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STRABON

Géographie 

traduction française

LIVRE II

 

texte grec du livre I - traduction française du livre I - texte grec du livre II

GÉOGRAPHE DE STRABON.

LIVRE II.


Dans son second livre, Strabon cite textuellement un certain nombre de passages d'Ératosthène, qu'il soumet ensuite à un examen critique, relevant tout ce qui lui paraît inexact dans les assertions, les divisions ou les descriptions de cet auteur. Il rappelle aussi et discute de la même façon mainte opinion d'Hipparque, puis termine par un exposé abrégé et en quelque sorte synoptique de son propre ouvrage, autrement dit de la science géographique tout entière.

CHAPITRE PREMIER.

1. Dans le troisième livre de sa Géographie, Ératosthène, dressant la carte de la terre habitée, divise celle-ci en deux de l'ouest à l'est par une ligne parallèle à la ligne équinoxiale : les extrémités qu'il donne à cette ligne sont, à l'ouest, les Colonnes d'Hercule, et, à l'est, les promontoires et contre-forts extrêmes de la chaîne qui forme le côté septentrional de l'Inde; puis, à partir des Colonnes d'Hercule, il la mène par le détroit de Sicile et les caps méridionaux du Péloponnèse et de l'Attique jusqu'à l'île de Rhodes et au golfe d'Issus. Jusque-là, comme il le marque lui-même, la ligne en question n'a fait que traverser la mer et longer les continents qui la bordent, parce qu'effectivement notre mer intérieure s'étend ainsi toute en longueur jusqu'à la Cilicie; mais à partir de ce point il lui fait suivre toute la chaîne du Taurus jusqu'à l'Inde, et cela sans dévier, car le Taurus qui est, selon lui, le prolongement direct de la mer que nous voyons commencer aux Colonnes d'Hercule, divise l'Asie tout entière dans le sens de sa longueur en deux parties, l'une boréale, l'autre australe, et se trouve de la sorte, et comme la mer elle-même, laquelle s'étend, avons-nous dit, des Colonnes d'Hercule au point où commencent ses premières pentes, situé sous le parallèle d'Athènes (01)

2. Cela posé, Ératosthène propose une rectification à l'ancienne carte géographique; il trouve que sur cette carte, toute la partie orientale de la chaîne de montagnes s'écartant beaucoup vers le nord, l'Inde est entraînée naturellement dans la même direction et devient plus septentrionale qu'elle ne l'est en réalité. Or, voici ce qu'il allègue d'abord à l'appui de son opinion. « Beaucoup d'auteurs, dit-il, raisonnant d'après l'analogie des conditions atmosphériques et des apparences célestes, conviennent que l'extrémité la plus méridionale de l'Inde se trouve juste à la même hauteur que Méroé : mais, de la pointe la plus méridionale à l'extrémité la plus septentrionale de l'Inde, laquelle touche à la chaîne du Caucase, Patrocle, qui est l'auteur le plus digne de foi à cause du haut rang qu'il occupait et des connaissances spéciales qu'il avait en géographie, compte 15 000 stades ; d'autre part, la distance de Méroé au parallèle d'Athènes mesure à peu près le même nombre de stades; il s'ensuit donc que la partie septentrionale de l'Inde contiguë au Caucase aboutit aussi à ce même cercle. »

3. A ce premier argument Ératosthène en joint un autre que voici : il fait remarquer que la distance mesurée depuis le golfe d'Issus [au sud], jusqu'à la mer du Pont au nord, en un point voisin d'Amisus ou de Sinope, est à peu près de 3000 stades, ce qui est juste la largeur attribuée à la chaîne de montagnes. « Si maintenant, dit-il, à partir d'Amisus, on se dirige au levant équinoxial, on rencontre d'abord la Colchide, puis le col qui débouche sur la mer Hyrcanienne, et la route qui y fait suite et mène par Bactres jusque chez les Scythes, en laissant les montagnes à. droite. La même ligne, maintenant, à l'ouest d'Amisus, traverse la Propontide et l'Hellespont. Or, de Méroé jusqu'à l'Hellespont, il y a au plus 18000 stades, juste autant qu'on en compte depuis le côté méridional de l'Inde jusqu'à la Bactriane, quant aux 15000 stades formant l'étendue de l'Inde proprement dite on en ajoute 3000 pour la largeur de la chaîne de montagnes. »

4. Mais Hipparque combat l'assertion d'Ératosthène, et cela en attaquant ses autorités : il nie par exemple que Patrocle mérite aucune confiance, lorsqu'il a contre lui le double témoignage de Déimaque et de Mégasthène, lesquels prétendent, d'accord en cela avec le tracé des anciennes cartes, que la largeur de l'Inde calculée à partir de la mer australe varie, suivant les points où on la prend, entre 20 et 30 000 stades : il lui parait inadmissible qu'il faille ajouter foi au seul Patrocle, sans tenir compte de témoignages si formellement contraires au sien, et qu'on doive corriger les anciennes cartes d'après cette autorité unique, au lieu de laisser jusqu'à plus ample et plus sûr informé les choses comme elles étaient.

5. A mon tour, je trouve que ce jugement d'Hipparque prête à plus d'une rectification. Et d'abord, quand il est notoire qu'Ératosthène a consulté maintes autorités différentes, comment prétendre que Patrocle soit la seule dont il s'est servi ? Que fait-un à ce compte du témoignage de l'informateur, qui a dû lui apprendre que l'extrémité méridionale de l'Inde correspondait juste à Méroé, du témoignage de cet autre informateur qui lui aura fourni la mesure de la distance de Méroé au parallèle d'Athènes, de cet autre encore qui lui aura fait connaître la vraie largeur de la chaîne de montagnes, et comme elle égale l'intervalle qui sépare la Cilicie d'Amisus, de ceux enfin qui lui auront appris comment la route qui, partant d'Amisus traverse la Colchide et l'Hyrcanie, et mène jusqu'en Bactriane et plus loin même jusque chez les peuples des bords de la mer Orientale, se dirige en droite ligne au plein levant équinoxial, le long et à la gauche des montagnes, tandis qu'au couchant la même ligne prolongée coupe la Propontide et l'Hellespont? Car, si Ératosthène admet comme vraies ces différentes données, c'est apparemment sur la foi de voyageurs qui avaient été sur les lieux et qu'il avait pu consulter tout à son aise, ayant rencontré sans doute leurs relations parmi les trésors de cette bibliothèque qu'il avait à sa disposition, et dont Hipparque lui-même a vanté la richesse.

6. Mais à ne prendre de tous ces auteurs que le seul Patrocle, manque-t-il donc de bons garants qui puissent défendre son témoignage? N'a-t-il pas pour lui et l'estime des princes qui l'avaient investi d'un si haut emploi, et le grand nombre des auteurs qui l'ont cru et suivi, et le peu de poids de ceux qui l'ont contredit et qu'Hipparque nous nomme, puisque chaque démenti adressé à ses contradicteurs devient une preuve de sa bonne foi? Nous ne voyons même pas, quant à nous qu'il y ait lieu de douter de sa parole, quand il nous dit que dans l'Inde les soldats et compagnons d'Alexandre n'avaient vu les choses qu'en courant, et qu'Alexandre seul avait pu se renseigner plus exactement, grâce à des descriptions composées exprès pour lui par les gens connaissant le mieux le pays, et qu'il nous affirme avoir en communication de ces précieux documents par une laveur spéciale du trésorier Xénoclès.

7. Hipparque, à la vérité, ajoute dans son second livre qu'Ératosthène a tout le premier contribué à infirmer l'autorité de Patrocle, puisque, sur la question de savoir quelle longueur attribuer au côté septentrional de l'Inde, alors qu'il avait à choisir entre le nombre de 16 000 stades proposé par Mégasthène et celui de 15000 que Patrocle indique, il n'a voulu, à cause de leur désaccord, s'en rapporter ni à l'un ni à l'autre, et qu'il a mieux aimé se décider d'après un troisième témoignage et adopter l'indication d'un stadiasme anonyme qu'il avait entre les mains. « Or, poursuit Hipparque, s'il a suffi d'un désaccord comme celui-là, où il s'agissait seulement d'une différence de 1000 stades, pour empêcher qu'on ne crût Patrocle, à plus forte raison doit-on douter de ce qu'il dit, quand la différence s'élève à 8000 stades, et qu'en outre c'est contre le témoignage formel de deux auteurs, s'accordant l'un et l'autre à attribuer à l'Inde une largeur de 20 000 stades, qu'il a réduit cette largeur à 12 000. »

8. Mais à cela nous répondrons qu'Ératosthène n'a pas condamné Patrocle sur le seul fait de son désaccord avec Mégasthène et qu'il avait dû préalablement comparer son dire avec le témoignage concordant et véridique de l'auteur du stadiasme en question. Or, y a-t-il lieu de s'étonner qu'un témoignage, d'ailleurs digne de confiance, soit effacé par un autre encore plus digne de foi, et que nous abandonnions en certains cas telle autorité que nous avons suivie dans d'autres, quand nous trouvons ailleurs un élément de certitude plus grande ? Sans compter qu'il y a quelque chose de ridicule à croire que, plus le désaccord est grand, plus la défiance doit être grande aussi; le contraire même paraît plus vrai, et il semble qu'un léger désaccord autorise toujours plus le soupçon d'erreur sur un détail de mince importance, non seulement le premier venu, mais celui-là même qui est plus éclairé que les autres, a plus de chance de se tromper, tandis que sur une question importante, où le premier venu se trompera aisément, l'homme instruit risquera beaucoup moins de le faire et devra trouver plus facilement créance.

9. Nous ferons remarquer d'autre part que, s'il est vrai, en thèse générale , que les auteurs ayant écrit sur l'Inde n'ont fait la plupart du temps que mentir, Déimaque les surpasse tous à cet égard, et que Mégasthène vient tout de suite après lui. Chez Onésicrite, ainsi que chez Néarque et les autres historiens du même temps, on sentait déjà les premiers bégayements du mensonge (02) : nous l'avons vu, de reste, en écrivant l'histoire d'Alexandre. Mais c'est de Déimaque et de Mégasthène sans comparaison qu'il importe de se défier le plus. Ce sont eux, en effet, qui ont parlé des Enotocètes, des Astomes, des Arrhines, des Monophthalmes, des Macroscèles, des Opisthodactyles; eux aussi, qui ont renouvelé la fable homérique du combat des grues et des pygmées en parlant d'hommes hauts de trois spithames ; eux encore, qui ont fait mention de ces fourmis chercheuses ou fouilleuses d'or, de ces Pans sphénocéphales et de ces serpents capables d'avaler cerfs et boeufs avec leurs cornes ; sans compter qu'à ce sujet ils se traitent l'un l'autre à qui mieux mieux de menteur, comme Ératosthène en fait lui-même la remarque. Ils avaient été envoyés l'un et l'autre en qualité d'ambassadeurs à Palimbothra, Mégasthène auprès de Sandrocottus, et Déimaque auprès de son fils Allitrochade, et voilà pourtant les relations qu'ils nous ont laissées de leur voyage ! Quelle raison a pu les pousser à écrire de telles choses? On n'en sait rien. Toujours est-il que Patrocle ne leur ressemble pas le moins du monde, et qu'en général aucun des auteurs cités par Eratosthène ne mérite une semblable défiance.

10. (Ici une longue lacune, qui a résisté jusqu'à ce jour à tous les essais de restitution (03) .... Or, si le méridien qu'on a fait passer par Rhodes et Byzance s'est trouvé juste, celui qu'on prétend faire passer par la Cilicie et par Amisus se trouvera juste, également, le parallélisme des deux lignes résultant de maintes observations, qui n'ont pu constater ni dans l'une ni dans l'autre la moindre tendance à coïncider.

11. Ce qui prouve maintenant que le trajet par mer d'Amisus en Colchide se fait bien réellement dans la direction du levant équinoxial, c'est que partout, sur cette ligne, on observe mêmes vents, mêmes saisons, mêmes productions, mêmes levers du soleil. On vérifie pareillement que telle est bien la direction du col qui débouche sur la mer Caspienne et de la route de Bactres qui y fait suite. C'est qu'il n'est pas rare en effet que l'évidence et l'accord unanime des voyageurs méritent plus de créance que l'indication des instruments. Cela est si vrai, qu'Hipparque lui-même (04), qui nous affirme que la ligne tirée depuis les Colonnes d'Hercule jusqu'en Cilicie est droite et se dirige au levant équinoxial, n'a pas relevé cette ligne tout entière à l'aide d'instruments et par les procédés géométriques, mais qu'il a dû, pour toute la partie comprise entre les Colonnes d'Hercule et le détroit de Sicile, s'en rapporter aux témoignages des navigateurs. Aussi a-t-il tort de prétendre que, du moment que nous ne pouvons pas dire quel est le rapport du jour le plus long au jour le plus court et le rapport de l'ombre au gnomon pour toute la chaîne de montagnes qui court depuis la Cilicie jusqu'à l'Inde, nous ne pouvons pas dire non plus que cette chaîne soit plutôt parallèle qu'oblique, et qu'en conséquence nous devons maintenir sans correction l'obliquité telle que les anciennes cartes nous la présentent (05). Car, en premier lieu, ne pas pouvoir dire une chose, c'est proprement s'abstenir de l'affirmer; et s'abstenir, c'est n'incliner ni d'un côté ni de l'autre; or vouloir, comme fait Hipparque, qu'on laisse les choses dans l'état où les anciens nous les ont présentées, n'est-ce pas incliner d'un côté plutôt que de l'autre? Hipparque eût été plus conséquent en nous dissuadant absolument de toute étude géographique, puisqu'en effet sur la situation exacte des autres chaînes de montagnes et notamment des Alpes, des Pyrénées, des montagnes de la Thrace, de l'Illyrie et de la Germanie, nous n'avons rien de plus précis à dire ; mais, qui voudra jamais croire que les anciens méritent plus de foi que les modernes, après toutes les erreurs qu'ils ont commises dans leurs cartes géographiques, et qu'Ératosthène a relevées à si juste titre, sans qu'Hipparque ait pu y trouver à redire.

12. En second lieu, toute la suite du raisonnement d'Hipparque est remplie de grandes difficultés. Voyez en effet si, sans vouloir rien changer à cette donnée, que les extrémités méridionales de l'Inde correspondent à la région le Méroé, non plus qu'à celle-ci, que la distance de Méroé au détroit de Byzance est de 18000 stades, on porte à 30000 stades la distance de l'Inde méridionale aux montagnes, voyez, dis-je, quel enchaînement d'absurdités en résulte. Et d'abord, si le parallèle de Byzance est le même que celui de Massalia (ainsi qu'Hipparque l'affirme sur la foi de Pythéas), et le méridien de Byzance le même que celui du Borysthène, ce qu'Hipparque admet aussi, en même temps qu'il admet une distance de 3700 stades entre Byzance et le Borysthène, on devra retrouver cette même distance entre Massalia et le parallèle du Borysthène, lequel se confondra alors avec celui de la Celtique Parocéanitide, puisqu'un trajet de 3700 stades nous conduit effectivement jusqu'aux bords de l'Océan.

13. D'autre part, puisque nous savons que la Cinnamômophore est la dernière terre habitée au midi, et que, d'après Hipparque lui-même, le parallèle de cette contrée marque aussi le commencement de la zone tempérée et habitable et se trouve éloigné de l'équateur de 8800 stades environ, puisque, en même temps, Hipparque place le parallèle du Borysthène à une distance de 34 000 stades de l'équateur, c'est donc 25200 stades qui resteront, pour exprimer la distance comprise entre le parallèle qui sépare la zone torride de la zone tempérée et le parallèle du Borysthène et de la Celtique Parocéanitide. Mais actuellement le point le plus avancé que la navigation atteigne au nord de la Celtique est Ierné, qui se trouve située par delà la Bretagne, et que le froid rend déjà si difficilement habitable que les contrées situées encore plus loin passent pour être absolument inhabitées. Et comme, généralement, on place Ierné à 5000 stades au plus au nord de la Celtique, c'est 30 000 stades ou même un peu plus de 30000 stades qu'on trouvera pour la largeur totale de la terre habitée.

14. A présent, transportons-nous à l'opposite de la Cinnamômophore en suivant dans la direction de l'est toujours le même parallèle, nous atteignons ainsi les parages de la Taprobane. On croit. fermement que la Taprobane est une grande île située en pleine mer, au midi et en avant de l'Inde, qu'elle s'étend, qui plus est, en longueur dans la direction de l'Éthiopie sur un espace de plus de 5000 stades, et qu'elle envoie sur les marchés de l'Inde une quantité considérable d'ivoire, d'écaille et d'autres objets d'échange. Or, prêtons-lui une largeur proportionnée à sa longueur : cela, joint à l'espace qui la sépare de l'Inde, ne saurait faire moins de 3000 stades, ce qui est juste la distance qu'on calcule depuis la limite extrême de la terre habitée jusqu'à Méroé, s'il est vrai que les extrémités de l'Inde correspondent exactement à l'île de Méroé : peut-être même un nombre plus fort serait-il plus près de la vérité. Ajoutons ensuite ces 3000 stades aux 30 000 que suppute Déimaque jusqu'au col qui donne accès chez les Bactriens et les Sogdiens, et voilà ces peuples rejetés en dehors de la zone habitable et tempérée ! Mais personne osera-t-il avancer rien de pareil après tous les récits qu'on a faits et qu'on fait encore de l'heureux climat et de la fertilité merveilleuse, non seulement de l'Inde septentrionale, mais de l'Hyrcanie elle-même, de l'Arie et des contrées qui suivent, telles que la Margiane et la Bactriane? Car toutes ces contrées, bien qu'elles appartiennent au versant septentrional du Taurus, et que la Bactriane touche même au col par où l'on entre dans l'Inde, toutes, dis-je, jouissent d'un si heureux climat, qu'on ne saurait rien concevoir qui diffère davantage de la nature des contrées inhabitables. En Hyrcanie, par exemple, si ce qu'on dit est vrai, tel cep de vigne donne jusqu'à un métrète de vin, tel figuier jusqu'à soixante médimnes de figues, le grain tombé des épis suffit à faire lever une seconde moisson, les abeilles font leurs ruches dans les arbres, et le miel découle des feuilles. En Médie, dans le canton de Matiane, en Arménie, dans ceux de Smashe et d'Araxène, les mêmes faits se produisent, sans être aussi surprenants, puisque ces cantons sont plus méridionaux que l'Hyrcanie, et qu'ils jouissent d'ailleurs d'un climat exceptionnel relativement au reste des pays auxquels ils appartiennent. En Hyrcanie, la chose est donc autrement merveilleuse. Dans la Margiane, aussi, l'on assure qu'il n'est pas rare de trouver des ceps de vigne tellement gros, que deux hommes auraient peine à en embrasser le pied, et que leurs grappes ont jusqu'à deux coudées de long. L'Arie, qui passe pour posséder également tous ces mêmes avantages, semble, en outre, supérieure aux provinces voisines par la qualité de ses vignobles, car les vins s'y conservent jusqu'à la troisième génération, et cela dans des vases qu'on n'a pas enduits de poix. Enfin l'on nous dit que dans la Bactriane, laquelle confine à l'Arie, tout vient, tout absolument, excepté l'olivier.

15. Qu'il y ait maintenant dans toutes ces contrées des parties froides, j'entends les parties élevées et montagneuses, il n'y a rien là qui doive nous étonner, car dans les climats méridionaux les montagnes, et en général toutes les terres élevées sont froides, celles-là même qui sont unies comme des plaines. Dans la Cappadoce, par exemple, dont la partie voisine de l'Euxin est plus septentrionale de beaucoup que la partie qui borde le Taurus, l'immense plaine de Bagadania, située entre le mont Argée et le Taurus, produit à peine çà et là quelques arbres fruitiers, bien qu'elle soit de 3000 stades plus méridionale que la mer de Pont, tandis que les faubourgs de Sinope, d'Amisus et de Phanarée ne sont proprement que vergers et plantations d'oliviers. Ajoutons que l'Oxus, qui forme la limite entre la Bactriane et la Sogdiane, passe pour être d'une navigation si facile, que les marchandises de l'Inde, transportées par cette voie, descendent sans peine jusqu'en Hyrcanie, d'où elles se répandent ensuite, au moyen des fleuves, dans toutes les contrées environnantes jusqu'au Pont.

16. Trouverait-on, je le demande, une aussi riche nature sur les rives du Borysthène et dans la partie de la Celtique qui borde l'Océan? Mais la vigne n'y vient seulement pas ou du moins elle n'y donne pas de fruit, et, là où elle en donne, à savoir plus au midi, sur les bords de notre mer intérieure et du Bosphore, les raisins sont petits, et il faut, l'hiver, enterrer les ceps. Il y a plus, la glace dans ces pays s'amasse en telle quantité, notamment à l'entrée du lac Mæotis, qu'on a vu tel lieutenant de Mithridate, à la même place, où durant l'hiver, il avait battu les Barbares dans un combat de cavalerie, remporter l'été, après la débâcle des glaces, une victoire navale et sur les mêmes ennemis. Ératosthène cite même à ce propos certaine inscription relevée dans le temple d'Esculape à Panticapée sur une aiguière d'airain que la glace avait fait éclater :
« Si quelque mortel se refuse à croire ce qui arrive en nos contrées, qu'il jette les yeux sur cette aiguière et il ne doutera plus; ce n'est pas comme une riche et pieuse offrande, mais comme un témoignage irrécusable de la rigueur de nos frimas que le prêtre Stratios l'a exposée ici. »
Or, s'il nous est déjà interdit de comparer le climat du Bosphore et le climat, plus tempéré pourtant, d'Amisus et de Sinope à celui das contrées que nous énumérions tout à l'heure, à plus forte raison ne saurions-nous établir de comparaison entre ces mêmes contrées et les régions du Borysthène et de l'extrême Celtique, puisque des pays, qu'on s'accorde à placer à 3700 stades au midi du Borysthène et de la Celtique, atteindraient encore à peine à la hauteur d'Amisus, de Sinope, de Byzance et de Massalia.

17. Qu'on s'obstine cependant à adopter les calculs de Déimaque et qu'à ses 30000 stades on ajoute tout le trajet qui reste encore à franchir jusqu'à la Taprobane et aux frontières de la zone torride, trajet qu'on ne peut guère évaluer à moins de 4000 stades, et Bactres et l'Arie se trouvent aussitôt reléguées à 34 000 stades de la zone torride, c'est-à-dire à la même distance où le Borysthène, suivant Hipparque, se trouve de l'équateur. En d'autres termes, Bactres et l'Arie sont transportées à 8800 stades au nord du Borysthène et de la Celtique, tout comme l'équateur est à 8800 stades au sud du cercle qui sépare la zone torride de la zone tempérée et qui n'est autre, avons-nous dit, que le parallèle de la Cinnamômophore. Et tandis que nous avons démontré qu'au-dessus de la Celtique, dans cet espace de 5000 stades au plus qui s'étend jusqu'à Ierné, le climat était à peine supportable pour l'homme, il résulterait du calcul de Déimaque qu'il existe sur un parallèle de 3800 stades plus septentrional que Ierné une contrée parfaitement habitable. A ce compte aussi, Bactres serait plus septentrionale, et de beaucoup, que l'entrée de la mer Caspienne ou Hyrcanienne, laquelle entrée, placée comme elle est à 6000 stades de distance du fond de ladite mer et des montagnes de l'Arménie et de la Médie, paraît être pourtant le point le plus septentrional de toute cette côte qu'on peut ranger ensuite sans interruption jusqu'à l'Inde, ainsi que le marque expressément Patrocle, longtemps gouverneur de toutes ces provinces. Notez en outre que la Bactriane s'étend bien encore de 1000 stades vers le nord et qu'au delà les Scythes occupent une contrée plus vaste encore de beaucoup, qui même ne se termine qu'à la mer boréale, et dans laquelle ces peuples, s'ils vivent en nomades, trouvent du moins à vivre. Mais, nous le demandons, comment la chose sera-t-elle possible, si Bactres elle-même se trouve rejetée en dehors de la zone habitable? Cette distance du Caucase à la mer boréale, en passant par Bactres, peut être évaluée à un peu plus de 4000 stades. Qu'un ajoute ces 4000 stades au nombre de stades calculé depuis Ierné dans la direction du nord, ce sera donc en tout et indépendamment du stadiasme propre d'Ierné une étendue de 7800 stades qu'on aura prise sur la zone ou région inhabitée. Mais négligeât-on les 4000 stades, la partie de la Bactriane contiguë au Caucase se trouverait encore de 3800 stades plus septentrionale que Ierné et plus septentrionale que la Celtique et le Borysthène de 8800 stades.

18. Hipparque nous dit maintenant qu'à la hauteur du Borysthène et de la Celtique le crépuscule règne du couchant au levant pendant toute la durée des nuits d'été, et que le soleil, lors du solstice d'hiver, s'y élève au plus de 9 coudées ; qu'à 6300 stades de Massalia (c'est-à-dire, à l'en croire, encore dans les limites de la Celtique, mais déjà en pleine Bretagne, suivant nous, et à 2500 stades au nord de la Celtique) le phénomène est beaucoup plus sensible ; que là, pendant les jours d'hiver, la hauteur du soleil est de 6 coudées; qu'elle est de 4 coudées à 9100 stades de Massalia et de moins de trois dans les pays situés encore au delà. Or, d'après notre calcul, cette région ultérieure devrait se trouver plus septentrionale de beaucoup que Ierné elle-même. Mais Hipparque, sur la foi de Pythéas, la place seulement au nord (06) de la Bretagne, et comme il ajoute que le plus long jour y est de dix-neuf heures équinoxiales, tandis qu'il est de dix-huit heures seulement aux lieux où la hauteur du soleil est de 6 coudées, c'est-à-dire dans les pays qu'il place à 9100 stades de Massalia, il s'ensuivrait que ces derniers pays sont plus méridionaux que les parties les plus méridionales de la Bretagne. C'est donc sous le même parallèle que la Bactriane caucasienne ou sous un parallèle approchant qu'il convient de chercher la position en question, puisqu'il résulte, avons-nous dit, de l'estimation de Déimaque que la partie de la Bactriane contiguë au Caucase est de 3800 stades plus septentrionale que Ierné. Ajoutons enfin ces 3800 stades au nombre de stades qui représente la distance entre Massalia et Ierné, et nous aurons ainsi 12500 stades pour la distance totale. Mais qui a jamais observé dans ces régions, j'entends aux environs de Bactres, une durée pareille des jours les plus longs et une pareille hauteur méridienne du soleil lors du solstice d'hiver, tous phénomènes pourtant qui, par leur nature, doivent frapper les regards même de l'ignorant, et qui, n'ayant aucun besoin de preuve ou de démonstration mathématique, devraient se trouver relatés dans la plupart des descriptions soit anciennes, soit modernes, qui nous ont été laissées de l'empire Perse? Comment concilier aussi ce que nous avons dit plus haut de la fertilité de ces contrées avec de semblables phénomènes ou apparences célestes? On voit donc par ce qui précède que le raisonnement d'Hipparque, tout spécieux qu'il puisse être, est précisément l'opposé d'une vraie démonstration : oubliant en effet que la question ne peut jamais avoir la valeur d'une preuve, il n'a fait en somme que démontrer la question par la question elle-même.

19. [Même défaut de logique dans la critique qu'il fait] de cet autre passage, où, voulant montrer à quel point Déimaque était ignorant et peu au fait des questions de cette nature, Ératosthène a rappelé comment il plaçait l'Inde entre l'équinoxe d'automne et le tropique d'hiver et comment, choqué de l'assertion de Mégasthène, que l'on voit dans le sud de l'Inde les deux Ourses se coucher et les ombres porter alternativement en sens contraires, il soutenait, lui, qu'il n'y a pas dans toute l'étendue de l'Inde un seul lieu où se produise l'un ou l'autre de ces deux phénomènes. « Sur ces deux points, disait Ératosthène, Déimaque s'est trompé grossièrement. Il s'est trompé d'abord en croyant que, sous le rapport de la distance aux tropiques, il peut y avoir la moindre différence entre l'équinoxe d'automne et l'équinoxe du printemps, puisque les levers du soleil et le cercle décrit par cet astre sont absolument les mêmes à l'une et à l'autre équinoxes. De plus, comme la distance du tropique terrestre à l'équateur, qui sont les deux cercles entre lesquels Déimaque place l'Inde, a été réduite par une estimation plus exacte bien au-dessous de 20000 stades, il se trouve, par le fait, avoir raisonné contre lui-même et tout en notre faveur : il est impossible, en effet, avec les 20 ou 30 000 stades de largeur qu'il attribue à l'Inde, qu'elle tombe jamais entre lesdites limites, tandis qu'elle y peut tomber avec les dimensions que nous lui prêtons. Mais il s'est trompé encore et non moins grossièrement en prétendant que nulle part dans l'Inde on n'observe le coucher des deux Ourses, non plus que le renversement des ombres, puisqu'en s'avançant à 5000 stades d'Alexandrie on commence déjà à observer ce double phénomène. » Or, Hipparque critique encore toute cette argumentation d'Ératosthène, mais sans plus de fondement, avons-nous dit ; car en premier lieu il a tort de vouloir que Déimaque ait parlé du tropique d'été, quand il a formellement spécifié le tropique d'hiver (07); et tort en second lieu de penser qu'il soit absolument interdit dans une question de [géographie] mathématique d'user du témoignage d'un homme étranger à l'astronomie, comme si Ératosthène, en citant ici Déimaque, avait entendu le désigner pour son autorité principale, et qu'il eût fait autre chose qu'user d'un procédé que tout le monde emploie avec les interlocuteurs peu sérieux : n'est-ce pas, en effet, l'un des meilleurs moyens de réfuter un contradicteur frivole que de lui démontrer que son dire, quel qu'il soit, nous donne raison contre lui-même?

20. Jusqu'ici, c'est en supposant l'exactitude de ce qui a été dit tant de fois et de ce qu'on croit généralement, à savoir que l'extrémité méridionale de l'Inde est située juste à la hauteur de Méroé, que nous avons démontré l'absurdité des conséquences du système d'Hipparque. Mais comme Hipparque, qui n'y avait fait encore nulle objection, refuse dans son second livre d'admettre la susdite hypothèse, il nous faut voir aussi comment il raisonne à ce sujet. Voici ce qu'il dit en propres termes : « Dans les cas où une distance considérable sépare deux points du globe situés sous le même parallèle à l'opposite l'un de l'autre, il n'y a pas d'autre moyen de vérifier s'ils sont effectivement sous le même parallèle que d'arriver à comparer ensemble leurs climats ou positions respectives. Or, si le climat de Méroé se trouve suffisamment déterminé (et il l'est par cette circonstance, que rapporte Philon dans la Relation du voyage qu'il exécuta par mer en Éthiopie, à savoir que, quarante-cinq jours avant le solstice d'été, on y a le soleil au zénith, ainsi que par le rapport de l'ombre au gnomon que le même auteur dit y avoir été observé tant à l'époque du solstice qu'à celle de l'équinoxe, sans compter que l'opinion d'Eratosthène sur ce point se rapproche autant que possible de celle de Philon), en revanche, personne, pas même Ératosthène, n'a déterminé le vrai climat de l'Inde. Seulement s'il est vrai, ainsi qu'on le croit sur la foi de Néarque qu'on y assiste au coucher des deux Ourses, il devient impossible que Méroé et l'extrémité de l'Inde soient situées sous le même parallèle. » - De deux choses l'une pourtant : ou bien Ératosthène a ratifié ce que différents auteurs avaient dit de cette circonstance qu'on voit dans l'Inde les deux Ourses se coucher, et alors comment Hipparque a-t-il pu dire que personne, et Ératosthène pas plus que les autres, n'avait rien publié sur le climat de l'Inde, car cette circonstance du coucher des Ourses se rapporte bien, j'imagine, au climat; ou bien il est faux qu'Ératosthène ait confirmé le dire des autres sur ce point, et alors pourquoi ne l'avoir pas mis hors de cause? En fait Ératosthène ne l'a pas confirmé positivement, et, s'il a taxé Déimaque d'ignorance, pour avoir prétendu, contrairement au témoignage de Mégasthène, qu'il n'y a pas un lieu dans l'Inde entière, d'où l'on puisse assister au coucher des deux Ourses et où l'on observe le renversement alternatif des ombres, c'est qu'il avait lieu de soupçonner un double mensonge dans une assertion, dont la première partie (j'entends celle-ci que l'on ne voit nulle part dans l'Inde les ombres tomber alternativement en sens contraires) se trouvait être de l'aveu de tous, et est, de l'aveu même d'Hipparque, un mensonge notoire: car, si Hipparque ne veut pas que l'extrémité méridionale de l'Inde corresponde juste à Méroé, au moins paraît-il admettre qu'elle est plus méridionale que Syène.

21. Dans ce qui suit maintenant, Hipparque revient encore sur les mêmes questions, mais ou il ne fait que répéter ce que nous venons de réfuter, ou bien il s'appuie sur des données ou propositions fausses, ou bien encore il introduit des conséquences inexactes. Ainsi, de ce qu'Ératosthène compte depuis Babylone jusqu'à Thapsaque 4800 stades et de là vers le nord, jusqu'aux monts d'Arménie, [2]100 stades, il ne résulte pas nécessairement qu'en suivant le méridien même de Babylone on trouvera encore plus es 6000 stades entre cette ville et les monts d'Arménie : loin de dire en effet que de Thapsaque à ces montagnes il y ait 2000 stades (08), Ératosthène signale dans l'intervalle certain espace qui n'a pu être encore mesuré. Or, l'argument qu'on tire d'une donnée fausse n'offre plus rien de concluant. D'autre part, Ératosthène n'a jamais dit que Thapsaque fût situé à plus de 4500 stades au nord de Babylone.

22. Plus loin, Hipparque, qui continue à plaider la cause des anciennes cartes, citera encore inexactement Ératosthène au sujet de sa troisième sphragide ou section de la terre habitée, s'arrangeant ainsi avec une sorte de complaisance des propositions plus faciles à réfuter. On sait qu'Ératosthène, après avoir au préalable établi certaines données touchant la direction du Taurus et de la mer intérieure depuis les Colonnes d'Hercule et avoir, conformément à ces données, et au moyen d'une première ligne, divisé la terre habitée en deux parties, l'une boréale et l'autre australe, essaye de diviser encore chacune de ces parties en autant de sections, ou, pour parler comme lui, en autant de sphragides que la nature des lieux le comporte. Or, l'Inde forme la première sphragide de la partie australe et l'Ariane la seconde, et, comme l'une et l'autre de ces contrées comportent une délimitation facile, Ératosthène a pu en donner exactement la longueur et la largeur et jusqu'à un certain point la figure géométrique. Ainsi il prête à l'Inde la forme rhomboïdale, parce qu'effectivement, de ses côtés, deux sont baignés par la mer du sud et la mer orientale, sans être découpés par ces mers en golfes profonds, et que ses deux autres côtés sont limités, l'un par la chaîne de montagnes et l'autre par le fleuve, qui achèvent de lui donner une orme, à peu de chose près, rectiligne. Quant à l'Ariane, il fait remarquer que trois de ses côtés représentent assez exactement les trois côtés d'un parallélogramme, mais qu'en revanche la limite occidentale ne saurait être déterminée aussi rigoureusement, vu que de ce côté les populations limitrophes sont comme enchevêtrées les unes dans les autres, ce qui n'empêche pas qu'il n'ait cherché à la figurer par une ligne qu'il fait partir des Pyles Caspiennes, pour la mener jusqu'à l'extrémité de la Karmanie adjacente au golfe Persique, et qu'il n'appelle cette ligne le côté occidental de l'Ariane, par opposition au côté orientai quo forme l'Indus. Mais il ne dit pas que ces deux côtés soient parallèles. Il ne le dit pas même des deux autres côtés que forment la chaîne de montagnes et la mer, et se contente de les appeler l'un le côté nord, l'autre le côté sud.

23. Ératosthène ne nous a donc donné de cette seconde sphragide qu'une ébauche déjà un peu grossière, mais celle qu'il donne de la troisième l'est bien autrement et pour plus d'une raison. La première raison, nous l'avons déjà indiquée, c'est qu'il n'a pu déterminer assez rigoureusement le côté compris entre les Pyles Caspiennes et la Karmanie, lequel est commun à la troisième et à la seconde sphragide; une autre raison, c'est que, comme le golfe Persique entame profondément le côté méridional de cette sphragide (circonstance du reste qu'Ératosthène signale tout le premier), il s'est vu forcé de prendre comme ligne droite la route qui part de Babylone et s'en va par Suse et Persépolis jusqu'aux frontières de la Karmanie et de la Perse, la seule route de toute cette région qui pût lui offrir un stadiasme rigoureusement levé (le développement total de cette route est d'un peu plus de 9000 stades). Puis il a appelé ladite ligne le côté méridional de sa figure, mais sans dire qu'elle fût parallèle au côté septentrional. Il saute aux yeux malntenant que l'Euphrate, dont il s'est servi pour déterminer le côté occidental, ne forme pas davantage une ligne droite : on voit, en effet, ce fleuve à la sortie des montagnes couler au midi, puis tourner à l'est, et de nouveau se diriger au midi jusqu'à son embouchure dans la mer. Mais Ératosthène indique lui-même cette obliquité du cours du fleuve, quand il compare la forme de la Mésopotamie, cette contrée qu'enferment en se rejoignant le Tigre et l'Euphrate, à celle d'une galère garnie de ses rames telle est l'image dont il se sert. Ajoutons que le côté occidental, ainsi déterminé par le cours de l'Euphrate, n'a pas été mesuré dans toute son étendue, notamment entre Thapsaque et l'Arménie, et qu'Ératosthène avoue lui-même l'impossibilité où il s'est trouvé d'estimer la longueur de toute la partie adjacente à l'Arménie et aux montagnes du nord, faute de mesures certaines. Tels sont les différents motifs qui l'ont empêché, comme il le dit lui-même, de donner de cette troisième sphragide autre chose qu'une esquisse, combinée tant bien que mal d'après une foule de stadiasmes, dont la pl partencore étaient anonymes. Il y aurait donc déjà de l'injustice à Hipparque d'argumenter en géomètre contre une simple esquisse, qui, telle qu'elle est, a droit encore à notre reconnaissance en ce qu'elle nous donne tout au moins une idée approximative de la nature des lieux ; mais que, dans ces conditions-là, il n'observe pas même les données d'Ératosthène et qu'il fasse porter ses démonstrations géométriques sur des données purement imaginaires, c'est montrer par trop, en vérité, toute la jalousie qui l'anime.

24. Or, c'est en esquissant ainsi à grands traits sa troisième sphragide qu'Ératosthène a compté depuis les Pyles Caspiennes jusqu'à l'Euphrate une distance de 10 000 stades, qu'il décompose maintenant de la façon suivante, en se réglant sur les stadiasmes partiels qu'il avait pu se procurer, si ce n'est qu'il procède ici dans l'ordre inverse et prend son point de départ de l'Euphrate, du passage de l'Euphrate à Thapsaque : de ce point-là jusqu'au Tigre, en l'endroit où Alexandre franchit ce fleuve, il marque [2400 stades]; puis, se portant en avant par Gaugamèles et le Lycus, par Arbèles et par Écbatane, c'est-à-dire par la route même que suivit Darius dans sa fuite depuls le champ de bataille de Gaugamèles jusqu'aux Piles Caspiennes, il réussit à parfaire ses 10 000 stades, l'excédant qu'il trouve n'étant que de 300 stades. Voilà donc comment Étatosthène s'y est pris pour mesurer le côté septentrional de sa figure; mais, en suivant cette marche, il n'a pas entendu présenter ledit côté comme parallèle à la chaîne de montagnes, non plus qu'à la ligne menée par les colonnes d'Hercule, par Athènes et par Rhodes, car il savait que, si Thapsaque se trouve à une grande distance des montagnes, la route, qui va de Thapsaque aux Pyles Caspiennes, finit par rencontrer ladite chaîne de montagnes, les Pyles Caspiennes marquant ainsi l'extrémité septentrionale de la limite en question.

25. Le côté nord ainsi représenté, Ératosthène poursuit en ces termes : « pour ce qui est du côté méridional, impossible de lui faire suivre la mer, vu l'espèce de pointe que le golfe Persique forme de ce côté dans les terres; mais nous avons la route qui part de Babylone, et qui s'en va par Suse et Persépolis aboutir aux confins de la Perse et de la Karmanie, présentant une longueur de 9200 stades. » Il fait donc de cette route le côté méridional de sa figure, mais sans dire encore le moins du monde que le côté sud soit parallèle au côté nord. Il explique même la différence de longueur des deux lignes prises par lui comme côtés septentrional et méridional par cette circonstance que l'Éuphrate, après avoir coulé jusqu'en un certain point de son cours droit au midi, incline ensuite sensiblement vers l'est.
26. Des deux limites transversales, maintenant, Ératosthène décrit d'abord celle de l'O., mais il le fait de telle sorte qu'on peut se demander en vérité comment il l'a conçue au juste et si dans sa pensée elle formait une seule ligne ou deux lignes différentes. Car, s'il compte à partir du passage de Thapsaque et le long de l'Éuphrate jusqu'à Babylone 4800 stades et 3000 (09) stades de là aux bouches de l'Éuphrate et à la ville de Térédon, il avoue qu'au N. de Thapsaque il n'y a eu de mesuré que la partie qui s'étend jusqu'aux Pyles d'Arménie et qui peut bien être de 1100 stades, mais que l'autre partie, laquelle traverse la Gordyène (10) et l'Arménie, ne l'a pas été et manque par conséquent dans son calcul. Passant ensuite au côté oriental, il estime que, dans la portion qui part de la mer Érythrée et traverse. toute la Perse dans la direction de la Médie, c'est-à-dire dans la direction du nord, ce côté n'a pas moins de 8000 stades et qu'il dépasserait même 9000 stades si on le faisait partir des promontoires les plus avances, mais que, dans la portion restante, laquelle court à travers la Paraetacène et la Médie jusqu'aux Pyles Caspiennes, il ne meure guère que 3000 stades. Il ajoute que le Tigre et l'Euphrate, qui coulent au S. l'un et l'autre au sortir de l'Arménie, décrivent à eux deux, passé les montagnes de la Gordyène, un vaste cercle autour de la contrée spacieuse appelée Mésopotamie, après quoi ils tournent au levant d'hiver et au midi, l'Euphrate surtout, qui, se rapprochant de plus en plus du Tigre, vers le mur de Sémiramis et à la hauteur du village d'Opis, passe à 200 stades tout au plus de ce village, traverse ensuite Babylone et va se jeter dans le golfe Persique. « De là, dit-il, pour la Mesopotamie et la Babylonie, une configuration particuière, qui rappelle la forme d'une galère munie de ses rames. » Tel est l'ensemble du passage d'Eratosthène.

27. Dans le tracé de sa troisième sphragide Ératosthène a bien commis quelques erreurs, que nous examinerons plus loin, mais ce ne sont pas du tout celtes qu'Hipparque lui reproche. Voyons ce que dit Hipparque. Dans l'intention de fortifier encore la proposition établie par lui dès en commençant, à savoir qu'il n'y a pas lieu de déplacer l'Inde, pour la reporter davantage vers le S., ainsi que le veut Ératosthène, il prétend tirer la preuve évidente de ce fait des assertions mêmes de celui-ci. « Ainsi, dit-il, après avoir donné pour limite septentrionale à sa troisième section une ligne de 10 000 stades comprise entre les Pyles Caspiennes et l'Euphrate, Ératosthène ajoute que le côté méridional compris entre Babylone et les frontières de la Karmanie n'a guère plus de 9000 stades; que le côté du couchant, maintenant, qui présente entre Thapsaque et Babylone, le long de l'Euphrate, un développement de 4800 stades, plus 3000 stades entre Babylone et les bouches du fleuve, a été au N. de Thapsaque mesuré encore sur un espace de 1 100 stades environ, mais ne l'a plus été au delà. Or, ajoute Hipparque, si le côté nord de la troisième section est de 10 000 stades environ, quand le côté qui lui est parallèle, c'est-à-dire la droite menée de Babylone au côté du levant, n'est évalué qu'à un peu plus de 9000 stades, il est évident que Babylone se trouve plus avancée vers l'est que le passage de l'Euphrate à Thapsaque d'un peu plus de 1000 stades. »

28. Oui assurément, dirons-nous, si les Pyles Caspiennes d'une part et d'autre part la frontière de la Karmanie et de la Perse se trouvaient situées exactement sous le même méridien et que les lignes dirigées sur Thapsaque et sur Babylone fussent deux perpendiculaires abaissées de ce même méridien, assurément il en serait ainsi. Car on n'aurait qu'à prolonger jusqu'à la rencontre du méridien de Thapsaque la ligne qui aboutit à Babylone, pour qu'elle devînt sensiblement égale ou peu s'en faut à la ligne qui joint les Pyles Caspiennes et Thapsaque, et de la sorte en effet Babylone se trouverait plus orientale que Thapsaque de tout ce que la ligne tirée des Pyles Caspiennes à Thapsaque a de plus en longueur que celle qui va de la frontière de Karmanie à Babylone. Mais Ératosthène n'a pas dit que la ligne, qui forme le côté occidental de l'Ariane, s'étendît dans le sens même du méridien ; il n'a pas dit davantage de la ligne tirée des Pyles Caspiennes à Thapsaque qu'elle fût perpendiculaire au méridien des Pyles Caspiennes; de la ligne que décrit la chaîne de montagnes, à la bonne heure : or la ligne dirigée sur Thapsaque part du même point que la ligne formée par la chaîne de montagnes et fait un angle avec celle-ci. Eratosthène n'a pas dit non plus que la ligne qui joint la frontière de Karmanie et Babylone fût parallèle à la ligne qu'il mène sur Thapsaque. Mais lui fût-elle parallèle, du moment que celle-ci n'est pas perpendiculaire au méridien des Pyles Caspiennes, Hipparque ne saurait s'en prévaloir davantage dans la conclusion de son raisonnement.

29. Ce n'est pas tout pourtant, et, après avoir pris lesdites propositions comme autant de points acquis à la discussion, après avoir cru démontrer de la sorte qu'Ératosthène lui-même avait fait Babylone plus orientale que Thapsaque d'un peu plus de 1000 stades, Hipparque s'est forgé encore un nouveau lemme pour la suite de sa démonstration. « Qu'on imagine, dit-il, une droite menée depuis Thapsaque dans la direction du midi jusqu'à la rencontre d'une perpendiculaire abaissée de Babylone, il en résultera un triangle rectangle composé d'abord de la ligne qui joint Thapsaque et Babylone, en second lieu de la perpendiculaire abaissée de Babylone sur le méridien de Thapsaque et finalement du méridien même de Thapsaque. » De la première ligne comprise entre Thapsaque et Babylone et longue, suivant lui, de 4800 stades, il fait l'hypoténuse du triangle. Il donne ensuite à la perpendiculaire abaissée de Babylone sur le méridien de Thapsaque un peu plus de 1000 stades, juste autant que ce que la ligne menée jusqu'à Thapsaque a de plus en longueur que la ligne qui s'arrête à Babylone; et de ces longueurs il conclut pour le côté restant, c'est-à-dire pour l'autre côté de l'angle droit, une longueur sensiblement plus grande que celle de la perpendiculaire en question. Puis il ajoute à ce même côté la ligne qu'Ératosthène mène depuis Thapsaque dans la direction du nord jusqu'aux montagnes d'Arménie. Mais Ératosthène avait eu soin de dire que ladite ligne n'avait été mesurée que dans une portion de son parcours, sur un espace de 1100 stades environ, et qu'il en avait négligé le reste dans son calcul faute de mesure positive. Hipparque, lui, suppose à cette dernière portion de la ligne une longueur de 1000 stades au moins, ce qui donne pour les deux ensemble 2100 stades. Or, en ajoutant ces 2100 stades à la longueur du côté de son triangle qui est opposé à l'hypoténuse et qui a été mené jusqu'à la rencontre de la perpendiculaire abaissée de Babylone, il obtient par le fait une distance de plusieurs milliers de stades depuis les monts d'Arménie et le parallèle d'Athènes jusqu'à la susdite perpendiculaire menée depuis Babylone, laquelle se confond avec le parallèle de Babylone.
D'autre part, cependant, il établit qu'en prenant pour mesure du méridien entier le nombre de stades fixé par Ératosthène, on ne trouve pas plus de 2400 stades pour la distance du parallèle d'Athènes à celui de Babylone et que par conséquent les montagnes d'Arménie et la chaîne du Taurus ne sauraient être placées sur le même parallèle qu'Athènes, comme le veut Ératosthène, mais qu'elles doivent être, d'après les données mêmes de celui-ci, reculées vers le nord de plusieurs milliers de stades. Or ici, indépendamment de ce qu'il s'est servi, pour la construction de son triangle, de propositions dont nous avons démontré la fausseté, Hipparque prend encore pour une donnée de la question ce qui n'en est pas une, à savoir que l'hypoténuse de son triangle, autrement dit la droite qui joint Thapsaque et Babylone a 4800 stades de longueur. Car Ératosthène dit formellement que cette longueur est celle de la route qui suit le cours de l'Éuphrate, et il fait remarquer en même temps que la Mésopotamie, y compris la Babylonie, forme un vaste cercle dont la circonférence est décrite par l'Euphrate et le Tigre, mais principalement par l'Euphrate, de sorte que la droite tirée entre Thapsaque et Babylone ne saurait en aucune façon longer l'Euphrate, ni mesurer à beaucoup près un si grand nombre de stades. Voilà donc le raisonnement d'Hipparque détruit. D'autant qu'on a montré plus haut comment il était impossible que deux lignes données pour se diriger à partir des Pyles Caspiennes, l'une sur Thapsaque, l'autre sur tel point de la chaîne des monts d'Arménie situé à l'opposite de Thapsaque et à une distance de cette ville qu'Hipparque lui même fait de 2100 stades au moins, fussent parallèles soit entre elles, soit avec la ligne menée par Babylone , c'est-à-dire avec le côté méridional de la sphragide d'Ératosthène. Faute de pouvoir indiquer la mesure exacte de la route qui borde les montagnes, qu'a fait Ératosthène ? Il nous a donné à la place la mesure de la route comprise entre Thapsaque et les Pyles Caspiennes, mais en ayant soin d'ajouter qu'il ne la donnait que comme un à peu près. Il lui importait peu d'ailleur, du moment qu'il ne voulait qu'indiquer la longueur de la contrée qui succède à l'Ariane et s'étend jusqu'à l'Euphrate, de mesurer une ligne plutôt que l'autre. Qu'Hipparque néanmoins ait affecté de croire qu'Ératosthène avait voulu parler là de lignes parallèles, autant valait lui dire qu'il le trouvait aussi ignorant qu'un écolier. Des critiques aussi puériles ne méritent pas qu'on s'y arrête.

30. Voici en revanche ce qu'on pourrait sérieusement reprocher à Ératosthène. De même qu'en anatomie on distingue la division par membres de la simple division, de la division grossière en parties prises au hasard, la division par membres procédant d'après la délimitation naturelle des parties et suivant leurs articulations et leurs principaux contours, ainsi qu'Homère le dit dans ce vers,

Ayant divisé la victime membre à membre (11),

tandis que l'autre méthode n'offre rien de pareil , et de même que l'on emploie l'une ou l'autre méthode en son lieu, suivant la circonstance et le besoin, de même en géographie, où il nous faut procéder aussi à la division complète des parties, nous devons imiter la dissection par membres plutôt que la division en parties prises au hasard, car c'est ainsi seulement que nous pourrons obtenir ces traits ou caractères distinctifs et ces délimitations rigoureuses, dont le géographe a surtout besoin. Or, pour qu'une contrée soit bien délimitée, il faut autant que possible qu'elle le soit à l'aide des fleuves, des montagnes ou de la mer, à l'aide encore de la nationalité une ou multiple de ses habitants, à l'aide enfin, si faire se peut, d'une détermination exacte de son étendue et de sa figure. Dans tous les cas, une simple indica tion à grands traits suffira, sans qu'il faille chercher la précision géométrique. S'agit-il de l'étendue, il suffira d'indiquer le maximum de la longueur et de la largeur, de dire, par exemple, au sujet de la terre habitée, qu'elle a en longueur 70 000 stades, et en largeur un peu moins de la moitié de sa longueur; s'agit-il de la configuration, il suffira de la comparer soit à une figure géométrique quelconque, comme quand on dit que la Sicile a la forme d'un triangle, soit à telle autre image généralement connue, comme quand on compare l'Ibérie à une peau de boeuf et le Péloponuèse à une feuille de platane Et plus sera grande la région à partager, plus aussi la division à grands traits se trouvera être de mise.

31. Cela posé, on voit que la division de la terre habitée en deux parties au moyen de la chaîne du Taurus et de la mer jusqu'aux Colonnes d'Hercule est bonne. Dans la portion australe de la terre, la délimitation de l'Inde, au moyen de lignes de différente nature, est bonne également : bornée en effet à la fois par une chaîne de montagnes, par un fleuve, par une mer; désignée, qui plus est, par un nom unique, ce qui implique l'unité de nation, l'Inde peut être en outre qualifiée exactement de quadrilatère rhomboïde. L'Ariane, moins complètement circonscrite, par la raison que son côté occidental ne se dégage pas nettement d'autres lignes, se trouve pourtant encore suffisamment déterminée par trois de ses côtés, qui forment autant de lignes droites, et par le nom qu'elle porte, lequel se trouve être celui d'une seule et même nation. En revanche, la troisième sphragide, à la façon du moins dont Ératosthène l'a délimitée, demeure parfaitement indéterminée (12) : le côté qui lui est commun avec l'Ariane risque d'être confondu avec d'autres lignes, ainsi que nous l'avons déjà dit, et le côté méridional a été tracé le plus négligemment du monde : car, au lieu de fermer et de border la sphragide, il la traverse par le milieu, laissant ainsi au midi une bonne partie des terres qui en dépendent, sans compter qu'il n'en représente pas toute la longueur, puisque le côté nord est sensiblement plus long. L'Euphrate n'en saurait former non plus le côté occidental, coulât-il même en ligne droite, puisque les extrémités de son cours ne se trouvent pas sous le même méridien, tellement qu'on se demande pourquoi Ératosthène en a fait plutôt le côté occidental que le côté méridional de sa figure. Quand on pense, en outre, au peu d'espace qui lui restait à franchir pour atteindre la mer de Syrie et de Cilicie, on ne peut s'expliquer qu'il n'ait pas reculé jusque-là les bornes de sa sphragide, d'autant mieux qu'on qualifie toujours de princes syriens Sémiramis et Ninus qui avaient, comme on sait, pour capitales et pour lieux de résidence, Sémiramis, la ville de Babylone, et Ninus, la ville de Ninive, souvent appelée la métropole générale de la Syrie; ajoutez que, de nos jours encore, sur les deux rives de l'Euphrate les populations parlent une seule et même langue, et qu'il n'est nullement raisonnable de couper en deux par une ligne de démarcation arbitraire une nation aussi connue que celle-là, qui se trouve avoir de la sorte telles de ses parties rejetées parmi des nationalités étrangères. De plus, Ératosthène ne pourrait pas dire que les dimensions déjà excessives de sa sphragide l'ont forcé à agir comme il a fait, puisque, prolongée même jusqu'à la mer, et augmentée de tout le pays qui s'étend jusqu'aux confins de l'Arabie Heureuse et de l'Égypte, elle n'égalerait pas encore l'Inde, ni même l'Ariane. Il eût donc beaucoup mieux valu s'avancer jusque-là et donner pour côté méridional à la troisième sphragide, ainsi augmentée de tout le pays jusqu'à ]a mer de Syrie, au lieu de la limite que trace Ératosthène, au lieu d'une simple ligne droite, le littoral lui-même, à partir de la Karmanie, c'est-à-dire tout le littoral qu'on longe à droite en entrant dans le golfe Persique jusqu'aux bouches de l'Euphrate ; puis, à partir de là, ledit côté aurait rejoint la frontière commune à la Mésène et à la Babylonie, laquelle marque en même temps le commencement de l'isthme qui sépare l'Arabie Heureuse du reste du continent; il aurait ensuite traversé l'isthme et se serait prolongé jusqu'au fond dn golfe Arabique, jusqu'à Péluse, voire même jusqu'à la bouche Canopique du Nil. Tel eût pu être le côté méridional de la troisième sphragide, et, quant au côté occidental restant, il eût été formé par cet autre littoral compris entre la bouche Canopique et la Cilicie.

32. La quatrième sphragide se serait composée alors et de l'Arabie Heureuse et du golfe Arabique, de l'Égypte tout entière et de l'Éthlopie, et elle aurait été bornée dans le sens de sa longueur par deux méridiens, passant l'un parle point le plus occidental, l'autre par le point le plus oriental de ladite sphragide, et dans le sens de sa largeur par deux parallèles passant l'un par le point le plus septentrional, l'autre par le point le plus méridional. Car c'est ainsi qu'il faut déterminer l'étendue des figures irrégulières, dont on ne peut mesurer exactement la longueur ni la largeur sur les côtés mêmes. Mais ici il y a à faire une observation générale, c'est que la longueur et la largeur ne peuvent plus s'entendre de la même façon, suivant qu'il s'agit du tout ou de la partie : s'agit-il du tout, on appellera longueur la plus grande, largeur la moins grande des deux dimensions; s'agit-il de la partie, sans tenir compte de la grandeur relative des deux dimensions, on appellera longueur celle des deux qui se trouvera être parallèle à la longueur totale, la dimension prise comme largeur fût-elle plus grande que celle qu'on aurait prise pour exprimer la longueur. Et, comme la terre s'étend en longueur du levant au couchant, et en largeur du nord au sud, et que sa longueur est représentée par une ligne parallèle à l'équateur, tandis que sa largeur se compte sur le méridien même, dans le cas où l'on considère seulement des parties de la terre, il faut représenter les dimensions de longueur et de largeur desdites parties par des lignes qui soient parallèles les unes à la longueur, les autres à la largeur totale de la terre. De la sorte, en effet, on arrivera à exprimer plus exactement l'étendue de la terre entière, ainsi que la disposition et la figure de toutes ses parties, puisque la simple comparaison suffira ensuite à montrer ce qu'elles ont de plus ou de moins les unes que les autres.

33. Ératosthène cependant, après avoir mesuré la longueur totale de la terre habitée, suivant une ligne qu'il suppose droite et qu'il fait passer par les Colonnes d'Hercule, les Pyles Caspiennes et le Caucase, prend la longueur de sa troisième sphragide sur une ligne qu'il mène entre les Pyles Caspiennes et Thapsaque, et la longueur de la quatrième sur une ligne qui, menée par Thapsaque et Héroopolis jusqu'au pays compris entre les bouches du Nil, doit aboutir aux environs de Canope et d'Alexandrie, puisque c'est là que se trouve la dernière des bouches du fleuve, dite Canopique ou Héracléotique. Or, qu'il place bout à bout ces longueurs partielles, de manière à en former une seule et même ligue droite, ou qu'il fasse faire à ses deux lignes un angle à Thapsaque, toujours est-il qu'il ne les a prises ni l'une ni l'autre parallèles à la longueur totale de la terre, la chose ressort clairement de ses paroles. Comment trace-t-il en effet, cette longueur totale de la terre habitée ? A l'aide de la chaîne du Taurus et de la mer qui, jusqu'aux Colonnes d'Hercule, en forme le prolongement direct, et suivant une ligne qu'il fait passer par le Caucase, par Rhodes et par Athènes. De Rhodes à Alexandrie maintenant, et en suivant le méridien qui passe par ces deux villes, il compte à peu de chose près 4000 stades: telle sera donc, d'après lui, la distance qui sépare le parallèle de Rhodes de celui d'Alexandrie. Mais le parallèle d'Héroopolis est comme qui dirait le même que celui d'Alexandrie (dans le fait il est un peu plus méridional) : par conséquent la ligne, droite ou brisée, qui viendra rencontrer le parallèle de cette ville et celui de Rhodes et des Pyles Caspiennes, ne pourra être en aucune façon parallèle à l'une ou l'autre de ces deux lignes. Ici donc les longueurs ont été mal prises. Celles des sections de l'hémisphère boréal ne l'ont pas été mieux.

34. Mais avant de le montrer, revenons à Hipparque et voyons ce qu'il dit maintenant : continuant à raisonner d'après les données qu'il se forge à lui-même, il affecte de réfuter géométriquement ce qu'Ératosthène n'a présenté que comme une esquisse à grands traits. Ainsi, à l'entendre, il résulterait des distances indiquées par Ératosthène, à savoir d'une première distance de 6700 stades, comptée entre Babylone et les Pyles Caspiennes, et d'une autre de plus de 9000 stades, marquée entre Babylone et la frontière de Karmanie et de Perse, et prise sur une ligne menée droit au levant équinoxial, perpendiculairement à ce côté commun de la deuxième et de la troisième sphragide, il résulterait, dis-je, un triangle rectangle ayant son angle droit à la frontière de Karmanie, mais son hypoténuse moindre que l'un des deux côtés de l'angle droit, d'où il suit que la Perse aurait dû être comprise dans la deuxième sphragide. A cela il a été déjà répondu que, du moment qu'Ératosthène n'avait pas mesuré la distance de Babylone à la Karmanie sur un parallèle, ni pris dans le sens même du méridien la droite qui forme la ligne de démarcation des deux sphragides, Hipparque n'articulait proprement rien de sérieux contre lui. Hipparque n'a pas eu plus raison dans ce qui suit. Ainsi, sur ce qu'Ératosthène avait marqué entre les Pyles Caspiennes et Babylone le nombre de stades que nous avons dit, puis 4900 stades entre les Pyles Caspiennes et Suse, et 3400 stades entre Suse et Babylone, Hipparque, partant toujours d'hypothèses à lui, a joint ces trois points ensemble, les Pyles, Suse et Babylone, et composé de la sorte un triangle soi-disant obtusangle, ayant son angle obtus à Suse et ses divers côtés de la longueur même marquée par Ératosthène; puis, de cette construction il déduit que le méridien des Pyles Caspiennes devra nécessairement couper le parallèle de Babylone et de Suse plus de 4400 stades à l'ouest du point où le même parallèle est coupé par la droite qui va des Pyles Caspiennes à la frontière de la Karmanie et de la Perse, que la même ligne, passant par les Pyles Caspiennes et la frontière de Karmanie et Perse, fera avec le méridien des Pyles Caspiennes à peu près un demi-angle droit, inclinant ainsi entre le midi et le levant équinoxial, qu'enfin le cours de l'Indus lui sera parallèle et devra, par conséquent, au lieu de tendre droit au midi à sa sortie des montagnes, comme le marque Ératosthène, se diriger aussi entre le midi et le levant équinoxial, ainsi qu'il est figuré sur les anciennes cartes. Mais, comment accorderions-nous à Hipparque que le triangle qu'il vient de former de la sorte est obtusangle, quand nous n'accordons pas que le triangle qui le contient soit rectangle? Comment lui accorderions-nous que la droite qui joint Babylone à Suse, et qui forme, d'après lui, l'un des côtés de l'angle obtus, se dirige dans le sens même d'un parallèle, quand nous ne l'accordons pas pour la ligne totale prolongée jusqu'à la Karmanie? Comment lui accorderions-nous enfin que la ligne menée des Pyles Caspiennes aux confins de la Karmanie est parallèle au cours de l'Indus? Sans toutes ces conditions pourtant, son raisonnement tombe à faux. Hipparque prétendait en outre que, comme Ératosthène avait prêté à l'Inde la forme rhomboïdale, et que le côté oriental de cette sphragide s'étend beaucoup dans l'est, vu qu'il se trouve là prolongé encore de tout un promontoire fort saillant qui, se dirigeant en même temps au sud, dépasse tout le reste du littoral de ce côté, il devait en être de même pour le côté que borde l'Indus. 

35 Dans tout ceci Hipparque argumente en géomètre, sans doute; mais son raisonnement n'en est pas plus convaincant. Car il semble s'être condamné lui-même et avoir voulu justifier Ératosthène, en ajoutant ce qui suit, « que l'erreur d'Ératosthène eût été pardonnable, s'il se fût agi seulement de faibles distances, mais que, comme les distances sur lesquelles elle porte sont de plusieurs milliers de stades, on ne saurait la lui passer, après qu'il a déclaré surtout qu'une simple distance de 400 stades suffisait à mettre entre deux parallèles, entre le parallèle d'Athènes et celui de Rhodes, par exemple, une différence sensible ». Les jugements de nos sens, en effet, ne sont pas tous de même nature, ils comportent, suivant les cas, une latitude plus ou moins grande, une latitude plus grande, quand, pour juger des climats ou de la situation respective des lieux, nous consultons seulement le témoignage de nos yeux, la nature des productions ou la différence de température, une latitude moins grande, quand nous employons les instruments de gnomonique et de dioptrique. Aussi conçoit-on que les parallèles d'Athènes, de Rhodes et de Carie, pris à l'aide du gnomon, aient pu présenter entre eux des différences sensibles, malgré la faible distance qui les sépare. Mais quand un géographe, dans un espace pouvant avoir une largeur de 30 000 stades et une longueur de 70 000 représentée par une chaîne de montagnes de 40000 stades et une mer de 30000, tire une ligne du couchant au levant équinoxial et détermine des deux côtés de cette ligne une région méridionale et une région septentrionale, qu'il partage à leur tour en carreaux et en sphragides, rendons-nous bien compte du sens qu'il prête à chacun des termes qu'il emploie et de ce qu'il entend au juste par côtés nord et sud, côtés est et ouest de sa figure : que si maintenant il laisse passer, sans y faire attention, quelque erreur un peu trop forte, qu'il en porte la peine (rien de plus juste) ; mais reconnaissons, en même temps, qu'il serait tout aussi répréhensible de n'avoir pas négligé les erreurs minimes. Eh bien! Dans le cas présent, Ératosthène n'a encouru ni l'un ni l'autre de ces reproches; car la grande latitude qu'il s'est donnée en opérant empêche qu'il ne tombe sous le coup d'une argumentation géométrique, et Hipparque, qui prétend l'y soumettre, ne le fait qu'en substituant à ses données celles qu'il lui a plu de forger à sa convenance.

36. Touchant la quatrième section ou sphragide, les critiques d'Hipparque sont beaucoup mieux fondées, quoiqu'il s'y mêle encore trop de cet amour de la chicane et de cette persistance à s'appuyer toujours sur les mêmes hypothèses ou sur des hypothèses presque identiques. Il a raison, par exemple, de reprocher à Ératosthène d'avoir pris pour représenter la longueur de cette section la ligne comprise entre Thapsaque et l'Égypte, ce qui équivaut à prendre pour longueur d'un parallélogramme son diamètre, car Thapsaque et la côte d'Égypte ne se trouvent point sur le même parallèle, mais sur des parallèles fort éloignés l'un de l'autre, et, entre ces deux parallèles, la ligne, qui va depuis Thapsaque jusqu'à l'Égypte, se prolonge obliquement en façon de diagonale. Mais quand il s'étonne qu'Ératosthène ait osé réduire à 6000 stades la distance de Péluse à Thapsaque, alors qu'elle est de plus de 8000, il a tort à son tour. Il pose en lait d'abord, après démonstration, que le parallèle de Péluse est de 2500 stades plus méridional que celui de Babylone, puis, croyant citer exactement Ératosthène, il lui fait dire que le parallèle de Thapsaque est de 4800 stades plus septentrional que celui de Babylone, et c'est ainsi qu'il parlait cette somme de plus de 8000 stades. Mais où a-t-il vu dans Ératosthène que la distance était aussi considérable entre le parallèle de Babylone et celui de Thapsaque, ceci reste un problème pour moi. Ératosthène a bien dit que de Thapsaque à Babylone la distance était de 4800 stades, mais il n'a pas dit que cette distance fût prise d'un parallèle à l'autre, et cela par une bonne raison, c'est que nulle part il ne place ces deux villes sous le même méridien. Cela est si vrai qu'Hipparque lui-même a établi ailleurs que du système d'Ératosthène il résultait que Babylone se trouvait plus avancée que Thapsaque vers l'est de 2000 stades et plus (13). Nous aussi nous avons cité telle allégation d'Eratosthène, de laquelle le même fait semblait résulter, celle-ci notamment, que le Tigre et l'Éuphrate décrivent un cercle autour de la Mésopotamie et de la Babylonie et que c'est le cours de l'Éuphrate qui forme la plus grande partie de la courbe, puisqu'après avoir coulé du N. au S. il tourne au levant, pour se diriger de nouveau au midi. Or, si cette première direction du N. au S. peut à la rigueur coïncider avec celle du méridien, ce coude vers l'E. pour atteindre Babylone implique une déviation par rapport à la direction du méridien, en même temps que la courbe décrite exclut toute idée de ligne droite. De plus, en nous disant que la distance de Thapsaque à Babylone était de 4800 stades, Ératosthène a ajouté comme à dessein « prise le long de l'Euphrate, » pour éviter précisément qu'on n'entendit ce qu'il avait dit d'un chemin en ligne directe et d'une mesure rigoureuse de l'intervalle des deux parallèles. Mais, du moment que nous refusons d'accorder à Hipparque ce premier point, ce qu'il prétend démontrer ensuite tombe de soi-même, à savoir que dans le triangle rectangle, formé en joignant les deux points de Péluse et de Thapsaque au point d'Intersection du méridien de Thapsaque et du parallèle (14) de Péluse, l'un des côtés de l'angle droit, celui qui est tracé dans le sens même du méridien, est plus grand que l'hypoténuse, autrement dit que la droite tirée de Thapsaque à Péluse. Et la proposition qui tient à celle-là tombe également d'elle-même, puisqu'elle découle de données que nous n'accordons pas davantage. Ératosthène , en effet, n'a donné nulle part le nombre de 4800 stades pour être la distance de Babylone aux Pyles Caspiennes, et, comme nous l'avons prouvé, c'est de données tout autres que celles d'Ératosthène qu'Hipparque a tiré cette conclusion; il voulait infirmer ce qu'avait dit Ératosthène, il a supposé alors que la distance entre Babylone et la ligne menée par Ératosthène des Pyles Capiennes aux confins de la Karmanie était de plus de 9000 stades, et a pu démontrer de la sorte ce qu'il voulait.

37. Non, ce n'était pas là ce qu'il y avait à reprendre chez Ératosthène; il fallait montrer comment toutes les grandeurs et figures, si largement qu'on les traite, doivent, être pourtant susceptibles d'une mesure quelconque, et comment on peut dans certains cas accorder plus de latitude que dans d'autres. Et, en effet, étant donnée une largeur de 3000 stades comme celle qui est attribuée ici et à la chaîne de montagnes qui court au levant équinoxial et à la mer qui se prolonge jusqu'aux Colonnes d Hercule, on vous laissera plus aisément assimiler à une droite unique les différentes lignes que vous aurez menées dans ledit intervalle parallèlement à la direction soit des montagnes, soit de la mer, qu'on ne vous le laissera faire pour des sécantes; s'agit-il seulement de sécantes, on l'admettra plus aisément de sécantes internes que de sécantes externes, plus aisément de lignes qui, dans leur divergence, ne seront pas sorties desdites limites, que de celles qui en seront sorties, plus aisément enfin de lignes plus longues que de lignes plus courtes, les inégalités de longueur et les différences de figures ayant ainsi plus de chance de ne pas être aperçues. Supposons donc pour la chaîne entière du Taurus et pour la mer qui se prolonge jusqu'aux Colonnes d'Hercule une largeur constante de 3000 stades, nous pouvons imaginer un vaste parallélogramme inscrivant à la fois et la chaîne de montagnes et la mer tout entière. Que si maintenant nous le partageons, dans le sens de sa longueur, en plusieurs parallélogrammes et que nous prenions, avec le diamètre du parallélogramme total, ceux des parallélogrammes partiels, le diamètre du parallélogramme total, plutôt que la somme des diamètres des parallélogrammes partiels, pourra être considéré comme l'équivalent, le parallèle et l'égal (15) du côté qui représente la longueur même de la figure. Et moins le parallélogramme partiel sera grand, plus ceci sera vrai, puisque l'obliquité du diamètre et son infériorité de longueur se trahissent moins dans les figures de grande dimension, ce qui permet même quelquefois d'en prendre le diamètre pour la longueur. Pour peu cependant qu'on exagérât l'obliquité du diamètre jusqu'à lui faire dépasser soit l'un et l'autre côté de la figure, soit seulement l'un de ses côtés, il n'en serait plus de même. Tel est, je le répète, le genre de mesure à appliquer aux espaces délimités à grands traits. Or, quand Eratosthène fait partir d'un même point, à savoir des Pyles Caspiennes, 1° une ligne qui est censée suivre toujours le même parallèle le long de la chaîne de montagnes et à travers la mer jusqu'aux Colonnes d'Hercule, 2° une autre ligne qui, s'écartant tout d'abord beaucoup des montagnes, se dirige sur Thapsaque, puis se continue à partir de Thapsaque par une nouvelle droite assez étendue pour atteindre jusqu'à l'Égypte, et qu'il prétend enfin mesurer la longueur totale de la figure par la longueur même de cette seconde ligne, n'a-t-il pas l'air de vouloir mesurer par le diamètre la longueur de son quadrilatère? Et, si au lieu du diamètre il prend une ligne brisée, n'aggrave-t-il pas encore sa faute? Eh bien! L'on ne peut voir qu'une ligne brisée dans celle qu'il mène des Pyles Caspiennes par Thapsaque jusqu'au Nil. Voilà ce qu'on pouvait reprocher à Ératosthène.

38. Ce qu'il y aurait maintenant à dire à Hipparque c'est qu'à la critique des opinions d'Ératosthène il était tenu de joindre une rectification telle quelle de ses erreurs, ainsi que nous procédons nous-même. Mais tout ce qu'il fait, quand parfois il y pense, c'est de nous renvoyer invariablement aux anciennes cartes géographiques, lesquelles auraient pourtant, infiniment plus que la carte d'Ératosthène, besoin d'être rectifiées. Suit une nouvelle objection qui pèche toujours par le même vice, puisqu'ici encore Hipparque s'appuie [pour condamner Ératosthène] sur une proposition qui, ainsi que nous le lui reprochions tout à l'heure, ne résulte pas le moins du monde de données propres à Ératosthène, à savoir que, si Babylone se trouve plus avancée vers l'est que Thapsaque, la différence n'est pas de plus de 1000 stades Cela (16) étant, et quand il résulterait maintenant de telle ou telle allégation d'Ératosthène qu'il faisait Babylone plus orientale que Thapsaque de plus de 2400 stades, comme il est avéré que le plus court trajet entre Thapsaque et le point du Tigre, où Alexandre franchit ce fleuve, est de 2400 stades, et que l'Euphrate et le Tigre, tout le temps qu'ils enveloppent la Mésopotamie, coulent directement vers l'E., pour tourner ensuite au midi, et se rapprocher l'un de l'autre, ainsi que de Babylone, nous ne voyons pas que le raisonnement offre en soi rien d'absurde.

39. Même injustice dans le chef d'accusation qui fait suite à celui-ci et qui consiste à prétendre que la distance entre Thapsaque et les Pyles Caspiennes, qu'Ératosthène a faite de 10 000 stades, mais sans dire qu'elle eût été mesurée en ligne directe (car une droite entre ces deux points eût été infiniment plus courte), a été prise par lui bel et hier en ligne droite. Voici du reste quelle est la marche du raisonnement d'Hipparque : il pose en fait d'abord que, de l'aveu même d'Ératosthène, le méridien de la bouche Canopique n'est pas différent de celui des Cyanées et se trouve éloigné du méridien de Thapsaque de 6300 stades; que les Cyanées, maintenant, sont à 6600 stades du mont Caspius, lequel domine le col par où l'on descend de la Colchide aux rivages de la mer Caspienne, si bien qu'à 300 stades près le méridien des Cyanées est également distant et de Thapsaque et du mont Caspius; qu'on peut alors considérer Thapsaque et le mont Caspius comme situés sous le même méridien. « Mais, ajoute-t-il, si l'on peut conclure de là que les Pyles Caspiennes se trouvent à la même distance de Thapsaque et du Caspius, il s'ensuit aussi que cette distance ne saurait mesurer à beaucoup près les 10 000 stades que marque Ératosthène entre les Pyles Caspiennes et Thapsaque : une ligne droite, en effet, tirée entre ces deux points serait bien loin d'atteindre à 10 000 stades de longueur, et ce n'est donc que d'un trajet en ligne courbe que l'on peut entendre les 10 000 stades qu'Ératosthène a attribués au trajet direct des Pyles Caspiennes à Thapsaque. » A notre tour nous répondrons à Hipparque qu'Ératosthène, conformément aux habitudes géographiques, ne se pique point d'une rigueur, d'une exactitude parfaites dans le choix des droites, voire même des méridiens et des parallèles qu'il emploie, tandis que lui le juge avec toute la sévérité du géomètre, comme il pourrait le faire si Ératosthène eût tracé toutes ses lignes au moyen d'instruments. Et pourtant Hipparque lui-même ne s'est pas toujours servi d'instruments, il lui est arrivé souvent d'user de conjectures pour mener les perpendiculaires et les parallèles dont il avait besoin, Sur ce point-là donc déjà Hipparque a tort; il a tort en outre de ne pas reproduire exactement les distances, telles qu'Ératosthène les indique et de faire porter ses critiques non point sur les nombres mêmes d'Ératosthène, mais sur ceux qu'il lui a plu d'imaginer. Ainsi, premier exemple, tandis qu'Ératosthène compte depuis l'entrée du Pont-Euxin jusqu'au Phase 8000 stades, plus 600 stades du Phase à Dioscurias et de Dioscurias au col du Caspius cinq journées de marche, c'est-à-dire 1000 stades d'après l'évaluation même d'Hipparque, en tout, au calcul d'Ératosthène, 9600 stades, Hipparque, lui, retranche une partie de cette somme et ne compte plus que 5600 stades depuis les Cyanées jusqu'au Phase, plus 1000 stades de là au Caspius. Mais, alors, ce n'est plus d'après Ératosthène, c'est d'après Hipparque que le mont Caspius et Thapsaque se trouvent situés quasi sous le même méridien. D'ailleurs, supposons qu'Ératosthène lui-même l'ait entendu ainsi, s'ensuivra-t-il pour cela que la ligne tirée par lui du mont Caspius aux Pyles Caspiennes doive être juste aussi longue que celle qui joint Thapsaque au même point?

40. Dans son second livre, Hipparque, après être revenu encore sur cette idée de la séparation de la terre habitée en deux parties par la chaîne du Taurus, idée sur laquelle nous nous sommes, nous, bien suffisamment étendu, Hipparque passe à la partie boréale de la terre habitée. Il expose ensuite tout ce qu'Ératosthène a dit des contrées qui font suite au Pont, notamment des trois grands promontoires de l'Éurope, de celui du Péloponnèse, de celui de l'Italie, et de celui de la Ligystique, lesquels s'avancent du nord au sud et interceptent entre leurs côtés les golfes Adriatique et Tyrrhénique, puis, une fois les choses exposées ainsi dans leur généralité, ii les reprend et les réfute en détail, mais, comme toujours, plutôt en géomètre qu'en géographe. Ici, du reste, les erreurs commises et par Ératosthène et par Timosthène, l'auteur d'une Description des ports, qu'Eratosthène loue d'une façon tout exceptionnelle, bien qu'on les trouve souvent tous deux en désaccord ensemble, ces erreurs, dis-je, sont en si grand nombre que je n'ai cru utile d'examiner en règle ni ce qu'ils ont dit l'un et l'autre, leurs allégations étant si fort éloignées de la réalité, ni les critiques qu'en fait Hipparque, d'autant que celui-ci passe sous silence une partie de leurs erreurs et qu'au lieu de rectifier les autres il se borne à noter les mensonges du les contradictions. A la rigueur, on eût pu reprocher encore à Ératosthène d'avoir réduit à trois le nombre des grands promontoires d'Europe, en prenant pour un seul - celui dont fait partie le Péloponnèse, bien qu'il se scinde, si l'on peut dire, en plusieurs, puisque le Sunium est un promontoire au même titre que la pointe de Laconie, qu'il n'est guère moins méridional que le cap Malées et qu'il forme un golfe considérable, et puisque de son côté la Chersonèse de Thrace forme, en s'avançant à la rencontre du Sunium, le golfe Mélas, d'abord, et les différents golfes de Macédoine à la suite. Mais pourquoi recourir à cet autre argument, quand l'évaluation manifestement erronée qu'Ératosthène donne ici de la plupart des distances suffit à attester la complète ignorance où il était relativement à la géographie de ces contrées, ignorance telle qu'il n'est plus besoin d'en donner la preuve géométrique, mais qu'elle saute aux yeux d'abord et se trahit en quelque sorte d'elle-même? Ainsi, le trajet d'Épidamne au golfe Thermaïque est de plus de 2000 stades, Ératosthène le réduit à 900; il porte au contraire à plus de 13000 celui d'Alexandrie à Carthage, qui n'excède pas 9000 stades, s'il est vrai, comme Ératosthène lui-même le dit, que la Carie et Rhodes soient sur le même méridien qu'Alexandrie et le détroit de Sicile sur le même méridien que Carthage : or, tout le monde s'accorde à penser que la traversée de Carie au détroit de Sicile n'est pas de plus de 9000 stades. A la rigueur, quand il s'agit d'intervalles considérables, il peut être permis d'identifier deux méridiens, dont le plus occidental se trouverait placé par rapport au plus oriental à la même distance où Carthage se troue à l'ouest du détroit de Sicile, mais une différence de 3000 [lis. 4000 (17)] stades constitue une erreur par trop sensible. En plaçant enfin, comme il l'a fait, Rome sur le même méridien que Carthage, Rome située tellement plus à l'ouest, Ératosthène a achevé de montrer que rien n'égalait son ignorance touchant la géographie de ces contrées et naturellement aussi de celles qui suivent jusqu'aux Colonnes d'Hercule.

41. Hipparque, qui écrivait non pas un traité de géographie, mais simplement un examen de la géographie d'Ératosthène, n'avait, à vrai dire, que de la critique à faire et de la critique de détail ; mais nous, nous avons cru devoir donner un exposé complet de toutes les questions traitées par Ératosthène, aussi bien de celles qu'il a résolues d'une manière satisfaisante que de celles dans lesquelles il s'est fourvoyé, en insistant pourtant davantage sur celles-ci; s'est-il trompé, nous le rectifions; a-t-il vu juste, nous le défendons contre les attaques d'Hipparque, prenant même Hipparque à partie, quand il se laisse emporter trop loin par son amour de la chicane. Dans le cas présent, cependant, tout en reconnaissant à quel point Eratosthène divague et combien sont fondées les critiques d'Hipparque, nous n'avons pas cru qu'il y eût lieu de rectifier ses erreurs, autrement qu'en exposant à leur place dans le cours de notre géographie les choses comme elles sont. Du moment, en effet, que les erreurs s'enchaînent et se multiplient à ce point, le mieux est d'en parler le plus rarement possible et de la manière la plus générale. Nous n'en parlerons donc qu'eu décrivant une à une les différentes parties de la terre habitée. Notons cependant dès à présent que Timosthène et Ératosthène et ceux qui les ont précédés ignoraient complétement la géographie de l'Ibérie et de la Celtique et mille fois plus encore celle de la Germanie et de la Bretagne, celle du pays des Gètes et du pays des Bastarnes. Nous pourrions même dire qu'ils n'étaient pas plus avancés dans la connaissance de l'Italie, de l'Adriatique, du Pont et des régions septentrionales, mais ce serait peut-être tomber à notre tour dans la chicane. Car, puisque Ératosthène nous prévient qu'il a dû, pour les contrées lointaines, tirer toutes les distances qu'il indique de différents auteurs, puisqu'il n'affirme rien en son propre nom, et qu'il dit les choses tout comme il les a reçues, se bornant à ajouter de temps à autre que le stadiasme dont il parle se rapproche ou s'écarte de la ligne droite, on ne peut pas en vérité soumettre des mesures aussi peu concordantes que celles-là à une critique rigoureuse, comme l'a fait Hipparque et pour les passages cités plus haut et pour ceux où Eratosthène a marqué les distances de l'Hyrcanie à la Bactriane et aux pays ultérieurs et les distances de la Colchide à la mer Hyrcanienne. Comment concevoir, en effet, qu'on l'attaque sur la géographie de ces contrées lointaines aussi sévèrement qu'on le ferait sur la description du littoral de l'Epire (18) ou de toute autre contrée aussi connue; sans compter, ainsi que nous l'avons déjà dit, qu'il faudrait procéder à ces sortes d'examen, non pas à la façon des géomètres, mais bien plutôt à celle des géographes? - Le second Mémoire d'Hipparque sur la Géographie d'Eratosthène se termine par quelques critiques relatives à sa description de l'Éthiopie, puis il annonce que le troisième Mémoire, plus spécialement mathématique, ne laissera pas que de traiter aussi de géographie dans une certaine mesure. Malgré cette déclaration, sa critique dans ce livre nous a paru aussi étrangère que possible à la géographie, et trop exclusivement mathématique. Ajoutons pourtant qu'Eratosthène a bien pu tout le premier l'induire à agir de la sorte, car il s'engage souvent dans des raisonnements plus scientifiques que son sujet ne le comporte, et, dans ces digressions-là, il lui arrive d'énoncer non seulement des propositions inexactes, mais aussi de grossières erreurs, si bien qu'on peut dire qu'il est mathématicien avec les géographes et géographe avec les mathématiciens, offrant ainsi double prise à la critique. Celle que fait Hipparque dans ce troisième livre des opinions d'Eratosthène et de Timosthène est d'ailleurs si juste que nous nous sommes cru dispensé de les examiner à notre tour et de rien ajouter à ce qu'Hipparque en avait dit.

CHAPITRE II.

1. Voyons maintenant ce que dit Posidonius dans sa Description de l'Océan. Comme cet auteur paraît avoir traité son sujet surtout au point de vue de la géographie, tantôt de la géographie proprement dite, tantôt de la géographie plus spécialement mathématique, on ne trouvera point étrange que nous nous soyons proposé d'examiner aussi quelques-unes de ses opinions soit ici même, soit dans le courant de notre ouvrage, au fur et à mesure que l'occasion s'en présentera, sans vouloir pourtant donner à notre examen un développement démesuré. Une première question éminemment géographique, est celle qu'aborde Posidonius quand il suppose la sphéricité de la terre et du monde et qu'il admet comme une des conséquences légitimes de cette hypothèse la division de la terre en cinq zones.

2. C'est à Parménide qu'il attribue la première idée de cette division en cinq zones, mais il ajoute que ce philosophe prêtait par le fait à la zone torride une largeur double de celle qu'elle a réellement, en lui faisant dépasser les tropiques de manière à ce qu'elle empiétât de part et d'autre sur les zones tempérées. Posidonius rappelle ensuite comment Aristote donnait le nom de zone torride à la région comprise strictement entre les tropiques et celui de zones tempérées aux deux régions comprises entre les tropiques (19) et les cercles arctiques. Mais il condamne ce second système comme le premier et en fait il a raison. Suivant lui, le nom de zone torride ne s'applique qu'à la région que la chaleur rend inhabitable; or, dans la légion comprise entre les tropiques, la partie inhabitable ne représente qu'un peu plus de la moitié de la largeur totale, à en juger par l'étendue du pays que les Éthiopiens habitent au-dessus de l'Égypte : l'équateur, en effet, divise exactement par la moitié tout l'intervalle des tropiques, et, si l'on compte depuis Syène, limite du tropique d'été, jusqu'à Méroé, 5000 stades, plus 3000 jusqu'au parallèle de la Cinnamômophore, seuil de la zone torride, 8000 stades en tout pour un espace d'ailleurs facile à mesurer, puisqu'on le parcourt à volonté et par mer et par terre, le reste, jusqu'à l'équateur s'entend, se trouve être, d'après l'évaluation que donne Ératosthène de l'étendue totale de la terre, de 8800 stades, d'où il suit que l'intervalle des tropiques, par rapport à la largeur de la zone torride, sera comme 16000 [lis. 16800] est à 8800. Et adoptât-on de toutes les évaluations récemment faites celle qui réduit le plus l'étendue de la terre, celle de Posidonius, par exemple, qui la fait de 180 000 stades, tout au plus trouverait-on que la zone torride équivaut à la moitié ou à un peu plus de la moitié de l'intervalle des tropiques, maison ne trouverait jamais qu'elle pût être égale à cet intervalle et se confondre pleinement avec lui. En outre, ajoute Posidonius, comment peut-on faire des cercles arctiques, qui n'existent point pour tous les climats et qui ne sont point partout les mêmes, les bornes ou limites des zones tempérées, lesquelles sont immuables? Cette circonstance, à vrai dire, que les cercles arctiques n'existent pas pour tous les climats, n'a pas grande valeur comme objection, puisqu'ils existent nécessairement pour tous les habitants des zones tempérées et que ces zones qui plus est ne sont dites tempérées que par rapport à ces cercles. L'autre circonstance, en revanche, qu'ils ne sont pas partout les mêmes et qu'ils sont sujets à varier est un argument excellent.

3. Pour ce qui est du nombre des zones, Posidonius convient qu'au point de vue astronomique il est indispensable d'en compter cinq : deux zones périsciennes s'étendant sous les pôles et jusqu'aux pays pour lesquels les tropiques tiennent lieu de cercles arctiques ; deux zones hétérosciennes à la suite de celles-là, s'étendant jusqu'aux pays placés sous les tropiques; enfin une zone amphiscienne, comprise entre les tropiques mêmes. Mais, au point de vue ethnographique, il fait intervenir deux zones de plus, deux zones étroites, placées sous les tropiques mêmes, qui les partagent chacune par la moitié, et exposées tous les ans, pendant une quinzaine de jours environ, aux rayons verticaux du soleil. A l'entendre, le caractère distinctif de ces deux zones est d'être aussi sèches, aussi sablonneuses que possible et de ne produire que du silphium et un peu de grain, d'une espèce semblable au froment, mais tout grillé par le soleil. « Comme en effet, dit-il, il n'y a pas de montagnes dans le voisinage de ces contrées, les nuages n'ont rien qui les arrête dans leur course et les fasse se résoudre en pluies; on n'y trouve pas davantage de grands fleuves qui les traversent et les arrosent, aussi n'y rencontre-t-on que des races atix poils frisés, aux cornes torses, aux lèvres proéminentes, et au nez épaté, les extrémités des membres s'y recroquevillant, pour ainsi dire, par l'effet de la chaleur. Là aussi habitent les populations ichthyophages. Et ce qui prouve, ajoute Posidonius, que ce sont bien là des caractères particuliers à ces zones, c'est qu'au sud le climat redevient plus tempéré et le sol plus fertile et mieux arrosé. »

CHAPITRE III.

1. Polybe, lui, compte six zones : deux qui s'étendent jusque sous les cercles arctiques, deux autres qui forment l'intervalle des cercles arctiques aux tropiques, deux enfin qui sont placées entre les tropiques et l'équateur. Mais la division en cinq zones a l'avantage, suivant moi, d'être à la fois physique et géographique. Ce qui en fait une division physique, c'est qu'elle correspond et aux apparences du ciel et à la température atmosphérique : elle correspond aux apparences du ciel, car, en même temps qu'elle détermine si exactement sur la terre les régions périscienne, [hétéroscienne (20)] et amphiscienne, elle indique, au moins d'une façon générale, les changements d'aspect les plus tranchés que présente le ciel à l'observation astronomique. Elle correspond tout aussi bien à la température atmosphérique, car, déterminée par rapport au soleil, la température de l'atmosphère offre trois états différents, trois états génériques et capables de modifier sensiblement la constitution des animaux, des plantes et de tout ce qui vit à l'air et dans l'air, à savoir l'excès, le manque et la moyenne de chaleur. Or, chacun de ces états de la température reçoit de la division en cinq zones la détermination qui lui est propre : les deux zones froides, qui se trouvent avoir l'une et l'autre la même température, impliquent le manque absolu de chaleur; aux deux zones tempérées, qui admettent également une seule et même température, correspond l'état de chaleur moyenne ; et quant à l'état restant, il correspond naturellement à la dernière zone ou zone torride. Il est évident maintenant que cette division en cinq zones est également bonne, géographiquement parlant. Que se propose, en effet, le géographe? De déterminer dans l'une des deux zones tempérées l'étendue exacte de la portion que nous habitons. Or, si au couchant et au levant, c'est la mer qui limite la demeure ou habitation des hommes, ce qui la limite au midi et au nord c'est proprement l'état de l'atmosphère, qui, tempérée dans la région moyenne et partout également favorable aux animaux ainsi qu'aux plantes, n'offre plus qu'intempérie aux deux extrémités, par un effet de l'excès ou du manque de chaleur. Eh bien ! La division de la terre en cinq zones était indispensable pour répondre à ces trois états différents de l'atmosphère, que suppose d'ailleurs et qu'implique déjà la séparation de la sphère terrestre par l'équateur en deux hémisphères, l'un boréal, qui est celui dans lequel nous sommes, et l'autre austral, puisque les parties voisines de l'équateur et comprises dans la zone torride sont rendues inhabitables par l'excès de la chaleur, que les régions polaires le sont par l'excès du froid et que les parties intermédiaires sont seules tempérées et seules habitables. Quand Posidonius, maintenant, distingue en plus deux zones tropicales, ce n'est pas à proprement parler une addition qu'il fait aux cinq autres, car ces zones tropicales ne répondent pas comme celles-ci à des différences physiques; il semblerait plutôt qu'elles correspondaient, dans sa pensée, à des différences de races et que Posidonius avait voulu, entre la zone éthiopique d'une part, et la zone scythique et celtique d'autre part, distinguer une troisième zone intermédiaire.

2. Pour en revenir à Polybe, son premier tort a été de déterminer une partie de ses zones au moyen des cercles arctiques, d'en placer deux sous ces cercles mêmes et deux autres entre ces cercles et les tropiques, car, ainsi que nous l'avons dit plus haut, on ne saurait limiter à l'aide de signes sujets à se déplacer des zones fixes et immuables. Il n'aurait pas dû non plus faire des tropiques les limites de la zone torride : nous en avons dit plus haut la raison. En revanche, quand il a partagé en deux la zone torride, il a obéi, croyons-nous, à une idée fort juste en soi, la même qui nous a fait adopter à nous aussi pour la terre entière la division commode en deux hémisphères, l'un boréal, et l'autre austral par rapport à l'équateur. Car il est évident que la zone torride se trouve ainsi du même coup partagée en deux, ce qui produit alors une sorte de symétrie tout à fait séduisante pour l'esprit, puisque chacun de ces deux hémisphères comprend de la sorte trois zones complètes et que celles de l'un sont semblables à celles de l'autre chacune à chacune. Mais, si la division de la terre en ce sens admet aisément les six zones, la division en sens contraire ne l'admet plus : du moment, en effet, que c'est à l'aide d'un cercle passant par les pôles qu'on partage en deux la terre, ii n'y a plus de raison plausible pour diviser en six zones l'hémisphère oriental et l'hémisphère occidental ainsi obtenus, et, dans ce cas-là encore, la division en cinq zones suffit, l'analogie parfaite des deux sections de la zone torride, que sépare l'équateur, et leur contiguïté rendant absolument inutile et superflu le dédoublement de ladite zone. Sans doute les zones tempérées et froides sont de leur nature aussi respectivement identiques, mais au moins ne sont-elles pas contiguës chacune à chacune. On voit donc que de toute manière, pour qui conçoit la terre partagée en hémisphères dans un sens ou dans l'autre, la division en cinq zones suffit parfaitement. Que si maintenant, comme le prétendait Ératosthène et comme Polybe l'admet, il existe sous l'équateur même une région tempérée (région, qui plus est, fort élevée, au dire de Polybe, et sujette par conséquent aux pluies, les nuages quiviennent du nord poussés par les vents étésiens s'y amoncelant autour des principaux sommets), il eût beaucoup mieux valu faire de cette région, si étroite qu'elle fût, une troisième zone tempérée, que d'introduire ces zones tropicales, d'autant que l'assertion d'Ératosthène et de Polybe semble confirmée par cette autre observation de Posidonius qu'en cette région la marche du soleil s'accélère, tant sa marche oblique [suivant le plan de l'écliptique] que sa révolution diurne du levant au couchant, le mouvement de rotation le plus rapide étant, à durée égale, celui du cercle le plus grand.

3. En revanche, Posidonius attaque Polybe sur l'extrême élévation qu'il prête à la région équatoriale. « Il ne saurait y avoir, dit-il, d'élévation sensible sur une surface sphérique, toute sphère étant plane de sa nature. D'ailleurs la région équatoriale n'est nullement montagneuse; on se la représenterait plutôt comme une plaine de niveau, ou peu s'en faut, avec la surface de la mer; et pour ce qui est des pluies qui grossissent le Nil, elles proviennent uniquement de l'existence des montagnes d'Éthiopie. » Mais si Posidonius s'exprime ici de la sorte, dans d'autres passages il admet l'opinion contraire, et soupçonne qu'il pourrait bien y avoir sous l'équateur même des montagnes qui, en attirant les nuages des deux côtés opposés, autrement dit des deux zones tempérées, provoqueraient les pluies, contradiction manifeste comme on voit, sans compter que, du moment qu'il admet l'existence de montagnes sous l'équateur, une contradiction nouvelle semble surgir aussitôt, Puisque l'Océan, en effet, au dire des mêmes auteurs, forme un seul courant continu, comment font-ils pour y placer des montagnes au beau milieu ? A moins pourtant que, sous le nom de montagnes, ils n'aient entendu désigner un certain nombre d'îles. Mais cette question sort du domaine de la géographie proprement dite, et peut-être ferons-nous bien d'en laisser l'examen à qui se sera proposé d'écrire un nouveau Traité de l'Océan.
Au sujet maintenant des prétendus voyages exécutés naguère autour de la Libye, voici ce qu'on peut reprocher à Posidonius : après avoir rappelé qu'Hérodote croyait à une circumnavigation de ce genre accomplie par certains émissaires de Darius [lis. Necos], et qu'Héraclide de Pont, dans un de ses Dialogues, introduisait à la cour de Gélon un mage qui prétendait avoir fait le même voyage, il a soin d'ajouter que ces traditions ne lui paraissent pas suffisamment avérées; et plus loin pourtant lui-même nous raconte comment, sous le règne d'Evergète II, on vit arriver en Égypte un certain Eudoxe de Cyzique, député en qualité de théore et de spondophore aux jeux coréens, et comment cet Eudoxe, admis à l'honneur de conférer avec le roi et ses ministres, s'enquit tout d'abord des moyens de remonter le Nil, eu homme avide de connaître les curiosités du pays, mais qui était déjà, remarquablement instruit à cet égard. Or, il se trouva que, dans le même temps, les gardes-côtes du golfe Arabique amenèrent au roi un Indien, qu'ils disaient avoir recueilli seul et à demi mort sur un navire échoué, sans pouvoir expliquer d'ailleurs qui il était ni d'où il venait, faute d'entendre un mot de sa langue. L'Indien fut alors remis aux mains de maîtres, qui durent lui apprendre le grec. Aussitôt qu'il le sut, il raconta qu'il était parti de l'Inde, qu'il avait fait fausse route, et qu'il venait de voir ses compagnons jusqu'au dernier mourir de faim quand il avait été recueilli sur la côte d'Égypte. Puis, voulant reconnaître les bons soins dont il avait été l'objet, il s'offrit, au cas où le roi se proposerait d'envoyer une expédition dans l'Inde, à lui servir de guide. Eudoxe fut de cette expédition. Parti avec force présents, il rapporta en échange un plein chargement de parfums et de pierres du plus grand prix, soit de ces pierres que les fleuves charrient mêlées à de simples cailloux, soit de celles qu'on extrait du sein de la terre, sortes de concrétions aqueuses analogues à nos cristaux; mais il se vit déçu dans ses espérances, car Évergète retint pour lui le chargement tout entier. A la mort de ce prince, Cléopatre, sa veuve, qui l'avait remplacé sur le trône, fit repartir Eudoxe pour l'Inde avec de plus grands moyens d'action. Comme il revenait de ce second voyage, les vents le portèrent vers la côte qui s'étend au-dessus de l'Éthiopie; il y aborda successivement en différents points et sut se concilier l'esprit des indigènes en partageant avec eux son blé, son vin, ses figues, toutes denrées qu'ils n'avaient point, moyennant quoi il se fit indiquer des aiguades, fournir des pilotes, et même dicter un certain nombre de mots de la langue du pays à l'effet d'en dresser des listes. Il put aussi se procurer un éperon de navire en bois, portant une figure de cheval sculptée, qu'on lui donna pour un débris échappé au naufrage d'un vaisseau venu de l'Occident, et qu'il emporta avec lui quand il reprit la mer pour effectuer son retour. Il arriva sain et sauf en Égypte, mais Cléopatre n'y régnait plus. C'était son fils, par qui Eudoxe se vit dépouillé une fois encore de tous ses trésors : à vrai dire, il avait été convaincu lui-même de détournements considérables. Cependant il porta son précieux éperon sur le quai ou marché du port, et là, l'ayant fait voir à tous les patrons de navire qu'il rencontrait, il apprit que c'était un débris de bâtiment gadirite, que chez les Gadirites, indépendamment des grands navires, que frètent les riches négociants de la ville, il y a des embarcations plus petites, que les pauvres gens seuls équipent, qu'on nomme hippes ou chevaux à cause de l'effigie qui orne leurs proues, et qui vont faire la pêche sur les côtes de Maurusie jusqu'au Lixus; quelques patrons de navire reconnurent même cet éperon pour celui d'une embarcation semblable qui avait fait partie d'une petite escadre, qu'on savait s'être aventurée trop au delà du Lixus et qui avait dû infailliblement périr. C'en fut assez pour qu'Eudoxe conclût que le périple de la Libye était possible. Là-dessus, il regegna sa patrie, mit tout son bien sur un navire et repartit pour un nouveau voyage. Ill toucha d'abord à Dicaearchia, puis à Massalia et longea ensuite tout le littoral jusqu'à Gadira: comme il faisait, partout où il passait, annoncer à son de trompe son entreprise, il ramassa de la sorte assez d'argent pour pouvoir fréter, outre un grand navire, deux transports semblables à des brigantins ou embarcations de pirates; il y embarqua de jeunes esclaves bons musiciens (21), des médecins, des artisans de toute espèce, puis il mit à la voile pour l'Inde et cingla d'abord en haute mer, favorisé par des vents d'ouest constants. Malheureusement, la mer fatiguait ses compagnons, et il dut se rapprocher de terre; il le fit, mais à contre-coeur, car il connaissait les dangers du flux et du reflux. Effectivement ce qu'il craignait arriva : son vaisseau toucha, assez doucement toutefois pour ne pas être mis en pièces du choc, ce qui laissa le temps de sauver les marchandises et de les transporter à terre, ainsi qu'une bonne partie de la carcasse même du bâtiment Ce bois lui servit à faire construire un troisième transport, à peu près de la force d'un pentécontore, après quoi, reprenant la mer, il poursuivit sa navigation, jusqu'à ce qu'il eût rencontré des populations dont la langue contenait les mêmes mots qu'il avait déjà recueillis dans ses listes. Il en conclut naturellement qu'elles étaient de même race que ces premiers Éthiopiens et que leur pays devait toucher aux États du roi Bogus; et alors, sans plus chercher ä atteindre l'Inde, il rétrograda. Dans ce voyage de retour, seulement, il remarqua une île déserte qui paraissait bien pourvue d'eau et de bois et il en releva exactement la position. Arrivé sain et sauf en Maurusie, il vendit ses transports, puis s'étant rendu par terre auprès du roi Bogus, il l'engagea à renouveler à ses frais la même expédition. Mais les amis du roi, contrecarrant ses efforts, surent faire peur à Bogus des entreprises qui pourraient être dirigées contre ses États, une fois qu'il en aurait ainsi montré le chemin à des étrangers aventureux et entreprenants. On parut cependant vouloir tenter l'expédition et lui en offrir le commandement, mais Eudoxe sut qu'en secret on avait comploté de le déposer dans une île déserte. Il s'enfuit alors sur le territoire romain et de là ayant passé en Ibérie, il y équipa de nouveau un strongyle et un pentécontore, comptant avec l'un de ces bâtiments tenir la haute mer, tandis qu'il reconnaîtrait la côte avec l'autre. Il embarqua sur ces vaisseaux force instruments d'agriculture et des graines en quantité, engagea de bons constructeurs et recommença la même expédition, se proposant, en cas de retard, d'hiverner dans l'île, dont il avait relevé naguère la position, d'y semer son grain, et d'achever son voyage, une fois la moisson faite, tel qu'il l'avait conçu dans l'origine.

5.  «Ici s'arrête, nous dit Posidonius, ce que j'ai pu apprendre des aventures d'Eudoxe; de ses aventures ultérieures sans doute on saurait quelque chose à Gadira et en Ibérie, mais ce que j'ai raconté suffit à démontrer que l'Océan décrit un cercle autour de la terre habitée, 

« L'Océan, qu'aucun lien terrestre n'enserre, et qui s'étend à l'infini, loin de tout mélange impur (22). »

Il faut bien le dire, tout est prodigieux dans ce récit de Posidonius, à commencer par ceci, qu'après avoir refusé de croire à l'authenticité du voyage de circumnavigation de ce mage, dont parle Héraclide, et de cet autre voyage des émissaires de Darius [lis. Necos (23)] rapporté dans Hérodote, il ait pu nous donner à son tour comme authentique un conte à la façon du Bergéen, qu'il avait, sinon inventé lui-même, du molns recueilli avec trop de crédulité de la bouche d'insignes imposteurs. Quelle apparence y a-t-il, en effet, qu'il soit arrivé à cet Indien une aussi tragique aventure? Le golfe Arabique, on le sait, est aussi resserré que le lit d'un fleuve et s'étend, sur une longueur de 15000 stades environ, jusqu'au canal encore plus étroit qui lui sert d'entrée ; il n'est donc pas vraisemblable que les Indiens naviguant hors de ce golfe aient pu y pénétrer par mégarde : le peu de largeur de l'entrée les eût infailliblement avertis qu'ils faisaient fausse route. Y avaient-ils, au contraire, pénétré sciemment et volontairement: impossible alors de prétexter soit une erreur de route, soit un caprice des vents. Comment admettre aussi que ces Indiens se soient tous laissés mourir de faim, un seul excepté? Comment le survivant suffit-il à diriger lui seul un bâtiment qui n'était pas apparemment des plus petits, puisqu'il avait été de force à résister à de si longues traversées? Comment admettre aussi que le même Indien ait pu apprendre notre langue en si peu de temps et l'apprendre assez bien pour être en état de persuader lui-même au roi qu'il était capable de conduire l'expédition? Peut-on supposer d'ailleurs Évergète réduit à une telle pénurie de pilotes pour l'exploration d'une mer et de parages qui étaient connus déjà depuis longtemps? Et ce spondophore, ce théore cyzicénien, comment concevoir qu'il ait quitté sa patrie avec l'intention arrêtée d'avance d'entreprendre par mer le voyage de l'Inde, et qu'on lui ait confié [en Égypte] une mission de cette importance ? Comment concevoir qu'après qu'on l'eut, à son retour, et contre son attente, dépouillé de sa riche cargaison, en le chargeant qui plus est d'une accusation infamante, on l'investit cependant du commandement d'une nouvelle mission, pourvue de présents plus riches encore que la première? Et quand, au retour de ce second voyage, il fut jeté hors de sa route sur les côtes d'Éthiopie, qu'avait-il donc besoin de dresser ces vocabulaires éthiopiens? Qu'avait-il besoin de rechercher, à propos de cet éperon de bateau-pêcheur, de quel point de l'horizon ledit bateau avait été jeté à la côte? Le renseignement que le navire auquel avait appartenu ce débris venait de l'occident ne prouvait rien en somme, puisque lui-même venait de l'ouest, lorsque, dans son voyage de retour, il avait abordé chez ces Éthiopiens. D'un autre côté, après son retour à Alexandrie, quand on l'eut bien et dûment convaincu de détournements considérables, comment ne le punit-on point, comment le laissa-t-on circuler librement parmi tous ces patrons de navires, les interrogeant, et leur montrant l'éperon qu'il avait rapporté? Celui de ces patrons, maintenant, qui reconnaît ledit éperon n'est-il pas admirable d'assurance? Et Eudoxe plus admirable encore de se laisser persuader comme il fait et de s'en retourner dans sa patrie, sur une présomption pareille, pour y procéder à une émigration en règle vers ces régions perdues au delà des Colonnes d'Hercule ? D'autant que personne n'avait la faculté de sortir sans une passe du port d'Alexandrie (l'homme qui avait détourné les fonds de l'État moins que tout autre apparemment), et qu'il n'y avait pas à songer à fuir par mer, sans être aperçu, vu la forte garde qui occupait et qui occupe encore aujourd'hui l'entrée du port et les autres issues de la ville, comme nous avons pu nous en assurer par nous-même durant le long séjour que nous avons fait à Alexandrie, bien qu'on se soit beaucoup relâché de l'ancienne rigueur, depuis que les Romains sont les maîtres du pays, car sous les Ptolémées la garde de la ville était bien autrement sévère. N'insistons pas pourtant, voilà notre homme rendu à Gadira, il y équipe une flotte royale, il part; le vaisseau qui le portait se brise, comment comprendre que, sur une côte complètement déserte, il ait pu se faire construire un troisième transport? Et, quand il a repris la mer, qu'il a abordé chez les Éthiopiens occidentaux et reconnu que leur langue était la même que celle des Éthiopiens orientaux, est-il vraisemblable qu'un ardent et curieux voyageur comme lui n'ait pas éprouvé le désir de poursuivre son exploration jusqu'au bout, alors surtout qu'il pouvait penser n'avoir plus que peu d'espaces inconnus à franchir? Au lieu de cela, il renonce à naviguer pour son propre compte, et ne rêve plus qu'une exploration faite au nom et aux frais de Bogus ! On peut se demander aussi par quels moyens il a eu connaissance du complot secret dirigé contre lui, et ce qu'eût gagné d'ailleurs le roi Bogus à faire disparaître un homme, qu'il pouvait si bien congédier autrement? Mais, soit, il est instruit du complot; comment réussit-il à prendre les devants et à se réfugier en lieu sûr? Chacune de ces circonstances en soi n'est pas assurément impossible, mais ce sont toutes conjonctures au moins bien difficiles, si difficiles même qu'on ne conçoit pas qu'on s'en puisse tirer à moins d'un rare bonheur. Eudoxe pourtant, tombé de périls en périls, échappe à tous heureusement. On ne s'explique pas enfin qu'après s'être sauvé de la cour du roi Bogus, il ose encore entreprendre un nouveau voyage le long des côtes de la Libye, et cela avec un attirail suffisant pour coloniser une île déserte ? Tout cela, il faut en convenir, ne diffère guère des mensonges des Pythéas, des Evhémère et des Antiphane. Mais au moins à eux on les passe, comme à des charlatans de profession, tandis qu'à un dialecticien, à un philosophe, je dirais volontiers au prince des philosophes, on ne saurait les passer. Blâmons donc ici Posidonius sans réserve.

6. En revanche, nous ne pouvons qu'approuver ce qu'il dit des soulèvements et des affaissements du sol et en général de tous les changements produits soit par les tremblements de terre, soit par ces causes analogues, que nous avons nous-même énumérées plus haut. Nous approuvons aussi qu'il ait, à l'appui de sa thèse, cité ce que dit Platon de l'Atlantide, que la tradition relative à cette île pourrait bien ne pas être une pure fiction, les prêtres égyptiens qu'interrogeait Solon lui ayant certifié qu'il existait anciennement une île de ce nom, mais que cette île avait disparu, bien qu'elle eût l'étendue d'un continent. En homme sensé, Posidonius juge qu'il vaut mieux s'exprimer de la sorte que de dire de l'Atlantide ce qu'on a dit du mur des Achéens dont il est question dans Homère, « celui qui l'a évoqué l'aura fait disparaître. » Une autre conjecture plausible de Posidonius, c'est que la migration des Cimbres et des peuples de même race qu'ils avaient entraînés à leur suite avait été provoquée [uniquement par leur ardeur pour la piraterie] (24) et non par un débordement subit de la mer. Il soupçonne aussi que la longueur de la terre habitée est de 70 000 s. et représente la moitié du cercle total sur lequel elle est prise, et il en conclut qu'un vaisseau qui, à partir du couchant ou de l'extrême occident, parcourrait, avec l'Eurus en poupe, juste lamême distance atteindrait le rivage de l'Inde.

7. Posidonius s'attaque ensuite à ceux qui ont imaginé le mode actuel de division ou de délimitation des continents, il les blâme de ne pas avoir employé simplement un certain nombre de cercles parallèles à l'équateur, qui, en présentant la terre habitée sous la forme de bandes ou de zones, auraient montré les changements, les différences qu'apporte chez les animaux et chez les plantes d'une part, dans la température d'autre part, la proximité soit de la région froide, soit de la région torride, mais, cela dit, il se rétracte, il fait comme l'accusateur qui renonce à suivre et se met à approuver la division actuelle, appliquant ainsi à cette question le procédé d'école qui consiste à parler tour à tour dans un sens, puis dans l'autre, pour n'arriver à rien en somme. Les différences, en effet, dont il parle, non plus que les différences entre peuples d'une même race, entre dialectes d'une même langue, ne sauraient être ainsi déterminées à priori, c'est le hasard, ce sont les circonstances qui en décident généralement, tous les arts, tous les talents, toutes les aptitudes, pour peu qu'il y ait eu un premier initiateur, fleurissent n'importe sous quel climat, bien que le climat par lui-même ne laisse pas d'avoir encore une certaine influence, et, s'il y a dans le caractère des peuples telles dispositions qui peuvent tenir à la nature des lieux qu'ils habitent, il y en a d'autres aussi qui proviennent uniquement de l'habitude et de l'exercice; ce n'est pas la nature, par exemple, qui a donné le goût des lettres aux Athéniens, et qui l'a refusé aux Lacédémoniens et aux Thébains, voisins encore plus proches des Athéniens, en cela assurément l'éducation, l'habitude ont plus fait ; ce n'est pas la nature de leur pays non plus, mais bien l'étude et la pratique qui ont fait des Babyloniens et des Égyptiens des peuples philosophes. Il en est de même des qualités des chevaux, des boeufs et des autres animaux, elles ne tiennent pas uniquement à la nature des lieux, mais dépendent aussi des habitudes ou exercices qu'on leur impose. Posidonius malheureusement confond tout cela. Dans le passage, maintenant, où il approuve la division actuelle des continents, il invoque à l'appui de sa thèse la différence que présentent les Éthiopiens de l'Inde par rapport aux Éthiopiens de la Libye, les premiers étant plus vigoureux que les seconds, et moins consumés par la sécheresse de l'air; il voit même dans cette différence le principe de la division qu'Homère a faite des Éthiopiens en deux corps de nation, 

« Ceux du soleil couchant, ceux du soleil levant ; »

car Cratès avec son idée d'une seconde terre habitée, à laquelle Homère évidemment n'a jamais pu songer, Cratès n'est à ses yeux que l'esclave aveugle d'une hypothèse, et le vrai changement à faire au texte du poète était celui-ci

« Ἠμὲν ἀπερχομένου Ύπερίονος,»
«Et ceux que le soleil visite quand il S'ÉLOIGNE, »

autrement dit quand il opère sa déclinaison par rapport au méridien.

8. Mais d'abord, dirons-nous, dans le voisinage même de l'Égypte, les Éthiopiens vivent bien partagés en deux nations, puisque les uns habitent l'Asie et les autres la Libye, et pourtant ils ne présentent entre eux aucune différence sensible. En second lieu, si Homère a divisé comme il a fait les Éthiopiens, cela ne tient en aucune façon à ce qu'il savait de la constitution physique des Indiens, car, suivant toute apparence, il ne connaissait même pas leur existence, le fabuleux récit d'Eudoxe prouvant au moins ceci qu'Evergète lui-même en était encore à ignorer l'Inde et la route que les vaisseaux doivent suivre pour s'y rendre. Ce qui l'aura décidé c'est donc bien plutôt cette division naturelle dont nous parlions plus haut. Dans le même passage, maintenant, nous nous expliquions sur la leçon proposée par Cratès, nous montrions comment il importait peu d'écrire le vers d'une façon plutôt que d'une autre. Posidonius croit pourtant que la chose importe, mais c'est à la condition qu'on lira le vers ainsi conçu :

« Ἠμὲν ἀπερχομένου,»
« Et ceux que le soleil visite quand il S'ÉLOIGNE. »

Or, nous le demandons, quelle différence y a-t-il, pour le sens, entre cette nouvelle leçon et la leçon que proposait Cratès, Ἠμὲν δυσομένου,

« Et ceux que le soleil visite quand il se COUCHE ? »

Tout le segment compris entre le méridien et le couchant n'a-t-il pas reçu lui-même en effet le nom de couchant, comme la demi-circonférence de l'horizon qui y correspond; et n'est-ce pas là ce que veut dire Aratus quand il parle du point

« Où le couchant et le levant confondent leurs extrémités? »

D'ailleurs, si ]a leçon de Cratès gagnait à être corrigée de la sorte, pourquoi n'avoir pas étendu la correction à la leçon d'Aristarque? - Pour le moment, nous n'adresserons pas d'autres critiques à Posidonius : les occasions en effet ne nous manqueront pas, dans le cours de notre ouvrage, de relever comme il convient ce qu'il a pu commettre encore d'erreurs, au point de vue du moins de la géographie ; car, pour celles de ses erreurs qui seraient plutôt du domaine de la physique, nous les examinerons dans d'autres ouvrages, si même nous ne les négligeons tout à fait, par la raison que Posidonius abuse des discussions oenologiques et de la méthode aristotélicienne, qu'on évite au contraire dans notre école, par respect pour la nature mystérieuse et impénétrable des causes.

CHAPITRE IV.

1. Passons à Polybe: dans sa Chorographie de l'Europe, Polybe déclare qu'il laissera de côté les anciens, mais qu'il examinera avec soin tout ce qu'ont écrit leurs critiques, et, pour préciser, il nomme Dicéarque, ainsi qu'Ératosthène, le dernier auteur qui ait composé un traité en règle de géographie, et Pythéas, « ce Pythéas, dit-il, qu'on s'étonne en vérité de voir faire tant de dupes avec des mensonges aussi grossiers que ceux-ci, par exemple, qu'il aurait parcouru à pied (25) la Bretagne !out entière, et que le périmètre de cette île est de 40 000 stades, sans compter ce qu'il débite encore au sujet de Thulé et de cette autre région, où l'on ne rencontre plus la terre proprement dite, ni la mer, ni l'air, mais à leur place un composé de ces divers éléments, semblable au poumon marin, et dans lequel, soi-disant, la terre, la mer, bref tous les éléments sont tenus en suspension et comme réunis à l'aide d'un lien commun, sans qu'il soit possible à l'homme d'y poser le pied, ni d'y naviguer. « Et notez, ajoute Polybe, que cette matière semblable au poumon marin, Pythéas dit l'avoir vue de ses yeux, tandis qu'il avoue n'avoir parlé de tout le reste que sur ouï-dire! Puis à ce premier conte, il ajoute celui-ci qu'une fois revenu de ses voyages il parcourut encore en Europe tout le littoral de l'océan depuis Gadira jusqu'au Tallais. »

2. Or, au jugement de Polybe, il est déjà incroyable qu'un simple particulier, notoirement pauvre, ait trouvé les moyens de parcourir, soit par mer, soit par. terre, de si énormes distances ; mais ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'Ératosthène, après avoir émis absolument les mêmes doutes, ait accepté pourtant le témoignage de Pythéas en ce qui concerne la Bretagne, Gadira et l'Ibérie. « N'eût-il pas mieux valu cent fois, dit Polybe, croire au récit du Messénien? Celui-ci du moins ne s'est vanté que d'une seule découverte, de sa navigation à l'île de Panchaia, tandis que l'autre prétend avoir atteint aux limites mêmes du monde et avoir exploré toute la région septentrionale de l'Europe, allégation qu'on ne croirait même pas sortant de la bouche d'Hermès (26). Que fait cependant Ératosthène? Il traite Évhémère de Bergéen, et croit Pythéas, oui, Pythéas, que Dicéarque lui-même n'a pas cru ! » - « Que Dicéarque lui-même n'a pas cru, » plaisante remarque en vérité! Comme si Ératosthène était tenu de se régler sur un auteur contre qui Polybe tout le premier ne cesse de diriger ses critiques ! Il est bien vrai, maintenant, qu'Ératosthène ignorait la géographie des parties occidentale et septentrionale de l'Europe, nous-même l'avons démontré plus haut. Mais cette ignorance chez lui et chez Dicéarque est excusable, puisque ni l'un ni l'autre n'avaient visité ces contrées; ne serait-elle pas inexcusable au contraire si nous la rencontrions chez Polybe et chez Posidonius? Eh bien! Polybe, qui traite d'erreurs et de préjugés populaires tout ce que ces auteurs nous ont rapporté au sujet des distances non seulement dans ces pays lointains, mais dans bien d'autres pays encore, n'a pas su se préserver lui-même de toute erreur dans les critiques qu'il leur adresse. Ainsi Dicéarque compte à partir du Péloponnèse 10000 stades jusqu'aux Colonnes d'Hercule et plus de 10 000 stades jusqu'au fond de l'Adriatique, et comme, suivant lui, entre le Péloponnèse et les Colonnes d'Hercule, la première partie du trajet jusqu'au détroit de Sicile est de 3000 stades, c'est, on le voit, 7000 stades qui restent pour la distance du détroit de Sicile aux Colonnes d'Hercule. Que dit Polybe à ce propos? Il passe condamnation sur ce nombre de 3000 stades, exact ou non, attribué à la première partie du trajet, mais il nie absolument que le reste puisse être de 7000 stades, qu'on le mesure en longeant la côte ou en coupant la mer par le milieu. Suivant lui, en effet, la côte forme exactement un angle obtus, dont l'un des côtés se termine au détroit de Sicile, tandis que l'autre se prolonge jusqu'aux Colonnes d'Hercule, le sommet de l'angle se trouvant placé à Narbonne, de sorte que l'on peut concevoir un triangle ayant pour base la droite tirée à travers la mer et pour côtés les côtés mêmes de l'angle en question, le côté compris entre le détroit de Sicile et Narbonne mesurant plus de 11 200 stades et l'autre un peu moins de 8000. A vrai dire, ajoute Polybe, il paraît constant que la plus grande distance entre l'Europe et la Libye, laquelle se mesure à travers la mer Tyrrhénienne, n'excède pas 3000 stades et qu'elle pourrait même être réduite encore, si on la mesurait à travers la mer de Sardaigne. Mais soit, de ce côté-là même portons à 3000 stades la distance en question, il nous faut maintenant prélever sur cette longueur 2000 stades pour la profondeur du golfe de Narbonne, autrement dit pour la perpendiculaire abaissée du sommet sur la base du triangle obtusangle; or, d'après ces données, il est évident qu'un enfant saurait calculer que la longueur totale de la côte comprise entre le détroit de Sicile et les Colonnes d'Hercule doit dépasser à peu près de 500 stades la droite qui coupe transversalement la mer. E, si à cette longueur on ajoute les 3000 s. représentant la distance du Péloponnèse au détroit de Sicile, la somme ainsi obtenue, qui sera précisément la longueur totale de la droite en question, dépassera, on le voit, de plus du double le nombre de stades que Dicéarque lui assigne. Et il faudrait pourtant, d'après son calcul, faire la distance du Péloponnèse au fond de l'Adriatique encore plus grande ! »

3. « Mais, ami Polybe, pourrait-on bien lui dire, si, sur ce dernier point, l'expérience a mis hors de doute le mensonge ou l'erreur de Dicéarque, en vérifiant l'exactitude des distances que tu as indiquées, à savoir 700 stades du Péloponnèse à Leucade, autant de Leucade à Corcyre, autant encore de Corcyre aux monts Cérauniens, lesquels sont situés à la hauteur de l'Iapygie, du côté droit de l'Adriatique (27), et enfin 6150 stades pour la côte d'Illyrie à partir des monts Cérauniens, sur le premier point Dicéarque n'est plus seul à s'être aussi grossièrement trompé, et, si le calcul, par lequel il réduit à 7000 stades la distance entre le détroit de Sicile et les Colonnes d'Hercule, est évidemment faux, celui auquel tu arrives par ta prétendue démonstration n'est assurément pas plus juste. On convient en effet généralement que le trajet direct par mer entre le détroit de Sicile et les Colonnes d'Hercule est de 12 000 stades, et il est aisé de voir que cette estimation s'accorde on ne peut mieux avec celle qu'on a faite de la longueur totale de la terre habitée, laquelle mesure, dit-on, 70 000 stades, car toute la portion occidentale de ladite longueur, comprise entre le golfe d'Issus et l'extrémité la plus occidentale de l'Ibérie, représente à peu de chose près 30 000 stades, et voici comme on forme ce nombre : 5000 stades depuis le golfe d'Issus jusqu'à l'île de Rhodes, 1000 stades de là au cap Salmonium [ou Samonium], extrémité orientale de la Crète, 2000 stades et plus pour la longueur de la Crète jusqu'au Kriou-Métôpon; de ce point au Pachynum en Sicile 4500 stades, et plus de 1000 stades du Pachynum au détroit de Sicile; enfin, pour le trajet du détroit de Sicile aux Colonnes d'Hercule 12 000 stades (28) et environ 3000 du détroit des Colonnes à l'extrémité même du promontoire Sacré d'Ibérie. J'ajouterai que Polybe n'a pas mieux su mesurer sa perpendiculaire : comme, en effet, Narbonne est située sur le même parallèle à peu près que Massalia, et celle-ci, à ce que croit Hipparque lui-même, sur le même parallèle que Byzance, comme, d'autre part, la ligne qui coupe transversalement la mer est prise suivant le parallèle qui passe par le détroit de Sicile et par Rhodes, et qu'entre les villes de Rhodes et de Byzance, qui sont censées être l'une et l'autre sur le même méridien, on compte environ 5000 stades, la perpendiculaire en question devrait en mesurer autant. D'autre part, à la vérité, l'on prétend que le plus long trajet d'Europe en Libye, en traversant directement cette mer depuis le fond du golfe Galatique, est de 5000 stades, mais il est évident qu'on se trompe ou bien il faut que la Libye en cette partie s'avance assez dans la direction du nord pour atteindre au parallèle des Colonnes d'Hercule. Une autre erreur de Polybe, c'est d'avoir fait aboutir ladite perpendiculaire près de la Sardaigne, car la traversée en question ne se fait pas dans les parages mêmes de la Sardaigne, mais beaucoup plus à l'O., en dehors et de la mer de Sardaigne et de la mer Ligystique elle-même. Enfin, Polybe a exagéré la longueur des côtes, bien que dans une proportion moindre.

4. Plus loin, c'est Ératosthène qu'il prétend corriger : mais, s'il le corrige quelquefois avec bonheur, d'autres fois aussi il se trompe plus grossièrement que lui. Ainsi, d'Ithaque à Corcyre Ératosthène avait compté 300 stades, Polybe en compte plus de 900; d'Epidamne à Thessalonique, Ératosthène avait réduit la distance à 900 stades, Polybe la porte à 2000, et dans les deux cas il a raison. Mais quand Ératosthène compte jusqu'aux Colonnes d'Hercule depuis Massalia 7000 stades et 6000 depuis le mont Pyréné, et lui plus de 9000 stades à partir de Massalia et presque 8000 à partir du mont Pyréné, à coup sûr il fait pis que n'a fait Ératosthène et celui-ci a plus approché de la vérité. On convient en effet aujourd'hui qu'abstraction faite des accidents ou inégalités des chemins la longueur totale de l'Ibérie, du mont Pyréné au côté occidental, n'excède pas 6000 stades. Suivant Polybe, cependant, le cours du Tage à lui seul aurait une longueur de 8000 stades depuis sa source jusqu'à son embouchure, non compris les détours bien entendu (autrement le procédé ne serait pas géographique), 8000 stades, disons-nous, rien qu'en ligne droite et bien que ses sources soient encore à plus de 1000 stades de distance du mont Pyréné. En revanche, Polybe a raison de dire qu'Ératosthène ignorait la géographie de l'Ibérie et qu'il s'est contredit souvent en parlant de. cette contrée après nous avoir montré, par exemple, toute la côte de l'Ibérie, sur la mer extérieure, et jusqu'à Gadira, habitée par les Galates, lesquels occupent effectivement toute la partie occidentale de l'Europe jusqu'à Gadira, Ératosthène oublie ce qu'il a dit et ne fait plus mention des Galates nulle part dans sa description des côtes de l'Ibérie.

5. Ailleurs Polybe expose comme quoi la longueur de l'Europe est moindre que la longueur de la Libye et celle de l'Asie réunies, et, ici encore, la manière dont il compare entre elles ces longueurs est fautive : « Le détroit des Colonnes d'Hercule, nous dit il, s'ouvre au couchant équinoxial, tandis que le Tanaïs coule du levant d'été, l'Europe se trouvera donc moins longue que les deux autres contrées prises ensemble de tout l'intervalle qui sépare le levant d'été du levant équinoxial, l'Asie occupant toute la portion du demi-cercle boréal qui regarde le levant équinoxial. » Or, sans compter que Polybe fait là le pédant sur une question bien claire en somme, il a commis une grossière erreur en prétendant que le Tanaïs coule du levant d'été : tous ceux en effet qui connaissent les lieux affirment qu'il vient du nord se jeter dans le Mæotis, de telle sorte que l'embouchure du fleuve, l'entrée du Mæotis et le fleuve lui-même, dans la partie de son cours du moins qui est connue se trouvent situés sur le même méridien.

6. Quelques auteurs à la vérité ont prétendu que le Tanaïs prenait sa source dans le voisinage de l'Ister et coulait de l'occident, mais il n'y a pas à tenir compte de leur opinion : ils n'avaient pas réfléchi apparemment que, dans l'intervalle, de grands fleuves, tels que le Tyras, le Borysthène et l'Hypanis, s'écoulent vers le Pont, en suivant, le Tyras, une direction parallèle au cours de l'Ister, et les deux autres une direction parallèle au cours du Tau aïs. Ajoutons que, comme les sources du Tyras, non plus que celles du Borysthène et de l'Hypanis, n'ont pas été relevées à l'heure qu'il est, on doit être moins renseigné encore sur la contrée située plus au nord, et qu'ainsi prétendre conduire le Tanaïs à travers cette contrée jusqu'au Mæotis,, en lui faisant décrire un coude pour qu'il puisse atteindre l'extrémité N. E. dudit lac ou étang, où il est notoire qu'il se jette, n'est autre chose qu'une fiction, une hypothèse faite à plaisir ! On a supposé encore, tout aussi gratuitement, du reste, que le Tanaïs coulait d'abord au nord, puis traversait le Caucase, et se détournait ensuite dans la direction du Mæotis. Mais jamais personne n'avait dit que le Tanaïs vînt du levant : s'il en était ainsi, en effet, nos meilleurs géographes n'auraient point avancé que sa direction est contraire et en quelque sorte diamétralement opposée à celle du Nil, comme si les deux fleuves se trouvaient sur un seul et même méridien ou sur des méridiens très proches.

7. De plus, comme la longueur de la terre habitée se mesure toujours suivant une ligne parallèle à l'équateur, parce que c'est effectivement dans le sens de l'équateur que la terre a le plus d'étendue, la longueur de chacun des continents qui la composent s'entend naturellement de même de l'intervalle de deux méridiens, et j'ajouterai qu'on emploie habituellement comme mesures de longueur des stadiasmes que nous autres voyageurs nous dressons, soit en parcourant ces longueurs elles-mêmes, soit en suivant par terre ou par mer des routes qui leur soient parallèles. Ici cependant Polybe renonce au procédé habituel, et, introduisant une nouvelle méthode, il imagine de prendre comme mesure de longueur, [au lieu de l'intervalle de deux méridiens], l'intervalle compris entre le levant d'été et le levant équinoxial, autrement dit un arc ou une portion quelconque du demi-cercle septentrional. Mais, quand il s'agit de mesurer des grandeurs fixes et invariables, jamais personne n'emploie des règles ou des mesures qui soient variables de leur nature, jamais personne ne rapporte à des points de repère sujets à se déplacer ce qui de soi est stable et exempt de tout changement. Eh bien ! La longueur d'un continent est immuable, elle est toujours la même absolu-ment parlant, tandis que le levant et le couchant équinoxial, le levant et le couchant, soit d'hiver soit d'été, sont des points qui d'eux-mêmes et absolument parlant ne sont pas et qui n'existent que par rapport à nous : pour peu, en effet, que nous nous déplacions sur la terre, nous voyons se déplacer en même temps le levant et le couchant équinoxial, le levant et le couchant solsticial, tandis que la longueur des continents demeure la même. Qu'on prenne donc le Nil et le Tanaïs comme limites, la chose se conçoit à merveille, mais prendre le levant d'été et le levant équinoxial, ceci est nouveau.

8. Au sujet, maintenant, des différentes presqu'îles ou promontoires que projette l'Europe, Polybe s'est montré plus exact qu'Ératosthene, sans l'être pourtant encore suffisamment. Ératosthene, comme on sait, en distinguait trois : 1° la péninsule qui aboutit aux Colonnes d'Hercule et qui contient l'Ibérie; 2° celle qui s'étend jusqu'au détroit de Sicile et qui contient l'Italie ; 3° enfin celle qui se termine à Malées et qui comprend soi-disant tous les peuples répandus entre l'Adriatique, le Pont-Éuxin et le Tanaïs. Polybe, lui, indique aussi les deux premières presqu'îles, sans y rien changer, mais dans la troisième, qu'il fait aboutir à Malées et à Sunium, il ne comprend plus que la Hellade tout entière, avec l'Illyrie et une partie de la Thrace; puis il fait un quatrième promontoire de la Chersonèse de Thrace, autrement dit de la presqu'île que borde le détroit resserré entre Sestos et Abydos et qu'occupent les Thraces, et un cinquième de cette autre presqu'île qui avoisine le Bosphore Cimmérien et l'entrée du Maeotis. Nous admettrons, nous, volontiers les deux premiers promontoires qui sont en effet bien nettement délimités par les deux grands golfes qui les bordent, se trouvant compris le premier entre le golfe où se trouve Gadira, lequel s'étend de Calpé au Cap Sacré, et la mer qui se prolonge des Colonnes d'Hercule à la Sicile, et le second entre cette même mer et l'Adriatique, bien qu'on puisse objecter à la rigueur que la Japygie, par la manière dont elle avance, fait plutôt de l'Italie un double promontoire; mais les autres, dont la forme irrégulière et découpée saute encore plus aux yeux, demanderaient à être divisés différemment. Naturellement aussi, la division en six parties que Polybe propose pour l'Europe, prêterait aux mêmes critiques, puisqu'elle dérive du nombre de promontoires que Polybe considère. Mais nous rectifierons en temps et lieu comme il convient cette double erreur de Polybe, ainsi que les autres erreurs de détail qu'il a pu commettre sur tel ou tel point de la géographie de l'Europe et du littoral de la Libye; pour le moment, nous n'ajouterons rien aux critiques que nous avons déjà adressées aux géographes nos prédécesseurs, ce que nous avons cité de leurs erreurs nous paraissant suffire à prouver que nous étions bien en droit de traiter à notre tour un sujet qui prête encore à tant de rectifications et d'additions.

CHAPITRE V.

1. De l'examen critique que nous venons de faire de ces anciens géographes, passons maintenant, pour tenir notre promesse, à l'exposé de nos propres opinions. Ici encore nous commencerons par déclarer que quiconque entreprend de décrire en détail les différentes contrées de la terre doit emprunter à la physique et à la science mathématique un certain nombre d'axiomes, pour s'en inspirer et s'en autoriser dans toute la suite de son ouvrage S'il est vrai, disions-nous aussi plus haut, que jamais maçon ni architecte n'auraient pu bâtir convenablement soit une maison, soit une ville, s'ils ne se fussent rendu compte au préalable du climat et de l'exposition, de la configuration, de l'étendue du terrain, de la température et des autres conditions de ce genre, à plus forte raison est-ce vrai de celui qui entreprend de décrire toute la terre habitée. Le dessin, en effet, où l'on représente sur une seule et même surface plane l'Ibérie, l'Inde et toutes les contrées intermédiaires, et où le couchant néanmoins, le levant et le midi, sont censés déterminés pour tous les lieux de la terre à la fois, un tel dessin peut bien faciliter l'étude de la géographie, mais c'est à la condition qu'on se .sera fait au préalable une idée nette de la disposition et du mouvement du ciel et qu'on aura compris une fois pour toutes qu'en réalité la surface de la terre est sphérique et qu'on ne la suppose plane que pour les yeux ; autrement il ne peut donner que de fausses notions géographiques. Le voyageur qui traverse une plaine immense, celle de la Babylonie par exemple, ou qui navigue loin des côtes, n'ayant devant lui, derrière lui, à sa droite, à sa gauche, qu'une même surface plane, peut ne rien soupçonner des changements qui affectent l'aspect du ciel, ainsi que le mouvement et la position du soleil et des autres astres par rapport à nous ; mais le géographe, lui, ne peut s'en tenir à cette apparente uniformité. Le navigateur en pleine mer, le voyageur au milieu du désert se guide donc d'après ces phénomènes vulgaires, sur lesquels se règlent aussi dans la vie habituelle l'homme du peuple et l'homme d'État, sans rien enténdre ni l'un ni l'autre à l'astronomie et sans se douter de l'extrême diversité des phénomènes célestes. L'homme d'État, notamment, voit tous les jours le soleil qui se lève, passe au méridien et se couche , sans chercher à deviner les causes du phénomène, car, pour ce qui l'occupe, il n'a que faire de les connaître, non plus que de savoir si, dans le moment où il parle, le plan sur lequel il se trouve est ou non parallèle à celui de son interlocuteur, ou, si par hasard il y arrête sa pensée, vous le voyez, dans une question purement mathématique, adopter l'explication des gens du pays, chaque pays, sur ces matières-là même, ayant ses préjugés à lui. Mais le géographe n'écrit pas pour l'habitant de telle ou telle localité, il n'écrit pas davantage pour le politique, qui, comme celui dont nous venons de parler, fait profession de mépriser tout ce qui est proprement du domaine des mathématiques, car autant vaudrait s'adresser au moissonneur ou au simple fossoyeur, il écrit pour celui-là seulement qui a pu arriver à se convaincre que la terre prise dans son ensemble est bien réellement telle que les mathématiciens nous la représentent et qui a compris tout ce qui découle de cette première hypothèse ; il veut que ses disciples se soient bien pénétrés de ces principes mathématiques avant de porter leur vue plus loin, et il a raison, car il ne leur dira rien qui n'en soit une conséquence directe, et le moyen le plus sûr pour eux de profiter de son enseignement, c'est de l'entendre avec un esprit mathématique; le géographe, encore une fois, ne s'adresse pas à ceux qui sont clans une autre disposition d'esprit.  

2. Il faut en effet que la géographie emprunte ses principes fondamentaux à la géométrie, qui, pour procéder à la mesure de la terre, s'appuie elle-même sur l'astronomie, comme celle-ci à son tour s'appuie sur la physique. Quant à la physique, elle représente ce que nous appelons une Arété, une de ces sciences par excellence, qui ne reposent point sur des hypothèses étrangères, mais qui dépendent d'elles seules et contiennent en elles-mêmes leurs principes et tous les éléments de leurs démonstrations. Or, au nombre des vérités que la physique démontre, figurent celles-ci : « que le monde et le ciel sont de forme sphérique ; que les corps pesants sont attirés vers le centre du monde; qu'autour du même point et sous la forme d'une sphère ayant même centre que le-ciel la terre demeure immobile sur son axe, lequel, en se prolongeant, se trouve avoir aussi traversé le ciel par le milieu ; que le ciel, lui, est emporté autour de la terre et de son axe par un mouvement d'orient en occident, qui, se communiquant aussi aux étoiles fixes, les entraîne avec la même vitesse que le ciel lui-même;  que, dans ce mouvement, les étoiles fixes décrivent des cercles parallèles, dont les plus connus sont l'équateur, les deux tropiques, les deux cercles arctiques, et les planètes des cercles obliques compris dans les limites du zodiaque.» L'astronomie, maintenant, adopte en tout ou en partie ces principes de la physique et en fait son point de départ pour traiter ensuite théoriquement des mouvements des astres, de leurs révolutions, de leurs éclipses, de leurs grandeurs et de leurs distances respectives et de mainte autre question analogue; à son tour, le géomètre, pour mesurer l'étendue de la terre, se sert des lois posées par la physique et l'astronomie; enfin le géographe emploie les données de la géométrie.

3. C'est ainsi que l'hypothèse des cinq zones célestes en-traîne nécessairement celle de cinq zones terrestres ou inférieures, portant les mêmes noms que les zones supérieures: nous avons donné plus haut les motifs de cette division par zones. Pour limiter, maintenant, lesdites zones, on peut concevoir certains cercles tracés des deux côtés de l'équateur et parallèlement à l'équateur, deux déjà qui interceptent la zone torride, et deux autres à la suite qui déterminent les zones tempérées par rapport à la zone torride et les zones glaciales par rapport aux zones tempérées. Sous chacun des cercles célestes se trouve, avec le même nom, le cercle terrestre correspondant, et, de même, à une zone céleste correspond une zone terrestre. On définit les zones tempérées celles qui peuvent être habitées ; quant aux autres, elles sont rendues inhabitables, l'une par l'excès de la chaleur, les autres par l'excès du froid. On procède de même à l'égard des tropiques et des cercles arctiques, dans les contrées pour lesquelles il existe des cercles arctiques, c'est-à-dire qu'on suppose sur la terre et au-dessous des tropiques et des cercles arctiques célestes des cercles correspondants et portant les mêmes noms. Et, comme l'équateur céleste divise tout le ciel en deux parties égales, il faut nécessairement que l'équateur terrestre partage la terre de même façon : on distingue donc, pour la terre comme pour le ciel, un hémisphère boréal et un hémisphère austral, et par suite aussi, dans la zone torride, que le même cercle partage également par la moitié, une partie boréale et une partie australe. Quant aux zones tempérées, il va de soi qu'elles seront appelées l'une boréale, l'autre australe, suivant l'hémisphère auquel elles appartiennent. Or, l'hémisphère boréal étant celui des deux qui contient la zone tempérée, dans laquelle, en tournant le dos au levant et en regardant le couchant, on a le pôle à droite et l'équateur à gauche, ou bien encore celui dans lequel, en regardant au midi, on a le couchant à droite et le levant à gauche, l'hémisphère austral sera naturellement celui où l'inverse a lieu. Il s'en-suit que nous sommes, nous, dans l'un des deux hémisphères, dans l'hémisphère boréal s'entend, et que nous ne pouvons être dans l'un et dans l'autre à la fois, puisqu'entre deux se trouve l'Océan, ainsi que le marque Homère

« Il y a dans le milieu de grands fleuves, l'Océan d'abord, »

et, avec l'Océan, toute la zone torride. On ne voit pas, en effet, qu'il y ait d'Océan coupant par le milieu notre terre habitée, ni qu'elle contienne, avec une région torride, une autre région dont les climats seraient juste l'opposite et l'inverse des climats de la zone tempérée boréale.

4. Telles sont les données que le géomètre emprunte à l'astronomie, mais ce n'est pas tout, il peut s'aider encore de la gnomonique et des autres méthodes que l'astronomie enseigne et d'après lesquelles on peut, pour chaque lieu, trouver le cercle parallèle à l'équateur et le cercle perpendiculaire à celui-là et passant parles pôles, et entreprendre ainsi de mesurer toute la terre : il parcourt, à cet effet, la partie habitable et déduit proportionnellement l'étendue de ce qui reste des intervalles [célestes] correspondants. Il trouve de la sorte la distance de l'équateur au pôle, autre-ment dit la mesure du quartdu plus grand cercle terrestre ; puis, cette mesure trouvée, il la multiplie par 4, ce qui lui donne la circonférence même de la terre. A son tour, et à l'exemple du géomètre qui a tiré ses principes de l'astronomie, et de l'astronome qui a tiré les siens de la physique, le géographe prendra son point de départ dans la géométrie, et, acceptant de confiance ses démonstrations, il exposera d'abord quelle est l'étendue de notre terre habitée, quelle en est la forme, la nature, et dans quel rapport elle est avec l'ensemble de la terre (car c'est là proprement l'objet de la géographie); après quoi, il prendra une à une les diverses parties de la terre et de la mer et en dira tout ce qu'il y a à dire, relevant en même temps ce que les anciens ont avancé d'inexact, ceux-là surtout qui, comme géographes, font le plus autorité.

5. Admettons donc en premier lieu que la terre et la mer prises ensemble affectent la forme d'une sphère, la terre étant censée de niveau avec la surface des hautes mers, puisque les saillies du relief terrestre disparaissent en quelque sorte dans l'immense étendue de la terre et doivent être comptées pour peu de chose, si ce n'est même pour rien. Non que nous prétendions pour cela attribuer à la terre et à la mer prises ensemble la sphéricité parfaite d'une de ces figures qui sortent du tour, ou de celles que le géomètre conçoit par la pensée, ce que nous voulons dire seulement c'est que la forme de la terre est sensiblement, grossièrement phérique. Imaginons maintenant ladite sphère partagée en cinq zones et un premier cercle, l'équateur, tracé à sa surface, puis un second cercle parallèle au premier et servant de limite à la zone ou région froide de l'hémisphère boréal, enfin un troisième cercle qui, passant par les pôles, coupe les deux autres à angles droits : l'hémisphère boréal contiendra naturellement deux quarts de sphère déterminés par la double intersection de l'équateur et du cercle qui passe par les pôles. Eh bien ! Sur chacun de ces quarts de sphère prenons par la pensée un quadrilatère qui aura pour côté septentrional la moitié de ce cercle parallèle à l'équateur et voisin du pôle, pour côté méridional la moitié de l'équateur, et pour ses autres côtés deux segments égaux et opposés entre eux du cercle qui passe par les pôles, c'est dans l'un de ces deux quadrilatères et n'importe dans lequel, à ce qu'il semble, que devra être placée, suivant nous, notre terre habitée ; ajoutons qu'elle y figurera proprement une île, puisque la mer l'entoure de tous côtés : du moins, est-ce ainsi, nous l'avons dit plus haut, que l'observation et le raisonnement nous la représentent. Mais on déclinera peut-être l'autorité du raisonnement en pareille matière, disons alors qu'il revient au même, géographiquement parlant, de faire de la terre habitée une île ou de s'en tenir à ce que l'expérience a vérifié, c'est à savoir qu'en partant soit du levant, soit du couchant, des deux côtés en un mot, le périple de la terre habitée est possible, à cela près de quelques espaces non encore explorés, et que l'on peut supposer indifféremment bornés par la mer ou par la zone inhabitable. C'est qu'en effet le géographe se propose uniquement de décrire les parties connues de la terre habitée et qu'il en néglige les parties inconnues ni plus ni moins que ce qui se trouve en dehors de ses limites. Cela étant, il suffira de joindre par une ligne droite les points extrêmes, où des deux côtés l'on est parvenu en longeant le littoral, pour compléter la figure de notre prétendue île.

6. Mais la voilà placée dans le quadrilatère, il faut maintenant que nous nous rendions compte de son étendue, de son étendue apparente : à cet effet, retranchons notre hémisphère de l'étendue totale de la terre, puis de notre hémisphère retranchons la moitié, et de cette moitié encore le quadrilatère où nous plaçons notre terre habitée. Par une opération analogue, et en raisonnant toujours conformément aux apparences, nous devrons concevoir également ce que peut être la figure de l'île en question. Comme, en effet, la portion de l'hémisphère septentrional comprise entre l'équateur et ce parallèle voisin du pôle a la forme d'un peson de fuseau, et que le cercle qui passe par le pôle, en même temps qu'ilcoupe en deux l'hémisphère, coupe aussi ledit peson et en fait un double quadrilatère, celui des deux quadrilatères sur lequel est répandu l'Océan équivaudra apparemment à la moitié de la surface du peson, et la terre habitée, placée comme une île au sein de l'Océan, avec une superficie moindre que la moitié du quadrilatère, se trouvera avoir la forme d'une chlamyde. Ceci ressort à la fois et de la géométrie et de l'étendue si considérable de la mer qui, en enveloppant notre terre habitée, a couvert au couchant comme au levant l'extrémité des continents et les a réduits à la forme tronquée, écourtée (29) d'une figure qui, en conservant sa plus grande largeur, n'aurait plus que le tiers de sa longueur. Dans le sens de sa longueur, en effet, la terre habitée n'a que 70 000 stades et se trouve limitée, on peut dire complétement, par une mer que son immensité et sa solitude rendent infranchissable, tandis que, dans le sens de sa largeur, elle mesure moins de 30 000 stades et a pour borne la double région que l'excès de la chaleur d'un côté, l'excès du froid de l'autre rendent inhabitable. Or, puisque la partie du quadrilatère que l'excès de la chaleur rend inhabitable mesure à elle seule comme largeur 8800 stades, et comme maximum de longueur 126 000 stades, autrement dit la moitié de la circonférence de l'équateur, on voit que ce qui reste dans ledit quadrilatère [en dehors de la terre habitée] devra surpasser celle-ci en étendue (30).

7. Hipparque, de son côté, dit à peu près la même chose. Admettant, en effet, pour la terre entière les dimensions qu'Ératosthène propose, il veut qu'on en tire par voie de soustraction pure et simple les dimensions de la terre habitée, d'autant qu'avec cette façon de mesurer la terre habitée les apparences célestes pour chaque lieu ne sont pas, dit-il, sensiblement différentes de celles qu'ont trouvées certains géographes plus modernes en opérant autrement. Or, la circonférence de l'équateur étant, selon Ératosthène, de 252 000 stades, le quart de ladite circonférence devra être de 63 000 stades, et telle sera aussi la distance de l'équateur au pôle, puisque cette distance équivaut à 15 des 60 degrés que contient l'équateur. De l'équateur, maintenant, au tropique d'été l'on compte 4 de ces degrés ; mais le tropique d'été coïncide avec le parallèle de Syène : on sait, en effet, que les distances ou intervalles des différents lieux de la terre se déduisent des apparences célestes correspondantes comme de mesures positives, et l'on reconnaît, par exemple, que Syène doit se trouver sous le tropique d'été à cette circonstance qu'à l'époque du solstice d'été le gnomon à midi n'y projette point d'ombre. D'autre part, le méridien de Syène se confond en quelque sorte avec le cours du Nil de Méroé à Alexandrie, c'est-à-dire sur un espace de 10 000 stades environ, et, comme Syène se trouve située juste à moitié d- la distance, c'est 5000 stades, on le voit, qui la séparent de Méroé. Mais à 3000 stades en ligne directe au S. de Méroé le pays devient inhabitable par l'excès de la chaleur, le parallèle de cette région torride, identique d'ailleurs avec le parallèle de la Cinnamômophore, devra donc être considéré comme formant au midi la limite et le seuil de notre terre habitée. Cela étant, si aux 5000 stades qui séparent Syène de Méroé on ajoute ces 3000 stades, on aura 8000 stades en tout pour la distance de Syène aux confins mêmes de la terre habitée, et 16 800 stades pour la distance du même point à l'équateur (car c'est ce que valent les 4 degrés ou 4/60'° de l'équateur, à 4200 stades par chaque 60' ou degré), 8800 stades restant ainsi pour exprimer la distance des limites de la terre habitée à l'équateur, et 21 800 stades représentant la distance d'Alexandrie au même cercle. On convient maintenant généralement que le trajet d'Alexandrie à Rhodes est le prolongement direct du Nil, et que depuis Rhodes on suit encore la même direction le long des côtes de la Carie et de l'Ionie jusqu'à la Troade, plus loin même jusqu'à Byzance et jusqu'an Borysthène. On n'a donc plus qu'à rechercher au delà du Borysthène, et toujours dans le prolongement direct de cette ligne, en s'aidant des distances connues et déjà parcourues par la navigation, jusqu'à quel point de ce côté notre terre est habitable, et quelle est vers le nord la limite de la terre habitée. Or, au delà du Borysthène, le dernier peuple scythe que nous connaissions est le peuple Roxolan. Mais ce peuple, plus septentrional que les Sauromates et que ceux des Scythes qui habitent au-dessus du Moeotis jusqu'aux frontières des Scythes orientaux, est plus méridional que les dernières populations connues au delà de la Bretagne, bien que, passé les limites de son territoire, la terre soit déjà inhabitable à cause du froid.

8. Pythéas, à la vérité, recule la limite extrême de la terre habitée jusqu'à une contrée plus septentrionale encore que les dernières terres faisant partie de la Bretagne, contrée qui porterait le nom de Thulé, et pour les habitants de laquelle le tropique d'été tiendrait lieu de cercle arctique. Mais j'ai beau chercher, je ne vois pas qu'aucun autre voyageur ait mentionné une île du nom de Thulé, et reculé les limites de la terre habitable jusqu'au climat, pour lequel le tropique d'été fait office de cercle arctique. Aussi ai je idée qu'il faut reporter bien au midi la limite septentrionale de notre terre habitée, et, comme nos explorations modernes ne peuvent signaler aucune terre au delà d'lerné, île située à une faible distance au N. de la Bretagne, et dont les habitants complétement sauvages mènent déjà la vie la plus misérable à cause du froid, je suis assez tenté d'y placer la limite en question. S'il était vrai, en outre, que le parallèle de Byzance fût à peu près le même que celui de Massalia, comme le dit Hipparque sur la foi de Pythéas, et sur ce qu'il aurait trouvé à Byzance le même rapport de l'ombre au gnomon que Pythéas disait avoir observé à Massalia, le parallèle du Borysthène étant d'ailleurs éloigné de celui de Byzance de 3800 stades, on voit que, d'après la distance de Massalia à la Bretagne, le parallèle du Borysthène devrait tomber quelque part en Bretagne. Mais ce Pythéas, qui partout et toujours a cherché à tromper son monde, a certainement encore menti ici. Ainsi l'on convient généralement que la ligne qui, partant des Colonnes d'Hercule, se dirige sur le détroit de Sicile, sur Athènes et sur Rhodes, suit sans dévier le même parallèle; on convient également que la partie de cette ligne comprise entre les Colonnes d'Hercule et le détroit de Sicile coupe la mer à peu près par le milieu; et, comme le plus long trajet de la Celtique en Libye part, au dire des navigateurs, du golfe Galatique et mesure 5000 stades, ce qui représente précisément la plus grande largeur de la mer intérieure, on voit que la ligne en question devra se trouver à 2500 stades du fond du golfe et à moins de 2500 stades de Massalia, qui se trouve être plus méridionale que le fond du golfe. Mais d'autre part, la distance de Rhodes à Byzance est de 4900 stades environ, le parallèle de Byzance doit donc être beaucoup plus septentrional que celui de Massalia. Maintenant, sila distance de Massalia à la Bretagne nous représente à la rigueur l'équivalent de la distance de Byzance au Borysthène, on ne sait plus quelle peut être la distance du parallèle du Borysthène à celui d'Ierné, on ne sait pas davantage si au delà d'Ierné se trouvent encore d'autres terres habitables, sans qu'il y ait du reste, nous l'avons dit plus haut, grand intérêt à le chercher, car il suffit pour la science que l'on suppose, comme on a fait pour le midi, où l'on a cru pouvoir, non pas rigoureusement il est vrai, mais d'une façon au moins approximative, placer la limite de la terre habitable à 3000 stades au-dessus de Méroé, que l'on suppose, dis-je, du côté du nord également, la limite placée à 3000 stades au-dessus de la Bretagne ou à un peu plus de 3000 stades, à 4000 par exemple. Ajoutons qu'au point de vue politique il n'y aurait également aucun avantage à connaître ces contrées lointaines avec leurs habitants, surtout si ce sont encore des îles, qui, faute de communication facile, ne pourraient rien pour nous soit en bien soit en mal. Cela est si vrai que les Romains, qui pouvaient prendre possession de la Bretagne, ont dédaigné de le faire, sentant bien qu'il n'y avait, d'une part, rien à redouter pour eux, rien absolu-ment, de peuples comme les Bretons, trop faibles évidemment pour oser jamais franchir le détroit et nous venir attaquer, et rien à gagner, d'autre part, à l'occupation d'un pays comme le leur. Et il semble effectivement que les droits que notre commerce prélève actuellement sur ces peuples nous rapportent plus que ne ferait un tribut régulier, diminué naturellement des frais d'entretien de l'armée qui serait chargée de garder l'île et de faire rentrer l'impôt; sans compter que l'occupation eût été plus improductive encore si elle se fût étendue à toutes les îles qui peuvent entourer la Bretagne.

9. Si donc à la distance de Rhodes au Borysthène nous ajoutons 4000 stades pour la distance du Borysthène à la limite septentrionale de la terre habitée, nous obtenons une somme de 12 700 stades, et, comme de Rhodes à la limite méridionale il y a 16 600 stades, la terre habitée, on le voit, mesurera en tout, du S. au N., dans le sens de sa largeur, un peu moins de 30 000 stades. Dans le sens de sa longueur, maintenant, c'est-à-dire du couchant au levant, de l'extrémité de l'Ibérie à celle de l'Inde, on lui donne 70 000 stades, qui ont été mesurés en partie à l'aide des itinéraires, en partie à l'aide des lignes de navigation , et le rapport de la circonférence des parallèles à celle de l'équateur prouve que cette longueur est bien réellement comprise dans le quadrilatère en question. Ainsi la terre habitée a en longueur plus du double de sa largeur. Nous disons, en outre, qu'elle a la forme à peu près d'une chlamyde, parce qu'en la parcourant, comme nous faisons, en détail, on remarque un rétrécissement considérable de sa largeur aux deux extrémités, surtout à l'extrémité occidentale. 

10. Jusqu'à présent c'est sur une surface sphérique que nous avons entendu prendre le quadrilatère où nous plaçons la terre habitée, et quiconque veut avoir une reproduction de la terre habitée aussi exacte que peut l'être une figure faite de main d'ouvrier, doit, en effet, se construire une sphère, comme voilà celle de Cratès et prendre sur cette sphère le quadrilatère en question pour y inscrire la carte de la terre habitée ; il faut seulement que cette sphère soit grande pour que la portion que nous en considérons et qui, par rapport au reste, représente une fraction de si peu d'étendue, puisse recevoir sans confusion tous les détails qu'il importe d'y retracer et offre à l'oeil une image suffisamment exacte. Quand on peut se procurer une sphère de grande dimension, une sphère dont le diamètre n'ait pas moins de dix pieds, il n'y a pas à chercher mieux; mais, si l'on ne peut s'en procurer une qui soit juste de cette dimension ou qui du moins en approche beaucoup, il faut alors inscrire sa carte géographique sur une surface plane, de sept pieds au moins. Il est, en effet, assez indifférent qu'en place des cercles, [parallèles et méridiens], qui nous servent à déterminer sur la sphère les climats, les directions des vents et en général à distinguer les différentes parties de la terre et à leur assigner leur vraie position géographique et astronomique, nous tracions des lignes droites (lignes parallèles en place des cercles perpendiculaires à l'équateur, lignes perpendiculaires en place des cercles perpendiculaires aux parallèles), la pensée pouvant toujours aisément transporter à une surface circulaire et sphérique les figures et les dimensions que les yeux voient représentées sur une surface plane. Par une raison analogue, nous dirons qu'on peut remplacer aussi les cercles obliques par des droites obliques. En revanche, si, sur la sphère, tous les méridiens ou cercles passant par le pôle convergent vers un seul et même point, sur une surface plane, il n'y aurait aucun avantage à ce que les petites droites, ou droites représentant les cercles méridiens, conservassent encore cette disposition convergente : dans beaucoup de cas, d'abord, elle n'est pas nécessaire, et, de plus, quand on a transporté sur une surface plane et figuré par des lignes droites des circonférences de cercles convergents, l'esprit ne se représente pas la convergence aussi nettement qu'il fait la périphérie ou courbure circulaire.

11. Cela étant, nous supposerons, dans toute la description qui va suivre, la carte de la terre tracée sur une surface plane. Quant à la description elle-même, nous l'emprunterons en partie au souvenir de nos propres voyages sur terre et sur mer, en partie aux informations orales et aux relations écrites qui nous ont paru mériter créance. Or, nos voyages se sont étendus, du côté du couchant, de l'Arménie aux riva-ges de la Tyrrhénie qui font face à la Sardaigne, et, du côté du midi, des bords de l'Éuxin aux frontières de l'Éthiopie. Et, certes, parmi les différents auteurs qui ont traité de la géographie on n'en trouverait pas un seul qui eût parcouru beaucoup plus de pays que nous dans nos voyages entre les limites marquées ci-dessus. Ceux-là, en effet, qui ont poussé plus loin que nous dans la direction de l'occident, n'ont pas exploré une aussi grande étendue des contrées de l'orient; d'autres, au contraire, ont pénétré moins avant du côté de l'occident : nous en pourrions dire autant pour le midi et pour le nord.Toutefois, à le bien prendre, nous n'avons fait le plus souvent, nos prédécesseurs et nous-même, que combiner les différentes notions que nous recueillions de la bouche des indigènes sur la figure, l'étendue, et en général sur tout ce qui constitue la nature et le caractère d'un pays, comme l'intelligence combine les différentes idées d'après le témoignage des sens. C'est en combinant, on le sait, ce que nos sens nous révèlent de la forme, de la couleur et du volume de la pomme, de son odeur, de sa douceur au toucher et de sa saveur au goût, que notre pensée se forme l'idée d'une pomme, et, s'agit-il de figures de grande dimension, ce sont nos sens qui en perçoivent d'abord les parties, puis, d'après leur témoignage, notre pensée en recompose l'ensemble. Eh bien! De même, dans notre ardeur d'investigation, nous consultons, comme nous ferions nos sens, ceux qui ont vu tels ou tels lieux, parcouru telles ou telles parties de la terre, et en combinant leurs témoignages, nou parvenons à reproduire dans un seul et même tableau l'aspect général de la terre habitée. N'est-ce pas ainsi que le généraux arrivent aussi à tout faire eux-mêmes, sans pouvoir être pourtant présents partout, et même en agissant le plus souvent par les autres, n'est-ce pas en ajoutant foi aux paroles de leurs émissaires, et en conformant les ordre qu'ils expédient aux rapports que ceux-ci leur ont faits prétendre en effet qu'on ne peut savoir les choses qu'en le voyant de ses yeux, ce serait vouloir priver le jugement du secours de l'ouïe. Or l'ouïe est un sens bien supérieur à la vue comme moyen d'information.

12. Notre principal avantage aujourd'hui, c'est de pouvoir parler plus pertinemment de la Bretagne, de la Germanie, des pays en deçà et au delà de l'Ister, des Gètes des Tyrigètes, des Bastarnes, comme aussi des peuples du Caucase, des Albaniens et des Ibères par exemple. Nous devons en outre à Apollodore d'Artémite, l'historien de la guerre Parthique, des informatlons beaucoup plus précises que tout ce qui avait été publié auparavant sur l'Hyrcanie et la Bactriane. Puis l'expédition toute récente de l'armée romaine dans l'Arabie Heureuse, sous les ordres d'Aelius Gallus, notre camarade et ami, et les voyages des marchands d'Alexandrie, qui commencent à expédier vers l'Inde par la voie du Nil et du golfe Arabique de véritables flottes, nous ont fait connaître ici ces deux contrées infiniment mieux qu'on ne les connaissait naguère : du temps que Gallus était préfet d'Égypte, je vins le rejoindre, et, ayant remonté le fleuve avec lui jusqu'à Syène et aux frontières de l'Éthiopie, je recueillis ce renseignement positif qu'il partait actuellement 120 vaisseaux de Myoshormos pour l'Inde, quand autrefois, sous les Ptolémées, on ne comptait qu'un très petit nombre de marchands qui osassent entreprendre une pareille traversée et faire le commerce avec cette contrée.

13. Ce que nous avons donc à faire en premier, et ce qui est aussi le plus essentiel au point de vue pratique comme au point de vue théorique, c'est d'essayer de déterminer le plus simplement possible la figure et l'étendue des pays qui doivent trouver place sur la carte de la terre habitée. Quant à disserter en règle sur l'ensemble de la terre, ou même seulement sur la totalité du peson de fuseau compris dans la zone qui est la nôtre, quant à chercher, par exemple, si ledit peson est habité aussi dans l'autre quart de sphère, ceci est du domaine d'une autre science. Dans ce cas-là, en effet, les habitants de cette autre partie du peson ne pouvant manquer d'être différents de ceux de lapartieque nous occupons, il faudrait supposer, ce qui d'ailleurs est vraisemblable, l'existence d'une seconde terre habitée. Or, c'est la nôtre uniquement que nous avons à décrire.

14. Cela posé, nous dirons que la forme de notre terre habitée est celle d'une chlamyde; que sa plus grande largeur est représentée par une ligne, qui suit le cours même du Nil et qui part du parallèle de la Cinnamômophore et de l'île des Exilés d'Égypte pour aboutir au parallèle d'Ierné, tandis que sa longueur est représentée par une autre ligne, perpendiculaire à celle-là, qui, partant de l'occident, passe par lès Colonnes d'Hercule et le détroit de Sicile, atteint Rhodes et le golfe d'Issus, pour suivre alors d'un bout à l'autre la chaîne du Taurus, laquelle coupe l'Asie tout entière, et va finir à la mer Orientale entre l'Inde et le pays que les Scythes occupent au-dessus de la Bactriane. Il faut donc concevoir un parallélogramme dans lequel on aura inscrit la chlamyde en question de telle sorte que la plus grande longueur et la plus grande largeur de chacune des deux figures se correspondent et soient égales chacune à chacune, et cette chlamyde sera proprement la figure de la terre habitée. Mais nous avons déjà dit que, dans le sens de sa largeur, la terre habitée était limitée par des côtés parallèles formant la séparation supérieure et la séparation inférieure entre la région habitable et la région inhabitée, et que ces côtés étaient, au nord, le parallèle d'Ierné, et, au midi, vers la zone torride, le parallèle de la Cinnamômophore : or, prolongeons ces côtés parallèles au levant et au couchant jusqu'aux extrémités correspondantes de la terre, ils forment, on le voit, avec les lignes qui unissent lesdites extrémités, un parallélogramme. Nul doute maintenant que notre terre habitée ne se trouve bien réellement inscrite dans ce parallélogramme, puisque ni sa plus grande largeur, ni sa plus grande longueur n'en dépassent les côtés; nul doute aussi que sa forme ne soit exactement celle d'une chlamyde, puisque, dans le sens de sa longueur, ses deux extrémités se terminent, comme on dit, en façon de queue de rai, la mer lui retranchant là de part et d'autre une portion notable de sa largeur, ainsi qu'il appert des rapports des navigateurs, qui, par l'est et par l'ouest, ont entrepris le périple de la terre. Du côté de l'est, en effet, quels sont les points extrêmes qu'ils nous signalent? L'île de Taprobane d'abord, qui, bien que située plus au midi que l'Inde, et à une assez grande distance encore du continent, ne laisse pas que d'être assez peuplée et doit, à en juger par l'analogie de son climat avec celui de l'île des Égyptiens et de la Cinnamômophore, se trouver juste à la même hauteur que ces deux contrées, et, avec l'île de Taprobane, l'entrée de la mer Hyrcanienne, qui, plus septentrionale que l'extrême Scythie, laquelle fait suite à l'Inde, paraît cependant l'être moins que Ierné. Même disposition maintenant à l'extrême occident par delà des Colonnes d'Hercule. Le promontoire Sacré d'Ibérie, qui termine, on le sait, de ce côté la terre habitée, doit se trouver à peu près sur la ligne qui passe par Gadira, les Colonnes d'Hercule, le détroit de Sicile et Rhodes, d'après ce qu'on rapporte de la concordance parfaite des horloges et de la direction identique des vents périodiques en ces différents lieux, ainsi que de l'égalité dans la durée des plus longs jours et des plus longues nuits, cette durée y étant de quatorze heures équinoxiales et demie, sans compter que, de la côte voisine de Gadira, on a plus d'une fois observé [les Cabires, constellation très-rapprochée de Canope (31).] Posidonius notamment nous raconte que, se trouvant dans une ville de ces contrées, distante de 400 stades de Gadira, il observa du haut d'une des maisons les plus élevées de la ville une étoile, dans laquelle il crut reconnaître Canope elle-même, se fondant en cela sur le témoignage de tous les navigateurs qui se sont avancés quelque peu au sud de l'Ibérie et qui conviennent unanimement de l'avoir observée, ainsi que sur les observations faites à Cnide, où Eudoxe, du haut d'un observatoire, qui n'était guère plus élevé que les autres maisons de la ville, reconnut positivement Canope : or, ajoute Posidonius, la ville de Cnide est située sur le climat de Rhodes, qui se trouve être en même temps celui de Gadira et de toute la côte voisine.

15. Eh bien! Qu'à partir du promontoire Sacré on navigue vers le sud, on ne tarde pas à atteindre la Libye et l'on voit cette contrée, dont les terres les plus occidentales dépassent même quelque peu le méridien de Gadira, se détourner ensuite brusquement au sud-est, et former un étroit promontoire, mais pour s'élargir ensuite par degré: jusqu'au point où commence le pays des Éthiopiens Occidentaux, lequel limite au S. la Province Carthaginoise, et touche au parallèle de la Cinnainômophore. Et il en est de même si l'on navigue dans la direction opposée à partir du promontoire Sacré après avoir, en effet, couru droit au nord jusqu'au pays des Artabres, avec la Lusitanie à sa droite, on voit la côte tourner au plein levant, de manière à former un angle obtus au point où le mont Pyréné vient finir dans l'Océan, point auquel correspond dans le nord l'extrémité occidentale de la Bretagne, tout comme au pays des Artabres correspondent les îles Cassitérides, situées en pleine mer, à peu près sous le climat de la Bretagne. On voit donc à quel point les extrémités de la terre habitée, prise dans le sens de sa longueur, se trouvent rétrécies par la mer qui l'environne.

16. Mais, avec cette forme générale qu'affecte la terre habitée, ce qu'il y a de mieux à faire, ce semble, c'est de prendre deux droites se coupant perpendiculairement, qui en figureront l'une la plus grande longueur, l'autre la plus grande largeur : la première de ces lignes sera choisie parmi les parallèles, la seconde parmi les lignes méridiennes. Puis, à l'aide d'autres lignes que l'on concevra respectivement parallèles à l'une ou à l'autre de ces deux premières lignes, on achèvera de diviser la terre et la portion de mer que nous fréquentons. De cette manière et par la différence de longueur des lignes, aussi bien des lignes parallèles que des lignes méridiennes, on se rendra mieux compte de la forme que nous avons prêtée à la terre habitée; on distinguera mieux aussi le climat ou la position respective de chaque lieu tant au levant qu'au couchant, tant au nord qu'au midi. Naturellement les droites dont nous parlons devront passer par des lieux connus. Déjà nous avons déterminé les deux premières, les deux du milieu, qui représentent, avons-nous dit, l'une la longueur, l'autre la largeur de la terre habitée ; or, il sera facile de connaître les autres, à l'aide de celles-là : car, en prenant ces deux lignes pour premiers jalons, si l'on peut dire, on pourra toujours calculer (32) le parallèle d'un lieu et déterminer les autres éléments de sa position géographique et astronomique.

17. Rien maintenant ne contribue plus à donner à la terre habitée la figure qu'elle a que la mer, en dessinant, comme elle fait, ses contours au moyen des golfes, des bassins, des détroits, des isthmes, des presqu'îles, et des promontoires qu'elle forme sur ses côtes. Ajoutons que, dans une certaine mesure, les fleuves et les montagnes concourent au même but, en ce qu'ils ont servi à distinguer les continents et les nations qui les habitent et à indiquer pour les villes ies emplacements les plus favorables, fournissant ainsi au géographe ces formes et ces détails de toute nature dont il parsème ses cartes chorographiques. N'oublions pas non plus cette multitude d'îles dispersées en pleine mer et sur tout le littoral de la terre habitée. Il peut se faire en outre que les lieux possèdent certaines vertus ou certains vices, certains avantages ou certains inconvénients, les uns naturels, les autres artificiels : or, le géographe mentionnera les premiers, ceux qui sont naturels et par cela même permanents, [quitte à négliger] les autres, qui, ajoutés par la main des hommes, sont sujets à changer. Éncore en est-il parmi ces derniers qui persistent davantage, ceux-là il devra les faire connaître égale-ment. Il en est même qui, à défaut d'une longue durée, ont eu une notoriété, une célébrité telle, que la postérité, sur leur renommée, a fini par faire de dispositions artificielles, qui ne sont plus, quelque chose d'inhérent à la nature des lieux, il est clair que ces dispositions-là encore devront être rappelées. Bien qu'on puisse dire en effet de beaucoup de villes ce que Démosthène (33) disait d'Olynthe et des villes environnantes, qu'elles avaient si complètement disparu que le voyageur sur les lieux pourrait douter qu'elles eussent jamais existé, néanmoins, on aime encore à visiter ces lieux et tous ceux, en général, où l'on peut espérer de retrouver quelques vestiges de ces travaux naguère si vantés, ainsi que les tombeaux des grands hommes. Nous citons enfin dans. notre livre des lois et des institutions depuis longtemps abolies, trouvant à le faire la même utilité qu'à rappeler les événements mêmes de l'histoire, vu que les lois et les institutions offrent aussi de bons exemples à suivre et de mauvais exemples à éviter.

18. Mais reprenons où nous l'avons laissée cette première esquisse de la terre habitée (34). Entourée d'eau, comme elle est, de tous côtés, notre terre habitée offre différents golfes ou enfoncements qui s'ouvrent sur cette mer extérieure, c'est-à-dire sur l'Océan même. Dans le nombre on en distingue quatre d'une très grande étendue : celui du nord a reçu le nom de mer Caspienne, on l'appelle quelquefois aussi mer Hyrcanienne; le second et le troisième, appelés golfe Persique et golfe Arabique, sont formés par la mer du sud et se trouvent situés juste à l'opposite, l'un, de la mer Caspienne, l'autre de la mer du Pont; quant au quatrième, qui surpasse de beaucoup les autres en étendue, il est représenté par là mer Intérieure, que nous nommons habituellement Notre mer, laquelle commence à l'O. au détroit des Colonnes d'Hercule et se prolonge vers l'E. avec une largeur variable pour se partager à la fin en deux golfes ou bassins distincts, l'un à gauche qui est le Pont-Euxin, l'autre à droite qui comprend lui-même la mer d'Égypte, la mer de Pamphylie et le golfe d'Issus. Les embouchures de ces différents golfes formés par la mer Extérieure sont extrêmement étroites, surtout celle du golfe Arabique et celle de la mer Intérieure, laquelle avoisine les Colonnes d'Hercule ; celles des deux autres le sont comparativement moins. Les terres, maintenant, qui enserrent ces grands golfes se divisent, avons-nous dit, en trois parties : de ces trois parties, l'Europe est celle dont la forme est le plus irrégulière. et la Libye celle dont la forme l'est le moins; quant à l'Asie, on peut dire qu'à cet égard elle tient le milieu entre les deux autres. Du reste, dans toutes trois, cette forme plus ou moins irrégulière provient du littoral de la mer Intérieure, car les côtes de la mer Extérieure, à l'exception des golfes dont nous avons parlé, sont droites et unies et figurent, on l'a vu, les bords d'une chlamyde, à quelques petites différences près dont il n'y a pas à tenir compte, les petits détails comme ceux-là disparaissant naturellement dans une si grande étendue. Mais le géographe ne se borne pas dans ses recherches à déterminer la figure et l'étendue des lieux, il doit aussi, nous l'avons dit plus haut, en fixer la position relative : or, à cet égard-là pareillement [à l'égard des positions géographiques et astronomiques], le littoral de la mer Intérieure offre plus de variété que celui de la mer Extérieure. Ajoutez qu'on le connaît davantage, que la température en est plus douce et qu'il s'y trouve un plus grand nombre de cités et de nations policées, que nous désirons tous, qui plus est, connaître les lieux où règne le plus d'activité, où les formes de gouvernement sont le plus variées et les arts le plus florissants, où se trouve en un mot réuni tout ce qui contribue le plus à éclairer les hommes, et qu'enfin nos besoins nous conduisent naturellement vers les contrées, avec lesquelles nous pouvons espérer de nouer des relations de commerce et de société, c'est-à-dire vers les grands centres de population ou mieux vers les principaux foyers de civilisation. Sous tous ces rapports, disons-le encore, notre mer Intérieure a une grande supériorité ; et l'on ne s'étonnera pas que nous ayons commencé par ses rivages notre description de la terre habitée.

19. Ainsi que nous l'avons marqué plus haut, on entre dans le golfe qui forme la mer Intérieure par le détroit d'Hercule, lequel n'a, dit-on, dans sa partie la plus res-serrée, que 70 stades environ. Mais, quand on a dépassé ce canal, long de 120 stades, on voit les deux rivages s'écarter considérablement, celui de gauche plus encore que l'autre, et le golfe prendre l'aspect d'une grande mer. Bordé du côté droit par le littoral de la Libye jusqu'à Carthage, il l'est du côté opposé par le littoral de l'Ibérie, auquel succèdent la côte de la Celtique, avec les villes de Narbonne et de Massa-lia, la côte de la Ligystique et enfin la côte d'Italie jusqu'au détroit de Sicile. C'est en effet la Sicile qui, avec ses deux détroits, forme le côté oriental de ce premier bassin. Le détroit placé entre la Sicile et l'Italie a 7 stades seulement de largeur, l'autre qui se trouve entre la Sicile et Carthage a 1500 stades. On sait que la ligne tirée depuis les Colonnes d'Hercule jusqu'à cet Heptastade ou détroit de 7 stades, et une portion de la ligne plus grande menée jusqu'à Rhodes e au Taurus et qu'elle coupe le bassin en question à peu près par le milieu; or, on lui prête un développement de 12000 stades : ces 12000 stades représenteront donc la longueur du bassin. Quant à la largeur dudit bassin, elle mesure, là où elle est la plus grande, c'est-à-dire d'un point du golfe Galatique situé entre Massalia et Narbonne à un point de la côte de Libye situé juste vis-à-vis, elle mesure, disons nous, à peu près 5000 stades. Toute la partie du bassin qui borde la Libye a reçu le nom de mer Libyque, quant à celle qui borde la côte opposée, elle s'appelle ici mer d'Ibérie, ailleurs mer Ligystique, plus loin mer Sardonienne ou de Sardaigne, et enfin mer Tyrrhénienne jusqu'à la Sicile. Il y a beaucoup d'îles répandues le long de la côte de la mer Tyrrhénienne jusqu'à la Ligystique ou Ligurie : Sardo et Cyrnos sont les plus considérables, après la Sicile toutefois, qui de toutes nos îles est la plus étendue, comme elle est déjà la plus fertile. Il y a du reste une grande différence de celles-là aux autres, soit aux îles situées en pleine mer, comme voilà Pandataria (35) et Pontia (36), soit à celles qui bordent le littoral, j'entends Aethalia (37), Planasia, Pithecussa, Prochyté, Capriae, Leucosia (38) et autres semblables. De l'autre côté de la Ligystique et tout le long du rivage jusqu'aux Colonnes d'Hercule, on ne compte que peu d'îles : de ce petit nombre font partie les Gymnesiae et Ebysus (39). Il n'y en a pas beaucoup non plus dans les parages de la Libye et de la Sicile, mais les plus remarquables sont Cossura, Aegimuros et les îles dites des Liparéens, ou, comme on les appelle quelquefois, les îles d'Aeole.

20. Passé la Sicile et le double détroit qui la borde, on voit s'ouvrir d'autres bassins qui font suite au premier, l'un s'étend en avant de la région des Syrtes et de la Cyrénaïque et comprend les Syrtes elles-mêmes, l'autre est l'ancienne mer Ausonienne, appelée aujourd'hui merde Sicile, qui du reste communique avec le précédent bassin et en formé même la continuation. On appelle mer de Libye le bassin qui se déploie en avant de la région des Syrtes et de la Cyrénaïque; il finit là où commence la mer d'Égypte. Des deux Syrtes, la plus petite a environ 1600 stades de circuit : les îles Meninx et Cercina, situées des deux côtés de l'ouverture, en commandent l'entrée. Quant à la grande Syrie, Ératosthène lui attribue 500 stades de circonférence et 1800 stades de profondeur depuis les Hespérides jusqu'à Automala et à la frontière qui sépare la Cyrénaïque de toute cette partie de la Libye; mais, suivant d'autres auteurs, elle n'aurait que 4000 stades de tour et 1500 stades de profondeur, 1500 stades, juste la largeur de l'ouverture. La mer de Sicile, maintenant, baigne les côtes orientales de la Sicile et de l'Italie, celles d'Italie depuis Rhegium jusqu'à Locres, celles de Sicile depuis le territoire de Mes-sine jusqu'à Syracuse et au Pachynum. Au levant, elle se prolonge jusqu'à la pointe de l'île de Crète, baigne et en-toure la plus grande partie du Péloponnèse et forme le golfe de Corinthe; au nord, elle atteint le promontoire lapygien et l'entrée du golfe d'Ionie et s'avance au S. de l'Épire jusqu'au golfe Ambracique et à la côte qui y fait suite et qui avec le Péloponnèse dessine le golfe de Corinthe. Le golfe d'Ionie, lui, n'est qu'une portion de ce bassin appelé aujourd'hui l'Adrias ou Adriatique, qui, bordé à droite par la côte d Illyrie et à gauche par celle d'Italie jusqu'à la ville d'Aquilée, laquelle est située au fond d'un dernier golfe, s'avance étroit et allongé dans une direction nord-ouest : la longueur de ce bassin est de 6000 stades et sa plus grande largeur de 1200. En fait d'îles, on y remarque un premier groupe considérable répandu le long de la côte d'Illyrie et qui comprend les îles Apsyrtides, Cyrictica (40) et Liburnides, puis Issa et Tragurium, Melaena-Corcyra ou Corcyre-la-Noire (41) et enfin Pharos; et, sur la côte d'Italie, un autre groupe comprenant les îles dites de Diomède. La mer de Sicile passe pour avoir, du Pachynum à l'île de Crète, 4500 stades et autant jusqu'au Ténare en Laconie; moins de 3000 (42) maintenant du promontoire Iapygien au fond du golfe de Corinthe, mais plus de 4000 du même promontoire à la côte de Libye. Ses principales îles sont Corcyre et les Sybotes sur la côte d'Épire, puis, dans les parages qui précèdent l'entrée du golfe de Corinthe, Céphallénie, Ithaque, Zacynthe et les Echinades.

21. A la mer de Sicile succèdent la mer de Crète, la mer Saronique et celle de Myrtes. Cette dernière, comprise entre la Crète, l'Argie ou Argolide et l'Attique, mesure dans sa plus grande largeur, à partir de l'Attique, environ 1200 stades, et un peu moins du double en longueur. Les îles qu'on y rencontre sont Cythère, Calaurie, Aegine, Salamine et déjà une partie des Cyclades. A la suite de la mer de Myrtos, on rencontre la mer Égée avec le golfe Mêlas et l'Hellespont, puis la mer Icarienne et la mer Carpathienne, celle-ci s'étendant jusqu'aux parages des îles de Rhodes et de Crète (43), et jusqu'aux premières terres du continent d'Asie.... En fait d'îles, ces mers renferment, avec le reste des Cyclades, les Sporades, et toutes les îles du littoral de la Carie, de l'Ionie et de Monde jusqu'à la Troade, telles que Cos, Samos, Chios, Lesbos et Tenedos; celles aussi du littoral de la Hellade jusqu'à la Macédoine et à la partie de la Thrace qui y confine, à savoir l'Eubée, Scyros, Peparethos, Lemnos, Thasos, Imbros et Samothrace et maintes autres encore, que nous ferons connaître en leur lieu et place dans la suite de ce traité. Cette partie de la mer Intérieure mesure en longueur 4000 stades environ, plutôt plus que moins, et en largeur à peu près 2000 stades, et se trouve enfermée entre les côtes d'Asie que nous venons d'indiquer, la côte de Grèce qu'on range du S. au N. depuis Sunium jusqu'au golfe Thermoeen et les rivages des golfes de Macédoine jusqu'à la Chersonèse de Thrace.

22. Le long de celle-ci s'étend le détroit des sept stades, dit de Sestos et d'Abydos, par lequel la mer Égée et l'Hellespont communiquent avec une autre mer plus septentrionale, nommée la Propontide, qui communique elle-même avec le Pont-Euxin. Quant au Pont-Euxin, il forme en quelque sorte deux mers distinctes : on voit, en effet, se détacher de la côte septentrionale ou côte d'Europe et de la côte opposée ou côte d'Asie deux caps ou promontoires, qui, en s'avançant à la rencontre l'un de l'autre vers le centre du Pont, resserrent le passage et forment ainsi deux grands bassins. Le promontoire de la côte d'Europe s'appelle Criou-Metdpon et celui de la côte d'Asie Carumbis, ils sont distants l'un de l'autre de 2500 stades environ (44). Le bassin occidental a en longueur, de Byzance aux bouches du Borysthène, 3800 stades et 2000 stades en largeur (45); il contient l'île Leucé. Le bassin oriental est de forme oblongue et se termine par le golfe étroit et profond de Dioscurias : il a 5000 stades de longueur, si ce n'est un peu plus, et 3000 stades environ de largeur. Quant au périmètre total du Pont-Euxin, il est de 25 000 stades. Quelques auteurs en comparent la forme à celle d'un arc scythe tendu, la corde de l'arc se trouvant figurée par celle des côtes du Pont-Euxin, qui s'étend à droite et qui n'offre dans tout son parcours, depuis l'entrée même de la mer jusqu'à l'enfoncement de Dioscurias, à l'exception toutefois de la pointe de Carambis que des rentrants et des saillies sans importance, ce qui permet effectivement de l'assimiler à une ligne droite, tandis que la côte opposée avec sa double courbure, la cour-bure supérieure plus arrondie et la courbure inférieure plus surbaissée, reproduit assez exactement la corne de l'arc, et dessine deux golfes, dont le plus occidental est en effet sensiblement plus arrondi que l'autre.

23. Au-dessus et au nord du bassin oriental s'étend le lac Maeotis, qui a 9000 stades de tour, peut-être même un peu plus, et qui se déverse dans le Pont par le Bosphore Cimmérien, comme le Pont lui-même se déverse dans la Propontide par le Bosphore de Thrace: on appelle ainsi le détroit, large de 4 stades, qui lui sert d'entrée près de Byzance. La Propontide, elle, passe pour avoir 1500 stades de longueur de la Troade à Byzance, et à peu près autant de largeur : on y remarque l'île de Cyzique et autour d'elle plusieurs autres îlots.

24. Voilà ce qu'est la mer Égée et jusqu'où elle s'étend vers le nord. A partir de Rhodes maintenant, commence cet autre bassin qui comprend, outre la mer d'Égypte, les mers de Pamphylie et d'Issus; il s'étend dans la direction du levant jusqu'à Issus en Cilicie, sur un espace de 5000. stades, le long des côtes de la Lycie, le la Pamphylie et du littoral entier de la Cilicie; puis, à partir de là, la Syrie, la Phénicie et l'Égypte jusqu'à Alexandrie l'enferment au midi et au couchant. L'île de Chypre se trouve à la fois dans le golfe d'Issus et dans la mer de Pamphylie, et confine à la mer d'Égypte. De Rhodes à Alexandrie, le trajet direct par le vent du nord est de 4000 stades environ; la distance est doublée quand on suit les côtes. Mais, au dire d'Ératosthène, l'évaluation que font les marins de cette traversée est tout arbitraire, les uns lui donnant l'étendue que nous venons de dire et les autres la portant hardiment à 5000 stades, tandis que lui, par des observations sciothériques ou gnomoniques, n'y trouvait que 3750 stades. Or, toute la partie de cette mer qui horde la Cilicie et la Pamphylie, tout le côté droit du Pont-Euxin, avec la Propontide, et tout le littoral correspondant. jusqu'à la Pamphylie dessinent par le fait une grande presqu'île, dont l'isthme, très large, va de Tarse sur la mer de Cilicie à Amisus sur le Pont et à Thémiscyre, cette grande plaine dite des Amazones; car le pays qui s'étend en dedans de cette ligne jusqu'à la carie et à l'Ionie, autrement dit le pays en deçà de l'Halys, se trouve complètement entouré par la mer Égée et les autres mers ou bassins dont nous avons parlé, et qui prolongent la mer Egée des deux côtés Ajoutons que le nom d'Asie, qui appartient au continent tout entier, désigne aussi en particulier cette presqu'île.

25 En somme, le point le plus méridional de notre mer Intérieure est le fond de la Grande Syrte et le plus méridional, après celui-là, Alexandrie d'Égypte, avec les bouches du Ni!; quant au point le plus septentrional, c'est l'embouchure du Borysthène qui le représente, à moins qu'on n'ajoute à notre mer le lac Maeotis (et ce lac peut bien être, en effet, considéré comme une de ses dépendances), auquel as le point le plus septentrional sera représenté par l'embouchure du Tanaïs. Le point le plus occidental, maintenant, est le détroit des Colonnes d'Hercule, et le plus oriental le fond de ce golfe de Dioscurias, dont il a été question plus haut; car évidemment Ératosthène se trompe quand il nous donne pour extrémité orientale de notre mer le golfe d'Issus, ledit golfe étant situé sur le méridien d'Amisus et de la plaine de Thémiscyre, ou tout au plus sur celui de la Sidène, autre grande plaine qui s'étend jusqu'à Pharnacia, et le trajet qui reste à faire à FE. de ce méridien lieur atteindre Dioscurias étant encore de plus de 3000 stades, comme on le verra plus clairement, quand nous en serons à décrire toute cette contrée en détail. Telle est donc l'idée qu'il faut se faire de notre mer Intérieure.

26. Mais nous devons aussi esquisser à grands traits les différentes terres qui lui servent de ceinture, et pour cela naturellement partir du même point que pour la description de la mer elle-même. Or, en entrant dans le détroit des Colonnes d'Hercule, on' se trouve avoir à droite la côte de Libye, qui s'étend ainsi jusqu'au Nil, et à gauche, en face de la Libye, la côte d'Europe, laquelle s'étend jusqu'au Tanaïs, pour se terminer, comme la Libye, à la frontière d'Asie. Seulement c'est par l'Europe que nous devrons commencer, vu sa forme pittoresque et les conditions éminemment favorables dans lesquelles la nature l'a placée pour le développement moral et social de ses habitants, conditions qui lui ont permis de faire participer les autres continents à ses propres avantages. L'Europe, en effet, est tout entière habitable, à l'exception d'une faible portion de son étendue, où le froid empêche qu'on n'habite : cette partie inhabitable est située dans le voisinage des populations hamaxèques des bords du Tanaïs, du Maeotis et du Borysthène. Il y a bien encore, dans la partie habitable, quelques cantons froids et montagneux, dont les habitants semblent condamnés par la nature à mener toujours l'existence la plus misérable, mais, grâce à une sage administration, ces lieux-là même, ces lieux affreux, vrais repaires de brigands, semblent s'être adoucis. C'est ainsi que les Grecs ont réussi à faire des montagnes et des rochers où ils étaient confinés un beau et agréable séjour, grâce à leur administration prévoyante, à leur goût pour les arts et à leur parfaite entente de toutes les conditions de la vie matérielle. Les Romains, de leur côté, après avoir incorporé à leur empire maintes nations restées jusque-là sauvages par le fait des pays qu'elles occupaient et que leur âpreté naturelle, leur manque de ports, la rigueur de leur climat ou telle autre cause rendait presque inhabitables, sont parvenus à les tirer de leur isolement, à les mettre en rapport les unes avec les autres et à ployer les plus barbares aux habitudes de la vie sociale. Mais, dans le reste de la partie habitable, là où le sol de l'Europe est uni et son climat tempéré, la nature semble avoir tout fait pour hâter les progrès de la civilisation. Comme il arrive, en effet, que, dans les contrées riantes et fertiles, les populations sont toujours d'humeur pacifique, tandis qu'elles sont belliqueuses et énergiques dans les contrées plus pauvres , il s'établit entre les unes et les autres un échange de mutuels services, les secondes prêtant le secours de leurs armes aux premières qui les aident à leur tour des productions de leur sol, des travaux de leurs artistes et des leçons de leurs philosophes. En revanche, on conçoit tout le mal qu'elles peuvent se faire pour peu qu'elles cessent de s'entr'aider ainsi, l'avantage, dans le cas d'un conflit, devant être, à ce qu'il semble, du côté de ces populations toujours armées et toujours prêtes à user de violence, à moins pourtant qu'elles ne succombent sous le nombre. Eh bien ! A cet égard là encore, l'Europe a reçu de la nature de grands avantages : comme elle est en effet toute parsemée de montagnes et de plaines, partout les populations agricoles et civilisées y vivent côte-à-côte avec les populations guerrières, et les premières, j'entends celles qui ont le caractère pacifique, étant les plus nombreuses, la paix a fini par y prévaloir universellement, d'autant qu'un peut dire que les conquêtes successives des Grecs, des Macédoniens et des Romains n'ont fait elles-mêmes que la servir et la propager. Il s'ensuit aussi qu'en cas de guerre l'Europe est en état de se suffire à elle-même, puisqu'à côté d'une population nombreuse de cultivateurs et de citadins elle compte beaucoup de soldats exercés. Un autre de ses avantages, c'est qu'elle tire de son sol les produits les meilleurs et les plus nécessaires à la vie et de ses mines les métaux les plus utiles ; restent donc les parfums et les pierres précieuses qu'elle est obligée de tirer du dehors, mais ce sont là des biens dont on peut être privé sans mener pour cela une existence plus misérable que ne l'est en somme celle des peuples qui en regorgent. Ajoutons enfin qu'elle nourrit une très grande quantité de bétail et fort peu de bêtes féroces et nous aurons achevé de donner de la nature de ce continent une idée générale.

27. Prenons maintenant une à une ses différentes parties. La première qui se présente en commençant par l'occident est l'Ibérie : cette contrée a la forme à peu près d'une peau de boeuf, dont on supposerait la partie antérieure ou cervicale tournée vers la Celtique, c'est-à-dire, vers l'est, de manière à pouvoir y découper celui des côtés de l'Ibérie que détermine le mont Pyréné (46). Des trois autres côtés, l'Ibérie est entourée par la mer, à savoir au midi par notre mer Intérieure jusqu'aux Colonnes d'Hercule, ailleurs par la mer Atlantique, jusqu'à l'extrémité septentrionale du mont Pyréné. Sa plus grande longueur est de 6000 stades environ et sa plus grande largeur de 5000.

28. Vient ensuite la Celtique, qui s'étend à l'est jusqu'au cours du Rhin et qui se trouve avoir pour côté ou pour limite septentrionale tout le Détroit Britannique, l'île de Bretagne décrivant de l'autre côté du détroit une ligne parallèle juste de même longueur que la côte de la Celtique, c'est-à-dire une ligne de 500 stades environ, et pour côté oriental le cours du Rhin, lequel est parallèle à la chaîne du mont Pyréné. Quant à son côté méridional, il est représenté en partie par la chaîne des Alpes, depuis les bords du Rhin , en partie par notre mer elle même, là où elle forme ce golfe profond appelé le golfe Galatique, sur les rivages duquel s'élèvent les villes si célèbres de Massalia et de Narbonne. Juste en face de ce golfe, sur la côte opposée de la Celtique, s'en ouvre un autre, appelé de même Golfe Galatique, mais qui est tourné vers le nord, vers la côte de Bretagne. C'est entre ces golfes que la Celtique se trouve avoir le moins de largeur, car elle se rétrécit là jusqu'à ne plus former qu'un isthme ayant moins de 3000, et plus de 2000 stades. Une longue arête montagneuse, perpendiculaire à la chaîne du mont Pyréné et appelée le mont Cemmène, traverse cet isthme et vient finir juste dans les plaines du centre de la Celtique. Quant aux Alpes, qui sont des montagnes extrêmement élevées, elles décrivent une circonférence de cercle, dont la partie convexe est tournée vers ces plaines de la Celtique et vers la chaîne du mont Cemmène, tandis que la partie concave regarde la Ligystique et l'Italie. On y compte un grand nombre de peuples, tous Celtes, à l'exception des Ligyens : encore ceux-ci, bien qu'étant de race différente, se rapprochent-ils beaucoup des Celtes par leur manière de vivre. La partie des Alpes qu'ils habitent est contiguë aux Apennins; mais ils occupent en outre une partie de cette dernière chaîne, laquelle traverse l'Italie du nord au sud dans toute sa longueur pour ne se terminer qu'au détroit de Sicile.

29. L'Italie, elle, s'ouvre par de grandes plaines, qui, du pied des Alpes, s'étendent jusqu'au fond de l'Adriatique et aux pays qui l'avoisinent ; mais, dans la partie qui fait suite à ces plaines, elle forme un promontoire étroit, une espèce de presqu'ile allongée, que la chaîne de l'Apennin traverse, avons-nous dit, d'une extrémité à l'autre, offrant ainsi une longueur de 7000 stades environ, avec une largeur singulièrement variable. Les mers qui dessinent la Péninsule Italique sont, d'une part, la mer Tyrrhénienne, laquelle commence où finit la mer Ligystique, et, d'autre part, la mer Ausonienne, avec l'Adrias ou Adriatique.

30. Passé l'Italie et la Celtique, commence la partie orientale de l'Europe, qui se trouve coupée en deux par le cours de l'Ister. Ce fleuve coule de l'ouest à l'est jusqu'au Pont-Euxin en laissant à gauche toute la Germanie, laquelle part du Rhin, tout le pays des Gètes et celui des Tyrégètes, des Bastarnes et des Sauromates qui se nrolonge jusqu'au Tanaïs et au lac Mæotis, et à droite la Thrace tout entière avec l'Illyrie et le reste de la Grèce, qui termine l'Europe de ce côté. — Nousavons déjà nommé la plupart des îles qui bordent l'Europe, les principales sont, en dehors des Colonnes d'Hercule, Gadira, les Cassitérides et les îles Britanniques, et, en dedans des Colonnes, les Gymnesiæ, les petites îles des Phéniciens, des Massaliotes et des Lygiens, puis les îles d'Italie jusqu'aux îles d'Aeole et à la Sicile et enfin celles qui bordent l'Épire et les côtes de Grèce jusqu'à la Macédoine et à la Chersonèse de Thrace.

31. Au delà du Tanaïs et du lac Mæotis, on entre dans la région Cis-Taurique, et, au delà de celle-ci, dans la région Trans-Taurique. Comme l'Asie est, en effet, divisée en deux par la chaîne du Taurus, laquelle s'étend depuis les promontoires les plus avancés de la Pamphylie jusqu'à la partie de la mer Orientale qui baigne l'Inde et la Scythie voisine de l'Inde, les Grecs ont appelé région Cis-Taurique la portion septentrionale du continent asiatique, et région Trans-Taurique la portion méridionale. Cela étant, on voit que les pays qui font suite au lac Mæotis et au Tanaïs devront appartenir à l'Asie Cis-Taurique. Or, de ces pays, le premier qui se présente est celui qui se trouve compris entre la mer Caspienne et le Pont-Euxin : il se termine d'une part au Tanaïs et à l'Océan, tant à la partie extérieure de l'Océan qu'à celle qui forme la mer Hyrcanienne , et d'autre part à l'isthme, c'est-à-dire à la ligne qui représente le trajet le plus court entre le fond du Pont-Euxin et la mer Caspienne. Puis viennent (toujours dans la région Cis-Taurique) les pays qui s'étendent au-dessus de la mer Hyrcanienne jusqu'à la mer de l'Inde et à la partie de la Scythie attenante à cette mer et jusqu'au mont Imaüs. Une portion de ces pays est habitée par les Maeotes (47) et les différents peuples répandus dans l'intervalle de la mer Hyrcanienne et du Pont jusqu'au Caucase et aux frontières de l'Albanie et de l'Ibérie, à savoir les Sauromates, les Scythes, les Achaeens, les Zyges et les Héniokhes ; une autre portion des contrées situées au-dessus de la mer Hyrcanienne, je veux dire celle qui est immédiatement au nord de l'Inde, appartient aux Scythes, aux Hyrcaniens, aux Parthyéens, aux Bactriens et aux Sogdiens. Au midi, maintenant, de la mer Hyrcanienne (d'une partie du moins de cette mer) et de l'isthme entier qui la sépare du Pont, on trouve, avec la portion la plus considérable de l'Arménie, la Colchide et toute la Cappadoce, laquelle se prolonge à la rigueur jusqu'au Pont et aux frontières des tribus Tibaraniques, puis la contrée dite en deçà de l'Halys, laquelle renferme : 1°, sur les bords mêmes du Pont et de la Propontide, la Paphlagonie, la Bithynie et la Mysie ; 2° la Phrygie Hellespontiaque, y compris la Troade ; 3°, le long de la mer Égée et de cette autre mer qui en est la continuation, l'Aeolide, l'Ionie, la Carie, la Lycie ; 4° enfin, dans l'intérieur, la Phrygie, avec la Gallo-Grèce ou Galatie et l'Épictète, qui font toutes deux partie de la Phrygie, puis la Lycaonie et la Lydie.

32. Aux populations de la Cis-Taurique proprement dite succèdent celles qui habitent la montagne même, comme voilà les Paropamisades, les montagnards de la Parthyène, de la Médie, de l'Arménie, de la Cilicie et ceux de la Lycaonie [lis. Cataonie] (48) et de la Pisidie. Mais tout de suite après les populations de la montagne commence la région Trans-Taurique. On y entre par l'Inde, la plus grande et la plus riche de toutes les contrées de l'Asie, qui se termine, d'une part, à la mer Orientale, et, de l'autre, à la partie méridionale de l'Atlantique. De ce côté, l'Inde a devant elle une île aussi étendue, pour le moins, que la Bretagne, l'île de Taprobane. Après l'Inde, en se dirigeant à l'ouest, avec les montagnes à. sa droite, on rencontre un vaste pays à peine habitable, tant le sol en est pauvre et stérile, et dont la population, composée d'ailleurs d'éléments hétérogènes, est entièrement barbare : ce pays est l'Arie. Il s'étend depuis le pied des montagnes jusqu'à la Gédrosie et à la Carmanie. Suivent, dans la, partie maritime, la Perse, la Susiane et la Babylonie, qui s'étendent toutes trois jusqu'à la mer Persique, avec d'autres territoires plus petits groupés autour de leurs frontières ; puis [dans la partie montagneuse], soit au pied, soit au coeur même des montagnes, la Parthyène, la Médie, l'Arménie, avec les pays qui y touchent, et la Mésopotamie. A la Mésopotamie maintenant succèdent les pays en deçà de l'Euphrate, à savoir : l'Arabie heureuse tout entière, qui se trouve complétement isolée entre le golfe Arabique et le golfe Persique, puis la contrée occupée par les Scénites et les Phylarques, les-quels s'étendent jusqu'à l'Euphrate et à la Syrie. Enfin, au delà du golfe Arabique, le pays jusqu'au Nil est habité par les populations éthiopiennes et arabes; puis à celles-ci succèdent les Égyptiens, suivis eux-mêmes des Syriens, des Ciliciens, de ceux notamment qui occupent la Cilicie-Trachée, et en dernier lieu des Pamphyliens.

33. La Libye, qui fait suite à l'Asie, tient à l'Égypte et à l'Éthiopie. L'une de ses côtes, celle qui nous fait face, décrit depuis Alexandrie, où elle commence, presque jusqu'aux Colonnes d'Hercule, une ligne droite, interrompue seulement soit par les Syrtes et quelques autres enfoncements moins considérables, soit par les saillies des caps qui forment ces différents golfes. Mais la côte qui borde l'Océan, après avoir suivi jusqu'à une certaine distance de l'Ethiopie une direction parallèle à celle de la première, se rapproche sensiblement du nord, réduisant ainsi la largeur du continent jusqu'à ne plus former qu'un promontoire, dont l'extrémité, terminée en pointe, tombe un peu au delà des Colonnes d'Hercule, ce qui donne à la Libye la forme d'un trapèze. On s'accorde à dire, et M. Pison, ancien préfet de cette province, nous a confirmé le fait, que l'aspect de la Libye est proprement celui d'une peau de panthère. Ce qui la fait paraître ainsi toute tachetée, c'est le grand nombre d'oasis qui s'y trouvent (les Égyptiens appellent ainsi les divers centres de population que les sables arides du désert entourent de tous côtés). Mais ce n'est pas tout, et la Libye offre encore cette particularité d'être divisée en trois zones distinctes, à savoir : le long de notre mer une première zone d'une extrême fertilité dans la plus grande partie de son étendue, mais surtout dans la Cyrénaïque et dans tout le territoire dépendant de Carthage jusqu'à la Maurusie et aux Colonnes d'Hercule; puis, le long de l'Océan, une autre région passablement fertile; enfin une zone intermédiaire tout à fait stérile, qui ne produit rien que le silphium et qui n'est guère composée que de déserts âpres et sablonneux. On trouve, du reste, la même nature de terrain dans toute la partie de l'Asie située sous ce même parallèle, c'est-à-dire dans l'Éthiopie, la Troglodytique, l'Arabie et la côte de Gédrosie occupée par les Ichthyophages. Des peuples, main-tenant, qui habitent la Libye, la plupart nous sont encore inconnus, car il est rare que des armées ou même des voyageurs étrangers parcourent cette contrée, et, d'autre part, on voit très peu d'indigènes venir de si loin visiter nos pays, sans compter que ceux qui y viennent mentent généralement ou ne disent pas tout ce qu'ils savent. Voici pourtant ce qui paraît résulter de leurs informations. Ils nomment Éthiopiens les peuples les plus méridionaux de la Libye, Garamantes, Pharusiens (49) et Nigrites ceux qui habitent au-dessous de l'Ethiopie, et Gaetules, les peuples placés au-dessous des précédents. Puis viennent, dans le voisinage ou sur le bord même de la mer : 1°, du côté de l'Égypte, les Marmarides, qui s'étendent jusqu'à la Cyrénaïque; 2°, au-dessus de la Cyrénaïque et des Syrtes, les Psylles, les Nasa. mous, quelques tribus aussi de Gietules, les Sintes (50), et enfin les Byzaciens, qui vont jusqu'à la Carchédonie ou province Carthaginoise. Au delà de ce pays, qui a une étendue considérable, commence le territoire des Nomades [ou Numides], nation dont les tribus les plus connues portent les noms de Masyliéens et de Masaesyliens. Puis viennent les Maurusiens, les plus reculés de tous ces peuples. De Carthage aux Colonnes d'Hercule , le pays est générale-ment riche et fertile, mais déjà infesté de bêtes féroces, comme tout l'intérieur de la Libye. On peut même croire que le nom de Nomades, que porte une partie de ces peuples, leur est venu de ce que anciennement la multitude des bêtes féroces les avait mis dans l'impossibilité absolue de cultiver leurs terres. Aujourd'hui, sans cesser d'être d'excellents chasseurs (d'autant que les Romains contribuent singulièrement à entretenir leur adresse par cette fureur de thériomachies), ces peuples ont acquis en agriculture la même supériorité qu'ils avaient déjà dans l'art de la chasse. — Nous n'en dirons pas davantage au sujet des continents.

34. Il nous reste à parler des climats; mais, comme pour ce qui précède, nous ne ferons ici que tracer une esquisse générale, en partant des deux lignes que nous avons appelées lignes premières ou élémentaires, c'est-à-dire de la ligne qui représente la plus grande longueur de la terre habitée et de celle qui en figure la plus grande largeur, et plutôt encore de celle-ci que de l'autre. L'astronome, lui, est tenu d'entrer à ce sujet dans de plus longs développements, et de procéder comme a fait Hipparque, qui nous dit avoir dressé par écrit des tables donnant pour tous les les lieux de la terre situés dans le quart de sphère dont nous occupons une partie et compris par conséquent dans l'intervalle de l'équateur au pôle boréal, les différents changements que présente l'aspect du ciel. Mais le géographe n'a pas à s'inquiéter de ce qui se trouve en dehors de notre terre habitée; même dans les limites de celle-ci, il n'a pas à faire le relevé complet de toutes les différences que peut offrir l'aspect ou l'apparence du ciel, car cette multiplicité de détails, et surtout de détails de ce genre, ne pourrait qu'embarrasser l'homme du monde, l'homme pratique, pour qui il écrit. Il nous suffira donc d'exposer les plus marquantes à la fois et les plus simples des différences qu'Hipparque a indiquées, en admettant, comme lui, pour l'étendue totale de la terre, la mesure de 252 000 stades, proposée par Ératosthène. Car, avec cette mesure, le désaccord qu pourra exister entre les apparences célestes et l'étendue réelle des intervalles terrestres correspondants ne sera ja mais bien considérable. Qu'on suppose le plus grand cercle de la terre partagé en 360 sections, chacune de ces sections sera, on le voit, de 700 stades. Eh bien ! C'est cette mesure de 700 stades dont s'est servi Hipparque pour prendre les distances ou intervalles sur le [premier] méridien, que nous avons dit être celui de Méroé. Lui part de l'équateur même et note au fur et à mesure toutes les positions qui se succèdent de 700 stades en 700 stades sur le méridien en question, essayant pour chacune de déterminer l'état correspondant du ciel. Mais nous, nous n'avons pas à partir d'aussi loin, car s'il est vrai, comme quelques auteurs le pensent, que la région de l'équateur soit elle-même habitable, il faut y voir en quelque sorte une seconde terre habitée, s'étendant comme une bande étroite dans la partie de la terre que l'excès de la chaleur rend inhabitable et la coupant juste par le milieu, sans dépendre de notre terre habitée; or, on sait que le géographe n'envisage rien en dehors de la terre que nous habitons et qui se trouve avoir pour limites, au midi, le parallèle de la Cinnamômophore, et, au nord celui d'lerné. Il y a plus, entre ces limites mêmes, si nous ne perdons pas de vue ce que doit être une description proprement géographique, nous n'avons pas à énumérer toutes les positions qui se succèdent aux intervalles marqués ci-dessus, non plus qu'à noter toutes les apparences célestes correspondantes. Seulement, à l'imitation d'Hipparque, c'est par le midi que nous commencerons l'exposé qui va suivre.

35. Suivant Hipparque, la position des peuples placés sous le parallèle de la Cinnamômophore , c'est-à-dire à 3000 stades au S. de Méroé et à 8800 stades au N. de l'équateur, représente à très-peu de chose près le milieu de l'intervalle compris entre l'équateur et le tropique d'été, lequel passe par Syène, puisque cette ville est à 5000 stades de Méroé. Ces mêmes peuples sont les premiers pour qui la Petite-Ourse se trouve comprise tout entière dans le cercle arctique et demeure toujours visible, l'étoile la plus méridionale de la constellation, l'étoile brillante qui ter-mine la queue, étant placée sur la circonférence même du cercle arctique, de manière à raser l'horizon. Le golfe Ara-bique, maintenant, qui s'étend à l'E. du méridien de Méroé et qui lui est on peut dire parallèle, débouche dans la mer Extérieure à la hauteur juste de la Cinnamômophore ou de la contrée où l'on chassait anciennement l'éléphant. Il s'ensuit que le parallèle de la Cinnamômophore doit tomber d'un côté un peu au S. de la Taprobane ou sur la pointe méridionale de cette île et du côté opposé dans le sud tout à fait de la Libye.

36. A Méroé et à Ptolémaïs Troglodytique, le plus long jour est de treize heures équinoxiales, la position de ces deux villes nous représente donc à la rigueur le milieu de la distance entre l'équateur et le parallèle d'Alexandrie, la différence en plus du côté de l'équateur n'étant que de 1800 stades. Le parallèle de Méroé qui, à gauche, traverse des contrées inconnues, passe à droite par l'extrémité de l'Inde. A Syène et à Bérénice (j'entends la Bérénice du golfe Arabique et de la Troglodytique), on se trouve avoir, lors du solstice d'été, le soleil au zénith; en outre le plus long jour y est de treize heures équinoxiales et demie, et la Grande-Ourse elle-même s'y montre comprise à peu près tout entière dans le cercle arctique, car il ne reste en de-hors que les cuisses, l'extrémité de la queue et l'une des étoiles du carré. Quant au parallèle de Syène, d'un côté il coupe le pays des Ichthyophages en Gédrosie et de l'autre il passe à 5000 stades ou peu s'en faut dans le sud de Cyrène.

37. Pour tous les lieux situés entre le tropique et l'équateur, les ombres tombent alternativement au nord et au midi, tandis que, pour les lieux situés à partir de Syène en dehors du tropique d'été, l'ombre méridienne tombe invariablement dans la direction du nord. Les habitants des premiers sont dits amphisciens, ceux des autres hétérosciens. Ce n'est pas là du reste le seul caractère distinctif de la région tropicale, en parlant des zones, nous en avons signalé un autre, qui consiste en ce que son sol sablonneux et sec ne produit que le silphium, tandis que les contrées plus méridionales sont abondamment arrosées et d'une grande fertilité.

38. Pour les habitants des pays situés à 4000 stades environ au sud du parallèle d'Alexandrie et de Cyrène, le plus long jour est de 14 heures équinoxiales ; en même temps ils ont Arcturus au zénith, l'étoile seulement décline un peu au sud. Comme à Alexandrie, maintenant, au temps de l'équinoxe, le rapport de l'ombre au gnomon est celui de 3 (51) à 5, les lieux en question doivent se trouver à 1300 stades (52) au sud de Carthage, car à Carthage le rapport de l'ombre au gnomon, observé aussi le jour de l'équinoxe, est celui de 7 à 11. Quant au parallèle d'Alexandrie, il passe d'un côté par Cyrène, puis à 900 stades dans le sud de Carthage et coupe en se prolongeant la Maurusie par le milieu, pour traverser de l'autre côté successivement l'Égypte, la Coelésyrie, la Syrie supérieure (53), Babylone [ou plutôt la Babylonie (54)], la Susiade, la Perside, la Karmanie, la Haute-Gédrosie et finalement l'Inde.

39. A Ptolémaïs de Phénicie, à Sidon, à Tyr, le plus long jour est de 14 heures équinoxiales un quart : ces villes sont de 1600 stades environ plus septentrionales qu'Alexandrie, et de 700 stades environ plus septentrionales que Carthage. Dans le Péloponnèse, au centre de l'île de Rhodes, à Xanthe de Lycie ou un peu au sud de cette ville, à 400 stades au sud de Syracuse, le plus long jour est de 14 heures équinoxiales et demie : ces différents lieux se trouvent à 3640 stades d'Alexandrie et [à 2740 stades environ de Carthage (55) ], et le parallèle sous lequel ils sont situés coupe, au dire d'Eratosthène, la Carie, la Lycaonie, la Cataonie, la Médie, les Pylos Caspiennes et la partie de l'Inde voisine du Caucase.

40. A Alexandria Troas, à Amphipolis, à Apollonie, en Épire, et en Italie, dans les lieux qui se trouvent à la fois plus méridionaux que Rome et plus septentrionaux que Neapolis, le plus long jour est de 15 heures équinoxiales, et le parallèle passant par ces différents lieux est de 7000 stades environ plus septentrional que le parallèle d'Alexandrie d'Égypte (ce qui le met à plus de 28 800 stades de distance de l'équateur), plus septentrional aussi de 3400 stades que le parallèle de Rhodes ; d'autre part, il se trouve de 1500 stades plus méridional que Byzance, Nicée et Massalia, et un peu plus méridional que le parallèle même de Lysimachia, lequel doit passer, suivant Ératosthène, par la Mysie, la Paphlagonie, les environs de Sinope, l'Hyrcanie et Bactres.

41. A Byzance, le plus long jour est de 15 heures équinoxiales un quart, et le rapport de l'ombre au gnomon, à l'époque du solstice d'été, comme 42 — 1/5 est à 120; quant au parallèle passant par cette ville, il est à 49u0 stades de distance de celui qui coupe Rhodes par le milieu, et à 30 300 stades du cercle de l'équateur. Éntrons maintenant dans le Pont-Euxin et avançons-nous de 1400 stades dans la direction du nord , la durée du plus long jour est là de 15 heures équinoxiales et demie, et nous nous trouvons juste à égale distance du pôle et de l'équateur, avec le cercle arctique au zénith , lequel cercle nous paraît contenir à la fois et l'étoile du cou de Cassiopée, et l'étoile un peu plus septentrionale qui forme le coude du bras droit de Persée.

42. A. 3800 stades environ au nord de Byzance, le plus long jour étant de 16 heures équinoxiales, Cassiopée naturellement paraît se mouvoir tout entière dans le cercle arc-tique. On est là à la hauteur [des bouches] du Borysthène et des parties méridionales du Maeotis et à 34 100 stades de distance de l'équateur. De plus la partie de l'horizon qui regarde le nord se montre pendant l'été des nuits entières éclairée de lueurs crépusculaires qui embrassent tout l'intervalle du couchant au levant, car, le tropique d'été étant distant de l'horizon de la moitié et de la douzième partie d'un signe, le soleil, à minuit, se trouve naturellement à la même distance au-dessous de l'horizon et l'on sait que dans nos pays, quand le soleil atteint cette distance par rapport à l'horizon, il éclaire, soit avant son lever, soit après son coucher, d'une lueur crépusculaire respectivement la partie orientale et la partie occidentale du ciel. Du reste, sous le parallèle dont nous parlons, l'élévation du soleil au-dessus de l'horizon, durant l'hiver, est au plus de neuf coudées. Eratosthène, maintenant, calcule que ledit parallèle est à 23 000 stades de distance de celui de Méroé, 23 000 stades, guère plus, puisque la première partie du trajet par l'Hellespont est déj de 18 000 stades et que le reste jusqu'à [l'embouchure] du Borysthène mesure 5000 stades. Plus loin, dans les pays situés à 6300 stades de Byzance et passé l'extrémité septentrionale du Maeotis, le soleil, en hiver, s'élève au plus de 6 coudées et le plus long jour est de 17 heures équinoxiales.

43. Pour ce qui est des contrées ultérieures, lequelles touchent déjà pour ainsi dire à la partie de la terre que le froid rend inhabitable, le géographe n'a que faire de s'en occuper. Que si l'on veut pourtant s'instruire de la nature de ces climats, comme de maint autre détail astronomique qu'Hipparque a fait connaître, mais qui ne serait qu'un vain luxe dans un traité comme le nôtre, et que nous avons dû négliger pour cette raison, on devra recourir à Hipparque lui-même. Ce serait également charger notre ouvrage d'un détail superflu que de reproduire tout ce que Posidonius a publié au sujet des Périsciens, des Amphisciens et des Hétérosciens. Nous devrons pourtant nous-même en toucher quelques mots, en dire assez du moins pour que nos lecteurs se fassent une idée claire de ces dénominations, et puissent distinguer dans la théorie de Posidonius la partie utile et la partie inutile au géographe. Il s'agit là d'ombres solaires, et comme le soleil , au jugement de nos sens, se meut dans un cercle parallèle à la révolution diurne du monde, on conçoit que les peuples pour lesquels se produit, à chaque révolution du monde, la succession d'un jour et d'une nuit, par suite de la position alternative du soleil au-dessus et au-dessous de l'horizon, doivent être ou Amphisciens ou Hétérosciens: amphisciens, quand après avoir vu, pendant une partie de l'année, l'ombre méridienne tomber au nord, parce que le soleil frappe alors du midi le gnomon élevé perpendiculairement sur une surface plane, ils la voient, le reste de l'année, tomber dans une direction con-traire, parce que le soleil frappe alors le gnomon du côté opposé (ce qui n'arrive que pour les habitants de la zone comprise entre les tropiques); hétérosciens, quand ils voient l'ombre méridienne tomber ou toujours au nord (comme c'est le cas pour nous), ou toujours au midi (comme il arrive aux habitants de l'autre zone tempérée et en général à tous les peuples qui voient le cercle arctique plus petit que le tropique). Mais, avec les premiers peuples qui voient le cercle arctique de même grandeur ou plus grand que le tropique, commence la région dite des Périsciens, laquelle s'étend jusqu'au pôle : comme, en effet, pour cette partie de la terre, le soleil, pendant toute la durée de la révolution diurne du monde, se meut au dessus de l'horizon, il est évident que l'ombre y doit décrire un cercle entier autour du gnomon. De là cette dénomination de périsciens proposée par Posidonius: quant aux pays qu'elle désigne, ils n'existent pas, à proprement parler, pour le géographe ; car, ainsi que nous l'avons dit en réfutant Pythéas, le froid les rend absolument inhabitables. Nous n'avons même pas, d'après cela, à nous occuper de l'étendue que peut avoir cette région inhabitable, qu'il nous suffise d'avoir précédemment établi que la distance entre l'équateur et le tropique est de 4 soixantièmes du grand cercle de la terre, ce qui place toute contrée ayant le tropique pour cercle arctique sous le cercle que le pôle du zodiaque décrit dans la révolution diurne du monde.

FIN DU DEUXIÈME LIVRE.

 

(1Nous avons, d'après l'heureuse correction de Kramer, lu partout δι' Ἀθηνῶν au lieu de διὰ Θινῶν.

(2) t, Coray ponctuait différemment la phrase, ce qui change quelque peu le sens : τοιοῦτοι παραψελλίζοντες. Ἤδη δὲ καὶ ἡμῖν au lieu de παραψελλίζοντες ἤδη.Καὶ ἡμῖν ὑπήρξεν etc.

(3) Voy. cependant celui de Groskurd.

(4Nous avons traduit d'après la correction αὐτὸς ὁ Ἵππαρχος proposée par Coray et Meineke, au lieu de la leçon ὁ αὐτὸς Ἵ.

(5)  Kramer lit ici παρέχουσι au lieu de περιέχουσι, nous avons traduit d'après cette correction.

(6) Le sens exige absolument qu'on lise ici κατὰ τὰ ἀρκτικώτερα au lieu de κατὰ τὰ νοτιώτερα que portent tous les Mss.

(7) On s'accorde à louer la correction proposée ici par Penzel ἀντὶ (au lieu de ἀπὸ) τοῦ χειμενοῦ τὸν θερινὸν δεξὰμενος.

(8Δισχιλίων au lieu de χιλίων que portent les Mss.: conjecture de Casaubon.

(9 Voy. p. 196 (Index variae lectionis) de son édition de Strabon les raisons que donne M Ch. Müller pour repousser l'addition τριακοσίους après τρισχιλίους proposée par Gossellin et ratifiée par Groskurd. 

(10Γορδυαίων au lieu de Γορτυναίων, heureuse correction de La Porte du Theil.

(11Hom., Odyssée, IX. 291 ; Iliade, XXIV, 409. M. Meineke voit dans cette citation une glose marginale, et comme telle il l'a rejetée en note dans son édition. Cf. Vindic. Strabon. liber, p, 8.

(12Nous traduisons d'après la correction proposée par Spengel οὕτω ἀφορισθεῖσα au lieu de οὔπω.

(13Comme M. Ch. Müller, nous ne voyons pas qu'il y ait lieu d'admettre ici la correction de Groskurd [οὐ] πλείοσιν ἢ χιλίοις au lieu de πλείοσιν ἢ διχιλίοις σταδίοις.

(14) Penzel, Groskurd, Meineke, Müller s'accordent à intervertir ici les mots παραλλήλου et μεσημβρινοῦ.

(15) Kramer a vu dans les mots παράλληλός τε καὶ ἴση une glose marginale, et Meineke les a absolument bannis du texte M Müller blâme avec raison cette hardiesse, et propose seulement de lire καὶ αὐτὴ λογισθείη au lieu de ἡ αὐτή. Mais la leçon des Mss nous paraît encore préférable.

(16) Au lieu de οὐ πλείοσιν ἢ χιλίοις σταδίοις, que Spengel avait déjà proposé de changer en μακρῷ πλείοσιν, M. Menieke propose de lire πολλῷ πλείοσιν. Mais ici encore le changement nous paraît propre plutôt à contrarier qu'à faciliter l'intelligence de ce passage drflicile. Hipparque avait intérêt à réduire le plus possible la distance entre les deux méridiens de Thapseque et de Babylone pour que la prétendue contradiction d'Ératosthène en parût d'autant plus forte.

(17) D'après la correction de Bréquigny, ratifiée par Gossellin et tous les éditeurs qui ont suivi.

(18Voy. sur le sens des mots ἠπειρῶπις παραλία, Meineke, Vindiciarum Strabonianarum liber, p. 9. Mais l'objection de M. Müller, que Strabon ne s'est jamais servi du ἠπειρῶπις pour désigner le littoral de l'Asie Mineure, nous a paru sans réplique La côte d'Épire, placée en face de Brindes, était d'ailleurs un terme de comparaison on ne peut mieux choisi. pour donner à des lecteurs soit grecs, soit romains, l'idée de parages bien connus.

(19) Voy. Kramer sur la transposition des mots τὰς δὲ μεταξὺ τῶν τροπικῶν.

(20) Restitution très probable de Groskurd.

(21) Sur ce détail voyez la remarque de Meineke, Vindic. Strabon., p. 10.

(22)  Daprès une première conjecture de M. Bergk. M. Meineke a cru devoir reconnaître dans ces deux vers un fragment de l'Hermès d'Eratosthène Voy. Vindic. Strabon, p. 10 - 11. 

(23) Cette erreur de nom revenant ici pour la seconde fois, et dans des conditions différentes a porté M. Müller à douter s'il convenait de l'imputer à Posidonius plutôt qu'à Strabon lui-même.

(24Restitution proposée par Coray et agréée par MM. Meineke et Müller.

(25 Ἐμβαδόν. La leçon des Mss ἐμβατόν a inspiré à M. Redslob, auteur d'une monographie récente sur Thulé (Thule : die phönizischen Handelswege. etc. Leipzig, 1855) une étrange idee que M. Müller, dans son Index variae lectionis (p. 948), relève comme il convient.

(26) M. Meineke, frappé de ce que cette expression a d'insolite, soupçonne encore en cet endroit une allusion ingénieuse de Strabon au poème d'Hermès d'Ératosthène.

(27Les mots ἐν δεξᾳί et Ἰαπυγίαν ont embarrassé tous les éditeurs. Nous avons traduit sans vouloir toucher au texte. mais sans nous faire illusion sur la valeur de notre traduction. Cf. Müller, Index var. lectionis, p. 948.

(28) 12 000 au lieu de 13 000 que marquent les Mss.: restitution de Cramer.

(29) Malgré l'autorité de M. Müller (Index var. lect., p. 948, col. 2), nous avons cru devoir maintenir ici la leçon des Mss. μείουρου.

(30) Voy. Müller, ibid.

(31) Voy. dans les Vind. Strabon. (p. 12) sur quoi M. Meineke a appuyé cette ingénieuse restitution, Καβείρους au lieu de Καὶ Ἲβηρας. M Müller la préfère à celle que propose Groskurd καὶ Στήλας, completée par l'addition après ὁρᾶσθαι des mots τοὺς πλησιαιτάτους τοὺς Κανώβου ἀστέρας. Voy. Index variæ lectionis p. 949.
col 1.)

(32) M. Müller propose de lire, au lieu de συνησόμεθα, συλλεγόμεθα, eo sensu quo συλλεγόμεθα vulgo dicitur. C'est ce sens que nous avons cherché à rendre par les mots calculer, déterminer.

(33)   Philipp.. III, p. 117

(34) Ici commence le célèbre fragment du Ms. du Vatican (n° 17), intitulé Σύνοψις τῶν κόλπων τῆς καθ' ἡμᾶς οἰκουμένης.)

(35)  Différents Mss. donnent la leçon Pandaria. Meineke propose de lire Pandateria. 

(36Quelques Mss. donnent la leçon Pantia.

(37) Athalia dans quelques Mss.

(38) Lucasia dans quelques Mss.

(39) Certains mss. donnent la double leçon de Gymnesia (au singulier) et de Bysus. Müller incline à croire que Bysus pourrait bien être la forme véritable du dernier de ces noms (Index var. lect. p. 949, col. 1).

(40) Certains Mss. donnent la leçon Ceryctica.

(41) Melinna se lit dans quelques Mss. 

(42 Voy. ce que dit M. Müller (Index var. lect., p. 949, col. 1) sur ce nombre de 3000 stades.

(43 M. Müller (Index var. lect., p. 949, col. 2) croit trouver dans une grossière erreur de Denys le Periégète l'explication et le principe de l'interpolation du nom de l'île de Chypre dans cet endroit de la Géographie de Strabon.

(44) .Voy., dans son Index var lect., p 949, col. 2, les raisons excellentes, suivant nous, que donne M. Müller pour ne pas réduire à 1500 stades la distance des deux promontoires, malgré l'autorité de Bochart, de Gossellin, de Groskurd et de Meineke.

(45) M. Müller pense que Strabon avait écrit ici 2800 et que la répétition du même nombre de centaines dans la même ligne a donné lieu à l'omission.

(46) Voy. dans l'Index var. lectionis de l'édition Mülter (p. 950, col. 1) les différentes restitutions qui ont eté proposées de ce passage. Nous avons traduit en combinant celles de Coray et de M. Piccolos : τούτοις ἕν ἀπ'τῶν πλευρῶν, ὁριζόπενον τῇ κ. Π.. Cf. Meineke : Vindic. Strabon., p. 12.

(47D'après la remarque de Gossellin, approuvée par Coray, on s'accorde à retrancher ici le nom des Σαυρομάται, qui, dans tous les Mss. et dans toutes les éditions antérieures, suit immédiatement celui des Mæotes.

(48)  D'après la conjecture de Siebenkees universellement admise aujourd'hui.

(49) Arusiens, dans quelques Mss

(50 Voy. Index var. lect., p. 950, col. 2, la longue note, dans laquelle M. Müller défend contre l'opinion de Kramer, qui avait cru devoir remplacer ce nom par celui des Asbystes, la leçon des Mss.

(51 Voy. la remarque de Gossellin, p. 372 du t. 1er de la traduction franchise (in 4°), note 5. 

(52) M. Müller, après Groskurd, rejette la correction de 1400 stades (au lieu de 1300) proposée par Gossellin et admise par Coray, tout en reconnaissant que le nombre de 1400 serait plus exact. Ces co"rections ont le grand inconvêmient de prêter à Strabon une rigueur qu'il n'avait pas et ne voulait pas même avoir.

(53) Voy. Index var. lect., p 951. col 1, l'excellente remarque de M. Müller sur l'extension que les anciens géographes prêtaient à cette double dénomination. 

(54).Bien que le nom Βαβυλών, comme le rappelle M. Müller, ne désigne pas uniquement la ville et s'emploie fréquemment pour désigner la contrée même.

(55) Restitution probable de Groskurd.