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Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

PHEDRE

FABLES

livre 4

autre traduction

 

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autre traduction

 

PROLOGUS

AD PARTICULONEM

PROLOGUE

A PARTICULON

Quum destinassem terminum operi statuere,

In hoc ut aliis asset materiæ satis,

Consilium tacito corde damnavi meum

Nam si quis etiam talis est tituli artifex,

Quo pacto divinabit quidnam omiserim,

Ut illud ipse incipiat famæ tradere,

Sua cuique cum sit animi cogitatio

Colorque proprius? Ergo non levitas mihi,

Sed certa ratio causam scribendi dedit.

Quare, Particulo, quoniam caperis fabulis,

Quas Æsopeas, non Æsopi, nomino,

Quia paucas ille ostendit, ego plures sero,

Usus vetusto genere sed rebus novis,

Quartum libellum cum vacaris perleges.

Hunc obtrectare si volet malignitas,

Imitari dum non possit, obtrectet licet.

Mihi parta laus est quod tu, quod similes tui

Vestra in chartas verba transfertis mea,

Dignumque longa judicatis memoria.

Inlitteratum plausum nec desidero.

J’avais résolu de terminer cet ouvrage, pour laisser à d’autres plus de sujets à traiter. Mais depuis, je me suis blâmé de ce dessein; car, s’il est des poètes qui désirent s’exercer dans le même genre, comment pourront-ils deviner ce que j’ai omis, et désirer le transmettre à la postérité? Chacun a sa manière de penser, chacun le style qui lui est propre. Ce n’est donc point par inconstance, mais avec une certaine raison, que je me remets à l’œuvre. C’est pourquoi, mon cher Particulon, puisque vous aimez ces fables écrites dans le genre d’Esope, mais qui ne sont point d’Ésope, car il en a publié fort peu et j’en donne beaucoup plus imitant son ancienne manière dans des sujets nouveaux, voici un quatrième livre; vous le lirez dans la retraite de Varia. Si la malveillance veut encore s’y attacher, qu’elle s’y attache, faute de pouvoir l’imiter. C’est une assez grande gloire pour moi, de voir vous et d’autres personnes de mérite donner à mes ouvrages une place dans vos bibliothèques, et me juger digne de passer à la postérité Les applaudissements des hommes lettrés sont ma seule ambition.

FABULA PRIMA

ASINUS ET GALLI

FABLE PREMIÈRE

L’ANE ET LES PRETRES DE CYBELE

Qui natus est infelix, non vitam modo

Tristem decurrit, uerum post obitum quoque

Persequitur illum dura fati miseria.

 

Galli Cybebes circum in questus ducere

Asinum solebant, bajulantem sarcinas.

Is cum labore et plagis esset mortuus,

Detracta pelle sibi fecerunt tympana.

Rogati mox a quodam, delicio suo

Quidnam fecissent, hoc locuti sunt modo:

Putabat se post mortem securum fore:

Ecce aliæ plagæ congeruntur mortuo!

Celui qui est né malheureux, non seulement traîne une vie misérable, mais sa cruelle destinée le poursuit encore au delà du trépas.

Les Prêtres de Cybèle emmenaient, dans leurs quêtes, un Âne qui portait les bagages. La bête étant morte de fatigue et de coups, ils l’écorchèrent et de sa peau firent des tambours. Peu après, quelqu’un demanda à ces Prêtres ce qu’ils avalent fait de leur cher compagnon: « Il croyait, répondirent-ils, être bien tranquille après sa mort, mais les coups pleuvent encore sur le défunt. »

FABULA II

MUSTELA ET MURES

FABLE II

LA BELETTE ET LES RATS

Joculare tibi videmur: et sane levi,

Dum nil habemus maius, calamo ludimus.

Sed diligenter intuere has nenias;

Quantum in pusillis utilitatem reperies!

Non semper ea sunt quæ videntur: decipit

Frons prima multos, rara mens intellegit

Quod interiore condidit cura angulo.

Hoc ne locutus sine mercede existimer,

Fabellam adiciam de Mustela et Muribus.

 

Mustela quum, annis et senecta debilis

Mures veloces non valeret adsequi,

Involuit se farina et obscuro loco

Abjecit neclegenter. Mus, escam putans,

Assiluit et comprensus occubuit neci;

Alter similiter, deinde perit et tertius.

Post aliquot venit sæculis retorridus,

Qui sæpe laqueos et muscipula effugerat;

Proculque insidias cernens hostis callidi,

Sic valeas, inquit, ut farina es, quæ jaces!

Ceci te paraît peu sérieux, et, à la vérité, ma plume s’égaye lorsque je n’ai rien de mieux à faire; mais lis ces bagatelles avec attention, et tu verras combien d’utiles leçons elles renferment. Les choses ne sont pas toujours telles qu’elles paraissent. Le premier aspect trompe bien des gens, mais un esprit éclairé soulève le voile et découvre la pensée de l’auteur. Je ne parle pas sans preuve, et je citerai à l’appui la fable de la Belette et des Rats.

Une vieille Belette, affaiblie par les années, ne pouvait plus atteindre les Rats dans leur fuite rapide. Elle se couvre de farine et se jette négligemment dans un coin obscur; un Rat, flairant un bon morceau, saute dessus; mais aussitôt il est pris et tué; un second de même, puis un troisième, puis quelques autres encore. Enfin, vint un vieux routier qui souvent avait évité pièges et ratières; du plus loin qu’il aperçut la ruse de la fine Belette, il lui dit: « Porte-toi aussi bien qu’il est vrai que tu es farine. »

FABULA III

VULPIS ET UVA

FABLE III

LE RENARD ET LES RAISINS

Famæ coacta vulpes alta in vinea

Uvam adpetebat, summis saliens viribus.

Quam tangere ut non potuit, discedens ait:

Nondum matura es; nolo acerbam sumere.

 

Qui, facere quæ non possunt, verbis elevant,

Adscribere hoc debebunt exemplum sibi.

Un Renard affamé convoitait des Raisins pendant au haut d’une treille, il sauta de toutes ses forces, mais sans y atteindre: « Ils ne sont pas mûrs, dit-il en s’en allant, et je ne veux pas les cueillir verts. »

Ceux qui déprécient ce qui est au-dessus d’eux doivent prendre pour eux cet apologue.

FABULA IV

EQUUS ET APER

FABLE IV

LE CHEVAL ET LE SANGLIER

Equus sedare solitus quo fuerat sitim,

Dum sese aper volutat turbavit uadum.

Hinc orta lis est. Sonipes, iratus fero,

Auxilium petiit hominis; quem dorso levans

Rediit ad hostem lætus. Hunc telis eques

Postquam interfecit, sic locutus traditur:

Lætor tulisse auxilium me precibus tuis;

Nam prædam cepi et didici quam sis utilis.

Atque ita cœgit frenos invitum pati.

Tum mæstus ille: Paruæ vindictam rei

Dum quæro demens, servitutem repperi.

 

Hæc iracundos admonebit fabula

Inpune potius lædi quam dedi alteri.

Un Sanglier, en se vautrant, troubla l’eau d’un gué où un Cheval venait se désaltérer: de là une querelle. Le coursier, irrité, implora le secours de l’homme, le reçut sur son dos, puis retourna contre son ennemi. Le cavalier lança ses traits et tua le Sanglier, et parla ainsi, paraît-il, au Cheval: « Je suis ravi de t’avoir écouté et secouru: car j’ai fait une belle capture, et j’ai appris quelle est ton utilité. » Cela dit, il le força à souffrir un frein. « Insensé que je suis, dit le Cheval consterné, je voulais me venger d’une offense légère et j’ai trouvé l’esclavage. »

Cette fable apprend aux hommes irritables, qu’il vaut mieux dévorer une insulte, que de se livrer à autrui.

FABULA V

ÆSOPUS INTERPRES TESTAMENTI

FABLE V.

TESTAMENT EXPLIQUE PAR ESOPE

Plus esse in uno sæpe quam in turba boni

Narratione posteris tradam breui.

 

Quidam decedens tres reliquit filias,

Unam formosam et oculis uenantem uiros,

At alteram lanificam et frugi rusticam,

Devotam uino tertiam et turpissimam.

Harum autem matrem fecit heredem senex

Sub condicione, totam ut fortunam tribus

æqualiter distribuat, sed tali modo:

Ni data possideant aut fruantur; tum simul

Habere res desierint quas acceperint,

Centena matri conferant sestertia.

 

Athenas rumor implet, mater sedula

Juris peritos consulit; nemo expedit

Quo pacto ni possideant quod fuerit datum,

Fructumue capiant; deinde quæ tulerint nihil

Quanam ratione conferant pecuniam.

Postquam consumpta est temporis longi mora,

Nec testamenti potuit sensus colligi,

Fidem advocavit jure neglecto parens.

Seponit mœchæ uestem, mundum muliebrem,

Lavationem argenteam, eunuchos glabros;

Lanificæ agellos, pecora, villam, operarios,

Boves, jumenta et instrumentum rusticum;

Potrici plenam antiquis apothecam cadis,

Domum politam et delicatos hortulos.

 

Sic destinata dare cum vellet singulis

Et adprobaret populus, qui illas nouerat,

Æsopus media subito in turba constitit:

O si maneret condito sensus patri,

Quam graviter ferret quod voluntatem suam

Interpretari non potuissent Attici!

Rogatus deinde solvit errorem omnium:

Domum et ornamenta cum venustis hortulis

Et vina vetera date lanificæ rusticæ;

Vestem, uniones, pedisequos et cetera

Illi adsignate uitam quæ luxu trahit;

Agros et villam et pecora cum pastoribus

Donate mœchæ. Nulla poterit perpeti

Ut moribus quid teneat alienum suis.

Deformis cultum uendet ut vinum paret;

Agros abiciet mœcha ut ornatum paret;

At illa gaudens pecore et lanæ dedita

Quacumque summa tradet luxuriam domus.

Sic nulla possidebit quod fuerit datum,

Et dictam matri conferent pecuniam

Ex pretio rerum quas vendiderint singulæ.

 

Ita quod multorum fugit inprudentiam

Unius hominis repperit sollertia.

Souvent un seul a plus de bon sens que tous: cette courte histoire le prouvera à la postérité.

Un homme, en mourant, laissa trois filles; l’une était belle, et ses yeux attiraient les hommes; la seconde, entendue au ménage, aux ouvrages de laine et aux travaux de la campagne; la troisième, très laide et aimant à boire. Leur mère avait reçu l’héritage du vieillard, à la charge de partager également toute sa fortune entre ses trois filles, de manière cependant, qu’elles ne pourraient avoir ces biens ni en propriété ni en usufruit, et que, de plus, elles devraient compter cent sesterces à leur mère, dès qu’elles cesseraient d’avoir ce qu’elles auraient reçu.

Athènes s’émeut de ce testament; la mère s’empresse de consulter les juristes; mais nul ne comprend comment ces jeunes filles ne pourraient avoir ni la jouissance, ni la propriété des biens qu’elles auraient reçus, et ensuite comment, s’il ne leur reste plus rien, elles payeront à leur mère la somme exigée. Bien du temps s’écoule sans que le testament soit mieux compris. La mère alors laisse les jurisconsultes, et ne consulte que la bonne foi; elle met à part, pour la coquette, tout l’attirail féminin, les robes, les services de bain en argent, les eunuques et les jeunes esclaves; pour la seconde, qui aime les champs, la maison de campagne, les fermes, les valets, les troupeaux, les bœufs, les chevaux et les instruments aratoires, et pour la troisième, un cellier rempli de vieux vins, une maison élégante et des jardins ravissants.

Les lots ainsi réglés, elle allait les partager: leurs goûts étaient connus, et tout le monde approuvait, lorsque Esope parut tout à coup dans l’assemblée: « Ah! dit-il, si le père défunt pouvait vous entendre, combien il souffrirait de voir les Athéniens interpréter si mal ses dernières volontés! » On l’interroge et il dissipe ainsi l’erreur: « La maison, les meubles, les jardins délicieux et les vins vieux, il faut les donner à celle qui n’aime que la campagne; les robes, les perles, les esclaves et tout le reste, à celle qui passe sa vie dans le luxe; gardez les champs, les vignes, les troupeaux et les bergers pour la coquette. Aucune ne pourra conserver des biens si peu conformes à ses goûts; la laide vendra tous ses atours pour avoir un cellier; la coquette échangera ses champs contre des bijoux, et celle qui aime les troupeaux et les travaux champêtres se défera au plus vite de la maison de plaisance. Ainsi nulle ne possédera ce qui lui aura été donné, et, avec l’argent de la vente de leurs biens, elles feront la rente à leur mère.

Ainsi la sagacité d’un seul homme découvrit ce qui avait échappé à la légèreté de la foule.

FABULA VI

PUGNIA MURIUM ET MUSTELARUM

FABLE VI.

COMBAT DES RATS ET DES BELETTES

Cum victi Mures Mustelarum exercitu

Historia, quot sunt, in tabernis pingitur

Fugerent et artos circum trepidarent cauos,

ægre recepti, tamen evaserunt necem:

Duces eorum, qui capitibus cornua

Duis ligarant ut conspicuum in prœlio

Haberent signum quod sequerentur milites,

Hæsere in portis suntque capti ab hostibus;

Quos immolatos uictor avidis dentibus

Capacis alui mersit tartareo specu.

Quemcumque populum tristis eventus premit,

Periclitatur magnitudo principium,

Minuta plebes facili præsidio latet.

Vaincus par l’armée des Belettes dans ce fameux combat peint sur les murs de tant de tavernes, des Rats fuyaient en tremblant et regagnaient leurs trous; ils y entraient avec peine, cependant ils échappèrent à la mort. Les chefs, qui avaient mis sur leurs têtes des panaches, pour permettre, dans la mêlée, aux soldats de les voir et de les suivre, se trouvèrent embarrassés à l’entrée de leurs demeures et furent pris par l’ennemi. Le vainqueur les immola de ses dents meurtrières et les engloutit dans l’antre infernal de son estomac.

FABULA VII

POETA

FABLE VII.

LE POETE

Tu qui nasute scripta destringis mea,

Et hoc jocurum legere fastidis genus,

Parva libellum sustine patientia,

Seueritatem frontis dum placo tuæ

Et in coturnis prodit Æsopus novis:

 

Utinam nec umquam Pelii in nemoris jugo

Pinus bipenni concidisset Thessala,

Nec ad professæ mortis audacem viam

Fabricasset Argus opere Palladio ratem,

Inhospitalis prima quæ Ponti sinus

Patefecit in perniciem Graium et Barbarum.

Namque et superbi luget Æetæ domus,

Et regna Peliæ scelere Medeæ jacent,

Quæ, sævum ingenium uariis involvens modis,

Illinc per artus fratris explicuit fugam,

Hic cæde patris Peliadum infecit manus.

 

Quid tibi videtur? Hoc quoque insulsum est, ait

Falsoque dictum, longe quia vetustior

Ægea Minos classe predomuit freta,

Justique vindicavit exemplum imperi.

 

Quid ergo possum facere tibi, lector Cato,

Si nec fabellæ et juvant nec fabulæ?

Noli molestus esse ominino litteris,

Majore exhibeant ne tibi molestiam.

 

Hoc illis dictum qui stultia nausiant

Et, ut putentur sapere, cælum vituperant

Censeur malin, toi qui critiques mes écrits, toi qui dédaignes un genre qui te paraît frivole, je te demande un peu de patience; et, pour éclaircir ton front sévère, Ésope vient de chausser le cothurne.

Plût aux dieux que jamais la hache thessalienne n’eût abattu les pins de la cime du Pélion! Et que jamais Argus, qui courait avec audace à un trépas certain, n’eût construit, par les conseils de Minerve, ce vaisseau qui, pour la ruine des Grecs et des Barbares, sillonna le premier les flots inhospitaliers du Pont-Euxin! Car la famille du superbe Æétès est plongée dans le deuil, et le royaume de Pélias a succombé aux crimes de Médée. Cette femme artificieuse, cachant adroitement sa cruauté, sème ici les membres de son frère, pour assurer sa fuite, et là égorge Pélias par la main de ses filles.

Que t’en semble? Style fade, faits mensongers, diras-tu; car, longtemps auparavant, Minos, sur ses vaisseaux, avait dompté les flots de la mer Égée, et puni un crime d’un juste châtiment.

Que puis-je donc pour toi, lecteur qui fais le Caton, si tu n’aimes, ni mes fables, ni mes récits? Épargne, pourtant, un peu plus les auteurs, ou leur plume ne t’épargnera pas.

Je le dis pour ces ignorants qui font les délicats, et qui, pour se donner un air de bon goût, critiqueraient le ciel même.

FABULA VIII

VIPERA ET LIMA

FABLE VIII

LE VIPERE ET LA LIME

Mordaciorem qui improbo dente adpetit,

Hoc argumento se describi sentiat.

 

In officinam fabri venit vipera.

Hæc, cum temptaret si qua res esset cibi,

Limam momordit. Illa contra contumax,

Quid me, inquit, stulta, dente captas lædere,

Omne assuevi ferrum quæ conrodere?

Le méchant qui s’attaque à plus mordant que lui pourra se reconnaître dans cette fable.

Une vipère entra dans l’atelier d’un serrurier; et, cherchant de quoi manger, elle se mit à mordre une Lime. Mais celle-ci, impassible, lui dit « Insensée, penses-tu m’entamer avec tes dents, moi accoutumée à ronger le fer le plus dur? »

FABULA IX

VULPIS ET HIRCUS

FABLE IX

LE RENARD ET LE BOUC

Homo in periclum simul ac venit callidus,

reperire effugium quærit alterius malo.

 

Cum decidisset vulpes in puteum inscia

Et altiore clauderetur margine,

Devenit hircus sitiens in eundem locum.

Simul rogavit, esset an dulcis liquor

Et copiosus, illa fraudem moliens:

Descende, amice; tanta bonitas est aquæ,

Voluptas ut satiari non possit mea.

Immisit se barbatus. Tum vulpecula

Evasit puteo, nixa celsis cornibus,

Hircumque clauso liquit hærentem vado.

L’homme adroit qui se trouve en danger cherche à se tirer d’affaire aux dépens d’autrui.

Un Renard s’était, par mégarde, laissé choir dans un puits: la margelle trop haute l’y retenait. Un Bouc vint dans le même endroit pour se désaltérer, et demanda au Renard si l’eau était douce et abondante. Celui-ci, méditant une ruse: « Descends, ami, lui dit-il; elle est si bonne, et j’ai tant de plaisir à en boire que je ne puis m’en rassasier. » Le barbu s’y précipite : alors, grimpant sur les longues cornes du Bouc, le rusé Renard s’élance hors du puits, et y laisse son compagnon prisonnier.

FABULA X

DE VITIIS HOMINUM

FABLE X

DES VICES DES HOMMES

Peras imposuit Jupiter nobis duas:

Propriis repletam vitiis post tergum dedit,

Alienis ante pectus suspendit gravem.

 

Hac re videre nostra mala non possumus;

Alii simul delinquunt, censores sumus.

Jupiter nous a tous chargés de deux besaces : il a fait celle de derrière pour nos propres défauts, et celle de devant, la plus lourde, pour les défauts d’autrui.

De là vient que nous ne pouvons voir nos vices; mais nos semblables font-ils une faute, aussitôt nous les censurons.

FABULA XI

FUR ARAM COMPILANS

FABLE XI

LE VOLEUR PILLANT UN AUTEL

Lucernam fur accendit ex ara Jovis

Ipsumque compilauit ad lumen suum.

Onustus qui sacrilegio cum discederet,

Repente vocem sancta misit Religio:

 

Malorum quamvis ista fuerint munera

Mihique inuisa, ut non offendar subripi,

Tamen, sceleste, spiritu culpam lues,

Olim cum adscriptus venerit pœnæ dies.

Sed ne ignis noster facinori præluceat,

Per quem verendos excolit pietas deos,

Veto esse tale luminis commercium.

 

Ita hodie nec lucernam de flamma Deum

Nec de lucerna fas est accendi sacrum.

 

Quot res contineat hoc argumentum utiles

Non explicabit alius quam qui repperit.

Significat primum sæpe quos ipse alueris

Tibi inveniri maxime contrarios;

Secundum ostendit scelera non ira deum,

Fatorum dicto sed puniri tempore;

Novissime interdicit ne cum melefico

Usum bonus consociet ullius rei.

Un Voleur alluma sa lampe à l’autel de Jupiter, et pilla le temple à la lueur de cette lumière. Comme il emportait son butin sacrilège, soudain le dieu s’écria du fond du sanctuaire :

« Je te vois sans regret enlever des dons qui m’avaient été offerts par des méchants. Cependant, le jour de ton supplice est marqué, et, dès qu’il sera venu, ta vie expiera ton forfait. Et pour que cette flamme, entretenue par la piété en l’honneur des dieux, ne prête plus sa lumière à d’autres crimes, je veux qu’il soit désormais hors de l’atteinte des profanes. »

C’est pourquoi maintenant il n’est plus permis d’allumer une lampe aux autels, ni de ranimer le feu sacré avec le feu des humains.

Nul autre que l’auteur de cette fable ne peut expliquer tous les préceptes utiles qu’elle renferme. Elle nous montre d’abord que ceux que nous avons élevés deviennent souvent nos plus grands ennemis; ensuite, que la colère des dieux, pour punir les crimes, attend le terme marqué par le destin. En dernier lieu, elle défend aux gens de bien d’avoir aucun rapport avec les méchants.

FABULA XII

MALAS ESSE DIVITIAS

FABLE XII

LES RICHESSES SONT FUNESTES

Opes invisæ merito sunt forti viro,

Quia dives arca veram laudem intercipit.

 

Cælo receptus propter virtutem Hercules,

Cum gratulantes persalutasset deos,

Veniente Pluto, qui Fortunæ est filius,

Avertit oculos. Causam quæsivit Pater.

Odi inquit illum quia malis amicus est

Simulque obiecto cunctaa corrumpit lucro.

C’est avec raison que l’homme de cœur méprise les richesses: car le coffre-fort éloigne les vraies vertus.

Quand Hercule fut admis dans l’Olympe à cause de son courage, il salua les dieux venus le complimenter; mais à l’approche de Plutus, fils de la Fortune, il détourna les yeux. Jupiter lui en demanda la raison: « Je le hais, répondit-il, parce qu’il est l’ami des méchants, et qu’il corrompt tous les hommes par l’appât du gain. »

FABULA XIII

LEO REGNANS

FABLE XIII

LE LION ROI

Utilius homini nihil est, quam recte loquis

Probanda cunctis est quidem sententia,

Sed ad perniciem solet, agri sinceritas.

 

Cum se ferarum regem fecisset leo,

Et æquitatis vellet famam consequi,

A pristina deflexit consuetudine,

Atque inter illas tenui contentus cibo

Sancta incorrupta jura reddebat fide.

 

(Desunt reliqua)

Rien n’est plus utile à l’homme que la vérité. C’est une maxime approuvée de tout le monde; mais la franchise est souvent cause de notre perte.

Le Lion s’étant arrogé le titre de roi des animaux, et voulant passer pour prince équitable, abandonna son ancienne manière de vivre il devint d’une sobriété remarquable, et rendait la justice avec une inviolable intégrité...

(La suite manque.)

FABULA XIV

CAPELLÆ ET HIRCI

FABLE XIV

LES CHEVRES ET LES BOUCS

Barbam Capellæ cum impetrassent ab Jove,

Hirci mærentes indignari cœperunt

Quod dignitatem feminæ æquassent suam.

Sinite, inquit, illas gloria vana frui

Et usurpare vestri ornatum muneris,

Pares dum non sint vestræ fortitudini.

 

Hoc argumentum monet ut sustineas tibi

Habitu esse similes qui sunt virtute impares.

Les Chèvres avaient obtenu de Jupiter la permission de porter de la barbe. Les Boucs fort mécontents se plaignirent de voir leurs femelles partager les marques de leur dignité « Laissez-les jouir d’une gloire imaginaire, et usurper un ornement de votre sexe, leur répondit Jupiter, puisque leur force n’égale pas la vôtre. »

Cette fable nous conseille de voir, sans humeur des hommes de peu de mérite nous ressembler à l’extérieur.

FABULA XV

GUBERNATOR ET NAUTÆ

FABLE XV

LE PILOTE ET LES MATELOTS

Cum de fortunis quidam quereretur suis,

Æsopus finxit consolandi hoc gratia.

 

Vexata sævis navis tempestatibus

Inter vectorum lacrimas et mortis metum,

Faciem ad serenam ut subito mutatur dies,

Ferri secundis tuta cœpit flatibus

Nimiaque nautas hilaritate extollere.

Factus periclo sic gubernator sophus:

Parce gaudere oportet et sensim queri,

Totam quia uitam miscet dolor et gaudium.

Un homme se plaignait du triste état de sa fortune. Esope, pour le consoler, inventa cet apologue.

Un navire était battu par une tempête furieuse; l’équipage en pleurs ne voyait plus que la mort, lorsque soudain le temps change, redevient serein; et le bâtiment, hors de danger, est poussé par des vents favorables. Les Matelots se livrent aux transports d’une joie excessive. Mais le Pilote, que le péril avait rendu sage, leur dit: « Il faut être modéré dans la joie, comme dans les plaintes; car la vie entière n’est qu’un mélange de douleurs et de plaisirs. »

FABULA XVI

CANUM LEGATI AD JOVEM

FABLE XVI

DEPUTATION DES CHIENS VERS JUPITER

Canes legatos olim misere ad Jovem

Meliora vitæ tempora oratum suæ,

Ut sese eriperet hominum contumeliis,

Furfuribus sibi consparsum quod panem darent

Fimoque turpi maxime explerent famem.

Profecti sunt legati non celeri pede;

Dum naribus scrutantur escam in stercore,

Citati non respondent. Vix tandem invenit

Eos Mercurius et turbatos adtrahit.

Tum vero vultum magni ut viderunt Jovis,

Totam timentes concacarunt regiam.

Propulsi vero fustibus vadunt foras.

Vetat dimitti magnus illos Jupiter;

 

Mirati sibi Legatos non revertier;

Turpe æstimantes aliquid commissum a suis,

Post aliquod tempus alios ascribi jubent.

Rumor cacatus superiores prodidit;

Timentes rursus aliquid ne simile accidat,

Odore canibus anum, sed multo, replent.

Mandata dant; legati mittuntur; statim

Abeunt; rogantes aditum continuo impetrant.

Consedit genitor tum deorum maximus

Quassatque fulmen; tremere cœpere omnia.

Canes confusi, subitus quod fuerat fragor,

Repente, odore mixto cum merdis, cacant.

Di clamant omnes vindicandam injuriam.

Sic est locutus ante pœnam Iuppiter:

Non est legatos regis non dimittere,

Nec est difficile pœnas culpæ imponere.

Sed hoc feretur pro ludibrio præmium:

Non veto dimitti, verum cruciari fame,

Ne ventrem continere non possint suum.

Illi autem qui miserunt bis tam futtiles

Numquam carebunt hominum contumelia.

 

Ita nunc Legatos expectantes posteri,

Novum ut venire quis videt culum olfacit.

Un jour, les Chiens envoyèrent une ambassade à Jupiter pour lui demander une condition plus douce, et le prier de les soustraire aux mauvais traitements des hommes; on ne leur donnait que du pain de son, ils devaient assouvir leur faim dans les plus dégoûtantes ordures. Les ambassadeurs partent donc sans se presser, cherchant dans chaque tas de fumier quelque nourriture. Mercure les appelle, mais en vain; enfin ce dieu les va chercher, et les amène tout troublés. Mais dès qu’ils virent la face majestueuse de Jupiter, de frayeur, ils infectèrent toute la cour céleste.

Chassés à coups de bâton, ils cherchaient à sortir, lorsque le grand Jupiter défendit qu’on les renvoyât.

Les Chiens étonnés du retard de leurs Députés, pensèrent bien qu’ils avaient fait quelque sottise; aussi, peu de temps après, on en choisit de nouveaux. La renommée avait déjà trahi les premiers; et, pour prévenir pareil accident, on leur injecte dans l’anus des parfums, à profusion. Ils reçoivent les pétitions, partent tout de suite. Arrivés, ils demandent audience et l’obtiennent. Alors, le maître de tous les dieux s’assied sur son trône, agite son foudre terrible, et fait trembler l’univers. Les Chiens, surpris par un tel fracas, laissèrent aller parfums et excréments. Tout l’Olympe demanda justice d’un tel affront. Mais avant de condamner, Jupiter parla ainsi : « Un roi ne doit point retenir des Ambassadeurs; cependant il me sera facile de punir cette insulte. Je veux qu’on les laisse aller; mais ils seront tourmentés par la faim, pour qu’à l’avenir ils soient maîtres de leur ventre; recevez ce bienfait pour toute punition. Quant à ceux qui vous ont si sottement députés vers moi, ils souffriront toujours les outrages des hommes. »

C’est pourquoi leurs descendants, qui attendent toujours leurs Députés, dès qu’ils voient un nouveau Chien, le flairent au derrière.

FABULA XVII

HOMO ET COLUBRA

FABLE XVI

L’HOMME ET LA COULEUVRE

Qui fert malis auxilium, post tempus dolet.

 

Gelu rigentem quidam Colubram sustulit

Sinuque fovit, contra se ipse misericors;

Namque, ut refecta est, necuit hominem protinus.

Hanc alia cum rogaret causam facinoris,

Respondit: Ne quis discat prodesse improbis

Qui secourt les méchants s’en repent toujours.

Un Homme, ramassa une Couleuvre raide de froid, et la réchauffa dans son sein. Sa pitié lui coûta cher; car, dès qu’elle fut ranimée, elle le tua tout d’abord. Une autre Couleuvre lui demandait la cause de ce crime: « C’est pour que l’on apprenne, répondit-elle, à ne point obliger les méchants. »

FABULA XVIII

VULPIS ET DRACO

FABLE XVIII

LE RENARD ET LE DRAGON

Vulpes cubile fodiens dum terram eruit

Agitque pluris altius cuniculos,

Pervenit ad draconis speluncam ultimam,

Custodiebat qui thesauros abditos.

Hunc simul aspexit: Oro ut inprudentiæ

Des primum veniam; deinde si pulchre vides

Quam non conveniens aurum sit vitæ meæ,

Respondeas clementer: quem fructum capis

Hoc ex labore, quodue tantum est præmium

Ut careas somno et ævum in tenebris exigas?

Nullum inquit ille, verum hoc ab summo mihi

Jove adtributum est. Ergo nec sumis tibi

Nec ulli donas quidquam? Sic Fatis placet.

Nolo irascaris, libere si dixero:

Dis est iratis natus qui est similis tibi.

 

Abiturus illuc quo priores abierunt,

Quid mente cæca miserum torques spiritum?

Tibi dico, avare, gaudium heredis tui,

Qui ture superos, ipsum te fraudas cibo,

Qui tristis audis musicum citharæ sonum,

Quem tibiarum macerat iucunditas,

Obsoniorum pretia cui gemitum exprimunt,

Qui dum quadrantes aggeras patrimonio

Cælum fatigas sordido periurio,

Qui circumcidis omnem inpensam funeris,

Libitina ne quid de tuo faciat lucri.

Un Renard se creusait un terrier il jetait la terre au dehors, et travaillait avec ardeur à ses galeries souterraines, lorsqu’il rencontra une caverne profonde, où un dragon gardait des trésors cachés. Dès que le Renard l’aperçut: « Pardonne, lui dit-il, mon imprudence; ensuite, comme tu dois voir que les trésors ne me conviennent guère, réponds à une demande sans te fâcher. Quel fruit retires-tu de cette tâche? ta récompense doit être grande, car tu te prives de sommeil, et passes ta vie dans les ténèbres. — Je n’ai rien pour cela, répondit le Dragon; Jupiter a seulement remis ce dépôt à ma vigilance. — Tu ne peux donc ni prendre ta part de ce trésor, ni en donner à personne? — Non, telle est la volonté suprême. — Ne te fâches pas, je te prie, si je te le dis avec franchise : celui qui te ressemble est né maudit des dieux. »

Puisque tu dois aller là où sont tes pères, quelle folie de tourmenter ta misérable existence! C’est à toi que je m’adresse, avare, toi qui fais la joie de ton héritier, toi qui refuses l’encens aux dieux et la nourriture à toi-même: les sons harmonieux de la lyre attristent ton cœur, et la flûte douce et suave te fait sécher. Le prix des vivres t’arrache des gémissements, et, pour augmenter un peu ton patrimoine par ton avarice, tu fatigues le ciel de tes sordides parjures; enfin tu marchandes même sur ton convoi funèbre, de peur que Libitine ne gagne quelque chose avec toi.

FABULA XIX

PHÆDRUS

FABLE XIX

PHEDRE

Quid judicare cogitas, Livor, modo?

Licet dissimulet, pulchre tamen intellego.

Quicquid putabit esse dignum memoria,

Æsopi dicet; si quid minus adriserit,

A me contendet fictum quovis pignore.

Quem volo refelli jam nunc responso meo:

Sive hoc ineptum sive laudandum est opus,

Invenit ille, nostra perfecit manus.

Sed exsequamur cœpti propositum ordinem.

La critique envieuse a beau dissimuler son jugement sur moi, je le connais bien d’avance. Tout ce qui lui paraîtra digne de passer à la postérité, elle l’attribuera à Ésope; tout ce qui lui plaira moins, elle pariera fortement que j’en suis l’auteur. Je veux la réfuter dès à présent, et lui dire : « Ces fables, bonnes ou mauvaises, Ésope en est l’inventeur, et mol je les ai perfectionnées. Mais continuons le plan que nous avons adopté. »

FABULA XX

NAUFRAGIUM SIMONIDIS

FABLE XX

NAUFRAGE DE SIMONIDE

Homo doctus in se semper divitias habet.

 

Simonides, qui scripsit egregium melos,

Quo paupertatem sustineret facilius,

Circum ire cœpit urbes Asiæ nobiles,

Mercede accepta laudem victorum canens.

Hoc genere quæstus postquam locuples factus est,

Redire in patriam voluit cursu pelagio;

Erat autem, ut aiunt, natus in Cia insula.

Ascendit nauem; quam tempestas horrida

Simul et vetustas medio dissolvit mari.

Hi zonas, illi res pretiosas colligunt,

Subsidium vitæ. Quidam curiosior:

Simonide, tu ex opibus nil sumis tuis?

Mecum inquit mea sunt cuncta.

Tunc pauci enatant,

Quia plures onere degravati perierant.

Prædones adsunt, rapiunt quod quisque extulit,

Nudos relinquunt. Forte Clazomenæ prope

Antiqua fuit urbs, quam petierunt naufragi.

Hic litterarum quidam studio deditus,

Simonidis qui sæpe versus legerat,

Eratque absentis admirator maximus,

Sermone ab ipso cognitum cupidissime

Ad se recepit; ueste, nummis, familia

Hominem exornavit. Ceteri tabulam suam

Portant, rogantes victum. Quos casu obvios

Simonides ut vidit: Dixi inquit mea

Mecum esse cuncta; vos quod rapuistis perit.

L’homme instruit a toujours avec lui sa fortune.

Simonide, auteur de poésies remarquables, pour apporter quelque soulagement à sa pauvreté, parcourut les principales villes d’Asie, chantant moyennant salaire, l’éloge des athlètes vainqueurs. Devenu riche à ce genre de commerce, il voulut revoir sa patrie; il était né, dit-on, dans l’île de Cée. Il s’embarqua; mais le vaisseau, déjà vieux, fut brisé en pleine mer par une horrible tempête. Les naufragés prirent l’argent et ce qu’ils avaient de plus précieux, pour se sauver de la misère. « Et toi, Simonide, dit l’un d’eux, plus curieux que les autres, tu n’emportes point ton argent? — J’ai avec moi toute ma fortune, » répondit-il.

Peu d’entre eux se sauvent à la nage, la plupart trop chargés avaient péri dans les flots. Des voleurs surviennent, prennent tout ce que ces malheureux voulaient sauver, et les laissent dépouillés. Par hasard, ils n’étaient pas loin de Clazomène, ville ancienne: ils s’y rendirent. Là, un studieux ami des lettres, qui souvent avait lu les vers de Simonide, était, sans ravoir jamais vu, un de ses plus grands admirateurs. En causant avec lui, il reconnut son poète; il le recueillit avec empressement; et argent, habits, esclaves, il mit tout à sa disposition. Les autres allèrent mendier, portant le tableau de leur naufrage Un jour Simonide les rencontra « Ne vous avais-je pas dit, s’écria-t-il, que j’avais toute ma fortune avec moi : et vous, il ne vous reste rien de tout ce que vous emportiez. »

FABULA XXI

MONS PARTURIENS

FABLE XXI

LA MONTAGNE QUI ACCOUCHE

Mons parturibat, gemitus immanes ciens,

eratque in terris maxima expectatio.

At ille murem peperit.

Hoc scriptum est tibi,

Qui, magna cum minaris, extricas nihil.

Une Montagne en mal d’enfant poussait des cris effroyables; le monde s’attendait à des merveilles. Elle accoucha d’une souris.

Ceci te regarde, toi qui fais de grandes promesses, et ne tiens rien.

FABULA XXII

FORMICA ET MUSCA

FABLE XXII

LA FOURMI ET LA MOUCHE

Formica et musca contendebant acriter,

Quæ pluris esset. Musca sic cœpit prior:

Conferre nostris tu potes te laudibus?

Moror inter aras, templa perlustro Deum;

Ubi immolatur, exta prægusto omnia;

In capite regis sedeo cum visum est mihi,

Et matronarum casta delibo oscula;

Laboro nihil atque optimis rebus fruor.

Quid horum simile tibi contingit, rustica?

Est gloriosus sane convictus Deum,

Sed illi qui invitatur, non qui invisus est.

Aras frequentas? Nempe abigeris quom venis.

Reges commemoras et matronarum oscula?

Super etiam jactas tegere quod debet pudor.

Nihil laboras? Ideo, cum opus est, nihil habes.

Ego grana in hiemem cum studiose congero,

Te circa murum pasci video stercore;

Mori contractam cum te cogunt frigora,

Me copiosa recipit incolumem domus.

æstate me lacessis; cum bruma est siles.

Satis profecto rettudi superbiam.

 

Fabella talis hominum discernit notas,

Eorum qui se falsis ornant laudibus,

Et quorum virtus exhibet solidum decus.

La Fourmi et la Mouche contestaient assez vivement de leur prix. La Mouche commença ainsi; « Peux-tu bien comparer ta position à la mienne? Dans les sacrifices, je goûte la première les entrailles des victimes; je m’arrête sur les autels, et je parcours tous les temples. Je me pose sur le front des rois, et, quand il me plaît, je cueille un baiser sur la bouche la plus chaste : je ne fais rien et je jouis de tout. Est-il dans ton existence quelque chose à comparer, campagnarde? — Sans doute, dit la Fourmi, il est glorieux de siéger au banquet des dieux, mais comme convive, et non comme parasite. Tu habites les autels; mais, dès que l’on t’y aperçoit, on te chasse. Tu parles de rois, de baisers surpris aux dames : folle! tu te vantes de ce que, par pudeur, tu devrais cacher. Tu ne fais rien; aussi, venu le besoin, tu n’as rien. Tandis que j’amasse avec ardeur du grain pour mon hiver; je te vois, le long des murs, te nourrir de viles ordures. L’été, tu m’étourdis; pourquoi te tais-tu donc l’hiver? Lorsque le froid te saisit et te tue, je rentre saine et sauve dans ma demeure, où est l’abondance. En voilà assez, je crois, pour rabattre ton orgueil. »

Cette fable nous apprend à connaître deux caractères différents: l’homme qui fait parade de faux avantages, et celui dont la vertu brille d’un solide éclat.

FABULA XXIII

SIMONIDES A DIIS SERVATUS

FABLE XXIII

SIMONIDE PRESERVE PAR LES DIEUX

Quantum valerent inter homines litteræ

Dixi superius; quantus nunc illis honos

A Superis sit tributus tradam memoriæ.

 

Simonides idem ille de quo rettuli,

Victori laudem cuidam pyctæ ut scriberet

Certo conductus pretio, secretum petit.

Exigua cum frenaret materia impetum,

Usus poetæ more est et licentia

Atque interposuit gemina Ledæ sidera,

Auctoritatem similis referens gloriæ.

Opus adprobavit; sed mercedis tertiam

Accepit partem. Cum relicuas posceret:

Illi inquit reddent quorum sunt laudis duæ.

Verum, ut ne irate te dimissum sentiant,

Ad cenam mihi promitte; cognatos volo

Hodie inuitare, quorum es in numero mihi.

Fraudatus quamuis et dolens iniuria,

Ne male dimissus gratiam corrumperet,

Promisit. Rediit hora dicta, recubuit.

Splendebat hilare poculis convivium,

Magno apparatu læta resonabat domus,

Repente duo cum juvenes, sparsi puluere,

Sudore multo diffluentes, corpore

Humanam supra formam, cuidam seruolo

Mandant ut ad se provocet Simonidem;

Illius interesse ne faciat moram.

Homo perturbatus excitat Simonidem.

Unum promorat vix pedem triclinio,

Ruina camaræ subito oppressit ceteros;

Nec ulli juvenes sunt reperti ad januam.

Ut est vulgatus ordo narratæ rei

Omnes scierunt numinum præsentiam

Vati dedisse uitam mercedis loco.

J’ai dit plus haut combien les lettres avaient de prix parmi nous autres mortels je vais maintenant parler des honneurs que leur rendent les dieux eux-mêmes.

Simonide, le poète que j’ai déjà cité, était convenu d’une certaine somme, pour composer l’éloge d’un athlète vainqueur au pugilat. Il alla rêver dans la solitude; mais le sujet, étroit et resserré, gênant son génie, il usa des licences poétiques, et fit entrer dans son poème les deux astres, fils jumeaux de Léda, pour relever par ce parallèle la gloire de son héros. L’ouvrage fut approuvé, mais le prix réduit au tiers de la somme convenue. Comme il demandait le reste, l’athlète lui répondit : « Demandez-le à ceux qui font les deux tiers du morceau. Au reste, pour me prouver que vous n’êtes pas mécontent, promettez-moi de souper avec moi : je veux avoir aujourd’hui mes parents, et je vous regarde comme du nombre. » Quoique trompé, et blessé d’une telle façon d’agir, Simonide accepta pour ne pas se brouiller tout à fait avec lui. Il vint à l’heure dite et prit place: le repas, égayé par le choc des coupes, était resplendissant, et toute la maison en fête résonnait d’un joyeux tapage. Tout à coup deux jeunes gens tout couverts de sueur et de poussière, à la figure d’une majesté plus qu’humaine, chargent un esclave d dire à Simonide de venir, qu’on l’attend, et qu’il est de son plus grand intérêt de se presser. L’esclave tout ému entraîne Simonide, qui n’a pas plutôt mis le pied hors de la salle, que le plafond s’écroule et écrase tous les convives. Cependant les jeunes gens n’étaient plus à la porte. Dès que l’on apprit cette tragique histoire, on ne douta plus que ce ne fussent les dieux reconnaissants qui étaient venus sauver la vie à leur poète.

EPILOGUS

POETA AD PARTICULONUM

EPILOGUE

LE POETE A PARTICULON

Adhuc supersunt multa quæ possim loqui,

Et copiosa abundat rerum varietas;

Sed temperatæ suaves sunt argutiæ,

Immodicæ offendunt. Quare, vir sanctissime,

Particulo, chartis nomen victurum meis,

Latinis dum manebit pretium litteris,

Si non ingenium, certe brevitatem adproba;

Quæ commendari tanto debet justius,

Quanto cantores sunt molesti validius.

Il me reste encore bien des fables à vous raconter: car les sujets sont abondants et variés; mais, les traits d’esprit ne plaisent qu’en petit nombre; prodigués, ils fatiguent. Ainsi, Particulon, homme intègre, dont le nom vivra dans mes écrits tant qu’on cultivera les lettres latines, louez dans mes ouvrages, sinon le talent, du moins la brièveté : mérite d’autant plus recommandable, que les poètes, en général, sont plus ennuyeux.