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ALLER A LA TABLE DES MATIÈRES DE DENYS CATON

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

DENYS (DIONYSIUS) CATON

 

DISTIQUES

autre traduction

  


 

 

 


 

DISTIQUES

DE

CATON

 

LIVRE PREMIER.

I.

Si c'est un pur esprit que le souverain Etre,

Ainsi que dans ses vers le poète l'écrit,

Que ton soin principal soit de le reconnaître ;

L'adorant de cœur et d'esprit.

IL

Veille autant que tu peux; et, fuyant la mollesse,

Des douceurs du repos n'use que sobrement ;

Car le trop long sommeil engendre la paresse,

Qui sert au vice d'aliment.

III.

La première vertu de l'homme raisonnable

Est de mettre à sa langue un frein judicieux.

Il n'est rien de plus estimable :

L'homme qui sait se taire est presque égal aux Dieux.

IV.

D'esprit toujours égal, jamais ne t'abandonne

A dire ou faire rien qui soit contraire à toi :

Un homme ne saurait s'entendre avec personne

Qui n'est pas d'accord avec soi.

V

Si tu veux observer la conduite des hommes

Déréglés, soumis à leurs sens,

Avant de les blâmer, pense à ce que nous sommes;

Pense qu'il n'en est point qui vivent innocents.

VI.

Aux objets les plus chers, lorsqu'ils peuvent te nuire,

Renonce avec facilité

L'amour même des biens, pour ne pas nous séduire,

Doit céder à son tour à notre utilité.

VII.

Cède, lorsqu'il convient d'user de complaisance:

Sache aussi te montrer ferme en tes sentiments.

C'est un effet de la prudence

De changer quand il faut s'accoutumer au temps,

VIII.

Ne sois pas trop crédule à tout ce que déclame

Contre tes serviteurs une épouse en courroux.

On déplaît souvent à la femme

Pour avoir le malheur de trop plaire à l'époux.

IX.

Tu crois devoir donner quelque avis salutaire,

Qu'un indocile ami ne veut pas recevoir.

Ne te rebute point; et d'un amour sincère

Montre-lui toujours son devoir.

X.

Avec un grand parleur n'entre point en matière :

Pour l'emporter sur lui tu perdrais ton repos.

Tous ont pour la parole un talent ordinaire,

Mais peu pour parler à propos.

XI.

Aime-toi te premier, ton amitié féconde

Peut se prêter ensuite en faveur d'un égal ;

Mais pour faire du bien, fais tel choix de ton monde,

Qu'il ne t'en arrive aucun mal.

XII.

Ne prends point part aux bruits que sème le vulgaire

De crainte de passer pour en être l'auteur.

On ne risque rien à se taire,

Et souvent pour parler on cause son malheur.

XIII.

Ce qu'on t'aura promis d'un air de certitude,

Ne vas pas le promettre avant de l'obtenir.

Combien dans leur parole ont peu d'exactitude

Beaucoup savent promettre, et peu savent tenir.

XIV.

Lorsqu'on parle à ton avantage

Sache alors te juger toi-même à la rigueur:

Au sentiment d'autrui n'en crois pas davantage.

Qu'au témoignage de ton cœur.

XV.

Ne dissimule point le bien qu'on t'a su faire;

En public nommes-en l'auteur :

Celui que tu feras, sois habile à le taire;

Fais sentir le bienfait, cache le bienfaiteur.

XVI.

Lorsque ton souvenir rappelle en ta vieillesse

Des faits que tu veux raconter,

Pense à ce que tu fis dans ta jeunesse,

Et du bien et du mal, tâche de profiter.

XVII.

Ne t'inquiète point lorsque tu verras dire

Quelque chose en secret à l'oreille d'autrui :

Celui dont la conduite offre

Le plus à rire, croit toujours qu'on parle de lui.

XVIII.

Quand pour toi la fortune est la plus libérale,

Redoute en ses faveurs quelque revers fatal ;

Elle change souvent, et sa course inégale

Commençant bien, peut finir mal.

XIX.

La vie étant fragile et peu sûre à tout âge,

Quelque bonne santé dont tu puisses jouir,

Ne compte point sur l'héritage

Qu'à la mort d'un parent tu pourrais obtenir.

XX.

Le présent qu'un ami t'offre en son indigence,

Quelque petit qu'il soit, reçois-le avec bonté;

Et pour premier effet de ta reconnaissance,

Vante sa libéralité.

XXI.

Pense sans t'effrayer à cette dernière heure

Où tu dois terminer ton cours.

Trembler incessamment de crainte qu'on ne meure,

C'est renoncer à vivre, et mourir tous les jours.

XXII.

Tu vois que la nature au jour de ta naissance

T'a mis au monde pauvre et dans la nudité :

Souffre donc sans impatience

Les rigueurs de la pauvreté.

XXIII.

Si tes bienfaits et tes services

N'ont pu te procurer un ami comme il faut,

Ne t'en prends point au Ciel, l'accusant d'injustices,

Et ne blâme que ton défaut.

XXIV.

Contre la pauvreté le plus sûr des remèdes

Est d'user sobrement du bien qu'on t'a laissé.

Pour garder ce que tu possèdes,

Pense à tous les besoins dont l'homme est menacé.

XXV.

Oblige promptement dès que tu peux le faire,

Sans promettre deux fois un bienfait trop vanté;

On passe pour vain d'ordinaire

En faisant trop valoir sa générosité.

XXVI.

Lorsque quelqu'un te jure une amitié fidèle,

Portant la haine dans le cœur,

Ne le rebute point, montre-lui même zélé :

L'artifice est permis pour tromper le trompeur.

XXVII.

Fuis ces discours flatteurs qui tendent à séduire;

On ne flatte que pour duper.

Aux doux sons de la flûte un oiseleur attire

L'oiseau que dans le piège il tâche d'attraper.

XXVIII.

Ayant nombre d'enfants avec peu de richesse,

Fais leur apprendre un art qui puisse les nourrir,

Afin qu'au moins par leur adresse

Ils évitent la faim qu'ils auraient à souffrir.

XXIX.

Tiens pour vil chose chère, et prise comme rare

Ce qui par le vulgaire est le moins recherché:

Par l'un, tu fuis le nom d'avare ;

Par l'autre, des faux biens ton cœur est détaché,

XXX.

Fuis le mal dont souvent tu blâmes la pratique !

Fais le bien dont tu veux être le défenseur.

Quelle honte pour toi, docteur, dans ta critique,

Si le vice était ton censeur!

XXXI.

Ne demande jamais que ce que la justice

Ou bien l'honnêteté peuvent autoriser :

Le sage ne doit point demander par caprice

Tout ce que la raison a droit de refuser.

XXXII.

Des choses que tu sais, parle avec assurance :

Quand tu doutes, sois retenu.

On juge en sûreté quand on a connaissance;

On décide au hasard sur un fait inconnu.

XXXIII.

Voyant qu'au cours de cette vie

De fâcheux accidents se mêlent tour à tour,

Pour compenser les maux dont le ciel l’a remplie,

Estime un très grand bien le don de chaque jour.

XXXIV.

Pouvant sur tes amis remporter l'avantage,

Mets ton honneur à leur céder :

Un peu de complaisance ainsi mis en usage

Te soumettra les cœurs que tu veux posséder.

XXXV.

Ne refuse jamais de donner peu de chose.

A ceux dont tu prétends beaucoup plus obtenir,

Un don fait à propos dispose,

Et fournit à deux cœurs les moyens de s'unir.

XXXVI.

Prends soin que du procès la fureur ne t'entraîne

À diviser un tout dont tu fais la moitié :

La colère engendre la haine,

Et par l'esprit de paix on nourrit l'amitié.

XXXVII.

Ton domestique a-t-il mérité quelque blâme ?

Modère le courroux qui t'aigrit contre lui :

Ce n'est qu'en possédant ton âme,

Que tu peux compatir aux faiblesses d'autrui.

XXXVIII.

Si tu peux vaincre autrui, cède par complaisance,

Rien n'est plus glorieux que de vaincre en cédant

Car, entre les vertus, c'est à la patience

Qu'on doit donner le premier rang,

XXXIX.

As-tu des biens en abondance,

Garde-les pour le temps où cessent les travaux:

Où le travail finit, la pauvreté commence,

Et devient le plus grand des maux.

XL.

Tu fais goûter les fruits d'une largesse extrême

A tous ceux que tu mets au rang de tes amis :

Sois encore meilleur à toi-même

Dans l'état d'opulence où le destin t'a mis.


 

LIVRE SECOND.

I.

Oblige tout le monde, et les inconnus même,

Autant qu'il te sera permis;

Et sache qu'il n'est rien, fût-ce le diadème,

Qu'on puisse comparer au grand nombre d'amis.

II.

Sur des secrets cachés par le souverain Etre,

Garde-toi de porter des regards curieux:

Vain mortel, pense à te connaître,

Non pas à découvrir ce qui se passe aux cieux.

III.

Trop craindre la mort, c’est folie;

Fais pour vaincre ce faible un généreux effort :

On ne saurait goûter les plaisirs de la vie,

En se livrant sans cesse aux frayeurs de la mort.

IV.

Ne soutiens jamais par colère

Quelque fait que ce soit, surtout s'il est douteux :

La raison vainement t'offrira sa lumière,

Lorsque la passion te fermera les yeux.

V.

Contraint de te mettre en dépense,

Fais-le de bonne grâce et selon ton pouvoir:

Certaines lois de bienséance

Paraissent dans les temps exiger ce devoir.

VI.

Fuis tant que tu pourras la dépense inutile;

Contente-toi de peu, lorsqu'il faut ménager :

Plus le fleuve est petit, plus la barque fragile

Vogue sur l’onde sans danger.

VII.

Ne révèle à personne une action infâme,

Dont tu rougis toi même, et que tu peux cacher.

Quelle nécessité qu'un confident te blâme

D'un vice que ton cœur doit seul te reprocher ?

VIII.

Ne crois pas qu'un mortel coupable d'injustice

Tire profit de son péché ;

S'il couvre pour un temps son crime et sa malice,

Un jour rendra public ce qu'il avait caché.

IX.

Un homme est-il petit et de mince figure?

Ne le méprise point sur ces simples dehors:

Souvent l'Auteur de la nature

Dédommage l'esprit de ce qu'il ôte au corps.

X.

Pouvant vaincre ton adversaire

N'use point de tes droits avec trop de rigueur :

On a vu bien souvent, aidé de sa colère,

Le vaincu, s'élever au dessus du vainqueur.

XI.

Fuis dans les entretiens ces disputes frivoles

Qui peuvent s'élever entre amis et parents :

Quelquefois les moindres paroles

Font naître pour des riens les plus grands différends.

XII.

N'use jamais de sortilège

Pour percer les secrets de la Divinité :

Celui dont dépend l'homme, use du privilège

De disposer de lui sans qu'il soit consulté,

XIII,

Par des airs de grandeur n'irrite point l'envie,

Qui ne voit cet éclat qu'avec un œil jaloux ;

Si son venin ne cause aucun tort à ta vie,

Il est toujours fâcheux d'être en butte à ses coups.

XIV.

Supporte constamment l'arrêt que le caprice

D'un juge prévenu prononce contre toi :

Nul ne jouit longtemps d'un bien que l'injustice

Lui vend aux dépens de la loi.

XV.

Un différend t'a-t-il attiré quelque injure,

Tu ne dois pas la publier :

S'en souvenir après, c'est avoir l'âme dure ;

La dispute finie, on la doit oublier.

XVI.

Ne vas pas te louer toi-même,

N'en montre point non plus un mépris, affecté :

Le premier est l'effet d'une folie extrême,

Le second marque un cœur rempli de vanité.

XVII.

Ayant acquis du bien, songe dans l'abondance

Qu'il en faut user sobrement ;

Aussitôt qu'on se livre à la folle dépense,

Le fruit d'un long travail échappe en un moment.

XVIII.

Prends quelquefois d'un fou le ton et l'apparence,

Lorsqu'il est dangereux d'user de ta raison ;

C'est un trait de grande prudence

De paraître insensé quand il est de saison.

XIX.

Entre tous les défauts les plus dignes de blâme,

Evite l'avarice et fuis la volupté :

Un homme passe pour infâme,

Sur ces vices honteux sitôt qu'il est noté.

XX.

Ne sois pas d'une prompte et facile croyance

A tout ce qui t'est raconté.

Des grands parleurs surtout prends de la défiance;

Car qui parle beaucoup dit peu de vérité.

XXI.

Ne t'en prends qu'à toi seul quand tu te sens coupable

Des excès où le vin conduit en sa chaleur.

Le vin est innocent, la faute inexcusable

N'est que de la part du buveur.

XXII.

Un ami qu'un vrai zèle enflamme,

Un médecin prudent, sont deux riches trésors;

L'un pour lui confier les secrets de ton âme,

L'autre pour conserver la santé de ton corps.

XXIII.

Ton esprit trop sensible au malheur qui l'accable

Contre son triste sort veut-il se dépiter?

Songe que la fortune élève le coupable

Afin de le précipiter.

XXIV.

Il est certains malheurs que l’humaine prudence

Ne peut éviter par ses soins ;

Mais pour les supporter, use de prévoyance :

Le trait qu'on voit partir, s'il frappe, blesse moins.

XXV.

Lorsque la fortune t'outrage,

Ne cède point aux coups du plus rigoureux sort

D'un espoir généreux relevé ton courage:

L'espoir seul suit partout, même jusqu'à la mort.

XXVI.

Lorsque l'occasion s'offre à toi la première,

Ne la laisse point échapper :

Chevelue en devant, et chauve par derrière,

Ce n'est que par le front qu'on la peut attraper.

XXVII.

Aye une prévoyance sage,

Et des faits importants garde le souvenir,

Semblable au dieu Janus, dont le double visage,

Voit derrière et devant, le passé, l'avenir.

XXVIII.

Si tu veux conserver une vigueur parfaite,

Tu dois user de tout avec sobriété,

Le plus souvent faire diète,

Peu donner aux plaisirs, beaucoup à la santé.

XXIX.

Respecte un sentiment reçu de tout le monde;

Ne sois pas seul de ton avis :

Un esprit orgueilleux, qui dans son sens abonde,

Méprisant le public, attire ses mépris.

XXX.

Pense par-dessus tout à conserver ta vie,

C'est là le trésor principal

Si quelque excès t'entraîne en quelque maladie,

N'accuse point le temps quand tu causes ton mal.

XXXI.

Des songes de la nuit ne t'embarrasse guère;

Ne fonde point sur eux d'espoir à ton réveil.

Ce que l'homme désire et tout ce qu'il espère,

Il croit le voir dans le sommeil.


 

LIVRE TROISIÈME.

I.

Nourris bien ton esprit de ces sages sentences,

Et pour les retenir fais un louable effort :

La vie oisive et sans sciences,

Qu'offre-t-elle, sinon l'image de la mort?

II.

Vivant bien, de la médisance

Laisse voler les traits sans t'en inquiéter :

Des discours du public l'indomptable licence

Est un torrent fougueux qu'on ne peut arrêter:

III.

Pour servir de témoins contre un de tes intimes,

Devant tes tribunaux si tu te vois cité,

Cache autant que tu peux ses crimes,

Mais sans donner atteinte aux droits de l'équité.

IV.

Crains les adulateurs, dont l'âme peu sincère

Ne vise qu'à tromper par un air imposteur.

Le vrai ne sait se contrefaire,

Mais le déguisement suit partout le flatteur.

V.

Evite avec soin la paresse,

Qui d'une vie heureuse épuise les trésors :

Il n'est pas de poison pareil à la mollesse;

L'oisiveté de l’âme est la perte du corps.

VI.

Interromps pour un temps, par un plaisir utile,

Le soin d'un travail assidu ;

L'esprit, par ce repos, plus libre et plus tranquille,

Saura mettre à profit ce qu'il aura perdu.

VII.

Par un faux esprit de critique,

Des actions d'autrui ne sois point le censeur,

De peur qu'à ton exemple un autre satirique

Ne t'accable à ton tour, en raillant le railleur.

VIII.

Ayant reçu du ciel une fortune aisée,

De tes biens par écrit suppute le montant :

Peur ne pas du public essuyer la risée,

Garde-les en les augmentant.

IX.

Te voyant opulent dans l'extrême vieillesse,

Qui t'annonce un trépas prochain,

A tes meilleurs amis fais part de ta richesse ;

Et jouis de la vie en attendant la fin.

X.

Reçois les bons conseils qu'un serviteur te donne,

Sans t'armer contre lui d'une sotte fierté ;

Et ne méprise dans personne

Les avis dont tu peux sentir l'utilité.

XI.

Lorsque la fortune inconstante

Te retire ses dons par un bizarre jeu,

Reçois de chaque jour le peu qu'il te présente,

Et vis satisfait de ce peu.

XII.

Cherche dans une femme un esprit sociable,

Et ne l’épouse pas pour de vils intérêts ;

Ou si, d'humeur insupportable,

Elle veut te quitter, ne la retiens jamais.

XIII.

D'autrui l'exemple est nécessaire,

Pour voir ce qui convient dans les occasions,

Ignorant ce qu'il faut ou faire ou ne pas faire,

De ce maître savant suis les instructions.

XIV.

Consulte ton pouvoir plutôt que ton courage,

Lorsqu'à quelque travail tu prétends t'adonner ;

De peur de succomber sous le poids de l'ouvrage,

Contraint de tout abandonner.

XV.

Si quelqu'un pèche en ta présence,

Reprends-le ouvertement, bien loin de le flatter,

On pourrait croire à ton silence

Que tu souffres un mal que tu veux imiter.

XVI.

Si l'abus d'une loi t'est préjudiciable

Va d'un juge éclairé rechercher la faveur :

Les lois veulent souvent qu'un droit plus équitable

Règle de leurs décrets la trop grande rigueur.

XVII.

Supporte sans impatience

Le mal que tu connais avoir bien mérité:

Te sentant criminel, ta propre conscience

Doit décerner la peine avec sévérité.

XVIII.

Lis beaucoup, lis sans fin ; mais cherchant à t'instruire,

A tout auteur sans choix ne vas pas te livrer :

Souvent en vers on ose dire

Des choses que l’on doit moins croire qu'admirer.

XIX.

Parmi les conviés, étant assis à table,

Ne t'y montre point trop joyeux,

De crainte qu'affectant de paraître agréable,

Tu ne passes plutôt pour causeur ennuyeux.

XX.

Ne crains point les transports du courroux d'une femme

Qui fait par ses discours éclater ses fureurs ;

Mais crains quelque secrète trame,

Lorsque pour te fléchir elle a recours aux pleurs.

XXI.

Placé par la fortune au sein de l'abondance,

Use des biens, mais sans abus,

Pour n'être pas contraint, par ta folle dépense,

D'en chercher chez autrui quand tu n'en auras plus.

XXII.

Si tu veux de la mort ne point craindre l'image,

Pense qu'elle doit mettre un terme à tes travaux:

Si nul bien ne vient d'elle, elle a cet avantage,

Qu'elle est au moins la fin des maux.

XXIII.

Supporte les discours d’une femme en colère,

Si d'ailleurs par ses soins tu vois tout réussir :

C'est un défaut bien grand de ne pouvoir te taire,

Et de ne vouloir rien souffrir.

XXIV.

Montre envers père et mère une piété tendre,

Rends à tous deux même devoir:

Que l’amour paternel n'empêche point de rendre  

Les soins que pour sa mère un bon fils doit avoir.


 

LIVRE QUATRIÈME

I.

Si tu veux vivre heureux, méprise l’opulence,

Garde-toi de courir après l’or et l’argent :

Au sein même de l'abondance

L'avare des mortels est le plus indigent.

II.

Ce qui sert aux besoins dans l'usage ordinaire

Ne te manquera pas, si tu sais en tout temps

T'en tenir au seul nécessaire :

Peu de chose suffit pour nous rendre contents.

III

Sans soins, et dépourvu de la raison commune,

Si tu réussis mal à conserver tes biens,

D'aucun aveuglement n'accuse la fortune;

Ses yeux sont meilleurs que les tiens.

IV.

N'aime l'argent que pour l'usage,

Et de son vain éclat ne sois jamais épris:

A ce trait on connaît le sage,

Qui pour le métal seul ne sent que du mépris.

V.

Pense dans l'opulence à jouir de la vie,

Ne te refusant rien pour la santé du corps :

Le riche a des écus; mais, par la maladie,

Il perd le plus grand des trésors.

VI.

Confié dans l'enfance aux soins d'un maître austère.

Tu sus te soumettre à ses coups :

Soumets-toi donc sans peine à l'empire qu'un père

Veut exercer sur toi, lorsqu'il gronde en courroux.

VII.

Tâche en tout de tendre à l'utile;

Prends garde que l'erreur n’y glisse son venin :

Si le travail est difficile,

Soutiens-le par l'espoir d'un salaire certain.

VIII.

Prête à qui la réclame une main généreuse

Donne sans exiger aucun retour de lui :

Aux yeux de l’âme vertueuse,

C'est travailler pour toi que d'obliger autrui.

IX.

As-tu sur quelque point la moindre défiance ?

Attentif à t'instruire, examine d'abord :

La plus légère négligence

Souvent gâte une affaire, et cause bien du tort.

X.

Combattu par l'incontinence,

Dans ses honteux liens crains-tu d'être arrêté,

Observe en tes repas la juste tempérance ;

La crapule est unie avec la volupté.

XI.

Sur la timidité ne pouvant te contraindre,

Si tu crains tous les animaux

Considère que l'homme est beaucoup plus à craindre,

Et capable lui seul de causer tous les maux.

XII.

Etant doué d'un corps vigoureux et robuste,

Fais pour devenir sage un généreux effort :

C'est alors qu'on parlera juste,

Lorsqu'on te donnera le titre d'homme fort.

XIII.

Une peine d'esprit, un sujet de tristesse

T'oblige à rechercher un salutaire avis:

Pense qu'aux maux de cette espèce

Les médecins sont les meilleurs amis.

XIV.

Pourquoi teindre l'autel du sang de tes victimes?

L'animal innocent doit-il pour toi mourir?

Sa mort n'efface pas tes crimes:

Celui qui fait le mal doit lui-même périr.

XV.

Cherchant un compagnon fidèle,

Et qui de l'amitié sache écouter tes lois,

Ce n'est pas de ses biens l'estime criminelle,

Mais sa seule vertu qui doit fixer ton choix.

XVI.

Fais de tes revenus un honorable usage ;

De l'infâme avarice abhorre les liens.

De ton or quel est l'avantage,

Lorsque tu restes pauvre au milieu de tes biens ?

XVII.

Veux-tu par ta conduite acquérir quelque estime,

Et parmi les méchants n'être point confondu,

Evite la tache du crime

Et l'appât dangereux du plaisir défendu.

XVIII.

Si tu prétends au nom de sage,

Respecte la vieillesse en son infirmité :

L'enfance est son triste apanage,

C'est un tribut qu'on doit à la caducité,

XIX.

Bien que tu sois dans l'opulence,

A cultiver les arts donne ton premier soin.

De la fortune un jour si tu sens l'inconstance,

L'art te reste, et jamais ne te manque au besoin.

XX.

Pèse au dedans de toi, sans le faire paraître,

Ce que pense un chacun, en l'entendant parler:

Souvent son discours fait connaître

Ses mœurs, ce qu'il veut dire, et ce qu'il veut celer.

XXI.

L'étude en chaque état n'est pas sans avantage :

De quelque art que tu soie sache en tirer du fruit ;

De même que la main se forme par l'usage,

Par l'étude on forme l'esprit.

XXII.

Ne t'abandonne point à la funeste envie

De savoir le moment décisif de ton sort :

Quiconque s'accoutume à mépriser la vie,

Voit sans crainte approcher la mort.

XXIII.

D'un plus savant que toi ne cesse point d'apprendre ;

Toi-même instruis les ignorants.

La science est un bien qu'il faut partout répandre,

Et qu'on doit préférer aux trésors les plus grands.

XXIV.

Ne bois du vin qu'autant que le besoin l'exige.

Si tu veux prudemment conserver la santé:

Souvent le mal qui nous afflige

Est l'enfant de la volupté.

XXV.

As-tu sur certain fait donné quelque louange,

Qui, dans le monde, ait éclaté,

Prends garde qu'aussitôt ton langage ne change

Par esprit de légèreté.

XXVI.

Quand tu te vois tranquille au milieu des richesses,

Prends tes précautions contre l'adversité

Et dans les plus grandes détresses,

Espère le retour de la prospérité.

XXVII.

Jour et nuit ne cesse d'apprendre:

La sagesse ne croit que par des soins constants;

Et la rare prudence, à laquelle on doit tendre,

N'est que le fruit tardif du travail et du temps.

XXVIII.

Loue avec retenue, évitant de paraître

Du mérite d’autrui follement entêté

Peut-être un jour viendra qui te fera connaître

Quel est cet ami tant vanté.

XXIX.

Fais-toi gloire d'apprendre, étant dans l'ignorance;

Et pour croître en savoir, ne néglige aucun soin;

C'est vertu d'aimer la science,

Et vice de rougir de s'instruire au besoin.

XXX.

Vénus avec Bacchus a souvent des querelles,

Qui troublent les plaisirs des sens :

Crains de pareils débats les suites criminelles ;

Ne te livre jamais qu'aux plaisirs innocents.

XXXI.

Sur l'homme taciturne et d'humeur nonchalante,

Pour la société ne fais jamais de fonds:

C'est où l’onde paraît dormante

Qu'elle cache souvent des abymes profonds.

XXXII.

Peu satisfait du train que prennent tes affaires,

Considère l'état où sont celles d'autrui;

S'il a des revers moins contraires,

Si tu dois l'estimer plus malheureux que lui.

XXXIII.

Mesure à ton pouvoir la grandeur de l’ouvrage:

Le plus sûr, à qui veut fendre les flots amers,

Est de ramer près du rivage,

Plutôt que de cingler vers le plus haut des mers.

XXXIV.

Par l’effet d'une haine injuste et criminelle,

N'entre point en procès contre un homme de bien:

Le ciel, en semblable querelle,

Du juste qu'on opprime est toujours le soutien.

XXXV.

Si la perte des biens te met dans la détresse,

En ton affliction sois sage et retenu;

Mais montre une juste allégresse,

Si tu vois par hasard grossir ton revenu.

XXXVI.

Souvent il arrive des pertes

Qu'on ne peut supporter d'un esprit bien soumis,

Mais qui par point d'honneur doivent être souffertes,

Lorsqu'il faut ménager quelqu'un de ses amis.

XXXVII.

N’étant point assuré du temps que tu dois vivre,

Envisage de près le moment du trépas:

Comme vois ton ombre attachée à te suivre,

La mort te suit à chaque pas.

XXXVIII.

Viens offrir à ton Dieu l'encens et la prière ;

Laisse pour le travail croître les animaux,

Et ne crois pas du Ciel apaiser la colère,

En versant le sang des taureaux.

XXXIX.

Cède à la force ouverte, et supporte l'empire

D'un grand que tu dois ménager :

S'il a le pouvoir de te nuire.

Peut-être dans la suite il saura t'obliger.

XL.

As-tu fais quelque faute, en juge inexorable

Toi-même tu dois te punir :

Ainsi que le malade, il faut que le coupable

Prenne un remède amer, et souffre pour guérir.

XLI.

Ne vas pas en public censurer la conduite

D'un homme qui longtemps fut un de tes amis;

Bien qu'il ait changé dans la suite,

Pense toujours aux nœuds qui vous avaient unis.

XLII.

Montre-toi vivement sensible aux bons offices

Que dans l'occasion quelqu'un t'aura rendus,

Et n'imite pas ceux près de qui les services

Et les plus grands soins sont perdus.

XLIII.

Ne sois point d'une humeur soupçonneuse et timide,

Les hommes les plus malheureux

Sont ceux en qui la crainte et le soupçon réside ;

La mort, en quelque sorte, est moins triste pour eux.

XLIV.

Commandant aux valets qui soignent ton ménage,

Epargne-les dans leur emploi :

Pense, quand tu les vois gémir dans l'esclavage,

Qu'ils sont tes serviteurs, mais hommes comme toi.

XLV.

Dès que l'occasion devant toi se présente,

Apporte tous tes soins pour pouvoir la saisir;

Quelquefois vainement on tente

Ce qu'on a négligé de faire réussir.

XLVI.

Ne fais point éclater ta joie

Quand tu vois les méchants surpris par le trépas.

Heureux qui vit sans crime, et dans la douce voie

Termine sa course ici-bas.

XL VII.

Ton destin malheureux t'a fait prendre une femme

Qui n'a ni grand bien, ni pudeur :

D’ami de tes amants fuis le surnom infâme.

De crainte d'ajouter le crime au déshonneur.

XLVIII.

Quelque instruit que tu sois, pense que la science

Doit augmenter chez toi de toutes les façons :

Fuis cette vaine suffisance

Qui ne veut pas d'autrui recevoir les leçons.

 

 

 

 

FIN DES DISTIQUES DE CATON.

 

 

 

 

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