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27 Février 1739
Nous avons lu, dit Photius, un ouvrage historique de Théopompe[1] en cinquante-trois livres, qui est tout ce qui nous en reste. Quelques anciens Auteurs témoignent que de leur temps le sixième livre, le septième, le neuvième, le vingtième & le trentième manquaient déjà, aussi ne les avons-nous pas vus. Ménophane, ancien Ecrivain lui-même & qui a son mérite, dit en parlant de Théopompe, que son douzième livre était perdu aussi ; ce douzième livre, s’est trouvé dans notre Manuscrit, & nous l'avons lu avec les autres. Il contient quelques particularités touchant Pacoris[2] Roi d'Egypte. L'Auteur y raconte comment ce Prince fit alliance avec les Barcéens,[3] & prit le parti d'Evagoras[4] Roi de Chypre, contre le Roi de Perse ; de quelle manière Abdémon[5] de Citium Roi de Chypre ayant été pris, l'empire de cette île passa à Evagoras, contre son espérance; comment les Grecs qui .avaient suivi Agamemnon, s'étaient rendus maîtres de Chypre, après en avoir chassé Cinyras[6] & ses sujets, qui allèrent s'établir à Amathunte,[7] où leur postérité est encore subsistante; comment le Roi de Perse,[8] conseillé de faire la guerre à Evagoras, donna le commandement de les troupes à Autophradate Satrape de Lydie, & le commandement de sa flotte à Hécatomnus;[9] comment ensuite il accorda la paix aux Grecs pour récompense de leurs services,[10]. mais sans rien rabattre de son animosité contre Evagoras, qu'il poursuivit encore plus vivement; & quel fut le succès du combat naval[11] qui se donna près de Chypre : Que la République d'Athènes observait religieusement le traité de paix, tandis que les Lacédémoniens, fiers de leur puissance, le violaient ouvertement, mais qu'eux-mêmes furent enfin obligez de ménager leur accommodement par l'entremise d'Antalcidas;[12] que Téribaze[13] fut ensuite chargé de faire la guerre à Evagoras, qu'il lui tendit piège sur piège; que ce Prince à son tour trouva le moyen de le rendre suspect au Roy de Perse, (Diod. De Sic. Liv. 15) & qu'enfin il traita avec Oronte.[14] Théopompe ajoute que Necténibis[15] s'étant emparé du trône d'Egypte, Evagoras envoya aussitôt des Ambassadeurs aux Lacédémoniens ; il raconte de quelle manière la guerre de Chypre fut enfin terminée. Il nous apprend que l'usurpateur Nicocréon,[16] en voulant tramer la perte d’Evagoras, fut pris lui-même dans les filets, & comment il le sauva, laissant chez lui une fille qu'il avait, dont Evagoras & son fils Prytagoras[17] devinrent amoureux, & de qui, à l'insu l'un de l’autre, ils recevaient tour à tour des faveurs, par l'intrigue de l'Eunuque Thrasidée d'Elide qui servait leur passion ; mais tous les deux périrent par la perfidie de ce même Eunuque.[18]
De là passant à d'autres chose, l'Auteur dit que Pacoris Roi d'Egypte fit une ligue avec les Pisides,[19] d'où il prend occasion de décrire leur pays. & celui de leurs voisins les Aspendiens.[20] Il parle des Médecins de Gnide & de l’île de Cô,[21] lesquels if fait descendre d'Esculape par Podalire,[22] dont les petits-fils quittèrent Syrna pour aller s'établir dans ces deux villes. Il parle aussi du Devin Mopsus[23] & de ses trois filles, Rhodé, Méliade & Pamphylia, qui donnèrent leur nom à la ville de Mopsestia,[24] à celle de Rhodia dans la Lycie, & à la Pamphylie. Il raconte comment la Pamphylie fut peuplée par une colonie de Grecs;[25] comment la division se mit entre eux & les naturels du pays ; comment les Lyciens, sous la conduite de leur Roi Périclès, firent la guerre aux Telmissiens[26] & ne cessèrent de les poursuivre, jusqu'à ce que ses ayant renfermés dans leurs murs, ils les obligèrent à mettre les armes bas, & à vivre en bonne intelligence avec eux. Voilà ce que contient ce douzième livre de Théopompe, que Ménophane n’avait point vu.
Théopompe, au reste, était de Chio, fils de Damostrate,[27] qui devenu odieux à ses concitoyens par son attachement déclaré pour Lacédémone, fut chassé de sa patrie avec son fils. Après la mort du père, le fils, à l'âge de quarante-cinq ans, revint dans sa ville, à la recommandation d'Alexandre le Grand, qui avait écrit en sa faveur. Mais ce Prince étant venu à mourir, Théopompe chassé encore une fois, fut longtemps errant. On dit qu'il alla en Egypte, où Ptolémée[28] qui y régnait alors, non seulement le reçut fort mal, mais fut tenté de se défaire de lui, comme d'un homme qui se mêlait de trop de choses; heureusement quelques amis qu'il avait à la Cour lui sauvèrent la vie. Lui-même nous apprend quels furent ses plus illustres contemporains ; il nomme entre autres Isocrate d'Athènes, Théodecte de Phazelis,[29] & Naucrate d'Erytre. C'étaient-là les trois, dit-il, qui tenaient avec lui le premier rang parmi les Grecs dans l'art de parler. Isocrate & Théodecte, nés pauvres, composaient des Oraisons dont ils tiraient quelque salaire, & enseignaient publiquement la jeunesse, travail assidu qui leur rendait beaucoup. Naucrate & moi, continue-t-il, comme nous avions du bien, nous songions uniquement à nous perfectionner dans l'étude de l'Eloquence & de la Philosophie. A dire le vrai, on ne peut guère lui refuser la gloire qu'il s'attribue, d'avoir été l'un des premiers Ecrivains de son temps, puisque ses discours du genre démonstratif faisaient la valeur de vingt mille vers,[30] & que l'histoire qu'il avait donnée de tout ce qui s'était passé entre les Grecs & les Barbares jusqu’alors, faisait au moins la valeur de cent cinquante mille vers. Si on l'en croit, il n'y avait pas dans toute la Grèce une ville, un lieu tant soit peu considérable, non seulement qu'il n'eût visité, mais où il n'eût exercé ses talents, & reçu de grands applaudissements. Et en même temps qu'il parle ainsi de lui, il soutient hardiment que les Ecrivains qui l'avaient précédé, n'étaient nullement comparables à ceux de son temps ; que les premiers d'entre eux n’auraient pas eu le second rang parmi ceux-ci;[31] qu'il était aisé d'en juger par les ouvrages des uns & des autres & que dans un intervalle assez court, l'éloquence & l'art d'écrire s'étaient infiniment perfectionnés. Pour moi, je ne sais pas bien qui il entend par ceux qui l'avaient précédé; s'il veut dire Hérodote & Thucydide, apurement il se trompe, ces deux-là sont fort au-dessus de lui ; mais peut-être entend-il quelques autres Ecrivains proches de son temps, tels que Hellanicus & Philiste, tous deux Historiens, ou tels que Gorgias, Lysias & autres semblables[32] qui pourtant ne sont pas à mépriser. Quoi qu'il en soit, voilà comment pensait Théopompe. On prétend qu'Ephorus & lui avaient été disciples d'Isocrate, & leurs écrits portent à le croire; car on voit en Théopompe une imitation sensible du tour & du style d'Isocrate, avec cette différence, qu'il n’est pas à beaucoup près aussi exact, aussi châtié. On dit même qu'Isocrate leur donna la première idée des divers ouvrages historiques qu'ils ont laissés, c’est-à-dire, qu'il conseilla à Ephorus d'écrire l’Histoire de l'ancien temps, & à Théopompe de commencer la sienne où Thucydide avait fini, proportionnant ainsi la matière au génie & à la portée de chacun d'eux. aussi les avant-propos de leurs ouvrages se ressemblent-ils beaucoup, & pour les pensées, & pour le dessein. On dirait que ce sont deux athlètes qui partent de la même barrière pour fournir une carrière égale. Mais Théopompe a cela de particulier, qu'il allonge son ouvrage par une infinité de digressions historiques de toute espèce. En voici une preuve, c’est que ce Philippe[33] qui fit la guerre aux: Romains, s'étant donné la peine de retrancher des livres de cet Historien, tout ce qui était étranger à l'histoire de Philippe père d'Alexandre, qui devait faire son principal objet, les réduisit au nombre de seize, sans y rien mettre du sien & sans faire autre chose que d'ôter les digressions.
Ducis de Samos,[34] dans le premier livre d'un de ses ouvrages historiques, parlant d'Ephorus .& de Théopompe, dit qu'il les tient fort au-dessous de ceux qui avaient écrit avant eux ; qu’ils ne se sont point mis en peine d'imiter les bons modèles, ni de donner de l'agrément à leur style, plus curieux d'écrire beaucoup que d’écrire bien. Ce qu'il y a de singulier, c’est que Duris était lui-même dans ce cas & qu'il reprenait en ceux-ci des défauts qu'il avait beaucoup plus qu'eux. Peut-être qu'en parlant ainsi, il a voulu venger les anciens Ecrivains du mépris de Théopompe ; mais sans vouloir pénétrer sa pensée, je maintiens, pour moi, qu'Ephorus & Théopompe ne méritent pas sa censure. Cléocharès[35] ne s'éloignait pas de mon sentiment puisque dans la comparaison qu'il fait des disciples d'Isocrate avec Démosthène, il dit que les Oraisons de celui-ci ressemblent au corps d'un soldat qui a vieilli sous les armes, & que les Ecrits des autres ressemblent au corps d'un athlète : ce n'est pas là mettre au dernier rang les disciples d'Isocrate; or entre eux tous, on ne peut pas douter que Théopompe ne soit celui qui s’est le plus distingué.
Voilà ce que j'avais à dire de cet Ecrivain. J’ai touché en peu de mots ce qui concerne sa personne, son éducation, le temps où il a vécu y son caractère, ses ouvrages, & enfin ses diverses aventures.
Théopompe était de Chio, & c'est le plus illustre de tous les disciples d'Isocrate. Il a laissé non seulement des Oraisons dans le genre délibératif & dans le démonstratif & Epîtres[36] écrites en vieux langage, des Lettres d'exhortation, mais encore deux ouvrages historiques qui méritent beaucoup de louanges ; car premièrement la matière en est fort belle, l'un de ces ouvrages contenant la fin de la guerre du Péloponnèse & l'autre les actions de Philippe Roi de Macédoine. Ils sont écrits avec tant d'ordre & de netteté que le lecteur les retient fort aisément Cet historien est surtout estimable par son travail & par ses grandes recherches; car on voit que quand même il n'aurait rien laissé à la postérité, du moins il s’était mis en état de faire un excellent ouvrage, en s'y préparant longtemps auparavant, & en n'épargnant pour cela ni peine ni dépense. Ajoutez qu'il raconte beaucoup de choies dont il avait été spectateur, & que dans la vue d'écrire l’Histoire, il s’était lié d'amitié, non seulement avec la plupart de ceux qui tenaient alors le timon des affaires, mais avec plusieurs des Généraux d'armée, des Orateurs & des Philosophes de ce temps-là, secours infiniment avantageux & très nécessaire à un Historien. Vous rendrez justice à l'érudition de cet Auteur, si vous prenez la peine de considérer la prodigieuse variété qu'il a mise dans ses ouvrages ; car il rapporte l'origine des peuples, la fondation des villes, la vie des Rois, même les mœurs & le caractère de chacun d'eux ; & s'il y a quelque chose de surprenant ou d'extraordinaire dans une contrée, il en fait aussi mention. Dira-t-on que ce détail ne sert qu'à rendre une Histoire plus amusante? ce serait se tromper; car l’utilité qui en revient au lecteur, passe encore l'agrément. En effet, pour ne pas m'arrêter à d'autres considérations, qui peut nier qu'un Philosophe qui fait cas du talent de la parole, ne doive connaître les principales nations, soit Grecques, soit barbares, les différentes sortes de gouvernements, la vie, les mœurs & la fortune de plusieurs grands Hommes? Théopompe parle amplement de tout cela dans son Histoire, non d'une manière vague & abstraite, mais en le liant avec son sujet, ce qui inspire naturellement au lecteur le désir d'écrire de même. Je ne dis rien de ses Oraisons, qu'il a embellies par des lieux communs sur la piété, sur la justice & sur les autres vertus, selon les idées qu'en donne la Philosophie.
Son dernier ouvrage est le plus singulier de tous, & celui qui marque le mieux son caractère ; je ne connais point d'Ecrivain, ni ancien ni moderne, qui ait rien fait d'approchant. C’est un ouvrage[37] où, non content de rapporter ce qui s’est passé aux yeux de tout le monde, il entre dans l'intérieur des principaux acteurs, fonde leurs intentions les plus secrètes, les démasque, & fait voir leurs vices cachez sous les apparences de la vertu ; sorte d'examen que je ne puis comparer qu'à celui dont nous parle la Fable, & qui le fait aux Enfers par ces juges inexorables que les Dieux ont commis pour nous faire rendre compte de nos actions. Aussi quelques-uns l'ont traité de médisant, parce qu'il blâme hardiment ce qui est blâmable, & qu'il diminue la gloire de plusieurs grands personnages. Mais, à mon avis, il fait comme les Médecins, qui appliquent le fer & le feu à des parties vicieuses & gangrenées, pour sauver celles qui font saines & entières. Tel est Théopompe dans ce qui regarde les choses.
Quant à sa diction, elle est toute semblable à celle d'Isocrate,[38] pure, simple, nullement recherchée, claire, noble, élevée, pompeuse, coulante, pleine de douceur, & harmonieuse sans excès. Je n'y vois qu'une différence, c’est que le style de cet Historien est plus piquant & plus fort que celui d'Isocrate, surtout lorsqu'il reproche à des Généraux d'armée ou à des villes, de mauvais desseins, ou des actions lâches & honteuses. C’est ce qui lui arrive souvent, & alors peu s’en faut qu'il n'ait toute la véhémence de Démosthène, comme on se peut voir par plusieurs endroits de ses ouvrages, mais entre autres par les Epîtres en vieux langage, où il s’est plus livré à son naturel. Je voudrais seulement qu'il n’eût pas porté le soin de limer ses écrits, jusqu'à s’embarrasser de la rencontre des voyelles, qui font quelquefois ce que l'on appelle un hiatus, ni jusqu'à rechercher des périodes trop arrondies, trop nombreuses, ou de certaines figures qu'il affectionne, & qui reviennent trop souvent, son style serait encore bien meilleur. Si l'on regarde le fond de l'ouvrage, on y peut aussi trouver quelque chose à reprendre, surtout les comparaisons, dont plusieurs ne sont ni nécessaires, ni même à propos; mais je lui pardonne encore moins de petits contes assez ridicules qu'il fait quelquefois, comme celui de ce Silène qui apparut en Macédoine, & cet autre d'un Dragon qui s'approcha d'une galère durant un combat naval.
[1] Suidas nous apprend que Théopompe avait fait plusieurs ouvrages historiques, entre autres un Abrégé de l'Histoire d'Hérodote en deux livres, une Histoire Grecque, qui était une continuation de l'Histoire de Thucydide et de celle de Xénophon, en onze livres, & une Histoire de Philippe père d’Alexandre, en soixante-douze livres. C’est sans doute de cette dernière que parle Photius, quand il dit que de son temps il n'en restait plus que cinquante-trois livres.
[2] Diodore de Sicile dit Acoris. Ce Prince régnait en Égypte environ quatre cens ans avant l’ère Chrétienne.
[3] Barcé était une ville de la Libye, & une ville si considérable, que l’on donnait le nom de Barcéens aux Libyens. Ces peuples se vantaient d'avoir appris les premiers de Neptune & de Minerve, l’art de dompter & de manier un cheval, c’est pourquoi on disait par excellence un char de Libye, pour dire un char bien attelé.
[4] Cet Evagoras célèbre dans l’Histoire Grecque, par l’attachement qu'il eut toujours pour les Grecs, surtout pour les Athéniens. Aussi était-il originaire de Salamine dans l’Attique, & en cette qualité il se regardait comme Athénien. Pausanias dit que ce Prince descendait de Teucer et d’une fille de Cinyras. Or Teucer était fils de Télamon, roi de Salamine, qui était une petite île vis-à-vis d'Athènes. Chassé par son père, il fit voile en Chypre, où il fonda une ville qu'il appela Salamine, du nom de sa patrie. Evagoras étant issu de Teucer & d'une fille de Cinyras, avait un droit naturel sur la nouvelle Salamine, & même sur toute l'île de Chypre, que Cinyras avait possédée.
[5] Le texte de Photius porte Audymon, mais Diodore de Sicile dit Abdémon. Citium était une ville de l’île de Chypre.
[6] Cinyras, selon Apollodore, liv. 3, était fils de Sandocus & de Phamacé, mais, selon Ovide, il était fils de Pygmalion ; il devint si puissant, que l’on disait par manière de proverbe, Cinyrœ opes, les richesses de Cinyras, pour dire des richesses immenses. Mais ce Prince est encore plus connu par la folle passion que Myrrha sa fille prit pour lui, & d'où naquit Adonis. Cinyras avait promis aux Grecs qui allaient assiéger Troie, de leur fournir des vivres durant le siège, ii leur manqua de parole ; les Grecs, pour se venger, prirent Chypre & en chassèrent Cinyras. Au reste, ce nom est mal orthographié dans le texte de Photius.
[7] C'était une ancienne ville de l’île de Chypre, & d'où toute l'île avait même pris sa dénomination. Adonosiris y était particulièrement honoré, divinité Egyptienne dont le culte avait passé chez ses Phéniciens, & des Phéniciens en Chypre.
[8] Ce Roi de Perse était Artaxerxés II dit Mnémon à cause de sa grande mémoire. Evagoras, Grec d'origine, favorisait les Grecs, & entretenait toujours des liaisons avec eux. C'en était assez pour devenir odieux à Artaxerxés, qui d'ailleurs aurait bien voulu conquérir l'île de Chypre pour y avoir une armée navale, & affermir par-là & domination en Asie.
[9] Diodore de Sicile parle d’Hécatomnus comme d'un Prince qui avait une petite souveraineté dans la Carie.
[10] Conon l'Athénien avait rendu de grands services à Artaxerxés; il commandait son année navale au combat de Gnide, où il remporta une victoire sur les Lacédémoniens. Le Roi de Perse, en considération de ses services, accorda la paix aux Grecs, & les Lacédémoniens furent compris dans le traité, mais peu de temps après ils le violèrent.
[11] Diodore de Sicile, liv. 15, rapporte qu'Evagoras y perdit sa flotte, & qu'il fut enfin obligé de se soumettre à payer un tribut annuel au Roi de Perse.
[12] Cet Antalcidas était un Capitaine de Sparte, qui fut envoyé en Perse pour conduire la paix entre les Lacédémoniens & Artaxerxès; paix si honteuse aux Grecs & à celui qui en avait été le négociateur, que la paix d'Antalcidas passa depuis comme en proverbe parmi les Grecs, pour dire une paix déshonorante.
[13] Les aventures de ce Téribaze ou Tiribaze, sont décrites dans Diodore de Sicile, liv. 15.
[14] Oronte était non seulement Lieutenant général d'Artaxerxès, mais son gendre.
[15] Necténibis, ou Nectanébus, comme il est appelé par Diodore de Sicile, fonda la Dynastie des Sebannites environ trois cents soixante-quinze ans avant l'Ere Chrétienne, sous le règne d'Artaxerxès Mnémon, qui occupait une partie de l'Egypte. Il régna à Sebennite ville du Delta, & fut assassiné par Tachor ou Tachos, après un règne de douze ans.
[16] Nicocréon se rendit enfin maître de l’île de Chypre. Ce fut ce Tyran qui fit mettre le Philosophe Anaxarque dans un mortier, où il fut pilé & broyé, sans que sa confiance en fût ébranlée.
[17] Prytagoras est peut-être une faute de copiste, car Diodore dit Protagoras.
[18] Diodore dit par les embûches que lui dressa Nicoclès. C’est une faute dans cet Historien ; Théopompe rapporté par Photius, est plus croyable sur ce point, outre que Nicoclès était fils d’Evagoras. C’est ce même Nicoclès qu’Isocrate a tant loué, & qui fut Roi de Salamine après la mort de son père.
[19] Ces Pisides, autrement dits Solymes, étaient un peuple barbare sur les frontières de la Cilicie.
[20] Aspende était une ville de la Pamphylie fondée par Aspendus, selon Hellanicus.
[21] Les Médecins, de ces deux villes étaient en grande réputation, témoins Ctésias & Apollonide. On les croyait, ou descendus d'Esculape, ou tout au moins sortis de son école, il n'en fallait pas davantage pour établir un préjugé en leur faveur.
[22] Esculape eut deux fils, Machaon & Podalire. Celui-ci chassé de son pays, alla s'établir en Carie, & y bâtît la ville de Syrna, d'où sa postérité passa à Gnide & dans l’île de Cô.
[23] Mopsus fils d'Apollon & de Manto, était contemporain de Calchas, & par conséquent vivait du temps de la guerre de Troie.
[24] Cette ville était dans la Cilicie sur le fleuve Pyrame. Pline la nomme amplement Mopso.
[25] Pausanias nous donne l’intelligence de cet endroit de Théopompe ; car dans sa description de l’Attique, il nous apprend que Lycus fils de Panion, pour éviter de tomber entre les mains d'Egée, se transplanta chez les Termiléens, qui de son nom furent appelés Lyciens. Or Termiles était une ville de la Pamphylie.
[26] Par les Lyciens, il faut entendre ici les Grecs qui avaient suivi Lycus ; ce qui me le persuade, outre la force du sens, c’est que Périclès est un nom Grec. Après la mort de Lycus, un Périclès s’était mis apparemment à la tête des Grecs qui avaient suivi la fortune du fils de Pandion, & il fit la guerre aux Termiléens, qui ne voulaient pas les recevoir dans leur ville. Pausanias dit aux Termisséens ; Théopompe dit aussi Thermisséens, mais il est évident par le témoignage d'Hérodote & de Strabon, qu’il faut lire Termiléens: comme j'ai déjà corrigé cette faute de copiste dans le texte de Pausanias, il est à propos de la corriger aussi dans le texte de Théopompe rapporté par Photius. Au reste, ces Termiléens étaient le même peuple que les Solymes.
[27] Chio était une ville d'Ionie. Suidas nomme le père de cet Historien Damasistrate, & non pas Damostrate. Selon lui, Théopompe naquît en la XCIIIe Olympiade.
[28] C'était Ptolémée fils de Lagus.
[29] Phazelis était une ville de la Pamphylie, Erytre une ville d'Ionie. Théodoste fils d'Aristandre, & l'un des plus beaux hommes de son temps, était Orateur & Poète, il fut un de ceux qui travaillèrent à l'éloge de Mausole par l’ordre de la Reine Artémise, & il remporta le prix. Ensuite il s'attacha à la Poésie ; il composa plus de cinquante Tragédies, qui toutes ont péri, & mourut à Athènes. Naucrate, Poète Grec, fut aussi employé par la même Reine à célébrer les louanges de Mausole. A l'égard d'Isocrate dont eux & Théopompe avaient été disciples, c’était un homme d'un mérite supérieur. Voici ce qu'en dit Pausanias, à l'occasion d'une statue que ce Rhéteur avait dans l'enceinte du temple de Jupiter Olympien à Athènes. « Homme digne de mémoire, dit Pausanias, & qui laissa trois grands exemples à la postérité ; le premier de confiance, en ce qu'à âge de quatre-vingt-dix-huit ans, il n’avait pas encore cette d'enseigner & d'avoir des disciples ; le second d'une modestie rare, qui le tint toujours éloigné des affaires publiques & des soins du gouvernement ; le troisième d'un grand amour pour la liberté, qu'il témoigna lui être plus chère que la vie, car sur la nouvelle de la défaite des Athéniens à Chéronée, il finît ses jours volontairement. »
[30] La manière dont s'explique ici Photius est remarquable, & toute propre à induire en erreur. Ne semblerait-il pas que Photius voudrait dire que Théopompe avait fait au moins vingt mille vers d'une part, & plus de cent cinquante mille de l'autre ! Mais comme nous savons que Théopompe n'a guère écrit qu'en prose, cet endroit de Photius doit nécessairement avoir le sens que je lui donne.
[31] Voilà comme dans tous les temps il y a eu des Ecrivains présomptueux, qui ont cru effacer tout ce qui les avait précédés. Nous en avons vu de nos jours qui se croyaient au-dessus de Malherbe pour l'Ode, au-dessus de Boileau pour le Vers héroïque & au-dessus de Vaugelas pour la Prose ; mais & eux & ceux qui pensent de même, car il y en a encore, sont plus loin de ces grands modèles, que Théopompe ne l’était d’Hérodote & de Thucydide.
[32] De ces quatre Ecrivains, le plus éloigné du tenu de Théopompe est Hellanicus de Mitylène ou de Lesbos, il était même plus ancien qu'Hérodote de douze ans. Ses écrits ne sont pas venus jusqu'à nous. Philiste, presque contemporain de Théopompe, avait écrit l'histoire de Sicile & celle de Denys le Tyran. C'était, au jugement de Denys d'Halicarnasse, un mince Historien, & fort au-dessous de Thucydide qu'il avait pris pour son modèle. Gorgias de Léontium, ville de Sicile, est le premier Rhéteur qui ait eu de la réputation parmi les Grecs ; mais à cette qualité il joignit celle d'impudent Sophiste. Pour Lysias, ce fut dans son genre un Orateur accompli ; entre autres Oraisons ou Plaidoyers, il en avait fait un pour la défense de Socrate, mais ce grand homme ne daigna pas s'en servir, aimant mieux courir le risque d'une condamnation injuste & perdre la vie, que d'enfreindre les lois de son pays, dont il avait constamment recommandé l’observation.
[33] Ce Philippe était fils de Démétrius, & père de Persée dernier Roi de Macédoine.
[34] Ce Duris de Samos, Historien Grec, florissait du temps de Ptolémée Philadelphe, quelque deux cents vingt ans avant l’Ere Chrétienne. Il avait écrit une Histoire de Macédoine, une d’Agathocle de Syracuse, & quelques autres ouvrages. Photius a raison de dire qu'il ne rendait pas justice à Ephorus & à Théopompe.
[35] Ce Cléocharès m’est inconnu. Je m'étonne que Photius n'ait pas plutôt allégué le témoignage de Denys d’Halicarnasse, qui est bien d'un autre poids. Je vais le rapporter tout entier, avec quelques réflexions, afin que l'on ait dans un même morceau tout ce qui concerne Théopompe, qui constamment a été l'un des plus grands Ecrivains de l'Antiquité.
[36] Les Interprètes entendent des Epîtres écrites en vieux langage. Peut-être les Grecs ont-ils pris plaisir quelquefois à écrire en vieux langage, à peu près comme nous voyons que Voiture, la Fontaine & d'autres ont imité le style de Marot ou de nos vieux Romanciers. Pour moi, je crois qu’il faut plutôt entendre des Epîtres où il était parlé de choses fort anciennes.
[37] Cet ouvrage de Théopompe que Denys d'Halicarnasse vante tant, pourrait bien avoir justement attiré à son auteur la réputation qu'il avait d’auteur médisant. Il est aisé de se tromper, quand on se donne la liberté de pénétrer dans l'intérieur des hommes, et de deviner leurs intentions les plus secrètes. Un Historien peut bien faire le caractère des personnes qui jouent les principaux rôles dans son histoire ; ces caractères bien faits sont un grand ornement, témoins ceux de Catilina, de César & de Caton dans Salluste. Mais l'Historien se trompera toujours, s'il prétend mettre une liaison nécessaire entre les caractères de ses personnages & toutes leurs actions, ; car le même homme est souvent aussi différent de lui-même, qu'il est différent des autres. Il n'y en a point de si courageux qui n'ait à rougir de quelque lâcheté, ni de si libéral, si généreux, qui ne puisse se reprocher quelque trait d'avarice, ni en un mot de si vertueux, qui ne se démente quelquefois, comme il n'y en a point de si méchant qui ne soit capable de quelque bonne action. Un Historien n’est comptable que des faits, on n'exige point de lui qu'il en rapporte les motifs cachés, & il ne le doit jamais faire, sans les appuyer de bonnes preuves, autrement c’est donner ses idées, ses visions pour des réalités. Varillas, pour avoir pris en cela trop de licence, est tombé dans le mépris, après avoir joui d'une grande réputation, qu'il devait plutôt à l'agrément de son style qu'à l'amour de la vérité, qui tôt ou tard reprend ses droits, & sans lequel un ouvrage historique ne saurait avoir de succès durable. Je ne sais si Tacite n’est point aussi un peu blâmable de ce côté-là, & s’il n’est point tombé dans le défaut de mettre du mystère à tout, & de penser trop au désavantage des hommes, comme par exemple, quand il dit qu'Auguste, après avoir institué Tibère & Livie ses héritiers, en second lieu ses petits-fils & leurs descendants, appelait en troisième lien à sa succession les Grands de Rome qu'il haïssait dans le fond de son âme, mais à qui par ostentation & par vanité il avait voulu rendre cet honneur : Tertio gradu Primores civitatis, plerusque invisos sibi, sed jactantia gloriaque apud posteros. Et lorsqu'il nous fait entendre qu'Auguste, en adoptant Tibère, n’avait agi ni par amitié pour lui, ni par zèle pour l'Etat, mais par une ambition déréglée, pour rehausser l'éclat de la gloire par le contraste des vices de son successeur : Ne Tiberium quidem caritate aut Reipublicœ cura successorem adjcitum, sed quoniam arrogantiam saevitiamque introspexerit, comparatione deterrima sibi gloriam quœsivisse. Par cette raison, je préférerais au caractère de Tacite celui de Salluste, qui n'est pas plus sentencieux qu'un Historien ne doit l’être, & qui d'ailleurs a une brièveté d'autant plus merveilleuse qu'elle ne nuit point à la clarté.
[38] Malgré cet éloge du style de Théopompe, Longin dans son Traité du Sublime, n'a pas laissé de remarquer que cet Ecrivain gâtait quelquefois de beaux endroits, par la bassesse des termes qu'il y mêlait, & il en cite un exemple sensible. Denys d'Halicarnasse n'a donc pas raison de l'égaler à Isocrate. Pour moi, je m'en rapporterais plus volontiers au jugement de Photius, qui, ce me semble, a fort bien démêlé ce qu'il y avait de louable & de blâmable dans Théopompe»