Oedipe de Sénèque

 

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Le parricide

SENEQUE : L. Annaeus Seneca échappe de peu à la condamnation à mort sous l'empereur Caligula, est exilé par l'empereur Claude, choisi par Agrippine pour être le précepteur de l'empereur Néron. Impliqué dans le complot des Pisons, il se suicide.
Il a écrit des dialogues philosophiques, un exposé de physique, une satire de l'empereur Claude et des tragédies, inspirées de sujets grecs.

Autres textes de Sénèque    

Oedipe s'enfuit de chez lui.

Oedipe

Fatidice te, te praesidem veri deum
compello. Solum debui fatis patrem.
Bis parricida, plusque quam timui nocens,
matrem peremi; scelere confecta est meo.
O Phoebe mendax, fata superavi impia.
Pavitante gressu sequere fallentes vias,
suspensa plantis efferens vestigia.
Caecam tremente dextera noctem rege.
Ingredere, praeceps, lubricos ponens gradus.
I, profuge, vade. Siste, ne in matrem incidas.
Quicumque fessi corpore et morbo graves
semanima trahitis pectora, en fugio, exeo,
relevate colla. Mitior caeli status
post terga sequitur. Quisquis exilem iacens
animam retentat, vividos haustus levis
concipiat. Ite, ferte depositis opem.
Mortifera mecum vitia terrarum extraho.

   vocabulaire

 

Dieu des oracles, j'en appelle à toi, à toi, le dieu maître de la vérité. Je ne devais au destin que le meurtre de mon père. Me voici deux fois parricide, plus coupable que je ne craignais; j'ai tué ma mère. C'est mon crime qui l'a achevée. Apollon menteur, je suis allé au-delà de mes destins impies. D'un pas craintif, suis des chemins trompeurs, laisse sur ta route des traces hésitantes. Règne à présent d'une main tremblante sur une nuit totale. Avance, branlant, pose tes pas chancelants. Va, l'exilé, pars. arrête de peur de trébucher sur ta mère. Vous qui épuisés et malades n'avez plus qu'un coeur mourant, voilà, je fuis, je m'en vais, redressez la tête. Un ciel plus clément vient derrière moi. Celui alité, retient une âme affaiblie, qu'il respire soulagé un air vivifiant. Allez, portez secours aux affligés. J'emporte avec moi les miasmes de mort de ce pays.

Sénèque, Oedipe, 1044 - 1060

 

Oedipe-Roi de Sophocle 

OEDIPE. - Las! Que dois-Je lui dire? Quelle confiance puis-je donc normalement lui inspirer? Ne me suis-je pas naguère montré en tout cruel à son endroit?

CRÉON. - Je ne viens point ici pour te railler, Oedipe; moins encore pour te reprocher tes insultes de naguère. Mais vous autres, si vous n'avez plus de respect pour la race des humains, respectez tout au moins le feu qui nourrit ce monde ; rougissez d'exposer sans voile à ses rayons un être aussi souillé, que ne sauraient admettre ni la terre, ni l'eau sainte, ni la lumière du jour.

Allez, renvoyez-le au plus vite chez lui. C’est aux parents seuls que la pitié laisse le soin de voir et d'écouter des parents en peine.

OEDIPE. - Au nom des dieux, puisque tu m'as tiré de crainte, en venant, toi, le meilleur des hommes, vers le plus méchant des méchants, écoute-moi. Je veux te parler dans ton intérêt, et non dans le mien.

CRÉON. - Et quelle est la requête pour laquelle tu me presses ainsi ?

OEDIPE. - Jette-moi hors de ce pays, et au plus tôt, dans des lieux où personne ne m'adresse plus la parole.

CRÉON. - Je l'eusse fait, sois-en bien sûr, si je n'avais voulu savoir d'abord du dieu où était mon devoir.

OEDIPE. - Mais le dieu a déjà publié sa sentence : pour l'assassin, pour l'impie que je suis, c'est la mort.

CRÉON. - Ce sont bien ses paroles ; mais, dans la détresse où nous sommes, mieux vaut pourtant nous assurer de ce qui est notre devoir.

OEDIPE. - Eh quoi ! Pour un malheureux vous iriez consulter encore ?

CRÉON. - C'est justement pour que toi-même tu en croies cette fois le dieu.

OEDIPE. - Je l'en crois à mon tour, je t'adresse mes derniers voeux. A celle qui est là, au fond de ce palais, va, fais les funérailles que tu désireras : il est bien dans ton rôle de t'occuper des tiens. Mais pour moi, tant que je vivrai, que jamais cette ville, la ville de mes pères, ne me soit donnée pour séjour! Laisse-moi bien plutôt habiter les montagnes, ce Cithéron qu'on dit mon lot. Mon père et ma mère, de leur vivant même, l'avaient désigné pour être ma tombe: je mourrai donc ainsi par ceux-là qui voulaient ma mort. Et pourtant, je le sais, ni la maladie ni rien d'autre au monde ne peuvent me détruire: aurais-je été sauvé à l'heure où je mourais, si ce n'avait été pour quelque affreux malheur"? N'importe : que mon destin, à moi, suive sa route! Mais j'ai mes enfants... De mes fils, Créon, ne prends pas souci. Ce sont des hommes : où qu'ils soient, ils ne manqueront pas de pain. Mais de mes pauvres et pitoyables filles, sans qui jamais on ne voyait dressée la table où je mangeais, et qui toujours avaient leur part de tous les plats que je goûtais, de celles-là, je t'en supplie, prends soin!... Et surtout, laisse-moi les palper de mes mains, tout en pleurant sur nos misères. Ah ! Prince, noble et généreux prince, si mes mains les touchaient seulement, je croirais encore les avoir à moi, tout comme au temps où j'y voyais... Mais que dis-je? O dieux! n'entends-je pas ici mes deux filles qui pleurent ? Créon, pris de pitié, m'aurait-il envoyé ce que j'ai de plus cher, mes deux enfants ? Dis-je vrai ?

Antigone et Ismène sortent du gynécée, conduite par une esclave.

CRÉON. - Vrai. C'est bien moi qui t'ai ménagé cette joie, dont je savais que la pensée depuis un moment t'obsédait.

OEDIPE. - Le bonheur soit donc avec toi ! Et, pour te payer de cette venue, puisse un dieu te sauvegarder, et mieux qu'il n'a fait moi-même ! - ô mes enfants, ou donc êtes-vous? venez, venez vers ces mains fraternelles, qui ont l'ait ce que vous voyez de ces yeux tout pleins de lumière du père dont vous êtes nées! Ce père, mes enfants qui, sans avoir rien vu, rien su, s'est révélé soudain comme vous ayant engendrées dans le sein où lui-même avait été formé !... Sur vous aussi, je pleure - puisque je ne suis plus en état de vous voit. -, je pleure, quand je songe combien sera amère votre vie à venir et quel sort vous feront les gens. A quelles assemblées de votre cité, à quelles fêtes pourrez-vous bien aller, sans retourner chez vous en larmes, frustrés du spectacle attendu? Et, quand vous atteindrez l'heure du mariage, qui voudra, qui osera se charger de tous ces opprobres faits pour ruiner votre existence, comme ils ont fait pour mes propres parents ? Est-il un crime qui y manque? Votre père a tué son père ; il a fécondé le sein d'où lui-même était sorti; il vous a eues de celle même dont il était déjà issu: voilà les hontes qu'on vous reprochera ! Qui, dès lors, vous épousera? Personne, à mes enfants, et sans doute vous faudra-t-il vous consumer alors dans la stérilité et dans la solitude... ô fils de Ménécée, puisque tu restes seul pour leur servir de père - nous, leur père et leur mère, sommes morts tous les deux -, ne laisse pas des filles de ton sang errer sans époux, mendiant leur pain. Ne fais point leur malheur égal à mon malheur. Prends pitié d'elles, en les voyant si ,jeunes, abandonnées de tous, si tu n'interviens pas. Donne-m'en ta parole, prince généreux, en me touchant la main... (Créon lui donne la main.) Ah ! Que de conseils, mes enfants, si vous étiez d'âge à comprendre, j'aurais encore à vous donner! Pour l'instant, croyez-moi, demande? Seulement aux dieux, où que le sort vous permette de vivre, d'y trouver une vie meilleure que celle du père dont vous êtes nées.

CRÉON. - Tu as assez pleuré, rentre dans la maison.

OEDIPE. - Je ne puis qu'obéir, même s'il m'en coûte.

CRÉON. - Ce qu'on fait quand il faut est toujours bien fait.

OEDIPE. - Sais-tu mes Conditions pour m'éloigner d'ici ?

CRÉON. - Dis-les-moi, et Je les Saurai.

OEDIPE. - Veille à me faire mener hors du pays.

CRÉON. - La réponse appartient au dieu.

OEDIPE. - Mais je fais horreur aux dieux désormais.

CRÉON. - Eh bien ! Alors tu l'obtiendras sans doute.

OEDIPE. - Dis-tu Vrai ?

CRÉON. - Je n'ai pas l'habitude de parler contre ma pensée.

OEDIPE. - Emmène-moi donc tout de suite.

CRÉON. - Viens alors et laisse tes filles.

OEDIPE. - Non, pas elles ! Non, ne me les enlève pas !

CRÉON. - Ne prétends donc pas triompher toujours: tes triomphes n'ont pas accompagné ta vie.

On ramène les fillettes dans le gynécée, tandis qu'on fait rentrer Oedipe par la grande porte du palais.

LE CORYPHÉE. - Regardez, habitants de Thèbes, ma patrie. Le voilà, cet Oedipe, cet expert en énigmes fameuses, qui était devenu le premier des humains. Personne dans sa ville ne pouvait contempler son destin sans envie. Aujourd'hui, dans quel flot d'effrayante misère est-il précipité! C’est donc ce dernier jour qu'il faut, pour un mortel, toujours considérer. Gardons-nous d'appeler jamais un homme heureux, avant qu'il ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi un chagrin.

anima, ae, f. : le coeur, l'âme
bis
, inv. : deux fois
caecus, a, um
: aveugle
caelum,
i, n. : le ciel
collum, i
, n. : le cou
compello, is, ere, puli, pulsum
: pousser ensemble, rassembler, presser
concipio, is, ere, cepi, ceptum
: faire naître, produire

conficio, is, ere, feci, fectum
: 1. faire (intégralement) 2. réaliser 3. réduire 4. venir à bout de 5. accabler, épuiser
corpus, oris
, n. : le corps
debeo, es, ere, ui, itum
: devoir
depono, is, ere, posui, positum
: déposer, abandonner
deus, i
, m. : le dieu
dextera
, ou dextera, ae, f. : la main droite
effero, fers, ferre, extuli, elatum
: porter dehors, emporter, enterrer, divulguer, élever. se - : se produire au-dehors, se montrer, s’enorgueillir. pass : être jeté hors de soi
en
, suivi du nom. ou de l'acc. : voici

eo, is, ire, ivi, itum
: aller
et
, conj. : et. adv. aussi
exeo, is,ire, ii, itum
: 1. sortir de, aller hors de 2. partir

exilis, e
: menu, mince
extraho, is, ere, traxi, tractum
: extraire, retirer, ôter
fallo, is, ere, fefelli, falsum
: tromper, tendre un piège (falsus, a, um : faux) me fallit : il ne m'échappe pas, je sais bien
fatidicus, a, um
: qui révèle le destin

fatum, i
, n. : la prédiction, le destin, la fatalité, la destinée
fero, fers, ferre, tuli, latum
: porter, supporter, rapporter
fessus, a, um
: fatigué

fugio, is, ere, fugi
: s'enfuir, fuir
gradus, us
, m. : le pas, le degré
gravis, e
: 1. lourd, pesant 2. grave, puissant, forts, grave, dur, rigoureux, pénible, accablant 3. alourdi, embarrassé, accablé
gravo, as, are
: appesantir, alourdir (gravor, aris, atus sum : faire des difficultés, répugner à, être fatigué de)
gressus, us
, m. : la marche, la démarche, l'allure
haurio, is, ire, hausi, haustum
: puiser, boire complètement
iaceo, es, ere, cui, citurus
: être étendu, s'étendre
impius, a, um
: qui manque aux devoirs de piété, impie, sacrilège
in
, prép. : (acc. ou abl.) dans, sur, contre

incido, is, ere, cidi
: I. de cadere : tomber dans, arriver, se présenter II. de caedere : entailler, couper, graver
ingredior, eris, i, gressus sum
: entrer
levis, e
: léger
lubricus, a, um
: glissant, incertain, dangereux, hasardeux
mater, tris
, f. : la mère
mecum
, conj.+pron. : avec moi
mendax, acis
: menteur
meus, mea, meum
: mon
mitio, is, ire
: adoucir
morbus, i
, m. : la maladie

mortifer, era, erum
: mortel, fatal
ne
, 1. adv. : ... quidem : pas même, ne (défense) ; 2. conj. + subj. : que (verbes de crainte et d'empêchement), pour que ne pas, de ne pas (verbes de volonté) 3. adv. d'affirmation : assurément 4. interrogatif : est-ce que, si
nocens, entis
: nuisible, coupable
nox, noctis
, f. : la nuit
o
, inv. : ô, oh (exclamation)
ops, opis
, f. : sing., le pouvoir, l'aide ; pl., les richesses
parricida, ae
, m. : le parricide
pater, tris
, m. : le père, le magistrat
pavito, as, are
: être effrayé; craindre
pectus, oris
, n. : la poitrine, le coeur, l'intelligence
perimo, is, ere, emi, emptum
: détruire, anéantir, tuer
Phoebus, i
, m. : nom grec d'Apollon
planta, ae
, f. : la plante (du pied)
plus
, adv. : plus, davantage
pono, is, ere, posui, situm
: 1. poser 2. déposer 3. placer, disposer 4. installer 5. présenter, établir
post
, adv. : en arrière, derrière; après, ensuite; prép. : + Acc. : après
praeceps, cipitis
: la tête en avant, précipité, penché, en déclivité, emporté (praeceps, ipitis, n. : l'abîme, le précipice - praeceps adv. au fond, dans l'abîme)
praeses, praesidis
, m. : celui qui est à la tête de, le chef
profugio, is, ere, profugi, profugitum
: fuir, abandonner ; s'échapper
quam
, 1. accusatif féminin du pronom relatif = que 2. accusatif féminin sing de l'interrogatif = quel? qui? 3. après si, nisi, ne, num = aliquam 4. faux relatif = et eam 5. introduit le second terme de la comparaison = que 6. adv. = combien
quicumque, quae-, quod- (-cun-)
: qui que ce soit, quoi que ce soit
quisquis, quidquid ou quicquid
: quiconque
rego, is, ere, rexi, rectum
: commander, diriger
relevo, as, are : soulever
; alléger, décharger; soulager, réconforter
retento, as, are
: retenir, contenir, arrêter; toucher de nouveau, essayer de nouveau, repasser dans son esprit

scelus, eris
, n. : le crime
semanimus, a, um
: à demi mort
sequor, eris, i, secutus sum
: 1. suivre 2. poursuivre 3. venir après 4. tomber en partage
sisto, is, ere, stiti, statum
: arrêter, s'arrêter
solus, a, um
: seul
status, us
, m. : l'attitude, la position, la forme de gouvernement, le bon état
sum, es, esse, fui
: être
supero, as, are
: 1. s'élever au-dessus 2. être supérieur, l'emporter 3. aller au-delà, dépasser, surpasser, vaincre
suspensus, a, um
: qui plane, qui flotte, en suspens, incertain
tergum, i
, n. : le dos
terra, ae
, f. : la terre
timeo, es, ere, timui
: craindre
traho, is, ere, traxi, tractum
: 1. tirer 2. solliciter, attirer 3. traîner 4. extraire 5. allonger, prolonger 6. différer, retarder
tremens, entis
: tremblant

tu, tui
: tu, te, toi
vado, is, ere
: aller
verus, a, um
: vrai
vestigium, ii
, n. : 1. la plante du pied 2. la trace de pas, la trace, la place
via, ae
, f. : la route, le chemin, le voyage
vitium, ii
, n. : le vice, le défaut
vividus, a, um
: plein de vie, vigoureux, vif, énergique
texte
texte
texte
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