Waltarius

ANONYME

 

WALTARIUS

autre traduction

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

WALTARIUS

GAUTIER D’AQUITAINE

TEXTE LATIN DU Xe SIÈCLE

Revu, traduit et annoté par Adrien Vendel

Membre correspondant.

QUELQUES MOTS SUR LE POEME ET SON AUTEUR.

Fauriel, au premier volume de son Histoire de la Poésie provençale, a revendiqué, pour la France du Midi, le poème latin qui chante Walther d'Aquitaine. Mais M. Geyder n'a pas eu de peine à réfuter ses assertions mal établies. Il nous suffira de constater que le principal argument de Fauriel, celui auquel il revient à trois reprises, repose sur une erreur de traduction des mots celtica lingua, sur un contresens si flagrant qu'on pourrait le croire prémédité pour les besoins de la cause.

Et, il y a quelques années (19 septembre 1890), un érudit bordelais, associé-correspondant de la Société des Antiquaires de France, a présenté à l'Académie des Inscriptions un mémoire dans lequel il affirme que le manuscrit parisien du Waltarius provient de l'abbaye de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), dont un moine, Géraud, serait l'auteur du poème. C'est dans un sentiment patriotique et, par haine pour les Francs et les Germains, que ce moine aquitain aurait célébré les exploits d'un prince aquitain.

N'ayant pu vérifier les assertions de M. G.-B., à qui j'ai vainement demandé communication des preuves qu'il devait avoir, je lui objecterai seulement que le patriotisme aquitain ne peut être intéressé aux exploits d'un prince... Visigoth. Car, au temps d'Attila, époque où se place l'action du poème, les Visigoths tenaient l'Aquitaine et l'Espagne, et le fils du roi Alpher, — si ce roi était un personnage historique, eût été un Visigoth de sang germain et non gallo-aquitain.

L'épopée incontestablement germanique des Nibelungen, où figurent deux des principaux personnages du Waltarius, Hagen et Gunther (sans compter Attila), ne fait même mention que d'un Walther d'Espagne, soit à l'avant-dernière strophe de l'Aventure XXVIII, soit à la strophe 2344 (Aventure XXXIX), où un vieux guerrier, se querellant avec Hagen, lui reproche son attitude passive dans le combat où le héros qui nous occupe extermina ses agresseurs Francs :

Des antwurte Hildebrant : « Zwiu verwizet ir mir daz? nu wer was der ufme schilde vor dem Waskensten saz do im con Spanje Walther so viel der friunde sluoc? »

Hildebrandt répondit: « Comment me reprochez-vous cela?

Qui était donc celui qui resta assis sur son bouclier devant le Wasgenstein,

Pendant que Walther d'Espagne lui tuait tant de ses amis? »

Le Nibelungenlied nous emporte un peu loin de l'abbaye de Fleury. Et il faut espérer que le patriotisme d'aucun érudit espagnol ne va s'émouvoir et revendiquer pour l'Espagne le poème qui chante Walther.

— Parlons sérieusement. Depuis sa découverte ou du moins sa première édition par le professeur Fischer, de Halle (1780), le Waltarius a été généralement considéré comme l'œuvre d'un ou de plusieurs moines allemands, lecteurs familiers de Virgile et des poètes latins de la décadence, de Prudence surtout. Nous verrons tout à l'heure que cette opinion est assise sur un faisceau de preuves solides.

Plusieurs commentateurs sont allés plus loin et ne voient, dans le poème latin qui nous reste, que l'imitation, presque la traduction d'un original allemand perdu, peut-être un de ces vieux chants héroïques que Charlemagne avait fait recueillir avec un soin pieux, et que son dévot fils laissa ou fit détruire. C'était la conviction du noble et regretté poète Scheffel, qui essaya même de nous rendre cet original en élaguant de sa restitution tous les traits de rhétorique latine dont les versificateurs en froc avaient cru embellir la vénérable légende primitive.

Qu'il ait existé, au xe siècle encore, un manuscrit allemand de l'histoire de Walther, rien ne défend de le croire, mais rien ne le prouve. Au moins n'y a-t-il guère lieu de douter que cette histoire se soit conservée oralement jusqu'à cette époque, soit dans les récite des veillées, soit dans des chants populaires. Et l'on pourrait y voir le canevas du Waltarius, dont le latin a gardé plus d'un germanisme, et dont l'auteur avait tellement présente à la mémoire, sinon sous les yeux, une narration en langue vulgaire, qu'il a maladroitement essayé d'en conserver un jeu de mots, lequel n'a plus de sel ni même de sens en latin (au vers 1351).

Si nous admettons cette origine, nous verrons dans le Waltarius une de ces légendes sans fondements historiques bien précis, où se complut la rêverie germanique, quand prirent fin les assauts livrés par le monde barbare au monde romain. Dans l'âge de pacification relative qui suivit la grande lutte, on se souvint des exploits des aïeux, on se plut à les célébrer, à les exalter, en mêlant les temps et les lieux, sans grand souci de la vérité chronologique et historique. Ce que la guerre de Troie avait été pour les Grecs, la conquête et le dépècement de l'Empire Romain le furent pour les Germains de toutes nations, une source presque inépuisable de récits guerriers, de retentissantes épopées. Mais on n'a presque rien conservé des poèmes qui furent chantés alors qu'une langue nationale ne s'était pas dégagée de la diversité des dialectes.

La légende de Walther aurait donc eu cette singulière fortune de périr sous sa forme populaire en langue allemande, pour revivre en langue latine sous une forme littéraire, et, selon l'ingénieuse expression de Wilhelm Bertz, elle ressemble, sous cette parure d'emprunt, à un Germain du temps de la grande migration des peuples affublé des dépouilles d'un Romain.

— Quel est l'auteur de cette transformation?

Le poème lui-même ne fournit pas d'indications certaines sur ce point intéressant; à la fin seulement, une comparaison avec la cigale qui n'a pas encore pris son essor nous apprend que le Waltarius fut composé par un jeune homme. Suivant les historiens de la littérature allemande, c'était un jeune moine de Saint-Gall, Ekkehard, premier du nom, lequel devint doyen de son couvent, conseiller d'Othon-le-Grand, et mourut en 973.

Voici, en effet, ce qu'écrivait sur lui le principal auteur de l'inappréciable Chronique intitulée: Carus sancti Galli, Ekkehard IV, moine de Saint-Gall, mort vers 1000 :

Scripsit et in scholis metrice magistro, vacillanter quidem, quia in affectione, non in habitu, erat puer, vitam Waltarii manu fortis, quam Maguntiae positi, Aribono archiepiscopo jubente, pro posse et nosse nostro correximus : barbaries enim et idiomata ejus Teutonem adhuc affectantem repente Latinum fieri non patiuntur. (Casus sancti Galli, cap. 9).

Ce qui peut se traduire ainsi :

Et, à l'école, il écrivit en vers pour son professeur, — un peu gauchement, il est vrai, étant encore, non d'extérieur mais d'âme, un enfant, — la vie de Walther à la main vaillante. Moi, dans mon séjour à Mayence, sur l'ordre de l'archevêque Aribon, j'ai corrigé son travail selon mes moyens et mon savoir ; car, à raison de son origine barbare (non latine) et de sa langue particulière, l'homme qui a encore l'âme d'un Allemand ne se laisse pas tout à coup transformer en Latin.

Ainsi, c'est dans sa jeunesse d'écolier (vers 930), que le premier des Ekkehard aurait composé le Waltarius, revu et corrigé par le quatrième Ekkehard entre 1021 et 1031, dans les années où se place l'épiscopat d'Aribon à Mayence.

Ce fut bien l'opinion généralement admise tant qu'on ne connut pas le prologue dédicatoire que donnent trois manuscrits seulement, ceux de Paris, de Bruxelles et de Trêves. Dans cette Poesis de Gualtario, un certain Geraldus, s'adressant à un évêque du nom d'Erchambold, lui dit en lui offrant le Waltarius :

Prœsul sancte Dei, nunc accipe munera servi

Quia tibi decrevit de larga promere cura

Peccator fragilis Geraldus nomine vilis.

Saint évêque de Dieu, acceptez ce présent d'un serviteur,

Présent qu'a décidé de vous offrir sans ménager sa peine

Le fragile pécheur Gérald, de nom très humble.

En lisant cela, qui ne serait porté à voir dans ce donateur l'auteur même de l'œuvre qu'il présente? Pourtant, un peu de réflexion met, croyons-nous, cette conclusion à néant.

Tout d'abord remarquons que l'intitulé du prologue est : Poesis Geraldi de Gualtario, ce qui est l'affirmation de la paternité de Gérald pour cette pièce de vers, mais pour elle seulement : car le poème proprement dit, qui porte différents titres, soit, dans le manuscrit de Paris: Versus de Waltario, soit, dans celui de Trêves : Liber Waltarii, soit enfin, dans celui de Karlsruhe (ou de Hirschau): Hystoria Waltarii regis, — reste anonyme et n'est revendiqué par personne.

Puis, il est évident que ces vingt-deux vers léonins, alambiqués, pénibles, obscurs, ne sont pas de la même main que les vers du poème, faciles, coulant d'abondance, très souvent élégants, souvent aussi d'une latinité médiocre, mais non compassée, encore vivante aujourd'hui. Celui qui martela le prologue n'a certes pas chanté le Waltarius.

Et enfin, pourquoi y voir, dans ce prologue, autre chose que ce qu'il contient réellement, à savoir la présentation d'un manuscrit que Gérald a fait exécuter avec grand soin, de larga promere cura, d'un libellus qui charmera les loisirs d'un prélat ami des lettres.

L'évoque Erchambold occupa le siège de Strasbourg de 905 à 991. Gérald, moine et écolâtre à Saint-Gall durant toute sa vie (a subdiaconatus sui principio... ab adolescentia usque ad senilem vitae finem semper scholarum magister), Gérald lui mourut entre 970 et 975 dans un âge très avancé, longo senio fessus, était donc bien vieux quand il offrit à l'évêque l’Histoire de Walther. S'il l'eut présentée comme son œuvre, il aurait eu mauvaise grâce à se comparer (aux vers 1453-1454) à une jeune cigale susurrant au bord de son nid.

Mais Gérald, dira-t-on, pouvait, dans sa vieillesse, faire hommage, à un protecteur ou ami, d'une œuvre de sa jeunesse.

Eh bien, non ; ce qu'il offrait, c'était l'œuvre de jeunesse d'un de ses anciens élèves, un de ceux à qui il faisait la classe quand il était sous-diacre, un élève presque aussi âgé que son professeur, Ekkehard premier du nom.

Rappelons-nous le scripsit et in scholis metrica magistro... vitam Waltarii.., que nous avons cité plus haut. Et comment faut-il entendre que l'écolier Ekkehard avait versifié pour son maître l'histoire de Walther?

J'en emprunte l'explication à Scheffel.

Une histoire, d'assez longue haleine parfois, servait de thème pour les exercices de versification latine dans les écoles de Saint-Gall. Chacun de ces exercices était ce qu'on appelait le debilum diei magistro, et se composait, en moyenne, de vingt-deux vers latins par jour, ce qui n'est pas déjà, comme le fait remarquer Scheffel, une mince besogne. C'est ainsi que Notker-Labeo, ayant donné pour sujet de vérification à ses élèves, la vie de saint Othmar, le poème en vers léonins intitulé Rythmi de sancto Othmaro, qui a pour auteur Ekkehard IV, porte cette inscription : Debilum diei magistro. Or, Notker annexa à ses propres écrits l'œuvre de son élève, et plus tard, Ekkehard IV, reprenant son bien dans la succession de son maître pour l'insérer au Liber benedictionum (manuscrit 303 de la bibliothèque de Saint-Gall) mit cette note en marge : Dictamen debitum magistro. Hoc et cietera quœ scripsi ipse scribi jussit in cartis suis, in quibus ea post inveniens in hac scedd pro lotis ascripsi, ut juvenes nostros idipsum adortaner. — « Composition due au maître. Cette poésie et d'autres dont je suis l'auteur, il (Notker) les fit transcrire dans ses propres cahiers, et moi, les y retrouvant, je les ai recopiées ici pour exciter l'émulation de nos jeunes gens. »

Un maître pensait donc faire honneur à ses bons élèves en accueillant leurs compositions au milieu de ses propres œuvres. Après tout, il leur avait donné des indications, des conseils, il avait dû corriger leurs fautes; il était quelque peu leur collaborateur. Et voilà comme Gérald a pu disposer sans façon du poème composé sous sa direction par Ekkehard Ier et qu'il jugeait digne d'être offert en hommage à Erchambold.

D'après les considérations que nous venons d'exposer, nous pouvons regarder comme vaine et téméraire la tentative d'enlever à Ekkehard Ier la paternité du Waltarius, pour la forme poétique du moins; car, pour le fond, il a dû suivre, et de très près, quelque vieille légende germanique dont il a tout au plus agencé ou modifié certains détails.

— Le poème nous est-il parvenu dans sa rédaction première, tel que l'écrivit l'écolier de Saint-Gall, ou bien dans le texte revu et corrigé par Ekkehard IV pour l'archevêque Aribon? Nous n'en savons rien et nous croyons qu'on l'ignore. Il ne reste plus de manuscrit mayennais du Waltarius.

Quant à sa valeur littéraire, on l'appréciera diversement selon qu'on s'attachera plus particulièrement à l'élément germanique ou à l'élément latin qui, tous deux, ont concouru à sa formation.

Considérons d'abord la rédaction latine.

Au xie siècle, les lettres n'étaient nulle part plus en honneur que dans les abbayes de Reichenau et de Saint-Gall. Les annales de ce dernier monastère nous montrent ses habitants comme des hommes d'une piété exempte d'austérité, cultivant toutes les connaissances qui formaient, à cette époque en Occident, le patrimoine «le l'esprit humain. Quiconque avait fréquenté leur école était tenu partout pour lettré. Pour la poésie latine, on y proposait aux élèves deux modèles bien dissemblables, mais qu'un goût peu éclairé associait dans la même admiration, Virgile et Prudence. Virgile personnifiait la gloire de Rome, qui imposait aux barbares victorieux et à leurs éducateurs chrétiens. Et puis, ne passait-il pas pour avoir été le prophète inspiré des temps nouveaux? Prudence, poète lyrique d'une belle envolée parfois, polémiste vigoureux et entraînant, mais écrivain et versificateur souvent incorrect, avait, pour des moines, le grand mérite d'être un apologiste éloquent du Christianisme.

A Virgile, Ekkehard a pris quantité d'expressions, des hémistiches, jusqu'à des vers entiers. Prudence aussi a été mis au pillage, sa Psychomachia surtout, poème qui célèbre les triomphants combats des Vertus contre les Vices, et qui a pu inspirer les descriptions si variées, si bien ordonnées des combats de Walther contre ses agresseurs. Mais, répétons-le, Prudence est un modèle hasardeux, plein de mots et de tournures barbares, enfreignant comme à plaisir les lois classiques de la prosodie. Un tel exemple devait pervertir et a perverti, hélas! un écolier qui avait, pour seule tutelle, le savoir et le bon goût d'un Geraldus.

Soyons donc indulgents pour le latin du Waltarius, et rendons justice au poète. Son œuvre a la plus rare des qualités, la vie; le récit ne languit pas un instant, l'intérêt va toujours en croissant jusqu'à la fin, et si barbares que soient les héros mis en scène, ce sont incontestablement de vaillants cœurs et leur histoire, une bonne et belle époquée.

Toutefois, une grande part de ces mérites revient au vieux barde germain dont le lied, avant de sombrer dans l'oubli, a servi de canevas à la versification latine d'Ekkehard. Elle est de lui, sans doute, cette représentation fidèle des mœurs d'un âge héroïco-barbare où la vigueur musculaire et l'adresse sont les premières des vertus, où la violence et la cupidité ne se déguisent pas, connue dans les épopées des xiiie et xive siècles, et dans le Nibelungenlied lui-même, sous un vernis chevaleresque.

Le noble poète Scheffel, qui a donné, avec M. Holder, une précieuse édition du Waltarius, a éloquemment loué le poème; seulement, ce qu'il en dit doit surtout s'entendre du lied tudesque que nous ne possédons plus.

« Le lai de Walther, dit-il, est un monument vénérable du génie allemand, le premier grand poème du cycle des légendes indigènes qui, en dépit de la rouille rongeuse des siècles, soit parvenu à la postérité. Il faut l'avouer, ce sont là d'autres accents que ceux des petits volumes dorés sur tranches comme en produit notre littérature d'Epigones : l'inspiration d'une grande époque héroïque y souffle, farouche et presque terrifiante, comme le grondement de la tempête dans une forêt de chênes; il n'y manque pas de grands coups d'épée sonores faisant jaillir dos étincelles des casques et des boucliers fendus, et la chanson de la flûte amoureuse en est aussi complètement bannie que les bavardages quintessenciés sur Dieu, l'univers, ou tout autre sujet pareil. Un combat de géants et des jovialités énormes, l'héroïsme antique dans sa bonhomie formidable, l'amour honnête, pieux, discret, et la haine franche qui frappe sans ménagements, tels furent les matériaux d'Ekkehard; voilà aussi pourquoi son œuvre s'est trouvée saine et robuste, et se tient, grande et imposante, à l'entrée de lu vieille poésie allemande, comme un de ces géants à l'armure d'airain que la statuaire des temps modernes pose en manière de gardes à la porte des palais. »

— « A l'entrée de la vieille poésie allemande » — a dit Scheffel. Et cela est vrai. Les pensées que le moine de Saint-Gall habillait de vers latins étaient des pensées tudesques ; les sentiments, les mœurs de ses héros sont bien ceux des Germains de Tacite ou des Goths de Procope et de Jornandès; et si la trame du poème le conduit du lointain Danube au Rhin, et même à l'incertaine frontière des Vosges, nous pouvons être assurés qu'il ne la dépassera pas. Il ne connaît du monde gallo-romain que les barbares attachés à ses flancs. Cette « rauque cigale », ainsi qu'elle se nomme, n'est certes pas éclose aux bords fleuris de la Loire ou de la Garonne, ni dans la molle et mélodieuse Provence.

Cent ans plus tard, la légende est défigurée dans la Chronique de Novalèse (Chronicon novaliciense), où Walther devient un chevalier accompli, d'une piété exemplaire, dompteur de l'univers, et finissant ses jours dans un cloître. Ce dernier trait n'est sans doute qu'une réminiscence de la légende de Guillaume d'Orange.

Au xiiie siècle enfin, un poème allemand de Walther und Hiltgunt, dont on a retrouvé un fragment, met en scène des personnages du Nibelungenlied. Le brave Volker, avec soixante guerriers, escorte Walther, à son retour à travers le pays des Burgondes (la Francie du Waltharius, et laissant de côté Metz, dont le roi Ortwin pourrait leur chercher noise, il va remettre le fils d'Alpher à son père, à Langres (Lengers).

*

*     *

J'ai présenté le Waltarius au lecteur, et je n'aurais plus, je crois, qu'à le lui remettre entre les mains. Mais quoique cet avant-propos ait dépassé de beaucoup les bornes que je lui assignais, il me faut affleurer une question sans grande importance, à mon avis, et qui semble en avoir beaucoup pour les lettrés allemands, commentateurs ou éditeurs du Waltarius.

Où faut-il chercher ce Wasgenstein, ce roc des Vosges qui servit de retraite à Walther et vit ses combats contre les Francs?

Grimm indiquait le Framont, entre Schirmeck et Raon-sur-Plaine. Uhland, le marcheur infatigable, comme il se qualifie dans une de ses poésies, découvrit et signala, à dix-huit lieues au nord du Framont, entre Bitche et Wissembourg, non loin du village de Niedersteinbach, une localité du nom de Wasenstein, qui lui sembla correspondre à la description donnée dans le poème. Et Scheffel accueillit cette découverte avec une sorte d'enthousiasme.

Remarquons toutefois que Niedersteinbach est à quatre-vingt-dix kilomètres ou vingt-deux lieues de Worius, à vol d'oiseau. Comment faire concorder une pareille distance, qui s'accroît des détours des chemins, avec les appréhensions de Walther aux vers 1142-1145 du poème? C'est le soir, et le héros craint que les deux seuls adversaires qui lui restent ne profitent de la nuit pour aller à Worms chercher de l'aide, et revenir au matin (primo mane) l'assaillir avec des forces fraîches. Quarante-cinq à cinquante lieues à faire en dix ou douze heures ! Même dans ces temps légendaires, c'était trop.

Mais pour nous qui lisons le poème pour lui-même, sans aucune préoccupation d'archéologie nationale, ces questions de topographie n'importent guère, et je me hâte de terminer cette digression.

A. Vendel.

(Décembre 1893).

LES MANUSCRITS.

Les manuscrits du Waltarius, nombreux au moyen-âge, sont réduits actuellement au nombre de huit.

Trois seulement font précéder le poème de la dédicace de Gérald. Ce sont: 1° celui de Bruxelles, à la bibliothèque de Bourgogne. Il provient du monastère de Gemblours et fut écrit au xie ou au xiie siècle. — 2° celui de Paris (Bibliothèque Nationale), du xie siècle. Son origine est incertaine. Tandis que Scheffel et Holder supposent qu'il provient du couvent d'Echternach, dans le Luxembourg, M. Grellet-Balguerie prétend qu'il est du xe et non du xie siècle; qu'il appartenait aux Carmes de Clermont-Ferrand, et qu'il fut acheté et emporté à Paris par Baluze en 1690. Contrôlera ces assertions qui voudra. — 3° celui de Trêves, du xvie siècle, sur papier, qui appartenait aux Jésuites. Après la suppression de leur Ordre en 1773, il fut remis à la bibliothèque de l'Université, dont tous les livres et manuscrits revinrent, en 1799, à la bibliothèque de la ville.

Ces trois manuscrits forment un groupe à part. Ils se distinguent de tous les autres par certaines tournures et expressions, et M. W. Meyer (de Spire) les tient pour les meilleurs. Scheffel et Holder supposent qu'ils sont des reproductions de l'exemplaire, aujourd'hui perdu, offert par Gérald à l'évêque de Strasbourg Erchambold.

Citons ensuite : le manuscrit de Karlsruhe, du xiie siècle, provenant des Bénédictins de Hirschau. Puis celui de Stuttgart, à la bibliothèque publique de cette ville, acquis à la vente des livres du conseiller intime von Mosheim. Ce bibliophile l'avait communiqué au professeur Fischer, de Halle, qui fut le premier éditeur-du Waltarius. Et enfin, le manuscrit de Vienne, du xiiie siècle (Bibliothèque Impériale) qui vient du couvent de Saint-Pierre de Salzbourg, et deux copies incomplètes du susdit, l'une, sur deux feuilles de parchemin, du commencement du xiiie siècle, à la Bibliothèque de l'Université de Leipzig, l'autre sur papier, du xve siècle, avec ce titre: Poesis de herœ Waltario, à Vienne.

Scheffel et Holder croient voir, dans ces trois manuscrits viennois, la rédaction définitive, celle que revit Ekkehard IV.

Il reste encore des fragments d'un poème anglo-saxon de Valdere, rimé par allitération, et dont on fait remonter la date au ixe siècle. Ces Fragments ont été découverts en 1869, à la bibliothèque de Copenhague.

Neuf manuscrits latins du Waltarius, indiqués sur d'anciens catalogues de bibliothèques, sont aujourd'hui perdus. Ainsi le seul catalogue des Bénédictins de Saint-Epvre de Toul, de l'an 1084, conservé à Munich, mentionne trois exemplaires du Waltarius, deux où le poème est transcrit seul, et un troisième où il est réuni à des ouvrages d’Avien, d'Esope et de Hincmar.

Ces renseignements bibliographiques sont empruntés à l'édition du Waltarius par Joseph de Schedel et Alfred Holder (Stuttgart, librairie Metzler, 1874).

Pour rétablissement du texte que je donne et que je traduis, je n'ai pas eu d'autres sources que l'édition Scheffel-Holder, où sont rapportées les leçons diverses de tous les manuscrits.

Dans ces leçons, j'ai suivi de préférence celles du groupe Bruxelles-Paris-Trèves.

Les Philologische Bemerkungen (Observations philologiques) de M. W. Meyer (de Spire) sur le Waltarius m'ont été plusieurs fois d'un bon secours, bien que je n'aie pas cru devoir me ranger toujours à son opinion.

Enfin, je ne me suis permis que de très rares et indispensables corrections, que mes notes devront justifier, et j'ai respecté, tout en les signalant, certaines dérogations aux règles classiques de la prosodie.

A. V.

 

 

 

WALTHARIUS MANUS FORTIS

Omnipotens genitor, summae virtutis amator,
lure pari natusque amborum spiritus almus,
Personis trinus, vera deitate sed unus,
Qui vita vivens cuncta et sine fine tenebis,
Pontificem summum tu salva nunc et in aevum               5
Claro Erckambaldum fulgentem nomine dignum,
Crescat ut interius sancto spiramine plenus,
Multis infictum quo sit medicamen in aevum.
Praesul sancte dei, nunc accipe munera servi,
Quae tibi decrevit de larga promere cura               10
Peccator fragilis Geraldus nomine vilis,
Qui tibi nam certus corde estque fidelis alumnus.
Quod precibus dominum iugiter precor omnitonantem,
Ut nanciscaris factis, quae promo loquelis,
Det pater ex summis caelum terramque gubernans.               15
Serve dei summi, ne despice verba libelli,
Non canit alma dei, resonat sed mira tyronis,
Nomine Waltharius, per proelia multa resectus.
Ludendum magis est dominum quam sit rogitandum,
Perlectus longaevi stringit inampla diei.               
20
Sis felix sanctus per tempora plura sacerdos,
Sit tibi mente tua Geraldus carus adelphus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARS PRIMA

Tertia pars orbis, fratres, Europa vocatur,
Moribus ac linguis varias et nomine gentes
Distinguens, cultu, tum relligione sequestrans.
Inter quas gens Pannoniae residere probatur,
Quam tamen et Hunos plerumque vocare solemus.               5
Hic populus fortis virtute vigebat et armis,
Non circumpositas solum domitans regiones,
Litoris oceani sed pertransiverat oras,
Foedera supplicibus donans sternensque rebelles.
Ultra millenos fertur dominarier annos.               10

Attila rex quodam tulit illud tempore regnum,
Impiger antiquos sibimet renovare triumphos.
Qui sua castra movens mandavit visere Francos,
Quorum rex Gibicho solio pollebat in alto,
Prole recens orta gaudens, quam postea narro;               15
Namque marem genuit, quem Guntharium vocitavit.

Fama volans pavidi regis transverberat aures,
Dicens hostilem cuneum transire per Hystrum,
Vincentem numero stellas atque amnis arenas.
Qui non confidens armis vel robore plebis               20
Concilium cogit, quae sint facienda, requirit.
Consensere omnes foedus debere precari
Et dextras, si forte darent, coniungere dextris
Obsidibusque datis censum persolvere iussum;
Hoc melius fore, quam vitam simul ac regionem               25
Perdiderint natosque suos pariterque maritas.

Nobilis hoc Hagano fuerat sub tempore tiro
Indolis egregiae, veniens de germine Troiae.
Hunc, quia Guntharius nondum pervenit ad aevum,
Ut sine matre queat vitam retinere tenellam,               30
Cum gaza ingenti decernunt mittere regi.
Nec mora, legati censum iuvenemque ferentes
Deveninnt pacemque rogant ac foedera firmant.

Tempore quo validis steterat Burgundia sceptris,
Cuius primatum Heriricus forte gerebat.               35
Filia huic tantum fuit unica nomine Hiltgunt,
Nobilitate quidem pollens ac stemmate formae.
Debuit haec heres aula residere paterna
Atque diu congesta frui, si forte liceret.

Namque Avares firma cum Francis pace peracta               40
Suspendunt a fine quidem regionis eorum,
Attila sed celeres mox huc deflectit habenas,
Nec tardant reliqui satrapae vestigia adire.
Ibant aequati numero, sed et agmine longo.
Quadrupedum cursu tellus concussa gemebat,               45
Scutorum sonitu pavidus superintonat aether.
Ferrea silva micat totos rutilando per agros:
Haud aliter primo quam pulsans aequora mane
Pulcher in extremis renitet sol partibus orbis.
Iamque Ararim Rodanumque amnes transiverat altos               50
Atque ad praedandum cuneus dispergitur omnis.

Forte Cabillonis sedit Heriricus, et ecce
Attollens oculos speculator vociferatur:
«Quaenam condenso consurgit pulvere nubes?
Vis inimica venit, portas iam claudite cunctas!»               55
Iam tum, quid Franci fecissent, ipse sciebat
Princeps et cunctos compellat sic seniores:
«Si gens tam fortis, cui nos similare nequimus,
Cessit Pannoniae, qua nos virtute putatis
Huic conferre manum et patriam defendere dulcem?               
60
Est satius, pactum faciant censumque capessant.
Unica nata mihi, quam tradere pro regione
Non dubito; tantum pergant, qui foedera firment.»

Ibant legati totis gladiis spoliati,
Hostibus insinuant, quod regis iussio mandat,               65
Ut cessent vastare, rogant. quos Attila ductor,
Ut solitus fuerat, blande suscepit et inquit:
«Foedera plus cupio quam proelia mittere vulgo.
Pace quidem Huni malunt regnare, sed armis
Inviti feriunt, quos cernunt esse rebelles.               70
Rex ad nos veniens dextram det atque resumat.»
Exivit princeps asportans innumeratos
Thesauros pactumque ferit natamque reliquit.
Pergit in exilium pulcherrima gemma parentum.

POESIS GERALDI DE GUALTARIO.

POÉSIE DE GÉRALD SUR LE WALTARIUS.

 

Père tout puissant, ami de la très haute vertu, et avec droits égaux, Fils, et vous, Esprit saint des deux autres, Trinité de personnes vraiment Une en divinité, ô Vous qui, étant la vie même, disposerez éternellement de toutes choses, sauvez maintenant et à jamais le grand pontife Erchambold, dont le nom glorieux jette tant d'éclat, et laites que son cœur continue à s'emplir d'un souffle saint qui soit un remède à beaucoup de gens contre la corruption du siècle ! Et vous, saint évêque de Dieu, acceptez ce présent d'un serviteur, présent qu'a décidé de vous offrir, sans ménager sa peine, le fragile pécheur Gérald, de nom très humble, mais ayant pour vous le sur attachement d'un fidèle disciple. Ce que je demande dans mes constantes prières au Seigneur qui dispose de tout, ces vœux que j'exprime en paroles, puissent-ils se réaliser pour vous par la grâce du Père qui, d'en haut, gouverne le ciel et la terre. O serviteur du Très-Haut, ne méprisez pas ce que dit ce petit livre! Il ne chante pas la gloire de Dieu, mais célèbre les prouesses d'un guerrier nommé Walther, mutilé par suite de nombreux combats; c'est un livre d'amusement plutôt que de prières au Seigneur ; par sa lecture on se reporte aux exploits des anciens jours. Soyez pendant de longues années un heureux et saint prêtre, et pensez à Gérald comme à votre cher frère.

  

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— Je n'ose me flatter d'avoir dissipé toutes les obscurités de ce prologue. Mais je crois pouvoir affirmer que son malencontreux auteur n'a pas écrit le poème qui va suivre.

Le traducteur.


 

UN POÈME LATIN DU Xe SIÈCLE.

WALTARIUS

WALTARIUS MANU FORTIS.

LAI DE WALTHER D'AQUITAINE.

 

La tierce partie du monde, frères, est appelée Europe. Elle renferme des nations qui durèrent de mœurs, de langues et de noms, que distingue leur genre de vie, que leur religion sépare. Là réside entre autres la gent Pannonienne, connue chez nous sous le nom de Huns. Ce vaillant peuple était fort par le courage et les armes; il n'avait pas seulement dompté les pays circonvoisins, il avait même parcouru les plages de l'Océan, accordant son alliance aux suppliants, écrasant toute résistance; il domina, dit-on, pendant plus de mille ans.

En ce temps-là, le roi des Huns était Attila, impatient de renouveler pour lui-même leurs anciens triomphes. Levant son camp, il fit savoir qu'on rendrait visite aux Francs, dont le puissant roi Gibich, sur son trône superbe, se réjouissait de la naissance d'un fils. Ce fils, nommé Gunther, reviendra plus loin dans mon récit.

La Renommée, dans son vol, frappe les oreilles du roi épouvanté; elle lui dit qu'une armée ennemie passe le Danube, plus nombreuse que les étoiles et que les sables du fleuve. Lui, ne comptant point sur les armes ni sur la force de son peuple, il réunit une assemblée et demande ce qu'il faut faire. Et l'avis de tous fut d'implorer un traité, de serrer la main que tendrait peut-être l'ennemi, de donner des otages et de payer le tribut imposé. Cela vaudrait mieux que de sacrifier inutilement leur vie et leurs pays, leurs enfants et leurs femmes.

Il y avait alors chez les Francs un jeune homme de distinction, Hagen, dont la race descendait des héros de Troie. Et comme Gunther était encore d'un âge trop tendre pour pouvoir vivre sans les soins de sa mère, ce fut Hagen qu'on résolut d'envoyer comme otage, accompagné d'un gros trésor. Sans délai, des ambassadeurs emmènent le jeune homme et l'argent, arrivent, demandent la paix et concluent l'alliance.

Auquel temps le roi Herrich tenait d'une main ferme le sceptre de Bourgogne. Il n'avait qu'une fille, appelée Hildegonde, éclatante de noblesse et de beauté. Héritière du trône, elle résidait à la cour de son père, et, si le destin le voulait, devait jouir de tant de richesses accumulées.

Déjà les Huns, la paix solidement conclue, suspendent leur marche vers le pays des Francs. Mais bientôt Attila tourne du coté de la Bourgogne son coursier rapide, et le reste s'élance sur les traces du roi. L'armée marchait en détachements égaux, mais en longue colonne ; la terre gémissait sous le heurt des chevaux, le cliquetis des boucliers épouvantait les airs, une forêt de lances étincelait au loin dans la campagne ; — tel resplendit au matin le beau soleil, lorsque, aux extrémités du monde, il lance ses premiers rayons sur les mers. Déjà la Saône et le Rhône, ces fleuves profonds, sont franchis, et toute l'armée se disperse pour butiner.

D'aventure Herrich se trouvait à Chalon, quand le guetteur, levant les yeux, s'écria: « Quelle est cette poussière qui monte en nuage épais? C'est un ennemi qui vient, fermez les portes ! » Le roi savait déjà ce que les Francs avaient fait; il réunit tous les seigneurs et leur dit : « Si une nation tant vaillante, à laquelle nous ne pouvons nous comparer, a plié devant les Huns, nous croyez-vous capables d'en venir aux mains avec eux et de défendre notre douce patrie? Le mieux est de faire un arrangement et de leur laisser prendre un tribut. Ma fille unique, je n'hésite pas à la livrer pour le salut du pays. Allez seulement et assurez la paix. »

Les députés s'avancent, dépouillés de toutes armes ; ils exposent le mandat dont le roi les a chargés, et prient les ennemis de cesser leurs ravages. Attila, le souverain, les accueille avec douceur, suivant son habitude, et dit: « J'aime mieux traiter que de livrer des batailles. Ce que les Huns préfèrent, c'est de régner par la paix, et ils ne prennent les armes qu'à regret, pour frapper des rebelles. Votre roi n'a qu'à venir ici donner et recevoir la paix. »

Herrich sortit de la ville, apportant d'innombrables trésors, et il conclut le traité et il laissa sa fille en otage. Son plus beau joyau prit le chemin de l'exil.

Postquam complevit pactum statuitque tributum,               75
Attila in occiduas promoverat agmina partes.
Namque Aquitanorum tunc Alphere regna tenebat,
Quem sobolem sexus narrant habuisse virilis,
Nomine Waltharium, primaevo flore nitentem.
Nam iusiurandum Heriricus et Alphere reges               80
Inter se dederant, pueros quod consociarent,
Cum primum tempus nubendi venerit illis.
Hic ubi cognovit gentes has esse domatas,
Coeperat ingenti cordis trepidare pavore,
Nec iam spes fuerat saevis defendier armis.               85
«Quid cessemus», ait, «si bella movere nequimus?
Exemplum nobis Burgundia, Francia donant.
Non incusamur, si talibus aequiperamur.
Legatos mitto foedusque ferire iubebo
Obsidis inque vicem dilectum porrigo natum               90
Et iam nunc Hunis censum persolvo futurum.»
Sed quid plus remorer? dictum compleverat actis.
Tunc Avares gazis onerati denique multis
Obsidibus sumptis Haganone, Hiltgunde puella
Nec non Walthario redierunt pectore laeto.               95

Attila Pannonias ingressus et urbe receptus
Exulibus pueris magnam exhibuit pietatem
Ac veluti proprios nutrire iubebat alumnos.
Virginis et curam reginam mandat habere,
Ast adolescentes propriis conspectibus ambos               100
Semper adesse iubet, sed et artibus imbuit illos
Praesertimque iocis belli sub tempore habendis.
Qui simul ingenio crescentes mentis et aevo
Robore vincebant fortes animoque sophistas,
Donec iam cunctos superarent fortiter Hunos.               105
Militiae primos tunc Attila fecerat illos,
Sed haud immerito, quoniam, si quando moveret
Bella, per insignes isti micuere triumphos;
Idcircoque nimis princeps dilexerat ambos.
Virgo etiam captiva deo praestante supremo               110
Reginae vultum placavit et auxit amorem,
Moribus eximiis operumque industria habundans.
Postremum custos thesauris provida cunctis
Efficitur, modicumque deest, quin regnet et ipsa;
Nam quicquid voluit de rebus, fecit et actis.               115

Interea Gibicho defungitur, ipseque regno
Guntharius successit et ilico Pannoniarum
Foedera dissolvit censumque subire negavit.
Hoc ubi iam primum Hagano cognoverat exul,
Nocte fugam molitur et ad dominum properavit.               120
Waltharius tamen ad pugnas praecesserat Hunos,
Et quocumque iret, mox prospera sunt comitata.

Ospirin elapsum Haganonem, regia coniunx,
Attendens domino suggessit talia dicta:
«Provideat caveatque, precor, sollertia regis,               125
Ne vestri imperii labatur forte columna,
Hoc est, Waltharius vester discedat amicus,
In quo magna potestatis vis extitit huius;
Nam vereor, ne fors fugiens Haganonem imitetur.
Idcircoque meam perpendite nunc rationem:               130
Cum primum veniat, haec illi dicite verba:
«Servitio in nostro magnos plerumque labores
Passus eras ideoque scias, quod gratia nostra
Prae cunctis temet nimium dilexit amicis.
Quod volo plus factis te quam cognoscere dictis:               135
Elige de satrapis nuptam tibi Pannoniarum
Et non pauperiem propriam perpendere cures.
Amplificabo quidem valde te rure domique,
Nec quisquam, qui dat sponsam, post facta pudebit.»
Quod si completis, illum stabilire potestis.»               140
Complacuit sermo regi, coepitque parari.

Waltharius venit, cui princeps talia pandit,
Uxorem suadens sibi ducere; sed tamen ipse
Iam tum praemeditans, quod post compleverat actis,
His instiganti suggestibus obvius infit:               145
«Vestra quidem pietas est, quod modici famulatus
Causam conspicitis; sed quod mea segnia mentis
Intuitu fertis, numquam meruisse valerem.
Sed precor, ut servi capiatis verba fidelis:
Si nuptam accipiam domini praecepta secundum,               150
Vinciar inprimis curis et amore puellae
Atque a servitio regis plerumque retardor,
Aedificare domos cultumque intendere ruris
Cogor, et hoc oculis senioris adesse moratur
Et solitam regno Hunorum impendere curam.               155
Namque voluptatem quisquis gustaverit, exin
Intolerabilius consuevit ferre labores.
Nil tam dulce mihi, quam semper inesse fideli
Obsequio domini; quare, precor, absque iugali
Me vinclo permitte meam iam ducere vitam!               160
Si sero aut medio noctis mihi tempore mandas,
Ad quaecumque iubes, securus et ibo paratus.
In bellis nullae persuadent cedere curae,
Nec nati aut coniunx retrahentque fugamque movebunt.
Testor per propriam temet, pater optime, vitam               165
Atque per invictam nunc gentem Pannoniarum,
Ut non ulterius me cogas sumere taedas.»

His precibus victus suasus rex deserit omnes,
Sperans Waltharium fugiendo recedere numquam.

Venerat interea satrapae certissima fama               170
Quandam, quae nuper superata, resistere gentem
Ac bellum Hunis confestim inferre paratam.
Tunc ad Waltharium convertitur actio rerum.
Qui mox militiam percensuit ordine totam
Et bellatorum confortat corda suorum,               175
Hortans praeteritos semper memorare triumphos
Promittensque istos solita virtute tyrannos
Sternere et externis terrorem imponere terris.

Nec mora, consurgit sequiturque exercitus omnis.
Ecce locum pugnae conspexerat et numeratam               180
Per latos aciem campos digessit et agros.
Iamque infra iactum teli congressus uterque
Constiterat cuneus. tunc undique clamor ad auras
Tollitur, horrendam confundunt classica vocem,
Continuoque hastae volitant hinc indeque densae.               185
Fraxinus et cornus ludum miscebat in unum,
Fulminis inque modum cuspis vibrata micabat.
Ac veluti boreae sub tempore nix glomerata
Spargitur, haud aliter saevas iecere sagittas.
Postremum cunctis utroque ex agmine pilis               190
Absumptis manus ad mucronem vertitur omnis.
Fulmineos promunt enses clipeosque revolvunt,
Concurrunt acies demum pugnamque restaurant.
Pectoribus partim rumpuntur pectora equorum,
Sternitur et quaedam pars duro umbone virorum.               195
Waltharius tamen in medio furit agmine bello,
Obvia quaeque metens armis ac limite pergens.
Hunc ubi conspiciunt hostes tantas dare strages,
Ac si praesentem metuebant cernere mortem,
Et quemcunque locum, seu dextram sive sinistram,               200
Waltharius peteret, cuncti mox terga dederunt
Et versis scutis laxisque feruntur habenis.
Tunc imitata ducem gens maxima Pannoniarum
Saevior insurgit caedemque audacior auget,
Deicit obstantes, fugientes proterit usque,               205
Dum caperet plenum belli sub sorte triumphum.
Tum super occisos ruit et spoliaverat omnes.
Et tandem ductor recavo vocat agmina cornu
Ac primus frontem festa cum fronde revinxit,
Victrici lauro cingens sua timpora vulgo,               210
Post hunc signiferi, sequitur quos cetera pubes.
Iamque triumphali redierunt stemmate compti
Et patriam ingressi propria se quisque locavit
Sede, sed ad solium mox Waltharius properavit.
Ecce palatini decurrunt arce ministri               215

Illius aspectu hilares equitemque tenebant,
Donec vir sella descenderet inclitus alta.
Si bene res vergant, tum demum forte requirunt.
Ille aliquid modicum narrans intraverat aulam
(Lassus enim fuerat) regisque cubile petebat.               220
Illic Hiltgundem solam offendit residentem.
Cui post amplexus atque oscula dulcia dixit:
«Ocius huc potum ferto, quia fessus anhelo.»
Illa mero tallum complevit mox pretiosum
Porrexitque viro, qui signans accipiebat               225
Virgineamque manum propria constrinxit. at illa
Astitit et vultum reticens intendit herilem,
Walthariusque bibens vacuum vas porrigit olli
(Ambo etenim norant de se sponsalia facta)

Cette paix conclue et ce tribut imposé, Attila avait poussé ses armées vers l'Occident. Là, sur les Aquitains régnait Alpher, dont le fils, appelé Walther, brillait de tout l'éclat de la jeunesse. Or, les deux rois Herrich et Alpher, s'étaient promis par serment d'unir leurs enfants lorsqu'ils seraient nubiles. En apprenant la soumission des Francs et de la Bourgogne, le prince des Aquitains eut le cœur secoué d'émotion. Nul espoir de secours contre ces armes terribles. « Pourquoi hésiter, dit-il, si nous ne pouvons nous lancer dans la guerre. La Bourgogne, la Francie nous donnent l'exemple. On ne nous blâmera pas de nous mettre au même niveau. J'envoie donc des ambassadeurs et leur ordonne de conclure une alliance ; comme otage, j'offre mon fils chéri, et je paie à l'instant le tribut qui revient aux Huns. » Mais qu'ai-je à m'attarder? Des actes ont complété ces paroles, et les Huns chargés de butin, emmenant en otages Hagen, la belle Hildegonde et Walther, s'en retournent le cœur joyeux.

Rentré en Pannonie et reçu dans sa capitale, Attila témoigna de grands égards aux jeunes exilés, et ordonna de les élever comme ses enfants propres. La jeune fille, il la confia aux soins de la reine; quant aux adolescents, il voulait les avoir sans cesse sous les yeux, leur fit donner tous les talents, et surtout les façonna aux exercices que réclame la guerre. Croissant à la fois en sagesse et en âge, ils triomphaient des plus vaillants par leur force, des plus subtils par leur esprit, et surpassèrent enfin en bravoure tous les Huns. Attila fit d'eux les premiers de son armée, et non à tort, car, dans toutes les guerres qu'il entreprit, ils se signalèrent par d'éclatants triomphes. Aussi les avait-il tous deux en extrême affection. La jeune captive aussi, Dieu aidant, trouva grâce aux yeux de lu reine, et s'en fit chérir par sa vertu et son adresse à quantité d'ouvrages. Elle fut même préposée à la garde de tous les trésors, avec un pouvoir presque royal, car elle faisait en toutes choses à sa volonté.

Cependant Gibich mourut, Gunther lui succéda sur le trône, et rompant aussitôt le pacte conclu avec les Huns, refusa de subir l'obligation d'un tribut. Dès que, dans son exil, Hagen connut cette nouvelle, il prit ses mesures pour fuir pendant la nuit, et courut rejoindre son maître. Pendant ce temps, Walther guidait les Huns aux combats, et partout où il allait, le succès l'accompagnait.

En apprenant l'évasion d'Hagen, la reine Ospirine donna ce conseil à son époux : « Que votre royale sagesse veille et avise, je l'en prie, à ne pas laisser crouler la colonne de votre empire. Autrement dit, empêchez votre ami Walther de partir, car notre puissance repose sur lui pour une grande part. Et je crains qu'à l'exemple d'Hagen il ne s'enfuie. Pesez donc bien mon conseil ; lorsqu'il viendra, dites-lui : « Tu as supporté à notre service de grands et nombreux labeurs : sache donc que notre faveur te préfère à Unis nos amis. Des faits te le prouveront bien mieux que des paroles : choisis une épouse parmi les plus nobles de Pannonie, et ne prends point souci de ta pauvreté ; je te ferai si grands domaines, un tel état de maison, que nul ne rougira de t'avoir donné sa fille. — Faites cela et vous pourrez le fixer. » Ce langage plut au roi, et sans retard il mit le conseil en pratique.

Walther vint, et le roi s'ouvrit à lui, l'engageant à prendre femme. Mais le jeune homme, préméditant déjà ce qu'il devait accomplir, opposa cette réponse à ces insinuations : « C'est votre bonté qui vous fait prendre les intérêts d'un pauvre serviteur, et je n'aurais jamais pu mériter que vous supportiez mes négligences en ne considérant que mes intentions. Mais, je vous en supplie, écoutez la parole d'un esclave fidèle : si j'accepte une épouse, selon le conseil de mon maître, les soins de mon amour m'enchaîneront tout d'abord et me retarderont le plus souvent pour le service du roi. Une demeure à construire, des champs à cultiver, m'éloigneront des yeux de mon seigneur et entraveront mon zèle accoutumé pour la défense du royaume. Car une fois qu'on a goûté la volupté, on a plus de peine ensuite à supporter les labeurs. Rien n'est si doux pour moi que de me trouver toujours prêt à fidèlement servir mon souverain ; voilà pourquoi je vous prie de me laisser vivre franc du joug conjugal. Le soir ou dans la nuit, si vous me donnez une mission, quoi que vous m'ordonniez, j'irai dispos et sans crainte. A la guerre, nulle préoccupation ne me fera plier, point de regrets ne me tireront en arrière vers une épouse ou des enfants, ni ne me porteront à fuir. Par votre propre vie, par votre peuple invincible, ô mon excellent père ! je vous en conjure, renoncez désormais à m'imposer l'hymen. »

Vaincu par de telles prières, le roi n'insista point, comptant bien que Walther ne s'enfuirait jamais.

Sur ces entrefaites, le monarque reçut l'avis sur qu'une des nations récemment domptées se mettait en révolte, prête à faire sur le champ la guerre aux Huns. Alors on recourt à Walther, qui se hâte de passer en revue toute l'armée. Il réconforte le cœur de ses soldats en les exhortant à se rappeler leurs anciens triomphes, et il leur promet qu'avec leur courage ordinaire, ils vaincront tous les princes et feront courber d'effroi l'étranger.

Sans tarder, l'armée se lève et le suit. Walther examine le champ de bataille, compte ses troupes et les dispose dans la vaste plaine. Bientôt les armées sont en présence à une portée de trait ; une immense clameur monte alors dans les airs, les trompes y mêlent leur voix terrible, et les javelots volent drus et incessants de part et d'autre. Le frêne et le cornouiller prennent les mêmes ébats, et le fer projeté brille comme l'éclair. Et telles qu'une neige épaisse chassée par l'Aquilon se précipitent les flèches meurtrières. Lorsque enfin les deux troupes ont épuisé tous leurs traits, on met la main à l'épée, les lames sortent flamboyantes, et chacun ramène à l'épaule son bouclier. Les deux armées s'élancent l'une sur l'autre et reprennent le combat, c'est là que les chevaux s'entre-heurtent et se défoncent le poitrail ; plus d'un guerrier roule à terre sous le choc d'un dur bouclier. Mais Walther fait rage au fort de la mêlée, moissonne tout devant lui, et se fraie un large chemin. En le voyant faire de tels massacres, les ennemis terrifiés le prennent pour la Mort en personne, et partout où il se porte, à droite ou à gauche, chacun lui tourne le dos et fuit à bride abattue, le bouclier en arrière. A l'exemple de son chef, la forte armée des Huns s'élance avec furie et multiplie le carnage. On brise toute résistance, on écrase les fuyards, jusqu'à ce qu'on soit certain d'une victoire complète. Puis on se jette sur les morts et on les dépouille tous ; mais enfin le chef sonne du cor pour rappeler ses troupes, et ceint le premier son front d'un gai feuillage, emblème des lauriers de la victoire. Après lui les porte-étendards., puis les soldats, font de même. C'est ainsi qu'ils reviennent parés de couronnes triomphales, et, de retour au pays, chacun regagne son logis, tandis que Walther se hâte vers le trône du roi.

A son aspect, les serviteurs du pays accourent tout joyeux, et tiennent son cheval jusqu'à ce qu'il soit descendu de sa haute selle. Ils lui demandent enfin si la guerre a été heureuse. Mais lui, leur jetant quelques mots à peine, il est entré au palais, car la fatigue l'accable, et il cherche la salle de repos du roi. Il y trouve Hildegonde toute seule, il lui dit après l'avoir pressée dans ses bras, après de doux baisers : « Donne-moi vite à boire, je suis haletant de fatigue. » Elle remplit de vin en toute hâte une coupe précieuse, et la présente au héros qui la reçoit en se signant. Il serre alors dans sa main la main de la jeune fille ; celle-ci reste debout devant lui, contemplant en silence son mâle visage, et Walther, ayant bu, lui rend la coupe vide. Ils se savaient fiancés l'un à l'autre.

 

Provocat et tali caram sermone puellam:               230
«Exilium pariter patimur nam tempore tanto,
Non ignorantes, quid nostri forte parentes
Inter se nostra de re fecere futura.
Quamne diu tacito premimus haec ipsa palato?»

Virgo per hyroniam meditans hoc dicere sponsum               235
Paulum conticuit, sed postea talia reddit:
«Quid lingua simulas, quod ab imo pectore damnas,
Oreque persuades, toto quod corde refutas,
Sit veluti talem pudor ingens ducere nuptam?»

Vir sapiens contra respondit et intulit ista:               240
«Absit quod memoras, dextrorsum porrige sensum!
Noris me nihilum simulata mente locutum,
Nec quicquam nebulae vel falsi interfore crede!
Nullus adest nobis exceptis namque duobus.
Si nossem temet mihi promptam impendere mentem               245
Atque fidem votis servare per omnia cautis,
Pandere cuncta tibi cordis mysteria vellem.»

Tandem virgo viri genibus curvata profatur:
«Ad quaecumque vocas, mi domne, sequar studiose
Nec quicquam placitis malim praeponere iussis.»               250
Ille dehinc: «piget exilii me denique nostri
Et patriae fines reminiscor saepe relictos
Idcircoque fugam cupio celerare latentem.
Quod iam prae multis potuissem forte diebus,
Si non Hiltgundem solam remanere dolerem.»               255
Addidit has imo virguncula corde loquelas:
«Vestrum velle meum, solis his aestuo rebus.
Praecipiat dominus, seu prospera sive sinistra
Eius amore pati toto sum pectore praesto.»

Waltharius tandem sic virginis inquit in aurem:               260
«Publica custodem rebus te nempe potestas
Fecerat, idcirco memor haec mea verba notato:
Inprimis galeam regis tunicamque trilicem
(Assero loricam fabrorum insigne ferentem)
Diripe, bina dehinc mediocria scrinia tolle.               265
His armillarum tantum da Pannonicarum,
Donec vix unum releves ad pectoris imum.
Inde quater binum mihi fac de more coturnum,
Tantundemque tibi patrans imponito vasis:
Sic fors ad summum complentur scrinia labrum.               270
Insuper a fabris hamos clam posce retortos:
Nostra viatica sint pisces simul atque volucres,
Ipse ego piscator, sed et auceps esse coartor.
Haec intra ebdomadam caute per singula comple.
Audisti, quid habere vianti forte necesse est.               275

Nunc, quo more fugam valeamus inire, recludo:
Postquam septenos Phoebus remeaverit orbes,
Regi ac reginae satrapis ducibus famulisque
Sumptu permagno convivia laeta parabo
Atque omni ingenio potu sepelire studebo,               280
Donec nullus erit, qui sentiat hoc, quod agendum est.
Tu tamen interea mediocriter utere vino
Atque sitim vix ad mensam restinguere cura.
Cum reliqui surgant, ad opuscula nota recurre.
Ast ubi iam cunctos superat violentia potus,               285
Tum simul occiduas properemus quaerere partes.»

Virgo memor praecepta viri complevit; et ecce
Praefinita dies epularum venit, et ipse
Waltharius magnis instruxit sumptibus escas.
Luxuria in media residebat denique mensa.               290

Ingrediturque aulam velis rex undique septam.
Heros magnanimus solito quem more salutans
Duxerat ad solium, quem bissus compsit et ostrum.
Consedit laterique duces hinc indeque binos
Assedisse iubet; reliquos locat ipse minister.               295
Centenos simul accubitus iniere sodales,
Diversasque dapes libans conviva resudat.
His et sublatis aliae referuntur edendae,
Atque exquisitum fervebat migma per aurum
(Aurea bissina tantum stant gausape vasa),               300
Et pigmentatus crateres Bachus adornat.
Illicit ad haustum species dulcedoque potus.
Waltharius cunctos ad vinum hortatur et escam.

Puis il tint ce langage à la chère enfant : « Voilà bien longtemps que nous souffrons le même exil, sans ignorer ce que nos parents décidèrent entre eux de notre avenir. Continuerons-nous à refouler cela comme un secret sur nos lèvres? »

La jeune fille, croyant que son fiancé parlait ainsi par ironie, se tut un instant, puis répondit: « Pourquoi feindre en paroles ce qui est loin de tes sentiments intimes, et me tenir un langage contre lequel tout ton cœur se révolte? Comme si tu avais grande honte à prendre pareille épouse! »

Mais le sage Walther réplique aussitôt : «. Loin de moi ce que tu veux dire! Ne laisse pas s'égarer ta pensée. Sache que jamais je ne t'ai rien dit avec feinte, et ne crois pas qu'il y ait entre nous rien de nébuleux ou de faux. Nous sommes seuls ici, et si je savais que tu voulusses m'écouter et me seconder fidèlement dans l'exécution du tour que je médite, je t'ouvrirais tous les secrets de mon cœur. »

La vierge s'incline aux genoux du héros. « O mon seigneur, répondit-elle, n'importe pourquoi tu m'appelles, je te suivrai avec ardeur sans rien vouloir mettre au-dessus de tes ordres. » Lui alors : « Je suis las enfin de notre exil, et je pense souvent à la patrie délaissée ; aussi je songe à fuir rapidement, en secret, et j'aurais pu le faire depuis longtemps déjà, n'eût été le chagrin de te laisser seule, Hildegonde ! » A ces mots la jeune fille s'écrie du fond du cœur : « Votre vouloir est le mien, c'est mon seul et ardent désir. Que mon seigneur commande, et dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, je suis prête à tout souffrir pour l'amour de lui. »

Walther enfin lui dit à l'oreille: « C'est à toi qu'a été remise la garde des trésors, marque donc, bien ceci dans ta mémoire: tout d'abord, je réclame le casque du roi, et sa cotte à triple rang de mailles : prends aussi sa cuirasse portant la marque de ses armuriers. Ensuite, mets de côté deux coffres de moyenne grandeur, et remplis-les de bracelets pannoniens, de façon que tu aies de la peine à en soulever un jusqu'au bas de ta poitrine. Puis, fais-moi quatre paires de chaussures ordinaires, fais-en autant pour toi, et place-les sur le précieux bagage ; cela remplira peut-être les coffres jusqu'au bord. Commande en secret aux forgerons des hameçons recourbés, car nous vivrons en route de poissons et d'oiseaux, et il faudra que je sois pécheur et oiseleur. Tous ces préparatifs, termine-les adroitement dans la semaine ; tu sais maintenant ce qu'il faut pour le voyage.

» Et je vais te révéler comment peut se faire notre fuite. Quand le soleil aura sept fois recommencé sa course circulaire, j'inviterai le roi, la reine, les grands, les chefs et leurs serviteurs à un joyeux banquet préparé à grands frais, et j'emploierai tous les moyens pour les plonger dans l'ivresse, de façon qu'aucun d'eux n'ait plus conscience de ses actes. Toi, au contraire, bois peu de vin, tout au plus ce qu'il en faudra pour te désaltérer à table. Quand les autres se lèveront (pour boire une rasade), prétexte pour t'esquiver les menus soins dont on te sait chargée. Lorsqu’enfin ils seront tous abattus par le vin, alors nous hâterons ensemble notre course vers l'Occident. »

La jeune fille n'oublia rien dans l'accomplissement de ces instructions, et enfin, vint le jour fixé pour le festin que Walther disposa lui-même avec somptuosité. La table du milieu surtout étalait un grand luxe.

Le roi fit son entrée dans la cour toute tapissée de draperies, et notre héros, le saluant avec le cérémonial accoutumé, le conduisit au trône tendu de lin et de pourpre. Le monarque s'assied et fait asseoir deux chefs à sa droite et à sa gauche ; l'intendant place les autres. Cent convives s'accoudent à la fois sur des coussins, et, à goûter tant de mets divers, la sueur leur vient au front. Ces premiers plats emportés sont remplacés par d'autres ; de savoureuses senteurs de ragoûts montent dans l'air. On ne voit que des vases d'or sur les nappes de lin, et le vin pourpré embellit les coupes; son éclat, sa douceur invitent à boire, et Walther presse chacun à faire honneur à la boisson et aux mets.

 

Postquam epulis depulsa fames sublataque mensa,
Heros iam dictus dominum laetanter adorsus               305
Inquit: «in hoc, rogito, clarescat gratia vestra,
Ut vos inprimis, reliquos tunc laetificetis.»
Et simul in verbo nappam dedit arte peractam
Ordine sculpturae referentem gesta priorum.
Quam rex accipiens haustu vacuaverat uno               310
Confestimque iubet reliquos imitarier omnes.
Ocius accurrunt pincernae moxque recurrunt,
Pocula plena dabant et inania suscipiebant.
Hospitis ac regis certant hortatibus omnes.
Ebrietas fervens tota dominatur in aula;               315
Balbutit madido facundia fusa palato.
Heroas validos plantis titubare videres.
Taliter in seram produxit Bachica noctem
Munera Waltharius retrahitque redire volentes,
Donec vi potus pressi somnoque gravati               320
Passim porticibus sternuntur humotenus omnes.
Et licet ignicremis vellet dare moenia flammis,
Nullus, qui causam potuisset scire, remansit.
Tandem dilectam vocat ad semet mulierem,
Praecipiens causas citius deferre paratas.               325
Ipseque de stabulis victorem duxit equorum,
Ob virtutem quem vocitaverat ille Leonem.
Stat sonipes ac frena ferox spumantia mandit.
Hunc postquam faleris solito circumdedit, ecce
Scrinia plena gazae lateri suspendit utrique               330
Atque iteri longo modicella cibaria ponit
Loraque virgineae mandat fluitantia dextrae.
Ipseque lorica vestitus more gigantis
Imposuit capiti rubras cum casside cristas
Ingentesque ocreis suras complectitur aureis               335
Et laevum femur ancipiti praecinxerat ense
Atque alio dextrum pro ritu Pannoniarum;
Is tamen ex una tantum dat vulnera parte.
Tunc hastam dextra rapiens clipeumque sinistra
Coeperat invisa trepidus decedere terra.               340
Femina duxit equum nonnulla talenta gerentem,
In manibusque simul virgam tenet ipsa colurnam,
In qua piscator hamum transponit in undam,
Ut cupiens pastum piscis deglutiat hamum.
Namque gravatus erat vir maximus undique telis               345
Suspectamque habuit cuncto sibi tempore pugnam.
Omni nocte quidem properabant currere; sed cum
Prima rubens terris ostendit lumina Phoebus,
In silvis latitare student et opaca requirunt,
Sollicitatque metus vel per loca tuta fatigans.               350
In tantumque timor muliebria pectora pulsat,
Horreat ut cunctos aurae ventique susurros,
Formidans volucres collisos sive racemos.
Hinc odium exilii patriaeque amor incubat inde.
Vicis diffugiunt, speciosa novalia linquunt;               355
Montibus intonsis cursus ambage recurvos
Sectantes tremulos variant per devia gressus.

Ast urbis populus somno vinoque solutus
Ad medium lucis siluit recubando sequentis.
Sed postquam surgunt, ductorem quique requirunt,               360
Ut grates faciant ac festa laude salutent.
Attila nempe manu caput amplexatus utraque
Egreditur thalamo rex Walthariumque dolendo
Advocat, ut proprium quereretur forte dolorem.
Respondent ipsi se non potuisse ministri               365
Invenisse virum, sed princeps sperat eundem
Hactenus in somno tentum recubare quietum
Occultumque locum sibi delegisse sopori.
Ospirin Hiltgundem postquam cognovit abesse
Nec iuxta morem vestes deferre suetum,               370
Tristior immensis satrapae clamoribus inquit:
«O detestandas, quas heri sumpsimus, escas!
O vinum, quod Pannonias destruxerat omnes!
Quod domino regi iam dudum praescia dixi,
Approbat iste dies, quem nos superare nequimus.               375
En hodie imperii vestri cecidisse columna
Noscitur, en robur procul ivit et inclita virtus:
Waltharius, lux Pannoniae, discesserat inde,
Hiltgundem quoque mi caram deduxit alumnam.»

Iam princeps nimia succenditur efferus ira,               380
Mutant laetitiam maerentia corda priorem.
Ex humeris trabeam discindit ad infima totam
Et nunc huc animum tristem, nunc dividit illuc.
Ac velut Aeolicis turbatur arena procellis,
Sic intestinis rex fluctuat undique curis,               385
Et varium pectus vario simul ore imitatus
Prodidit exterius, quicquid toleraverat intus,
Iraque sermonem permisit promere nullum.
Ipso quippe die potum fastidit et escam,
Nec placidam membris potuit dare cura quietem.               390
Namque ubi nox rebus iam dempserat atra colores,
Decidit in lectum, verum nec lumina clausit,
Nunc latus in dextrum fultus nunc inque sinistrum.
Et veluti iaculo pectus transfixus acuto
Palpitat atque caput huc et mox iactitat illuc,               395
Et modo subrectus fulcro consederat amens.
Nec iuvat hoc, demum surgens discurrit in urbe,
Atque thorum veniens simul attigit atque reliquit.
Taliter insomnem consumpserat Attila noctem.
At profugi comites per amica silentia euntes               400
Suspectam properant post terga relinquere terram.

Vix tamen erupit cras, rex patribusque vocatis
Dixerat: «o si quis mihi Waltharium fugientem
Afferat evinctum ceu nequam forte liciscam,
Hunc ego mox auro vestirem saepe recocto               405
Et tellure quidem stantem hinc inde onerarem
Atque viam penitus clausissem, vivo, talentis.»
Sed nullus fuit in tanta regione tyrannus
Vel dux sive comes seu miles sive minister,
Qui, quamvis cuperet proprias ostendere vires               410
Ac virtute sua laudem captare perennem
Ambiretque simul gazam infarcire cruminis,
Waltharium tamen iratum praesumpserat armis
Insequier strictoque virum mucrone videre.
Nota equidem virtus; experti sunt quoque, quantas               415
Incolomis dederit strages sine vulnere victor.
Nec potis est ullum rex persuadere virorum,
Qui promissa velit hac condicione talenta.

Waltharius fugiens, ut dixi, noctibus ivit,
Atque die saltus arbustaque densa requirens               420
Arte accersitas pariter capit arte volucres,
Nunc fallens visco, nunc fisso denique ligno.
Ast ubi pervenit, qua flumina curva fluebant,
Immittens hamum rapuit sub gurgite praedam
Atque famis pestem pepulit tolerando laborem.               425
Namque fugae toto se tempore virginis usu
Continuit vir Waltharius laudabilis heros.

Après manger, on se repose ; les tables sont enlevées. Le héros, s'adressant d'un air joyeux à son souverain, lui dit: « J'implore de votre grâce cette faveur insigne que vous appeliez la joie sur vous d'abord, puis sur les autres. » En même temps il lui présente un grand hanap artistement travaillé, sur lequel une suite de sculptures représente les exploits des aïeux. Le roi l'accepte et le vide d'un trait, en ordonnant à tous de l'imiter. Et les échansons d'accourir, de se croiser, offrant des coupes pleines et remportant les vides ; tous les convives à l'envi obéissent aux instances de leur hôte et du roi. Bientôt l'ivresse fermente et domine dans toute la cour; les langues imbibées balbutient, et l'on voit de robustes guerriers chanceler sur leurs jambes. Ainsi Walther prolonge bien avant dans la nuit ses largesses bachiques, et relient ceux qui veulent se retirer, jusqu'à ce que, vaincus par le vin et le sommeil, tous s'étendent pêle-mêle à terre sous les portiques. S'il lui plaisait maintenant de livrer le palais aux flammes, il n'y aurait plus personne pour s'en apercevoir. Enfin il appelle à lui sa bien-aimée, et lui dit d'apporter vite tout ce qu'elle a préparé. Lui-même, il sort de l'écurie son triomphant coursier, celui que, pour sa vaillance, il appelait Lion. Dans son ardeur, l'animal frappe du pied et ronge son frein chargé d'écume. Après l'avoir harnaché comme de coutume, Walther lui attache aux flancs les deux précieux coffrets, quelques vivres aussi pour ce long voyage, et il confie à la main de la jeune fille la bride flottante. Lui-même, il se revêt d'une cuirasse qui lui donne l'air d'un géant, met sur sa tête un casque au rouge panache, et autour de ses jambes énormes des cuissards dorés ; il avait ceint à son flanc gauche un glaive à deux tranchants, et à son liane droit un sabre à la mode des Huns ; celui-là ne coupait que d'un côté. Enfin sa lance dans la main droite, son bouclier au bras gauche, il se met en route, non sans trembler, pour quitter cette terre odieuse. La jeune fille conduisait le cheval chargé d'or, et en même temps tenait à la main la gaule de coudrier qui sert au pécheur à déposer l'appât dans l'onde, pour que l'avide poisson avale l'hameçon recourbé. Car le héros avait grosse charge d'armes et s'attendait à tout moment à combattre. Pendant la nuit entière, ils précipitent leur course; mais dès que se montrent les premières rougeurs du soleil, ils ont soin de se cacher au plus épais des bois, et la crainte s'acharne sur eux dans les abris les plus sûrs. La peur secoue tellement le cœur de la jeune fille, qu'elle tressaille au moindre soupir de la brise ou du vent, au bruit de l'aile d'un oiseau, au craquement des branches. Mais la haine de l'exil et l'amour de la patrie dominent tout ; les fugitifs évitent les villages, laissent de côté les plaines découvertes, gagnant des chemins détournés sur des hauteurs non défrichées encore, et multipliant les écarts de leur marche inquiète.

Cependant le peuple de la cité royale, accablé de sommeil et d'ivresse, reposa en silence jusqu'au milieu du jour suivant. Puis chacun, en se levant, réclame le jeune homme pour le remercier et le saluer d'éloges solennels. Attila lui-même, serrant sa tête de ses deux mains, sort de sa chambre à coucher et appelle Walther d'une voix dolente, peut-être pour se plaindre à lui de son malaise. Justement les serviteurs répondent qu'ils n'ont pu trouver le héros ; c'est qu'alors, suppose le roi, il est encore retenu par le sommeil et a choisi pour dormir quelque lieu caché. Mais la reine Ospirine, lorsqu'elle apprit l'absence d'Hildegonde qui ne venait pas comme de coutume pour l'habiller, elle poussa de grands cris et dit tristement au roi : « Oh ! maudit soit le festin que nous acceptâmes hier, et maudit le vin qui terrassa tous les Huns ! Ce que j'ai depuis longtemps prévu et dit à mon seigneur, une fatalité insurmontable nous le prouve en ce jour. Elle est à bas, la colonne de votre empire ! La voilà loin, cette force et cette vertu insigne, et la gloire de la Pannonie a fui avec Walther. Il m'a même pris Hildegonde, ma chère enfant d'adoption ! »

A son tour le roi est embrasé d'une farouche colère, et la tristesse remplace la joie dans son cœur. Il déchire son manteau royal depuis l'épaule jusqu'à terre, et son chagrin ne sait à quoi se résoudre. Comme le sable tourbillonne au gré des vents orageux, de même Attila flotte d'un souci à l'autre ; son visage reflète l'agitation de son cœur et trahit au dehors sa souffrance intime ; la colère l'empêche de parler. Ce jour-là, il dédaigne le boire et le manger, et le souci éloigne de son corps le doux repos. Car lorsque la nuit noire a effacé la couleur des objets, il se jette sur son lit, mais sans fermer les yeux, couché tantôt sur un flanc, puis sur l'autre; et comme si un dard aigu lui transperçait la poitrine, il tressaille, jette la tête de côté et d'autre, se redresse et s'assied sur sa couche d'un air égaré, puis se lève tout à fait, parcourt la ville, et ne regagne son lit que pour le quitter aussitôt. C'est ainsi que, pour Attila, cette nuit tout entière se passe dans l'insomnie. En attendant les fugitifs, dans le silence des ténèbres propices, pressent le pas pour mettre loin derrière eux cette terre de péril.

Mais, dès l'aube du lendemain, le roi convoque les premiers du royaume, et leur dit : « Oh ! celui qui saisirait Walther dans sa fuite, et me l'amènerait lié comme un chien-loup malfaisant, celui-là, je le revêtirais de l'or le plus pur; je le chargerais à l'instant de domaines à droite et à gauche, et je l'enfermerais tout vif dans une clôture de trésors ! » Mais il n'est pas de prince dans un si grand pays, pas de duc, de comte, de soldat, de valet, à qui le désir de montrer sa force et de s'illustrer par sa valeur, tout en bourrant d'écus sa bourse, puisse se donner l'audace de poursuivre Walther irrité, et d'affronter le héros, glaive en main. Car tous connaissent sa vaillance, et savent de quels carnages il est sorti sain et sauf et vainqueur. Le roi ne réussit donc à décider personne par des trésors promis sous une pareille condition.

Walther fuyant, comme je l'ai dit, marchait durant les nuits, et recherchait pour le jour les bois et les buissons touffus. Sachant l'art d'attirer les oiseaux, il les prenait adroitement à l'aide de gluaux ou de baguettes fendues. Puis, lorsqu'il arrivait au tournant de quelque rivière, plongeant ses hameçons, il ravissait sa proie au fond du gouffre, et chassait le fléau de la faim à force d'industrie. Par une continence digue d'éloge, Walther, tant que dura sa fuite, respecta la virginité de sa compagne.

 

PARS SECUNDA

Ecce quater denos sol circumflexerat orbes,
Ex quo Pannonica fuerat digressus ab urbe.
Ipso quippe die, numerum qui clauserat istum,               430
Venerat ad fluvium iam vespere tum mediante,
Scilicet ad Rhenum, qua cursus tendit ad urbem
Nomine Wormatiam regali sede nitentem.
Illic pro naulo pisces dedit antea captos
Et mox transpositus graditur properanter anhelus.               435

Orta dies postquam tenebras discusserat atras,
Portitor exsurgens praefatam venit in urbem
Regalique coco, reliquorum quippe magistro,
Detulerat pisces, quos vir dedit ille viator.
Hos dum pigmentis condisset et apposuisset               440
Regi Gunthario, miratus fatur ab alto:
«Istius ergo modi pisces mihi Francia numquam
Ostendit; reor externis a finibus illos.
Dic mihi quantocius: cuias homo detulit illos?»
Ipseque respondens narrat, quod nauta dedisset.               445
Accersire hominem princeps praecepit eundem;
Et, cum venisset, de re quaesitus eadem
Talia dicta dedit causamque ex ordine pandit:
«Vespere praeterito residebam litore Rheni
Conspexique viatorem propere venientem               450
Et veluti pugnae certum per membra paratum:
Aere etenim penitus fuerat, rex inclite, cinctus
Gesserat et scutum gradiens hastamque coruscam.
Namque viro forti similis fuit, et licet ingens
Asportaret onus, gressum tamen extulit acrem.               
455
Hunc incredibili formae decorata nitore
Assequitur calcemque terit iam calce puella.
Ipsaque robustum rexit per lora caballum
Scrinia bina quidem dorso non parva ferentem,
Quae, dum cervicem sonipes discusserit altam               460
Atque superba cupit glomerare volumina crurum,
Dant sonitum, ceu quis gemmis illiserit aurum.
Hic mihi praesentes dederat pro munere pisces.»

His Hagano auditis (ad mensam quippe resedit)
Laetior in medium prompsit de pectore verbum:               465
«Congaudete mihi, quaeso, quia talia novi!
Waltharius collega meus remeavit ab Hunis.»
Guntharius princeps ex hac ratione superbus
Vociferatur, et omnis ei mox aula reclamat:
Congaudete mihi, iubeo, quia talia vixi!               470
Gazam, quam Gibicho regi transmisit eoo,
Nunc mihi cunctipotens huc in mea regna remisit.»
Haec ait et mensam pede perculit exiliensque
Ducere equum iubet et sella componere sculpta
Atque omni de plebe viros secum duodenos               475
Viribus insignes, animis plerumque probatos
Legerat. inter quos simul ire Haganona iubebat.
Qui memor antiquae fidei sociique prioris
Nititur a coeptis dominum transvertere rebus.
Rex tamen econtra nihilominus instat et infit:               480
«Ne tardate, viri, praecingite corpora ferro
Fortia, squamosus thorax iam terga recondat.
Hic tantum gazae Francis deducat ab oris?»
Instructi telis (nam iussio regis adurget)
Exibant portis, te Waltharium cupientes               485
Cernere et imbellem lucris fraudare putantes.
Sed tamen omnimodis Hagano prohibere studebat,
At rex infelix coeptis resipiscere non vult.

Interea vir magnanimus de flumine pergens
Venerat in saltum iam tum Vosagum vocitatum.               490
Nam nemus est ingens, spatiosum, lustra ferarum
Plurima habens, suetum canibus resonare tubisque.
Sunt in secessu bini montesque propinqui,
Inter quos licet angustum specus extat amoenum,
Non tellure cava factum, sed vertice rupum:               495
Apta quidem statio latronibus illa cruentis.
Angulus hic virides ac vescas gesserat herbas.
«Huc», mox ut vidit iuvenis, «huc» inquit «eamus,
His iuvat in castris fessum componere corpus.»
Nam postquam fugiens Avarum discesserat oris,               500
Non aliter somni requiem gustaverat idem
Quam super innixus clipeo; vix clauserat orbes.
Bellica tum demum deponens pondera dixit
Virginis in gremium fusus: «circumspice caute,
Hiltgunt, et nebulam si tolli videris atram,               505
Attactu blando me surgere commonitato,
Et licet ingentem conspexeris ire catervam,
Ne excutias somno subito, mi cara, caveto!
Nam procul hinc acies potis es transmittere puras.
Instanter cunctam circa explora regionem!»               510
Haec ait atque oculos concluserat ipse nitentes
Iamque diu satis optata fruitur requiete.

Ast ubi Guntharius vestigia pulvere vidit,
Cornipedem rapidum saevis calcaribus urget
Exultansque animis frustra sic fatur ad auras:               515
«Accelerate, viri, iam nunc capietis euntem,
Numquam hodie effugiet, furata talenta relinquet.»
Inclitus at Hagano contra mox reddidit ista:
«Unum dico tibi, regum fortissime, tantum:
Si totiens tu Waltharium pugnasse videres               520
Atque nova totiens, quotiens ego, caede furentem,
Numquam tam facile spoliandum forte putares.
Vidi Pannonias acies, cum bella cierent
Contra aquilonares sive australes regiones.
Illic Waltharius propria virtute coruscus               525
Hostibus invisus, sociis mirandus obibat.
Quisquis ei congressus erat, mox Tartara vidit.
O rex et comites, experto credite, quantus
In clipeum surgat, quo turbine torqueat hastam.»
Sed dum Guntharius male sana mente gravatus               530
Nequaquam flecti posset, castris propiabant.

Quarante fois le soleil avait décrit son orbe depuis que notre héros s'était échappé de la cité pannonienne. Et, ce quarantième jour, vers le milieu du soir, Walther arriva au bord du Rhin, là où le fleuve se dirige vers une ville nommée Worms, résidence illustre d'un roi. Pour payer un batelier, il lui donna des poissons d'une précédente capture, et bientôt déposé sur l'autre bord, il poursuivit sa marche précipitée.

Quand le jour eut dissipé les noires ténèbres, le batelier se leva, gagna la ville, et porta au cuisinier du roi, chef des autres serviteurs, les poissons que le voyageur lui avait donnés. Ces poissons, assaisonnés furent servis au roi, et Gunther, saisi d'étonnement, dit du haut de son siège : « Des poissons de cette espèce, jamais la Francie ne m'en a fourni; je pense qu'ils proviennent d'un pays étranger. Dis-moi vite, d'où vient celui qui les apportés? » Le cuisinier répondit les tenir du batelier. Le roi fit quérir cet homme, qui aussitôt arrivé, interrogé, raconta de point en point ce qui suit : « Hier soir, j'étais assis au bord du Rhin, quand je vis venir en hâte un voyageur tout préparé, semble-t-il, à un combat certain. Car sachez-le, grand roi, il était revêtu d'une armure complète, il portait en marchant un bouclier et une lance reluisante, il avait l'air d'un vaillant, et bien que lourdement chargé, s'avançait d'un pas alerte. Sur ses talons le suivait une jeune fille d'une beauté si éclatante qu'on ne le saurait croire. Elle menait par la bride un vigoureux cheval qui portait sur son dos deux coffres assez grands : et lorsque le cheval secouait haut la tête et essayait fièrement de prendre le trot, ces coffres rendaient un son comme de pierreries et d'or entrechoqués. Cet homme m'a donné pour mon salaire les poissons que voilà. »

Entendant cela, Hagen, qui était assis à la table, interrompit le batelier en s'écriant tout joyeux : « Partagez, je vous prie, la joie que me causent ces nouvelles ! Walther, mon compagnon, est revenu de chez les Huns ! » Il pousse un cri d'allégresse auquel répondent les acclamations de toute la cour. Mais Gunther, l'orgueilleux prince, raisonne autrement: «Partagez, je l'ordonne, la joie que me causent ces nouvelles ! Le trésor que Gibich dut livrer au roi d'Orient, le Tout-Puissant vient de le faire rentrer dans mon royaume. » Il dit, repousse du pied la table, et bondissant de la salle, il fait amener et seller son cheval. Puis, dans tout le peuple, il choisit pour l'accompagner douze hommes d'une force insigne, du courage le plus éprouvé. Hagen reçut l'ordre de marcher parmi eux ; mais se rappelant l'amitié qui l'unissait à son ancien compagnon, il s'efforça de détourner son maître d'une telle entreprise. Le roi n'en insista pas moins et dit : « Ne tardez pas, mes hommes, ceignez de fer vos vaillants corps, qu'une cotte de mailles couvre vos reins! Emportera-t-on de la terre des Francs un si gros trésor? » Bien munis d'armes, sur l'ordre pressant du roi, ils sortirent des portes, désireux de t'étendre, ô Walther ! et pensant le dépouiller de ton gain sans combat. Hagen pourtant fit tous ses efforts pour arrêter l'aventure, mais le roi, pour son malheur, n'y voulut point renoncer.

Cependant le héros, s'éloignant du fleuve, était arrivé dans un pays boisé qu'on appelait en ce temps déjà les Vosges. Cette forêt immense, repaire des bêtes sauvages, retentissait fréquemment de l'aboi des chiens, du son du cor. Dans un canton retiré se dressent deux monts rapprochés, entre lesquels s'ouvre une grotte étroite mais riante, formée non par une cavité du sol, mais par la réunion des cimes des rochers : un poste à souhait pour des brigands sanguinaires. Ce coin de terre verdoyait, couvert d'un maigre gazon. Aussitôt qu'il l'aperçut, Walther dit : « Allons là ! Je serai bien dans cet abri pour reposer mon corps de ses fatigues. » Car depuis qu'il avait quitté la terre des Huns, s'il avait pris un peu de sommeil et de repos, c'était en s'appuyant sur son bouclier, fermant à peine les yeux. Alors enfin il dépose son pesant harnais de guerre, il s'étend, la tête sur le giron de la jeune fille. « Surveille bien, dit-il, les alentours, Hildegonde, si tu vois s'élever un noir nuage de poussière, que ta douce main m'avertisse de me lever. Mais quand même tu verrais défiler une grosse troupe, n'interromps pas tout de suite mon sommeil, ma bien-aimée; d'ici tes beaux yeux clairs peuvent porter loin leurs regards. Explore avec soin tout le pays. » IL dit, ferme ses yeux brillants, et jouit enfin du repos tant désiré.

Mais en apercevant des traces sur le sable, Gunther donne de l'éperon à son coursier rapide et jette aux airs ces vaines fanfaronnades : « Hâtez-vous, mes hommes, vous allez le prendre, il ne peut s'échapper, il nous abandonnera ses trésors volés ! » Hagen lui répond : « Je n'ai qu'une chose à te dire, ô le plus vaillant des rois : si tu avais aussi souvent que moi vu Walther combattant et faisant devant lui un furieux carnage, tu ne le croirais pas si facile à dépouiller. J'ai vu les Huns guerroyer au Nord comme au Midi. Là Walther, par l'éclat de son courage, était l'effroi des ennemis, l’étonnement de ses compagnons; quiconque l'affrontait courait droit au trépas. O roi, et vous, camarades, croyez en mon expérience quand je vous dis comme il est grand sous les armes, avec quelle force il lance le javelot. » Mais pendant ces tentatives inutiles pour détourner Gunther de sa folle présomption, on approchait du campement de Walther.

 

At procul aspiciens Hiltgunt de vertice montis
Pulvere sublato venientes sensit et ipsum
Waltharium placido tactu vigilare monebat.
Qui caput attollens scrutatur, si quis adiret.               535
Eminus illa refert quandam volitare phalangem.
Ipse oculos tersos somni glaucomate purgans
Paulatim rigidos ferro vestiverat artus
Atque gravem rursus parmam collegit et hastam
Et saliens vacuas ferro transverberat auras               540
Et celer ad pugnam telis prolusit amaram.
Comminus ecce coruscantes mulier videt hastas
Ac stupefacta nimis: «Hunos hic» inquit «habemus!»
In terramque cadens effatur talia tristis:
«Obsecro, mi senior, gladio mea colla secentur,               545
Ut, quae non merui pacto thalamo sociari,
Nullius ulterius patiar consortia carnis.»
Tum iuvenis: «cruor innocuus me tinxerit?» inquit
Et: «quo forte modo gladius potis est inimicos
Sternere, tam fidae si nunc non parcit amicae?               550
Absit quod rogitas; mentis depone pavorem!
Qui me de variis eduxit sacpe periclis,
Hic valet hic hostes, credo, confundere nostros.»
Haec ait atque oculos tollens effatur ad ipsam:
«Non assunt Avares hic, sed Franci nebulones,               555
Cultores regionis et» - en galeam Haganonis
Aspicit et noscens iniunxit talia ridens:
«Et meus hic socius Hagano collega veternus.»

Hoc heros dicto introitum stationis adibat,
Inferius stanti praedicens sic mulieri:               560
«Hac coram porta verbum modo iacto superbum:
Hinc nullus rediens uxori dicere Francus
Praesumet se impune gazae quid tollere tantae.»
Necdum sermonem complevit, humotenus ecce
Corruit et veniam petiit, quia talia dixit.               565
Postquam surrexit, contemplans cautius omnes:
«Horum, quos video, nullum Haganone remoto
Suspicio; namque ille meos per proelia mores
Iam didicit, tenet hic etiam sat callidus artem.
Quam si forte volente deo intercepero solam,               570
Tunc» ait «ex pugna tibi, Hiltgunt sponsa, reservor.»

Ast ubi Waltharium tali statione receptum
Conspexit Hagano, satrapae mox ista superbo
Suggerit: «o senior, desiste lacessere bello
Hunc hominem! pergant primum, qui cuncta requ irant,               575
Et genus et patriam nomenque locumque relictum,
Vel si forte petat pacem sine sanguine praebens
Thesaurum. Per responsum cognoscere homonem
Possumus, et si Waltharius remoratur ibidem
(Est sapiens), forsan vestro concedet honori.»               580

Praecipit ire virum cognomine rex Camalonem,
Inclita Mettensi quem Francia miserat urbi
Praefectum, qui dona ferens devenerat illo
Anteriore die, quam princeps noverit ista.
Qui dans frena volat rapidoque simillimus euro               585
Transcurrit spatium campi iuvenique propinquat
Ac sic obstantem compellat: «dic, homo, quisnam
Sis aut unde venis, quo pergere tendis?»
Heros magnanimus respondit talia dicens:
«Sponte tua venias an huc te miserit ullus,               590
Scire velim.» Camalo tunc reddidit ore superbo:
«Noris Guntharium regem tellure potentem
Me misisse tuas quaesitum pergere causas.»

His auscultatis suggesserat hoc adolescens:
«Ignoro penitus, quid opus sit forte viantis               595
Scrutari causas, sed promere non trepidamus.
Waltharius vocor, ex Aquitanis sum generatus.
A genitore meo modicus puer obsidis ergo
Sum datus ad Hunos; ibi vixi nuncque recessi
Concupiens patriam dulcemque revisere gentem.»               600
Missus ad haec: «tibi iam dictus per me iubet heres,
Ut cum scriniolis equitem des atque puellam.
Quod si promptus agis, vitam concedet et artus.»

Waltharius contra fidenter protulit ista:
«Stultius effatum me non audisse sophistam               605
Arbitror. En memoras, quod princeps, nescio vel quis,
Promittat, quod non retinet nec fors retinebit.
An deus est, ut iure mihi concedere possit
Vitam? num manibus tetigit? num carcere trusit
Vel post terga meas torsit per vincula palmas?               610
At tamen ausculta: si me certamine laxat
(Aspicio, ferratus adest, ad proelia venit),
Armillas centum de rubro quippe metallo
Factas transmittam, quo nomen regis honorem.»
Tali responso discesserat ille recepto,               615
Principibus narrat, quod protulit atque resumpsit.

Tunc Hagano ad regem: «porrectam suscipe gazam,
Hac potis es decorare, pater, tecum comitantes,
Et modo de pugna palmam revocare memento!
Ignotus tibi Waltharius et maxima virtus.               620
Ut mihi praeterita portendit visio nocte,
Non, si conserimus, nos prospera cuncta sequentur.
Visum quippe mihi te colluctarier urso,
Qui post conflictus longos tibi mordicus unum
Crus cum poplite ad usque femur decerpserat omne               625
Et mox auxilio subeuntem ac tela ferentem
Me petit atque oculum cum dentibus eruit unum.»

His animadversis clamat rex ille superbus:
«Ut video, genitorem imitaris Hagathien ipse.
Hic quoque perpavidam gelido sub pectore mentem               630
Gesserat et multis fastidit proelia verbis.»

Tunc heros magnam iuste conceperat iram,
Si tamen in dominum licitum est irascier ullum.
«En» ait «in vestris consistant omnia telis.
Est in conspectu, quem vultis, dimicet omnis.               
635
Comminus astatis, nec iam timor impedit ullum;
Eventum videam nec consors sim spoliorum.»
Dixerat et collem petiit mox ipse propinquum
Descendensque ab equo consedit et aspicit illo.

Post haec Guntharius Camaloni praecipit aiens:               640
«Perge et thesaurum reddi mihi praecipe totum.
Quodsi cunctetur (scio, tu vir fortis et audax),
Congredere et bello devictum mox spoliato!»
Ibat Mettensis Camalo metropolitanus,
Vertice fulva micat cassis, de pectore thorax,               645
Et procul acclamans: «heus, audi» dixit «amice!
Regi Francorum totum transmitte metallum,
Si vis ulterius vitam vel habere salutem!»

Conticuit paulum verbo fortissimus heros,
Opperiens propius hostem adventare ferocem.               650
Advolitans missus vocem repetiverat istam:
[«Regi Francorum totum transmitte metallum!»
Tum iuvenis constans responsum protulit istud:
«Quid quaeris vel quid reddi, importune, coartas?
Numquid Gunthario furabar talia regi?               
655
Aut mihi pro lucro quicquam donaverat ille,
Ut merito usuram me cogat solvere tantam?
Num pergens ego dampna tuli vestrae regioni,
Ut vel hinc iuste videar spoliarier a te?
Si tantam invidiam cunctis gens exhibet ista,               660
Ut calcare solum nulli concedat eunti,
Ecce viam mercor, regi transmitto ducentas
Armillas. Pacem donet modo bella remittens."

Haec postquam Camalo percepit corde ferino,
«Amplificabis» ait «donum, dum scrinia pandis.               
665
Consummare etenim sermones nunc volo cunctos:
Aut quaesita dabis aut vitam sanguine fundes.»
Sic ait et triplicem clipeum collegit in ulnam
Et crispans hastile micans vi nititur omni
Ac iacit. At iuvenis devitat cautior ictum.               670
Hasta volans casso tellurem vulnere mordit.

Waltharius tandem: «si sic placet», inquit «agamus!»
Et simul in dictis hastam transmisit. at illa
Per laevum latus umbonis transivit, et ecce
Palmam, qua Camalo mucronem educere coepit,               675
Confixit femori transpungens terga caballi.
Nec mora, dum vulnus sentit sonipes, furit atque
Excutiens dorsum sessorem sternere temptat;
Et forsan faceret, ni lancea fixa teneret.
Interea parmam Camalo dimisit et, hastam               680
Complexus laeva, satagit divellere dextram.
Quod mox perspiciens currit celeberrimus heros
Et pede compresso capulo tenus ingerit ensem;
Quem simul educens hastam de vulnere traxit.
Tunc equus et dominus hora cecidere sub una.               685

Et dum forte nepos conspexerat hoc Camalonis,
Filius ipsius Kimo eognomine fratris,
Quem referunt quidam Scaramundum nomine dictum,
Ingemit et lacrimis compellat tristior omnes:
«Haec me prae cunctis heu respicit actio rerum.               690
Nunc aut commoriar vel carum ulciscar amicum.»
Namque angusta loci solum concurrere soli
Cogebant, nec quisquam alii succurrere quivit.
Advolat infelix Scaramundus iam moriturus,
Bina manu lato crispans hastilia ferro.               695
Qui dum Waltharium nullo terrore videret
Permotum fixumque loco consistere in ipso,
Sic ait infrendens et equinam vertice caudam
Concutiens: «in quo fidis? vel quae tua spes est?
Non ego iam gazam nec rerum quidque tuarum               700
Appeto, sed vitam cognati quaero perempti.»
Ille dehinc: «si convincar, quod proelia primus
Temptarim seu quid merui, quod talia possim
Iure pati, absque mora tua me transverberet hasta.»
Necdum sermonem concluserat, en Scaramundus               705
Unum de binis hastile retorsit in illum
Confestimque aliud. Quorum celeberrimus heros
Unum devitat, quatit ex umbone secundum.
Tunc aciem gladii promens Scaramundus acuti
Proruit in iuvenem cupiens praescindere frontem,               710
Effrenique in equo propius devectus ad illum
Non valuit capiti libratum infindere vulnus,
Sed capulum galeae impegit: dedit illa resultans
Tinnitus ignemque simul transfudit ad auras.
Sed non cornipedem potuit girare superbum,               715
Donec Waltharius sub mentum cuspidis ictum
Fixerat et sella moribundum sustulit alta.
Qui caput orantis proprio mucrone recidens
Fecit cognatum pariter fluitare cruorem.

Hunc ubi Guntharius conspexit obisse superbus,               720
Hortatur socios pugnam renovare furentes:
«Aggrediamur eum nec respirare sinamus,
Donec deficiens lassescat; et inde revinctus
Thesauros reddet luet et pro sanguine poenas.»
 

Soudain Hildegonde, faisant le guet au loin du haut de la montagne, vit s'élever une poussière qui annonçait des gens en marche, et elle toucha doucement du doigt Walther pour l'éveiller. Il leva la tête pour regarder qui venait. Elle lui dit qu'au loin une troupe volait sur la plaine. Alors, se frottant les yeux pour en ôter le voile du sommeil, il revêt lentement de fer ses membres encore raides, et ramasse son pesant bouclier et sa lance; puis, bondissant, il frappe des coups dans l'air, et prélude au dur combat en maniant lestement ses armes. En ce moment, la jeune fille voit non loin de là briller des lances, et dans son saisissement : « Voici les Huns! » dit-elle. Et se jetant à terre, elle s'écrie tristement : « Je t'en conjure, mon seigneur, tranche-moi la tête, pour que, si le sort me refuse l'hymen convenu entre nous, je n'aie du moins pas d'autre union à subir! » Mais lui : « Quoi ! dit-il, me couvrir de sang innocent! Mériterait-il encore d'abattre des ennemis, le fer qui n'aurait pas eu pitié d'une telle amie? Ne me demande rien de pareil, et mets de côté tes craintes. Celui qui m'a tiré de tant de périls divers a bien, je crois, le pouvoir de confondre cette fois encore nos ennemis. » Puis, ayant levé les yeux, il ajoute : « Ce ne sont pas des Huns, mais des Francs Nibelungs, des habitants du pays. » Et reconnaissant le casque d'Hagen, il se met à rire : « Eh! le voilà mon camarade Hagen, mon vieux compagnon d'exil! »

Cela dit, le héros se poste à l'entrée du refuge, et s'adressant à la jeune fille restée en arrière : « Ecoute la Mère parole que je lance devant ce seuil : qu'aucun de ces Francs ne se flatte de retourner dire à son épouse qu'il a pris impunément la moindre parcelle de nos trésors ! » Mais il n'a pas encore achevé qu'il se jette à terre, demandant à Dieu pardon d'un tel langage. Et, s'étant relevé, il examina prudemment ses adversaires : « Hagen est de tous ceux-là le seul que je redoute, car il connaît ma manière de combattre, et certes il ne manque pas d'adresse. Mais si seulement Dieu veut que je déjoue ses ruses, je te reviendrai de ce combat, chère épouse. »

De son côté, Hagen, voyant le poste occupé par Walther, donne au roi ce conseil : « O seigneur, ne vous acharnez pas à combattre cet homme! Qu'on aille d'abord lui demander quelle est sa race, sa patrie, son nom, le lieu d'où il vient, s'il veut avoir la paix sans effusion de sang en livrant son trésor. Par la réponse nous connaîtrons l'homme, et si Walther n'a pas changé, — il est raisonnable, — peut-être cèdera-t-il par égard pour vous. »

Le roi chargea du message un certain Camelon, préfet de Metz pour la noble Francie, et qui était venu apporter le tribut de cette ville, la veille du jour où le prince apprenait le passage des fugitifs. Camelon, rendant la bride à son cheval, vole comme le vent, traverse la plaine, et s'approche de Walther qui lui barre le chemin. Il l'interpelle ainsi : « Homme, dis-moi qui tu es, d'où tu viens, où tu vas. » — « Et moi, dit le héros, je voudrais bien savoir si tu viens de toi-même ou si quelqu'un t'envoie. » Camelon alors d'un ton d'arrogance : «Apprends que le puissant roi Gunther m'envoie rechercher les raisons de ton voyage. »

Walther répond : « Je ne comprends pas quel besoin on peut avoir de pénétrer les secrets d'un voyageur, mais moi je n'hésite pas à les produire au jour. Je m'appelle Walther, je suis natif d'Aquitaine; tout enfant je fus livré en otage aux Huns par mon père. J'ai vécu depuis lors chez les Huns, et je viens de les quitter par grand désir de revoir ma patrie et ma nation bien aimée. » — « Eh bien, reprend l'envoyé, le roi que je t'ai nommé t'ordonne par ma voix de livrer tes coffrets, ton cheval et la jeune fille. Si tu le fais de bonne grâce, il te laissera et la vie et les membres. »

Walther riposte hardiment : « Je n'ai jamais, que je pense, entendu plus sot bavard. A ton dire, je ne sais quel prince me promettrait ce qui n'est pas et ne sera, j'espère, jamais en son pouvoir. Est-il Dieu pour se croire le droit de m'accorder la vie? A-t-il mis la main sur moi? Me tient-il en prison? Mes bras sont-ils tordus, liés derrière mon dos? Ecoute pourtant : s'il me dispense de combattre, — car, je le vois à son armure, il est venu en ennemi, — je lui remettrai cent bracelets d'or, par égard pour son titre de roi. » L'envoyé part avec cette réponse, et va raconter aux nobles Francs ce qu'il a proposé et ce qu'il rapporte.

Là-dessus Hagen dit au roi : « Acceptez le présent que l'on vous offre ; avec cela vous pourrez, ô père, honorer votre suite, et surtout retirez la main que vous avanciez pour combattre. Vous ne connaissez Walther ni sa valeur insigne. Et la nuit dernière un rêve m'a présagé que, si nous attaquons, le succès ne nous suivra pas. Vous m'êtes apparu aux prises avec un ours qui, après une longue lutte, mordit une de vos jambes et l'arracha, ainsi que le genou jusqu'à la cuisse; et comme je venais à votre aide, le javelot en main, la bête fondit sur moi et me fit sauter un œil et plusieurs dents. »

A ces représentations l'orgueilleux monarque répond en s'écriant : « A ce que je vois, tu suis l'exemple de ton père Agath. C'était aussi une âme timide dans un cœur de glace et un verbeux détracteur de batailles. »

Hagen alors conçoit une juste colère, s'il est permis à personne de s'irriter contre son souverain. « Eh bien, dit-il, c'est l'affaire de vos armes. Votre homme est devant vous que chacun le combatte! Vous êtes à portée, et la peur ne vous retient pas, vous autres. Moi, je vous regarderai faire, et je renonce à partager le butin. » Sur ces mots, il gagna une colline prochaine, descend de cheval, et s'assoit en spectateur.

Cependant Gunther commande à Camelon : « Vu, et somme l'étranger de me rendre tout le trésor. S'il hésite, je te sais brave et audacieux, attaque-le et dépouille-le vaincu. » Et le gouverneur de Metz se met en marche; son jaune casque brille sur sa tête, sa cuirasse sur sa poitrine. De loin il crie: « Eh! l'ami, écoute-moi! Donne tout ton or au roi des Francs, si tu veux avoir la vie sauve. »

Le brave Walther reste un moment sans répondre, attendant l'approche de son farouche ennemi. Celui-ci, en accourant, répète sa sommation : « Livre ton or au roi des Francs! » Le héros répond enfin : « Hue demandes-tu, que réclames-tu, importun? ai-je rien volé de tel au roi Gunther? Ou m'a-t-il fait par intérêt quelque don qu'il ait le droit de me reprendre avec tant d'usure? Est-ce qu'en traversant votre pays j'y ai commis un dommage qui semble t'autoriser à me dépouiller? Si les gens d'ici sont assez jaloux de tout le monde pour ne laisser personne fouler leur sol en passant, soit, j'achète mon passage, et j'offre au roi deux cents bracelets. Qu'il me donne seulement la paix et renonce à la guerre. »

A cela l'impitoyable Camelon réplique : « C'est pour un plus gros présent qu'il faut ouvrir les coffres. Au surplus, voici mon dernier mot : ou tu donneras ce qu'on exige, ou ta vie s'écoulera avec ton sang ! » Ayant dit, il ramène sur son bras son triple bouclier, brandit sa javeline luisante, et la lance de toutes ses forces. Mais le jeune homme sur ses gardes évite le coup, et le fer qui vole mord en vain le sol.

Walther enfin : « Vous le voulez ainsi, dit-il. Eh bien, à l'œuvre! » En même temps il lance son javelot. Traversant le côté gauche du bouclier, le fer perce la main avec laquelle Camelon commençait de tirer son épée, la lui cloue sur la cuisse, et s'enfonce dans la croupe du cheval. Dès qu'elle sent la blessure, la bête se cabre, furieuse et veut secouer de son dos le cavalier; et peut-être y réussirait-elle sans les traits qui les fixe l'un à l'autre. Cependant Camelon, lâchant son bouclier, saisit de la main gauche l'arme qui l'a frappé, et s'efforce d'en détacher sa main droite. Voyant cela, Walther accourt, lui serre le pied, lui plonge son épée dans le corps jusqu'à la garde, et puis la retire ainsi que son javelot. Cheval et cavalier tombent au même instant.

A ce triste spectacle, le neveu de Camelon, le fils de son propre frère, celui qu'on surnommait Kimon, et que certains appellent Scaramond, gémit et tout en larmes crie à ses compagnons : « C'est moi que l'affaire regarde avant vous tous! Ou je périrai avec lui, ou je vengerai celui qui m'était si cher. » — Il faut dire que dans l'étroit défilé les adversaires devaient se mesurer seul à seul et que nul frère d'armes ne pouvait secourir un autre. Ainsi l'infortuné Scaramond vole à la mort, brandissant deux javelines au large fer. Et voyant que Walther restait intrépide et comme fixé à son poste, il lui dit en grinçant des dents, en secouant la queue de cheval qui flotte sur son casque : a Quelle audace est la tienne, et qu'espères-tu? Moi, je n'en veux pas à ton trésor ni à rien de ce qui est à toi; c'est la vie de mon parent que je te réclame. » Walther répond : « Si l'on peut me convaincre d'avoir été l'agresseur, ou si je fis rien pour mériter ce châtiment, soit! que ta lance me perce à l'instant même! » Il n'avait pas fini de parler que déjà Scaramond lui jetait une de ses javelines, puis l'autre, coup sur coup; le héros évita la première, et secoue la seconde qui avait frappé le bouclier. Tirant alors son épée, Scaramond fond sur Walther pour lui fendre le front; mais emporté par l'élan de son cheval, il passe trop près de lui, et au lieu de blesser la tête avec la lame, il frappe seulement le casque avec la poignée de son arme ; le choc produit un tintement, et une étincelle s'envole dans les airs. Et avant qu'il ait pu faire volter son fier coursier, Walther lui plante sa lance sous le menton, et l'enlève de sa haute selle à demi-mort. Puis, sans écouter ses prières, il lui tranche la tête avec son propre glaive, et sur le sang de l'oncle fait couler celui du neveu.

Dès qu'il a vu périr Scaramond, l'orgueilleux Gunther exhorte ses compagnons à renouveler l'attaque avec furie : « Assaillons-le, ne le laissons plus respirer, jusqu'à ce qu'il se lasse et succombe, et nous le garrotterons, et il rendra le trésor et il sera puni du sang qu'il a versé! »

 

Tertius en Werinhardus abit bellumque lacessit,               725
Quamlibet ex longa generatus stirpe nepotum,
O vir clare, tuus cognatus et artis amator,
Pandare, qui quondam iussus confundere foedus
In medios telum torsisti primus Achivos.
Hic spernens hastam pharetram gestavit et arcum,               730
Eminus emissis haud aequo Marte sagittis
Waltharium turbans. contra tamen ille virilis
Constitit opponens clipei septemplicis orbem,
Saepius eludens venientes providus ictus.
Nam modo dissiluit, parmam modo vergit in austrurn               735
Telaque discussit, nullum tamen attigit illum.
Postquam Pandarides se consumpsisse sagittas
Incassum videt, iratus mox exerit ensem
Et demum advolitans has iactitat ore loquelas:
«O si ventosos lusisti, callide, iactus,               740
Forsan vibrantis dextrae iam percipis ictum.»

Olli Waltharius ridenti pectore adorsus:
«Iamque diu satis expecto certamina iusto
Pondere agi. Festina, in me mora non erit ulla.«
Dixerat et toto conixus corpore ferrum               745
Conicit. Hasta volans pectus reseravit equinum:
Tollit se arrectum quadrupes et calcibus auras
Verberat effundensque equitem cecidit super illum.
Accurrit iuvenis et ei vi diripit ensem.
Casside discussa crines complectitur albos               750
Multiplicesque preces nectenti dixerat heros:
«Talia non dudum iactabas dicta per auras.»
Haec ait et truncum secta cervice reliquit.

Sed non dementem tria visa cadavera terrent
Guntharium: iubet ad mortem properare vicissim.               755
En a Saxonicis oris Ekivrid generatus
Quartus temptavit bellum, qui pro nece facta
Cuiusdam primatis eo diffugerat exul.
Quem spadix gestabat equus maculis variatus.
Hic ubi Waltharium promptum videt esse duello,               760
«Dic» ait «an corpus vegetet tractabile temet
Sive per aerias fallas, maledicte, figuras.
Saltibus assuetus faunus mihi quippe videris.»

Illeque sublato dedit haec responsa cachinno:
«Celtica lingua probat te ex illa gente creatum,               765
Cui natura dedit reliquas ludendo praeire.
At si te propius venientem dextera nostra
Attingat, post Saxonibus memorare valebis,
Te nunc in Vosago fauni fantasma videre.»
«Attemptabo quidem, quid sis», Ekivrid ait, ac mox               770
Ferratam cornum graviter iacit. Illa retorto
Emicat amento; quam durus fregerat umbo.

Waltharius contra respondit cuspide missa:
«Haec tibi silvanus transponit munera faunus.
Aspice, num mage sit telum penetrabile nostrum. »               775
Lancea taurino contextum tergore lignum
Diffidit ac tunicam scindens pulmone resedit.
Volvitur infelix Ekivrid rivumque cruoris
Evomit: en mortem fugiens incurrit eandem.
Cuius equum iuvenis post tergum in gramen abegit.               780

Tunc a Gunthario clipeum sibi postulat ipsum
Quintus ab inflato Hadawardus pectore lusus.
Qui pergens hastam sociis dimisit habendam,
Audax in solum confisus inaniter ensem.
Et dum conspiceret deiecta cadavera totam               785
Conclusisse viam nec equum transire valere,
Dissiliens parat ire pedes. Stetit acer in armis
Waltharius laudatque virum, qui praebuit aequam
Pugnandi sortem. Hadawart tum dixit ad illum:
«O versute dolis ac fraudis conscie serpens,               790
Occultare artus squamoso tegmine suetus
Ac veluti coluber girum collectus in unum
Tela tot evitas tenui sine vulneris ictu
Atque venenatas ludis sine more sagittas!
Numquid et iste, putas, astu vitabitur ictus,               795
Quem propius stantis certo libramine mittit
Dextra manus? neque enim is teli seu vulneris auctor.
Audi consilium: parmam deponito pictam!
Hanc mea sors quaerit, regis quoque sponsio praestat.
Nolo quidem laedas, oculis quia complacet istis.               800
Sin alias, licet et lucem mihi dempseris almam,
Assunt hic plures socii carnisque propinqui,
Qui, quamvis volucrem simules pennasque capessas,
Te tamen immunem numquam patientur abire.»

Belliger at contra nil territus intulit ista:               805
«De reliquis taceo, clipeum defendere curo.
Pro meritis, mihi crede, bonis sum debitor illi.
Hostibus iste meis se opponere saepe solebat
Et pro vulneribus suscepit vulnera nostris.
Quam sit oportunus hodie mihi, cernis et ipse;               810
Non cum Walthario loquereris forsan, abesset.
Viribus o summis hostem depellere cures,
Dextera, ne rapiat tibi propugnacula muri!
Tu clavum umbonis studeas retinere, sinistra,
Atque ebori digitos circumfer glutine fixos!               
815
Istic ne ponas pondus, quod tanta viarum
Portasti spatia, ex Avarum nam sedibus altis!»

Ille dehinc: «invitus agis, si sponte recusas.
Nec solum parmam, sed equum cum virgine et auro
Reddes: tum demum scelerum cruciamina pendes.»               
820
Haec ait et notum vagina diripit ensem.
Inter se variis terrarum partibus orti
Concurrunt. Stupuit Vosegus haec fulmina et ictus.
Olli sublimes animis ac grandibus armis,
Hic gladio fidens, hic acer et arduus hasta,               825
Inter se multa et valida vi proelia miscent.
Non sic nigra sonat percussa securibus ilex,
Ut dant tinnitus galeae clipeique resultant.
Mirantur Franci, quod non lassesceret heros
Waltharius, cui nulla quies spatiumve dabatur.               830
Emicat hic impune putans iam Wormatiensis
Alte et sublato consurgit fervidus ense,
Hoc ictu memorans semet finire duellum.
Providus at iuvenis ferientem cuspide adacta
Intercepit et ignarum dimittere ferrum               835
Cogebat: procul in dumis resplenduit ensis.
Hic ubi se gladio spoliatum vidit amico,
Accelerare fugam fruticesque volebat adire.
Alpharides fretus pedibus viridique iuventa
Insequitur dicens: «quonam fugis? accipe scutum!»               
840
Sic ait atque hastam manibus levat ocius ambis
Et ferit. Ille cadit, clipeus superintonat ingens.
Nec tardat iuvenis: pede collum pressit et hasta
Divellens parmam telluri infixerat illum.
Ipse oculos vertens animam sufflavit in auram.               845

Le troisième qui partit au combat, ce fut Wurhard, le descendant d'une longue suite d'aïeux, un de tes arrière-neveux et un archer comme toi, illustre Pandarus, qui poussé (par Minerve) à troubler la trêve conclue, lanças le premier trait au milieu des Grecs. Méprisant la lance, Wurhard portait un carquois et un arc, et pour mettre l'avantage de son côté, il harcela de loin Walther à coups de flèches. Mais celui-ci, faisant brave contenance, et opposant son vaste bouclier, voyait venir les traits et les évitait avec adresse, soit par un saut de côté, soit en inclinant le bouclier au vent pour les faire dévier; aucun ne le toucha. Enfin, furieux de voir toutes ses flèches usées en vain, le descendant de Pandarus tire son épée, s'élance, et avec vanterie : « Va, dit-il, si ta ruse a pu déjouer des traits légers comme le vent, tu n'esquiveras pas, j'espère, un coup asséné par ma main! »

Walther lui répond gaillardement : « Assez longtemps tu me fis attendre une lutte à chances égales. Hâte-toi donc, le retard ne viendra pas de moi. » Il dit, et de toutes ses forces lance son javelot. Le fer vole et va trouer le poitrail du cheval, qui se cabre tout droit, battant l'air de ses pieds, fait rouler à terre son cavalier, et se renverse sur lui. Le héros accourt, arrache à Wurhard son épée, son casque, et le saisit par sa blonde chevelure. Aux prières répétées du vaincu, le vainqueur répond : « Tu ne parlais pas ainsi tout à l'heure, fanfaron! » Et sur ces mots il laisse choir le tronc décapité.

Mais la vue de trois cadavres n'abat point la démence de Gunther. Il ordonne : à tour de rôle ses hommes courront à la mort. Et le quatrième qui tenta le sort du combat fut Ekefrid, né au pays saxon, un banni forcé de fuir son pays après le meurtre d'un chef. Il montait un cheval bai-moucheté. Voyant Walther déjà prêt pour ce nouveau duel : « Dis-moi, maudit, lui cria-t-il, as-tu un corps palpable, ou n'es-tu qu'une décevante figure aérienne? Tu m'as l'air d'un Faune accoutumé à bondir. »

Walther se met à rire et répond : « Ton jargon prouve que tu es de cette race à qui la nature a donné de surpasser les autres en plaisanterie. Mais approche d'abord à portée de ma main; tu seras libre ensuite de raconter aux Saxons que tu as vu dans les Vosges l'apparition d'un Faune. » — « Je tâterai du moins qui tu es ! » dit Ekefrid, et aussitôt il brandit violemment son javelot ferré de cornouiller, qui s'échappe des replis de la courroie, mais se brise en choquant le dur bouclier.

Walther répond en faisant voler sa lance : « Tiens, voilà les présents du Faune des bois ! Vois si mes traits, à moi, ne savent pas mieux pénétrer. » La lance fend le bois recouvert de cuir de taureau, perce la cotte de mailles, et se plante dans le poumon. Le pauvre Ekefrid roule à terre et vomit un flot de sang; lui qui fuyait la mort, il vient de courir au-devant d'elle. Walther prend le cheval du vaincu et le met au pâturage derrière lui.

Un cinquième champion alors, Hadawart, le cœur gonflé d'illusions, demande à Gunther (pour sa part de butin), le propre bouclier de l'ennemi. Il part, laissant sa lance à ses compagnons, et se confiant avec une folle audace en sa seule épée. Et comme il voit le chemin obstrué par les cadavres gisants, et son cheval empêché de passer, il saute à terre et s'avance à pied. Walther, fièrement campé sous ses armes, donne un éloge au brave qui vient lui offrir un combat égal. Mais Hadawart lui dit : « O serpent pétri de ruses et maître en fourberie! Toi qui caches tes membres sous une cuirasse d'écaillés, et qui, replié en rond comme la couleuvre, évites tant de traits sans recevoir la moindre blessure, toi qui te joues avec un bonheur inouï des flèches empoisonnées, crois-tu pouvoir l'esquiver par artifice, le coup asséné de près et d'une main sûre, le coup qui ne harcèle pas, mais qui blesse? Écoute un conseil : dépose ton bouclier si bien peint, c'est ma part, et le roi me l'a promis. Je ne veux pas que tu le gâtes, il me plaît trop. Au surplus, tu aurais beau me ravir la douce lumière de la vie, j'ai là plusieurs compagnons et parents qui, lors même que tu emprunterais les ailes de l'oiseau, ne te laisseront jamais partir d'ici impuni. »

Ces menaces n'épouvantent pas le héros, qui répond : « Je n'ai qu'un mot à te dire, je défendrai mon bouclier. Crois-moi, je lui ai de grandes obligations. Il s'est maintes fois opposé à mes ennemis, il a reçu bien des blessures à ma place. Tu vois de quel secours il m'est aujourd'hui, et s'il m'eût manqué, peut-être Walther ne te parlerait-il pas. O ma main droite, déploie toutes tes forces pour repousser l'agresseur, et l'empêcher de te ravir mon rempart! Et toi, ma gauche, tiens bien la poignée du bouclier, et que tes doigts soient comme collés à l'ivoire! Ne va pas lâcher ici ce fardeau porté sur de si longues routes, depuis le palais des Huns! »

Hadawart alors : « Tu le feras malgré toi, si tu ne veux pas de bon gré. Et ce n'est pas seulement le bouclier, c'est le cheval et la jeune fille et l'or qu'il faudra rendre. Alors enfin lu seras châtié, scélérat! » — Il dit, et tire son illustre épée du fourreau. Ces fils de contrées diverses s'élancent l'un sur l'autre. Les Vosges voient ces foudres avec étonnement. Les deux champions, grands par le cœur et par les armes, l'un se fiant à son épée, l'antre, ardent et terrible avec sa lance, se livrent mille assauts et déploient toutes leurs forces. Le chêne ombreux sur qui les haches s'abattent ne retentit pas si fort que leurs casques et leurs boucliers. Les Francs s'étonnent que Walther reste infatigable, bien qu'on ne lui ait laissé ni repos ni trêve. Le champion de Worms, croyant le faire sans danger, se dresse de toute sa hauteur et brusquement il lève son épée, pensant terminer du coup ce duel. Mais au moment où il frappe, son adversaire sur ses gardes pare le coup en avançant sa lance, et lui fait sauter du poing son arme inutile; la lame étincelante vole au loin dans les broussailles. Quand il se voit privé du secours de son épée, Hadawart prend sa course et veut gagner les buissons; mais de son pied agile, avec la verdeur de la jeunesse, le fils d'Alpher le poursuit et lui crie : « Où fuis-tu? Reçois-le donc, mon bouclier ! » Disant cela, il lève vivement sa lance des deux mains, et frappe : Hadaward tombe, l'immense bouclier s'abat sur lui avec fracas. Sans retard, Walther lui met le pied sur la nuque, et, du bout de sa lance écartant le bouclier, il cloue le vaincu à terre. L'infortuné roule des yeux mourants, et le souffle de sa vie se perd dans les airs.

Sextus erat Patavrid. Soror hunc germana Haganonis
Protulit ad lucem. Quem dum procedere vidit,
Vocibus et precibus conatur avunculus inde
Flectere proclamans: «quonam ruis? aspice mortem,
Qualiter arridet! desiste! en ultima Parcae               850
Fila legunt. O care nepos, te mens tua fallit.
Desine! Waltharii tu denique viribus impar.»
Infelix tamen ille means haec omnia sprevit;
Arsit enim venis laudem captare cupiscens.
Tristatusque Hagano suspiria pectore longa               855
Traxit et has imo fudit de corde loquelas:
«O vortex mundi, fames insatiatus habendi,
Gurges avaritiae, cunctorum fibra malorum!
O utinam solum gluttires dira metallum
Divitiasque alias homines impune remittens!               
860
Sed tu nunc homines perverso numine perflans
Incendis, nullique suum iam sufficit. Ecce
Non trepidant mortem pro lucro incurrere turpem.
Quanto plus retinent, tanto sitis ardet habendi.
Externis modo vi modo furtive potiuntur               865
Et, quod plus renovat gemitus lacrimasque ciebit,
Caeligenas animas Erebi fornace retrudunt.
Ecce ego dilectum nequeo revocare nepotem;
Instimulatus enim de te est, o saeva cupido.
En caecus mortem properat gustare nefandam               870
Et vili pro laude cupit descendere ad umbras.
Heu mihi care nepos, quid matri, perdite, mandas ?
Quis nuper ductam refovebit, care, maritam,
Cui nec, rapte spei, pueri ludicra dedisti?
Quis tibi nam furor est? unde haec dementia venit?»               875
Sic ait et gremium lacrimis conspersit obortis,
Et longum «formose, vale» singultibus edit.

Waltharius, licet alonge, socium fore maestum
Attendit, clamorque simul pervenit ad aures.
Unde incursantem sic est affatus equestrem:               880
«Accipe consilium, iuvenis clarissime, nostrum
Et te conservans melioribus utere fatis.
Desine, nam tua te fervens fiducia fallit!
Heroum tot cerne neces et cede duello,
Ne suprema videns hostes facias mihi plures.»               885
«Quid de morte mea euras» ait ille «tyranne?
Est modo pugnandum tibimet, non sermocinandum.»
Dixit et in verbo nodosam destinat hastam,
Cuspide quam propria divertens transtulit heros.
Quae subvecta choris ac viribus acta furentis               890
In castrum venit atque pedes stetit ante puellae.
Ipsa metu perculsa sonum prompsit muliebrem.
At postquam tenuis redit in praecordia sanguis,
Paulum suspiciens spectat, num viveret heros.

Tum quoque vir fortis Francum discedere bello               895
Iussit; at ille furens gladium nudavit et ipsum
Incurrens petiit vulnusque a vertice librat.
Alpharides parmam demum concusserat aptam
Et spumantis apri frendens de more tacebat.
Ille ferire volens se pronior omnis ad ictum               900
Exposuit, sed Waltharius sub tegmine flexus
Delituit corpusque suum contraxit, et ecce
Vulnere delusus iuvenis recidebat ineptus.
Finis erat, nisi quod genibus tellure refixis
Belliger accubuit calibemque sub orbe cavebat.               905
Hic dum consurgit, pariter se subrigit ille
Ac citius scutum trepidus sibi praetulit atque
Frustra certamen renovare parabat. At illum
Alpharides fixa gladio petit ocius hasta
Et mediam clipei dempsit vasto impete partem,               910
Hamatam resecans loricam atque ilia nudans.
Labitur infelix Patavrid sua viscera cernens
Silvestrique ferae corpus, animam dedit Orco.

Hunc sese ulturum spondens Gerwitus adivit,
Qui forti subvectus equo supra volat omnem               915
Stragem, quae angustam concluserat obvia callem.
Et dum bellipotens recidisset colla iacentis,
Venit et ancipitem vibravit in ora bipennem
(Istius ergo modi Francis tunc arma fuere).
Vir celer obiecit peltam frustravit et ictum,               920
Ac retro saliens hastam rapiebat amicam
Sanguineumque ulva viridi dimiserat ensem.

Hic vero metuenda virum tum bella videres.
Sermo quidem nullus fuit inter Martia tela:
Sic erat adverso mens horum intenta duello.               925
Is furit, ut caesos mundet vindicta sodales,
Ille studet vitam toto defendere nisu
Et, si fors dederit, palmam retinere triumphi.
Hic ferit, ille cavet; petit ille, reflectitur iste:
Ad studium fors et virtus miscentur in unum.               930
Longa tamen cuspis breviori depulit hostem
Armatum telo, girat sed et ille caballum
Atque fatigatum cupiebat fallere homonem.

Iam magis atque magis irarum mole gravatus
Waltharius clipeum Gerwiti sustulit imum,               935
Transmissoque femur penetraverat inguine ferrum.
Qui post terga ruens clamorem prodidit atrum
Exitiumque dolens pulsabat calcibus arvum.
Hunc etiam truncum caesa cervice reliquit.
Idem Wormatiae campis comes extitit ante.               940

Tunc primum Franci coeperunt forte morari
Et magnis precibus dominum decedere pugna
Deposcunt. Furit ille miser caecusque profatur:
«Quaeso, viri fortes et pectora saepe probata,
Ne fors haec cuicumque metum, sed conferat iram.               945
Quid mihi, si Vosago sic sic inglorius ibo?
Mentem quisque meam sibi vindicet.
En ego partus
Ante mori sum, Wormatiam quam talibus actis
Ingrediar. Petat hic patriam sine sanguine victor?
Hactenus arsistis hominem spoliare metallis;               950
Nunc ardete, viri, fusum mundare cruorem,
Ut mors abstergat mortem, sanguis quoque sanguem,
Soleturque necem sociorum plaga necantis!»

His animum dictis demens incendit et omnes
Fecerat immemores vitae simul atque salutis.               955
Ac velut in ludis alium praecurrere quisque
Ad mortem studuit; sed semita, ut antea dixi,
Cogebat binos bello decernere solos.
Vir tamen illustris dum cunctari videt illos,
Vertice distractas suspendit in arbore cristas               960
Et ventum captans sudorem tersit anhelus.

Ecce repentino Randolf athleta caballo
Praevertens reliquos hunc importunus adivit
Ac mox ferrato petiit sub pectore conto.
Et nisi duratis Wielandia fabrica giris               965
Obstaret, spisso penetraverit ilia ligno.
Ille tamen subito stupefactus corda pavore
Munimen clipei obiecit mentemque recepit.
Nec tamen et galeam fuerat sumpsisse facultas.
Francus at emissa gladium nudaverat hasta               970
Et feriens binos Aquitani vertice crines
Abrasit, sed forte cutem praestringere summam
Non licuit; rursumque alium vibraverat ictum
Et praeceps animi directo obstamine scuti
Impegit calibem, nec quivit viribus ullis               975
Elicere. Alpharides retro, se fulminis instar
Excutiens, Francum valida vi fudit ad arvum
Et super assistens pectus conculcat et inquit:
«En pro calvitio capitis te vertice fraudo,
Ne fiat ista tuae de me iactantia sponsae.»               980
Vix effatus haec truncavit colla precantis.

At nonus pugnae Helmnod successit, et ipse
Insertum triplici gestabat fune tridentem,
Quem post terga quidem socii stantes tenuerunt,

Consiliumque fuit, dum cuspis missa sederet               985
In clipeo, cuncti pariter traxisse studerent,
Ut vel sic hominem deiecissent furibundum;
Atque sub hac certum sibi spe posuere triumphum.
Nec mora, dux totas fundens in brachia vires
Misit in adversum magna cum voce tridentem               990
Edicens: «ferro tibi finis, calve, sub isto!»
Qui ventos penetrans iaculorum more coruscat,
Quod genus aspidis ex alta sese arbore tanto
Turbine demittit, quo cuncta obstantia vincat.
Quid moror? umbonem sciderat peltaque resedit.               995
Clamorem Franci tollunt saltusque resultat,
Obnixique trahunt restim simul atque vicissim,
Nec dubitat princeps tali se aptare labori.
Manarunt cunctis sudoris flumina membris.
Sed tamen haec inter velut aesculus astitit heros               1000
Quae non plus petit astra comis quam Tartara fibris,
Contempnens omnes ventorum immota fragores.
Certabant hostes hortabanturque viritim,
Ut, si non quirent ipsum detrudere ad arvum
Munimen clipei saltem extorquere studerent,               1005
Quo dempto vivus facile caperetur ab ipsis.

Nomina quae restant edicam iamque trahentum:
Nonus Eleuthir erat, Helmnod cognomine dictus,
Argentina quidem decimum dant oppida Trogum,
Extulit undecimum pollens urbs Spira Tanastum,               1010
Absque Haganone locum rex supplevit duodenum.
Quattuor hi adversum summis conatibus unum
Contendunt pariter multo varioque tumultu.

Interea Alpharidi vanus labor incutit iram,
Et qui iam pridem nudarat casside frontem,               1015
In framea tunicaque simul confisus aena
Omisit parmam primumque invasit Eleuthrin.
Huic galeam findens cerebrum diffudit et ipsam
Cervicem resecans pectus patefecit, at aegrum
Cor pulsans animam liquit mox atque calorem.               1020

Inde petit Trogum haerentem in fune nefando.
Qui subito attonitus recidentis morte sodalis
Horribilique hostis conspectu coeperat acrem
Nequiquam temptare fugam voluitque relicta
Arma recolligere, ut rursum repararet agonem               1025
(Nam cuncti funem tracturi deposuerunt
Hastas cum clipeis). Sed quanto maximus heros
Fortior extiterat, tanto fuit ocior, olli
Et cursu capto suras mucrone recidit
Ac sic tardatum praevenit et abstulit eius               1030
Scutum. Sed Trogus quamvis de vulnere lassus,
Mente tamen fervens saxum circumspicit ingens,
Quod rapiens subito obnixum contorsit in hostem
Et proprium a summo clipeum fidit usque deorsum.
Sed retinet fractum pellis superaddita lignum.               1035
Moxque genu posito viridem vacuaverat aedem
Atque ardens animis vibratu terruit auras,
Et si non quivit virtutem ostendere factis,
Corde tamen habitum patefecit et ore virilem.
Nec manes ridere videns audaciter infit:               1040
«O mihi si clipeus vel sic modo adesset amicus!
Fors tibi victoriam de me, non inclita virtus
Contulit. Ad scutum mucronem hic tollito nostrum!»

Tum quoque subridens «venio iam» dixerat heros
Et cursu advolitans dextram ferientis ademit.               1045
Sed cum athleta ictum libraret ab aure secundum
Pergentique animae valvas aperire studeret,
Ecce Tanastus adest telis cum rege resumptis
Et socium obiecta protexit vulnere pelta.
Hinc indignatus iram convertit in ipsum               1050
Waltharius humerumque eius de cardine vellit
Perque latus ducto suffudit viscera ferro.
«Ave!» procumbens submurmurat ore Tanastus.
Quo recidente preces contempsit promere Trogus
Conviciisque sui victorem incendit amaris,               1055
Seu virtute animi, seu desperaverat. Exin
Alpharides: «morere» inquit «et haec sub Tartara transfer
Enarrans sociis, quod tu sis ultus eosdem.»
His dictis torquem collo circumdedit aureum.
Ecce simul caesi volvuntur pulvere amici,               1060
Crebris foedatum ferientes calcibus arvum.

C'était le tour du sixième, de Patafrid, que mit au jour la sœur d'Hagen. En le voyant s'avancer, son oncle s'efforce de le détourner, et le rappelle et le prie : « Où cours-tu? Vois la Mort qui rit déjà! Arrête-toi, ou c'est ton dernier jour. O cher neveu, ton courage t'égare! Renonce. Tu n'es pas de la force.de Walther. » — Hélas! le jeune homme qu'enflammé l'ardeur de la gloire dédaigne ces conseils et continue d'avancer. Hagen, désolé, poussa un long soupir, et du fond du cœur il exhale ces plaintes : « O gouffre de ce monde, ambition insatiable! O monstrueuse avarice, principe de tous maux ! Que n'assouvis-tu ta gloutonne rage sur l'or même et sur les autres richesses, en l'abstenant de dévorer les hommes! Mais aujourd'hui ton souffle attise chez les humains une passion impie, et personne ne se contente plus de ce qu'il a. Et même, pour du gain, on ne craint pas d'affronter une mort honteuse ! Plus on possède, plus la soif d'avoir est ardente. Par force ou par ruse, on s'empare du bien d'autrui, et ce qui est le plus triste, ce qui doit tirer de nos cœurs le plus de larmes, on rejette en enfer des âmes nées pour les deux ! Voilà mon neveu chéri que je ne puis retenir, car tu es là qui l'aiguillonnes, cruelle ambition! Il court aveuglément à une mort affreuse, et pour une misérable gloriole, il a hâte de descendre chez les ombres. Ah ! cher neveu, que faudra-t-il dire à ta mère, enfant perdu? Qui consolent ta jeune épouse, à qui tu n'as pas donné pour distraction de sa douleur un entant dont l'espoir lui est ravi? Oh! quelle fureur est la tienne? D'où vient tant de démence? » — Il dit, et inonde son sein de larmes, et son « Adieu, beau neveu! » se prolonge en sanglots.

Malgré l'éloignement, Walther remarque le chagrin de son camarade, et il entend ses cris. C'est pourquoi il adjure le cavalier qui vient sur lui : « Écoute mon conseil, vaillant jeune homme, et conserve-toi pour de meilleurs destins. Ne va pas plus loin, car ton ardeur et ta confiance t'égarent. Vois la fin de tant de braves et renonce à ce duel, pour que ta mort n'augmente pas le nombre de mes ennemis. » — « Que t'importe ma mort, brigand? lui répond Patafrid. Ton affaire est de combattre et non de discourir. » En disant cela, il vise, et jette son javelot noueux que le héros fait dévier en l'écartant avec sa lance, mais qui, poussé par le ressort des courroies et par les forces d'un furieux, vole dans l'intérieur du retranchement et ne s'arrête qu'aux pieds de la jeune fille. Celle-ci, prise d'une terreur féminine, jette un cri. Puis, dès que son frêle courage lui revient au cœur, elle relève un peu la tête pour voir si Walther est vivant.

Pourtant, une fois encore, le généreux Walther enjoint au Franc de se retirer du combat. Mais celui-ci, en fureur, tire son épée, fond sur lui, et lui assène un coup de haut. Le fils d'Alpher s'était enfin couvert de son bouclier, et, grinçant des dents comme un sanglier qui écume de rage, ne disait mot. L'autre, en voulant frapper se penche et s'allonge tout entier; Walther, courbé et ramassé sur lui-même, se cache sous son abri. Et voilà qu'entraîné par son coup donné à taux, l'assaillant tombe-. C'était la fin, si en ce moment Walther n'avait pas été accroupi, un genou à terre, pour se garer du fer sous son bouclier. Et tandis qu'il se redresse, Patafrid se relève aussi, se hâte en frémissant d'avancer son bouclier, et se prépare en vain à recommencer le combat. Mais le fils d'Alpher, piquant sa lance dans le sol, l'attaque plus promptement avec l'épée, et d'un grand choc lui défonce le bouclier par le milieu, lui tranche sa cuirasse de métal, et lui ouvre le ventre. Le malheureux Patafrid s'affaisse, et voit couler ses entrailles ; son corps revient aux bêtes de la forêt, son âme aux enfers.

Promettant de le venger, Gerwig s'avance. Porté par un lier cheval, il vole par-dessus l'entassement de carnage qui lui bouche l'étroit sentier. Et tandis que Walther tranche le cou de sa victime, le nouveau venu l'assaille en lui jetant à la tête une hache à deux tranchants, l'arme des Francs en ce temps-là. Lestement le héros oppose au coup son bouclier, saute en arrière, et reprend sa bonne lance, laissant sur l'herbe verte l'épée ensanglantée.

Quelle effroyable lutte de vaillants on vit alors ! Aucune parole ne se mêle au choc des armes, chacun des adversaires donnant toute son attention au combat. L'un, plein de rage, veut laver dans la vengeance la mort de ses amis ; l'autre fait tous ses efforts pour détendre sa vie et, si le sort le veut, pour conserver la victoire. L'un frappe, l'autre se gare; celui-là pousse en avant, celui-ci se replie; l'adresse, le hasard et le courage se mêlent et se confondent. La longue pique de Walther tient à distance l'ennemi dont l'arme est plus courte ; mais celui-ci fait voiler son cheval, cherchant à fatiguer le héros par ses feintes.

Enfin Walther, plein de colères amoncelées, soulève par le bas le bouclier de Gerwig, et lui perce d'un coup la cuisse et l'aîné. Le blessé tombe sur le dos en jetant un cri affreux, et en se lamentant frappe des talons la terre. Le vainqueur l'abandonne après lui avoir tranché la tête comme aux autres. Au pays de Worms ce Gerwig était comte.

Alors seulement les Francs commencent à hésiter, et demandent par grandes prières à leur maître de renoncer au combat. Mais le malheureux entre en fureur et dit dans son aveuglement : « J'attends de vous, vaillants hommes, cœurs souvent éprouvés, que ce coup de sort ne fasse trembler aucun de vous, mais vous remplisse de colère. Que dirait-on de moi, si je quittais honteusement ces Vosges. Que chacun de vous s'approprie mes sentiments. Pour moi, je suis prêt à mourir plutôt que de rentrer à Worms sur cet échec. Quoi! cet homme gagnerait sa patrie vainqueur et sans blessure! Jusqu'à présent vous brûliez du désir de lui ravir ses trésors; ayez la même ardeur, mes braves, pour laver la souillure de ce carnage, et que la mort expie la mort, le sang, le sang! L'extermination du meurtrier doit consoler nos compagnons égorgés. »

Ces paroles imprudentes enflamment les courages, et font oublier, à tous, le soin de leur vie et de leur salut. Et comme on ferait pour un jeu, chacun prétend devancer les autres à la mort. Mais, je l'ai déjà dit, le sentier ne permettait de combat qu'entre deux hommes seul à seul. Entre temps, le glorieux Walther, les voyant hésiter, avait ôté son casque pour l'accrocher à un arbre, et tout haletant il aspirait l'air frais et essuyait sa sueur.

Soudain, pressant son cheval pour devancer les autres, Randolf vint rudement l'assaillir et lui lança au-dessous de la poitrine son épieu ferré. Et si la dure cuirasse, ouvrage de Wéland n'avait pas résisté, le gros bois de l'arme lui-même lui serait entré dans le ventre. Sur le moment, Walther eut le cœur glacé d'effroi; il s'abrita de son bouclier et ressaisit son courage, mais n'eut pas le temps de reprendre son casque. Le Franc, sa pique lancée, avait mis l'épée au clair; il frappa l'Aquitain à la tête, et lui trancha deux boucles de sa chevelure, sans même entamer la peau ; il asséna un second coup et, emporté par son ardeur, il enfonça tellement sa lame dans l'obstacle du bouclier, que tous les efforts ne purent l'en dégager. Prompt comme la foudre, le fils d'Alpher se jeta en arrière, et de la force de la secousse étendit le Franc sur le sol. Et se tenant droit sur lui et lui écrasant du pied la poitrine, il dit : « Pour les cheveux que lu m'as pris, moi je te prends la tête. Au moins tu n'iras pas te vanter de mon affront à ta femme! » Puis, malgré les prières du vaincu, il le décolla.

Helmod se présenta, le neuvième, au combat. Il portait un trident attaché à une triple corde que tenait derrière lui le restant de ses compagnons.

Dés que l'arme lancée serait implantée dans le bouclier, tirant tous à la fois, ils comptaient bien jeter à bas leur terrible adversaire, et ils se promettaient une victoire certaine. Sans tarder, raidissant ses bras de toutes ses forces, le chef du complot lance le trident, et dit d'une voix éclatante : « Ce fer là, tête chauve, c'est ta mort! » L'arme fend l'air, agile comme le jaculus, ce serpent qui fond sur sa proie du haut d'un arbre, et renverse tout de son choc impétueux. Bref, elle perce l'enveloppe convexe et se plante au cœur même du bouclier. Les Francs poussent une clameur dont le défilé retentit. Tous ensemble et chacun tour à tour, ils tirent la corde avec effort; le roi lui-même n'hésite pas à se mettre à l'œuvre, et des Ilots de sueur coulent de tous leurs membres. Mais le héros tient bon, pareil au chêne dont la cime monte aussi haut vers le ciel que les racines plongent bas vers les enfers, et qui méprise, immobile, tous les fracas des vents. Ses ennemis rivalisaient d'efforts et s'exhortaient l'un l'autre : s'ils ne pouvaient le jeter lui-même à terre, au moins tâcheraient-ils de lui arracher son bouclier; privé de cette défense, il tomberait bientôt vivant entre leurs mains.

Disons les noms de ces derniers champions, de ceux qui tiraient la corde : le neuvième était Eleuter, surnommé Helmond; Strasbourg donna naissance à Trogus, le dixième; le onzième, Tanast, eut pour patrie Spire la puissante, et le roi faisait, le douzième en remplacement d'Hagen. Tous les quatre, à grand bruit, ils unissaient contre un seul adversaire leurs suprêmes efforts.

Mais cette lutte sans résultat excite enfin la colère de Walther. Et lui, que l'absence de son casque laissait déjà le front nu, confiant en son épée et en sa cotte de mailles, il lâche son bouclier et fond d'abord sur Eleuter. Du coup il lui fend le casque et lui broie la cervelle, et même, tranchant le col, il lui ouvre la poitrine; le cœur palpitant de l'infortuné laisse bientôt échapper sa vie et sa chaleur.

Puis Walther court sur Trogus, qui est embarrassé dans la corde fatale. Surpris et effrayé de la mort de son compagnon et de l'apparition terrible de l'ennemi, Trogus essaie en vain une fuite rapide, et veut ramasser ses armes pour reprendre le combat. Car, pour tirer la corde, tous avaient déposé lances et boucliers: Mais le héros, qui venait de prouver sa force, surpassa de même le fuyard en vitesse, et le rattrapant à la course, il lui trancha le jarret d'un coup d'épée. L'ayant ainsi retardé, il le prévint et lui ravit son bouclier. Cependant, bouillant de courage malgré sa blessure, Trogus aperçoit une pierre énorme, la saisit, la lance soudain à grand effort sur Walther, et fend du haut en bas son propre bouclier; le cuir qui le recouvre relient seul le bois rompu. Puis, posé à genoux, il retire son épée du vert gazon, la brandit avec fureur dans l'air épouvanté. Et s'il ne peut prouver son courage par des actes, du moins son cœur et son visage ne montrent-ils rien que de viril. Sans voir la Mort qui le regarde en riant, il s'écrie avec audace : « Oh ! si seulement, même dans l'état où je suis, j'avais mon bon bouclier! Le hasard m'a vaincu, non ta valeur. Après mon bouclier, essaie de prendre mon épée ! »

Walther sourit. « J'arrive! » dit-il, et volant plutôt qu'il ne court, il tranche la main que Trogus levait pour le frapper. Mais comme il s'apprête à redoubler de tout son haut, pour achever d'ouvrir à l'âme la porte du trépas, survient Tanast qui a pu avec le roi, ressaisir ses armes, et de son bouclier tendu il protège son compagnon. Tournant alors sa colère contre le nouvel ennemi, Walther lui abat l'épaule à l'articulation, et d'un coup de pointe dans le flanc lui fait couler les entrailles. — « Adieu! » murmure Tanast en s'affaissant. Trogus, qui le voit tomber, dédaigne de recourir aux prières, et soit courage, soit désespoir, il attise par des insultes la colère de son vainqueur. « Meurs donc, dit le fils d'Alpher, et garde tout cela pour l'autre monde, où tu raconteras à tes camarades comme tu les as vengés. » Sur ces mots il l'étrangle avec son collier d'or. Réunis dans la mort, les deux amis roulent sur la poussière, frappant convulsivement du talon le sol souillé de carnage.

 

PARS TERTIA

His rex infelix visis suspirat et omni
Aufugiens studio falerati terga caballi
Scandit et ad maestum citius Haganona volavit
Omnimodisque illum precibus flexisse sategit,               1065
Ut secum pergens pugnam repararet. at ille:
«Me genus infandum prohibet bellare parentum,
Et gelidus sanguis mentem mihi ademit in armis.
Tabescebat enim genitor, dum tela videret,
Et timidus multis renuebae proelia verbis.               1070
Haec dum iactasses, rex, inter te comitantes,
Extitit indignum nostri tibi quippe invamen.»

Ille recusanti precibus nihilominus instans
Talibus aversum satagit revocare loquelis:
«Deprecor ob superos, conceptum pone furorem,               1075
Iram de nostra contractam decute culpa,
Quam vita comitante, domum si venero tecum,
Impensis tibimet benefactis diluo multis.
Nonne pudet sociis tot cognatisque peremptis
Dissimulare virum? magis, ut mihi quippe videtur,               1080
Verba valent animum quam facta nefanda movere.
Iustius in saevum tumuisses mente tyrannum,
Qui solus hodie caput infamaverat orbis.
Non modicum patimur damnum de caede virorum;
Dedecus at tantum superabit Francia numquam.               1085
Antea quis fuimus suspecti, sibila dantes
«Francorum» dicent «exercitus omnis ab uno,
Pro pudor, ignotum vel quo, est impune necatus»!»

Cunctabatur adhuc Haganon et pectore sponsam
Walthario plerumque fidem volvebat et ipsum               1090
Eventum gestae recolebat in ordine causae.
Supplicius tamen infelix rex institit illi.
Cuius subnixe rogitantis acumine motus
Erubuit domini vultum, replicabat honorem
Virtutis propriae, qui fors vilesceret inde,               1095
Si quocumque modo in rebus sibi parceret istis.
Erupit tandem et clara sic voce respondit:
«Quo me, domne, vocas? quo te sequar, inclite princeps?
Quae nequeunt fieri, spondet fiducia cordi.
Quis tam desipiens quandoque fuisse probatur,               1100
Qui saltu baratrum sponte attemptarit apertum?
Nam scio Waltharium per campos sic fore acerbum,
Ut tali castro nec non statione locatus
Ingentem cuneum velut unum temnat homullum.
Et licet huc cunctos equites simul atque pedestres               1105
Francia misisset, sic his ceu fecerat istis.
Sed quia conspicio te plus doluisse pudore
Quam caedis damno nec sic discedere velle,
Compatior, propriusque dolor succumbit honori
Regis: et ecce viam conor reperire salutis,               1110
Quae tamen aut nusquam ostendit se sive coacte.
Nam propter carum (fateor tibi, domne) nepotem
Promissam fidei normam corrumpere nollem.
Ecce in non dubium pro te, rex, ibo periclum.
Ast hic me penitus conflictu cedere noris.               1115
Secedamus eique locum praestemus eundi
Et positi in speculis tondamus prata caballis,
Donec iam castrum securus deserat artum,
Nos abiisse ratus. Campos ubi calcet apertos,
Insurgamus et attonitum post terga sequamur:               1120
Sic aliquod virtutis opus temptare valemus.
Haec mihi in ambiguis spes set certissima rebus.
Tum pugnare potes, belli si, rex, tibi mens est:
Quippe fugam nobis numquam dabit ille duobus,
At nos aut fugere aut acrum bellare necesse est.»               1125
Laudat consilium satrapa et complectitur illum
Oscilloque virum demulcet; et ecce recedunt
Insidiisque locum circumspexere sat aptum
Demissique ligant animalia gramine laeto.

Interea occiduas vergebat Phoebus in oras,               1130
Ultima per notam signans vestigia Thilen,
Et cum Scottigenis post terga reliquit Hiberos.
Hic postquam oceanas sensim calefecerat undas,
Hesperos Ausonidis obvertit cornua terris,
Tum secum sapiens coepit tractare satelles,               1135
Utrum sub tuto per densa silentia castro
Sisteret, an vastis heremi committeret arvis.
Aestuat immensis curarum fluctibus et, quid
Iam faceret, sollers arguta indagine quaerit.
Solus enim Hagano fuerat suspectus et illud               1140
Oscillum regis subter complexibus actum.
Ambierat prorsus, quae sit sententia menti
Hostis et an urbem vellent remeare relictam,
Pluribus ut sociis per noctem forte coactis
Primo mane parent bellum recreare nefandum               1145
An soli insidias facerent propiusque laterent.
Terret ad haec triviis ignoti silva meatus,
Ne loca fortassis incurreret aspera spinis,
Immo quippe feris, sponsamque amitteret illis.

His ita provisis exploratisque profatur:               1150
«En quocumque modo res pergant, hic recubabo,
Donec circuiens lumen spera reddat amatum,
Ne patriae fines dicat rex ille superbus
Evasisse fuga furis de more per umbras.»
Dixit et ecce viam vallo praemuniit artam               1155
Undique praecisis spinis simul et paliuris.
Quo facto ad truncos sese convertit amaro
Cum gemitu et cuicumque suum caput applicat atque
Contra orientalem prostratus corpore partem
Ac nudum retinens ensem hac voce precatur:               1160
«Rerum factori, sed et omnia facta regenti,
Nil sine permisso cuius vel denique iusso
Constat, ago grates, quod me defendit iniquis
Hostilis turmae telis nec non quoque probris.
Deprecor at dominum contrita mente benignum,               1165
Ut, qui peccantes non vult sed perdere culpas,
Hos in caelesti praestet mihi sede videri.»

Qui postquam orandi finem dedit, ilico surgens
Sex giravit equos et virgis rite retortis
Vinciit: hi tantum remanebant, nempe duobus               1170
Per tela absumptis ternos rex Gunthere abegit.

His ita compositis procinctum solvit et alte
Ingenti fumans leviabat pondere corpus.
Tum maestam laeto solans affamine sponsam
Moxque cibum capiens aegros recreaverat artus               1175
(Oppido enim lassus fuerat) clipeoque recumbens
Primi custodem somni iubet esse puellam,
Ipse matutinam disponens tollere curam,
Quae fuerat suspecta magis, tandemque quievit.
Ad cuius caput illa sedens solito vigilavit               1180
Et dormitantes cantu patefecit ocellos.
Ast ubi vir primum iam expergiscendo soporem
Ruperat, absque mora surgens dormire puellam
Iussit et arrepta se fulciit impiger hasta.
Sic reliquum noctis duxit, modo quippe caballos               1185
Circuit, interdum auscultans vallo propiavit,
Exoptans orbi species ac lumina reddi.

Lucifer interea praeco scandebat Olympo
Dicens: «Taprobane clarum videt insula solem.»
Hora fuit, gelidus qua terram irrorat Eous.               1190
Aggreditur iuvenis caesos spoliarier armis
Armorumque habitu, tunicas et cetera linquens;
Armillas tantum, cum bullis baltea et enses,
Loricas quoque cum galeis detraxerat ollis.
Quatuor his oneravit equos sponsamque vocatam1195
Imposuit quinto, sextum conscenderat ipse
Et primus vallo perrexerat ipse revulso.
At dum constricti penetratur semita callis,
Circumquaque oculis explorans omnia puris
Auribus arrectis ventos captavit et auras,               1200
Si vel mussantes sentiret vel gradientes
Sive superborum crepitantia frena virorum,
Seu saltim ferrata sonum daret ungula equorum.

Postquam cuncta silere videt, praevertit onustas
Quadrupedes, mulierem etiam praecedere iussit.               1205
Scrinia gestantem comprendens ipse caballum
Audet inire viam consueto cinctus amictu.
Mille fere passus transcendit, et ecce puella
(Sexus enim fragilis animo trepidare coegit)
Respiciens post terga videt descendere binos               1210
Quodam colle viros raptim et sine more meantes
Exanguisque virum compellat voce sequentem:
«Dilatus iam finis adest: fuge, domne, propinquant!»
Qui mox conversus visos cognovit et inquit:
«Incassum multos mea dextera fuderat hostes,               1215
Si modo supremis laus desit, dedecus assit.
Est satius pulcram per vulnera quaerere mortem
Quam solum amissis palando evadere rebus.
Verum non adeo sunt desperanda salutis
Commoda cernenti quondam maiora pericla.               1220
Aurum gestantis tute accipe lora Leonis
Et citius pergens luco succede propinquo!
Ast ego in ascensu montis subsistere malo,
Eventum opperiens adventantesque salutans.»
Obsequitur dietis virguncula clara iubentis.               1225
Ille celer scutum collegit et excutit hastam,
Ignoti mores equitis temptando sub armis.

A cette vue, le pauvre roi soupire, et fuyant en toute hâte, il remonte sur son cheval brillamment harnaché, vole retrouver le dolent Hagen, et le supplie de se joindre à lui pour reprendre la lutte. Mais Hagen : « L'infamie de ma race m'interdit de combattre, et mon sang de glace m'ôte tout courage sous les armes. Mon père déjà tombait en défaillance à la vue d'une pique, et que de discours il tenait, le couard, pour éviter de se battre ! Depuis que tu m'as jeté ces propos au milieu de tes compagnons, roi, il serait indigne de moi de te venir en aide. »

Pourtant Gunther insiste, oppose la prière au refus, et voici comme il tâche de faire revenir Hagen de sa rancune : « Je t'en conjure par le souverain Dieu, renonce à ta colère. Dépose tout ressentiment de mon offense, et si nous rentrons tous deux vivants dans nos foyers, j'effacerai mes torts en te comblant de bienfaits. Devant tant de compagnons et de parents égorgés, n'es-tu pas honteux de cacher ton courage. On te blesse mieux, ce me semble, avec des paroles qu'avec des actes horribles. Ah! ta colère serait plus légitime contre un barbare qui, à lui seul, vient de ternir la gloire du premier peuple du monde! Certes, je perds beaucoup par la mort de mes braves, mais la Francie ne se relèvera jamais d'un pareil opprobre, deux que nous dominions autrefois diront en nous raillant: « O honte! il a suffi d'un homme, d'un inconnu, pour égorger impunément une armée de Francs tout entière ! »

Hagen hésitait encore; il pesait en son cœur l'amitié qu'il avait tant de fois jurée à Walther, mais en même temps il se représentait tout ce qui venait d'arriver. Et son malheureux roi redoublant de supplications, il finit par s'émouvoir de ses humbles prières. Il rougit, l'aspect du prince lui rappelle son propre honneur qui serait entaché s'il se ménageait dans une pareille aventure. Enfin, il n'y put tenir et s'écria : « Mon maître, à quoi m'appelez-vous? Où faudra-t-il vous suivre, noble prince? Votre cœur trop confiant vous promet l'impossible ; vit-on jamais un homme assez fou pour sauter de plein gré dans un gouffre béant? Or moi, sachant Walther si terrible en rase campagne, je dis qu'ainsi retranché et dans un poste aussi sur, il ne redoute pas plus une armée qu'un homme seul. Et la Francie enverrait ici tous ses cavaliers, tous ses gens de pied, qu'il ferait d'eux ce qu'il a fait de ceux-ci. Mais je le vois, la honte est plus douloureuse pour vous que la perte de tous ces braves, et vous ne voulez pas vous retirer ainsi; voilà pourquoi je compatis à votre peine. L'honneur de mon roi passe avant mes propres griefs, et je vais tâcher de trouver une voie de salut qui doit se présenter sur le champ ou jamais. Oui, je l'avoue, Seigneur, pour la mort de mon cher neveu je ne voudrais pas rompre la foi jurée. C'est pour vous seul que je me jette dans un péril certain, et vous saurez une bonne fois si je redoute de me battre. Seulement, retirons-nous, laissons-lui le passage, et postés en observation faisons paître nos chevaux, jusqu'à ce que, nous croyant partis, notre homme sans défiance quitte le défilé qui l'abrite. Dès qu'il foulera la plaine, levons-nous, et à sa grande surprise poursuivons-le ; libre à nous alors de tenter un coup de bravoure. Voilà sur quoi je compte le plus en cette douteuse aventure. Alors, si le cœur vous en dit, roi, vous pouvez combattre, car ce n'est pas devant nous deux que Walther fuira jamais; nous-mêmes nous n'aurons de choix qu'entre la fuite et une lutte acharnée. » Le prince approuve le conseil; il serre Hagen dans ses bras et achève la réconciliation par un baiser. Puis ils se retirent, cherchant dans les environs un bon terrain d'embuscade, et là, mettant pied à terre, ils entravent leurs chevaux dans un riant pâturage.

Cependant le soleil s'inclinait vers l'Occident, arrêtant comme d'habitude à Thulé l'extrémité de sa course, et laissant derrière lui les peuples que nourrissent l'Ecosse et l'Ibérie. Lorsqu'il a peu à peu échauffé les ondes océanes, et quand l'astre du soir tourne vers l'Ausonie les pointes de son croissant, alors le sage Walther se demande s'il vaut mieux rester pendant le calme de la nuit dans son abri sur, ou bien se risquer au loin dans la campagne déserte. Des flots de souci fermentent au cœur du héros, et il applique toute la sagacité de son esprit à chercher ce qu'il doit faire. C'est Hagen seul qui l'inquiète, surtout depuis le baiser et l'accolade du roi. Et quel est le plan de ses ennemis? Retourneront-ils à la ville pour y réunir pendant la nuit une nouvelle troupe de guerriers et revenir à l'aube du jour reprendre la lutte terrible, ou dressent-ils seulement une embuscade et se cachent-ils aux environs? Walther redoute aussi la traversée de cette forêt inconnue, aux sentiers entrecroisés, où il risque de se jeter dans des fourrés épineux, peuplés même de bêtes féroces et d'y perdre sa fiancée.

Ayant examiné et pesé tout cela, il dit enfin : « Quoi qu'il arrive, je coucherai ici, jusqu'à ce que le soleil parcourant les cieux nous rende la lumière aimée. Il ne pourra pas dire, ce roi superbe que je me sois esquivé de son pays en fuyard, dans l'ombre, comme un voleur. » Puis, taillant de tous côtés des épines et des ronces, il les entassa pour fortifier l'abord de l'étroit défilé. Cela fait, il s'approche des morts en gémissant, rajuste à chaque tronc la tête qui lui appartenait, et prosterné vers l'Orient, l'épée nue à la main, il prononça cette prière : « Au créateur et souverain régent de l'univers, sans la permission ou l'ordre de qui rien n'arrive, je rends grâces de ce qu'il m'a défendu contre les armes d'injustes agresseurs et m'a sauvé de la honte. D'un cœur contrit j'implore le Dieu de clémence, qui ne veut pas la perte du pécheur mais l'écrasement du péché : qu'il me les fasse retrouver dans la demeure céleste, ceux qui gisent là ! »

Sa prière achevée, il se releva, réunit en cercle et attacha par des harts de rameaux tordus les six chevaux qui restaient; deux avaient été tués, elle roi Gunther avait emmené les trois autres.

Ayant tout disposé ainsi, il ôta son harnais et allégea de sa pesante armure son corps fumant. Et consolant par de gais propos la tristesse de sa fiancée, il prit quelques aliments pour raffermir ses membres épuisés. Car il s'était fatigué à construire les retranchements. Puis il se coucha sur son bouclier et dit à la jeune fille de veiller sur son premier sommeil, se réservant de la relever de sa garde aux heures plus anxieuses du matin. Enfin il s'endormit. Assise à sa tête, Hildegonde veilla, chantant pour tenir ouverts ses yeux appesantis. Mais dès la première interruption de son sommeil, le héros se leva, dit à sa fiancée de dormir, et se tint bravement debout, appuyé sur sa lance. C'est ainsi qu'il passa le reste de la nuit, et tantôt se promenant autour des chevaux, ou bien tendant l'oreille auprès du retranchement, il souhaitait de voir les formes et la lumière rendues à l'univers.

Cependant l'étoile radieuse du matin monte au ciel annonçant le jour, et déjà l'île de Taprobane voyait le clair soleil. C'était l'heure où la fraîche Aurore verse la rosée sur la terre. Walther commence par dépouiller les morts de leurs armes et du harnais de guerre, leur laissant la tunique et le reste; bracelets et bulles, épées et baudriers, cuirasses et casques, voilà ce qu'il leur prit. Il en chargea quatre chevaux, et réveillant sa fiancée, la mit sur le cinquième; lui-même il monta sur le sixième cheval, et s'avança le premier, après avoir défait la barricade. A mesure qu'il s'engage dans l'étroit sentier, de ses yeux clairs il explore toutes choses autour île lui, l'oreille tendue pour saisir le moindre souffle de vent qui lui apporterait un chuchotement, un bruit de pas, ou le cliquetis des freins sous de fiers cavaliers, ou le retentissement de fers de chevaux sur le sol.

Mais tout est silencieux. Alors il pousse en avant les bêtes de charge, et.dit à la jeune fille de le précéder aussi. Lui-même il prend par la bride le cheval qui porte le trésor, et il se met bravement en route, équipé comme d'habitude. Il pouvait s'être avancé de mille pas, quand la jeune fille (la faiblesse de son sexe lui faisait le cœur tremblant) en regardant derrière elle, vit deux cavaliers descendre d'une colline avec une vitesse désordonnée. Pâle d'effroi, elle crie au héros qui la suit : « Vous aviez retardé la fin, mais la voilà! Fuyez, seigneur, ils s'approchent! » Walther se retourne et reconnaît les survenants. « En vain, dit-il, mon bras aura terrassé tant d'ennemis, si la gloire se dérobe et si le déshonneur vient au dernier moment! Mieux vaut chercher une belle mort par des blessures que de s'échapper d'une course errante en perdant son bagage. Mais vraiment, pour un homme qui a vu de plus grands périls, il n'y a pas encore tant à désespérer du salut. Toi, prends la bride de Lion qui porte nos trésors, et presse le pas pour entrer dans la forêt prochaine. Moi je préfère rester ici, à mi-côte, attendant l'aventure, et prêt à saluer les arrivants. » La jeune fille obéit. Walther ajuste promptement son bouclier, secoue sa lance, et essaie les allures de combat de son cheval inconnu.

Hunc rex incursans comitante satellite demens
Eminus affatu compellat valde superbo:
«Hostis atrox, nisu deluderis! ecce latebrae               1230
Protinus absistunt, ex quis de more liciscae
Dentibus infrendens rabidis latrare solebas.
En in propatulo, si vis, confligito campo
Experiens, finis si fors queat aequiperari
Principio. Scio: Fortunam mercede vocasti               1235
Idcircoque fugam tempnis seu deditionem.»

Alpharides contra regi non reddidit ulla,
Sed velut hinc surdus alio convertitur aiens:
«Ad te sermo mihi, Hagano, subsiste parumper!
Quid, rogo, tam fidum subito mutavit amicum,               1240
Ut, discessurus nuper vix posse revelli
Qui nostris visus fuerat complexibus, ultro,
Nullis nempe malis laesus, nos appetat armis?
Sperabam, fateor, de te (sed denique fallor),
Quod, si de exilio redeuntem nosse valeres,               1245
Ipse salutatum mihimet mox obvius ires
Et licet invitum hospitii requiete foveres
Pacificeque in regna patris deducere velles,
Sollicitusque fui, quorsum tua munera ferrem;
Namque per ignotas dixi pergens regiones:               1250
«Francorum vereor Haganone superstite nullum.»
Obsecro per ludos, resipiscito iam, pueriles,
Unanimes quibus assueti fuimusque periti
Et quorum cultu primos attrivimus annos.
Inclita quonam migravit concordia nobis               1255
Semper in hoste domique manens nec scandala noscens?
Quippe tui facies patris obliviscier egit,
Tecum degenti mihi patria viluit ampla.
Numquid mente fidem abradis saepissime pactam?
Deprecor, hoc abscide nefas neu bella lacessas,               1260
Sitque inconvulsum nobis per ternpora foedus.
Quod si consentis, iam nunc ditatus abibis
Eulogiis, rutilo umbonem complebo metallo.»

Contra quae Hagano vultu haec affamina torvo
Edidit atque iram sic insinuavit apertam:               1265
«Vim prius exerces, Walthari, postque sopharis.
Tute fidem abscideras, cum memet adesse videres
Et tot stravisses socios immoque propinquos.
Excusare nequis, quin me tunc affore nosses.
Cuius si facies latuit, tamen arma videbas               1270
Nota satis habituque virum rescire valebas.
Cetera fors tulerim, si vel dolor unus abesset:
Unice enim carum rutilum blandum pretiosum
Carpsisti florem mucronis falce tenellum.
Haec res est, pactum qua irritasti prior almum,               1275
Idcircoque gazam cupio pro foedere nullam.
Sitne tibi soli virtus, volo discere in armis,
Deque tuis manibus caedem perquiro nepotis.
En aut oppeto sive aliquid memorabile faxo.»
Dixit et a tergo saltu se iecit equino,               1280
Hoc et Guntharius nec segnior egerat heros
Waltharius, cuncti pedites bellare parati.
Stabat quisque ac venturo se providus ictu
Praestruxit; trepidant sub peltis Martia membra.
Hora secunda fuit, qua tres hi congrediuntur.               1285
Adversus solum conspirant arma duorum.
Primus maligenam collectis viribus hastam
Direxit Hagano disrupta pace. Sed illam
Turbine terribilem tanto et stridore volantem
Alpharides semet cernens tolerare nequire,               1290
Sollers obliqui delusit tegmine scuti:
Nam veniens clipeo sic est ceu marmore levi
Excussa et collem vehementer sauciat usque
Ad clavos infixa solo. Tunc pectore magno,
Sed modica vi fraxineum hastile superbus               1295
Iecit Guntharius, volitans quod adhaesit in ima
Waltharii parma; quam mox dum concutit ipse,
Excidit ignavum de ligni vulnere ferrum.
Omine quo maesti confuso pectore Franci
Mox stringunt acies, dolor est conversus ad iras,               1300
Et tecti elipeis Aquitanum invadere certant.
Strenuus ille tamen vi cuspidis expulit illos
Atque incursantes vultu terrebat et armis.

Hic rex Guntharius coeptum meditatur ineptum,
Scilicet ut iactam frustra terraeque relapsam               1305
(Ante pedes herois enim divulsa iacebat)
Accedens tacite furtim sustolleret hastam,
Quandoquidem brevibus gladiorum denique telis
Armati nequeunt accedere comminus illi,
Qui tam porrectum torquebat cuspidis ictum.               1310
Innuit ergo oculis vassum praecedere suadens,
Cuius defensu causam supplere valeret.

Nec mora, progreditur Haganon ac provocat hostem,
Rex quoque gemmatum vaginae condidit ensem
Expediens dextram furto actutum faciendo.               1315
Sed quid plura? manum pronus transmisit in hastam
Et iam comprensam sensim subtraxerat illam
Fortunae maiora petens. sed maximus heros,
Utpote qui bello semper sat providus esset
Praeter et unius punctum cautissimus horae,               1320
Hunc inclinari cernens persenserat actum
Nec tulit, obstantem sed mox Haganona revellens,
Denique sublato qui divertebat ab ictu,
Insilit et planta direptum hastile retentat
Ac regem furto captum sic increpitavit,               1325
Ut iam perculso sub cuspide genva labarent.
Quem quoque continuo esurienti porgeret Orco,
Ni Hagano armipotens citius succurreret atque
Obiecto dominum scuto muniret et hosti
Nudam aciem saevi mucronis in ora tulisset.               1330
Sic, dum Waltharius vulnus cavet, ille resurgit
Atque tremens stupidusque stetit, vix morte reversus.

Nec mora nec requies: bellum instauratur amarum.
Incurrunt hominem nunc ambo nuncque vicissim;
Et dum progresso se impenderet acrius uni,               1335
En de parte alia subit alter et impedit ictum.
Haud aliter, Numidus quam dum venabitur ursus
Et canibus circumdatus astat et artubus horret
Et caput occultans submurmurat ac propriantes
Amplexans Umbros miserum mutire coartat               1340
(Tum rabidi circumlatrant hinc inde Molossi
Comminus ac dirae metuunt accedere belvae),
Taliter in nonam conflictus fluxerat horam,
Et triplex cunctis inerat maceratio: leti
Terror, et ipse labor bellandi, solis et ardor.               1345

Interea herois coepit subrepere menti
Quiddam, qui tacito premit has sub corde loquelas.
«Si Fortuna viam non commutaverit, isti
Vana fatigatum memet per ludicra fallent.»
Ilico et elata Haganoni voce profatur:               1350
«O paliure, vires foliis, ut pungere possis;
Tu saltando iocans astu me ludere temptas.
Sed iam faxo locum, propius ne accedere tardes:
Ecce tuas (scio praegrandes) ostendito vires!
Me piget incassum tantos sufferre labores.»               1355
Dixit et exiliens contum contorsit in ipsum,
Qui pergens onerat clipeum dirimitque aliquantum
Loricae ac magno modicum de corpore stringit;
Denique praecipuis praecinctus fulserat armis.

At vir Waltharius missa cum cuspide currens               1360
Evaginato regem importunior ense
Impetit et scuto dextra de parte revulso
Ictum praevalidum ac mirandum fecit eique
Crus cum poplite adusque femur decerpserat omne.
Ille super parmam ante pedes mox concidit huius.               1365
Palluit exanguis domino recidente satelles.
Alpharides spatam tollens iterato cruentam
Ardebat lapso postremum infligere vulnus.
Immemor at proprii Hagano vir forte doloris
Aeratum caput inclinans obiecit ad ictum.               1370
Extensam cohibere manum non quiverat heros,
Sed cassis fabrefacta diu meliusque peracta
Excipit assultum mox et scintillat in altum.
Cuius duritia stupefactus dissilit ensis,
Pro dolor! et crepitans partim micat aere et herbis.               1375

Belliger ut frameae murcatae fragmina vidit,
Indigne tulit ac nimia furit efferus ira
Impatiensque sui capulum sine pondere ferri,
Quamlibet eximio praestaret et arte metallo,
Protinus abiecit monimentaque tristia sprevit.               1380
Qui dum forte manum iam enormiter exeruisset,
Abstulit hanc Hagano sat laetus vulnere prompto.
In medio iactus recidebat dextera fortis,
Gentibus ac populis multis suspecta, tyrannis,
Innumerabilibus quae fulserat ante trophaeis.               1385
Sed vir praecipuus nec laevis cedere gnarus,
Sana mente potens carnis superare dolores,
Non desperavit, neque vultus concidit eius,
Verum vulnigeram clipeo insertaverat ulnam
Incolomique manu mox eripuit semispatam,               1390
Qua dextrum cinxisse latus memoravimus illum,
Ilico vindictam capiens ex hoste severam.
Nam feriens dextrum Haganoni effodit ocellum
Ac timpus resecans pariterque labella revellens
Olli bis ternos discussit ab ore molares.               1395

Alors le roi qui accourt furibond en compagnie de son féal Hagen, interpelle de loin le héros avec cette arrogance : « Voilà enfin tes efforts déjoués, féroce ennemi ! Elles te manquent, ces retraites d'où tu aboyais comme un chien en grinçant des dents avec rage ! Il faut maintenant, s'il te plaît, combattre en rase campagne, et tu verras si la fin répond au commencement. Je sais que tu as invoqué et soudoyé la Fortune, et c'est pour cela que tu dédaigneras de fuir ou de te rendre. »

Le fils d'Alpher ne répondit rien au roi, et comme s'il était sourd de cette oreille, il se tourne ailleurs, et dit : « C'est à toi que je parle, Hagen, écoute-moi un instant. D'où vient, je te le demande, ce changement subit d'une amitié fidèle? Toi qui naguère, quand tu as dû me quitter, semblais pouvoir à peine t'arracher de mes bras, pourquoi viens-tu de gaité de cœur, quand je ne t'ai fait aucun mal, tourner contre moi tes armes? J'espérais de toi, je l'avoue, mais je suis bien déçu, que si tu apprenais mon retour de l'exil, tu viendrais à ma rencontre pour me saluer, qu'il me faudrait, bon gré mal gré, me reposer à ton hospitalité, et que tu tiendrais à me reconduire en paix au royaume de mon père. Je me voyais d'avance embarrassé de tes présents. Et je me disais, en traversant ces régions inconnues : Tant qu'Hagen sera là, je n'ai rien à craindre des Francs. — Reviens à toi, je t'en conjure par nos jeux d'enfants, où nous avons, en bon accord, exercé notre adresse, et dans lesquels se passèrent nos jeunes ans! Où s'en est-elle allée, cette amitié célèbre qui nous liait à la guerre comme à la maison, et qui ne connaissait point d'écueils? En te voyant, j'oubliais mon père, et vivant avec toi, je n'attachais plus de valeur à la patrie. Peux-tu bien rayer de ta pensée un pacte si souvent conclu? Ce crime, je t'en conjure, répudie-le. Renonce à me combattre, et que notre alliance reste inviolée à jamais ! Si tu m'accordes cela, tu t'en iras d'ici chargé de présents, et je remplirai d'or le creux de ton bouclier. »

Mais Hagen, avec un regard farouche, réplique ainsi, laissant éclater sa colère : « Tu emploies d'abord la violence, Walther, et puis tu fais le beau parleur. C'est toi qui as rompu la foi jurée, quand, me voyant là, tu as égorgé sous mes yeux tant de mes amis et de mes parents même. Et tu ne peux dire pour excuse que tu ignorais ma présence : si mon visage était caché, tu voyais bien mes armes, et tu les connaissais de reste, ma tournure aussi. Pourtant j'aurais peut-être tout supporté, sauf une dernière douleur : mon unique tendresse, cette jeune fleur de tant d'éclat, de grâce et de mérite, ton épée l'a fauchée! Voilà comme tu as le premier annulé notre alliance sacrée, et je ne veux pas de trésor pour m'en dédommager. Je veux savoir au moyen des armes si tu es le seul vaillant, et te demander compte de mon neveu égorgé par tes mains. Ou je succomberai, ou je ferai une chose digne de mémoire. » Il dit, et saute à bas de son cheval ; Gunther et le brave Walther non moins prompt font de même ; les voilà tous prêts à combattre à pied. Chacun se pose, et se met en garde contre le coup qui va venir; leur belliqueuse chair frémit sous le bouclier. C'est à la deuxième heure qu'ils en vinrent aux mains, deux combinant leurs attaques contre un seul. Rompant le premier la paix, Hagen lança de toutes ses forces sa javeline de bois de pommier, l'arme vole avec une impétuosité, un sifflement terribles et le fils d'Alpher voit bien qu'il n'en pourra soutenir le choc; aussi déjoue-t-il avec adresse le péril en inclinant obliquement l'écu dont il se couvre. Comme un marbre poli, la pente du bouclier renvoie de côté le trait, qui blesse durement le flanc de la colline en s'enfonçant jusqu'aux clous dans le sol. A son tour, avec un grand élan de cœur mais une force médiocre, le fier Gunther jette son javelot de frêne, qui va en voltigeant se planter dans le bas du bouclier de Walther. Celui-ci, d'une secousse, fait choir de la plaie du bois ce fer inoffensif. Un tel présage attriste et déconcerte les Francs; mais vite ils tirent l'épée, leur chagrin se change en colère, et couverts de leurs boucliers ils fondent sur l'Aquitain. Le héros les repousse vivement à coups de pique ; son air terrible et ses armes arrêtent leurs assauts.

Alors le Roi Gunther conçut la sotte idée d'aller reprendre en tapinois son javelot lancé en vain et resté à terre aux pieds de l'ennemi. Car avec les courtes lames de leurs épées, Hagen et lui ne pouvaient serrer de près Walther, dont les coups de lance portaient si loin. Il fit donc signe du regard à son vassal de le précéder, et de protéger ainsi l'exécution de son dessein.

Sans tarder, Hagen s'avança et provoqua l'ennemi. En même temps le roi remit au fourreau son épée ornée de pierres précieuses, afin d'avoir la main libre et sûre pour le larcin. Bref, il se pencha pour saisir le javelot, il le tenait déjà et le tirait doucement à lui, espérant relever sa fortune; mais Walther, qui à la guerre se tenait toujours sur ses gardes, et dont la vigilance n'avait été qu'un seul instant en défaut, voyant le roi se pencher, devina son projet et ne le laissa point faire. Ecartant d'abord Hagen, qui dut se jeter de côté pour éviter un coup de lance, le héros fit un bond, retint le javelot en posant le pied dessus, et surprit si brusquement le roi dans son larcin, que Gunther, frappé d'effroi sous la lance menaçante, avait les genoux vacillants. Le fils d'Alpher l'aurait même sur le champ jeté en pâture au trépas, si le vaillant Hagen n'était vite accouru, et couvrant son maître de son bouclier, n'avait pas poussé droit au visage de l'ennemi la pointe nue de sa redoutable épée. Tandis que Walther se gare du coup, le roi se relève, frémissant encore et interdit d'avoir vu la mort de si près.

Et sans trêve ni repos l'âpre combat recommence. Tous deux en même temps ou chacun à son tour, les Francs assaillent le héros, et s'il presse un peu vivement celui des deux qui s'avance, l'autre survient d'autre part et l'empêche de frapper. Tel, à la chasse, un ours de Numidie que cernent les chiens, s'arrête, le poil hérissé, cache sa tête en grognant, et étreignant les limiers qui l'approchent, leur fait pousser un râle lamentable. Les dogues alors, à droite et à gauche, l'entourent à quelques pas en aboyant avec rage, mais se gardent d'aborder le monstre terrible. Jusqu'à la neuvième heure la lutte dure ainsi, et trois causes d'abattement pèsent sur les guerriers : la crainte de la mort, le labeur du combat, et l'ardeur du soleil.

Cependant quelque souci se glisse dans l'âme de Walther, qui refoule en son cœur cette plainte secrète : « Si la Fortune ne procède pas autrement, les ruses de ces gens-là viendront à bout de ma lassitude. » Et d'une voix éclatante : « O Hagen, dit-il, tu es bien l'arbuste épineux qui se couvre d'un vert feuillage pour mieux pouvoir piquer! avec tes gambades tu veux te jouer de moi; mais je vais te permettre de m'approcher sans retard. Montre alors ta force, qui est, je le sais, des plus grandes. Moi, cela m'ennuie de supporter en vain tant de fatigues. » Il dit, et bondissant, lance sa pique sur Hagen. L'arme défonce le bouclier, fend un peu la cuirasse et ne fait qu'une légère entaille à ce grand corps, car Hagen était splendidement revêtu de sa meilleure armure.

Puis, suivant le vol de sa lance, Walther fond, l'épée nue, sur le roi ; lui écarte brusquement du côté droit son bouclier, et d'un coup terriblement fort et prodigieux lui abat toute la jambe et le jarret jusqu'à la cuisse. Gunther s'affaisse sur son bouclier aux pieds du vainqueur. Hagen aussi devient blême en voyant choir son maître. Le fils d'Alpher, levant de nouveau sa sanglante épée, allait achever le blessé; mais le fidèle vassal, oubliant sa propre souffrance, s'inclina en avant pour opposer au coup sa tête couverte d'airain. Walther ne put retenir son bras lancé, et ce fut le casque, de fabrication ancienne et meilleure, qui reçut le heurt. Une étincelle en jaillit. Surprise d'un choc si dur, l'épée vola en éclats, hélas ! et avec un son strident sema ses fragments dans l'air et sur le gazon.

Le héros fut indigné de voir sa bonne arme en pièces, et il se laissa troubler par un excès de colère. Dépité de n'avoir plus qu'une poignée sans lame, et bien qu'elle fût d'un précieux métal et d'un travail exquis, il la jeta avec dédain, comme un souvenir importun. Mais pour cela, il exposa trop sa main, et Hagen, saisissant avec joie l'occasion, la lui trancha d'un coup subit. Elle tomba sans achever son mouvement, cette main vaillante, redoutée de tant de nations et de rois, et qu'avaient signalée des trophées innombrables. Pourtant le héros, qui ne sait pas plier devant l'infortune, surmonte par sa grande âme les souffrances de sa chair. Il ne désespère pas, son visage même n'est pas abattu, et passant son bras mutilé dans l'anse de son bouclier, de la main qui lui reste, il saisit le cimeterre suspendu à son flanc droit, comme nous l'avons raconté. A l'instant même il tire de son ennemi une cruelle vengeance : d'un seul coup il lui arrache l'œil droit, lui fend la tempe et les lèvres, et lui fait sauter de la bouche six grosses dents.

 

Tali negotio dirimuntur proelia facto.
Quemque suum vulnus atque aeger anhelitus arma
Ponere persuasit. quisnam hinc immunis abiret,
Qua duo magnanimi heroes tam viribus aequi
Quam fervore animi steterant in fulmine belli!               1400
Postquam finis adest, insignia quemque notabant:
Illic Guntharii regis pes, palma iacebat
Waltharii nec non tremulus Haganonis ocellus.
Sic sic armillas partiti sunt Avarenses!
 

Consedere duo, nam tertius ille iacebat,               1405
Sanguinis undantem tergentes floribus amnem.
Haec inter timidam revocat clamore puellam
Alpharides, veniens quae saucia quaeque ligavit.
 

His ita compositis sponsus praecepit eidem:
«Iam misceto merum Haganoni et porrige primum;               1410
Est athleta bonus, fidei si iura reservet.
Tum praebeto mihi, reliquis qui plus toleravi.
Postremum volo Guntharius bibat, utpote segnis
Inter magnanimum qui paruit arma virorum
Et qui Martis opus tepide atque enerviter egit.»               1415
Obsequitur cunctis Heririci filia verbis.
Francus at oblato licet arens pectore vino
«Defer» ait «prius Alpharidi sponso ac seniori,
Virgo, tuo, quoniam, fateor, me fortior ille
Nec solum me, sed cunctos supereminet armis.»               1420
 

Hic tandem Hagano spinosus et ipse Aquitanus
Mentibus invicti, licet omni corpore lassi,
Post varios pugnae strepitus ictusque tremendos
Inter pocula scurrili certamine ludunt.
Francus ait: «iam dehinc cervos agitabis, amice,               1425
Quorum de corio wantis sine fine fruaris.
At dextrum, moneo, tenera lanugine comple,
Ut causae ignaros palmae sub imagine fallas.
Wah! sed quid dicis, quod ritum infringere gentis
Ac dextro femori gladium agglomerare videris               1430
Uxorique tuae, si quando ea cura subintrat,
Perverso amplexu circumdabis euge sinistram?
Iam quid demoror? en posthac tibi quicquid agendum est
Laeva manus faciet.»
Cui Walthare talia reddit:
«Cur tam prosilias, admiror, lusce Sicamber.               
1435
Si venor cervos, carnem vitabis aprinam.
Ex hoc iam famulis tu suspectando iubebis
Heroum turbas transversa tuendo salutans.
Sed fidei memor antiquae tibi consiliabor:
Iam si quando domum venias laribusque propinques,               1440
Effice lardatam de multra farreque pultam!
Haec pariter victum tibi conferet atque medelam.»
 

His dictis pactum renovant iterato coactum
Atque simul regem tollentes valde dolentem
Imponunt equiti, et sic disiecti redierunt               1445
Franci Wormatiam, patriamque Aquitanus adivit.
Illic gratifice magno susceptus honore
Publica Hiltgundi fecit sponsalia rite
Omnibus et carus post mortem obitumque parentis
Ter denis populum rexit feliciter annis.               1450
Qualia bella dehinc vel quantos saepe triumphos
Ceperit, ecce stilus renuit signare retunsus.

Haec quicunque legis, stridenti ignosce cicadae
Raucellam nec adhuc vocem perpende, sed aevum,
Utpote quae nidis nondum petit alta relictis.               
1455

Haec est Waltharii poesis. vos salvet Iesus.

Le combat cesse alors. Tous deux blessés, hors d'haleine, les deux champions se résignent à déposer les armes. Et qui donc eût pu se tirer sain et sauf d'une rencontre où deux héros magnanimes, égaux en forces comme en courage, s'étaient livré de si foudroyants assauts? La lutte terminée, chacun laissait sur le terrain une marque qui le désignait : le roi Gunther sa jambe, Walther sa main, Hagen son œil palpitant. Un singulier partage du trésor des Huns !

Deux assis, le troisième gisant à terre, ils étanchèrent avec des fleurs le sang qui les inondait. Et Walther envoya un cri d'appel à la timide jeune fille, qui vint bander chaque blessure.

Cela fait, il dit à sa fiancée : « Apprête-nous du vin, et tout d'abord offres-en à Hagen; c'est un vaillant guerrier, encore qu'il n'ait pas respecté la foi jurée. Puis donne m'en à moi, qui eus le plus de mal de nous tous. Quant à Gunther, je veux qu'il boive le dernier, car il n'a guère montré d'entrain au milieu des prouesses de ses braves, et s'il a combattu, c'est avec tiédeur et mollesse. » La fille d'Herrich obéit. Mais Hagen, bien que brûlant de soif, dit, lorsqu'elle vint lui présenter le vin : « Porte-le d'abord, jeune fille, à ton fiancé et seigneur, parce que, je l'avoue, il est plus brave que moi; et non seulement que moi, mais il surpasse tous les hommes. »

Alors ce rude Hagen et l'Aquitain, vifs et dispos d'esprit quoique las de tous les membres, après tant de combats retentissants et de coups terribles, se mettent à boire en faisant assaut de plaisanteries. Le Franc dit : « IL te faudra chasser le cerf, mon ami, pour que son cuir te fournisse toujours de gants. Mais le gant droit, je t'engage à le bourrer de laine souple : ce semblant de main trompera ceux qui ne seront pas dans le secret. Bah! ne dis-tu pas que violant l'usage de ton peuple, on te verra ceindre l'épée au flanc droit, et que si l'envie te prend d'embrasser ton épouse, ton bras gauche — bonne idée ! — saura l'étreindre à rebours? Pour abréger, désormais c'est ta main gauche qui se chargera de tout faire. » — Walther lui répond : « J'admire, Sicambre borgne, tes trémoussements de gaîté. Quand je chasserai le cerf, toi tu éviteras de manger du sanglier. Tu regarderas de travers les serviteurs que tu surveilleras, les guerriers assemblés que tu voudras saluer. Mais en mémoire de notre ancienne alliance, je vais te donner un conseil : en rentrant chez toi, dans tes foyers, fais-toi une bouillie de lait et de farine au lard ; cela te servira de nourriture et d'emplâtre à la fois.

C'est avec ces propos qu'ils renouvellent leur pacte, scellé cette fois de leur sang. Et soulevant ensemble le roi qui souffre beaucoup, ils le mettent sur son cheval et puis ils se séparent. Les Francs retournent à Worms, l'Aquitain regagne sa pairie. Là il fut reçu avec de grands honneurs, célébra religieusement ses noces avec Hildegonde, et chéri de tous, après la mort de son père, il gouverna heureusement son peuple l'espace de trente ans. Quelles guerres il entreprit encore, quels triomphes il remporta, mon style émoussé a refusé de l'inscrire.

Vous qui lirez cela, soyez indulgents pour le grésillement de la cigale, et si sa voix est un peu rauque, tenez-lui compte de son âge, car elle n'a pas encore quitté son nid pour prendre son essor.

Voilà le lai de Walther. Que Jésus vous sauve !

 

FIN