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 L'année 58 fut consacrée à la guerre contre les Helvètes et à la campagne contre Arioviste, chef germain installé depuis peu en Gaule. César avance pour ces deux opérations des raisons stratégiques et diplomatiques.

I. RAISONS STRATÉGIQUES

LE CADRE GÉNÉRAL : LES INVASIONS

L'Europe septentrionale et centrale était traversée depuis des siècles par un grand courant d'invasions d'est en ouest. Les Gaulois eux-mêmes avaient été des envahisseurs et certaines de leurs incursions avaient atteint Rome (390), la Grèce et l'Asie Mineure où ils s'installèrent sous le nom de Galates. César nous transmet les échos de ces invasions déjà lointaines.

La plupart des Belges descendent des Germains; après avoir franchi le Rhin il y a fort longtemps, ils se sont établis là à cause de la fertilité du sol et ont chassé les Gaulois qui habitaient ces régions. 
CÉSAR

Le phénomène continue à l'époque de César qui devra faire face personnellement à une tentative d'invasion de la Gaule par deux peuples germaniques: les Usipètes et les Tenchtères.

La description que César nous fait de la migration des Helvètes nous donne une idée de ce qu'étaient les invasions :

Dès qu'ils s'estimèrent prêts pour cette expédition, les Helvètes incendièrent toutes leurs places-fortes, une douzaine, leurs villages, environ quatre cents, tous leurs édifices privés; ils brûlèrent tout leur blé sauf celui qu'ils envisageaient d'emporter avec eux, pour que privés d'espoir de retour, ils soient plus disposés à affronter les dangers; ils ordonnèrent que chacun emporte de chez soi de la farine moulue pour trois mois. Ils persuadèrent les Rauraques et les Tulinges, leurs voisins de prendre la même décision, de brûler leurs places-fortes et leurs villages et de partir avec eux.  
CÉSAR

1. La migration des Helvètes met la Province en danger

 Les Helvètes ont demandé à César le libre passage à travers la Provincia. Craignant des pillages, César refuse, mais les Helvètes obtiennent des Séquanes l'autorisation de passer par leur territoire.

[1] Caesari renuntiatur Helvetiis esse in animo per agrum Sequanorum et Haeduorum iter in Santonum fines facere, qui non longe a Tolosatium finibus absunt*, quae civitas est in Provincia. [2] Id si fieret, intellegebat magno cum periculo Provinciae** futurum ut homines bellicosos, populi Romani inimicos, locis patentibus maximeque frumentariis finitimos haberet.
I, 10, 1 - 2 

*... IN SANTONUM FINES QUI NON LONGE A TOLOSATIUM FINIBUS ABSUNT ... : Il est nécessaire de vérifier sur la carte de la Gaule les affirmations de César.
Pensons que :
- pour les Romains du Ier s. ACN, la Gaule est un pays lointain et mal connu. Voici comment en parle Cicéron en 56 :

Des contrées et des nations que ni la littérature, ni la tradition orale, ni la légende ne nous avaient fait connaître ont été parcourues par notre général, par notre armée et par les armes du peuple romain.  
CICÉRON

- les cartes antiques étaient fausses: mauvaise orientation, contraction des distances N-S, allongement des distances E-O. Le document ci-joint te donne une idée de ce que pouvait être une carte dans l'Antiquité (l'original remonte sans doute au IIIe s. PCN).

**... LOCIS PATENTIBUS ... : A l'ouest, la Provincia n'avait pas de frontière naturelle et, à vrai dire, aucune frontière nettement fixée.

[1]
renuntiare :  annoncer (à son retour)
civitas : attraction de l'antécédent dans la relative; l'antécédent se met alors au cas du relatif
[2]
ut
+ subj. le fait que ...; introduit la proposition sujet de futurum [esse]
locis patentibus : abl. de lieu sans préposition
finitimos : attr. du COD homines : attr. du COD homines

 

2. Le danger germanique : la Gaule déstabilisée

Après sa victoire sur les Helvètes, César est appelé au secours par les Gaulois contre Arioviste.

[3] Locutus est pro his Diviciacus Haeduus :

Dans la Gaule prise dans son ensemble, il y avait deux partis : les Héduens détenaient la suprématie dans l'un, les Arvernes dans l'autre. Comme ils rivalisaient entre eux pour la prééminence, les Arvernes et les Séquanes avaient acheté l'appui des Germains. Dans un premier temps, quinze mille d'entre eux avaient franchi le Rhin; mais après que ces hommes féroces et barbares se furent mis à apprécier les terres, le mode de vie et les richesses des gaulois, le nombre d'arrivants s'accrut. Maintenant, ils étaient quelque cent vingt mille sur le territoire gaulois. Les Héduens et leurs clients les avaient affrontés les armes à la main à diverses reprises; défaits, ils avaient subi un grand désastre, la perte de toute leur aristocratie, de tout leur sénat, de toute leur cavalerie. Brisés par ces revers, eux qui avaient détenu la suprématie en Gaule grâce à leur courage et aux liens d'hospitalité et d'amitié qu'ils entretenaient avec Rome, avaient été contraints de donner les plus nobles des leurs en otages aux Séquanes et de promettre par serment de ne pas les réclamer, de ne pas demander du secours au peuple romain et de ne pas s'opposer à la domination définitive du vainqueur. Il était le seul de toute la cité des Héduens qui n'ait pu être amené à prêter serment et à donner ses enfants en otages. C'est pourquoi il s'était enfui de sa cité et s'était présenté à Rome devant le Sénat pour réclamer du secours, parce qu'il était le seul à ne pas être lié par un serment et par des otages.

[10] Sed peius victoribus Sequanis quam Haeduis victis accidisse, propterea quod Ariovistus, rex Germanorum, in eorum finibus consedisset tertiamque partem agri Sequani, qui esset optimus totius Galliae, occupavisset et nunc de altera parte tertia Sequanos decedere iuberet, propterea quod paucis mensibus ante Harudum milia hominum XXIV ad eum venissent, quibus locus ac sedes pararentur. [11] Futurum esse paucis annis uti omnes ex Galliae finibus pellerentur atque omnes Germani Rhenum transirent; neque enim conferendum esse Gallicum cum Germanorum agro, neque hanc consuetudinem victus cum illa comparandam. (...) [14] Nisi si quid in Caesare populoque Romano sit auxilii, omnibus Gallis idem esse faciendum quod Helvetii fecerint, ut domo emigrent, aliud domicilium, alias sedes remotas a Germanis, petant fortunamque, quaecumque accidat, experiantur.

[10]
ante : adv. : auparavant
locus ac sedes : hendiadyn (une idée exprimée en deux termes) : un lieu pour s'établir
[11]
futurum esse ut(i) + subj.le latin se sert de cette périphrase plutôt que d'employer l'inf. fut. passif peu usité
[14]
nisi si : si ce n'est au cas où
quid = aliquid
quid auxilii = (ali)quod auxilium
sit ... fecerint ... emigrent ... etc... : Les temps du discours indirect sont employés comme si le v. principal était à un temps primaire.
ut + subj. : explique ce qui précède : c'est-à-dire que
remotus,a,um : éloigné

 

3. Le danger germanique : l'Empire menacé

A la lumière des révélations que lui ont faites les Gaulois, César analyse la situation.

[3] Paulatim autem Germanos consuescere Rhenum transire in Galliam magnam eorum multitudinem venire populo Romano periculosum videbat; [4] neque sibi homines feros ac barbaros temperaturos existimabat quin, cum omnem Galliam occupavissent, ut ante Cimbri Teutonique*fecissent, in Provinciam exirent atque inde in Italiam contenderent, praesertim cum Sequanos a Provincia nostra Rhodanus divideret; quibus rebus quam maturrime occurrendum putabat.
I, 33, 3 - 4

CIMBRI TEUTONIQUE : Peuples germano-celtiques originaires du Jutland (Danemark actuel) qui ravagèrent la Gaule dans la dernière décennie du IIe s. ACN. Ils affrontèrent les Romains avec succès à plusieurs reprises. Ce fut Marius, l'oncle de César, qui les vainquit définitivement à Aix-en-Provence (102) et à Vercelli (Italie du nord - 101). Ils avaient laissé chez les Gaulois un souvenir "traumatisant".

Les Nerviens étaient les seuls qui, du temps de nos pères, alors que la Gaule entière était plongée dans la tourmente, avaient empêché les Cimbres et les Teutons de pénétrer sur leur territoire. Aussi en souvenir de cet exploit, s'accordaient-ils un grand prestige et faisaient-ils preuve d'un grand orgueil en matière militaire. 
CÉSAR

Après avoir ravagé la Gaule et y avoir apporté un terrible malheur, les Cimbres finirent un jour par quitter notre pays et par gagner d'autres terres. 
CÉSAR
(discours d'un chef gaulois)

[3]
Paulatim ... videbat
Sujet :
Sujet : Germanos consuescere transire - multitudinem venire
Verbe : (esse)
Attribut : periculosum
periculosus,a,um : dangereux
sibi : D. de point de vue
[4]
non temperare quin : + subj. ne pas s'empêcher de
ut : comme (ut de comparaison se construit avec l'ind.; le subj. est dû ici au style indirect)
ante : adv. : auparavant
Rhodanus : comprendre : le Rhône seulement
quam maturrime quam maturrime : le plus vite possible

 

UN PARCOURS DIFFICILE VERS UN PROCONSULAT "INTÉRESSANT"

L'objectif

Salluste dans la Conjuration de Catilina décrit César à l'époque des faits (63 ACN).

Il ambitionnait un haut commandement, une armée, une guerre nouvelle où sa valeur pût briller de tout son éclat.
SALLUSTE

Les moyens

Les grands prirent soin de faire attribuer aux consuls des départements sans importance, c'est-à-dire ceux des Bois et Pâturages [régions situées entre la Campanie et l'Adriatique].
SUÉTONE

César faisait régler par d'autres ses propres affaires. En effet, il veillait scrupuleusement à ne rien s'accorder personnellement et ainsi il obtenait plus facilement tout ce qu'il désirait. Il disait qu'il n'avait besoin de rien et que sa situation présente le comblait. Mais d'autres, dans l'idée que César était une personnalité incontournable et pouvait leur être utile, proposaient tout ce qu'il voulait et contribuaient à accroître sa puissance non seulement auprès du peuple, mais aussi au Sénat. C'est la foule qui lui fit attribuer l'Illyricum et la Gaule Cisalpine pour cinq ans avec trois légions.
DION CASSIUS

Le Sénat y joignit bientôt la Gaule Chevelue [la Gaule Transalpine], craignant que s'il la lui refusait, elle ne lui fût attribuée aussi par le peuple.
SUÉTONE

 

4. Le danger germanique : menace réelle ou prétexte commode ?

La menace germanique nécessitait-elle une intervention directe en Gaule ? César ne semble pas y avoir pensé avant le conflit avec les Helvètes, comme en témoignent ces quelques mots extraits de son entretien avec le chef germain Arioviste.

Ubi eo ventum est, Caesar initio orationis sua senatusque in eum beneficia commemoravit, quod rex appellatus esset a senatu, quod amicus, quod munera amplissime missa; quam rem et paucis contigisse et pro magnis hominum officiis consuesse tribui docebat.
I, 43, 4
eo : là
quod : le fait que
consuesse = consuevisse

ENTREPRISES PROJETÉES, ENTREPRISES RÉALISÉES

César projetait sans doute une expédition vers le Danube au départ de l'Illyricum.

- En 58, trois de ses quatre légions hivernaient à Aquileia.

- L'arrière-pays de l'Illyricum était agité et offrait des prétextes à une opération militaire.

Lui-même [César] part pour l'Illyricum parce qu'il avait appris qu'une partie de sa province était ravagée par les Pirustes qui y faisaient des incursions. 
CÉSAR

- A son entrée en fonction, la Gaule était calme.

César ne trouva en Gaule aucun conflit et tout était parfaitement calme. Mais la paix fut de courte durée. Après qu'une guerre eut éclaté spontanément, une autre lui succéda de sorte qu'il eut tout ce qu'il désirait, faire la guerre et accumuler les succès. 
DION CASSIUS

UN OEIL SUR LA GAULE

De toute façon, Rome guettait les événements de Gaule d'un oeil attentif, sinon intéressé.

Quant aux affaires publiques, le plus grave pour le moment est la crainte d'une guerre avec les Gaulois. En effet, les Héduens, nos frères viennent de subir une défaite; les Helvètes - la chose est sûre - sont en armes et se livrent à des incursions dans la Province. Le Sénat a décrété que les consuls tireraient au sort entre eux, comme province, les deux Gaules, qu'on ferait une levée, que les exemptions de service seraient suspendues, que des députés munis des pleins pouvoirs seraient envoyés chez les peuples de Gaule et s'emploieraient à empêcher qu'ils s'unissent aux Helvètes. 
CICÉRON
(lettre du 15 mars 60)

Ton ami Metellus [proconsul de Gaule Transalpine] est un consul remarquable : je ne lui reproche qu'une chose, c'est qu'il ne se réjouisse guère des nouvelles de paix en provenance de Gaule. Je suppose qu'il désire un triomphe. 
CICÉRON
(lettre de mi-mai 60)

5. D'une guerre à l'autre

Les Germains d'Arioviste ont été vaincus.

I, 54 [1] Hoc proelio trans Rhenum nuntiato Suebi, qui ad ripas Rheni venerant, domum reverti coeperunt; quos ubi qui proximi Rhenum incolunt perterritos senserunt, insecuti magnum ex his numerum occiderunt. [2] Caesar una aestate duobus maximis bellis confectis maturius paulo quam tempus anni postulabat in hiberna in Sequanos exercitum deduxit; [3] hibernis Labienum praeposuit; ipse in citeriorem Galliam ad conventus agendos profectus est.

II, 1 [1] Cum esset Caesar in citeriore Gallia legionesque essent collocatae in hibernis, ita uti supra demonstravimus, crebri ad eum rumores afferebantur, litterisque item Labieni certior fiebat omnes Belgas, quam tertiam esse Galliae partem dixeramus, contra populum Romanum coniurare obsidesque inter se dare.
I, 54; II, 1, 1

I, 54
[1]

proximus,a,um + acc. : le plus proche de
[2]
maturius : plus tôt
[3]
praeponere,o,posui,positum : placer à la tête de
citerior,oris : Citérieure, Cisalpine
conventus,us : les assises (judiciaires)
II,1
[1]

partem : antécédent de quam attiré dans la relative
coniurare,o : comploter comploter

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