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SEQUENCE II

Penser et vivre l'exil

Texte I : Cicéron médite sur l'exil

Contempto igitur honore, contempta etiam pecunia, quid relinquitur quod extimescendum sit ? Exilium, credo, quod in maxumis malis ducitur. Id si propter alienam et offensam populi voluntatem malum est, quam sit ea contemnenda paulo ante dictum est. Sin abesse patria miserum est, plenae miserorum provinciae sunt ex quibus admodum pauci in patriam revertuntur. (...) Iam vero exilium, si rerum naturam, non ignominiam nominis quaerimus, quantum tandem a perpetua peregrinatione differt ? In qua aetates suas philosophi nobilissimi consumpserunt, Xenocrates, Crantor, (..) innumerabiles alii qui semel egressi numquam domum reverterunt.

CICÉRON, Tusculanes, 5, 106 - 107

extimescere,o : craindre
exilium,i : l'exil
maxumis = maximis
offensus,a,um : hostile
admodum pauci : un très petit nombre de
ignominia,ae : la honte
peregrinatio,onis : le voyage, le séjour à l'étranger, l'absence

Quelques questions ...

1) Quels sont les aspects de l'exil qui peuvent sembler redoutables ?
2) Par quels arguments Cicéron les combat-il ?
3) Comment le vocabulaire peut-il être un moyen de désamorcer l'horreur de la chose?

 

Documents pour réfléchir

Les Tusculanes ont été écrites en 45. En 58, Cicéron avait été exilé. Voici ce qu'il écrivait à son ami intime Atticus :

Tant que je recevais de vous des lettres qui me donnaient lieu d'attendre quelque chose, j'ai été retenu à Thessalonique par l'espoir et par l'impatience; quand j'ai vu qu'on ne ferait plus rien pour moi cette année, je n'ai pas voulu aller en Asie, parce que j'ai horreur devoir du monde et parce que je ne désirais pas me trouver loin au cas où les nouveaux magistrats feraient quelque chose. J'ai donc résolu de me transporter en Epire chez toi : ce n'est pas j'attache de l'importance à la nature des lieux, car je fuis littéralement la lumière du jour : mais, si je suis rappelé, il me serait particulièrement agréable de partir de ton port.

En 51, Cicéron est nommé proconsul de Cilicie. Il écrit à ses amis restés à Rome :

C'est incroyable comme je souffre de nostalgie, comme j'encaisse mal la sottise de tout ceci.

Enfin, ce qui me manque, ce n'est pas le grand jour de la vie publique, le forum, Rome, la maison, ce qui me manque, c'est vous. Mais je le supporterai comme je pourrai, pourvu que ça ne dure pas plus d'un an.

 Rome me manque d'une manière extraordinaire, les miens et toi le premier d'une manière incroyable, j'en ai assez de cette province, ...

 Habite Rome, Rome, cher Rufus, et vis dans cette lumière qui est la tienne; tout séjour à l'extérieur est sans gloire et misérable pour ceux dont le rôle à Rome peut être éclatant.

Texte II : Exilé par Auguste, Ovide déplore le sort qui est le sien

 

At longe patria est, longe carissima coniux,
     quicquid et haec nobis, post duo dulce fuit.
Sic tamen adsunt ut, quae contingere non est
     corpore, sint animo cuncta videnda meo.
Ante oculos errant domus Urbsque et forma locorum
     acceduntque suis singula facta locis.
Coniugis ante oculos sicut praesentis imago est;
     illa meos casus ingravat, illa levat.
Ingravat hoc quod abest, levat hoc quod praestat amorem
     impositumque sibi firma tuetur onus.

OVIDE, Tristes, 3, 4b, 7 -16

contingere non est : esse + inf. : il est possible de
ingravare,o : aggraver
levare,o : alléger

 

Quelques questions ...

1) Quels sont les regrets d'Ovide ?
2) Pourquoi la vie de l'exilé se déroule-t-elle dans le malaise ?

 

Texte III : Exilé par Claude, Sénèque écrit à l'intention de sa mère un ouvrage où il démontre que l'exil n'est pas un malheur.

 

Quantulum enim est quod perdidimus ! Duo, quae pulcherrima sunt, quocumque nos moverimus sequentur : natura communis et propria virtus. (..) Quicquid optimum homini est, id extra humanam potentiam iacet; nec dari nec eripi potest. Mundus hic, quo nihil neque maius neque ornatius rerum natura genuit, animus contemplator admiratorque mundi, pars eius magnificentissima, propria nobis et perpetua et tam diu nobiscum mansura sunt quam diu ipsi manebimus. (...) Nullum inveniri exsilium potest; nihil enim quod intra mundum est alienum homini est. Undecumque ex aequo ad caelum erigitur acies; paribus intervallis omnia divina ab omnibus humanis distant.

SÉNÈQUE, Consolation à Helvia, 8, 2 et 4 -5

quantulum : combien peu
quocumque : où que (avec mouvement)
mundus,i : le firmament
contemplator,oris : le contemplateur, l'observateur
admirator,oris : l'admirateur
magnificus,a,um (superl. magnificentissimus) : beau, grandiose
exsilium,i : l'exil
undecumque : de n'importe où
ex aequo : à égalité
acies,ei : le regard
distare,o : être distant

Quelques questions ...

1) Que perd l'exilé ?
2) Que garde-t-il ?
3) Quels sont les vrais biens ?

Document pour réfléchir

Pendant son exil, Sénèque a écrit aussi la Consolation à Polybe (ministre de Claude qui aurait pu intervenir en faveur du rappel de Sénèque). La Consolation a pour prétexte la mort du frère de Polybe et n'est qu'une longue flatterie. Dans la suite, Sénèque ne retint pas la Consolation à Polybe dans l'édition de ses oeuvres.

SYNTHESE

1. Les données biographiques

a) Cicéron a connu l'exil qui a précédé l'extrait ici choisi.
b) Ovide écrit en exil.
c) Sénèque écrit en exil.

2. Le jugement sur l'exil

a) l'exil n'est pas un mal.
b) l'exil est une souffrance.
c) l'exil n'est pas un mal.

3. L'argumentation

a) Si c'est une sentence populaire injuste qui a entraîné l'exil, il faut le mépriser. L'exil n'est qu'une forme de séjour à l'étranger, situation que beaucoup de gens connaissent (ou ont connue), notamment des philosophes très célèbres.
b) pas d'argumentation (voir ci-dessous 4)
c) l'exil ne peut nous ravir l'essentiel : le monde et nous-mêmes. Les plus hautes aspirations de l'homme peuvent s'exercer partout.
Rem. : Les choses ont évolué entre Cicéron et Sénèque (populi voluntas/ humana potentia).

4. Les sentiments

a) absents.
b) Ovide ne raisonne pas sur l'exil : il en exprime la souffrance. Ici, c'est le regret des êtres et des lieux qui est évoqué à travers trois axes antithétiques : l'absence - la présence; le réel - l'imaginaire; la peine - la consolation.
c) absents.
Rem. : En fait, les réflexions de Cicéron et Sénèque sont destinées à repousser les sentiments malheureux qui pourraient naître de l'exil.

5. La cohérence

a) la sérénité de la réflexion cicéronienne est en contradiction avec les sentiments manifestés lors de l'exil et de sa charge en Cilicie (ce que Cicéron appelle la peregrinatio): il ne se résigne pas à l'injustice et manifeste un ardent désir de retour.
b) Ovide n'a qu'un seul langage (du reste, son oeuvre d'exil est une tentative d'obtenir son retour).
c) l'indifférence manifestée par Sénèque dans la Consolation à Helvia est contredite par sa tentative d'amadouer Polybe.

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