstration. Toutefois ce que raconte Tchamitch du règne de Tigrane III, ci-dessus nommé, se rapporte assez bien à l'indication donnée par l'annaliste géorgien. Ce Tigrane, après s'être uni avec Péroz, roi de Perse, pour faire la guerre aux Romains, fut pris en 162 par Lucius Vérus, collègue de Marc-Aurèle, puis relâché par son vainqueur, de qui il épousa une parente : après cela il devint et resta allié des Romains. De sa première femme, Memphar, il eut un fils, Vagharch, qui lui succéda et régna 20 ans, 192 — 212, suivant Tchamitch ; de sa seconde femme, Rufa, il eut quatre fils, qui fondèrent autant de familles nobles en Arménie, mais non pas sous le nom d'Arsacides. Tigrane eut encore une troisième femme; Hist. d'Arm. t. I, p. 356, sq. D'une autre part, sous le règne de Vagharch, en 213, les Khazars et les Barsiliens firent une grande invasion en Arménie, par la Porte de Djor ou de Derbend ; le roi d'Arménie fut tué de ce côté, en s'acharnant à les poursuivre, après leur défaite ; ibid. 358. Khosrov le Grand, fils et successeur de Vagharch, fit aussi une expédition heureuse au-delà du Caucase, en 214. Je ne vois aucun motif pour assimiler les événements de l'un de ces règnes plutôt que ceux de l'autre, avec les faits racontés si brièvement par l'annaliste géorgien.

[28] Venus dans la Mingrélie par le canton de Thaw-Cwer, au N. E. du Lelchkhounj, les Osses, pour entrer dans le Karthli, durent traverser le Radcha et la montagne nommée plusieurs fois dans les Annales « le petit mont Likh ». La question est de savoir où ils rencontrèrent le roi d'Arménie ; or on trouve dans la vallée de la Phinézaour, non loin de la frontière des deux royaumes, le village de: Gougouth, le seul qui ait quelque ressemblance de nom avec Gouthis-Khew, nommé plus bas par l'annaliste géorgien ; Géogr. de la Gé. p. 467, et carte, No. 2.

[29] En 186 de J. C., 470 du 11e cycle.

[30] Celui-ci était réellement Arsacide par son père, prince d'Arménie, et fils d'une soeur d'Amzasp II, ainsi qu'il a été dit plus haut.

[31] Séphora, fille de Logothète.

[32] Cette expression, qui répond à l'arménien ne signifie pas « à la porte, » mais bien « à l'entrée du territoire ; » par conséquent l'idole put bien être érigée sur le mont Armaz, comme les autres déjà connues.

[33] La Chron. arm. dit qu'il fut nommé Rew, vainqueur ; le radical peut, en effet, donner un tel sens, mais il y a contradiction avec l'Annaliste.

[34] En 213 de J. C., 497 du 11e cycle.

[35] Ou bâtit, le mot géorgien a les deux sens.

[36] Il était Pharnawazide par les femmes, à la quatrième génération, mais Arsacide du côté paternel. On trouve souvent dans le texte la forme Asphagor.

[37] Aucun auteur, que je sache, ne donne ce nom au fondateur de la dynastie sassanide, mais bien à un roi de cette famille qui jouera un grand rôle dans le cours du VIe siècle.

Moïse de Khoren, l. II, ch. 66, le nomme Artachir-Sasanian, fils de Sasan, et aussi Slahratsi, d'Israkhar. Son avènement est fixé par Tchamitch à l'année 226 de J. C. D'un autre côté Khosrov le Grand régna en Arménie, suivant lui, 214 — 258, et suivant M. S.-Martin, 198 — 232 de J. C. ; mais dans la nouv. édit. de l'Hist. du Bas-Empire, t. I, p. 77, le savant français fixe l'extinction des Arsacides de Perse à l'an 226, et l'occupation de l'Arménie par le même Ardéchir, à l'an 233. Dans la Chron. arm. il est dit : « il extermina la dynastie des Arsacides, qui sont nommés maintenant Biouroïk (ou plutôt qui sont nommés Ardbiouroïk). » Il y a évidemment ici et fausse lecture, et contre-sens dans la traduction : fausse interprétation, parce qu'il a attribué aux Arsacides un membre de phrase se rapportant au fondateur de la dynastie sassanide qui est connu sous le nom d'Ardeschir. Ceux qui savent l'arménien comprendront ces remarques.

[38] Cosaros ou Cosaro, comme ce nom se voit plusieurs fois dans la suite, n'est autre que Khosrov le Grand, de qui il a été parlé dans une note précédente.

[39] La Chron. arm. nomme les Lekhs, les Lecs, les Osses et les Khazirs : ainsi les Lekhs sont ici ajoutés au géorgien. Suivant Agathange : « Cosro, roi d'Arménie, rassembla une armée d'Albaniens et d'Ibériens entre les portes des Alains et celle nommée Tour de Zouar, et en fit venir des troupes de Huns, pour qu'ils fondissent sur la Perse. » Bolland, Vit. Sanctorum, septembre, t. VIII, p. 325.

[40] Ici le texte le nomme Cousarou; je remarque cette variante parce qu'en crée elle donne le génitif de Cousaros, et pourrait peut-être faire supposer que l'Annaliste a puisé à une source grecque, ce que prouvent déjà subsidiairement le titre de Logothète, donné ci-desus au père de Séphélia, femme du roi Rew, et le nom de Protatos donné aux soldats d'Alexandre, ainsi que tous les noms terminés en os des patriarches de la nation géorgienne.

[41] Ainsi que je l'ai dit plus haut, Khosrov fit, dès la première année de son règne, une expédition au-delà du Caucase, dont le résultat fut pour lui une victoire complète sur les peuples du N., qui avaient causé la mort de son père. Sans doute la terreur de son nom laissa des impressions durables, puisque, lorsqu'il fut en lutte ouverte avec Ardéchir Babégan, le meurtrier du dernier roi Arsacide de Perse, on le voit, en 245, réclamer et obtenir le secours des Aghovans, des Lphnik, des Djighphk, des Caspieru et d'autres nations voisines de l'Arménie, avec lesquelles il battit son ennemi et le força à se réfugier jusque dans l'Inde ; Tchamitch, Hist. d'Arm. t. I, p. 359, 364. Moïse de Khoren ni Asolik, cités par le compilateur de l'Histoire d'Arménie, ne donnent pas les noms des nations ici énumérées, que le savant auteur a sans doute trouvés dans d'autres sources, à moi inconnues. En tout cas, c'est bien certainement à cette époque des guerres de Khosrov-le-Grand contre Ardéchir que se rapporte le texte des Annales, objet de cette note. Toutefois la chronologie ne s'accorde point des deux côtés, puisque Khosrov régna, suivant Tchamitch, 214 — 259 de J. C., ou, suivant M S.-Martin, 198 — 232. Je ne puis que réitérer ce que j'ai déjà plusieurs fois dit en pareille rencontre, c'est que les calculs de Wakhoucht sont trop arbitraires dans le détail de la durée des règnes, pour qu'on ne puisse se permettre d'y faire les modifications exigées par la critique.

[42] Ou peut-être « les peuples du N. ci-dessus mentionnés; » car le sujet de la phrase est sous-entendu.

[43] Les manuscrits aj. « rois Arsacides ». La Chron. arm. dit seulement; « les rois Pharnawazides, dont on compte 28 depuis Alexandre. » Qu'il y ait eu 28 rois, à partir de P’harnavaz, c'est ce qu'il est facile de voir par la liste même, puisque cinq règnes ont été doubles. Mékhithar d'Aïrivank, auteur arménien inédit, de la fin du XIIIe siècle, donne les noms suivants aux rois de Géorgie, jusqu'à l'époque où nous sommes parvenus :

1. Pharnavaz,                         6. Artac,                 12. Barton et Kartham,                        20. Hamazasp,

2. Sarmac ou Sourmac,          7. Barton,               11. Azonc et Azmaïer,                         21. Vroïn (Rew)

3. Mrvan,                               8. Mrvan,               16. Hamazasp et Dérouc,                     22. Vatché,

4. Pharnadchom,                   9. Arbac,                18. Pharsman et Mihrdat,                    23. Aspagour.

5. Arbac,                                10. Atric, sous lequel naquit J. C.,        19. Admi,

A la manière dont les noms sont écrits, on voit qu'ils sont tirés d'une source analogue à la Chronique arménienne, plus les omissions signalées dans cet ouvrage. Sont omis : Caos et Pharsman I, qui ne sont pas nommés directement dans la Chronique ; Pharsman III, Bacour Ier et Mihrdat II, également passes sous silence dans cet ouvrage. Je n'en conclus pas encore que la Chronique arménienne existât à l'époque de Mékhithar d'Aïrivank, mais je remarque ici que, dans un article du Journal Asiatique de Paris, février 1838, p. 397, est annoncée « une histoire de Géorgie en arménien, écrite depuis sept siècles, quoique récemment découverte. » C'est donc là qu'aura pu puiser Mékhithar d'Aïrivank, si le fait est vrai. Je me réserve de parler plus en détail, à la fin du règne de David-le-Réparateur, de cet ouvrage, dont j'ai vu une copie, faite entre, l'an 1279 et 1311.

[44] Elles durèrent 10 ans, suivant la Chron. arm. Tchamitch signale en effet un pareil intervalle rempli par des combats fréquents, dans les années 234 — 245, entre les deux souverains. A la première de ces dates, Khosrov, secondé par les troupes romaines, conduites par l'empereur Alexandre fils de Marnée, avait remporté un grand avantage sur son rival, aux confins de la Perse ; à la seconde, il relança, ainsi que je l'ai dit précédemment, Ardéchir, jusque dans l'Inde. Moïse de Khoren ne dit pas précisément que les Géorgiens fussent comme auxiliaires dars l'armée arménienne, il parle seulement, en termes vagues, des nations septentrionales ; Hist. d'Arm. t. I, p. 364 ; Mos. Khor. l. II, c. 70, éd. Whist.

[45] Les mthawars ou thawads étaient, en Géorgie, les grands propriétaires de domaines fonciers, les princes; les patiakch, des gouverneurs de provinces : ce titre est tout arménien, et répond directement à l'éristhaw. Il y a donc ici tautologie, ou plutôt l'un des deux mots explique l'autre.

[46] Moïse de Khoren, l. II, chap. 70, dit que ce fut Artachir lui-même, qui excita ses grands à le défaire de Khosrov, fût-ce par le fer ou par le poison. Anac, qui se chargea de cette coupable entreprise, était Arsacide et membre de la famille Sourénide. Pour comprendre ce que c'était que cette famille, il faut se rappeler ce que dit le même auteur (ib. ch. 65) : Archavir, roi Arsacide de Perse, qui régnait environ 50 ans av. J. C., eut trois fils, Artachès, Caren et Souren, et une fille, nommée Cochm. Artachès succéda à son père ; mais pour dédommager ses frères et sa sœur, il leur donna des apanages et des titres marquant leur origine royale. Il nomma donc leurs familles, Caréni-Pahlav, Souréni-Pahlav, et Aspahapéti-Pahlav, parce que le mari de sa sœur était général de la cavalerie. Quand Artachir, fils de Sassan, eut fait périr le roi Artavan, dernier descendant d'Arlachès Arsacide, les familles Aspahapétide et Sourénide embrassèrent le parti de l'usurpateur ; les Carénides seuls lui résistèrent, mais ils furent massacrés, à la réserve d'un enfant, qui fut plus tard le fondateur de la famille Camsaracane. Pour Anac, il vint dans l'Aderbijan, à travers les monts Gordyens, poursuivi par les Perses. Le roi Khosrov, alors dans la province d'Outi, croyant que c'étaient les Carénides qui se réfugiaient auprès de lui, alla à sa rencontre et lui donna pour résidence le district d'Artaz, où Anac exécuta son projet contre lui, durant une partie de chasse. Toute la famille de l'assassin périt, à la réserve d'un enfant, depuis, S. Grégoire l'illuminateur, dont la mère l'avait conçu en Arménie même, non loin du tombeau de l'apôtre S. Thaddée ; Mos. Khor. l. II, c. 71. Le roi Trdat, successeur de Khosro, après 27 ans d'interrègne, sut plus tard que S. Grégoire était fils d'Anac (ib. c. 79) : ce fut là sans doute le motif pour lequel il le persécuta si cruellement.

[47] Quoique ces détails manquent chez Moïse de Khoren, qui donne seulement les indications transcrites dans la note précédente, Tchamitch dit qu'en effet Anac rencontra le roi Khosrov dans la ville de Khaghkhagh, de la province d'Outi ; Hist. d'Arm. t. II, p. 366 ; et Indjidj, dans son Arm. Anc. p. 344, cite des passages qui prouvent que la ville de Khaghkhagh était une résidence d'hiver des rois d'Arménie. Cette partie de l'Outi porta plus tard le nom de Qarabagh, aujourd'hui district d'Elisavetpol.

[48] Littér. « dans la ville, » i. e. dans la cité d'Ararat.

[49] Ce meurtre eut lieu dans la 3e année après l'arrivée d'Anac ; la Chron. arm. dit « un an après ».

[50] J'ai traduit par le pluriel, pour me conformer aux indications de Tchamitch (I, 366), de qui le récit est entièrement conforme à celui-ci.

[51] Moïse de Khoren ne parle en effet que d'un seul enfant sauvé, qui fut conduit à Césarée : c'était le futur S. Grégoire l’illuminateur, âgé d'environ deux ans. Mais Tchamitch, loc. cit., en ajoute un second, Souren, qui fut conduit en Perse, et qui était frère du saint.

[52] En 265 de J. C., 17 du 12e cycle ; Khosrov était mort, ainsi qu'on l'a dit, en 259, ainsi Asphagour ne put être son contemporain, mais l'extrait des auteurs arméniens, que l'on vient de lire, ayant été introduit de toutes pièces dans les Annales, ou le rédacteur aura fait une faute de chronologie, ou Wakhoucht a mal calculé ses dates et la durée des règnes.

[53] Chr. arm. « le fils de sa servante ; » cela veut dire que Mirian avait pour mère non la principale femme, mais une des concubines du roi de Perse.

[54] A ces noms la Chron. arm. ajoute ceux des Alains et des Sones on Souanes, car c'est ainsi que les Arméniens appellent ce dernier peuple. J'ai retrouvé celle orthographe dans deux manuscrits de l'ouvrage de Stéfanos Orbélian.

[55] Abéboura, dans la Chron. arm. Suivant Wakhoucht, cette princesse était aussi en bas âge.

[56] Cette dernière phrase me paraît indiquer que ce qui précède a élé écrit par un chrétien, qui a terminé ici sa relation, et que la suite est d'un autre auteur, notamment la Vie de Mirian.

[57] Wakhoucht le fait monter sur le trône l'année même de la mort d'Asphagour, 4214 ou 5773 du monde, 265 de J. C., 17 du 12e cycle, 13e indiction.

[58] Cette indication de § manque au texte, mais j'ai cru devoir l'ajouter, parce que le texte est naturellement divisé en chapitres, par des titres particuliers.

[59] Après la mort de Khosrov le Grand, il y eut dans l'Arménie un interrègne de 27 ans, jusqu'en 286, époque où Trdat monta sur le trône.

[60] Dans la Chron. arm. cinq mille, erreur facile à expliquer par la confusion des lettres numérales.

[61] Je pense que par ce mot il faut entendre les passages, tels que celui de Dariéla, de Derbend et autres conduisant du N. dans le S.

[62] Tchamitch, Hist. d'Arm. t. I, p. 368, sq., s'exprime de la même manière sur la tolérance montrée par Artachir à l'égard des Arméniens, qu'il laissa suivre un culte mélangé de magisme et d'idolâtrie.

[63] Celles de Galz et, Gaïm, élevées par Azon ; d'Armaz, par le roi Pharnawaz ; d'Aïnina et Danana, par Saourmag ; de Zaden, par Pharnadjom ; d'Aphrodite, par Kew et sa femme. Les Arméniens qui, dans l'antiquité, avaient sur la Géorgie une influence politique et morale historiquement prouvée, adoraient aussi spécialement sept idoles : Aramazd, le plus puissant des dieux ; Vahagn, ou Hercule, fils d'Aramazd ; dans certaines parties de l'Arménie, on le regardait comme fils et successeur du roi Tigrane, dont le règne paraît se rapporter aux années 520 — 493 av. J. C. ; Apollon, fils aussi d'Aramazd et inventeur de la poésie ; Héphaïstos, ou Vulcain ; Anahit, Artémid ou Diane ; Nané, Athéna, ou Minerve ; Astghic, Aphrodite, ou Vénus, dont le premier nom signifie « petit astre, parce que sur sa tête on figurait ordinairement une étoile. Les autres divinités honorées en Arménie étaient : Démétré, et Disané, ou Cérès et Bacchus, venues de l'Inde ; Bel et Barcham, de Syrie ; Nabok, Bathnikaz et Tharatha, d'Arabie et de Syrie ; enfin le soleil et la lune, dont le culte venait de la Perse. Entre tous ces dieux, Vahagn avait seul une origine arménienne : au dire de Moïse de Khoren, l. I, ch. 31, les Ibériens lui avaient aussi érigé une statue à laquelle ils offraient des sacrifices. Ces renseignements sont tirés d'une note fort intéressante de Tchamitch, Hist. d'Arm. t. I, p. 618 — 620), qu'il serait trop long de discuter ici. Cf. S.-Martin, Mém. t. I, p. 306.

[64] Conséquemment en 273 de J. C.

[65] Chron. arm. « Anna, fille d'Oulitos ; » on peut lire aussi Oulitorh.

[66] Conséquemment en 298 de J C. Or Artachir Babégan, après 43 ans de règne, eut pour collègue son fils Sapor 1er, pendant 15 ans, 270 — 283, après quoi il mourut, et Sapor lui succéda pendant huit ans, jusqu'en 293 : ainsi ni les noms ni les dates ne concordent avec l'annaliste géorgien. Quelle que soit la cause de cette erreur, il fallait la constater. A Sapor succéda Nerseh, pendant 9 ans, jusqu'en 302 : Ormizd, 3 ans, et avec lui Sapor II, jusqu'en 318 ; enfin Sapor II seul, jusqu'en 388. J'ai réuni ces indications pour qu'elles servent de point de repère durant le long règne du roi Mirian.

[67] Bagdad n'ayant été fondé qu'au Ville siècle de l'ère chrétienne, par le khalife Mansour, cette indication doit être rangée parmi les anachronismes géographiques dont les annales géorgiennes sont pleines. Toutefois ces anachronismes peuvent s'expliquer par ceci, que l'auteur, non contemporain, veut seulement préciser les indications, en disant que tel fait s'est passé au lieu nommé maintenant de telle manière.

[68] La Chron. arm. ajoute ; « et cela lui avait été assuré par un écrit de son père. »

[69] Mon manuscrit porte « par la route de l'occident ; » mais la Chron. arm. est d'accord avec la leçon des manuscrits R T. D'ailleurs on a déjà vu une expression semblable, qui montre que les Osses entraient dans la Géorgie par la vallée du haut Liakhwi.

[70] Je n'ai pas besoin de dire qu'aucun auteur ne parle ni de la contestation entre Mirian et Bartam, ni du singulier partage qui en fut la suite. Ainsi que je l'ai dit, Chapon ou Sapor Ier, après avoir été d'abord le collègue de son père, lui succéda sans contestation.

[71] Moïse de Khoren (l. II, ch. 76) parle en effet, en passant, d'une guerre entre l'empereur Probus et les Goths, durant laquelle Trdat se distingua : c'était en 281. En 284, il soutint en personne un combat contre le roi des Goths, nommé Hrtché, qui fut pris, et la guerre terminée (v. Tchamitch, t. I, p. 370, 372) : ce dernier trait de bravoure eut lieu dans la première année de Dioclétien, deux ans avant la mort d'Artachir, contre qui ce prince était venu faire la guerre. L'annaliste géorgien s'est donc trompé de nouveau.

[72] Ce dernier membre de phrase manque au manuscrit T.

[73] Selon Moïse de Khoren (l. II, ch. 79), Trdat commença à régner en l'an 3 de Dioclétien, donc en 287. Si Mirian était âgé de plus de 40 ans lors de ces événements, et qu'il soit monté sur le trône réellement dans sa septième année, comme l'a dit l'Annaliste, son avènement devrait donc être reporté au moins en 240 de J. C. : ainsi les indications précédentes de l'auteur géorgien devraient toutes être rectifiées

[74] J'avoue que celle phrase est très ambiguë, et que l'on ne peut la traduire qu'au moyen du passage correspondant de la Chron. arm., sans quoi le sens serait tout à fait contraire.

[75] Il n'y a pas un seul mot dans l'histoire d'Arménie sur les luttes de Trdat et de Mirian; mais Moïse de Khoren (l. II, ch. 79, 81, 82) raconte en détail les exploits du roi d'Arménie et ses campagnes contre les peuples septentrionaux, ainsi que contre les Aghovans. Suivant la chronologie de Tchamitch (t. III, p. 377 — 379), Trdat employa l'année 287 à reconquérir ses provinces d'Arménie, gouvernées par des officiers persans ; l'année suivante, il poussa ses conquêtes dans la Syrie et la Mésopotamie, jusqu'à Tisbon ou Ctésiphon, alors capitale de la Perse, et remporta deux victoires signalées sur Chapouh I. En 290 Trdat, opposant aux troupes innombrables du roi de Perse ses soldats arméniens et des renforts qu'il avait fait venir de la Géorgie et de l'Albanie, défit si complètement son ennemi, qu'il n'eut plus ensuite qu'à s'occuper de l'organisation de son royaume. Là, parmi les contrées obéissant à Trdat, l'historien parle encore expressément de la Géorgie, de l'Albanie, des Mazkouth ou Massagètes. Ces renseignements ne se trouvent ni dans Moïse de Khoren, ni chez Vardan, Asolic, Zénob-Glac : ils sont sans doute tirés de quelque source que je n'ai point à ma disposition. Pour que la Géorgie fut alors soumise à Trdat, il «lui certainement y avoir guerre entre ce prince et Mirian : cela suffit pour justifier les dires de l'annaliste géorgien.

[76] C'est le même nom que l'on a vu précédemment, sous les formes Barlo ou Barton. La Chron. Arm. dit que Bartam était un « second frère de Mirian. » Le nouveau roi de Perse sera nommé Khosro, p. 78. Suivant les tables du P. Tchamitch, c'était alors Chapouh II, qui régnait en Perse. Il occupa seul le trône durant 70 ans, 319 — 388.

[77] D'après la Chron. arm. Constantin se fit chrétien par suite d'un songe; Moïse de Khoren, sans donner d'autres détails, émet la même opinion, l. II, ch. 80 ; ces autorités sont à ajouter à celles alléguées par Lebeau, Hist. du Bas-Emp. n. éd. t. I, p. 92.

[78] Plus loin, il sera dit que cette bataille eut lieu à Andziandzor.

[79] Il a été dit plus haut que le roi de Perse était neveu de Mirian: c'est la Chron. arm. qui le nomme frère du roi de Géorgie.

[80] Ces événements se passent, comme on le voit, sous le second successeur d'Artachir, i, e. sous Nerseh, qui régna jusqu'en 302 ; mais comme Constantin s'était fait chrétien, avant de livrer bataille aux Perses, nous devons reculer au moins jusqu'en 312, sous le règne de Chapouh II. Or depuis les faits racontés, je ne vois nulle part mentionné aucune nouvelle entreprise, de la part du roi de Perse, ni contre Trdat, ni contre les possessions romaines ; rien aussi ne tend à faire croire que le roi de Géorgie se fût détaché de l'Arménie.

Il est probable que l'auteur géorgien a en vue une autre incursion de Chapouh, qui arriva plus tard, en 318, selon la chronologie de Tchamitch. Trdat avait formé le projet de se rendre à Rome pour s'allier plus étroitement avec Constantin, lorsqu'étant arrivé a Mandzcert il apprend par un message de Mihran, prince ou chef de la Géorgie, que les peuples du N., soulevés par Chapouh, sont entrés dans son pays, y ont enlevé 48.000 prisonniers et l'ont relancé lui-même jusqu'à Carin: dans ces circonstances Mibran réclamait l'assistance de Trdat. Celui-ci revint sur ses pas, et envoya au secours du prince géorgien 30.000 hommes, sous la conduite du commandant de l'Apahounik, qui, aprèc un mois de marche, réussit à atteindre l'ennemi et à lui reprendre une partie des prisonniers. Trdat lui-même se porta l'année suivante, 319, dans le canton des Gargaratsik, que l'on croit être aux environs de Barda (Indjidj, Arm. anc. p. 342), où il livra un sanglant combat aux. Barsiliens et tua leur roi Gedrhion, de sa propre main. Il poursuivit ces barbares jusqu'au delà du Caucase, dans le pays des Huns, et n'en revint que pour marcher contre Chapouh : parmi les quatre généraux qui commandèrent son armée, le premier était Mihran, chef de la Géorgie, alors converti, comme Trdat, au christianisme, Mos. Khor. éd. 1827, l. II ; c. 81, 85 ; Zénob-Glac. éd. 1832, p. 40 ; Tchamitch, I, 407, sqq. Rien, dans tout cela, ne prouve que le roi de Géorgie ait fait aucune tentative contre les états romains, de concert avec le roi de Perse, mais c'est tout ce que j'ai pu trouver d'événements militaires pour l'époque dont il s'agit.

[81] Dans la Chron. arm. Réoun.

[82] Serait-ce à l'époque de cette alliance de Mirian avec l'empereur Constantin, quelle qu'en ait été la cause, que se rapporte la guerre entreprise par Mihran et Trdat contre le roi de Perse, et dont j'ai parlé plus haut ?

[83] Ville du Cakheth, plus connue sous le nom d'Oudjarma.

[84] Cette phrase manque dans le manuscrit T ; dans le manuscrit R elle a été mise en marge, d'une autre main, et au lieu de 331 on lit 338. D'après Wakhoucht, p. 29, ce fut en 4-263 ou 5922 du monde, 314 de J. C., 66 du 12e cycle, le 5 d'août, que Ste Nino vint à Mtzkhétha. = Comme, du reste, on va voir dans la Vie de Ste Nino, toutes les dates nécessaires pour fixer la chronologie de l'histoire religieuse de la Géorgie, et qu'évidemment la phrase objet de cette note n'est elle-même qu'une note qui, de la marge, a été intercalée dans le texte, je m'abstiens ici de toute discussion.

[85] On se rappellera ici qu'outre la prédication de S. André, dont l'histoire a été racontée sous le roi Aderc, le pape Clément ayant été exilé à Cherson, sous Trajan, en l'année 100 de J-C., les Ibériens avaient reçu de lui la connaissance du christianisme. Baronius, Ann. Eccles. t. II, p. 4, Ven. 1706, 7, rapporte ce fait d'après S. Irénée, presque contemporain du fait, qui dit que dès-lors on mentionne les églises d'Ibérie. L'annaliste géorgien a dit aussi, p. 37, que le roi Rew connaissait et honorait la religion chrétienne. J'ajouterai encore que ni les Arméniens ni les Géorgiens ne donnent à Ste Nino le titre de captive, que lui attribuent plusieurs auteurs ecclésiastiques ; c'est elle-même qui se fit passer pour telle, par humilité (v. infra, p. 53). Il me paraît également probable que son nom, en arménien Nouné, est formé du latin Nonna, signifiant « une religieuse, une nonne ; » v. Platon Iosélian, 1843, p. 8, n. 13.

[86] Ce saint souffrit le martyre dans la grande persécution de Dioclétien, avant la fin du IIIe siècle de J. C. ; v. Ménologe grec, 23 avril ; il ne faut pas le confondre avec un autre personnage du même nom, qui fut massacré par les païens d'Alexandrie, où il avait remplacé S. Athanase, en 356, et de qui la mort arriva sous Julien l'Apostat. Baillet, Vie des Saints, t. I, p. 304 ; t. II, p. 49.

[87] Mon manuscrit et Wakhoucht, p. 30, donnent la leçon que j'ai admise. On trouve Zaboulon dans le manuscrit R.

[88] Wakhoucht écrit Costra et la Chron. arm. Clostala : peut-être la ville de Colonée ou Colosse.

[89] Mon manuscrit porte seulement ; « ayant confiance dans la sainte résurrection, » par où il faut entendre l'église de ce nom, à Jérusalem, comme l'explique formellement le manuscrit R.

[90] Wakhoucht écrit Niaphora, avec les mêmes attributs qu'ici ; la Chron. arm. écrit simplement Niaphor Béthlémite. Je fais cette remarque, parce qu'il est difficile de décider s'il faut rapporter Sara au mot qui précède, pour en faire un nom double ou composé, ou au suivant, pour en obtenir l'adjectif ethnique « Sara-Béthlémite. Niaphor me paraît le nom grec Néophore, mais Sara est un nom de femme, et cependant rien ne nous aide dans la suite du texte à déterminer le sexe de la personne dont il s'agit. M. Platon Iosélian, sans se préoccuper du mot Niaphor, dit que Ste Nino se mit au service d'une religieuse attachée au temple de la Résurrection, nommée Sara Béthlémite : ainsi il décide la question, mais sans exposé de motifs. Le même, dans un autre article sur le même sujet, appelle Sarra-Niaphora « une vieille femme craignant Dieu ».

[91] Le texte de cette phrase est tellement incomplet, qu'on ne peut y donner de sens, et que j'ai ajouté les mots soulignés. On pourrait encore lire : « Malheur à nos parents, fruits d'amertume et qui habitaient dans les ténèbres! » Le nœud de la difficulté est dans le mot qui peut être l'abréviation de comme, ou l'interjection malheur ! Or, malheureusement, il porte ici le signe d'abréviation.

[92] Ici tous les manuscrits portent Zaboulon.

[93] Mon manuscrit porte Gardadja.

[94] Mon manuscrit : Khinidchraga.

[95] Je crois, dit Wakhoucht, p. 30, que les Brandj sont les habitants de Barcelone, en Catalogne, province d'Espagne. En effet Brandj, suivant la prononciation géorgienne, ressemble au nom de Bartzalona (Barcelone) suivant celle du pays; et Patalan donne, à une lettre près, celui de Cataloni. Il y a aussi là un fleuve profond, coulant dans la plaine de Patalan ou Cataloni, et les Barghouz, qui demeurent là, sont nos Brandj. Quoique cette réflexion et les détails géographiques donnés par le texte me paraissent étranges, je me vois hors d'état d'y rien substituer de plus satisfaisant. Voyez pourtant, dans l'Hist du Bas-Empire, t. I, p. 42 et 43, les victoires remportées par Constantin sur les Francs, qui avaient traversé le Rhin pour entrer sur les terres de l'Empire, en 306 ; deux rois francs furent pris et livrée aux bêtes, la masse de la nation s'enfuit au-delà du fleuve.

[96] L'Art de vérifier les dates n'indique pour cette époque aucun patriarche de Jérusalem, du nom de Juvénal, mais bien Zabdas 298 — 302 ; Hermon, jusqu'en 313 ; Macaire, jusqu'en 331. Un Juvénal siégea pourtant de 428 à 458, mais évidemment il n'est pas question de lui ici.

[97] Signifie proprement « le baptême. » Depuis ma seconde naissance par le saint baptême, je péchais devant ta divinité ...» Et encore dans le Code géorgien (manuscrit de la Bibl. Royale de Paris), IIIe partie, § 152. 414, en parlant d'un infidèle. « Il n'a pas la grâce du saint baptême. » Dans une charte, il est employé avec le sens de « lieu où l'on baptise. » Bullet. histor.-philol. t. I, p. 322 ; ici enfin il est pris pour celui même qui confère le baptême. Je crois qu'il dérive du grec μβασις, μβσιον, bain ; v. Ducange, Dict. med. et inf. graecitatis.

[98] S'étant fait moine ou prêtre.

[99] Dans le manuscrit T. on lit ; « il répandit comme deux ruisseaux des yeux de son visage. »

[100] Comme la langue géorgienne n'a pas de genres, et que ce nom n'est pas connu d'ailleurs, ce n'est que par induction que j'écris « Arménienne. »

[101] Peut-être faudrait-il traduire « des soldats, » mais le sens ne va pas.

[102] Au lieu de ce discours, la Chron. arm. se contente de rapporter les faits relatifs aux vêtements du Sauveur, et ajoute les détails suivants : «Les bandelettes du Sauveur furent demandées par la femme de Pilate, qui crut en J. C. et alla dans le Pont, sa patrie ; après quoi elles tombèrent dans les mains de l'Evangéliste S. Luc, qui sait ce qu'il en a fait. »

[103] Ce mot semble être un nom propre, désignant un peuple alors maitre-de la Géorgie. Mais comme on ne connaît pas de nom de peuple de cette espèce, il est permis de chercher une autre explication. En arménien ce mot signifie « fort, vigoureux ; » ne serait-ce pas là l'origine du mot oujic, indiquant peut-être ici la tyrannie des démons, dont le culte prévalait alors en Géorgie? Je dois dire pourtant que les Oujics sont nommés immédiatement après les Mèdes et avant les Eliméens (Act. ap. cap. II, v. 9}, dans les diverses éditions imprimées du Nouveau Testament, et même dans un manuscrit de l'an 1215, appartenant à M. Platon Iosélian, 1845. = Soulkhan-Saba Orbélian, dans son dictionnaire « le Bouquet de mots, » explique « Oujiceth, Baghdad. » Un Géorgien m'a dit que les commentateurs géorgiens de l'Evangile nomment les Oujics Chaldéens. Je ne sais jusqu'à quel point ces explications sont fondées.

[104] L'Impératrice Hélène embrassa le christianisme en même temps que son fils, en 312, après l’apparition de la croix. J'ignore quand elle fut baptisée.

[105] Ces mots ne signifient point que Ste Nino soit allée à Rome même, ni que les autres saintes femmes y résidassent. Au reste le texte grec d'Agathange n'est pas non plus formel à ce sujet ; on peut difficilement supposer que S. Rhipsime et ses compagnes aient réussi à s'échapper secrètement de Rome et à arriver ainsi jusqu'en Arménie. D'ailleurs, dans sa lettre au roi Trdat, qu'on verra plus bas, l'empereur dit : « On ne trouverait pas la pareille de cette femme au pays des Ioniens, » ibid. P. 122; cela prouve que Rhipsime avait été découverte en Ionie, ou plutôt en Grèce (Agath. op. cit. p. 351).

[106] Le texte dit une reine, la plupart des auteurs arméniens et autres donnent ce titre à S. Rhiphsimé et parlent de la noblesse de sa race. Rolland., Vit. Sanct. sept., t. VIII, 30 sept. ; Martyrolog. Usuardi, 26 sept.

[107] Dans la Chron. arm. « Au couvent de Poghos, où demeuraient 300 vierges. »

[108] De soixante-dix personnes, suivant les auteurs arméniens. Plus bas il sera dit qu'elles s'enfuirent, au nombre de 53.

[109] Cette circonstance n'est pas mentionnée, comme on le pense bien, par les auteurs arméniens.

[110] Wakhoucht fait remarquer, d'après Baronius, que l'empereur Maximien, était fort dissolu dans ses mœurs ; à cela Fleury ajoute, dans son Histoire de l'église, t. III, que cet empereur faisait en effet chercher des femmes par les ministres de ses débauches, et ne respectait alors ni les rangs, ni la qualité, ni même les engagements antérieurs de celles qui avaient eu le malheur de lui plaire. Agathange et les autres autorités arméniennes attribuent à l'empereur Dioclétien la recherche de Ste Rhipsimé ; Tchamitch, Hist d'Arm. t. I, p. 379.

[111] Soixante-dix ; Tchamitch, I, 380.

[112] Tchamitch, I, 380, dit qu'elles arrivèrent aux environs de Vagharchapat : cette ville étant aussi nommée en arménien Nor-Kaghak, on comprend pourquoi l'auteur géorgien a pu écrire « au lieu dit Ville-Neuve, » mais ce qu'il ajoute, « que cette ville est Dovin, » est un commentaire erroné, puisque Dovin n'a jamais été appelé de la sorte, et que la fondation ou plutôt la restauration en est attribuée au roi Khosrov II, en 350 de J. C. ; v. Indjidj, Armén. anc. p. 464.

[113] Tous ces détails sont évidemment copiés des historiens arméniens et notamment d'Agathange. Le P. Stilting, dans son excellente dissertation Sur la chronologie d'Agathange, suppose que le martyre des deux saintes, la conversion de Trdat et de l'Arménie, doivent avoir eu lieu entre 305 et 310 ; Bolland., Vit. Sanctorum, septbr., t. VIII, p. 318, sqq. ; Asolic, l. II, c. 2, dit entre autres que le nouveau calendrier arménien fut fixé en l'an 553 de J. C., 242 ans après la conversion de l'Arménie au christianisme, par où il montre que, suivant son calcul, cette conversion eut lieu en l'an 311 de l'ère chrétienne. Quant à la chronologie des faits, elle est fort difficile à établir. Tchamitch raconte le martyre de Ste Riphsimé et de 33 de ses compagnes, en l'an 301, le 5 octobre, sainte Gaïané et deux autres furent mises à mort le lendemain; Hist. d'Arm. t. I, p. 383 : voyez au même lieu les variantes en ce qui concerne le mois et le quantième. Baronius (Ann. Eccl. l. III) rapporte ces faits à l'année 311, et la conversion du roi Trdat à l'année 315. De son côté M. Saint-Martin a cru devoir avancer d'une trentaine d'années et la conversion du roi d'Arménie (en l'an 276), et par conséquent les faits qui s'y rattachent. Le fondement de cette détermination se trouve dans le t. 1er de la nouvelle édition de l'Histoire du Bas-Empire, p. 76, mais déjà le savant français avait employé son nouveau calcul dans son Précis d'histoire d'Arménie et dans les tables des rois et patriarches, à la fin du tome 1er de ses Mémoires. Comme cet illustre critique n'a rien publié de complet sur la question, je n'ose point admettre un tel bouleversement dans les Annales ; outre que je ne suis pas en état de critiquer les faits en connaissance de cause, je ne veux point me lancer dans des recherches accessoires qui me détourneraient pour longtemps de mon but. Je crois d'ailleurs que les calculs de Tchamitch concordent mieux avec ce que nous savons des synchronismes de l'histoire d'Arménie et des empereurs romains, et notamment, que Trdat devint roi dans la 3e année de Dioclétien (Mos. Khor. l. II, ch. 82, éd. Ven. 1827), c'est-à-dire en 286. = Le changement de Trdat en sanglier, raconté par Agathange, me paraît être une explication allégorique des effets moraux produits sur ce prince par le remords du crime commis si injustement sur les saintes femmes, objets d'abord de sa lubricité, puis victimes de sa fureur ; cf. Tchamitch, I, 385, et note, p. 622.

[114] Il y a dans cette phrase et dans la suivante quelque chose d'embarrassé, qui disparaît dans la rédaction, bien plus logique, de la Chron. arm.

[115] Le manuscrit T porte : « Mais il ou elle se leva et alla au N. »

[116] Je ne vois dans toute la géographie de la Géorgie et de l'Arménie aucun nom ressemblant à celui de cette localité. — La Chron. arm. porte : « à Ourbanis, en Arménie. »

[117] Dans la Chron. arm. « vers la mer de Pharhnav ; » c'est le lac nommé encore Paravan ; celui que Wakhoucht, par un renversement de lettres, appelle Phanawar ; qui enfin sur certaines cartes est désigné sous la forme de Tapararan. Il en sort en effet une rivière, appelée par Wakhoucht le Mtcouar du Djawakheth ; v. Géogr. de la Gé. p. 97, 163.

[118] C. à d. dans le lieu où étaient les temples de ces divinités.

[119] Dans la Chron. arm. « de Darba, de Lrbnik et de la grande ville de Mtzkhétha. » — Des localités ici nommées dans le texte, quelques-unes sont bien connues : pour Saphourtzlé et Kindzara, v. la Géogr. de la Géorgie, p. 473, elles sont au voisinage de Moukhran. Rabat, ou Darba du texte arménien m'est entièrement inconnue d'ailleurs. Elarbik ou Lrbnik a la plus grande ressemblance avec le nom des Lphnik, peuplade aghovane, dont je crois avoir retrouvé le nom dans celui de la Lopolis-Tsqal, affluent gauche du haut Alazan, et que tous les érudits européens croient être les Lubieni de Pline ; v. le texte grec d'Agathange. Bolland. Vit. Sanctorum, sept. t. VIII, p. 385, et les notes du P. Stilting. L'on sera d'autant moins étonné de voir des bergers venus de si loin stationner autour du Pharawan, que la même chose avait encore lieu, notamment pour les peuplades du Cakheth, l'ancienne Aghovanie du temps de Wakhoucht, Géogr. de la Gé. p. 163 ; même aujourd'hui, les pasteurs cakhes et thouches conduisent là leurs innombrables troupeaux de chèvres, durant l'été, et les ramènent, à la fin de l'automne, dans les chaudes vallées de leur pays. J'ai été témoin de l'une de ces migrations.

[120] Le Mtcouar du Djawakheth se jetant dans le véritable Mtcouar, à Kherthwis, les pasteurs arméniens pouvaient dire en effet que cette rivière traverse Mtzkhétha, ainsi qu'on l'a vu plus haut dans le texte. D'ailleurs la distance se trouve être à peu près égale, entre le lac Pharawan et Cola, où les géographes géorgiens, arméniens et turcs, placent la vraie source du fleuve.

[121] Je ne sais s'il ne faudrait pas lire « ayant les cheveux pendants. »

[122] Voyez ce qu'ajouté ici la Chron. armén.

[123] Ce membre de phrase manque à R et à T.

[124] T. « Là où sera prêché cet Evangile du paradis, il sera parlé d'elle ou de lui dans tout l'univers. » Cette rédaction me paraît vicieuse, comme répétition du N. 1).

[125] Il est facile de reconnaître dans ces sentences des textes des divers Evangélistes, qu'il me paraît inutile de constater par des citations.

[126] Je ne regarderais pas comme invraisemblable que de ces deux mots abrégés se fût formé le nom même d'Ourbnis, qui alors signifierait « la rue ou le bourg des Juifs. » Les lieux nommés « Ouriani, Ouriaébi, Ouriath-Onbani, » ne sont pas rares en Géorgie, comme on le peut voir par la Table de la Géogr. de la Gé., par Wakhoucht : ainsi cette tradition historique, qui fait retrouver à Ourbnis une rue ou un faubourg des Juifs n'a rien d'extraordinaire.

[127] Je ne me charge pas d'expliquer la contradiction résultant de ce passage comparé à celui où il est dit, peu de lignes plus haut, que les Géorgiens adoraient le feu des mages. D'ailleurs on a vu, p. il, que l'idolâtrie et le magisme devaient exister concurremment, en Géorgie.

[128] Cf. p. 12, où il est dit qu'elle était d'argent, comme celle de Gaïm, dont il va être question ; la Chron. arm. s'accorde pourtant ici avec notre texte.

[129] J'ignore ce que peut signifier cette singulière phrase, et en quelle langue, puisque Juvénal était soi-disant Cappadocien.

[130] Suivant Wakhoucht, ceci arrivait le 6 août de l'an 314 de J. C., 66 du 12e cycle : je discuterai plus bas cette date, lorsque tous les détails de la vie de Ste Nino seront connus. Je me contenterai d'alléguer ici un passage de Cédrénus, l. I, p. 284 ; cet auteur, racontant les faits de la 20e année du règne de Constantin, par conséquent de l'an 326, fait concorder cette année avec 5838 du monde, et raconte dans le même § la tenue du concile de Nicée, la découverte de la croix et la conversion des Géorgiens et des Arméniens. Pour les deux premiers faits, Cédrénus est presque exact. Pour le troisième, la phrase est conçue de façon à montrer qu'il n'entend point en fixer la date, puisque l'on sait bien que les Arméniens ont été convertis avant les Géorgiens. Evidemment l'année mondaine est mal indiquée, et il faudrait 5834, ou plutôt, suivant le système de cet auteur, qui fait naître J. C. en 5506 du monde, 5832, pour répondre à la 20e année de Constantin. J'ai insisté sur ce fait, parce qu'il me paraît que le chiffre de 5838 aura pu donner lieu à l'erreur que l'on retrouvera plus bas, sur l'époque de la mort de Ste Nino.

[131] Il me semble que ceci n'est pas entièrement inexplicable, si l'on se rappelle ce que dit l'historien chaldéen Bérose, cité par Moïse de Khoren, t. I, ch. VI. Bérose désigne assez clairement Noc sous le nom de Ksisouthre ; Zérouan, l'un des fils de ce dernier, qui s'érigea en maître de ses frères, fut regardé plus tard par Zoroastre, comme le principe et le père des Dieux : les eaux de la mer où Ithroudjan faillit périr, suivant la tradition, encore plus altérée, des Géorgiens, seraient le déluge raconté par la Bible. Il y a, sans doute, beaucoup de confusion et d'incohérence dans tout cela, mais qu'est-ce que la mythologie grecque toute entière, sinon un mélange d'histoire et de fable, de mensonges et de vérités ? D'après mon opinion, Ksisouthre serait le même qu'Ithroudjan, et Zéronan, l'Ormuzd des Perses, qui, renversant les rôles dans une tradition imparfaitement connue, auront placé le fils au-dessus de son père.

[132] Sous les 7e et 9e rois, qui portèrent le nom de Bartam, on ne trouve aucune indication de ce genre.

[133] Il me semble que cette formule indique que l'année géorgienne commençait alors au mois de mars.

[134] « Prisonnier fait à la guerre. » Si les Actes de Ste Nino sont originaux, c'est peut-être de là que la tradition de sa captivité sera passée dans les livres des historiens ecclésiastiques.

[135] Ce nom chrétien confirme ce qui a été dit plus haut des progrès du christianisme en Géorgie, dès avant Ste Nino ; dans les manuscrits R et T il est écrit Anastaso, ou Anastasos, dans le manuscrit R

[136] Dans la Chron. arm., « un petit pin ».

[137] C’était à Ourbnis.

[138] Chron. arm. : « Entendant ceci et les grandes merveilles que Dieu avait faites à son père Tirdatios, la reine fut dans l'admiration et crut en J. C. La conversion de la reine, à cette époque sera infirmée plus bas, par un passage négatif du texte géorgien : aussi bien le traducteur arménien doit-il avoir ici en vue la princesse Salomé, femme de Rew.

[139] Ceci confirme la date assignée plus haut, à la soi-disant expédition du roi Mirian sur les terres de l'empire, aux environs de l'an 312.