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PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

 

SUR LE GRAND NOMBRE D'AMIS.  
 

texte grec

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SUR LE GRAND NOMBRE D'AMIS.

Le choix d'un ami demande le plus grand discernement, el ce discernement peut-il avoir lieu à l'égard d'un grand nombre? D'ailleurs les obligations qu'imposé l'ami1ié ne sont pas faciles à remplir, et peu de gens en sont capables. L'union parfaite des sentiments, la réciprocité des services, sont les liens naturels de l'amitié, et la muttitude des amis ou les détruit ou les relâche considérablement. A ces premiers motifs pris des avantages dont la pluralité des amis nous prive, Plutarque joint la considération des maux auxquels elle nous expose. Nous avons toujours notre part des injustices qu'on fait souffrir à nos amis et des haines qu'on a contre eux. Multiplier ses amitiés, c'est donc augmenter ses embarras el se préparer bien des peines. L'auteur finit par prescrire les précautions qu'on doit apporter dans le choix des amis, afin de ne se lier qu'à des hommes vertueux.

[93a] Socrate demandait un jour à Ménon le Thessalien ce que c'était que la vertu. Celui-ci, qui se regardait comme un homme très instruit, et qui, selon l'expression [93b] d'Empédocle, croyait avoir fréquenté ce haut mont où habite la sagesse, lui répondit sans hésiter, et d'un ton plein de suffisance, qu'il fallait distinguer la vertu des enfants et des vieillards, celle des hommes et des femmes, des magistrats et des particuliers, des maîtres et des esclaves. « A merveille, reprit Socrate; pour une vertu que je vous demandais, vous m'en faites sortir un essaim  (01). » Il conjecturait, et sans doute avec fondement, que Ménon ne connaissait [93c] aucune vertu, par cela seul qu'il en nommait plusieurs. Ne tomberions-nous pas dans le même ridicule, si, ne pouvant compter solidement sur un seul ami, nous paraissions craindre d'en avoir un trop grand nombre? semblables en cela à un manchot ou à un aveugle, qui craindrait de devenir un Briarée à cent bras, ou un Argus à cent yeux. Aussi rien de plus raisonnable que la pensée de ce jeune homme, qui, dans Ménandre,


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regarde comme un très grand bien d'avoir seulement l'ombre d'un ami. Entre plusieurs causes qui font que nous avons peu d'amitiés durables, une des principales, c'est le désir de les multiplier. Nous ressemblons à des courtisanes qui, formant chaque jour [93d] de nouvelles liaisons, et négligeant leurs anciens amis, les éloignent par cette indifférence, et ne peuvent en conserver aucun. Ou plutôt nous faisons comme ce nourrisson d'Hypsipyle, qui, assis dans une prairie,

Allait de fleur en fleur d'une main enfantine,
Et moissonnait, sans choix, ce fragile butin (02).

Nous de même, par une suite de cet amour naturel que nous avons pour la nouveauté, de ce dégoût qui suit bientôt nos jouissances, nous courons sans cesse après des amitiés nouvelles dont la première fleur nous séduit et nous entraîne. Nous formons une multitude de liaisons imparfaites qui durent peu; et le désir d'un nouvel ami que nous poursuivons nous fait abandonner celui que nous avions acquis.

[93e] Consultons sur ce point les anciens monuments de l'histoire (03), comme nos témoins et nos conseils naturels. Que nous apprennent-ils sur les amis que leur fidélité constante a rendus célèbres ? Nous ne les trouvons jamais que deux à deux : Thésée et Pirithoüs, Achille et Pa-


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trocle, Oreste et Pylade, Pythias et Damon, Épaminondas et Pélopidas. Il en est de l'amitié comme de ces animaux qui, contents d'une seule compagne, ne vont jamais en troupe (04). Le titre d'un autre soi-même, qu'on donne à un ami, suppose que l'amitié se renferme ordinairement entre deux personnes. On ne peut acheter avec peu de monnaie ni beaucoup d'esclaves ni beaucoup d'amis. [93f] Mais quelle est la monnaie avec laquelle on acquiert l'amitié? C'est la bienveillance et la vertu. Or, rien n'étant plus rare dans la nature que cette espèce de monnaie, il ne peut s'établir entre plusieurs personnes une amitié bien intime. Un fleuve s'affaiblit à mesure qu'on divise son cours. Ainsi l'amitié perd de sa force à proportion de ce qu'on la partage. Aussi les animaux qui ne font qu'un petit ont-ils pour leur progéniture plus de tendresse que les autres. [94a] Homère, pour exprimer un enfant chéri, donne le nom « de fils unique, né dans la vieillesse de son père, » c'est-à-dire que ses parents n'en ont ni ne pourront en avoir d'autre. Je n'exigerai pas, à la vérité, qu'on n'ait qu'un seul ami, mais qu'au moins, entre les personnes avec qui l'on est lié, il y en ait une qui soit comme ce fils unique né dans la vieillesse de ses parents, et que, selon le proverbe, on ait mangé plusieurs boisseaux de sel avec elle. Je ne veux pas qu'on mette au nombre des amis, comme tant de gens le font aujourd'hui, des hommes avec qui l'on aura ou mangé ou joué, ou logé par hasard une fois. N'est-ce pas avoir, pour ainsi dire, des amitiés de jeu, de cabaret et de place publique? Quand on voit dans les maisons des grands [94b] une foule empressée avenir le matin les saluer, à leur faire la cour, à les accompagner par honneur, à leur servir en quelque sorte de gardes, on les félicite d'avoir un si grand nombre d'amis. Mais ils ont encore plus de mouches dans leurs cuisines, et comme elles disparaissent dès qu'elles


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n'y trouvent plus de quoi se nourrir, de même ces prétendus amis se retirent dès qu'ils n'ont plus d'intérêt à cultiver leurs protecteurs.

Trois choses concourent à former une amitié véritable : la vertu qui en fait l'honnêteté ; l'habitude de se voir qui en fait la douceur, et l'utilité réciproque qui en est le lien nécessaire. Il faut donc bien connaître un ami avant que de l'adopter, avoir de l'agrément dans son commerce, et trouver en lui une ressource assurée dans le besoin : conditions qui s'opposent toutes à ce qu'on ait un grand nombre d'amis, et surtout la plus importante, le discernement dans le choix. En effet, il faut beaucoup de temps pour dresser [94c] à un ensemble parfait un chœur de musiciens ou une bande de rameurs, pour bien connaître des esclaves qu'on destine à gouverner une maison ou à conduire des enfants ; et l'on voudrait en peu de temps pouvoir éprouver plusieurs amis avec qui tout nous deviendra commun, qui devront nous faire participer à tous leurs succès, et partager eux-mêmes nos revers ? De combien de dangers un ami véritable ne s'engage-t-il pas à nous défendre? Un vaisseau qui court les mers affronte moins de tempêtes, les champs qu'on environne de clôtures, les ports qu'on soutient par des digues, sont exposés à de moindres périls. [94d] Aussi cette foule d'amis ordinaires qui viennent s'offrir d'eux-mêmes, et qu'on admet sans les avoir éprouvés, sont-ils comme cette monnaie de mauvais aloi dont l'épreuve fait connaître la fausseté. Ceux qui n'ont point de ces sortes d'amis s'en félicitent avec raison, et ceux qui ont le malheur d'en avoir ne demandent qu'à en être débarrassés. Mais il n'est pas toujours facile de rompre une liaison qui nous déplaît. Quand on a pris des aliments pernicieux, on ne peut ni les rejeter tels qu'on vient de les prendre, ni les retenir sans douleur et sans danger après qu'ils se sont mêlés avec d'autres humeurs, qui les ont altérés et corrompus. Il en est de


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même d'un faux ami : ou il nous fatigue par un commerce qui lui est à charge à lui-même, ou l'on ne peut s'en délivrer que [94e] par une violence toujours odieuse, comme on rejette un mauvais levain qui charge l'estomac. Il ne faut donc pas s'attacher légèrement aux amis qui se présentent et qui poursuivent notre amitié, mais rechercher nous-mêmes ceux qui nous paraissent dignes de la nôtre. Une acquisition trop facile ne mérite pas notre choix. Nous repoussons, nous foulons aux pieds l'épine et le chardon qui nous arrêtent, et nous recherchons la vigne et l'olivier. Gardons-nous donc d'admettre dans notre amitié les personnes trop faciles à s'attacher, et prévenons au contraire celles que nous aurons reconnues dignes d'être recherchées, et dont le commerce pourra nous être utile. [94f] On reprochait à Zeuxis qu'il peignait lentement. « Il est vrai, répondit-il, que je suis long à faire mes ouvrages, mais aussi c'est pour longtemps. » Ainsi les amitiés longtemps éprouvées sont solides et durables. Mais s'il n'est pas facile de juger un grand nombre d'amis, ne l'est-il pas au moins d'en admettre plusieurs dans sa société? Non, la chose même est impossible, car la douceur et le plaisir de l'amitié consistent dans l'habitude de se voir et de vivre ensemble.

Il faut sur nos desseins consulter nos amis.

[95a] Ménélas dit d'Ulysse :

De l'étroite amitié qui nous liait tous deux,
La mort, la seule mort eût pu rompre les nœuds.

Mais avec un grand nombre d'amis, n'est-ce pas tout le contraire? Le but de l'amitié n'est-il pas de nous unir, de nous lier intimement par des conversations fréquentes, par des services assidus, d'enchaîner, de coller, en quelque sorte, les amis l'un à l'autre,

Comme l'on voit le lait s'unir en se caillant,


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[95b] selon l'expression d'Empédocle? Mais la pluralité des amis nous distrait, nous sépare d'eux, et nous transportant sans cesse de l'un à l'autre, elle empêche que nos sentiments ne s'unissent, ne se fondent, pour ainsi dire, ensemble, par cette bienveillance mutuelle qui naît d'un commerce fréquent.

De là naît cette inégalité dans les services qu'on doit aux amis, et qu'il est honteux de refuser. Ces bons offices réciproques, si faciles et si doux pour l'amitié, deviennent presque impossibles entre plusieurs amis.

A des soins différents les hommes sont livrés.

Nous n'avons pas tous les mêmes inclinations ni les mêmes désirs, nous changeons souvent de situation et de fortune : [95c] les occasions d'agir sont comme les vents, tantôt favorables et tantôt contraires. Si nos amis avaient tous en même temps à consulter sur leurs intérêts personnels, à traiter les affaires publiques, à briguer les charges, à exercer les devoirs de l'hospitalité, et qu'ils nous demandassent à la fois nos services, il serait impossible de les satisfaire. Que serait-ce donc si, livrés chacun à des soins ou à des goûts différents, ils nous appelaient tous ensemble, l'un pour l'accompagner dans un voyage, l'autre pour l'aider de nos conseils dans la poursuite d'une affaire ou dans le jugement d'un procès, celui-ci pour conclure un marché, celui-là pour assister à la célébration d'un mariage ou à des funérailles ? Et ces deux derniers cas sont assez fréquents.

L'encens fume partout sur les autels des dieux :
Ici des cris plaintifs, et là des chants joyeux
S'unissent dans les airs.

[95d] Obliger à la fois cette multitude d'amis, c'est une chose impossible ; les refuser tous ne serait pas supportable ;


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s'employer pour un seul et mécontenter tous les autres, c'est un parti fâcheux.

Quand on aime, il est dur de se voie négliger.

Et toutefois, on supporte encore plus patiemment la négligence et l'oubli de ses amis, que la préférence qu'ils donnent à d'autres sur nous. Cet oubli est peut-être l'excuse qu'on reçoit avec moins de peine ; mais qu'un de nos amis vienne nous dire : Je ne vous ai pas assisté dans votre procès, parce que je rendais ce même service à un autre ; je n'ai pu venir vous voir le jour que vous étiez malade, je dînais chez un de mes amis; qu'il allègue ainsi, pour excuser sa négligence, les soins [95e] qu'il a donnés à d'autres, au lieu d'apaiser les plaintes, il excite la jalousie.

Mais la plupart des hommes ne pensent qu'à quelques avantages que peut leur procurer la multitude des amis, et ne voient pas les inconvénients qui en résultent. Ils ne sentent pas qu'en recevant les services des autres, ils contractent l'obligation du retour. Le géant Briarée qui, avec ses cent mains, remplissait cinquante estomacs, n'était pas plus nourri que chacun de nous qui n'en remplissons qu'un avec nos deux mains. Ainsi, l'utilité qu'on retire de la pluralité des amis entraîne l'embarras de rendre plus de services, et de partager leurs peines, leurs travaux et leurs tourments. Gardons-nous d'en croire Euripide, lorsqu'il nous dit :

Du commerce gênant d'une amitié trop tendre
L'homme, pour être heureux, doit toujours se défendre.
[95f] Des nœuds que le besoin forme et rompt aisément,
D'une union commode assurent l'agrément.

Il veut qu'on resserre ou qu'on relâche, selon le besoin, les nœuds de l'amitié, comme on fait des voiles d'un navire. Euripide, lui dirais-je, transportons votre maxime à l'inimitié. Disons que les querelles doivent être bornées, et


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ne jamais pénétrer jusqu'au fond de notre âme; qu'il faut que les haines, les ressentiments, les plaintes et les soupçons [96a] s'effacent aisément. Proposez-nous plutôt ce précepte de Pythagore : ne donnez pas la main à plusieurs personnes ; c'est-à-dire, ne vous faites pas un grand nombre d'amis ; ne courez pas après ces amitiés communes, et pour ainsi dire banales, qui n'entrent dans le cœur qu'avec une suite nombreuse de passions; car on ne peut se dispenser de prendre part aux peines, aux travaux et aux dangers de ses amis. Encore n'est-ce pas là ce qui coûte le plus, surtout aux âmes généreuses. On reconnaît alors, par sa propre expérience, la vérité de cette parole de Chilon à quelqu'un qui se vantait de n'avoir point d'ennemi : « Vous n'avez donc pas d'ami, » lui dit ce philosophe. En effet, les inimitiés suivent de près les amitiés, et en font comme une dépendance nécessaire. [96b] I! est impossible que nous n'ayons pas notre part des injustices, des affronts qu'on fait à nos amis, et des haines qu'on leur porte. Leurs ennemis nous tiennent pour suspects, et nous regardent de mauvais œil. Leurs amis même nous portent souvent envie, et cherchent par jalousie à nous détacher d'eux. Timésias ayant consulté l'oracle sur une colonie qu'il voulait établir, en reçut cette réponse :

Tu formes un essaim d'abeilles diligentes
Qui bientôt deviendront des guêpes malfaisantes (05).

De même, en cherchant une foule d'amis, on tombe souvent, sans y penser, dans un essaim d'ennemis. Or, il s'en


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faut bien que la bienveillance d'un ami fasse équilibre avec le ressentiment d'un ennemi. Voyez comment les amis de Philotas [96c] et de Parménion furent traités par Alexandre ; ceux de Dion, par Denis le tyran ; ceux de Plautus, par Néron ; ceux de Séjan, par Tibère : ils expirèrent tous dans les tourments les plus horribles. L'or qui couvrait Créuse ne fut d'aucune ressource à Créon contre le feu dont elle brûlait, et qui le consuma lui-même, lorsqu'il courut à cette princesse pour la secourir, et qu'il la prit entre ses bras (06). Il en est souvent de même en amitié : on ne tire aucun avantage de la fortune de ses amis, et l'on se trouve enveloppé dans leurs disgrâces. C'est ce qui arrive surtout aux philosophes et aux gens d'honneur. Tel fut en particulier le sort de Thésée, lorsque Pirithoüs fut enchaîné dans les enfers, en punition de son attentat :

Lui-même dans les fers il se vit retenu.

[96d] Thucydide raconte que dans la peste qui désola l'Attique, les citoyens les plus vertueux n'épargnèrent pas leur vie, et qu'en allant voir leurs amis malades, ils périrent eux-mêmes victimes de leur zèle (07). Il faut ménager autrement la vertu, et au lieu de la livrer indifféremment à tout le monde, en réserver la communication aux personnes qui sont dignes d'elle, c'est-à-dire à ceux qui peuvent mettre autant que nous dans le commerce de l'amitié. Car ce qui s'oppose principalement à ce qu'on ait beaucoup d'amis, [96e] c'est que l'amitié ne se forme que par la conformité des caractères. Nous voyons les animaux eux-mêmes se refuser, avec une sorte d'horreur, aux accu-


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plements avec des espèces différentes. La contrainte seule peut les y amener. Au contraire, ils s'unissent volontiers avec ceux de leur espèce; ils recherchent même cette union. Comment donc l'amitié pourrait-elle s'établir entre des personnes différentes de caractère, d'inclinations et de mœurs? Dans les chœurs de musique, l'harmonie résulte du mélange des sons contraires, les tons graves et les tons aigus concourant à former par leur union des accords parfaits ; mais l'harmonie de l'amitié ne souffre rien d'inégal, de dissonant ou de faux. Elle veut que les discours, les sentiments, les vues et les affections, tout généralement soit du même ton ; que les amis ne soient qu'une seule âme dans plusieurs corps. [96f] Or, est-il un homme assez mobile et assez changeant, assez susceptible de toutes sortes de formes, pour prendre le caractère et les mœurs d'un grand nombre de personnes? Est-il quelqu'un qui ne trouve ridicule cette maxime de Théognis :

Imitez le polype, et d'un art séducteur
De mille objets divers empruntez la couleur.

Ces changements de couleur dans le polype ne pénètrent pas au delà de sa surface, et viennent de ce que sa peau se resserre ou se relâche tour à tour, [97a] et retient les influences des corps voisins (08). Mais l'amitié veut une entière conformité dans les discours, les vues, les inclinations et les goûts. C'est le fait d'un malheureux et vil protée, que de pouvoir, par une sorte de prestige, changer à tout moment de caractère : se livrer à l'étude avec les savants, fréquenter les gymnases avec les athlètes; tantôt passer les jours entiers à table ou à la chasse ; tantôt s'occuper des affaires publiques, et se plier ainsi au goût de toutes les personnes avec qui il vit, sans jamais en avoir un à soi.[97b]  Les physiciens disent que la matière élémentaire, privée


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de forme et de couleur, est capable de recevoir les formes de toutes les substances : qu'elle devient un feu rapide, une eau légère, un air subtil, une terre grossière. Ne faudrait-il pas de même, pour avoir un grand nombre d'amis, que l'âme se prêtât à toutes sortes de mœurs et de passions, et que, comme une cire molle, elle adoptât avec facilité les formes les plus contraires? Mais l'amitié veut un caractère stable et solide, une égalité de mœurs qui se soutienne sans variation. De là vient qu'il est si rare et si difficile de trouver un ami constant.


(01) Ce passage est tiré du dialogue de Platon qui porte le nom de Ménon, et qui traite de la vertu.

(02) Ce nourrisson d'Hypsipyle était Ophelte ou Archémore, fils de Lycurgue, roi de Némée. Les Argiens, qui allaient à l'expédition de Thèbes, manquant d'eau et se trouvant pressés par la soif, rencontrèrent Hypsipile, qu'ils prièrent de leur indiquer une source où ils pussent se désaltérer. La nourrice, pour courir plus librement, déposa le jeune Ophelte à terre dans une prairie couverte de fleurs, qu'il s'amusait à abattre en attendant Hypsipyle; mais pendant l'absence de celle femme, un serpent, caché sous l'herbe, le piqua et lui donna la nom.

(03) Le texte dit: Commençant par la renommée publique de la vie des hommes, comme par la déesse Vesta. C'est sans doute une allusion à l'usage des anciens, de placer à l'entrée de leurs maisons une statue de Vesta, à laquelle ils faisaient chaque jour des sacrifices, et de là le nom de vestibule.

(04) Comme les gens.

(05) Timésias, qui vivait vers la trente-unième olympiade, avait le plus grand crédit dans Clazomènes, sa patrie, et y gouvernail avec un pouvoir presque absolu. Ayant reconnu que cette grande puissance l'avait rendu odieux à ses concitoyens, il prit le parti de se retirer dans la Thrace pour y fonder une colonie. Il voulut y bâtir, ou, selon d'autres, y rétablir la ville d'Abdère; mais il fut chassé par tes Thraces avant que d'avoir pu meure ordre à cet établissement, et reconnu; ainsi la vérité de l'oracle que Plutarque rapporte. Au lieu que les abeilles ont coutume de chasser les frelons, les guêpes, dit Bayle, l'obligèrent de déguerpir.

(06) Créuse était fille de Créon, roi de Corinthe, que Jason épousa après avoir répudié Médée; elle fut, comme on sait, victime de la jalousie de sa rivale. 

(07) Cette peste est celle qui, après avoir ravagé une grande partie de l'Asie, vint fondre sur l'Attique la deuxième année de la guerre du Péloponnèse.

(08) Plutarque attribue ici par erreur au polype les propriétés du caméléon.