BIBLIOTHÈQUE DE PHOTIUS

          

    DES CHOSES INCROYABLES

   
Que l'on voit au-delà de Thulé 

     en
xxiv livres, par Antoine Diogène

      

       Traduction française : S. CHARDON DE LA ROCHETTE.
 

        Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Extrait de la Bibliothèque de

PHOTIUS

DES CHOSES INCROYABLES

Que l'on voit au-delà de Thulé (1),

en xxiv livres, par

 

Antoine Diogène.

 

cod. clxvi.

 

 

Nous avons lu les XXIV livres des Choses Incroyables que l'on voit au-delà de Thulé, par Antoine Diogène. Ce sont des récits fabuleux; le style unit la netteté à la clarté, et présente rarement quelque obscurité ; les digressions nombreuses, et les réflexions dont elles sont semées, en rendent la lecture d'autant plus agréable, que l'auteur a su donner un grand air de vérité à cette foule d'aventures incroyables qui se succèdent rapidement, et qui sont disposées dans un ordre heureux.

L'auteur introduit d'abord un Arcadien, nommé Dinias, qui, errant avec son fils Démocharès, loin de sa patrie, pour acquérir des connaissances et satisfaire sa curiosité (2), s'embarque sur le Pont-Euxin, traverse la mer Caspienne et Hyrcanienne, arrive au pied des monts Riphées, et aux bouches du Tanaïs. Là, ces deux voyageurs, forcés par la rigueur du climat de changer de route, se détournent vers l'Océan scythique, entrent dans l'Océan oriental & s'avancent jusques aux Portes du jour ; ils côtoient ensuite, dans tout son contour, la mer extérieure (3) ; et, après de longs circuits, pendant lesquels ils s'associent trois compagnons de voyage, Carmanès, Méniscus, Azulis, ils abordent enfin à l'île de Thulé,[1] où ils se reposent, pendant quelque temps, de leurs fatigues. Dinias, pendant son séjour dans l'île, devient amoureux de Dercyllis, jeune Tyrienne, d'une naissance distinguée, qui se trouvait alors à Thulé avec son frère Mantinias. Dans les fréquents entretiens qu'ils ont ensemble, elle lui raconte comment un prêtre égyptien, nommé Paapis, dont la patrie venait d'être dévastée, se réfugia à Tyr ; comment il y fut accueilli chez ses parents, qui exercèrent envers lui tous les devoirs de l'hospitalité; comment, après s'être d'abord montré sensible aux bienfaits de toute la famille, il finit par accabler de maux le père et les enfants. Obligée de prendre la fuite avec son frère, elle est successivement portée à Rhodes, en Crète, chez les Tyrrhéniens et chez les peuples qu'on nomme Cymmériens. Chez ces derniers, elle visite les enfers, y reconnaît Myrtha, l'une de ses suivantes, morte depuis longtemps, et apprend d'elle une partie de ce qui se passe dans l'empire des ombres.

Tout cela fournit la matière des premiers récits que Dinias fait à Cymbas. Celui-ci avait été député à Tyr par le peuple entier d'Arcadie, pour engager Dinias à retourner dans sa patrie ; mais, l'âge empêchant ce dernier de se rendre à cette invitation, on lui fait raconter tout ce qu'il a vu dans ses voyages, et tout ce que d'autres témoins oculaires lui ont appris. Il n'oublie pas ce que Dercyllis lui a raconté dans l'île de Thulé, c'est-à-dire ses premiers voyages, dont il a été déjà question; sa séparation d'avec son frère; son retour des enfers avec Ceryllus et Astræus ; la visite au tombeau de Sirène ; ce qu'Astræus avait entendu dire à Phylotis, touchant Pythagore et Mnésarque (4), et ce qu'il avait appris de lui, touchant l'apparition fabuleuse de ses frères.

Dinias passe aux nouvelles aventures de Dercyllis et de sa suite; ils abordent à une ville d'Ibérie (Espagne), dont les habitants sont privés de la vue pendant le jour, et la recouvrent pendant la nuit. Astræus, par les sons de sa flûte, met en déroute les ennemis de ce peuple. Ils partent, comblés de bénédictions, et arrivent chez les Celtes, peuple cruel et fou. Bientôt ils fuient sur des chevaux qui changent de couleur et qui donnent lieu à plus d'une aventure. Ils passent en Aquitaine où l'on accueille avec distinction Dercyllis et Ceryllus, mais surtout Astræus, dont les yeux, croissant et décroissant avec la lune, indiquent, par leurs phases, le moment précis où chacun des deux rois du pays doit, selon l'accord fait entre eux, monter alternativement sur le trône, ce qui met fin aux longues querelles de ces rois, et remplit d'allégresse les habitants. Dinias raconte ensuite les autres choses que Dercyllis avait vues, et les nouveaux malheurs auxquels elle avait été en proie ; son arrivée chez les Artabres (5), dont les femmes vont à la guerre, tandis que les hommes gardent la maison et s'occupent des soins du ménage ; les aventures de Dercyllis et de Ceryllus dans les Asturies ; les aventures particulières d'Astræus ; comment les deux premiers ayant échappé, contre toute espérance, aux nombreux périls qu'ils avaient courus chez ces peuples, l'un d'eux, Ceryllus, ne put se soustraire à la peine qui lui était due pour un crime dont il s'était autrefois rendu coupable, et fut coupé par morceaux.

Après cela, Dinias rend compte de ce que Dercyllis vit en Italie et en Sicile ; à Ério, ville de Sicile, elle est prise et envoyée à Sænisidème, qui régnait alors sur les Léontins. Elle rencontre à la cour de ce tyran le scélérat Paapis; mais, dans son malheur, une consolation inattendue lui est offerte, Mantinias lui est rendu. Celui-ci raconte à sa sœur tout ce que les hommes, les animaux, le soleil même et la lune, les plantes, les îles, lui ont montré d'étonnant et de merveilleux dans ses longues courses, ce qui devient pour Dinias une source intarissable de récits fabuleux qu'il fait à son tour à l’Arcadien Cymbas.

On voit ensuite que Dercyllis et Mantinias, en quittant le pays des Léontins, pour se rendre à Rhégium, enlèvent à Paapis une petite besace qui contenait quelques livres et une petite boîte pleine de racines. De Rhé-gium, ils passent à Métaponte, où Astræus les rejoint, et les avertit que Paapis est à leur poursuite. Ils suivent Astræus chez les Thraces et les Massagètes, auprès de Zamolxis, disciple comme lui de Pythagore. (6)

Les aventures du voyage trouvent ici leur place ainsi que l'entrevue d'Astræus et de Zamolxis, qui était déjà considéré comme un dieu parmi les Gètes, et les grâces que Dercyllis et Mantinias demandèrent à Zamolxis, par l'entremise d'Astræus. Un oracle leur apprend que le Destin les appelle à Thulé, et qu'ils ne reverront leur patrie qu'après une longue suite d'infortunes ; après avoir expié le crime, quoique involontaire, qu'ils ont commis envers leurs parents, et après être morts et ressuscités alternativement, morts pendant le jour, et rendus à la vie pendant la nuit.

Pour se conformer à l'oracle, ils partent, laissant auprès de Zamolxis Astræus, qui jouissait déjà d'une grande considération chez les Gètes. (7) Dans le pays dominé par Borée, ils sont témoins de beaucoup de prodiges, et en apprennent beaucoup d'autres. Dinias à qui Dercyllis a raconté toutes ces choses, pendant son séjour à Thulé, en rend compte à Cymbas. Il lui dit comment Paapis, s'étant mis à la poursuite de Dercyllis et de son frère, les rejoignit, dans cette île ; comment, par une opération magique, en leur crachant au milieu du visage, il leur ôtait la vie chaque matin, pour la leur rendre à l'entrée de la nuit ; comment un habitant de l'île, nommé Thruscanus, qui aimait Dercyllis, la voyant tomber morte par l'effet de l'enchantement, en conçut une vive douleur, fondit sur Paapis, le tua, et mit ainsi un terme aux longues souffrances de nos Tyriens ; comment enfin Thruscanus, persuadé que Dercyllis était réellement morte, se tua sur le corps de celle-ci. Dinias, pendant son séjour dans l'île de Thulé, avait entendu raconter tout cela à Dercyllis, ainsi que beaucoup d'autres aventures semblables, telles que les circonstances qui avaient accompagné et suivi leurs funérailles ; les amours de Mantinias et les événements auxquels elles donnèrent lieu. Il les raconte à son tour à Cymbas.

Ici finit le vingt-troisième livre des Choses incroyables que l’on voit au delà de Thulé. Ce qui concerne cette île occupe fort peu d'espace, on en dit seulement quelques mots vers le commencement de l'ouvrage.

Dans le vingt-quatrième livre Dinias redit à Cymbas ce qu'il a entendu conter à Azulis. Ce dernier trouve dans la besace que les deux Tyriens avaient enlevée à Paapis, et qu'ils avaient emportée avec eux, le mode qu'avait suivi ce prêtre scélérat pour les faire passer alternativement de la vie à la mort, de la mort à la vie, et le moyen qu'il fallait employer pour détruire cet enchantement. Il y découvre encore la marche que doivent suivre Dercyllis et Mantinias, pour retirer leurs parents de ce long sommeil de mort dans lequel ils les avaient plongés depuis si longtemps, à l'instigation de Paapis, et dans la ferme persuasion où ils étaient qu'il en résulterait pour eux un grand bien.

Dercyllis et Mantinias, délivrés par les soins d'Azulis, se hâtent de regagner leur patrie, pour rendre à la vie les auteurs de leurs jours. Après le départ d'Azulis, Dinias, Carmanès et Méniscus continuent leurs courses au delà de Thulé ; ce qui fournit à Dinias l'occasion, de raconter à Cymbas tout ce qu'il a vu d'extraordinaire dans ce nouveau voyage. Il prétend avoir vérifié, de ses propres yeux, plusieurs faits avancés par les astronomes ; par exemple, que certains peuples peuvent habiter sous l'Ourse et l'avoir au-dessus de leur tête ; qu'il y a des nuits d'un mois, de six mois, plus ou moins, et enfin d'un an, que la durée des jours correspond à celle des nuits, et plusieurs autres faits semblables.

Il raconte ensuite des choses si étonnantes sur les hommes qu'il a vus et sur les prodiges dont il prétend avoir été témoin, que non seulement personne ne s'est jamais vanté d'en avoir tant vu, mais que même l'imagination n'en a jamais forgé de pareilles. Mais la chose la plus incroyable dans ces récits, c'est qu'il assure qu'en avançant vers le Nord, ils s'approchèrent de la Lune, qui leur parut une terre absolument nue, et qu'ils y virent tout ce que devait naturellement y voir un homme qui a déjà fabriqué tant de mensonges. On voit ensuite que la Sibylle apprit de Carmanès l'art de la divination ; qu'après cela chacun fit des vœux particuliers qui furent tous exaucés ; que Dinias, après s'être endormi profondément, se vit, à son réveil, transporté à Tyr, dans le temple d'Hercule, et qu'il y retrouva Dercyllis et Mantinias, qui avaient déjà délivré leurs parents du sommeil, ou plutôt de la mort. Les uns et les autres jouissaient d'une bonne santé et d'un sort prospère.

Dinias, ayant terminé ces récits, présente à Cymbas des tablettes de cyprès, et l'invite à faire mettre par écrit tout ce qu'il vient de lui raconter, par l'Athénien Erasinidès, qui était à sa suite et qui avait les talents nécessaires pour remplir dignement cet office ; en même temps il leur montre Dercyllis qui avait apporté elle-même les tablettes ; il ordonne ensuite que ces récits soient retracés sur deux tablettes différentes, dont l’une restera entre ses mains, et dont l'autre, enfermée dans une cassette, sera déposée par Dercyllis près de son tombeau, quand elle croira que l'heure de sa mort est venue.

 

 

 

On a vu que Diogène, surnommé Antoine, a mis tous ces récits merveilleux dans la bouche de Dinias ; cependant il écrit à Faustinus qu'il a recueilli soigneusement les Choses incroyables que l’on voit au-delà de Thulé, et qu'il les adresse à sa sœur Isidore qui a beaucoup de goût pour l'érudition. Il se qualifie poète de l'ancienne comédie (8); il ajoute que la plus grande partie des fictions et des choses incroyables que renferment ces récits, est appuyée sur des témoignages anciens, sur des traditions qu'il n'a fait qu'extraire à grands frais. En effet, pour donner plus de poids aux merveilles qu'il raconte, il a soin dénommer, à la tête de chaque livre, ceux qui lui ont fourni des matériaux. L'ouvrage est précédé d'une épître à sa sœur Isidore; l'auteur lui fait hommage de son livre, et cependant cette épître dédicatoire contient une autre lettre que Balagrus (9) adresse à sa: femme Phila, sœur d'Antipater, Balagrus lui écrit qu'après la prise de Tyr, par Alexandre, lorsqu'une partie de la ville était déjà livrée aux flammes, un soldat vint trouver le roi de Macédoine et lui promit de lui indiquer quelque chose d'étrange et de surprenant, s'il voulait sortir hors des murailles de la ville. Le roi, accompagné d'Héphæstion et de Parménion, suit le soldat, et bientôt il arrive à des tombeaux de pierre, souterrains. Sur l'un était écrit : Lysilla a vécu XXXV ans; sur un autre on lisait : Mnason, fils de Mantinias, a vécu LXVI ans, après en avoir déjà vécu LXXI (10); le troisième partait cette inscription : Aristion, fille de Philoclès, a vécu XLVII ans, après en avoir déjà vécu LII ; sur le quatrième était écrit ; Mantinias, fils de Mnason, a vécu XLII ans, et DCCLX nuits ; sur le cinquième : Dercyllis, fille de Mnason, a vécu XXXIX ans et DCCLX nuits ; on lisait enfin sur le sixième : Dïnias, Arcadien, a vécu CXXV ans. La première de ces inscriptions était fort claire, mais ils étaient embarrassés sur le sens des suivantes, lorsqu'ils aperçurent, près du mur, une petite cassette de cyprès, sur laquelle était écrit: Etranger, QUI QUE TU SOIS, OUVRE, ET TES DOUTES SERONT éclaircis.

Alexandre fait ouvrir la cassette et y trouve les tablettes de cyprès que Dercyllis y avait déposées pour se conformer aux ordres de Dinias. Voilà ce que Balagrus écrit à sa femme, et comme il lui annonce une copie de ces tablettes, on raconte comment on les a lues, comment on les a transcrites, et l'on met dans la bouche de Dinias tous les récits dont nous avons déjà parlé.

Tel est le plan et la contexture du. roman d'Antoine Diogène, Ce romancier paraît être le plus ancien de tous ceux qui ont couru la même carrière, tels que Lucien, Lucius, Jamblique, Achilles Tatius, Héliodore.et Damascius. Son histoire fabuleuse semble même avoir été la source où Lucien a puisé son Histoire véritable, et Lucius ses Métamorphoses. Bien plus, Dercyllis, Ceryllus, Thruscanus, Dinias paraissent avoir fourni le modèle, d'après lequel on nous a peint ensuite Sinonis et Rhodanes, Leucippe et Clitophon, Théagène et Chariclée, ainsi que leurs aventures, leurs courses errantes, leurs amours, leurs enlèvements et leurs périls. Mais nous ne. pouvons fixer d'une manière positive le temps auquel florissait ce père des récits merveilleux ; cependant il est probable qu'il était peu éloigné de celui d'Alexandre (11), puisqu'il fait mention d'un certain Antiphanes qui, longtemps avant lui, s’était amusé à débiter des contes pareils. Du reste, les fictions de Diogène, et celles qui lui ressemblent, nous fournissent deux leçons fort utiles. La première, c'est que le coupable a beau échapper mille fois à la peine qui le poursuit, elle finit toujours par l'atteindre ; la seconde, c'est qu'on y voit beaucoup d'innocents sauvés au moment même où les plus grands dangers les menacent.


 

NOTES SUR LE ROMAN DE DIOGÈNE.

 

(1) La position de l'île de Thulé est un des points les plus obscurs de la géographie ancienne ; on croit cependant, assez généralement, que c'est l'Islande. Virgile (Géorg. I, 30.) et d'autres poètes l'appellent Ultima Thule, la dernière île du monde connu, dans l'Océan septentrional; mais notre auteur en suppose beaucoup d'autres au-delà. Celle-ci n'est qu'une simple station pour ses aventuriers: c'est loin de Thulé qu'ils découvrent les merveilles dont ils remplissent leurs récits. Synésius faisait allusion, sans doute, au roman de Diogène, lorsqu'il écrivait à Olympius (Lettre 93): « Les Cyrénéens sont aussi émerveillés, en m'écoutant, que nous le sommes, nous-mêmes, lorsque nous entendons conter tout ce qu'on voit au-delà de Thulé ; quelle que soit cette Thulé, qui donne à ceux qui la traversent, le droit de débiter impunément tant de mensonges.

(2) Ad visenda loca et mores hominum investigandas. André Schott traduit plaisant-ment : ut exigebat historia.

(3) C'est-à-dire, l'Océan méridional, occidental et septentrional.

(4) Tout ce qui concernait Pythagore, dans le roman de Diogène, nous a été conservé, par Porphyre, dans sa Vie de Pythagore (§§ 10-16). Au commencement du dixième paragraphe, il dit positivement que, comme Diogène, dans les choses incroyables que l’on voit au-delà de Thulé, a rapporté, avec beaucoup d'exactitude, tout ce qui regarde ce philosophe, il n'a pas cru le devoir passer sous silence. Et dès le commencement du 32e, il donne, d'après le même Diogène, des détails circonstanciés sur la vie habituelle et journalière de Pythagore. M. Meiners, dans son excellente Histoire de l’origine, des progrès et de la décadence des sciences, dans la Grèce et à Rome, écrite en allemand, a remarqué aussi, avec sa sagacité ordinaire (Tome I), que dans la Vie de Pythagore, par Jamblique, les paragraphes 64-87 et 104-140, sont évidemment empruntés pour les choses, et le plus souvent même pour les expressions, du roman de Diogène ; mais ce savant professeur fait remarquer, en même temps, que Diogène avait emprunté de Nicomaque la plus grande partie de ce qu'il raconte de Pythagore ; et que, par conséquent, il est postérieur a ce dernier, qui vivait vers le milieu du deuxième siècle. Du reste, voici le jugement qu'il porte sur cet écrivain, dans-sa notice raisonnée des historiens de Pythagore.

DIOGÈNE.

« Il faut avoir soin de distinguer ce Diogène, de celui qui est connu sous la dénomination de Diogène Laërce. On ne saurait dire quand a vécu Diogène, ni dans quel pays ; mais on voit, par ses fragments, dans lesquels on trouve des relations d'Aristoxène, d'Héraclide, de Timée, de Néanthe, de Moderatus et de Nicomaque, qu'il naquit plus tard que tous les écrivains dont j'ai examiné jusqu'à présent les ouvrages, et qu'il doit avoir vécu dans la première moitié du troisième siècle; il écrivit, sur les merveilles que l'on voyait au-delà de Thulé, un ouvrage que Porphyre seul cite nommément, (§ 10) preuve certaine qu'il était peu connu, ou du moins fort peu estimé. Outre Porphyre, Jamblique a tiré beaucoup de choses de lui, sans le nommer» comme je le démontrerai plus bas en parlant de Jamblique ».

« Porphyre dit, a la vérité, qu'il a écrit sur Pythagore avec beaucoup d'exactitude et de détail ; mais ce jugement même prouve que Porphyre n'était point du tout en état de juger du degré de confiance que mérite un écrivain. On voit par ce qui nous reste de Diogène, que, sans inventer des fables ou falsifier des mémoires, il rassemblait, sans jugement, le vrai et le faux qu'il trouvait dans divers ouvrages ; qu'il accumulait même des recherches contradictoires, sans les examiner, sans remarquer ces contradictions; qu'il croyait toutes les fables que l'on avait débitées sur Pythagore, et qu'il ne s’était pas même inquiété du temps ou vivaient tel philosophe et d'autres hommes célèbres.... »

« Il était persuadé que Zaleucus et Charondas, Zamolxis et Abaris avaient été ses disciples, ou du moins avaient pris de ses leçons. Il parlait des voyages de Pythagore chez les Arabes, chez les Juifs, chez les Chaldéens et les Pertes, et des grands trésors de sagesse qu'il avait amassés dans lés entretiens dés prêtres et des philosophes de ces peuples, et rapportés ensuite dans la Grèce. Il admirait Pythagore comme un homme qui s'entretenait aussi familièrement avec les dieux qu'avec les hommes ; qui, par le secours de ces mêmes dieux, avait fait des actions merveilleuses et qui surpassaient les forces ordinaires de l’humanité; qui, enfin, avait passé sa vie dans la contemplation des choses spirituelles, impérissables et invariables ».

« J'omets ici d'autres erreurs que l'on trouve dans ses fragments, rapportés par Porphyre, et encore plus dans ceux qui sont rapportés par Jamblique, erreurs qui prouvent que Diogène vécut dans un temps où l'on avait déjà perdu entièrement une juste connaissance de l'antiquité, et où les écrivains fabuleux et imposteurs l'emportaient sur ceux qui sont les plus dignes de foi ».

Je me suis permis de supprimer un passage dans lequel M. Meiners dit que « Diogène parlait de la manière miraculeuse dont fut sauvé et nourri Pythagore dans.sa jeunesse, tout autrement que les anciens qui méritent quelque confiance », et il renvoie au § 10 ; mais il est évident, comme on le verra tout à l'heure, que, dans ce paragraphe, Diogène parle d'Astræus et non de Pythagore. C'est une de ces distractions bien pardonnables, dans un ouvrage qui exigeait une attention continuelle, pour ne pas confondre les temps, les hommes et les choses.

Porphyre nous a également conservé (§§ 10-13) les circonstances merveilleuses qui avaient accompagné la naissance de cet Astrœus qui joue un grand rôle dans le roman de Diogène. On ne sera pas fâché de trouver ici la substance de ces quatre paragraphes.

« Selon Diogène, Mnésarque descendait de ces Tyrrhéniens qui vinrent s'établir à Lemnos, à Imbros, à Scyros. Dans le cours de ses longs voyages, il rencontra un jour (l'auteur ne dit pas dans quelle contrée) sous un grand et beau peuplier, un jeune enfant couché sur le dos, fixant le soleil sans en être ébloui, tenant dans sa bouche un léger chalumeau, en guise de flûte, et se nourrissant de la rosée que distillait sar lui le peuplier. Mnésarque, ravi d'admiration, et croyant apercevoir quelque chose de divin dans cet enfant, s'empressa de le relever: et, comme il jouissait d'une fortune considérable, il le fit élever avec ses trois enfants, Ennosius, Tyrrhénus, Pythagore, et lui donna le nom d'Astræus. Pendant son enfance, il lui fit apprendre la musique, les exercices de gymnase et la peinture, et lorsqu'il fat parvenu à l'âge de l'adolescence, il l'envoya à Milet, auprès d'Anaximandre, pour apprendre de lui la géométrie et l'astronomie. Pendant cet intervalle Pythagore, le plus jeune des enfants de Mnésarque, voyageait en Egypte, chez les Arabes, chez les Chaldéens et chez les Hébreux. Ces derniers lui apprirent l’art d'interpréter les songes, et il fut le premier qui fit usage de la libanotomancie, c'est-à-dire, de la divination par la fumée de l'encens. En Egypte il vécut avec les prêtres, et s'instruisit auprès d'eux dans la sagesse et la langue des Egyptiens. Dans cette dernière on distinguait trois sortes de caractères, les épistolaires, les hiéroglyphiques et les symboliques. Les premiers étaient appropriés au langage commun ; les deux autres renfermaient des allégories et des énigmes. Il acquit surtout chez eux une connaissance plus exacte des Dieux. Chez les Arabes, il vécut dans l'intimité du roi. A Babylone, il fréquenta les autres Chaldéens, mais il lia un commerce plus étroit avec Zabratus, qui le purifia de toutes les souillures de sa première vie, lui indiqua les choses dont l'homme sensé doit s'abstenir, lui enseigna l'origine du monde, et lui donna la connaissance de la nature. Pythagore recueillit dans ses voyages parmi ces nations, la plus grande partie des trésors de sagesse, dont il enrichit ensuite sa patrie. A son retour, Mnésarque, son père, lui fit présent du jeune Astræus ; mais avant de l'instruire, Pythagore, selon sa coutume, porta toute son attention sur la constitution physique de ce jeune homme ; il examina son corps, et dans l'état de mouvement, et dans l'état de repos. Le premier, il avait perfectionné l'art de la physiognomonie, c’est-à-dire celui de connaître le naturel d'un homme, d'après sa conformation extérieure ; et il n'admit jamais personne, ni dans son amitié, ni dans son intimité, sans l'avoir préalablement soumis à cet examen rigoureux ».

Porphyre ajoute, dans une parenthèse du § 10, qu'Astræus, parvenu à l'âge de virilité, fut adopté par un habitant de Samos, nommé Androclès, qui lui confia l'administration de sa maison ; et quelques lignes plus bas, il dit qu'Androclès l'adopta dans son extrême enfance. J'ai supprimé ces deux assertions contradictoires qui portent également le caractère de la fausseté, et que l'auteur aura puisées, sans examen dans quelque autre ouvrage.

(5) Le Cap Finisterre.

(6) Les disciples, qui écoutaient les leçons ou qui suivaient la doctrine du même maître, s'appelaient entre eux compagnons ; ils formaient un véritable club. Nous avons une épigramme grecque de Philodème, dans laquelle cet Epicurien invite L. Calpurnius Pison, a la fête commémorative de la naissance d'Epicure, que les disciples de ce. philosophe célébraient tous les ans, le vingt du mois de gamelion.

(7) Zamolxis dut son apothéose aux lois qu’il donna à sa patrie, et surtout au dogme de l'immortalité qu’il introduisit le premier chez les Gètes. Nos dictionnaires historiques en disent fort peu de chose. J'ai cru que je ferais plaisir à ceux des lecteurs qui manquent ou de moyens ou de courage pour remonter aux sources, si je mettais sous leurs yeux tout ce qu'on trouve de remarquable sur ce législateur des Gètes, dans les écrivains Grecs, sacrés et profanes ; d'autant plus qu'une partie de ces passages n'a jamais été traduite dans notre langue.

Hérodote est le premier qui nous l'ait fait connaître. Voici ce qu'il en dit dans son IVe livre, § XCIV-XCVI. Nous empruntons la traduction de son savant interprète français, dont les notes sont déjà traduites dans les principales langues de l'Europe. « Les Gètes te croient immortels, et pensent que celui qui meurt va trouver leur Dieu Zalmoxis, que quelques-uns d'entre eux croient le même que Gébéleïzis. Tous les cinq ans ils tirent au sort quelqu'un de leur nation, et l'envoient porter de leurs nouvelles, à Zalmoxis, avec ordre de lui représenter leurs besoins. Voici comment se fait la députation. Trois d'entre eux sont chargés de tenir chacun une javeline la pointe en haut, tandis que d'autres prennent, par les pieds et par les mains, celui qu'on envoie à Zamolxis : ils le mettent en branle, et le lancent en l'air, de façon qu'il retombe sur la pointe des javelines. S'il meurt de ses blessures, ils croient que le Dieu leur est propice; s'il n'en meurt pas, ils l'accusent d'être un méchant. Quand ils ont cessé de l'accuser, ils en députent un autre, et lui donnent aussi leurs ordres, tandis qu'il est encore en vie. Ces mêmes Thraces tirent aussi des flèches contre le ciel, quand il tonne et qu'il éclaire, pour menacer le Dieu qui lance la foudre, persuadés qu'il n'y a point d'autre Dieu que celui qu'ils adorent. J'ai néanmoins ouï dire aux Grecs qui habitent l'Hellespont et le Pont, que ce Zamolxis était un homme, et qu'il avait été à Samos esclave de Pythagore, fils de Mnésarque ; qu'ayant été mis en liberté, il avait amassé de grandes richesses, avec lesquelles il était retourné dans son pays. Quand il eut remarqué la vie malheureuse et grossière des Thraces, comme il avait été instruit des usages des Ioniens, et qu'il avait contracté avec les Grecs, et particulièrement avec Pythagore, un des plus célèbres philosophes de la Grèce, l'habitude de penser plut profondément que ses compatriotes, il fit bâtir une salle où il régalait les premiers de la nation. Au milieu du repas, il leur apprenait que ni lui ni ses conviés, ni leurs descendants à perpétuité ne mourraient point ; mais qu'ils iraient dans un lieu où ils jouiraient éternellement de toutes sortes de biens. Pendant qu'il traitait ainsi ses compatriotes, et qu'il les entretenait de pareils discours, il se faisait faire un logement sous terre. Ce logement achevé, il se déroba aux yeux des Thraces, descendit dans ce souterrain, et y demeura environ trois ans. Il fut regretté et pleuré comme mort. Enfin la quatrième année il reparut, et rendit croyables, par cet artifice, tous les discours qu'il avait tenus ».

« Je ne rejette ni n'admets ce qu'on rapporte de Zalmoxis et de son logement souterrain ; mais je pense qu'il est antérieur de bien des années à Pythagore. Au reste, que Zalmoxis ait été un homme on que ce soit quelque dieu du pays des Gètes, c'en est assez sur ce qui le concerne. »

Après Hérodote beaucoup d'écrivains ont parlé de cette divinité, ou plutôt de ce législateur des Gètes ; mais la plus grande partie n'a presque fait que copier ce père de l'histoire, auquel nous devons tant de renseignements précieux sur les anciens peuples. Je me contenterai de rapporter ici ce qu'en ont dit les principaux.

Dans le dialogue de Platon, intitulé Charmidès, Critias raconte à Socrate, qui était de retour de Potidée, que ce beau jeune homme, Charmidès, s'est plaint à lui, il y a peu de jours, en se levant, d'un violent mal de tête ; il lui propose de feindre qu'il possède un remède pour ce mal. Socrate se prête à la plaisanterie. On fait donc appeler Charmidès, en lui annonçant un médecin. Il accourt et demande avec impatience à Socrate, qu'il croit être ce médecin, s'il est véritablement possesseur d'un remède pour le mal de tête. Socrate répond qu'il en possède un ; qu'il consiste dans une certaine feuille sur laquelle il faut prononcer quelques paroles magiques. Charmidès s'offre bien vite à écrire ces paroles sous la dictée. Socrate feint de l'embarras pendant quelques instants, enfin il lui dit : « Charmidès, n'avez-vous pas remarqué que si quelqu'un s'adresse à un habile médecin, et lui demande un remède pour le mal des yeux, celui-ci lui observe qu'il faut commencer par guérir la tête avant de s'occuper des yeux, parce qu'il serait insensé de vouloir traiter une partie du corps sans avoir préalablement donné ses soins au corps entier, et que, conséquent à ces principes, ce médecin assujettit d'abord le corps entier à un régime général et entreprend ensuite la cure de la partie affectée ? Oui, certainement je l'ai remarqué répond Charmidès. — Eh bien ! réplique Socrate, il en est de même de mon remède magique. Je l'ai appris, à l'armée, d'un de ces médecins thraces, sortis de l'école de Zamolxis, qui rendent, dit-on, immortels. Selon ce médecin thrace, tout ce que je viens de dire sur la nécessité d'un traitement général, ne s'éloigne pas du système des médecins grecs; mais, ajouta-t-il, Zamolxis, notre roi et notre dieu, prétend en outre, que comme on ne peut guérir les yeux sans avoir guéri la tête, ni la tête sans avoir guéri tout le corps, on ne peut de même guérir celui-ci sans avoir auparavant guéri l'âme, et que c'est par cette raison qu'une grande partie des maladies est inconnue aux médecins grecs; c'est qu'ils négligent le tout, sur lequel pourtant devraient se porter leurs premiers soins, parce que si celui-ci est malade, il est impossible qu'une de ses parties soit en bon état. »

Diodore de Sicile (Liv. I), après avoir dit que chez les Grecs, Miaos disait tenir ses lois de Jupiter, et Lycurgue, d'Apollon, ajoute: « On retrouve les mêmes fraudes pieuses chez beaucoup d'antres nations, et l'on prétend même qu'il en est résulté de grands biens pour celles qui les ont adoptées. Chez les Arimaspes, Zathraustès disait avoir reçu ses lois du Bon Génie; chez les Gètes, Zamolxis les attribuait à la commune Vesta (le feu), et chez les Juifs, Moïse reconnaissait pour l'auteur des siennes Jehovah ».

Strabon (Liv. VII) donne, sur Zamolxis, un article extrêmement intéressant, que je traduirai en entier.

« On prétend, dit-il, qu'un Gète, nommé Zamolxis, fut esclave de Pythagore, qu'il apprit de lui, en partie, la science des mouvements célestes, et qu'il acquit ses autres connaissances pendant ses longues courses en Egypte et dans les pays qu'il traversa pour arriver au sien. Lorsqu'il fut de retour dans ses foyers, il se rendit recommandable à sa nation et à ses chefs, en leur prédisant ce que les différents aspects des astres leur promettaient, et finit par persuader au roi qu'il devait l'associer au gouvernement, comme un homme propre à lui faire connaître la volonté des dieux. D'abord on le fit prêtre de la principale divinité du pays ; ensuite il fut lui-même proclamé dieu ; et il se retira dans une espèce d'antre inaccessible; il y vécut dans la retraite, se montrant rarement au dehors, excepté pour converser avec le roi et ses ministres. Le roi favorisait d'autant plus volontiers cette manière de vivre cachée et mystérieuse, qu'il voyait ses ordres exécutés plus ponctuellement qu'auparavant, depuis qu'il les annonçait comme émanés des dieux. Cet usage s'est maintenu jusqu'à nos jours. Il s'est toujours trouvé, dans cette nation, un homme qui est devenu le conseiller du roi, et que les Gètes ont appelé dieu. La montagne sur laquelle Zamolxis s’était retiré, était réputée sacrée et nommée telle ; mais son véritable nom, qui lui est commun avec la rivière qui coule à ses pieds, est Cogœonon. Sous le règne de Byrebiste, et lorsque César (Jules), mis au rang des dieux, préparait une expédition contre les Gètes, Décœnéus occupait ce poste éminent, et la doctrine de Pythagore sur l'abstinence des viandes, introduite par Zamolxis, est encore en vigueur ».

D'Anville, dans un mémoire inséré dans le Tome XXV des Mémoires de l’Académie des Inscriptions, a cru découvrir cette montagne sacrée dans un des sommets de celles qui séparent la Moldavie de la Transylvanie. Ce sommet a son penchant également sur l'un et sur l'autre de ces pays, il se nomme Kaszon ou Kaszin, et il en descend, du coté de la Moldavie, une petite rivière qui tire de la montagne le nom qu'on lui donne.

« Or, dit ce célèbre géographe (Page 41 des Mémoires), dans le nom actuel de Kaszon on reconnaît celai de Kôgajon, en mettant à part la première syllabe , laquelle écrite par oméga, comme elle est dans Strabon, sera réputée la même que Kau, dans le nom de Caucase. J'ai eu occasion, en composant un ouvrage particulier sur l'Inde, de faire voir que cette partie du nom de Caucase était le Koh des Persans, employé, même par quelques Indiens, pour désigner les montagnes. Un mémoire que je médite sur le Caucase et ses passages entre le Pont-Euxin et la mer Caspienne, me donnera lieu de traiter particulièrement de la dénomination de Caucase, qui est plutôt appellative que propre, et avec laquelle le nom de liaison ou Kaszon, dont il s'agit ici spécialement, paraît s'identifier, si on le fait précéder du terme Koh dont je parle. En disant Koh-Kaszon on retrouve assez clairement le Kôgajon de Strabon, supposé même qu'il n'eût pas plutôt écrit ou dû écrire, Kô-cason. Et quand on joint à cette analogie la rencontre d'une rivière, dont le nom est le même, au pied de la montagne, selon l'indication précise de Strabon, on peut se flatter de reconnaître et de fixer le lieu dont il fait mention ».

Je ne me permettrai qu'une observation sur cette découverte ingénieuse ; c'est que l'auteur part de la supposition que Strabon appelle cette montagne Kôgajon, or, Strabon l'appelle Kôgaionon. Il faut donc qu'après avoir coupé la tête de ce mot, on en coupe encore la queue, pour pouvoir ajuster le reste à ce système, ce qui paraîtra peut-être un peu violent.

« Chez les Celtes, dit Origène (Philosoph. c. XXV), les Druides font une étude particulière de la philosophie Pythagoricienne. Ils l'ont apprise de Zamolxis, esclave de Pythagore, et Thrace de naissance, lequel, après la mort de son maître, se retira chez eux et leur inspira du goût pour cette philosophie ».

« Pythagore, dit Porphyre (§§ 14-15), avait encore, auprès de lui, un autre jeune homme qu'il avait acheté dans la Thrace. On lui avait donné le nom de Zamolxis, parce qu'au moment de sa naissance on jeta sur lui une peau d'ours, que les Thraces appellent Zalmos. Pythagore, l'ayant pris en amitié, l'instruisit dans les sciences élevées, et dans tout ce qui concerne les sacrifices et le culte des dieux. Quelques-uns prétendent qu'on lui avait donné le nom de Thalès; les barbares l'adorent sous celui d'Hercule. Dionysiphane rapporte que Zamolxis, étant esclave de Pythagore, prit la fuite, lorsque son maître fut obligé de se dérober auxs factions qui agitaient son pays; qu’il tomba entre les mains des voleurs, et qu’il fut marqué au front, ce qui le força de porter un bandeau pour voiler ces stigmates. D’autres enfin prétendent que Zamolxis veut dire « homme étranger. »

Jamblique compte (§ 104) Zamolxis parmi les disciples les plus anciens et les plus distingués de Pythagore, tels que Philolaüs, Eurytus, Charondas, Zaleucus, Brysson, Archytas l’ancien, Aristée, Lysis, Empédocle, Epiménide, Molon, Leucippe, Alcmmon, Hippase, Thynaride ; et plus bas (§ 173), après avoir parlé des législateurs célèbres, sortis de l'école de Pythagore, et mis, par leurs concitoyens, au rang des dieux, tels que Charondas de Catane, Zaleucna, Timarante, Théætetus, Helicaon, Aristocrates et Phytius, il s’écrie : « Mais pourquoi s’étonner de ces hommes qui avaient été nourris et élevés au sein de la liberté, puisqu’un Thrace, un esclave, Zamolxis enfin, après avoir écouté les leçons de Pythagore son maître, et reçu de lui le don de la liberté, s’est rendu chez les Gètes, est devenu leur législateur, a réveillé le courage dans l’âme de ses compatriotes en les persuadant que l’âme est immortelle ? »

Dans l’ouvrage satyrique de l'empereur Julien, intitulé les Césars, Trajan s’exprime ainsi : « J’ai vaincu la nation des Gètes, la plus belliqueuse qui ait jamais existé, non seulement à cause de sa force corporelle, mais cause du dogme qu’a introduit chez elle son dieu Zamolxis. Persuadés qu'ils ne meurent point et qu’ils ne font que changer de demeure, les Gètes en sont plus au combat, comme des gens qui attendent avec iimpatience l’instant de leur émigration ».

La Bléterie traduit ainsi (Histoire de Jovien. Tome I) : « En sorte qu'ils affrontent la mort plus volontiers qu'ils n'entreprennent un voyage ».

Voila tout ce qu'on trouve de plus remarquable dans les écrivains grecs qui ont parlé de Zamolxis. Mnaséas, Hellanicus (cités par l'auteur du Grand Étymologique, et ensuite par Suidas) Lucien, S. Clément d'Alexandrie, Diogène Laërce, S. Cyrille d'Alexandrie, Ænéas Gazæus, Eustathe, Hésychius, etc., ne fournissent aucune particularité qui mérite d'être rapportée. Le seul Clément d'Alexandrie prétend (Strom. IV) que la députation vers Zamolxis avait lieu tous les ans. Hérodote dit, au contraire, comme nous l'avons déjà vu qu'elle avait lieu tous les cinq ans. Laurent Valla avait traduit cum navi quinque remigum ; ce qui a induit en erreur beaucoup d'écrivains, d'ailleurs instruits, mais qui, selon la remarque de Wesseling, ont plus souvent consulté la traduction latine que le texte grec. Je citerai parmi ces derniers, Jean Boëmus, dans un petit livre curieux et peu commun, intitulé : Mores, leges, et ritus omnium gentium (Lugduni, apud Jo. Toromium, 1556, in-12, liv. III, ch. V).

Pelloutier, dans son Histoire des Celtes, parle souvent de Zamolxis, mais il faut être continuellement en garde contre les assertions de cet écrivain, qui bâtit fréquemment un système sur un passage qu'il a mal entendu. Par exemple, nous avons vu dans celui d'Hérodote, que j'ai rapporté plus haut, la manière dont on envoyait un messager à Zamolxis. « Trois hommes tenaient trois piques, la pointe en haut ; d'autres prenant le messager par les pieds et par les mains, le lançaient en l'air et le faisaient retomber sur le fer des piques. S'il mourait, après s'être enferré, ils croyaient que le dieu leur était propice; s'il n'en mourait pas, ils l'accablaient de reproches et l'accusaient d'être un méchant homme. » Nous avons encore vu dans le même passage, que « les Thraces tiraient des flèches contre le ciel, quand il tonnait et qu'il éclairait, pour menacer le dieu, qui lance la Tondre, persuadés qu'il n'y avait point d'autre dieu, que celui qu'ils adoraient ». Voyons à présent comment Pelloutier défigure tout cela. « Ce qu'Hérodote, dit-il (Liv. III et VI, § 6), ajoute ici du sien, c'est que les Thraces prétendaient menacer la Divinité, en tirant contre le ciel. Ce n’était assurément pas leur intention. Au contraire, ils prétendaient rendre hommage par là au maître de l'univers ; le féliciter de ces glorieuses marques qu'il donnait de sa puissance ; lui déclarer qu'il avait en eux des enfants qui ne dégénéraient point, qui savaient tirer aussi bien que lui. On n'en doutera pas si l'on veut se ressouvenir que tous les Celtes étaient persuadés que le dieu suprême qui présidait, selon eux, à la guerre, avait une grande prédilection, non seulement pour les guerriers, ou pour les bons tireurs, mais aussi pour ceux qui périssaient dans un combat, ou de quelque autre genre de mort violente. Hérodote lui-même paraît l'insinuer, en remarquant que les Thraces envoyaient tous les cinq ans à Zamolxis un messager qu'ils chargeaient de leurs commissions pour l'autre monde. Après que le messager avait été choisi par le sort, on le jetait en l'air, et en même temps, trois hommes nommés pour cela, tiraient sur lui. S'ils le frappaient, c'était une preuve que le sacrifice était agréable à Dieu ; s'ils le manquaient, on choisissait un autre messager, et le premier était regardé comme un scélérat. Dieu, lui-même, le déclarait indigne de ce haut degré de gloire et de félicité auquel on n'arrivait que par une mort violente ».

Plus bas (Liv. IV, ch. VII, § 1), et toujours en s'appuyant du même passage d'Hérodote, il dit encore : « C’est à ce Zamolxis que les Gètes immolaient des hommes. Quand ils faisaient passer quelqu'un par les armes, ils appelaient cela dépêcher un messager à Zamolxis, parce qu'ils étaient dans l'opinion, que tous ceux qui mouraient d'une mort violente, allaient trouver Odin dans le Valhalla ».

Il y aurait encore beaucoup d'antres erreurs à relever dans ce que Pelloutier dit de Zamolxis, si cette note n'était déjà trop longue. Cependant avant de la terminer, je dois rendre compte de la différence que l'on aura sûrement remarquée dans le nom du législateur des Gètes. MM. Wesseling et Larcher, l'un éditeur, l'antre traducteur Français d'Hérodote, ont adopté la leçon qu'ils ont trouvée dans beaucoup de manuscrits de ce père de l'histoire, c'est-à-dire, Zalmoxis, et tous les deux se sont appuyés de l'étymologie de ce nom, que donne Porphyre, et que nous avons déjà rapportée ; mais quelque respect que j'aie pour l'autorité de cet deux célèbres critiques, j'ai cru devoir suivre la leçon commune, 1°. parce que l'étymologie que nous trouvons dans Porphyre n'a d'autre garant qu'Antoine Diogène, c'est-à-dire, un romancier, qui se plaît à débiter les choses les plus absurdes et les plus extravagantes ; 2°. parce que Porphyre nous donne, quelques lignes plus bas, une autre étymologie de ce nom, d'autres prétendent que le nom Zamolxis signifie homme étranger ; 3° parce que Bayer, que ces deux savants n'ont pas manqué de citer, nous apprend (Origin. Finic, pag. 283) que dans la langue des Lithuaniens, Zemeluks, on Ziameluks, signifie Dieu de la terre, deus terræ ; 4°. parce que, dans un ancien manuscrit Suédois, dont Charles Lundius, professeur de droit à l'université d'Upsal, cite deux fragments importants, p. 95 et 96, de l'ouvrage intitulé : Zamolxis, primus Getarum legistator (Upsaliæ, 1687, in-4°), ce législateur des Gètes qui ont été, comme on sait, les pères des Goths, et par conséquent des Suédois, est appelé Samolthius ; 5°. enfin, parce que tous les autres écrivains Grecs et Latins, si l’on en excepte Ænéas Gazæus et Hésychius, dont l'autorité n'est pas ici d'un grand poids, ont suivi la leçon que j'ai adoptée.

Selon Math. Prætorius, cité par Wasseling, le mot Gébélefizis dont il est question dans le passage d'Hérodote est formé de deux mots Lithuaniens, gyva et leysis, qui signifient donneur de repos.

(8) Fabricius (Bibl. Gr., vol. IX) prétend que ces mots ne signifient pas : poète de l'ancienne comédie ; mais conteur d'une fable ancienne : « Non veteris comœdiæ pœtam, qualis fuit Aristophanes, sed enarratorem dramatis sive fabulæ gestæ ante multa tempora ». Je pense que Fabricius prend ici un soin inutile pour concilier les contes du romancier avec la vérité de l'histoire. Un mensonge de plus n'a dû rien coûter à celui qui en a rempli vingt-quatre livres ; d'ailleurs il faut, ce me semble, tourmenter le texte pour en extraire le sens que lui prête Fabricius.

(9) Le même Fabricius conjecture, avec plus de vraisemblance, que ce Balagrus est l'historien qui avait écrit les Annales Macédoniennes, citées par Etienne de Byzance.

(10) Nous avons vu que le père et la mère de Dercyllis et de Mantinias avaient été jetés par leurs enfants, à l'instigation de Paapis, dans un sommeil léthargique, qui dura plusieurs années. On ne compte donc ici, pour Mnason et Aristion, que celles qui précédèrent ce sommeil de mort, et celles qui le suivirent.

Nous avons encore vu que Dercyllis et Mantinias, par un sort que jeta sur eux le même Paapis, ne vécurent, pendant longtemps, que la moitié de leur vie, si je puis n'exprimer ainsi, puisqu'ils mouraient le matin pour renaître le soir. Le romancier ne compte donc encore, pour cette époque de la vie du frère et de la sœur, que 260 nuits au lieu de 760 jours entiers.

(11) Après avoir mis sous les yeux du lecteur le sentiment de M. Meiners sur Antoine Diogène, je dois y mettre aussi la note que lui a suggérée ce passage de Photius, d'autant plus que dans l'une et dans l'autre je suis entièrement de son avis.

« J'avais écrit ce qui se trouve dans le texte, lorsque le morceau de la Bibliothèque de Photius, dans lequel il donne un extrait de l'ouvrage de Diogène, et porte un jugement sur cet ouvrage, me tomba de nouveau sous la main. J'avais déjà lu ce morceau; mais, je n'y avais point fait attention, parce que je n'avais pas encore beaucoup réfléchi sur l'auteur même. Or, selon l'extrait de Photius, ses Discours sur les choses incroyables que l’on voyait au-delà de Thulé, étaient un roman dans lequel Diogène fait voyager un certain Dinias dans les pays les moins connus des Grecs, lui fait éprouver toutes sortes d'aventures, et les lui fait raconter. Dans ces récits, il entrelaça, à ce que dit Photius, une histoire de Pythagore, qui ne contient rien de plus croyable que les autres aventures qu'il y raconte. Photius présume que cet auteur vécut peu de temps après le siècle d'Alexandre; mais toute la preuve qu'il en donne, c'est qu'il présume aussi que Lucien, Achilles Tatius, Héliodore, et d'autres inventeurs de fables, l'ont pris pour modèle. Si Diogène avait vécu si tôt, et qu'il eut été imité par autant de gens que le prétend Photius, il aurait sûrement été cité plus fréquemment. Je ne trouve donc point de raison pour changer d'opinion sur le temps où vécut cet auteur. »

 

 


 

[1] La position de l'île de Thulé est un des point» les plus obscurs du la géographie ancienne. On croit cependant assez généralement que c'est l'Islande. Virgile (Géovg., t, 30 ) et d'autres poètes l'appellent Ultima Thule, la plus lointaine, dans l'Océan septentrional; mais notre auteur en suppose beaucoup d'autres. Les critiques modernes pensent que la désignation d'ultima Thvle s'applique non pas à telle ou telle île éloignée, mais à toute île dont la découverte reculera les limites du monde connu.