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LA GUERRE DES GAULES JUGÉE PAR LES HISTORIENS

La guerre des Gaules a fait l'objet d'innombrables études d'ensemble et de détail. Pour la plupart d'entre elles, la source principale - et parfois unique - est le Bellum Gallicum. Mais partant de ce seul document, les interprétations sont parfois très divergentes. On en trouvera ci-dessous quelques exemples : chacun jugera de l'exactitude de ces jugements en s'aidant des extraits du Bellum Gallicum qui précèdent et des témoignages anciens cités.

1. Rome et son empire

a) une réussite ?

Rome, c'est l'empire par les armes, c'est le gouvernement par intelligence, c'est la force qui sait conserver, unie à la gloire qui annoblit et consacre la possession.

M.DAUBAN, Vies des hommes illustres de Rome de Plutarque, préface, p. VI

 b) un bienfait ?

... ce que Rome donne essentiellement au monde, c'est la civilisation, c'est-à-dire le bonheur dû à l'épanouissement des techniques dans l'unité du droit.

A. MICHEL, La philosophie politique à Rome d'Auguste à Marc-Aurèle, p. 84 - 85

c) un exemple ?

Rome n'a jamais douté de sa précellence et cette fierté de sa mission l'a soutenue jusqu'au bord de l'abîme. Nous n'avons pas davantage, Européens, à douter de la nôtre, à renier, au nom de je ne sais quel humanitarisme hypocrite ou débile, l'action qu'ont accomplie les pionniers de l'Europe d'outre-mer. La colonisation est un fait historique sur lequel il n'y a plus à revenir. L'Europe doit seulement la justifier en montrant que, partout où elle l'a pratiquée, non seulement elle n'a pas aggravé la situation de ceux qui la subirent, mais qu'elle les a élévés à un niveau, qu'ils n'auraient pas atteint sans elle, de vie plus facile et plus belle. Dans l'ensemble, du reste, elle n'a point failli à cette obligation de conscience. Que de peuples colonisés par elle, protesteraient avec douleur, si, en les abandonnant, elle les rejetait à l'anarchie d'où son intervention, comme autrefois celle de Rome, en Numidie ou en Gaule, les avait tirés !"

J. CARCOPINO, Points de vue sur l'impérialisme romain, p.267 (discours prononcé à Rome en 1932)

d) une entreprise de dévastation ?

Que penser de la colonisation romaine ? Ne s'agit-il pas d'une des plus grandes entreprises d'asservissement qui ait été menée à bien contre les peuples? Les bas-reliefs des colonnes trajane et aurélienne ne constituent-ils pas l'image durable des pires formes de la victoire ? Massacres et domination violente, génocides peut-être; réduction de nations entières en esclavage; pillage qui permettait au prince de faire supporter par des largesses sa domination sur ses concitoyens; fausse gloire, faux triomphes, abus de la civilisation contre des sauvages qui ne peuvent rien lui opposer, pacifications dérisoires, ...). (...) Dans les terres qu'elle domine, est-ce que Rome pratique véritablement toutes les exactions d'un régime de déprédation ? La réponse est assurément oui.

A.MICHEL, La philosophie politique à Rome d'Auguste à Marc - Aurèle, p. 79 et 82

e) une prospérité inégalement répartie ?

Si la conquête romaine a fait participer aux bienfaits de la paix romaine des milliers de provinciaux, elle en a laissé des millions à l'écart de ces bienfaits : paysans dépendants, esclaves et les innombrables catégories intermédiaires entre l'esclave et l'homme libre, sur lesquels pesaient de lourdes charges, dont la moindre velléité d'indépendance était durement châtiée. Pour tous ces gens, sur le travail desquels reposait la prospérité de l'Empire, la paix romaine était un vain mot.

Cl. MOSSÉ, La colonisation dans l'Antiquité, p. 164

 

2. La conquête romaine était-elle nécessaire d'un point de vue stratégique ?

a) une menace germanique ?

On ne saurait nier du reste que, si César n'avait pas établi le pouvoir de Rome dans les Gaules, le risque d'être conquis par les envahisseurs germains était pour notre pays beaucoup plus probable que la chance d'arriver à une unité celtique durable et féconde.

L.-A.CONSTANS, Guerre des Gaules, p. XII

b) une situation explosive ?

... soit qu'Arioviste reprît ses agressions, soit que les Celtes cherchassent une revanche, la Gaule indépendante était destinée revivre sous peu les horreurs de la mêlée. Il appartenait aux maîtres de Rome de ne laisser échapper ni leur chance, ni l'heure de l'appréhender; et César sut les choisir, l'une et l'autre.

J. CARCOPINO, Jules César, p. 233

c) une entreprise aussi utile à l'Etat qu'à l'individu ?

Au début de la décennie - 50, les fruits du remarquable effort civilisateur accompli en Gaule, par les Celtes surtout, depuis 450 ans sont sur le point d'être anéantis du fait de l'incapacité des peuples dominants à créer une unité. (...) César, et César seul - car le monde politique romain n'a éprouvé qu'incompréhension ou peur devant son entreprise - a empêché cette évolution d'aboutir. (...) Cela va servir également les objectifs propres de César acquisition d'une armée à sa dévotion, de ressources financières autonomes - et l'intérêt de Rome : car la décadence militaire gauloise mettait de plus en plus en question la sécurité de la frontière N.O. de l'imperium, celle d'une Narbonnaise à peine romanisée.

J.HARMAND dans Rome et la conquête du bassin méditerranéen, p. 719 - 720

d) une solution de rechange ?

Dumnorix avait organisé avec les Helvètes et les Séquanes un système défensif qui eût barré la Gaule d'E. en O., de Genève à la Saintonge, fermant le pays aux Romains comme aux envahisseurs d'Outre-Rhin.

M.RAMBAUD, L'art de la déformation historique dans les Commentaires de César, p. 324

3. César projeta-t-il immédiatement la conquête ?

a) César s'est-il limité à réagir face à une situation dangereuse, sans projet de conquête ?

César saisit certainement l'occasion soudaine d'une gloire militaire, bien que d'une manière qui aurait pu être désastreuse pour lui-même, s'il avait échoué, comme ses officiers s'y attendaient. Mais il est difficile de croire que César en 58 faisait plus que faire face aux situations qui surgissaient. Il n'avait pas de dispositions pour "pacifier" la Gaule. Cette phase commença en 57, la seconde saison de son commandement.

A. N. SHERWIN - WHITE, Caesar as an Imperialist, dans Greece and Rome, 2e série, 4, 1957, p.37

b) César avait-il un plan d'ensemble ?

...dès la première année du proconsulat de César, les deux campagnes contre les Helvètes et contre Arioviste n'ont été en dépit de grandes batailles, qu'une entrée en jeu. (...) L'établissement des hiberna de 58 chez les Séquanes de la Franche-Comté prouve que dès cet automne, le proconsul préparait l'invasion des terres belges par l'E. A la fin des opérations de 57, l'hivernage des légions en deux groupes, l'un sur la Loire, l'autres près de la Seine, préludait à une double offensive en direction du Cotentin et de l'Armorique, et à l'automne de 56, l'établissement des hiberna dans l'Ouest signifie que, tout en conservant la possibilité de prendre à revers Belges et Gaulois, César voulait s'assurer la pratique de la Manche et le passage en Grande-Bretagne. Il y avait un plan de conquête, une belli Gallici ratio.

M. RAMBAUD, De bello Gallico, libri II et III, p. 1 - 2

c) César a-t-il brouillé les cartes ?

Nulle part, César ne parle lui-même d'un projet ou d'une possibilité de conquérir toute la Gaule. Chaque campagne est justifiée séparément pour décourager l'idée d'une stratégie générale préconçue.

J. SABBEN-CLARE, Caesar and Roman Politics, 60 - 50 B.C. , p. 50

4. La conquête a-t-elle été brutale ?

a) une violence commune ?

Tous ces épisodes nous révoltent, mais ils ne révoltaient point les contemporains de César, et la preuve, c'est que nous en sommes instruits par César lui-même, qui n'a pas jugé bon d'en atténuer l'horreur : c'était aux yeux des Romains de ce temps, l'exercice normal du droit de la guerre : les autres peuples, d'ailleurs, n'avaient pas de procédés plus humains et Vercingétorix, pour se faire obéir, eut recours à des supplices barbares.

L.-A. CONSTANS , Guerre des Gaules, p. XXVII

 b) une violence justifiée ?

En Gaule, la férocité des moeurs publiques indigènes amena César dans certains cas à faire impression par des mesures de terrorisme collectif : exécution du sénat vénète en 56, anéantissement des Eburons en 53 et 51, mutilation d'Uxellodunum.

J. HARMAND, La guerre antique, p. 194

c) dur à la guerre, généreux dans la paix ?

Sans doute, César a mené des guerres impitoyables, mais sa victoire une fois remportée, il n'a plus visé qu'à se concilier par ses bienfaits, les peuples qu'il avait vaincus.

J. CARCOPINO, Profils de conquérants, p.324

d) un conquérent féroce ?

La guerre des Gaules fut un massacre continu. César livra trente batailles, soutint cinq sièges de longue durée, et dans chacun de ces épisodes, le nombre de morts fut effrayant. (...)
Le chiffre des prisonniers a pu atteindre un million. Cette guerre fut une chasse permanente à l'esclave, la plus atroce razzia de ce genre qui ait été faite de l'histoire romaine.
Songeons ensuite aux pillages. Dans les pays où il pouvait hiverner, César respectait sans doute les blés et les fourrages. Ailleurs, il détruisait tout. (...)
Il n'a laissé, de son passage en Gaule, aucun souvenir qui le fasse estimer. Nul épisode de bonté ne s'y attache à sa légende. Ni le courage, ni la faiblesse, ni l'infortune ne furent pour lui des motifs de clémence.

C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, III, p. 566 - 9

5. La politique de César envers les Gaulois a-t-elle été habile ?

a) Le savant équilibre de la violence et de la clémence ?

On est frappé, plus que par sa fameuse celeritas, par l'intelligence claire avec laquelle il apprécia la situation politique dans toute la Gaule et, au-delà des changements et revirements des Celtes légers et volages, discerna les facteurs permanents sur lesquels une domination stable put être construite - les intérêts matériels des cliques pro-romaines et l'influence des Etats suzerains. (...)
Avec toutes ces actions de détail, sa clementia calculée ainsi que sa brutalité calculée, il reste avec Pompée et Lucullus parmi ceux qui virent que l'intérêt personnel impose des limites à ce qui peut être raisonnablement exigé des conquis ou leur être imposé, dans une tradition d'exploitation restreinte qui mène à l'administration relativement allégée du principat.

A. N. SHERWIN - WHITE, Caesar as an Imperialist,
dans Greece and Rome, 2e série, 4, 1957, p. 45

b) la maladresse et la brutalité ?

Les bienfaits de César, l'amitié de César! Mots à double sens, quand ils concernent les Gaulois. Les avantages qu'il concède, les prérogatives qu'il accorde ne sont que des hochets sans valeur, par lesquels il se procure des complicités temporaires. Les hommes, les peuples auxquels il a eu affaire, il n'a guère pris le temps de les comprendre; ils ne l'ont intéressé que dans la mesure où ils pouvaient servir ses desseins. Il a si bien manoeuvré que les yeux de presque tous ses protégés se sont dessillés. Il est infiniment probable que la pacification de la Gaule aurait pu être obtenue avec moins de rigueur, sans que fût versé tant de sang, sans que fussent accumulées tant de ruines. Le manque de finesse politique (...) a nécessité la mise en oeuvre répétée croissante de la force brutale.

E. THEVENOT, Les Eduens n'ont pas trahi, p. 172 - 3

6. La Gaule a-t-elle subi le pillage ?

a) modérément ?

Il n'y a pas eu, de 58 à 50, une orgie de pillages. Cela ne veut pas dire que les bonnes occasions aient manqué. (...) Les opérations productives ou non de butin, ne sont jamais conçues en fonction de ce dernier seul.

J. HARMAND, L'armée et le soldat à Rome, p. 413

b) un enrichissement scandaleux ?

C'est aussi par rapport aux moeurs de son époque qu'il faut apprécier, non pour les excuser, mais pour les comprendre, les pillages de César pendant ses campagnes. Ici, ce n'est point lui qui nous renseigne; il eût été maladroit de provoquer l'opinion publique, si habituée qu'elle fût aux scandales de ce genre. (...) S'enrichir, enrichir ses créatures, s'attacher ses soldats par la distribution de grasses parts de butin, cela fait partie de ses moyens de parvenir : il n'a pas inventé la méthode, mais il l'a pratiquée en grand, comme il faisait toutes choses.

L.-A. CONSTANS, Guerre des Gaules, p. XXVIII

c) un choix rémunérateur ?

César entre les trois nations, dace, suève et gauloise, qu'il pouvait combattre, choisit la plus fortunée. Il allait en Gaule pour acquérir les moyens d'action, les richesses qui lui permettraient d'acheter partisans et popularité.

M. RAMBAUD, L'art de la déformation historique dans les commentaires de César, p. 268

7. La fin de la guerre des Gaules

a) une défaite consentie ?

Quand sonna l'heure de la conquête, d'abord partielle, puis totale, les Gaulois ne s'y sont pas résignés, mais résolus : comme l'a dit Fustel, "ils ont donné à l'empire une obéissance volontaire et empressée, un abandon total, un dévouement complet, une véritable dévotion". Il leur apportait avec ses lois "une assurance de paix, une garantie de liberté". Les avoir préférées à leur anarchie, à leurs dissensions perpétuellement renaissantes, c'est déjà un signe d'intelligence et de générosité qui du premier coup les rapproche de leurs vainqueurs. C'est en tout cas l'indice que la race, en sa plasticité, possédait sous la rudesse apparente de ses coutumes et la grossièreté de ses institutions rudimentaires, des trésors de spiritualité latente dont la domination romaine allait mobiliser les richesses.

J. CARCOPINO, Points de vue sur l'impérialisme romain, p. 238 - 239

b) le désaveu de la résistance ?

Les plus intelligents des Celtes au moins, confrontés au désastreux rétrécissement de la peau de chagrin celtique devant Belges et Germains, ne pouvaient pas ne point reconnaître que César était l'unique garant de la persistance de leurs cités et de leur civilisation. (...) Alors s'est produit le ralliement définitif de la Gaule, plus à César qu'à Rome. (...) Toutes les grandes nations (...) jetèrent leurs armes pour ne plus les reprendre. La Gaule se tourna contre les responsables locaux de la guerre, les Sénons chassant Drappès, les Carnutes livrant Gutuater et cette hostilité des populations envers ceux qui les avaient entraînées dans le malheur explique et justifie l'opération des mains coupées d'Uxellodunum à la fin de l'été - 51.

J HARMAND, dans Rome et la conquête du bassin méditerranéen, p. 723 - 6

c) une résistance acharnée ?

L'acharnement des révoltés, après la perte d'Avaricum, la tactique de la terre brûlée, la défection des Eduens supposent la haine ardente et fanatique des masses populaires. L'imperator n'aurait pu l'avouer sans dire pourquoi et comment il l'avait soulevée. Dans quelles confessions tomberait un conquérant s'il exposait avec franchise les sentiments du peuple qu'il écrase !

M. RAMBAUD, L'art de la déformation historique dans les Commentaires de César, p. 311