Philon de Byzance

PHILON DE BYZANCE

 

TRAITÉ DE FORTIFICATION.

CHAPITRE II

Chapitre I - chapitre III

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

CHAPITRE II

 

LES APPROVISIONNEMENTS

 

 

 

 

 

 

1. — Il convient de faire des approvisionnements, tant dans les édifices publics que dans les maisons particulières; mais il ne faut garder que les choses qui ne sont point sujettes à se corrompre, telles que de l’orge, du blé en gerbes, des pois chiches, du lupin, de l’hippaque,[101] des lentilles, ainsi que du sésame et des pavots pour la confection des médicaments; on se pourvoira également de millet et de pains de dattes.[102] On devra mettre en réserve, à l’usage des citoyens aisés, des viandes qui seront conservées, les unes en suspension dans de la lie de vin, les autres dans du sel; ces viandes ne sont point d’un médiocre secours pour nourrir et fortifier, et elles peuvent suffire seules, n’ayant besoin ni de préparation ni d’assaisonnement; on gardera encore des vesces, torréfiées si cela se peut, sinon telles qu’on les aura, ou bien imbibées de marc d’huile; car, préparées de cette façon, elles ne sont point exposées à se gâter. On salera et on fera sécher à l’ombre des foies d’animaux autres que le porc, en y laissant le fiel; ils demeurent ainsi à l’abri de la corruption,[103] il faut réunir toutes ces provisions en les réclamant des cuisiniers et dès simples particuliers au moyen d’une réquisition.

2. — Il faut nettoyer avec beaucoup de soin les orges et les blés; puis, après les avoir fait dessécher le mieux possible, on les enfouira dans des silos (σειρούς) creusés à ciel ouvert et très profonds, dont on revêtira le fond, sur quatre doigts d’épaisseur, ainsi que les parois, d’un enduit composé d’argile battue avec de la paille hachée et du marc d’huile: on versera dans l’argile un mélange de deux parties de poussière (de four à chaux?) et d’une partie de sable.[104] Il est bon d’amasser du grain dans ces silos, car il s’y dessèche admirablement. Le froment une fois introduit, on enfoncera, à la partie centrale et jusqu’au col, un vase de terre rempli du plus fort vinaigre[105] qu’on pourra se procurer, puis on mettra sur le tout une couverture en forme de cône, faite de briques, dont on revêtira la surface extérieure avec l’enduit que nous venons d’indiquer : de cette façon, le grain se conserve sans se corrompre.

3. — On peut également le placer dans les étages supérieurs des maisons, on ayant soin d’enduire avec du marc d’huile[106] les murs et le plancher. Il doit y avoir des fenêtres et des soupiraux nombreux tournés du côté du vent du nord et munis de grillages, afin d’empêcher les oiseaux et autres bêtes d’y entrer.[107] En y mettant de plus du vinaigre, comme nous l’avons dit plus haut, le blé ne se corrompt point.

Reconstitution d'après PHILON d'une travée de grenier (plan et élévation).

4. — Si les bois sont rares, on construira les greniers de la manière suivante:[108] Lorsque nous aurons posé les fondations de l’édifice à élever, nous prendrons la moitié de sa largeur et nous ferons un demi-cercle de même hauteur. Pour cela, nous construirons des arcs de briques (ἄψιδας πλινθίνας)distants de trois coudées (1,40 m) de mur à mur. Les fondations doivent avoir une largeur de deux coudées (0,93 m), et les briques reposeront sur ces fondations; il faut donner aux arcs un pied (0,31 m) de largeur et deux pieds (0,63 m) d’épaisseur. On pourrait également faire ces arcs en pierres qui seraient polies, soit avec un instrument, soit par frottement réciproque, et aussi grand que possible, afin de résister à la charge. Lorsque les arcs seront construits, en élèvera sur les fondements des murs verticaux, et on remplira de briques l’espace entre le mur et les arcs, de façon à avoir des constructions tétragonales de même hauteur que les arcs. On jettera ensuite, d’un arc à l’autre, de très fortes solives (στρωτῆρας) ,[109] et par-dessus un lit de roseaux que l’on enduira de mortier (καὶ ἄνωθεν κάλαμον καὶ καταλεῖψαι) le mieux possible.[110]

Arcs en briques employés pour la construction de greniers en Italie.

 

 Là dessus vous construirez, si vous voulez, un grenier; puis, avec des poutres et des solives (δοκοὺς διαθεὶς καὶ στρωτῆρας ἐπιβαλών) , vous jetterez un toit que vous couvrirez avec des tuiles ou avec un enduit; toutefois, si vous vouliez borner là votre construction, vous pourriez jeter des espèces de voûtes [entre les arcs en briques et vous n’auriez pas besoin des solives. Pour que vos arches aient la proportion que vous désirez, tout en conservant le même rapport entre leur ouverture et leur flèche, il faudra d’abord élever les fondements à la hauteur convenable, puis donner à l’arc en brique, au-dessus de ces fondements, la hauteur que nous avons indiquée.[111]

5. — Si l’on ne veut pas faire le linteau de la porte d’une seule pierre, ou même de bois par crainte d’incendie, après avoir donné à l’ouverture les dimensions que l’on désire, on comblera cette ouverture avec des briques;[112] on posera ensuite, au-dessus de ces briques, des pierres de taille inclinées les unes à droite les autres à gauche, et l’on fermera le milieu au moyen d’une clef en forme de coin, étroite d’en bas et large d’en haut. Cela fait, on pourra enlever les briques qui sont dans le passage et le linteau ne bougera pas.[113] Ce procédé est utile même dans la construction des tours, quand on veut y percer des poternes sans se servir de voûtes.

Construction des plates-bandes, restituée d’après Philon.

6. — Telle est donc la manière dont il faut construire les greniers; du reste, en fait de blé, celui-là est moins sujet à se corrompre qui a été semé dans une terre convenablement labourée, qui a été moissonné bien sec et qui est resté le plus longtemps possible en gerbes.[114]

7. — Il y a encore un autre moyen de conserver le blé, c’est de garnir avec des brassées de paille disposées en cercle le pourtour intérieur de silos,[115] puis de recouvrir cette paille d’un lit argileux, et enfin de placer les grains dans la fosse en ayant soin d’y mélanger du foie de cerf desséché et coupé en petits morceaux.[116]

8. — On préservera aussi très bien de la corruption le blé, l’orge et les légumes en broyant les fruits de la trigonelle[117] entre deux pierres et en mettant dans le silo les fruits susdits, ou bien de la conyze,[118] ou de l’origan[119] à l’état naturel.

9. — Si, de plus, au moyen d’un canal extérieur, tu empêches l’eau de pénétrer dans les magasins, tu ne permettras pas aux grains de se corrompre.

10. — Il faut que ces sortes de constructions soient munies de trémies au milieu de leur couverture, afin que l’on puisse y introduire à volonté le grain et le faire couler sans peine à la partie inférieure.

11. — Il convient d’approvisionner de blé la ville au moins pour un an; on doit l’acheter à l’époque où il est au plus bas prix. L’année écoulée, il faut livrer à la consommation l’ancien et en acheter du nouveau par précaution contre le cas de siège ou de disette.

12. — Il sera bon aussi de conserver dans les maisons particulières des scilles et des oignons, et d’en cultiver soit dans la ville, soit autour des remparts. On pourra alors composer la pâte d’Epiménide,[120] grâce à laquelle on épargnerait aux citoyens les souffrances de la faim, s’il survenait une disette.

13. — Voici la recette de cette pâte: on fait cuire la scille,[121] on la hache très menu, on la mélange avec un cinquième de sésame et environ un quinzième de pavot; on broie le tout ensemble en y ajoutant du miel aussi bon que possible, et on en fait des boulettes de la grosseur des plus fortes olives. En prenant une de ces boulettes vers la 2e heure (8 h. du matin) et une autre vers la 10e (4 h. du soir), on ne saurait souffrir de la faim.

14. — Il y a encore une autre composition analogue à celle-là qui doit être préparée d la manière suivante: On prend un demi-setier (4,325 l) de sésame attique, un demi-conge (1,636 l) de miel, un cotyle (0,270 l) d’huile, une chenice (1,079 l) d’amandes douces épluchées; on torréfie le sésame, on pile et on tamise les amandes; on épluche ensuite des scilles en rejetant les racines et les feuilles, on les coupe en petits morceaux que l’on met dans un mortier où on les broie de façon à les réduire en pâte; après cela, on pile de nouveau les scilles avec le miel, puis avec l’huile,[122] et on verse le mélange dans une marmite que l’on place sur des charbons pour le faire cuire. Quand ce mélange commencera à bouillir, on y jettera peu à peu le sésame et les amandes jusqu’à ce que le tout soit employé. Lorsque la préparation se sera suffisamment épaissie, on l’enlèvera du feu et on la divisera en petites boulettes. En en mangeant une le matin et une le soir, on sera bien suffisamment nourri. Cette préparation est excellente pour les expéditions, car elle est agréable au goût, nourrissante et n’altère pas.

15. — On compose encore un aliment avec de la mauve et le fruit de la scille mélangés par parties égales, broyés dans un mortier et pétris avec du miel cuit. On en fait des boulettes semblables à celles dont nous avons parlé plus haut et qui peuvent suffire pour la nourriture dans une place assiégée.

16. — On mange aussi la scille en la cuisant et en l’accommodant comme un oignon, c’est-à-dire en la plaçant sous la cendre et en la pelant quand elle est convenablement rôtie.

17. — On peut encore la couper et la mélanger avec quantité égale de farine d’ers....[123], puis la boire dans trois cotyles (0,710 l) de vin trempé.

18. — Quand on ajoute au vin ainsi préparé du miel, de façon à obtenir la consistance de la purée de Sicyone, on a un aliment suffisamment nutritif et dont la propriété diurétique n’est point sans une heureuse influence sur la santé.

19. — On en fait encore du pain en la soumettant à une triple cuisson et en la mêlant à du spaste (μιχθείσης τρίτω μέρει σπαστοῦ ?) dans la proportion d’un tiers. Préparée de cette manière, elle fournit une nourriture solide.[124]

20. — De même, si l’on coupe des figues en morceaux, qu’on les mélange avec des grains de raisin sec et qu’on tasse le tout dans de petits cabas en enduisant de fenouil[125] la partie supérieure, on aura une excellente nourriture pour le cas d’un siège; cela est bien connu.

21. — Il y a une nourriture qui ne le cède à aucune autre: ce sont des viandes très cuites et hachées, puis mélangées avec du beurre et du miel.

22. — Il en est de même du suc de toutes ces viandes conservé dans des vases bien propres.

23. — Il est également utile de faire cuire doucement de l’aegilops,[126] dans une marmite neuve, sur la cendre, et de le recouvrir d’huile. On obtient ainsi non seulement un aliment, mais encore un remède contre la dysenterie.

24. — Il importe aussi d’établir des jardins soit dans les maisons particulières, soit dans les citadelles, soit dans les lieux consacrés aux dieux.[127] La santé publique s’en trouvera bien, et de plus ces jardins seront très utiles en cas de siège, car on y plantera des figues, des palmiers; si le terrain le permet, on y sèmera des citrouilles soit de l’Inde, soit de la Grèce, des gouets,[128] des choux, des laitues et d’autres espèces de plantes potagères, ce qui ne sera pas d’une médiocre ressource.

25. — Il faudra, pour les opérations du siège, faire des approvisionnements d’armes, de fer, d’airain, de pierres à bâtir, de projectiles (βέλη), de pétroboles (πετροβόλους) et de catapultes oxybèles (ὀξυβελεῖς καταπέλτας); on se procurera des mécaniciens et des servants pour l’artillerie (μηχανοποιοὺς καὶ ἄνδρας οἱ χρήσιμοι τοῖς ὀργάνοις ἔσονται); on rassemblera aussi de grandes corbeilles (κοφίνους), des houes à deux pointes (δίκελλας), des seaux (άμας),[129] des chars (ἁμάξας), des haches (ἀξίνας) et des outils de mineurs (σκαφέα). Toutes ces choses doivent être essayées en temps convenable, de peur que, le jour où l’on en aura besoin, elles ne se brisent et ne deviennent inutiles.[130]

26. — On aura encore dans la ville des gabions (φορμοὺς) aussi nombreux et aussi solides que possible, afin que si quelque partie du mur d’enceinte venait à être endommagée, les défenseurs pussent se mettre à l’abri en les remplissant de terre.

27. — Outre cela, il faut emmagasiner des peaux, de la résine, du plomb, du soufre, des cordes (σχοινία) de toute grosseur, des pieux de palissade (χάρακα), de la mousse, de l’étoupe, du vin, de l’huile, du vinaigre, des semences,[131] de très grandes provisions de bois de chauffage et de bois pour la marine, les uns en grume, les autres équarris, des rames, des rondins de palmier (φοινικίνας σανίδας)[132] et des torches (δᾶδας).

28. — Il faut aussi se procurer des médicaments d’Arabie,[133] de ces coquilles qu’on trouve dans un étang situé à cinquante stades environ de la mer, et du gui.[134]

29. — Il est nécessaire également d’avoir des salamandres, du venin de vipère et d’aspic, du naphte de Babylone et de l’huile de poisson pour empoisonner les ennemis dans leurs excursions. En employant ces substances, quand le danger se présentera, soit pour y tremper nos flèches, soit pour incendier les engins de l’ennemi, nous rendrons les blessures mortelles et nous porterons la terreur parmi ceux qui s’approcheront de nos murs.[135]

30. — Si nos eaux venaient à se corrompre, il faudrait prendre de l’orge torréfié (κρίθινον θερμὸν), ou mettre la valeur d’un cyathe dans deux conges (environ deux cuillerées par litre) d’excellent vinaigre et réduire le tout par l’ébullition; grâce à cette préparation, les eaux ne tarderont pas à redevenir potables.

34. — On doit avoir des vases à orifices, soit en airain, soit en terre, de la contenance d’au moins quatre métrètes (150 l); on inscrira sur ces vases et en certaines parties les mots: froment nouveau, bois, armes, soldats, enfin tout ce dont on peut avoir besoin, soit qu’on ait négligé de le préparer avant le siège, soit qu’on n’en ait déjà plus. Ces choses étant écrites, on remplira le vase d’eau; puis, la nuit étant arrivée, on fera, à l’aide de torches enflammées, les signaux convenables à l’armée, à la ville, ou au poste avec lequel on veut communiquer. Il faut en outre que, dans les lieux susdits, il y ait des vases égaux à ceux dont vous vous servez, avec des ouvertures égales et ayant les mêmes inscriptions dans les mêmes parties, afin que l’on puisse reconnaître ce dont les assiégés ont besoin, grâce aux signes dont on est convenu.[136]

 

[101] Ἱππάκην; ce mot désigne une sorte de fromage fait avec du lait de jument et une plante dont les lexiques ne spécifient pas la nature.

[102] Τοὺς φοινικιοὺς ἄρτους : des pains de dattes ou des pains phéniciens?

[103] « Le foie se garde très longtemps, et les sièges nous ont fourni des exemples de foies conservés sept ans. » (Pline, Hist. nat., xi, 76.)

[104] Καὶ τούτων τό τε ἔδαφος ἀλείψαντας ὅσον ἐπὶ τέσσαρας δακτύλους τὸ βάθος καὶ κύκλῳ περιαλείψαντας πηλῷ διειργασμένῳ, καὶ ἠχυρωμένῳ ἀμόργῳ· ἔστω δὲ τὰ μὲν δύο μέρη χωοὺς, τὰ δὲ ἓν ἄμμος, εἰς τὸν πηλὸν ἐμβεβλημένα.

Tous les constructeurs connaissent la dureté extrême qu’acquiert, au bout d’un certain temps un sol argileux sur lequel on a fabriqué du mortier.

[105] « Il y en a qui emploient de grands vases de terre contenant encore du vinaigre; ils les frottent avec de la cendre, et, après les avoir placés sur un lit de la même matière (urceis cineri substratis), ils rangent par dessus les légumineuses en monceaux, pensent que de cette manière il ne s’y engendrera aucun insecte nuisible (non nasci maleficia). » (Pline, Hist. nat., xviii, 73.)

[106] « Les aires à battre le grain doivent être pétries avec du marc d’huile d’olive (amurca), pour éloigner les fourmis et empêcher les crevasses. Le crépissage, le plafond et le pavé des greniers à blé doivent en être enduits, ainsi que les vestiaires, afin d’être préservés des teredo et autres insectes nuisibles. » (Pline, Hist. nat., xv, 8.)

[107] « Les ouvertures des chambres à blé doivent être à l’exposition du nord, parce que cette exposition leur procure la température la plus sèche et la plus froide. Ces ouvertures doivent d’ailleurs être bouché avec des châssis grillés, à mailles très fines, pour que les oiseaux ni les souris ne puissent pénétrer par là dans l’intérieur des chambres. » (De Perthuis, Architecture rurale.)

[108] La figure ci-dessous explique comment je comprends le texte. Les curieux, qui voudraient juger à quoi on peut arriver, en fait d’interprétation, quand on n’a pour comprendre un auteur technique que les ressources de la philologie, feront bien de lire ce paragraphe dans la traduction latine éditée par Thévenot, et dans la traduction française de M. Vincent, publiée dans les Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1870.

Restitution, d’après Philon, d’une travée de grenier (plan et élévation).

[109] M. le comte de Lasteyrie, dans son Recueil de constructions rurales, indique ces arches en briques comme étaient d’un usage fréquent en Italie; il s’étonne que nos architectes, qui traversent si souvent les Alpes pour se perfectionner dans leur art, n’aient pas introduit en France ce mode de construction, qui peut apporter une grande économie lorsqu’il s’agit d’élever de vastes bâtiments, comme des granges, des écuries et des celliers. — Voici comment on les emploie ordinairement aujourd’hui. En faisant les quatre murs de la pièce que l’on veut construire et en leur donnant la hauteur désirée, on élève, de distance en distance, ces arches sur les quelles on pose 3 soliveaux qui supportent avec les murs latéraux toute la toiture. L’une des solives repose sur des billots établis au sommet des arches les deux autres sont à égale distance entre cette solive du faîte et les murs; on éloigne les arches de cinq à six mètres suivant la longueur des pièces de bois dont on dispose. Ce système, outre l’économie de bois qu’il apporte, permet de donner une moins grande épaisseur aux murs, et procure la facilité, si l’on élève plusieurs étages, d’avoir dans ceux-ci des murs de cloisons sans en établir au rez-de-chaussée.

Arcs en briques employés pour la construction des greniers en Italie.

[110] Il me semble, d’après le texte, qu’il n’y avait point de planchers au-dessus des solives jetées entre les arcs, mais bien une aire faite de roseaux enduits de mortier. Bien que la charge des grains soit considérable, il n’y a là rien d’impossible, pourvu que les solives soient assez rapprochées. Philon ajoute que si les greniers s’établissent au rez-de-chaussée et non à l’étage, il n’y aura pas besoin de solives, et qu’on pourra se contenter de construire, entre les arches, des voûtes dont il ne spécifie pas la nature. Il est à croire que ces voûtes étaient semblables à celles que décrit Vitruve, pour un mode de construction analogue, où des arcs en planches remplacent les arcs en briques. « On prépare, dit-il (liv. VIII, ch. iii), une série d’arceaux au moyen de planches posées de champ et découpées suivant la courbure qu’on veut donner à la voûte. On place ces arceaux verticalement et on les relie entre eux ainsi qu’au plancher et au toit par des liernes de bois dur peu susceptibles de se corrompre par les vers ou l’humilité, ni de se tourmenter. On y attache, avec des cordes de sparte d’Espagne, des roseaux grecs écrasés en leur faisant suivre la courbure de la voûte. Par-dessus, on met une couche de mortier de chaux et de sable, afin que les gouttes d’eau qui viendraient à tomber des planchers ou des toits puissent être retenues. Si le roseau grec manquait, il faudrait avoir recours aux roseaux minces des marais; on en ferait des hottes qui auraient une longueur convenable avec une grosseur bien égale; on les attacherait avec les mêmes cordes de sparte, de manière qu’entre chaque nœud il n’y eût pas plus de deux pieds de distance; elles seraient attachées aux cintres, comme nous l’avons dit plus haut, et fixées avec des chevilles de bois; le reste se ferait comme il a été dit ci-dessus.

Dans les constructions soignées, on crépissait ensuite l’intérieur de la voûte avec du plâtre, on l’aplanissait avec du mortier de chaux et de sable, enfin on la polissait avec une composition de chaux et de craie ou de marbre. De Bioul, commentateur de Vitruve, pense que le roseau grec dont parle cet auteur est la grosse canne qui croit abondamment en Grèce et en Italie, et surtout aux environs de Rome. On se sert, du reste, communément encore de nos jours, en Italie, de ces roseaux écrasés en guise de liteaux.

Voir, dans les Oisivetés de Vauban (Maximes pour ceux qui font bâtir, § 101), la description des voûtes sur solives employées dans le pays de Liège.

[111] On voit que Philon désigne sous le nom de fondements à la fois les fondations et les pieds-droits des voûtes.

[112] Lisez πλίνθους pour πύργους. Philon prescrit, quelques lignes plus bas, d'enlever, après l’achèvement du travail, ces briques qui tenaient lieu d’échafaudage pour construire la plate-bande. »

[113] Cette mention de la plate-bande est digne de remarque. Je crois que les édifices grecs présentent peu d’exemples de ces sortes de voûtes ; toutefois on en voit encore à Rome dans certains monuments, dus, selon toute probabilité, à des architectes suivant les traditions de l’école grecque; par exemple, dans le tombeau de Cecilia Metella.

[114] On ne doit jamais perdre de vue que plus le blé sera resté longtemps au gerbier et mieux il se conservera dans le grenier. » (Rozier. Maison rustique.)

[115] C’est de cette manière que furent construits par M. Ternaux, en 1819, les premiers silos que l’on ait vus en France.

[116] « L’odeur de la corne de cerf et plus encore celle du styrax met les serpents en fuite. » (Pline, H. N., X, xc.)— « Personne n’ignore que les serpents ont pour ennemis les cerfs qui les tirent de leur trou pour les dévorer. Inanimés et isolés, les membres du cerf ne sont pas moins redoutables pour ces reptiles. La fumée de la corne brûlée les met en fuite. Au contraire, que l’on brûle les os supérieurs du gosier de l’animal, les serpents se rassemblent. Etendu sur des peaux de cerf, on peut dormir sans craindre l’approche de ces reptiles. On fait fuir les serpents en portant sur soi une dent de cerf, ou en se frottant de moelle ou de graisse soit de cerf, soit de veau. » (Pline, H. N., XXVIII, xlii.) — Pline donne une autre recette de même valeur pour éloigner des greniers les animaux malfaisants : c’est de suspendre une grenouille rubète par les pattes de derrière.

[117] Trigonelle, fenugrec ou senègre, de la famille des Légumineuses. Cette plante produit des graines mucilagineuses qui donnent par l’écrasement une huile d’odeur pénétrante utilisée en parfumerie. On a cru jusqu’à ces derniers temps que certaines odeurs mettaient en fuite le charançon, ce grand ennemi des grains. — Je rappellerai, à ce propos, un usage assez singulier que firent de la trigonelle les Juifs au siège de Jotapata: suivant Josèphe, ils en faisaient bouillir les graines et les jetaient sur les ponts dont les Romains se servaient pour escalader les murailles, afin de les rendre glissants et de provoquer les chutes chez les assaillants.

[118] Conyze, plante de la famille des flosculeuses. On emploie la conyze odorante dans l’Inde en guise de tabac; la conyze vulgaire s’appelle, en France, herbe aux moucherons, herbe aux mouches, herbe aux punaises, herbe aux puces, à cause de la propriété qu’on lui attribue de chasser ces insectes. Le pyrèthre du Caucase, ou insecticide Vicat, est une variété de conyze.

[119] Origan ou marjolaine, plante parfumée de la famille des labiées. Les habitants du Nord s’en servent en guise de tabac. Pline lui attribue (H. N., x, 70) la propriété de tuer les fourmis.

[120] Lisez ἐπιμενιδείου pour ἐπιμοδίου. Cette recette et la suivante se lisent, avec quelques variantes, en marge du traité d’Héron le jeune dans le manuscrit d’Oxford (fol. 134 v° 135 r°). On les trouve en latin dans la traduction de Barocius (note f° 3, v°).

[121]  Ici, d'après le manuscrit d'Oxford, il faudrait intercaler σκίλλης καί πλυνθείσης ὕδατι καὶ ξηρανθείσης. En termes de cuisine, cela se traduit par; on fait blanchir la scille dans de l’eau, on l’égoutte, on la hache, etc. Les proportions indiquées par Philon sont celles-ci : scille, 1 kg; sésame, 200 g; pavot, 68 g.

[122] Le manuscrit d’Oxford ajoute ἴσον, par parties égales.

[123] Je suppose ici une lacune.

[124] M. Vincent traduit ainsi ce paragraphe: « On en fait une espèce de pain en la faisant bouillir par trois fois jusqu’à ce qu’elle soit bien fondue et réduite d’un tiers. Le pain ainsi obtenu est d’une nature fortifiante. » Dans la traduction de M. Vincent, le mot elle se rapporte non à la scille, mais la préparation dont il a été question dans le paragraphe précédent.

[125] Μαράθος, anetum, fenouil, plante de la famille des ombellifères dont la racine est apéritive. On retire des graines une huile essentielle qui jouissait autrefois d’un grand renom dans la pharmacie et surtout parmi les gladiateurs Ceux-ci s’imaginaient non seulement qu’elle assouplissait leurs membres, mais encore qu’elle les fortifiait.

[126] On désignait sous le nom d’aegilops (αἰγίλωψ) non seulement l’avoine, mais encore une sorte de plante bulbeuse dont on ignore aujourd’hui l’espèce ; Pline en fait mention (liv. XIX, ch. xxx), et d’après lui elle était employée, mélangée avec du vin et de l’eau de pluie, comme remède contre la dysenterie (XX, xi.).

[127] Τεμένη τῶν θέων, enceinte consacrée aux dieux (de τέμνω, séparer). Les anciens y plaçaient quelquefois des autels.

Homère dit (Odyssée, chant viii, vers 362): La riante Vénus prend le chemin de Chypre et se rend à Paphos où elle a un témène et un autel sur lequel les parfums exhalent une fumée odorante. Ces biens étaient affermés pour subvenir aux frais des sacrifices et à d’autres dépenses, à moins que quelque malédiction n’empêchât de les cultiver. (Boekh; Econ. pol. des Ath., livre III, ch. ii. Voir encore Thucydide, IV, xc; Lycurgue contre Léocrate, § 16.) Chez les Romains, ces enceintes s’appelaient sacella: « Sacella dicuntur loca diis sacrata sine tecto. (Festus.)

Les cromlechs des Celtes sont des enceintes analogues.

[128] Ἄρον. arum, gouet. plante de la famille des aroïdes. Plusieurs espèces sont vénéneuses, d’autres sont comestibles. Dans l’arum colocasia qui se cultive en Egypte, on mange les feuilles en friture, et l’on retire de la racine une fécule nourrissante et douce. L’arum maculatum, vulgairement appelé pied-de-veau en France, donne également, avec sa racine, une fécule nutritive très usitée en temps de disette, avec laquelle on peut faire de bons potages, des bouillies, du pain, de la colle, de l’amidon.

[129] Je suppose qu’il faut lire ici ἄμας, seau, au lieu de ἄμμας, amarres, car Philon, dans le § 27, parle des cordes de toute grosseur.

[130] Ce précepte devrait être écrit en lettres d’or sur la porte de nos arsenaux et magasins publics.

[131] Σπέρματα me paraît douteux (Egger).

[132] Voir, pour l’emploi de ces rondins, Philon, iii, 3.

[133] Pline (liv. XXIV, ch. xii) indique l’épine d’Arabie comme remède contre les hémorragies. L’auteur des Cestes recommande, pour arrêter le sang des plaies, d’appliquer sur celles-ci une poudre obtenue en faisant sécher au soleil le sang humain (ch. xlii).

[134] Pline (Hist. nat., XXIV. iv) indique le gui comme remède.

[135] Cf. Philon, iv, 72. L’auteur des Cestes donne différents procédés pour empoisonner l’ennemi :

1° Par l’eau (ch. ii, V. M., p. 290, col. 2), au moyen de suc de tithymale, ou d’une certaine huile de poisson;

2° Par le vin (ch. iii, id.), avec du buis, de la lessive et du salpêtre;

3° Par l’air (ch. iv. id.), en faisant pourrir dans des vases fermés et exposés au soleil certains serpents très venimeux, puis en ouvrant ces vases quand le vent souffle du côté de l’ennemi

4° Par le pain (ch. ii, id.), en frottant celui-ci au moyen d’un onguent composé de la manière suivante : On prend un crapaud et une vipère, on les enferme dans un vase jusqu’à ce qu’ils tombent en pourriture et on pile le résidu.

Je ne sais s’il y avait d’antres recettes; mais je suis tenté de croire qu’elles étaient toutes de la même force, à en juger par celle que Diodore de Sicile nous a laissée pour le philtre donné par Nessus à Déjanire, philtre qui se composait d’huile mélangée avec le sperme et le sang du centaure (iv, 36). — Cependant les anciens regardaient ces prescriptions comme très sérieuses. « Vous aurez grand soin, dit l’empereur Léon (Inst, xvii), que les soldats ne touchent point au pain et au vin qu’ils trouveront avant qu’on en ait fait l’essai au moyen de captifs à qui on les donnera. Vous agirez de même à l’égard des eaux de puits et de citerne qui souvent sont empoisonnées. Cela peut encore arriver pour les grains, ce qui fait périr beaucoup de chevaux quand on n’y prend pas garde. »

[136] Cette description est trop écourtée pour être intelligible; mais Polybe a reproduit, dans son livre X, une explication beaucoup plus claire de ce procédé, empruntée à un ouvrage aujourd’hui perdu d’Ænéas. « Ceux, dit-il, qui veulent s’informer mutuellement par des fanaux de ce qui se passe, n’ont qu’à prendre des vases de terre, également larges et profonds, et munis d’un orifice; il suffit qu’ils aient trois coudées (1,50 m) de hauteur et une (0,50 m) de largeur. Qu’ils prennent ensuite des morceaux de liège un peu plus petits que la section intérieure des vases, et qu’ils fichent au milieu de ce liège une tige sur laquelle, de trois doigts (0,06 m) en trois doigts, ils fixeront une enveloppe bien apparente, et qu’ils écrivent sur chacune de ces enveloppes les choses qui arrivent le plus ordinairement pendant une guerre. Sur l’une, par exemple, il est arrivé de la cavalerie; sur l’autre, il est arrivé des hoplites; sur une troisième, des psiles; sur la suivante, de l’infanterie et de la cavalerie; sur une autre encore, des vaisseaux; ensuite des vivres; et, de même, sur toutes les autres enveloppes, tous les autres événements qu’ils pourront prévoir à juste titre devoir arriver, eu égard à la guerre qu’on aura à soutenir. Que, de part et d’autre, on adapte à ces vases des tuyaux exactement pareils, en sorte qu’il ne puisse s’écouler ni plus ni moins d’eau par les uns que par les autres; qu’on remplisse les vases d’eau, qu’on pose dessus les morceaux de liège avec leurs bâtons et qu’ensuite on ouvre les tuyaux. Il est clair que les vases étant égaux, le liège descendra et les tiges s’enfonceront dans les vases à mesure que ceux-ci se videront. Quand on aura vérifié ce fait de concert, on portera les vases aux endroits où l’on doit donner et observer les signaux et on y mettra le liège. Quand il arrivera quelqu’une des choses qui ont été écrites sur les bâtons, on lèvera un fanal et on le tiendra élevé jusqu’à ce que, de l’autre côté, on en lève un autre; on baissera alors le fanal et on ouvrira les tuyaux; quand l’enveloppe où la chose dont on veut avertir est écrite, sera descendue au niveau du bord des vases, on lèvera le flambeau, et, de l’autre côté sur-le-champ, on bouchera le tuyau et on regardera ce qui est écrit sur la partie de la tige qui est à la hauteur du bord du vase; alors, si tout a été exécuté de part et d’autre avec la même promptitude, de part et d’autre on lira la même chose.

On remarquera que Philon ne fait pas mention de la tige fixée verticalement sur le liège et qui porte les inscriptions; mais il dit que ces inscriptions doivent être faites sur le vase. Il est probable que le liège portait alors une petite lampe qui permettait de voir exactement l’instant où le niveau de l’eau venait affleurer, par exemple, le bas des lettres tracées sur la paroi intérieure, et c’est alors qu’on donnait le signal.

Ou peut consulter, au sujet des signaux par le feu, le chap. viii de l’Anonyme de Byzance et le chap. lxxvi des Cestes.