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table des matières de PAUSANIAS

 

 

 

PAUSANIAS

 

LIVRE X.

 

PHOCIDE

 

Oeuvre numérisée et mise en page en collaboration avec Marc Szwajcer

 

 

texte grec

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livre 9 : Béotie

 

 

DESCRIPTION DE LA GRÈCE, PAR PAUSANIAS.

LIVRE X. PHOCIDE.

CHAPITRE I.

La Phocide. Entreprises des Phocéens contre les Thessaliens et les Mèdes.

[1] TOUTE cette portion de la Phocide oh se trouvent Tithorée et Delphes, a évidemment pris ce nom dans des temps très reculés, de Phocus, Corinthien, fils d'Ornytion. Peu d'années après, des Eginètes étant venus sur leurs vaisseaux dans cette contrée avec Phocus, fils d'Ornyque , le nom de Phocide s'étendit à tout le pays qui le porte maintenant. [2] La Phocide touche à la mer de deux côtés; savoir, vis-à-vis le Péloponnèse, par Cirrha, le port de Delphes; et vers la Béotie, par la ville d'Anticyre; du côté du golfe Lamiaque , elle est séparée de la mer par les Locriens Hypocnémidiens , qui avoisinent la Phocide de ce côté-là ; les Scarphéens, en effet , sont au-delà d'Élatée ; au-dessus d'Hyampolis et d'Abas est la ville d'Oponte, et Cynos qui est le port des Opontiens. [3] Voici ce que les Phocéens ont fait de plus mémorable en commun; ils se sont trouvés avec les autres Grecs au siège de Troie, et ils firent la guerre aux Thessaliens même avant l'expédition des Mèdes contre les Grecs; ils se distinguèrent alors par plusieurs actions dignes de mémoire. [4] Une fois entre autres, sachant que les Thessaliens devaient faire une irruption dans leur pays, du côté d'Hyampolis, ils y enterrèrent des pots de terre cuite, et, les ayant recouverts, ils attendirent la cavalerie des Thessaliens ; ceux-ci n'ayant aucune connaissance du stratagème des Phocéens, poussèrent, sans le savoir, leurs chevaux sur le terrain où étaient ces pots; ces chevaux y enfonçant les jambes, se les cassaient et renversaient leurs cavaliers, qui étaient tués par les Phocéens. La haine des Thessaliens ayant été encore augmentée par cet échec, ils se rassemblèrent de toutes leurs villes et se mirent en marche pour aller attaquer les Phocéens ; ceux-ci consternés à la vue de tout l'appareil militaire des Thessaliens, et surtout de la force de leur cavalerie, qui n'était pas moins bien exercée au combat que nombreuse, envoyèrent à Delphes consulter l'oracle sur les moyens d'échapper à un danger aussi imminent, et ils en reçurent la réponse suivante : Je vais mettre aux prises un mortel et un dieu; je leur donnerai la victoire à tous deux, mais celle du mortel sera plus complète. [5] Lorsque les Phocéens eurent appris cela, ils envoyèrent au commencement de la nuit trois cents hommes choisis, et Gélon à leur tête, avec ordre de bien examiner la disposition des ennemis, en se cachant le plus qu'il leur serait possible, de revenir ensuite à l'armée par les chemins les moins connus, et de ne pas combattre, s'ils n'y étaient point forcés. Ces trois cents hommes, ainsi que Gélon leur chef, périrent tous, soit écrasés parles chevaux, soit massacrés par les Thessaliens; [6] et ce malheur répandit une telle consternation dans le camp des Phocéens, qu'ils rassemblèrent leurs femmes, leurs enfants, leurs meubles, leurs bestiaux, ce qu'ils avaient en vêtements, en or, en argent, et enfin les statues de leurs dieux ; ils réunirent tout ensemble, et ayant élevé un très grand bûcher, ils laissèrent auprès trente hommes, [7] en leur ordonnant, s'il arrivait qu'ils fussent vaincus, d'égorger les femmes, les enfants et tous les bestiaux, de les placer avec toutes leurs richesses sur le bûcher, d'y mettre le feu, et de se faire ensuite mourir eux-mêmes, soit en se tuant les uns les autres, soit en se précipitant sur la cavalerie Thessalienne. C'est pour cela que les Grecs donnent le nom de désespoir Phocéen à toutes les résolutions extrêmes. Toutes ces dispositions faites, les Phocéens marchèrent sur-le-champ contre les Thessaliens ; [8]  ils avaient pour généraux Rhœus d'Ambrysse, qui commandait l'infanterie, et Daïphante d'Hyampolis, qui était à la tête de la cavalerie ; mais celui qui tenait le premier rang parmi les chefs, et sur lequel les Phocéens fondaient toutes leurs espérances de salut, était Tellias, devin de l'Elide. [9] Lorsqu'on en fut venu aux mains, les Phocéens, se représentant ce qu'ils avaient ordonné à l'égard de leurs femmes et de leurs enfants, sentirent que la conservation de ce qu'ils avoient de plus cher л'était rien moins qu'assurée; en conséquence, ils se portèrent à tout ce que le courage a de plus téméraire, et assistés en outre de la faveur des dieux, ils remportèrent la victoire la plus signalée qu'on eût gagnée jusqu'alors.  [10] Le sens de l'oracle qu'Apollon avait rendu aux Phocéens, devint pour lors évident à tous les Grecs ; car le mot d'ordre qui avait été donné en même temps aux deux armées par leurs généraux, était, du côté des Thessaliens, le nom de Minerve Itonienne, et, du côté des Phocéens, celui de Phocus, l'auteur de leur nom. Ces derniers, en mémoire de ce combat, envoyèrent à Delphes, comme offrande, les statues d'Apollon, de Tellias, leur devin, et de tous les autres généraux qui les avaient commandés en cette occasion, ainsi que celles des héros de leur pays. Ces statues sont d'Aristomédon d'Argos. [11] Les Phocéens inventèrent dans la suite un autre stratagème non moins ingénieux que le premier. Les deux armées étant campées en présence l'une de l'autre, vers l'entrée de la Phocide, cinq cents Phocéens d'élite, profitant de la plein lune, se blanchirent eux-mêmes, blanchirent leurs armes avec du plâtre, et fondirent durant la nuit sur les Thessaliens, dont ils firent, à ce qu'on dit, un très grand carnage, ceux-ci croyant que c'était quelque chose de surnaturel, et non une simple attaque nocturne de la part de leurs ennemis. Ce fut aussi Tellias, Éléen, qui imagina pour les Phocéens ce stratagème contre les Thessaliens. [2] [1] Lorsque l'armée des Perses passa en Europe, les Phocéens se virent forcés, à ce qu'on prétend, de prendre le parti du grand roi ; mais ils abandonnèrent bientôt les Mèdes, et ils se trouvèrent avec les Grecs à la bataille de Platées.

CHAPITRE II.

Amende imposée aux Phocéens. Les Phocéens s'emparent du temple de Delphes; ils font la guerre aux Thébains. Onomarchus, Phayllus et Phalaecus.

IL leur arriva dans la suite d'être condamnés à une amende par les Amphictyons; je n'ai pu savoir au juste s'ils s'étaient attiré cette amende par quelque délit, ou si les Thessaliens ne l'avaient pas provoquée pour satisfaire leur haine invétérée contre eux. [2] Les Phocéens étaient consternés, la somme qu'on leur demandent étant beaucoup trop considérable ; Philomélus, fils de Théotimus, de la ville de Lédon, et l'un des principaux de la nation, s'empara de leur esprit, et leur ayant fait voir l'impossibilité où ils étaient de payer une amende aussi forte, il les engagea à se rendre maîtres du temple de Delphes, en disant, entre autres choses, que les Athéniens et les Lacédéoniens étaient depuis longtemps bien disposés à leur égard, et que si les Thébains ou quelque autre peuple voulaient leur faire la guerre, ils auraient facilement le dessus, tant par leur valeur que par les dépenses qu'ils seraient à même de faire. [3] Les Phocéens, en général, soit que les dieux les eussent frappés d'aveuglement, soit qu'ils fussent naturellement enclins à mettre leur intérêt au-dessus de toute considération religieuse, écoutèrent volontiers ce que Philomélus leur disait. Ils se saisirent de Delphes l'année où Héraclides était Prytane de cette ville, et Agathoclès Archonte à Athènes ; c'était la quatrième année de la cent cinquième olympiade, dans laquelle Prorus de Cyrène avait remporté le prix de la course du stade. [4] Dès qu'ils se furent emparé du temple, ils prirent à leur solde, comme troupes étrangères, ce qu'il y avait de plus vaillant dans la Grèce ; et les Thébains, qui étaient déjà auparavant en différent avec eux, se déclarèrent ouvertement leurs ennemis. Ils se firent la guerre pendant dix années consécutives, durant lesquelles l'avantage fut plusieurs fois du côté des Phocéens et des troupes qu'ils avaient à leur solde, et plusieurs fois du côté des Thébains; mais un combat s'étant livré près de Neones, les Phocéens furent mis en déroute, et Philomélus s'étant précipité, en fuyant, de dessus un rocher très haut et très escarpé, termina ainsi ses jours. Ce genre de mort était la punition que les Amphyctions avoient prononcée contre ses complices. [5] Après la mort de Philomélus, les Phocéens donnèrent le commandement de leurs troupes à Onomarclius. Philippe, fils d'Amyntas, ayant alors formé une alliance avec les Thébains, remporta une victoire sur les Phocéens. Onomarchus, en fuite, étant arrivé près de la mer, y fut percé de traits par ses propres soldats, qui attribuaient leur défaite à sa lâcheté et à son ignorance dans l'art de la guerre. [6] Les dieux ayant ainsi mis fin aux jours d'Onomarchus, les Phocéens choisirent pour général en chef Phayllus, son frère; il venait, à ce qu'on dit, de prendre le commandement, lorsqu'il eut le songe suivant : Il y avait parmi les offrandes faites à Apollon, une statue en bronze représentant un cadavre humain déjà ancien, entièrement dépouillé de chairs, et où il ne restait plus que les os. Les Delphiens disaient que c'était une offrande d'Hippocrate le médecin. Phayllus crut en songe se voir semblable à cette statue ; effectivement il tomba sur-le-champ dans une maladie de langueur qui réalisa bientôt ce que le songe lui avait présagé. [7] Après sa mort, le commandement des Phocéens passa à Phalœcus, son fils; mais Phalœcus ayant été accusé d'avoir détourné à son profit une portion des richesses sacrées, il fut destitué de sa charge ; s'étant embarqué, il passa dans l'île de Crète avec ceux des Phocéens qui s'étaient mis de son parti, et une portion des troupes étrangères. Ayant formé le siège de Cydonia, dont les habitants n'avaient pas voulu lui donner l'argent qu'il demandait, il perdit la plus grande partie de son armée, et fut tué lui-même.

CHAPITRE III.

Fin de la guerre Phocéenne. Villes et autres guerres des Phocéens.

[1] ENFIN la dixième année après la prise du temple, Philippe termina cette guerre, qu'on nomme la. guerre Phocéenne, ou sacrée. Théophile était alors Archonte à Athènes, et c'était la première année de la cent huitième olympiade, dans laquelle Polyclès de Cyrène avait remporté le prix de la course du stade. Les villes des Phocéens furent prises et ruinées de fond en comble. Ces villes étaient les suivantes : Lilée ; Hyampolis, Anticyre, Parapotamies, Panopés et Daulis, dont les noms sont anciens et se trouvent dans les vers d'Homère ; [2] Erochus, Charadra, Amphiclée, Néones, Tethronium, Drymée, qui, peu connues autrefois, devinrent célèbres dans toute la Grèce, lorsqu'elles eurent été brûlées par l'armée de Xerxès ; Trichine et Médéon de la Phocide ; Echédamie, Ambrysse, Lédon, Phlygonium, Sterris et Élatée, villes peu célèbres aussi auparavant, à l'exception de la dernière. Toutes les villes dont je viens de parler furent détruites, et on dispersa leurs habitants dans des bourgs ; Abas seule fut exceptée, parce que les Abantes ne s'étaient souillés d'aucune impiété, et n'avaient voulu prendre part ni à l'invasion du temple ni à la guerre. [3] On priva les Phocéens de leur droit d'entrée dans le temple de Delphes et dans l'assemblée Hellénique; et leurs suffrages furent donnés parles Amphictyons aux Macédoniens. Dans la suite cependant les villes des Phocéens furent rétablies, et on y fit revenir les habitants des bourgs où ils étaient dispersés; il y en eut néanmoins quelques-unes que l'état de faiblesse où elles se trouvaient déjà auparavant, et leur pauvreté actuelle, empêchèrent de rétablir. Ce furent les Athéniens et les Thébains qui ramenèrent les Phocéens dans leurs villes, un peu avant la bataille de Chéronée ; les Phocéens se trouvèrent à celte bataille, et ils combattirent plus tard à Lamie et à Cranon contre Antipater et les Lacédémoniens ; ils furent de tous les Grecs ceux qui mirent le plus d'ardeur à repousser l'armée Gauloise, soit pour prendre la défense du temple de Delphes, soit, à ce que je crois, pour se laver en même temps de leurs anciens crimes. C'est là tout ce qu'ils ont fait de mémorable.

CHAPITRE IV.

La ville de Panopes. Les Thyiades. Création du genre humain. Titye. Daulis et ses monuments.

[1] IL y a vingt stades de Chéronée à Panopes, qui est une ville des Phocéens, si toutefois on peut donner le nom de ville à un endroit où Tonne trouve ni édifice public pour les magistrats, ni gymnase, ni théâtre, ni place publique, ni fontaine où l'eau se rende, et dont les habitants sont logés au-dessus d'un ravin, sous de méchants toits en pointe et qui ressemblent tout à fait aux cabanes qu'on voit sur les montagnes ; cependant son territoire est séparé de celui de ses voisins par des limites, et ils envoient des députés à l'assemblée générale des Phocéens. Ils disent que leur ville a pris son nom du père d'Epéus ; ils se prétendent Phlégyens d'origine et fugitifs de l'Orchoménie, d'où ils passèrent dans la Phocide. [2] En examinant l'ancienne enceinte de Panopes, elle m'a paru tout au plus de sept stades, et je me suis rappelé des vers qu'Homère a faits sur Titye, dans lesquels il donne à la ville des Panopéens le nom de Callichoros (aux belles danses). Ce poète, en décrivant le combat pour le cadavre de Patrocle, dit que Schédius, fils de d'Iphitus, et roi des Phocéens, qui fut tué par Hector, demeurait à Panopes. Je pense que la crainte était ce qui avait décidé les rois à habiter cette ville, qui leur servait de forteresse, vers l'endroit où il est plus facile de passer de la Béotie dans la Phocide. [3] Quant au nom de Callichoros qu'Homère donne à Panopes, je n'aurais jamais pu en deviner la raison, si je ne l'avais apprise de celles qu'on nomme à Athènes les Thyiades. Ces Thyiades sont des femmes de l'Attique qui vont tous les deux ans sur le Parnasse, où, avec des femmes de Delphes, elles célèbrent des orgies en l'honneur de Bacchus. Ces Thyiades forment des chœurs de danse sur la route d'Athènes à Delphes en différents endroits, entre autres à Panopes ; et le surnom qu'Homère donne à cette ville me paraît avoir rapport à cette danse des Thyiades. [4] On voit à Panopes, sur la route, un petit édifice de briques crues, et dans cet édifice une statue de marbre Pentélique; les uns disent que c'est Esculape, les autres que c'est Prométhée. Ces derniers donnent les preuves suivantes à l'appui de leur opinion : Il y a sur les bords de la ravine des pierres assez grandes pour qu'elles suffisent chacune à faire la charge d'un char; elles ont la couleur de la boue, non pas de celle qui est toute formée de terre, mais de cette boue sablonneuse qu'on trouve dans les ravins ou dans les torrents, et elles ont une odeur très approchant de celle de la peau humaine ; ils assurent que ces pierres sont un reste du limon avec lequel Prométhée fit tout le genre humain. [5] On montre aussi sur les bords de la ravine le tombeau de Titye; c'est un tertre qui a tout au plus un stade de tour ; on prétend que le vers d'Homère dans l'Odyssée, Neuf arpents tout entiers lui servent de tombeau, n'a pas rapport à la taille de Titye, mais à la grandeur du champ où il est enterré, qui est de neuf arpents. [6] Cléon de la Magnésie, sur les bords de l'Hermus, dit que les hommes qui durant leur vie n'ont pas été à même de rien voir d'extraordinaire, sont très incrédules sur toutes les choses de ce genre ; mais que pour lui il croit facilement que Titye et d'autres étaient tels que le publie la renommée, parce que se trouvant lui-même à Cadix, il fut obligé, ainsi que tout le reste du peuple, de s'embarquer d'après les ordres d'Hercule, et de s'éloigner de l'île ; ils y revinrent ensuite et y trouvèrent sur la côte un homme marin qui avait été jeté à terre ; il couvrait a peu près cinq arpents ; il avait été foudroyé par les dieux et brûlait encore. [7] Daulis est à environ sept stades de Panopes ; les habitants n'en sont pas très nombreux, mais ils sont encore maintenant les plus grands et les plus forts de tous les Phocéens. Ils disent que leur ville a pris son nom de la nymphe Daulis, et que Daulis était fille du Céphissus ; d'autres prétendent que l'endroit où la ville a été bâtie, était jadis couvert d'arbres, et que les anciens donnaient le nom de Daula aux endroits très  fourrés; c'est pourquoi, ajoute-t-on, Eschyle a nommé Hypénen daulon (barbe touffue) la barbe de Glaucus, Anthédonien. [8] C'est à Daulis, assure-t-on, que les femmes (Progné et Philomèle) donnèrent à manger à Térée son propre fils ; ce fut le premier forfait de ce genre parmi les hommes. Suivant la tradition, Térée fut changé en huppe, oiseau un peu plus grand que la caille et qui a sur la tète des plumes qui se dressent en forme d'aigrette. [9] Une chose très surprenante, c'est que les hirondelles ne pondent ni ne font éclore leurs œufs dans tout ce canton ; elles n'y font même jamais leurs nids contre le toit des maisons. Les Phocéens racontent que Philomèle, même changée en oiseau, avait peur de Térée, et que pour cette raison elle quitta la patrie de ce prince. On voit à Daulis un temple de Minerve avec une statue très ancienne ; quant à la statue en bois qui est encore plus ancienne, on dit qu'elle avait été apportée d'Athènes par Progné. [10] Tronis est un canton de la Daulie ; on y remarque le monument héroïque d'un héros, l'un des auteurs de la nation; les uns prétendent que c'est Xanthippus, qui eut quelque célébrité par ses talents militaires ; suivant d'autres, c'est Phocus, fils d'Ornytion, fils de Sisyphe. On lui rend tous les jours des honneurs ; les Phocéens lui amènent des victimes ; ils versent par un trou le sang dans le tombeau, et ensuite, selon l'usage établi, mangent les chairs dans l'endroit même. [1] Pour monter sur le sommet du Parnasse, il y a un chemin qui passe à travers Daulis ; il est plus long que celui qui conduit de Delphes à ce sommet, mais il n'est pas aussi rude.

CHAPITRE V.

Monuments hors de Daulis. Édifice appelé Phocicum. Crime d'OEdipe. Delphes et oracle d'Apollon. Phémonoé et Bœo. Cinq temples d'Apollon.

EN revenant de Daulis sur le chemin de Delphes, et en avançant un peu, vous trouvez à gauche de la route un édifice nommé Phocicum, où se réunissent les députés de toutes les villes de la Phocide ; [2] c'est un édifice très grand, dans l'intérieur duquel sont des colonnes qui le divisent dans sa longueur; l'espace qui est entre ces colonnes et le mur, de chaque côté, est rempli par des gradins sur lesquels s'asseyent les députés des Phocéens. Vers l'extrémité de cet édifice est un espace où il n'y a ni colonnes ni gradins, mais les statues de Jupiter, de Minerve et de Junon ; Jupiter est assis sur un trône, Junon et Minerve sont debout de chaque côté, l'une à sa droite et l'autre à sa gauche. [3] En partant de là, et en avançant un peu, vous arrivez à l'endroit qu'on nomme le chemin Fourchu ; c'est sur ce chemin qu'OEdipe se souilla du meurtre de son père. Il semblait destiné à laisser par toute la Grèce des traces de ses malheurs ; en effet, à peine ce prince fut-il né qu'on lui perça les pieds à la cheville, et qu'on l'exposa sur le mont Cithéron, dans le territoire de Platée; il fut élevé à Corinthe et dans le pays qui forme l'isthme; la Phocide et le chemin Fourchu furent souillés du sang de son père, et la ville de Thèbes est célèbre par le mariage d'OEdipe et par la conduite injuste d'Étéocle; [4] mais le chemin Fourchu elle meurtre qu'OEdipe y commit, furent la cause de tons ses malheurs. On voit encore tout à fait au milieu du carrefour que forment les trois chemins, le tombeau de Laïus et celui du domestique qui le suivait; on a entassé dessus des pierres de choix ; on dit que Damasistratus, qui régnait à Platées, ayant rencontré leurs corps, leur donna la sépulture. [5] A partir de là, le chemin de Delphes devient beaucoup plus raide et très difficile, même pour un homme bien dispos.

Il y a beaucoup de traditions différentes sur la ville même de Delphes, et beaucoup plus encore sur l'оracle d'Apollon; on prétend que très anciennement cet oracle appartenait à la Terre, et qu'elle avait choisi pour sa prophétesse Daphné, l'une des nymphes de cette montagne. [6] Les Grecs ont un poème nommé l'Eumolpie, qu'ils attribuent à Musée, fils d'Antiophémus. On voit dans ce poème que cet oracle appartenait en commun à Neptune et à la Terre ; celle-ci prédisait l'avenir elle-même, mais Neptune avait pour ministre de son oracle Pyrcon. Voici ces vers : Aussitôt  la Terre, et avec elle Pyrcon, le ministre du puissant Neptune, firent entendre ces sages paroles. Dans la suite des temps, la Terre donna à Thémis tout ce qu'elle avait dans cet oracle, et celle-ci en fit présent à Apollon, qui obtint aussi la portion de Neptune en lui donnant en échange l'île de Calaurie, qui est devant Trézène. [7] J'ai encore entendu dire que des bergers en conduisant leurs troupeaux, ayant trouvé cet oracle, furent animés par la vapeur qui en sortait, et se mirent à prédire l'avenir par l'inspiration d'Apollon, Phémonoé eut une très grande célébrité et fut très connue, puisqu'elle est, à ce qu'on assure, la première que le dieu ait employée pour prophétesse, et la première qui ait chanté des vers hexamètres. Bœo, femme du pays, qui a fait des hymnes pour les Delphiens, dit que cet oracle fut établi par des gens venus du pays des Hyperboréens, et Olen, entre autres, qui y prononça le premier des oracles et chanta des vers hexamètres. [8] Voici les expressions de Bœo : C'est là que Pagasus et le divin Agyéus, fils des Hyperboréens, établirent cet oracle célèbre. Après avoir, vers la fin de l'hymne, rappelé les noms d'autres Hyperboréens, elle parle d'Olen en ces termes : Et Olen, qui fut le premier interprète de Phœbus et le premier inventeur de la plus ancienne forme de vers. Cependant il n'est pas venu à notre connaissance que d'autres que des femmes ayant servi d'interprètes au dieu. [9] On dit que le temple le plus ancien qu'on érigea à Apollon dans cet endroit, était en branches de laurier qu'on avait apportées de celui qui est à Tempé; ce temple était sans doute en forme de cabane. Les Delphiens racontent que le temple fut construit une seconde fois par des abeilles, qui le fabriquèrent avec de la cire et avec leurs propres ailes; et l'on prétend qu'Apollon l'envoya dans le pays des Hyperboréens. [10] D'après une autre tradition à cet égard, ce temple avait été construit par un Delphien nommé Ptéras (aile), et on lui donna le nom de celui qui l'avait bâti. On dit de plus que de ce Ptéras la ville d'Aptera, dans l'île de Crète, a pris son nom avec l'addition d'une lettre; il y a encore une troisième tradition, c'est que ce temple avait été fait de tiges vertes entrelacées avec de la fougère (Ptéris) qu'on trouve dans les montagnes, mais je n'y ajoute aucune foi. [11] Quant à ce qu'on débite du troisième temple, qu'il était d'airain, cela n'a rien de surprenant, puisqu'Acrisius fit bien faire une chambre d'airain pour sa fille, et que le temple de Minerve Chalciœcos existe encore maintenant à Lacédémone. On voit aussi à Rome une place publique remarquable par son étendue et sa magnificence, qui est couverte en airain ; il n'est donc pas surprenant qu'Apollon ait eu un temple pareil. [12] Au surplus, je ne crois ni que ce temple fût l'ouvrage de Vulcain, ni qu'il y eût des chanteuses en or; comme le dit Pindare en ces termes : Des musiciennes en or chantaient suspendues à la sortie du temple. Je pense qu'il a imaginé cela d'après les Sirènes d'Homère. On n'est point d'accord sur la manière dont ce temple fut détruit ; les uns veulent en effet qu'il ait été englouti par la terre; suivant d'autres, il fut mis en fusion par le feu. [13] Le quatrième temple fut l'ouvrage d'Agamèdes et de Trophonius, qui, à ce qu'on prétend, le bâtirent en marbre. Il fut brûlé sous l'Archontat d'Erxiclidès à Athènes, dans la première année de la cinquante-huitième olympiade, où Diognète de Crotone fut couronné. Les Amphictyons ont fait construire celui qui existe maintenant avec l'argent consacré au dieu; un certain Spintharus, Corinthien, en a été l'architecte.

CHAPITRE VI.

Parnassus, fondateur de Delphes. Lycorëa, et Delphus.

[1] Оn dit que très anciennement il y avait là une ville qui avait été bâtie par Parnassus, fils de la nymphe Cléodora; on lui donne, comme à tous les autres héros, deux pères, Neptune parmi les dieux, et Cléopompus parmi les mortels ; c'est de ce Parnassus, ajoute-t-on, qu'ont pris leur nom le mont Parnasse et la forêt Parnassia; on lui attribue l'invention de l'art de connaître l'avenir par le vol des oiseaux. [2] On prétend que cette ville fut submergée par les pluies qui tombèrent à l'époque de Deucalion, et que tous ceux des habitants qui échappèrent à cette inondation, conduits par les hurlements des loups, prirent ces animaux pour guides et se réfugièrent sur les sommets du Parnasse ;  c'est pourquoi ils donnèrent à la ville qu'ils fondèrent, le nom de Lycoria. Il y a encore une autre tradition différente de la première ; [3] on dit qu'Apollon eut de la nymphe Corycia un fils nommé Lycorus, que la ville prit de lui le nom de Lycoria, et que sa mère donna le sien à l'antre Corycius.  Célœno, ajoute-t-on, était fille d'Hyamus, fils de Lycorus, et Delphus, qui donna son nom à la ville actuelle, était fils d'Apollon et de Célœno, fille d'Hyamus. Suivant d'autres, [4] Castalius Autochtone eut une fille nommée Thyia ; elle fut la première prêtresse de Bacchus, et célébra la première les orgies de ce dieu ; ils prétendent que c'est d'elle que toutes les femmes qui se livrent à des actes de folie en l'honneur de Bacchus, ont pris le nom de Thyiades. Ils pensent donc que Delphus était fils d'Apollon et de Thyia ; suivant d'autres, il avait pour mère Mélœné, fille du Céphissus. [5] Dans la suite des temps, les habitants des environs donnèrent a la ville le nom de Pytho, outre celui de Delphes ; et c'est ainsi qu'Homère l'appelle dans le catalogue des Phocéens. Ceux qui veulent trouver des généalogies partout, disent que Pythis était fils de Delphus, et qu'étant roi de cette ville, il lui donna son nom ; mais la tradition la plus reçue est que celui qu'Apollon avait tué à coups de flèches ayant pourri dans cet endroit, la ville prit le nom de Pytho du mot Pythesthai, qu'on employait alors dans le sens de pourrir; et Homère, pour cette raison, dit que l'île des Sirènes était pleine d'ossements, parce que les hommes qui écoutaient leurs chants y pourrissaient (épytontho). [6] Les poètes prétendent que celui qu'Apollon tua était un serpent, que la Terre avait préposé à la garde de son oracle. On dit aussi que Crius, qui régnait dans l'Eubée, avait un fils très pervers qui pilla le temple du dieu ainsi que les maisons des riches particuliers du pays ; comme il revenait attaquer Delphes une seconde fois, les Delphiens supplièrent Apollon de détourner d'eux les maux qui les menaçaient ; [7] et Phémonoé, qui était alors prophétesse, leur répondit, à ce qu'on ajoute, en vers hexamètres : Phoebus décochera une pesante flèche contre le brigand qui infeste le Parnasse ; des Crétois le purifieront de ce meurtre, et sa renommée ne périra jamais.

CHAPITRE VII.

 Tentatives contre le temple de Delphes. Concours et victoire pythique, Les Amphictyons instituent les Jeux. Couronne de laurier pour les vainqueurs.

IL paraît que dès son origine le temple de Delphes a été l'objet de beaucoup de tentatives pour le piller. Il fut d'abord attaqué par le brigand de l'Eubée ; plusieurs années après, par le peuple Phlégyen ; ensuite par Pyrrhus, fils d'Achille : une portion de l'armée de Xerxès chercha aussi. à le piller; mais personne n'a autant envahi les richesses du dieu, et ne l'a fait pendant aussi longtemps, que les chefs des Phocéens et l'armée des Gaulois. Ce temple ne pouvait pas non plus échapper à l'impiété de Néron, qui dépouilla Apollon de cinq cent statues en bronze, tant de dieux que de héros.

Le plus ancien concours qu'on se rappelle avoir été établi à Delphes, et celui pour lequel on a le premier institué des prix, a été le chant de l'hymne en l'honneur du dieu ; Chrysothémis de Crète y chanta et fut vainqueur ; il était fils de Garmanor, qui purifia, à ce qu'on dit, Apollon. Philammon remporta après Chrysothémis le prix du chant, et ensuite Thamyris, fils de Philammon. La sévérité qu'Orphée affectait dans ses discours sur les mystères, et l'élévation de son esprit, ne lui permirent pas de se présenter à ce concours; et Musée, qui faisait profession de l'imiter en tout, s'en abstint par les mêmes raisons. On assure qu'Eleuther, quoiqu'il ne chantât point ses propres vers, obtint la victoire pythique en faveur de l'étendue et du charme de sa voix. Hésiode, à ce qu'on prétend, ne fut pas admis au concours, parce qu'il ne savait pas s'accompagner en chantant avec la cithare. Quant à Homère, il vint bien à Delphes consulter l'oracle ; mais quoiqu'il eût appris à jouer de la cithare, le malheur qu'il avait eu de perdre les yeux, rendit inutile ses talents en ce genre. Dans la troisième année de la quarante-huitième olympiade, où  Glaucias de Crotone avait été vainqueur, les Amphictyons établirent, outre le prix du chant accompagné de la cithare, qui existait depuis l'origine, un prix pour le chant accompagné pour la flûte.  Ceux qui les obtinrent furent Céphallen, fils de Lampus, pour la chant avec la cithare ; Echembrotus, Arcadien, pour le chant à la flûte ; et Sacadas d'Argos, pour la flûte seule : ce Sacadas remporta aussi la victoire  dans les deux pythiades qui suivirent. Les Amphictyons établirent aussi a'ors pour la première fois des prix pour les athlètes; les exercices furent les mêmes qu'à  Olympie, à cela près qu'ils n'y admirent point les chars à quatre chevaux, et qu'ils instituèrent la course de Dolichus et celle du Diaulus pour les enfants.  A la seconde pythiade, ils supprimèrent les prix et oronnèrent qu'à l'avenir on ne donnerait qu'une couronne aux vainqueurs ; ils supprimèrent aussi alors le chant avec la flûte, trouvant que ce chant avait quelque chose de mauvais augure ; il est en effet le plus lugubre de tous ceux qu'on exécute avec les flûtes, les vers qu'on chante n'étant que des élégies ou des lamentations, comme on le voit par une inscription sur un trépied de bronze qu'Echembrotus dédia à Hercule dans Thèbes. Voici cette inscription : Echembrotus, sircadien, a dédié ce trépied à Hercules après avoir remporté la victoire en chantant des vers et des élégies dans les jeux établis par les Amphictyons. C'est donc pour cela que le concours du chant avec la flûte fut aboli; les Amphictyons ajoutèrent alors aux autres exercices les courses à cheval, et Clisthène, tyran de Sicyone, fut couronné vainqueur à la course des chars. A la huitième pythiade, ils établirent un concours pour ceux qui jouaient de la cithare sans chanter, et Agélaüs de Tégée fut couronné; la course avec les armes fut établie dans la vingt-troisième pythiade, et le laurier fut décerné à Timaenétus de Phlionte, cinq olympiades après la victoire du même genre que Démaritus d'Héiaîa avait remportée à Olympie. La course des chars attelés de deux chevaux fut établie dans la quarante-huitième pythiade, et la Synoris d'Exécestidas, Phocéen, remporta la victoire. La cinquième pythiade après celle-là, on admit des chars attelés de quatre poulains, et la couronne fut décernée à Orphondas de Thèbes. Le Pancrace des enfants, la Synoris attelée de poulains, et les poulains courant à nu, ne furent reçus que longtemps après l'avoir été chez les Éléens. Le Pancrace des enfants, en effet, ne le fut qu'en la soixante unième pythiade, et Laïdas, Thébain, fut victorieux. Après une pythiade d'intervalle, on admit la course des poulains, et Lycorjnas de Larisse fut proclamé vainqueur; enfin la Synoris attelée de poulains, ne fut admise qu'en la soixante-neuvième pythiade, et la couronne fut décernée à Ptolémée, Macédonien ; les rois d'Égypte aimaient beaucoup qu'on les appelât Macédoniens, comme ils l'étaient effectivement. La tradition qui suppose qu'Apollon fut amoureux de Daphné, fille du Ladon, est, à ce que je crois, le seul motif pour lequel on ait, aux jeux pythiques, adopté la couronne de laurier pour les vainqueurs.

CHAPITRE VIII.

Assemblée des Amphictyons. Monuments de Delphes. Temple de Minerve Pronoea. Marseille, colonie des Phocéens. Le Plistus fleure. Eau de Castalie.

[1] BEAUCOUP de gens pensent que l'assemblée générale des Hellènes fut établie en cet endroit par Amphictyon, fils de Deucalion, et que de lui ces députés prirent le nom d'Amphictyons ; mais Androtion, dans sa description de l'Attique, dit que dans l'origine, les peuples des environs de Delphes étaient les seuls qui s'y rassemblassent ; qu'on les nomma d'abord Amphictyons, et que, dans la suite des temps, le nom actuel prit le dessus. [2] Les peuples de race Hellénique qu'Amphictyon admit à celte assemblée, furent, à ce qu'on assure, les Ioniens, les Dolopes, les Thessaliens, les Aenianes, les Magnètes, les Maliens, les Phlhiotes, les Doriens, les Phocéens et les Locriens qui demeurent au pied du mont Cnémis, dans le voisinage de la Phocide. Les Phocéens s'étant emparés du temple, et la guerre qui s'éleva à ce sujet ayant été terminée au boni de dix ans, on changea alors quelque chose au Conseil des Amphictyons ; on y admit en effet les Macédoniens, et on en exclut les Phocéens et les Lacédémoniens qui en étaient, comme faisant partie de la nation Dorienne. Le motif de l'exclusion des premiers fut leur attentat; quant aux Lacédémoniens, ce fut à cause des secours qu'ils leur avoient donnés. [3] Brennus ayant amené contre Delphes une armée de Gaulois, les Phocéens furent de tous les Grecs ceux qui mirent le plus de zèle à soutenir celle guerre; pour les récompenser, on leur rendit leur droit d'Amphictyonie, et ils recouvrèrent toute leur ancienne considération. L'empereur Auguste voulant que les habitants de Nicopolis, sur le promontoire Actium, fussent admis dans l'assemblée des Amphictyons, il réunit aux Thessaliens les Magnètes, les Maliens, les Aenianes et les Phthiotes, et donna aux Nicopolitains leurs suffrages, ainsi que ceux des Dolopes, nation qui n'existait plus. [4] Les Amphictyons de mon temps, étaient au nombre de trente. Nicopolis, la Macédoine et la Thessalie en envoient chacune deux ; les Béotiens ( ils habitaient aussi anciennement la Thessalie et portaient alors le nom d'Éoliens), les Phocéens et les Delphiens en ont aussi chacun deux; l'ancienne Doride en fournit un ; l[5] es Locriens appelés Ozoles, et ceux qui sont vis-à-vis l'Eubée, en envoient deux, un de chaque peuple; il y en a un de l'Eubée ; parmi les peuples du Péloponnèse, les Argiens, les Sicyoniens et les Corinthiens, conjointement avec les Mégaréens, en députent chacun un; les Athéniens ont aussi le leur. Les villes d'Athènes, de Delphes et de Nicopolis envoient des députés à toutes les Amphictyonies, mais ceux des autres peuples dont j'ai parle', n'y sont admis que tour à tour, et au bout d'une certaine période de temps.

[6] En entrant dans la ville de Delphes, vous trouvez plusieurs temples à la suite les uns des autres ; le premier est en ruines : il n'y a plus dans le second de divinités ni de statues; on voit dans le troisième des statues d'empereurs Romains, mais en petit nombre ; le quatrième est consacré à Minerve Pronoea. Parmi les statues qui sont dans le parvis de ce temple, il s'en trouve une, offrande des Marseillais, qui est plus grande que celle de l'intérieur. Les Marseillais sont une colonie de Phocéens ; ils faisaient partie de ceux qui, étant établis dans l'Ionie, abandonnèrent jadis Phocée, lorsqu'Harpage le Mède vint l'attaquer. Ayant vaincu les Carthaginois dans un combat naval, ils s'emparèrent du pays qu'ils occupent maintenant, et ils y parvinrent aune très grande opulence;  [7] la statue qu'ils ont dédiée est en bronze. Le bouclier d'or que Crésus le Lydien avait offert à Minerve Pronœa, a été, à ce que disent les Delphiens, pillé par Philomélus. Vers le temple de Minerve Pronœa est une enceinte consacrée au héros Phylacus qui, suivant la tradition des Delphiens, vint à leur secours lors de l'expédition des Perses contre eux; ils prétendent aussi qu'il y avait autrefois un sanglier dans la partie du gymnase qui est à découvert, et que ce fut par lui et dans cet endroit qu'Ulysse, étant venu voir Autolycus, et chassant avec ses fils, fut blesse au-dessus du genou. [8] Au sortir du gymnase, en vous détournant à gauche et en descendant, à ce qu'il me semble, tout au plus trois stades, vous trouvez le fleuve Plistus, qui se rend à Cirrha, le port des Delphiens, où il se jette dans la mer. [9] En remontant du gymnase vers le temple, vous voyez à droite du chemin, la fontaine Castalie, dont l'eau est très agréable à boire ; les uns disent qu'elle a pris son nom d'une femme du pays, et d'autres qu'elle l'а pris d'un homme nommé Castalius. Panyasis, fils de Polyarchus, qui a fait un poème sur Hercules, prétend que Castalie était fille d'Achéloüs; il dit en effet, en parlant d'Hercule : Traversant à grands pas le Parnasse couvert de neige, il vint vers l'eau divine de Castalie, fille d'Achéloüs ; [10] d'autres prétendent encore que l'eau de cette fontaine est un don du fleuve Céphissus. Alcée a parlé aussi de cette tradition dans son exorde à Apollon; ce qui est fortement appuyé par les Lilaeens, qui, à certains jours, jettent dans la source du Céphissus des gâteaux faits à la mode du pays, et d'autres choses déterminées par l'usage ; ils soutiennent que tout cela reparaît dans la fontaine Castalie. [1] La ville de Delphes est entièrement en pente; il en est de même de l'enceinte consacrée à Apollon : cette enceinte occupe un très grand espace dans la partie la plus élevée de la ville; elle est coupée par beaucoup d'issues.

CHAPITRE IX.

Offrandes faites à Delphes. Taureau d'airain. Défaite des Athéniens à Aegos-Potamos. Durien, cheval d'airain.

JE vais faire l'énumération de toutes les offrandes qui me paraissent mériter qu'on en parle; [2] je ne crois pas qu'il soit nécessaire de s'arrêter aux athlètes, ni à tous ceux qui ont remporté des prix de musique, ces derniers étant pour la plupart des gens peu connus; d'ailleurs j'ai rapporté dans mon livre sur l'Élide ce qu'il y avait à dire sur tous ceux des athlètes qui se sont distingués par quelque chose de remarquable. Je n'y ai cependant pas parlé de Phayllus de Crotone qui n'avait point remporté de victoire à Olympie, et qui, à Pytho, a été couronné vainqueur deux fois au pentathle et une fois à la course du stade; il se trouva au combat naval contre les Mèdes, sur un vaisseau qu'il équipa à ses frais, et qu'il fit monter par tous ceux des Crotoniates qui voyageaient alors dans la Grèce; il a une statue à Delphes: c'est tout ce que j'ai à dire sur ce Crotoniate. [3] En entrant dans l'enceinte, vous voyez un taureau de bronze, ouvrage de Théopropus d'Égine et offert par les Corcyréens à l'occasion suivante. On raconte que dans l'île de Corcyre un taureau s'étant écarté du reste du troupeau et des pâturages, allait beugler sur les bords de la mer; la même chose se renouvelant chaque jour,le pâtre descendit vers la mer, où il vit une quantité innombrable de thons ;[4]  il en donna connaissance aux Corcyréens de la ville, qui se mirent en devoir de les prendre; mais s'étant donné beaucoup de peine inutilement, ils envoyèrent des députés à Delphes, et ayant, d'après la réponse de l'oracle, sacrifié ce taureau à Neptune, ils prirent tous ces poissons aussitôt après le sacrifice. Les offrandes qu'on voit à Olympie et à Delphes, sont le produit de la dîme de cette pêche. [5] Vous remarquez ensuite les offrandes que firent les Tégéates du butin qu'ils avoient pris sur les Lacédémoniens ; ce sont les statues d'Apollon, de la Victoire, et des héros de leur pays ; savoir : Callisto, fille de Lycaon; Arcas, auteur de leur nom, et les fils d'Arras; Elatus, Aphidas, Azan, et Triphylus, qui avait pour mère, non Érato, mais Laodamie, fille d'Amyclas, roi de Lacédémone : on y voit aussi Erasus, fils de Triphylus ; ces statues sont de différentes mains. [6] Pausanias d'Apollonie a fait celles d'Apollon et de Callisto; la Victoire et Arcas sont de Dédale de Sicyone; Triphylus et Azan, de Samolas, Arcadien; enfin Elatus, Aphidas et Erasus d'Antiphance d'Argos. Les Tégeates envoyèrent ces statues à Delphes après avoir fait prisonniers les Lacédémoniens qui étaient venus les attaquer. [7] Vis-à-vis sont les offrandes faites par les Lacédémoniens du produit du butin pris sur les Athéniens; ces statues sont les Dioscures, Jupiter, Apollon et Diane ; ensuite Neptune, Lysandre, fils d'Aristocratus, couronné par ce dieu ; Abas, qui prédisait l'avenir à Lysandre ; [8] et Hermon, qui gouvernait, comme pilote, son vaisseau amiral. Comme les Mégaréens avaient inscrit ce dernier parmi leurs citoyens, il était naturel que Théocosmus de Mégare fît sa statue; les Dioscures sont l'ouvrage d'Antiphane d'Argos ; le Devin est de la main de Pison de Calaurie dans la Trézénie ; Athénodore a fait Apollon et Jupiter ; et Damias, Diane, Neptune, et Lysandre. Ces deux sculpteurs étaient Arcadiens de Clitore. [9] Derrière ces statues sont celles des principaux, soit Spartiates, ou alliés qui concoururent avec Lysandre à la victoire qu'il remporta Aegos-Potamos. Ces personnages sont Aracus et Erianthès, le premier de Lacédémone, et l'autre Béotien; Astycrates d'Érythrée sur le mont Mimas ; Céphisocles, Hermophante, Hicésius de Chios ; Timarchus et Diagoras de Rhodes ; Théodamus de Cnide ; Cimmérius d'Éphèse, et Aeantides de Milet ; [10] toutes ces statues sont des ouvrages de Tisandrus. Alypus de Sicyone a fait celles de Théopompe de Midée, Cléomède de Samos, Aristoclès de Carystos, et Antonomus d'Érétrie, tous deux de l'Eubée ; Aristophante de Corinthe, Apollodore de Trézène et Dion d'Épidaure, dans l'Argolide. Immédiatement après ces statues sont celles d'Axionicus, Achéen de Pellène; Théares d'Hermione, Pyrias de Phocée, Conon de Mégare, Agamène de Sicyone, Pythodotus de Corinthe, Evantidas d'Ambracie, Télycrate de Leucade, et enfin Epicyridas et Etéonicus, Lacédémoniens ; ce sont les derniers. Toutes ces statues, sont, à ce qu'on dit, l'ouvrage de Patroclès et de Canachus. [11] Les Athéniens prétendent que la victoire que les Lacédémoniens remportèrent sur eux à Aegos-Potamos fut due à des moyens peu légitimes ; leurs généraux les avoient trahis pour de l'argent. Ils assurent en effet, que Tydée et Àdimantus avoient reçu des présents de Lysandre, et ils citent à l'appui de ce qu'ils avancent l'oracle suivant de la Sibylle : Alors le tout-puissant Jupiter, qui lance le tonnerre, accablera de maux les Athéniens ; il portera la guerre et la désolation dans leurs vaisseaux, périront par la perfidie et la lâcheté de leurs chefs. Ils rappellent encore la prédiction suivante de Musée : Une nuée de maux est prête à fondre sur les Athéniens par la méchanceté de leurs chefs ; mais les vaincus éprouveront quelque soulagement, lorsqu'ils auront fuit la punition qu'ils méritent. [12] Mais en voilà assez sur ce point. La Sibylle avait aussi prédit le combat des Lacédémoniens et des Argiens au sujet de l'endroit nommé Thyrée, et que l'avantage serait égal des deux côtés; cependant les Argiens s'attribuant la victoire, envoyèrent à Delphes le cheval de Durien en bronze, ouvrage d'Antiphane d'Argos.

CHAPITRE X.

Offrandes des Argiens et des Tarentins. Ville de Tarente. Taras, héros.

[1] AU-DESSOUS du cheval Durien est un soubassement avec une inscription qui nous apprend que les statues qu'il supporte, ont été dédiées par les Athéniens, du produit de la dîme du butin fait à la bataille de Marathon. Ces statues sont Minerve, Apollon, Miltiade, l'un des généraux, elles héros Érechthée, Cécrops, Pandion, ainsi que Léos, Antiochus, fils d'Hercule et de Midée, fille de Phylas, et enfin Égée et Acamas, l'un des fils de Thésée. Les Athéniens, d'après les ordres de l'oracle de Delphes, ont donné à leurs tribus les noms de ces héros. On y voit aussi Codnis, fils de Mélanthus ; Thésée et Phylée, qui ne sont pas du nombre des Éponymes. [2] C'est Phidias qui a fait toutes ces statues, et elles sont réellement la dîme du butin pris sur les Mèdes. Dans la suite des temps, les Athéniens envoyèrent à Delphes les statues d'Antigone, de Demetrius, son fils, et de Ptolémée, roi d'Égypte ; celle de ce dernier par affection pour lui, et celles des deux Macédoniens par la crainte qu'ils en avoient. [3] On remarque près du cheval Durien d'autres offrandes des Argiens ; ce sont les statues des chefs qui allèrent attaquer Thèbes avec Polynice, savoir; Adraste, fils de Talaüs; Tydée, fils d'OEnée; Capanée, fils de la sœur d'Hipponoüs, et Étéocle, fils d'Iphis, tous deux descendants de Prœtus ; Polynice et Hippomédon, fils de la sœur d'Adraste : auprès d'eux est le char d'Amphiaraüs, sur lequel on voit Baton, conducteur des chevaux d'Amphiaraüs, et qui d'ailleurs lui était attaché par les liens du sang ; la dernière de toutes ces statues est celle d'Alithersès : [4] elles sont toutes l'ouvrage d'Hypatodorus et d'Aristogiton. Elles ont été faites, à ce que disent les Argiens eux-mêmes, après la victoire qu'ils remportèrent avec les Athéniens leurs alliés à OEnoé dans l'Argolide, sur les Lacédémoniens ; c'est, je crois, pour la même victoire que les Argiens offrirent les statues de ceux que les Grecs nomment les Épigones, qu'on y voit aussi, et qui sont dans l'ordre suivant : Sthénélus, Alcmaeon, qu'on a mis là de préférence à Amphilochus, comme le p\us âgé ; Promachus, ensuite Thersandre, Aegialœus, Diomède, et, entre ces deux derniers, Euryalus. [5] Vis-à-vis sont d'autres statues que les Argiens dédièrent lorsque, de concert avec Épaminondas et les Thébains, ils eurent fondé Messène; les héros qu'elles représentent, sont Danaüs, l'un des rois qui ait eu le plus de pouvoir à Argos; Hypermnestre, placée là comme la seule de toutes les Danaïdes qui ait conservé ses mains pures. Lyncée est auprès d'elle ; après on voit toute leur postérité, d'abord jusqu'à Persée, et ensuite depuis lui jusqu'à Hercule. [6] Les chevaux de bronze et les femmes esclaves sont une offrande des Tarentins pour la victoire qu'ils avoient remportée sur les Messapiens, peuple barbare de leur voisinage ; ces statues sont d'Agéladas d'Argos. Tarente est une colonie de Lacédémoniens, et Phalanthtis, Spartiate, en fut le fondateur; lorsqu'il partit à la tête de cette colonie, l'oracle de Delphes lui annonça qu'il acquerrait une ville et une contrée, quand il sentirait de la pluie par un temps serein. [7] N'ayant pas d'abord trop approfondi lui-même cet oracle, et ne l'ayant communiqué à aucun des Exégètes, il aborda en Italie avec ses vaisseaux. Voyant, malgré plusieurs victoires qu'il avait remportées sur les Barbares, qu'il n'avait pu parvenir à prendre aucune de leurs villes ni à s'emparer d'aucune portion du pays, il se rappela cet oracle, et il crut que le dieu avait mis à son établissement une condition impossible, ne pensant pas qu'il put pleuvoir par un temps clair et serein. Comme il était découragé, sa femme, qui l'avait suivi dans celte expédition, lui faisait toutes sortes de caresses ; ayant posé un jour la tête de son mari sur ses genoux, elle lui cherchait les poux, et, par un mouvement de tendresse, en considérant le peu de succès de ses entreprises, elle se mit à pleurer. [8] Comme ses larmes tombaient en abondance, elle mouilla entièrement la tête de Phalanthus, qui comprit alors le sens de l'oracle ; car sa femme se nommait Taras (qui signifie en grec temps serein) ; et il prit la nuit suivante Tarente, la ville la plus grande et la plus opulente de toutes celles que les Barbares avoient sur les bords de la mer. Le héros Taras, qui a donné son nom à la ville et au fleuve qui y passe, était, à ce qu'on dit, fils de Neptune et d'une nymphe du pays. Le fleuve se nomine Taras, ainsi que la ville.

CHAPITRE XI.

Trésor des Sicyoniens. Offrandes des Cnidiens. Trésor des Siphniens. Les Liparéens. Trésor des Thébains, des Athéniens et des Potidéates. Portique des Athéniens.

[1] LE trésor des Sicyoniens est tout auprès de l'offrande des Tarentins ; il n'y reste plus de richesses, non plus que dans les autres trésors. Les Cnidiens ont envoyé à Delphes des statues qui représentent Triopas, fondateur de Cnide (il est à cheval); Latone, Apollon et Diane décochant leurs flèches sur Titye, dont le corps est percé de traits. [2] Ces statues sont vers le trésor des Sicyoniens. Les Siphniens avaient aussi fait bâtir un trésor ; voici à quelle occasion. Il y avait des mines d'or dans leur île, elle dieu leur ordonna de porter à Delphes la dîme de ce qu'ils en tiraient; ils firent en conséquence construire ce trésor, et y apportèrent cette dîme; mais ayant, par avarice, cessé de donner au dieu ce qui lui revenait, la mer inonda leurs mines et les fit disparaître. [3] Les Liparéens y ont aussi dédié des statues pour une victoire navale qu'ils avoient remportée sur les Tyrrhéniens. Ces Liparéens étaient une colonie de Cnidiens dont le chef était aussi Cnidien; Antiochus, fils de Xénophane, Syracusain, dit dans son ouvrage sur la Sicile, qu'il se nommait Pentathlus ; il ajoute qu'ils s'établirent d'abord dans la Sicile sur le promontoire Pachyne, où ils fondèrent une ville; en ayant été chassés à la suite d'une guerre par les Elymes et les Phéniciens, ils s'emparèrent des îles qui portent encore maintenant le nom d'îles d'Éole, qu'elles ont dans les vers d'Homère, soit que ces îles fussent alors désertes, soit qu'ils eussent chassé les habitants. [4] Ils occupent celle de Lipara, où, ils fondèrent une ville, et ils cultivent Hiéra, Strongylé et Didymes, où ils passent avec leurs vaisseaux. On voit dans l'île de Strongylé du feu qui sort de la terre ; il en sort aussi du sommet d'Hiéra : on trouve dans cette île, sur les bords delà mer, des bains très agréables, mais seulement vers le soir, car le reste du jour ils sont trop chauds pour qu'on puisse y entrer. [5] Le trésor des Thébains, ainsi que celui des Athéniens, a été construit à cause de quelques avantages à la guerre. J'ignore si les Cnidiens ont fait construire le leur à la suite de quelque victoire, ou seulement pour faire montre de leur opulence: quant aux Thébains, nous savons que c'est à cause de la victoire de Leuctres qu'ils ont bâti leur trésor, et que les Athéniens ont construit le leur des dépouilles de ceux qui avaient débarqué à Marathon. Les Cléonéens furent affligés de la peste, de même que les Athéniens; et, d'après un oracle rendu à Delphes, ils sacrifièrent un bouc au soleil levant; la maladie ayant cessé, ils envoyèrent un bouc de bronze  à Apollon. Les Potidéates de la Thrace et les Syracusains ont fait ériger chacun un trésor, les premiers par pure dévotion envers le dieu, et les Syracusains après l'éclatante défaite de l'armée Athénienne. [6] Les Athéniens eux-mêmes ont fait ériger un portique avec le produit du butin qu'ils firent sur les Péloponnésiens et les autres peuples de la Grèce qui étaient alliés avec eux. On y voit des proues de vaisseaux avec leurs ornements et des boucliers en cuivre ; dessus est une inscription qui nous fait connaître les villes sur lesquelles les Athéniens firent ce hutin ; ces villes sont Élis, Lacédémone, Sicyone, Megare, Pellène dans l'Achaie ; Ambracie, Leucade et Corinthe elle-même.  Ce fut, à ce que je pense, à la suite de ces victoires navales que les Athéniens sacrifièrent à Thésée et à Neptune sur le promontoire Rhium. L'inscription roule sur Phormion, fus d'Asopichus, et sur ses exploits.

СНАPITRE XII.

Hérophile la Sibylle. Ruines de Marpesse. Sibylle de Cumes. Sabbé la juive. Phaennis.

[1] ON voit près de là une roche qui s'élève au-dessus de la terre ; les Delphiens assurent qu'Hérophile surnommée la Sibylle, se tenait sur cette roche pour chanter ses oracles. La première qui ait porté ce nom de Sibylle et qui me paraît remonter à la plus haute antiquité, est celle que les Grecs disent fille de Jupiter et de Lamie, fille de Neptune; elle est, suivant eux, la première femme qui ait prononcé des oracles, et ils ajoutent que ce fut des Libyens qu'elle reçut le nom de Sibylle. [2] Hérophile est d'une époque plus récente que celle-là; il paraît néanmoins qu'elle florissait avant le siège de Troie, car elle annonça dans ses oracles qu'Hélène naîtrait et serait élevée à Sparte pour le malheur de l'Asie et de l'Europe, et que Troie serait à cause d'elle prise par les Grecs. Les Déliens rappellent un hymne de cette femme sur Apollon; elle se donne dans ses vers non seulement le nom d'Hérophile, mais encore celui de Diane ; elle se dit dans un endroit l'épouse légitime d'Apollon, dans un autre sa sœur et ensuite sa fille ; elle débite tout cela comme furieuse et possédée du dieu. [3] Elle prétend dans un autre endroit de ses oracles, qu'elle est née d'une mère immortelle, l'une des nymphes du mont Ida, et d'un père mortel. Voici ses expressions : Je suis née d'une race moitié mortelle, moitié divine ; ma mère est immortelle, mon père vivait d'aliments grossiers. Par ma mère je suis originaire du mont Ida, ma patrie est la rouge Marpesse consacrée à la mère des dieux, et arrosée par le fleuve Aïdonéus. [4] Il y avait encore de mon temps sur le mont Ida dans la Troade, les ruines d'une ville nommée Marpesse, au milieu desquelles vivaient environ soixante habitants ; tout le sol des environs est rougeâtre et tellement aride que le fleuve Aïdonéus entre sous terre et reparaît de nouveau ; cela lui arrive plusieurs fois jusqu'à ce qu'il disparaisse entièrement, ce qui vient, et je crois, de ce que le sol du mont Ida est dans cet endroit très léger et rempli de crevasses. Marpesse est à environ deux cent quarante stades d'Alexandrie dans la Troade ; [5] les habitants de cette Alexandrie disent qu'Hérophile était chargée du soin du temple d'Apollon Sminthéus, et qu'elle prédit à Hécube d'après un songe que cette dernière avait eu, ce qui arriva dans la suite. Cette Sibylle passa la plus grande partie de sa vie à Samos; elle alla ensuite à Claros dans le pays des Colophoniens, à Délos et à Delphes. Arrivée dans ce dernier endroit, elle se tenait sur cette roche, d'où elle rendait ses oracles ; [6] elle finit ses jours dans la Troade, où elle a son tombeau dans le bois sacré d'Apollon Sminthéus, et on y lit sur un cippe l'inscription suivante en vers élégiaques : Je suis cette Sibylle interprète véridique de Phébus, je suis réduite en poussière sous cette pierre, jadis vierge éloquente, maintenant muette à jamais, la parque inflexible m'enchaîne ici ; cependant par la faveur du dieu que j'ai jadis servi, je suis dans le voisinage des nymphes et de Mercure. Il y a effectivement vers son tombeau un Mercure en marbre de forme carrée, et à sa gauche, de l'eau qui se rend dans une fontaine, et des statues de nymphes. [7] Les Érythréens qui sont de tous les Grecs ceux qui revendiquent Hérophile avec le plus de chaleur, montrent sur le mont Corycus une grotte où ils disent qu'elle est née ; elle était suivant eux, fille de Théodore, berger du pays, et d'une nymphe; le surnom d'Idéa qu'on donnait à cette nymphe ne vient pas d'autre chose que de ce qu'on appelait alors Ida tous les endroits touffus; les Érythréens retranchent de ses prédictions le vers où il est question de Marpesse et du fleuve Aïdonéus. Hypérochus de Cumes a écrit que la Sibylle qui vint après celle-là était de Cumes chez les Opiques. [8] Elle débitait ses oracles de la même manière et se nommait Démo. Les Cuméens ne peuvent montrer aucun oracle de cette femme, mais us font voir dans le temple d'Apollon, une petite urne de marbre où ils disent que sont les os de la Sibylle; dans la suite on a gravé sur cette urne le nom de Démo. [9] Les Hébreux, dont le pays est au-dessus de la Palestine, ont eu aussi chez eux une femme qui prédisait l'avenir et qui se nommait Sabbé ; elle avait à ce qu'on assure Bérose pour père et Erymanthé pour mère. Quelques personnes prétendent qu'elle était Babylonienne, d'autres la nomment la Sibylle égyptienne. [10] Phénnis, Ole d'un roi de Chaones, et les Péliades, femmes que le dieu inspirait, prédisaient aussi l'avenir à Dodone ; mais elles ne reçurent jamais le nom de Sibylles. Il est très facile de connaître l'époque où vivait Phénnis et de lire ses prédictions ; elle vivait en effet à l'époque où Antiochus remonta sur le trône, immédiatement après que Demetrius eut été fait prisonnier; quant à celles qu'on nommoit les Péliades (Colombes), elles étaient, dit-on, antérieures à Phémonoé; elles sont les premières femmes qui ayant chanté ces vers: Jupiter était, Jupiter est, Jupiter sera, ô grand Jupiter ! la terre produit des fruits ; honorez-la donc du nom de mère. [11] Les hommes qui ont fait des prédictions sont, à ce qu'on ajoute, Eucloüs, Cyprien ; Musée, fils d'Antiophémus, Athénien, et Lycus, fils de Pandion, ainsi que Bacis, Béotien, qui était inspiré par les nymphes; j'ai lu toutes leurs prédictions excepté celles de Lycus. Voilà, assure-t-on, jusqu'à présent tous ceux, tant hommes que femmes, qui ont prédit l'avenir par l'inspiration divine; il est possible qu'il en vienne d'autres avec le temps.

CHAPITRE XIII.

Autres offrandes à Delphes. Chasse des bisons. Combat d'Hercule et d'Apollon. Offrandes des Grecs et des Tarentins.

[1] C'EST Dropion, fils de Déon et roi des Péoniens, qui a envoyé à Delphes la tête du bison en bronze qu'on y voit. Les bisons sont des taureaux de la Péonie, qui de toutes les bêtes sauvages sont les plus difficiles à saisir vivantes, aucun filet n'étant assez fort pour leur résister; on les prend ainsi. Lorsque les chasseurs ont trouvé un endroit en pente rapide qui se termine par un fond creux ; ils entourent d'abord ce fond d'une palissade de pieux très forts, ils garnissent ensuite la pente et la plaine qui est au bas, de peaux toutes fraîches ; s'ils n'en ont pas, ils frottent d'huile des peaux sèches pour les rendre glissantes ; [2] après cela ceux qui montent le mieux à cheval se mettent à la poursuite des bisons et les poussent dans cet endroit; à peine ont-ils mis le pied sur les premières peaux qu'ils glissent et coulent le long de la descente jusqu'à ce qu'ils soient arrivés en bas ; on les laisse là, d'abord sans s'en occuper; mais vers le quatrième ou le cinquième jour au plus tard, lorsque la faim et la fatigue leur ont fait perdre la plus grande partie de leur férocité, [3] ceux dont le métier est de les apprivoiser, leur présentent, tandis qu'ils sont encore couchés, des pignons de pin cultivé, épluchés avec le plus grand soin ; car dans le premier moment ces animaux ne voudraient pas toucher à d'autre nourriture, et finalement, les ayant attachés, ils les emmènent; voilà comme on prend les bisons. [4] Vis-à-vis cette tête en bronze de bison, on voit une statue qui représente un homme couvert d'une cuirasse avec un manteau par dessus; les Delphiens disent que c'est une offrande des Andriens offerte par Andréus, leur fondateur. Les statues d'Apollon, de Minerve et de Diane ont été consacrées par les Phocéens du produit du butin qu'ils avaient fait sur les Thessaliens, leurs voisins, (excepté du côté où ils en sont séparés par les Locriens Hypocnémidiens), et leurs ennemis éternels. [5] Les offrandes qui viennent ensuite, sont un char sur lequel est une statue d'Ammon, donné par les Cyrénéens présent des Macédoniens de Dium, ville située sous le mont Piérie ; Achille à cheval, et Patrocle courant à pied à côté de lui, offrande des Thessaliens de Pharsale. Les Doriens de Corinthe ont aussi fait construire un trésor où l'on voyait l'or offert par les rois de Lydie. [6] La statue d'Hercule est un don que firent les Thébains, lorsqu'ils eurent terminé la guerre contre les Phocéens, nommée la Guerre Sacrée. Vous voyez aussi des statues en bronze, dédiées par les Phocéens, lorsque dans un second combat ils eurent mis en fuite la cavalerie Thessalienne. Les Phliasiens ont placé à Delphes un Jupiter en bronze avec une statue d'Égine. L'Apollon en bronze est un don des Arcadiens de Mantinée, il est à peu de distance du trésor des Corinthiens. [7] Vous remarquez ensuite Apollon et Hercule qui tiennent tous deux le trépied et prêts à se battre à ce sujet; Latone et Diane cherchent à apaiser la fureur d'Apollon, et Minerve, celle d'Hercule. C'est encore une offrande des Phocéens, qu'ils dédièrent lorsque Téllias, Éléen, leur eut fait remporter la victoire sur les Thessaliens. Toutes les autres statues ont été faites en commun par Dyllus et Amyclée ; à l'exception de Minerve et de Diane qui sont de Chionis; ces sculpteurs étaient, à ce qu'on assure, tous trois Corinthiens. [8] On raconte à Delphes qu'Hercule, fils d'Amphitryon, étant venu consulter l'oracle, la prophétesse Xénoclie ne voulut pas lui faire de réponse à cause du meurtre d'Iphitus; ayant alors pris le trépied, il l'emporta hors du temple, et la prophétesse dit : L'Hercule de Tirynthe est tout autre que l'Hercule  de Canope. Un Hercule Égyptien était en effet venu à Delphes plus anciennement; alors cependant le fils d'Amphitryon rendit le trépied à Apollon, et il apprit de Xénoclie ce qu'il voulait savoir. Les poètes s'étant emparés de cette tradition, chantent le combat d'Hercule contre Apollon au sujet du trépied.  [9] Les Grecs, après la bataille de Platées, dédièrent en commun un trépied d'or soutenu par un serpent de bronze ; tout ce qui était de bronze s'est conservé jusqu'à présent  : il n'en est pas de même de l'or, les généraux des Phocéens ne l'ayant pas laissé. [10] Les Tarentins ont encore envoyé une offrande à Delphes pour la dîme du butin qu'ils avoient pris sur les Peucétiens, peuple barbare. Ce sont des statues faites par Onatas d'Égine par Calynthus ; elles représentent des gens à pied et des gens à cheval ; on y remarque Opis, roi des lapygiens, qui était venu au secours des Peucétiens ; il a été tué dans le combat, son corps est étendu ; les héros Taras et Phalanthus de Lacédémone sont auprès, et à peu de distance de ce dernier un dauphin ; on dit en effet qu'avant d'arriver en Italie, Phalanthus fit naufrage dans la mer de Crissée, et qu'il fut porté à terre par un dauphin.

CHAPITRE XIV.

Cygnus et Tennnès. Offrandes des Grecs et de Thémistocle. Offrandes des habitants de Delphes. Statue dorée de Phryné.

[1] LES haches qu'on voit ensuite sont une offrande de Périclytus, fils d'Eutymachus, Ténédien ; il les a offertes d'après une ancienne tradition que voici : Cygnus était, à ce qu'on prétend, fils de Neptune, et roi de Colones, ville située dans la Troade, vis-à-vis l'île Leucophrys ; [2] il avait épousé Proclée, fille de Clytius, et sœur de Calétor, qui, à ce que dit Homère dans l'Iliade, fut tué par Ajax au moment où il allait mettre le feu au vaisseau de Protésilas ; il en avait eu une fille et un fils, Hémithéa et Tennès. Proclée étant morte, Cygnus épousa Philonomé, fille de Craugasus, qui était devenue amoureuse de Tennès; n'ayant pu le rendre sensible à sa passion, elle le calomnia auprès de son mari, en assurant qu'il avait voulu la séduire, et qu'elle lui avait résisté. Cygnus ayant cru ce qu'elle lui disait, enferma Tennès et sa sœur dans un coffre qu'il jeta à la mer ; [3] les flots les portèrent dans l'île de Leucophrys qui prit de Tennès le nom qu'elle porte encore maintenant. Cygnus, dans la suite, ayant reconnu qu'il avait été trompé, s'embarqua pour aller chercher son fils, lui avouer son imprudence, et en obtenir le pardon; il aborda dans l'île, et attacha à une pierre ou à un arbre une corde pour retenir son vaisseau; mais Tennès, par colère, la coupa d'un coup de hache : [4] c'est pourquoi il a passé en usage de dire de celui qui a refusé durement quelque chose, il l'a coupé avec la hache Ténédienne. Les Grecs assurent que Tennès fut tué par Achille en défendant son pays. Plus tard les Ténédiens, se sentant trop faibles, allèrent se réunir à ceux qui habitaient Alexandrie sur le continent de la Troade.

[5] Les Grecs, après la guerre contre le roi des Perses, dédièrent à Olympie un Jupiter en bronze ; ils dédièrent aussi à Delphes une statue d'Apollon pour les victoires navales qu'ils avoient remportées vers Artémisium et à Salamine. On dit aussi que Thémistocle vint à Delphes apporter à Apollon quelques dépouilles des Mèdes, et qu'ayant interrogé i'oracle au sujet de ces offrandes pour savoir s'il les placerait dans l'intérieur du temple, la Pythie lui ordonna de les emporter tout à fait hors de l'enceinte sacrée. Voici quel fut l'oracle qu'elle rendit à ce sujet : Ne place pas dans mon temple les riches dépouilles des Perses et emporte-les au plus vite dans ta maison. [6] On s'étonnera sans doute que de tous ceux qui apportèrent des dépouilles des Mèdes à Delphes, Thémistocle soit le seul qui ait essuyé un refus ; il y en a qui croient que le dieu aurait refusé également tout ce qui venait des Perses, si les autres, avant que de faire leur offrande, lui avaient fait la même question que Thémistocle. D'autres pensent que le dieu, sachant que Thémistocle aurait recours à la protection du roi de Perse, ne voulut pas recevoir ses présents, de peur que ce monument ne rendît le Mède son ennemi irréconciliable. L'expédition des Barbares contre la Grèce se trouve prédite dans les oracles de Bacis, et il en avait été question même auparavant dans ceux d'Euclus. [7] On voit tout auprès du grand autel un loup en bronze, offrande des Delphiens; ils racontent qu'un homme ayant volé de l'or consacré au dieu, alla, en l'emportant, se cacher dans l'endroit du Parnasse le plus garni d'arbres sauvages, et qu'un loup, survenu pendant qu'il dormait, le tua. Ce loup venant tous les jours hurler dans la ville, les habitants crurent que la volonté divine y était pour quelque chose ; ils le suivirent donc, et ils retrouvèrent l'or sacré ; ce fut en mémoire de cela qu'ils consacrèrent au dieu ce loup en bronze. [1] La statue dorée de Phryné est l'ouvrage de Praxitèle, qui était aussi un de ses amants; c'est Phryné elle-même qui l'a dédiée.

CHAPITRE XV.

Autres offrandes à Delphes. Oracle sur l'expédition des Gaulois. Battus recouvre la voix.

APRÈS Phryné viennent deux statues d'Apollon, dont l'une est une offrande des Épidauriens de l'Argolide après la défaite des Mèdes; les Mégaréens dédièrent l'autre, lorsqu'ils eurent vaincu les Athéniens vers Nisée. On voit dans le même endroit un bœuf que les Platéens offrirent lorsque de concert avec les autres Grecs, ils eurent vaincu Mardonius, fils de Gobryas, dans leur propre pays. On trouve ensuite deux autres Apollon, dont l'un est un don des Héracléotes du Pont-Euxin, et l'autre a été offert par les Amphictyons qui le firent faire de l'amende à laquelle furent condamnés les Phocéens pour avoir cultivé le terrain consacré au dieu. [2] Les Delphiens donnent à cet Apollon le surnom de Sitalcas; il a trente-cinq coudées de haut ; plusieurs statues de généraux qui viennent ensuite, celles de Diane, de Minerve et les deux d'Apollon, ont toutes été offertes par les Étoliens après la défaite des Gaulois. L'expédition des Gaulois, leur passage d'Europe en Asie, et les ravages qu'ils y commirent, tout cela avait été prédit par Phennis une génération auparavant. Voici sa prophétie : Alors une redoutable armée [3] de Gaulois, traversant le détroit de l'Hellespont, ravagera impitoyablement l'Asie; les dieux réservent un sort encore bien plus malheureux à ceux qui habitent les rivages de la mer ; mais pour peu de temps ; car Jupiter leur suscitera bientôt pour vengeur le fils chéri du taureau divin, qui exterminera tous les Gaulois. Le fils du taureau est Attale, roi de Pergame, que l'oracle nomme aussi Taurocéros (aux cornes de taureau). [4] Les Phéréens ayant mis en fuite la cavalerie Athénienne, placèrent auprès d'Apollon les généraux de leur cavalerie, à cheval. Le palmier de bronze et la statue dorée de Minerve, qui est sous ce palmier, ont été dédiés par les Athéniens à la suite des deux victoires qu'ils remportèrent dans le même jour, l'une sur terre vers les bords du fleuve Eurymédon, et l'autre sur le fleuve même avec leurs vaisseaux. [5] L'or dont cette statue est couverte est altéré en plusieurs endroits, ce que j'attribuais au crime de quelques impies ou de quelques brigands; mais Clitodémus, le plus ancien de tous ceux qui ont écrit sur l'histoire particulière de l'Attique, raconte dans son ouvrage que lorsque les Athéniens préparaient leur expédition contre la Sicile, on vit paraître à Delphes une foule incroyable de corbeaux qui se jetèrent sur cette statue et en arrachèrent l'or avec leurs becs ; il ajoute qu'ils brisèrent la pique de la déesse, la chouette et les fruits qu'on avait mis sur les palmiers, à l'imitation des fruits naturels : [6] Clitodémus rapporte encore d'autres présages qui dévoient détourner les Athéniens de cette expédition. Les Cyrénéens ont placé à Delphes un char sur lequel est Battus, qui les amena, par mer, de Théra dans la Libye ; le char est conduit par Cyrène : Battus est dessus avec la Libye qui le couronne ; le tout est l'ouvrage d'Amphion, Gnossien, fils d'Acestor. [7] On dit qu'après avoir fondé Cyrène, Battus fut guéri de sa difficulté à parler de la manière suivante : Les Cyrénéens parcourant le pays, il aperçut un lion dans un endroit très reculé et encore désert ; la frayeur qu'il eut de cet animal lui fit jeter un cri très fort et bien articulé. On voit à peu de distance de Battus un antre Apollon que les Amphictyons ont aussi fait faire du produit d'une amende à laquelle les Phocéens avaient été condamnés envers le dieu .

CHAPITRE XVI.

Coupe d'Halyatte. Milieu de la terre d'après les Delphiens. Autres offrandes à Delphes.

[1] DE tous les dons que les rois des Lydiens avaient envoyés à Delphes, il n'y reste plus que la soucoupe de fer qui supportait la coupe offerte par Halyatte. Cette soucoupe est l'ouvrage de Glaucus de Chio, qui a inventé l'art de souder le fer; chacune des lames qui la composent est attachée aux autres, non par des pointes ni par des clous, mais seulement par la soudure qui les unit toutes les unes aux autres. [2] Elle est en forme de tour, large par le bas, et s'étrécissant jusqu'en haut ; les côtés ne sont pas pleins, ce sont des bandes de fer transversales, les unes au-dessus des autres, comme les barreaux d'une échelle ; les lames de fer qui forment les montants se renversent en dehors par le haut : c'était là-dessus qu'on posait la coupe. [3] Ce que les Delphiens nomment le nombril est en marbre blanc ; c'est, à ce qu'ils prétendent, le milieu de la terre, et Pindare a dit la même chose qu'eux dans une de ses odes. [4] Les Lacédémoniens  ont dédie dans le même endroit une statue, ouvrage de Calamis; elle représente Hermione, fille de Ménélas, épouse d'Oreste, fils d'Agamemnon, et qui avait été mariée précédemment à Néoptolème, fils d'Achille. Les Étoliens y ont aussi placé Eurydamus, général qui les commanda dans la guerre contre les Gaulois. [5] Il y avait encore de mon temps, dans les montagnes de la Crète, une ville nommée Elyros ; ses habitants ont envoyé à Delphes une chèvre de bronze. Cette chèvre allaite deux petits enfants, Phylacide et Phylandre, qui étaient, à ce que prétendent les Elyréens, fils d'Apollon et de la nymphe Acacallis; ils ajoutent qu'Apollon avait obtenu les faveurs de cette nymphe à Tarrha, dans la maison de Carmanor. [6] Les Carystiens de l'Eubée dédièrent aussi un bœuf de bronze à Apollon après la victoire sur les Mèdes. Je pense que les Carystiens et les Platéens ont ainsi dédié des bœufs à Apollon, parce qu'après avoir repoussé les Barbares, ils se voyaient assurés de la possession de leurs autres biens, et labouraient un territoire absolument libre. Les statues de généraux, celles d'Apollon et de Diane sont une offrande que fit le peuple Etolien, lorsqu'il eut subjugué les Acarnaniens, ses voisins. [7] J'ai ouï raconter une chose fort extraordinaire qui arriva aux Liparéens. La Pythie leur ordonna de se présenter au combat contre les Tyrrhéniens avec le nombre de vaisseaux le moindre possible ; ils allèrent donc contre eux seulement avec cinq trirèmes. Les Tyrrhénéens, qui ne se croyaient pas inférieurs aux Liparéens dans l'art de la navigation, se présentèrent avec le même nombre de vaisseaux ; les Liparéens les prirent, ils prirent aussi les cinq qui vinrent après, et ainsi de suite jusqu'à la quatrième fois ; ils dédièrent donc à Delphes autant de statues d'Apollon qu'ils avaient pris de vaisseaux. [8] Echécratidès de Larisse a dédié une petite statue d'Apollon qui est, à ce que disent les Delphiens, la première de toutes les offrandes qui aient été faites au dieu.

CHAPITRE XVII.

Offrandes des Sardoniens. Île de Sardaigne. Aristée. Les Grecs et les Troyens. Île de Corse. Rire sardonique.

[1] LES Barbares qui habitent la Sardaigne, île située au couchant, ont envoyé à Delphes la statue en bronze de celui dont ils ont pris le nom. La Sardaigne peut, pour son étendue et sa fertilité, se comparer aux îles les plus vantées. Je ne sais quel était l'ancien nom que lui donnaient ses habitants, mais les Grecs qui y naviguaient pour le commerce, la nommaient Ichnusa parce qu'elle a absolument la forme du pied d'un homme ; elle a onze cent vingt stades de long et environ quatre cent soixante-dix de large. [2] On assure que les Libyens furent les premiers qui y vinrent avec leurs vaisseaux ; ils avoient pour chef Sardus, fils de Macéris, surnommé Hercule par les Égyptiens et les Libyens ; le voyage le plus célèbre qu'ait fait cе Macéris lui-même, a été celui de Delphes. Sardus ayant le commandement des Libyens qui s'étaient établis à Ichnusa, cette île changea de nom et prit de lui celui de Sardaigne. Les Libyens ne chassèrent cependant pas les naturels du pays, et ceux-ci les admirent à leur arrivée, plutôt par contrainte que de bonne volonté, à partager leur pays. Comme ni les Libyens ni les gens du pays ne savaient bâtir, ils vivaient épars, et, lorsqu'ils en rencontraient, dans des cabanes ou dans des cavernes ; [3] plusieurs années après, Aristée et les Grecs qu'il avait avec lui, vinrent dans cette île. Aristée était, à ce qu'on dit, fils d'Apollon et de Cyrène; profondément affecté des malheurs arrivés à Actéon, et ayant pris la Béotie et toute la Grèce en horreur, il vint, à ce qu'on prétend, par cette raison, s'établir dans la Sardaigne, il y en a qui racontent que Dédale se trouvant à cette époque obligé de quitter Camicus à cause de l'expédition des Crétois, s'associa avec Aristée pour cette colonie; [4] mais il n'est nullement probable que Dédale ait pu s'associer ou pour une colonie, ou pour toute autre chose avec Aristée qui avait épousé Autonoé, fille de Cadmus ; Dédale en effet, florissait à l'époque du règne d'OEdipe à Thèbes. Au reste ceux qui vinrent avec Aristée, ne fondèrent pas non plus de ville, n'étant, à ce que je crois, ni assez forts ni assez nombreux pour cela. [5] Postérieurement à Aristée, les Ibériens passèrent en Sardaigne sous la conduite de Norax, et ils fondèrent Nora, qui fut, à ce qu'on dit, la première ville de cette île. Norax était, assure-t-on, fils de Mercure et d'Erythie, fille de Géryon. La quatrième expédition, composée de Thespiens et d'Athéniens, vint en Sardaigne sous les ordres d'Iolas, et y bâtit la ville d'Olbia ; les Athéniens élevèrent en leur particulier Ogryllé, qu'ils nommèrent ainsi, soit pour conserver le nom de quelqu'un des bourgs de l'Attique, soit parce que Gryllus faisait partie de l'expédition. On voit encore maintenant dans la Sardaigne des endroits nommés lolaïa, et les habitants de cette île rendent des honneurs à lolas. [6] Lorsque Troie fut prise, beaucoup de Troyens s'enfuirent, et quelques-uns de ceux qui s'étaient échappés avec Énée, furent jetés par les vents dans la Sardaigne, où ils se mêlèrent avec les Grecs qui y étaient déjà établis ; les Barbares ne firent point la guerre aux Grecs et aux Troyens, d'abord parce que les moyens militaires étaient à peu près les mêmes des deux côtés ; en second lieu, parce qu'ils n'osaient ni les uns ni les autres traverser le fleuve Thorsus qui séparait leurs pays respectifs. [7] Nombre d'années après, les Libyens passèrent de nouveau dans cette île avec des forces plus considérables, et commencèrent à faire la guerre aux Grecs qui périrent presque tous à cette époque, ou tout au moins il en resta bien peu. Quant aux Troyens, ils se réfugièrent sur les hauteurs de l'île, dans des montagnes inaccessibles par leurs rochers et leurs précipices, et ils portent encore aujourd'hui le nom d'Iliens; cependant ils ressemblent pour la figure aux Libyens, dont ils ont adopté les armes et tout le genre de vie. [8] Il y a tout auprès de la Sardaigne une île nommée Cyrnos par les Grecs, et Corse par les Libyens qui l'habitent : une portion assez considérable d'insulaires ayant eu le dessous dans des troubles civils, passa en Sardaigne et s'empara de la partie des montagnes où elle s'établit. Les Sardes donnent à ces habitants le nom de Corses qu'ils ont apporté de leur patrie. [9] Les Carthaginois, à l'époque de leur plus grande puissance sur mer, subjuguèrent tous les peuples de la Sardaigne, excepté les Iliens et les Corses, qui, retranchés dans leurs montagnes, échappèrent à l'asservissement; les Carthaginois fondèrent eux-mêmes dans cette île deux villes, Carnalis et Sulcos. Quelques-uns des alliés des Carthaginois, soit Libyens, soit Ibériens, étant entrés en différent avec eux sur le partage du butin, les abandonnèrent dans un mouvement de colère, et allèrent aussi s'établir dans la partie élevée de l'île; ils prirent le nom de Balares, qui, dans le langage des Cyrniens, veut dire fugitifs. [10] Telles sont les races qui habitent la Sardaigne, et c'est ainsi qu'ils s'y établirent. Du côté du nord et du continent de l'Italie, cette île est bordée de montagnes inaccessibles et dont les sommets se touchent. En suivant la côte, vous trouvez dans cette partie des ports pour les vaisseaux ; mais des vents irréguliers et très violents soufflent perpétuellement du haut de ces montagnes dans la mer. [11] On trouve dans le milieu de l'île d'autres montagnes moins élevées ; l'air, dans cette partie, est la plupart du temps chargé de vapeurs et malsain, ce qui est occasionné par des concrétions salines et par un vent du sud, lourd et violent, qui y domine : les montagnes qui sont du côté de l'Italie empêchent les vents du nord d'y pénétrer et d'y rafraîchir l'air et le sol pendant les chaleurs de fêté. D'autres pensent que l'île de Cyrnos, qui n'est séparée de la Sardaigne que par un bras de mer d'environ huit stades, et qui est montagneuse et très élevée dans toute son étendue, empêche les vents du nord et le zéphyr de s'y faire sentir. [12] Les serpents de cette île ne sont pas dangereux pour les hommes, cependant ils ne sont pas tout à fait exempts de venin : on n'y voit point de loups ; les béliers sauvages n'y sont pas plus grands qu'ailleurs, mais ils ont la même forme que ces béliers qu'on voit parmi les ouvrages de terre de fabrique Eginète ; ils ont cependant la poitrine plus velue, et leurs cornes ne s'écartent pas autant, mais elles se recourbent tout de suite vers les oreilles : ils surpassent en vitesse tous les animaux sauvages. [13] Il n'y a dans toute l'île qu'une seule espèce de plante dont le venin soit mortel; elle ressemble à de l'ache, et ceux qui en mangent meurent, à ce qu'on dit, en riant : c'est pour cela qu'Homère et ceux qui l'ont suivi, donnent le nom de rire Sardonique à celui qui est occasionné par quelque chose de désagréable. Cette plante croît plus particulièrement autour des fontaines; elle ne leur communique cependant pas sa qualité vénéneuse. J'ai cru pouvoir insérer cette digression sur la Sardaigne dans la description de la Phocide, principalement parce que cette île est très peu connue des Grecs.

CHAPITRE XVIII.

Offrandes des Achéens. Prise de Phana. Autres offrandes des Rhodiens, des Ambraciotes, des Ornéates, de Tisagoras, des Marseillais, des Étoliens et de Gorgias de Léontium.

[1] LE cheval qui est après la statue de Sardus est un don de Callias, Athénien, fils de Lysimachides, qui l'offrit, à ce qu'on prétend, après s'être enrichi en particulier par la guerre des Perses. Les Achéens s'étant emparés, à la suite d'un siège, d'une ville d'Étolie, dédièrent une statue de Minerve ; la ville qu'ils prirent se nommoit Phana. Le siège, disent-ils, avait déjà duré très longtemps ; cependant comme ils ne pouvaient la prendre, ils envoyèrent des députés à Delphes ; voici l'oracle qu'ils reçurent : [2]  Achéens du pays de Pélops, vous venez à Pitho pour demander quand vous pourrez prendre la ville que vous tenez assiégée ; eh bien ! examinez quelle quantité d'eau boivent chaque jour ceux qui défendent ses murs ; c'est ainsi que vous prendrez Phana, quoique bien fortifiée. [3] Les Achéens, ne sachant pas ce que l'oracle voulait dire, délibéraient s'ils lèveraient le siège et retourneraient chez eux, et ceux qui étaient dans la ville paraissaient s'inquiéter très peu de leurs projets ; mais une femme étant sortie de Phana pour aller chercher de l'eau à une source qui était au bas des murs, quelques soldats coururent après et la saisirent ; les Achéens ayant appris d'elle que le peu d'eau qu'on venait puiser chaque nuit à cette fontaine, et qu'on partageait aux assiégés, était la seule ressource qu'ils eussent contre la soif, ils la comblèrent, et prirent alors la ville. [4] Auprès de cette Minerve est une statue d'Apollon qui a été dédiée par les Rhodiens de Lindos ; on y voit aussi un âne de bronze que les Ambraciotes offrirent après avoir vaincu les Molosses dans un combat nocturne. Les Molosses avaient disposé pendant la nuit une embuscade contre eux ; un âne, que quelqu'un avait par hasard amené des champs, se mit à sauter et à braire en poursuivant une ânesse. L'homme qui le conduisait courut âpres en jetant des cris rauques et inarticulés : les Molosses alors, prenant l'épouvante, sortirent de l'endroit où ils s'étaient cachés; les Ambraciotes ayant ainsi découvert leur projet les attaquèrent dans la nuit même, et remportèrent la victoire sur eux. [5] Les Ornéates de l'Argolide se voyant extrêmement pressés par les Sicyoniens, firent vœu à Apollon, s'ils parvenaient à les chasser de leur pays, d'envoyer tous les jours à Delphes une procession, et de sacrifier au dieu un nombre déterminé de victimes choisies. Ils obtinrent la victoire; mais comme l'accomplissement de leur vœu les entraînait dans une dépense journalière très considérable, et que la fatigue que cela leur occasionnait était encore plus grande, ils imaginèrent de consacrer au dieu la représentation en bronze d'un sacrifice et d'une procession. [6] On voit dans le même endroit celui des travaux d'Hercule relatif à l'hydre; c'est en même temps une offrande et un ouvrage de Tisagoras : Hercule et l'hydre sont en fer. Il est extrêmement difficile de faire des statues avec du fer, et cela exige beaucoup de travail; c'est donc une chose très curieuse que cet ouvrage de Tisagoras, que je ne connais pas autrement. On voit à Pergame une tête de lion et une de sanglier également en fer, et qui ne méritent pas moins d'être admirées : on les a placées dans le temple de Bacchus. [7] Les Phocéens d'Elatée, après avoir, à l'aide d'Olympiodore, venu d'Athènes à leur secours, défendu leur ville contre Cassandre qui l'assiégeait, envoyèrent à Delphes, un lion de bronze. L'Apollon qui est tout auprès du lion est une offrande des Marseillais pour les prémices d'une victoire navale qu'ils avoient remportée sur les Carthaginois. Les Étoliens y ont fait placer un trophée et une statue de femme armée de toutes pièces: cette femme est l'Étolie. Ils firent ces offrandes, lorsqu'ils eurent tiré vengeance des cruautés que les Gaulois avaient exercées sur les Calliéens. Vous voyez ensuite une statue dorée, offrande de Gorgias de Léontium, qui représente Gorgias lui-même.

CHAPITRE XIX.

Statues de Scyllis et de Cysné. Tradition des Lesbiens sur Bacchus Céphallénien. Expéditions de Gaulois et leur armée.

[1] LA statue de Scyllis de Scyone, que vous voyez auprès de celle de Gorgias, est une offrande des Ampbictyons. Ce Scyllis avait la réputation de plonger même dans les endroits les plus profonds de la mer; il y avait exercé Cyané, sa fille ; [2] et lorsque l'armée navale de Xerxès fut assaillie par une violente tempête vers le mont Pélion, ils contribuèrent beaucoup aux pertes qu'elle fit , en allant par-dessous les eaux arracher les ancres et tout ce qui serve à retenir les vaisseaux ; c'est pourquoi les Amphictlons placèrent â Delphes Scyllis et sa fille : mais la statue de Cyané est du nombre de celles que Néron emporta de Delphes. Les filles véritablement vierges sont celles qui plongent avec le plus de facilité dans la mer. [3] Je vais maintenant rapporter une tradition des Lesbiens. Des pêcheurs, vers Méthymne, amenèrent de la mer, dans leurs filets, une tête faite en bois d'olivier ; cette tête paraissait bien avoir quelque chose de divin , cependant elle était étrangère et ne ressemblait en rien aux dieux de la Grèce. Les Méthymnéens consultèrent donc la Pythie pour savoir quel dieu ou quel héros représentait cette figure; elle leur ordonna de l'adorer sous le nom de Bacchus Céphallénien. D'après cela les Méthymnéens conservent chez eux cette tête; ils l'honorent par des prières et des sacrifices, et ils en ont envoyé une copie en bronze au temple d'Apollon.

[4] On a représenté sur les frontons du temple, Diane, Latone, Apollon, les Muses, le coucher du soleil, Bacchus et les femmes nommées les Thyiades; les premières de ces figures sont l'ouvrage de Praxias, Athénien, élève de Galamis. Praxias étant mort avant que le temple ne pût être achevé, ce qui restait à faire fut exécuté par Androsthène, aussi Athénien, et élève d'Eucadmus. Des boucliers d'or qui sont sur les architraves, les uns ont été dédiés par les Athéniens après la bataille de Marathon, et ceux qui sont derrière et à gauche, sont les boucliers des Gaulois qui ont été offerts par les Étoliens, ils se rapprochent beaucoup pour la forme de ceux des Perses nommés Gerra.

[5] J'ai déjà dit quelque chose de l'expédition des Gaulois contre la Grèce, en parlant, dans la description de l'Attique, de l'édifice où s'assemble le Sénat; je me réservais de la décrire plus au long lorsque j'en serais à Delphes, parce que c'est là que se livrèrent la plupart des combats des Grecs contre eux. La première expédition des Gaulois hors de leur pays, se fit sous les ordres  de Cambaulès ; s'étant avancés jusque dans la Thrace, ils n'osèrent pousser leur marche plus avant, parce qu'ils étaient en trop petit nombre pour faire la guerre aux Grecs. [6] Ils formèrent une seconde fois le projet d'aller porter leurs armes contre d'autres peuples, excités principalement par ceux qui avoient été de l'expédition de Cambaulès : ayant déjà essayé de cette vie de rapines et de brigandages, ils étaient entraînés par la cupidité. Ils rassemblèrent donc une grande quantité de gens de pied et une cavalerie non moins nombreuse. Leurs chefs divisèrent l'armée en trois corps qui reçurent l'ordre d'aller chacun dans un pays différent. [7] Céréthrius devait en conduire un dans la Thrace et dans le pays des Triballes ; Brennus et Acichorius étaient à la tête de ceux qui allèrent dans la Рéonie, et Bolgius, avec une autre armée, marcha contre les Macédoniens et les Illyriens. Il livra un combat à Ptolémée, qui était alors roi de la Macédoine. Ce Ptolémée est celui qui tua par trahison Séleucus, fils d'Antiochus, quoiqu'il se fût réfugié vers ce prince comme suppliant. On lui avait donné le surnom de Céraunus (le foudre), à cause de son extrême audace ; il fut tué dans ce combat, où il périt un très grand nombre de Macédoniens. Les Gaulois n'osèrent cependant pas, même alors, s'avancer pour entrer dans la Grèce, et leur armée retourna pour la seconde fois dans leur pays. [8] Après leur retour, Brennus se mit à faire les plus vives instances tant aux assemblées du peuple qu'en particulier à chacun des Gaulois en charge, pour les engager à porter leurs armes dans la Grèce, en leur représentant la faiblesse actuelle des Grecs, l'opulence de leurs villes et la richesse de leurs temples, soit en offrandes de toutes les espèces, soit en or et en argent monnayé. Il parvint donc à décider les Gaulois à faire une expédition dans la Grèce ; il s'associa pour le commandement quelques-uns des principaux, et entre autres Acichorius. [9] L'armée qu'on rassembla se montait à cent cinquante-deux mille hommes d'infanterie, et à vingt mille quatre cents hommes de cavalerie; il y avait un pareil nombre de cavaliers toujours en activité, mais ils étaient réellement soixante-un mille deux cents ; chaque cavalier avait en effet avec lui deux domestiques, bons écuyers eux-mêmes; et qui avaient aussi des chevaux. Lorsque la cavalerie a engagé le combat, ces domestiques se tiennent derrière le corps d'armée, et voici à quoi ils servent. [10] S'il arrive à un cavalier de perdre son cheval, son domestique lui en donne un sur-le-champ ; si le cavalier lui-même est tué, il monte sur le cheval à sa place ; si le cheval et le cavalier sont tués ensemble, il y a un autre cavalier tout prêt; enfin, si le maître est blessé, l'un des esclaves l'emmène dans le camp, et l'autre prend sa place dans les rangs. [11] Je pense que les Gaulois ont établi cela à l'imitation de ce corps de dix mille hommes que les Perses nommaient les Immortels, avec cette différence que les Perses ne choisissaient qu'après la bataille des remplaçants pour ceux qui avoient été tués, tandis que chez les Gaulois le remplacement se faisait pendant le combat même. Ils donnent à ce corps, dans leur langue, le nom de Trimarrisia : il faut qu'on sache que les Gaulois nomment un cheval Marra. Ce fut donc avec tout cet appareil militaire, et avec le dessein dont je viens de parler, que Brennus marcha contre la Grèce.

CHAPITRE XX.

Résolution des Grecs sur l'expédition des Gaulois. Dénombrement de l'armée contre Xerxès. Armée des Grecs contre les Gaulois.

LES Grecs furent d'abord plongés dans une consternation profonde; mais la grandeur du danger les mit dans la nécessité de se défendre. Ils voyaient en effet que ce n'était pas seulement pour leur liberté qu'ils allaient combattre, comme ils l'avaient fait contre les Perses ; ils ne pouvaient pas se soustraire au danger en donnant l'eau et la terre, et ils avoient encore la mémoire toute fraîche de ce que les Gaulois avoient fait aux Macédoniens, aux Thraces et aux Péoniens dans leur première invasion, et on leur annoncent les excès auxquels ils venaient de se porter envers les Thessaliens.

[1] Chaque homme en particulier, et les villes en général, voyaient de même qu'il fallait ou périr ou être les plus forts. Si quelqu'un veut comparer le nombre de ceux qui vinrent aux Thermopyles pour attendre Xerxès, avec ceux qui s'y rassemblèrent contre les Gaulois, voici d'abord quels furent les Grecs qui marchèrent contre les Mèdes : Les Lacédémoniens, commandés par Leónidas, n'étaient pas plus de trois cents; il y avait cinq cents Tégéates et autant de Mantinéens ; cent vingt Arcadiens d'Orchomène, et mille des autres villes de l'Arcadie ; quatre-vingts de Mycènes, deux cents de Phlionte, quatre cents Corinthiens, sept cents Béotiens et quatre cents hommes de Thespie et de Thèbes ; mille Phocéens gardaient le sentier par le mont OEta : ainsi ces derniers peuvent être comptés dans l'armée grecque. [2] Hérodote ne nous apprend point quel était le nombre des Locriens Hypocnémidiens, il dit seulement qu'ils étaient venus de toutes leurs villes; ainsi il est facile de calculer par approximation combien ils pouvaient être. En effet, les Athéniens, au combat de Marathon, n'étaient pas plus de neuf mille hommes en y comprenant les esclaves et ceux qui avaient pris les armes quoique exempts par leur âge ; d'après cela on ne peut guère évaluer à plus de six mille hommes le nombre des Locriens qui vinrent aux Thermopyles, ce qui porterait l'armée entière à onze mille deux cents hommes; il ne paraît pas même qu'ils soient tous restés à garder les Thermopyles : car à l'exception des Lacédémoniens, des Mycéniens et des Thespiens, les autres se retirèrent avant la fin du combat. [3] Voici maintenant quels furent ceux des Grecs qui se rendirent aux Thermopyles lors de l'invasion des Barbares venus des bords de l'Océan. Il y avait d'abord dix mule Hoplites et cinq cents cavaliers de la Béotie. Les Béotarques d'alors étaient Céphissodotus, Théaridas, Diogène et Lysandre ; de la Phocide, cinq cents hommes de cavalerie et trois mille d'infanterie : ils étaient commandés par Critobulus et par Antiochus. [4] Midias conduisait les Locriens de l'île d'Atalante et des environs, qui formaient sept cents hommes et n'avaient point de cavalerie. Les Alégaréens avoient envoyé quatre cents Hoplites et de la cavalerie, commandée par Mégaréus. Les Étoliens formaient la plus grande partie de l'armée; ils avaient envoyé des troupes de toutes sortes. On ne dit pas à quel nombre se montait leur cavalerie, mais ils avaient quatre-vingt-dix hommes de troupes légères et sept mille Hoplites : leurs chefs étaient Polyarchus, Polyphron et Lacratès. [5] Les Athéniens avaient pour général Callippus, fils de Méroclès, comme je l'ai déjà dit précédemment. Ils avaient fourni tout ce qu'ils avaient de vaisseaux en état de tenir la mer, cinq cents cavaliers et mille hommes d'infanterie; on leur donna le commandement à cause de leur ancienne prééminence ; il leur vint aussi quelques secours de la part des rois, savoir: cinq cents hommes de la Macédoine et un nombre pareil de l'Asie. Aristodème, Macédonien, commandait les troupes qu'avait envoyées Antigone ; celles d'Antiochus avaient pour chef Télisarchus, Syrien des bords de l'Oronte. [6] Ceux des Grecs qui étaient rassemblés aux Thermopyles, ayant appris que l'armée des Gaulois était déjà dans les environs de Magnésie et dans la Phthiotide, jugèrent à propos d'envoyer mille hommes choisis de troupes légères et autant de cavaliers vers le fleuve Sperchée, afin que les Barbares ne pussent pas le passer sans livrer combat et sans courir quelques dangers. Ces troupes, à leur arrivée, rompirent les ponts et campèrent sur les bords du fleuve ; mais Brennus qui, tout barbare qu'il était, ne manquait pas tout à fait de jugement ni même d'adresse pour trouver des expédients afin de tromper ses ennemis, [7] chercha dès l'entrée de la nuit à traverser le fleuve, non à l'endroit où les ponts étaient auparavant, mais au-dessous, pour que les Grecs n'eussent point connaissance de leur passage. Il choisit donc l'endroit où le Sperchée s'étend le plus au loin dans la plaine, et forme une espèce de lac et des marais au lieu du cours rapide et étroit qu'il a partout ailleurs ; il y envoya environ dix mille hommes qu'il prit parmi ceux qui savaient le mieux nager ou qui étaient d'une stature au-dessus de l'ordinaire; on sait au reste que les Gaulois sont d'une taille beaucoup plus élevée que celle de tous les autres hommes. [8] Ces Gaulois traversèrent pendant la nuit le fleuve en cet endroit, les uns à la nage, les autres sur leurs boucliers, qui, faits à la manière de leur pays, leur servaient de radeaux, et les plus grands enfin en marchant dans le fleuve. Les Grecs qui étaient de l'autre côté du Sperchée, ayant appris qu'un corps de Barbares avait traversé le fleuve vers le marais, se retirèrent sur-le-champ dans leur camp.

CHAPITRE XXI.

Les Gaulois dévastent le pays des Héracléotes. Défaite des Gaulois. Cydias.

BRENNUS ordonna alors aux habitants des environs du golfe Maliaque, de faire des ponts sur le Sperchée, ce qu'ils exécutèrent très promptement à cause de la crainte qu'il leur inspirait, et de l'impatience où ils étaient, que les Barbares sortissent de leur pays et ne continuassent pas plus longtemps à le ravager.[9]  Brennus ayant fait passer son armée sur lès ponts, marcha vers Héraclée. Les Gaulois pillèrent le pays, et tuèrent ceux des habitants qui étaient restés dans les champs ; ils ne prirent cependant pas la ville, les Étoliens, qui, l'année, précédente avoient forcé les Héracléotes à entrer dans leur confédération, l'ayant, défendue comme leur appartenant aussi bien qu'aux Héracléotes; mais Brennus s'inquiétait assez peu de la prendre ; ce qui lui tenait le plus au coeur était de chasser l'armée ennemie des défilés, pour pénétrer dans la Grèce au-delà des Thermopyles.

[1] C'est pourquoi ayant appris par des transfuges le nombre de troupes que chaque ville avait envoyé aux Thermopyles, il se posta en avant d'Héraclée, plein de mépris pour l'armée grecque, et il commença à l'attaquer le lendemain vers le lever du soleil, sans avoir employé aucun devin grec, ni marne aucun prêtre de son pays, si toutefois les Gaulois connaissent l'art de la divination. Les Grecs alors se présentèrent au combat en silence et en bon ordre; leur infanterie s'avança en courant, mais de manière à ne pas quitter leurs rangs et à ne pas rompre leur phalange. Les troupes légères restant en place, lançaient des traits, des flèches et des pierres à coups de fronde; [2] la cavalerie fut inutile de part et d'autre, non seulement à cause des défilés, qui sont fort étroits, mais encore parce que les roches, naturellement polies, étaient devenues très glissantes par l'effet des torrents qui y avoient coulé. L'armure des Gaulois était d'une folle défense; ils n'avaient en effet que des boucliers faits à la manière de leur pays, et rien autre chose qui pût les garantir des coups; ils étaient outre cela très inférieurs aux Grecs dans l'art militaire; [3] ils se précipitaient sur leurs ennemis avec une fureur aveugle et sans jugement, comme des bêtes féroces. Pourfendus à coups de hache ou à coups d'épée, ils ne perdaient rien de leur intrépidité tant qu'il leur restait un souffle de vie : les flèches, les traits dont ils étaient percés, ne diminuaient nullement leur rage, qui ne les abandonnait qu'à la mort. Quelques-uns même, arrachant de leur corps les lances qui les avaient blessés, les jetaient à l'ennemi ou en frappaient ceux qui se trouvaient près d'eux. [4] Dans ces entrefaites, les Athéniens qui étaient sur les trirèmes s'étant avancés, non sans peine et avec beaucoup de dangers, à travers la vase dont la mer est remplie en cet endroit, et tenant leurs vaisseaux le plus près possible des Barbares, les prirent en flanc et les accablèrent de flèches et de traits de toutes les espèces. Les Gaulois se trouvant alors dans la position la plus fâcheuse, puisque, vu le peu de largeur de l'endroit où ils combattaient, ils éprouvaient beaucoup plus de mal qu'ils ne pouvaient en faire à leurs ennemis, leurs généraux firent donner le signal de la retraite; et, comme ils la faisaient pêle-mêle et en désordre, beaucoup furent foulés aux pieds, et beaucoup d'autres, se précipitant dans la mer qui est bourbeuse dans cette partie, y furent engloutis; de sorte qu'il n'en périt pas moins dans la retraite qu'il n'en avait péri dans le, fort du combat. [5] Les Athéniens furent de tous les Grecs ceux qui montrèrent le plus de valeur dans cette journée, et celui d'entre eux qui se distingua le plus, fut Cydias, qui jeune encore se trouvait alors au combat pour la première fois ; il fut tué par les Gaulois, et ses parents consacrèrent son bouclier à Jupiter Eleuthérius avec cette inscription : Ce bouclier, consacré à Jupiter, est celui de l'intrépide Cydias; il regrette encore son jeune maître. Il chargea son bras pour la première fois, lorsque le redoutable Mars sévissait contre les Gaulois. [6] On voyait cette inscription avant que Sylla et son armée eussent enlevé aux Athéniens, entre autres choses, les boucliers qui étaient sous le portique de Jupiter Eleuthérius. Après le combat, les Grecs qui se trouvaient aux Thermopyles, donnèrent la sépulture à leurs morts, et se mirent à dépouiller ceux des Barbares. Les Gaulois n'envoyèrent point de héraut pour les demander, s'inquiétant fort peu qu'ils fussent enterrés ou qu'ils fussent dévorés par les bêtes féroces et les oiseaux qui s'attachent aux cadavres. [7] Cette indifférence à l'égard des devoirs funèbres à rendre aux morts, a, suivant moi, deux motifs; l'un est la terreur qu'ils veulent inspirer à leurs ennemis ; l'autre qu'il n'est pas d'usage parmi eux de pleurer les morts. Les Grecs perdirent quarante hommes dans ce combat; quant aux Barbares, il ne fut pas possible d'évaluer exactement leur perte, beaucoup d'entre eux ayant disparu dans la vase de la mer.

CHAPITRE XXII.

LES Gaulois font une incursion dans l'Étolie. Les Étoliens attaquent les Gaulois. Ce qui se passa aux Thermopyles.

[1] LE septième jour après le combat, un bataillon de  Gaulois entreprit de monter sur l'OEta vers Héraclée, par un sentier étroit et escarpé qui passe derrière les ruines de Trachine : il y avait alors au-dessus de la Trachinie un temple de Minerve dans lequel étaient des offrandes ; les Gaulois comptaient parvenir sur l'OEta même par ce sentier, et par-dessus le marché piller le temple en passant. Ceux qui, sous les ordres de Télésarchus, étaient chargés de garder le passage, défirent les Barbares; mais Télésarchus y perdit la vie. C'était un de ceux qui montrait le plus de zèle pour la cause commune. [2] Les autres chefs des Barbares étaient stupéfaits du courage des Grecs, et désespéraient en temps de l'avenir, en voyant que tous leurs efforts n'aboutissaient à rien ; mais Brennus s'imagina que s'il forçait les Étoliens à retourner dans leur pays, la guerre contre les Grecs deviendrait beaucoup plus facile. En conséquence, ayant choisi dans son armée quarante mille hommes d'infanterie et à peu près huit cents chevaux, il en donna le commandement à Orestorius et à Combutis, qui, après avoir repassé le Sperchée sur les ponts, traversèrent la Thessalie et entrèrent dans l'Étolie. Ce fut ce Combutis et cet Orestorius [3] qui commirent à Callies des atrocités telles qu'on n'a jamais entendu parler de rien de semblable, et que l'humanité est forcée de désavouer; ils massacrèrent tout ce qui était du sexe masculin, sans épargner les vieillards et même les enfants, qu'ils égorgeaient  sur le sein de leurs mères : s'il y en avit qui fussent plus gras que les autres, ils buvaient leur sang et mangeaient leurs chairs. [4] Les femmes et les filles en âge de puberté qui avoient quelques sentiments, prévinrent toutes les insultes en se tuant elles-mêmes aussitôt que la ville fut prise ; celles qui restaient se virent livrées à tous les outrages et à toute la violence auxquels peut s'abandonner un peuple qui, de sa nature, n'était susceptible d'aucun sentiment d'amour ni de pitié. Toutes celles qui purent mettre la main sur les épées des Gaulois, se donnèrent elles-mêmes la mort ; celles qui ne le purent pas, périrent bientôt par le défaut de nourriture et de sommeil. Ces barbares impitoyables assouvissaient tour-à-tour sur elles leur brutalité, lors même qu'elles rendaient l'âme, et, sur quelques-unes, lorsqu'elles étaient déjà mortes. [5] Les Étoliens ayant appris par des envoyés ce qui se passait chez eux, quittèrent 6ur-le-champ les Thermopyles avec toutes leurs forces, et marchèrent vers l'Étolie, animés de fureur par tout ce qui s'était passé à Callies, et encore plus du désir de sauver les villes qui n'avaient pas été prises. D'un autre côté, ceux qui étaient restés dans les villes, se mirent tous en campagne, non seulement les hommes en âge de porter les armes, mais encore les vieillards que leur courage et la nécessité des circonstances portèrent à se mêler parmi eux; les femmes elles-mêmes marchèrent volontairement, et témoignèrent encore plus de fureur que les hommes contre les Gaulois. [6] Les Barbares ayant pillé les maisons elles temples, et mis le feu à la ville, reprenaient la route par laquelle ils étaient venus, lorsque les Patréens, qui seuls de tous les Achéens étaient allés au secours des Etoliens, se présentèrent à leur rencontre, comptant sur leur habileté à combattre armés de toutes pièces; ils eurent beaucoup à souffrir, tant à cause de la supériorité du nombre des Gaulois, que de la manière désespérée dont ils se battaient; mais les Étoliens et leurs femmes, qui s'étaient rangés tout le long de la route, se mirent à accabler les Barbares de traits, et comme ils n'avaient pas d'autre défense que les boucliers de leur pays, lescoupa ne portaient guère à faux. Lorsqu'ils voulaient poursuivre les Étoliens, ceux-ci leur échappaient facilement et revenaient à la charge dès qu'ils se remettaient en marche. [7] Enfin, quoique les horreurs commises à Cailles puissent nous faire regarder comme vraisemblable ce qu'Homère raconte des Cyclopes et des Lestrigons, on petit néanmoins dire que les Calliéens furent dignement vengés; car de quarante mille hommes et de huit cents cavaliers, il n'y en eut pas la moitié qui regagnât le camp des Barbares vers les Thermopyles. [8] Quant aux Grecs qui étaient en ce dernier endroit,, voici ce qui leur arrivait dans le même temps. Il y a deux sentiers sur le mont OEta, celui au-dessus de Trachine, qui est en général très escarpé et extrêmement roide; l'autre, qui passe par le pays des Enianes, est praticable pour une armée : c'est par ce dernier qu'Hydarnès le Mède vint attaquer par derrière les Grecs qui étaient avec Léonidas. [9] Ce fut par cette route que les Héracléotes et les Enianes promirent à Brennus de le conduire, non qu'ils fussent mal intentionnés envers les Grecs, mais parce qu'il était pour eux d'une grande importance de voir les Gaulois quitter leur pays et cesser de le ravager; car Pindare me semble avoir dit avec beaucoup de vérité que chacun est très sensible à ses propres maux, et très peu affecté de ceux des autres. [10] La promesse des Enianes et des Héracléotes réveilla pour lors les espérances de Brennus, qui laissa Acichorius à la tête de l'armée, en lui recommandant d'attaquer des Grecs aussitôt qu'ils seraient tournés ; et ayant pris avec lui quarante mille hommes, il se mit en route par ce sentier.[11]  Le hasard voulut que la montagne fût couverte ce jour-là d'un brouillard si épais qu'on pouvait peine apercevoir le soleil; de manière que ceux des Phocéens qui gardaient ce passage ne connurent la marche des Gaulois que lorsqu'ils furent tout auprès d'eux. Ceux-ci ayant commencé le combat, les Phocéens se défendirent avec beaucoup de valeur, mais ils furent enfin forcés d'abandonner le passage; et courant en hâte vers les alliés, ils arrivèrent assez à temps pour leur annoncer la Marche des Barbares avant qu'ils fussent entièrement enveloppés. [12] Alors les Athéniens s'étant empressés de les embarquer sur leurs vaisseaux, ils les emmenèrent des Thermopyles, et ils s'en retournèrent chacun dans leur pays.

CHAPITRE XXIII.

Brennus se dirige vers Delphes. Terreur panique et destruction des Gaulois. Mort de Brennus.

BRENNUS alors, sans perdre de temps et sans attendre Acichorius, prit la route de Delphes dont les habitants se réfugièrent vers l'oracle ; et le dieu leur dit d'être sans crainte, annonçant qu'il saurait bien se garder lui-même. [13] Ceux des Grecs qui vinrent à la défense du temple, furent les Phocéens avec toutes leurs forces, quatre cents Hoplites d'Amphisse et quelque peu d'Étoliens qui vinrent sur-le-champ, dès qu'ils surent que les Barbares se portaient en avant. Philomélus en amena ensuite douze cents autres; mais ce qu'il y avait de plus vaillant se mit à la poursuite de l'armée d'Acichorius ; et, sans jamais engager le combat, ils la suivaient dans sa marche, attaquaient toujours ses derrières, enlevaient les bagages, et tuaient ceux qui les conduisaient; ce qui faisait que cette armée ne pouvait avancer que très lentement. Acichorius laissa aussi vers Héraclée un corps de troupes pour garder les richesses qui étaient dans le camp.

[1] Ceux des Grecs qui s'étaient rassemblés à Delphes, s'étant rangés en bataille devant Brennus et son armée, le dieu se déclara contre les Barbares de la manière la plus prompte et la moins équivoque; en effet, tout l'espace de terrain qu'occupait l'armée des Gaulois fut ébranlé plusieurs fois dans la journée par de violentes secousses de tremblement de terre; [2] des éclairs et des coups de tonnerre presque continuels les remplissaient d'épouvanté et les empêchaient d'entendre les ordres que leur donnaient leurs généraux; le feu du ciel s'attachait non seulement à ceux sur qui il tombait, mais encore à ceux qui étaient près d'eux et à leurs armes. Ils virent alors apparaître des spectres de héros, Hypérochus, Laodocus et Pyrrhus; les Delphiens en ajoutent un quatrième, Phylacus, l'un des héros du pays. [3] Les Phocéens eux-mêmes perdirent dans ce combat beaucoup de monde, et, entre autres, Aleximachus, qui, encore dans la fleur de l'âge, et joignant à la force du corps le plus grand courage, fut celui de tous les Grecs qui tua le plus de Barbares ; les Phocéens lui firent faire une statue qu'ils envoyèrent au temple d'Apollon à Delphes. [4] Après avoir été toute la journée en butte à tous ces maux et à toutes sortes de frayeurs, les Gaulois eurent une nuit encore plus fâcheuse à passer ; il faisait un froid très vif accompagné de neige : de grandes pierres qui roulaient du haut du Parnasse, et des roches qui s'en détachaient, venaient fondre sur eux et les écrasaient, non par un ou deux à la fois, mais par trente et même davantage, suivant qu'ils étaient rassemblés en nombre plus ou moins grand pour faire la garde ou pour prendre du repos; ils étaient écrasés tous ensemble par la chute de ces rochers. [5] Aussitôt que le soleil fut levé, les Grecs sortirent de Delphes pour aller les attaquer; les autres y allèrent par le sentier qui conduisait à leur camp; mais les Phocéens, qui connaissaient mieux les lieux, descendant sur la neige par les endroits les plus escarpés du Parnasse, se trouvèrent derrière les Gaulois sans que ceux-ci s'en aperçussent, et se mirent à les accabler de traits et de flèches sans avoir rien à craindre d'eux. [6] Le combat s'étant ainsi engagé, les Barbares, principalement ceux qui étaient autour de Brennus (il avait avec lui ce qu'il y avait de plus distingué par la stature et par la valeur), se défendirent encore quelque temps avec courage, quoique attaqués de tous les côtés, et non moins incommodés par le froid, surtout ceux qui étaient blessés. Brennus ayant reçu plusieurs blessures, on fut obligé de l'emporter sans connaissance du champ de bataille ; alors les Barbares, pressés de toutes parts par les Grecs, se virent forcés de prendre la fuite, et tuèrent tous ceux que leurs blessures ou leur faiblesse empêchait de les suivre. Ils campèrent dans l'endroit, où la nuit les surprit pendant leur retraite, et, durant cette nuit, ils furent saisis d'une terreur panique (on croit que les frayeurs qui n'ont aucune cause réelle viennent de Pan ).[7]  Le désordre se mit donc dans leur camp vers le soir, l'obscurité étant déjà très profonde ; il n'y en eut d'abord qu'un petit nombre qui, troublés et hors de sens, s'imaginèrent entendre le bruit de chevaux qui venaient sur eux, et celui d'une armée ennemie : cet égarement d'esprit devint bientôt général. [8] Prenant alors leurs armes et se divisant, ils s'entretuaient, ne se reconnaissant plus ni à leur langage, ni à leur figure, ni à la forme de leurs boucliers; mais chaque peloton croyait, à la voix et aux armes, que ceux contre qui il se battait, étaient Grecs. Cette démence, inspirée par les dieux, occasionna une très grande perte aux Gaulois en les faisant se tuer les uns les autres. [9] Ceux des Phocéens qui étaient restés dans les champs pour la garde des troupeaux, s'étant aperçu les premiers de ce qui était arrivé aux Barbares pendant la nuit, l'annoncèrent aux Grecs ; les Phocéens alors, reprenant une nouvelle confiance, attaquèrent les Gaulois avec encore plus d'ardeur, ils veillèrent avec plus de soin sur les endroits où le bétail était renfermé, et observèrent tellement les Barbares, qu'ils ne pouvaient se procurer sans combat rien de ce qui était nécessaire pour leur subsistance; de manière que l'armée gauloise se trouva sur-le-champ dans la disette la plus absolue de blé et de toutes sortes de vivres. [10] Le nombre des Gaulois qui périrent dans la Phocide fut à peu près de six mille qui succombèrent dans les combats, dix mille qui moururent de froid pendant la nuit, ou qui s'entretuèrent par suite de la terreur panique ; la famine en emporta bien autant. [11] Quelques Athéniens venus à Delphes pour voir ce qui se passait, étant retournés chez eux, annoncèrent tout ce qui était arrivé aux Barbares, et, entre autres choses, ce que le dieu leur avait fait éprouver. Les Athéniens se mirent aussitôt en campagne ; en traversant la Béotie, ils prirent avec eux les Béotiens; ils commencèrent alors tous ensemble à poursuivre les Gaulois, et, s'embusquant sur leur passage, ils tuaient ceux qui restaient les derniers. [12] Acichorius et ses troupes s'étaient réunis la nuit précédente à ceux qui fuyaient avec Brennus ; ils avaient été extrêmement retardés. dans leur marche par les Étoliens, qui les accablaient de traits et leur lançaient tout ce qui leur tombait sous la main, de sorte qu'il n'y en avait qu'un corps peu considérable qui eût pu se réfugier dans le camp vers Héraclée. Les blessures de Brennus lui laissaient encore quelque espérance, mais soit crainte, comme on le dit, du ressentiment de ses concitoyens, soit plutôt honte de reparaître devant eux, lui qui était la cause de tous les maux qu'ils avaient éprouvés dans la Grèce, il termina lui-même ses jours en buvant du vin pur. [13] Les Barbares eurent beaucoup de peine à regagner le Sperchée, les Étoliens les attaquant vigoureusement ; et lorsqu'ils furent arrivés a ce fleuve, les Thessaliens et les Maliens, qui s'étaient mis en embuscade, se jetèrent sur eux et en firent un tel carnage, qu'il n'en retourna pas un dans leur pays. [14] L'expédition des Gaulois dans la Grèce, et leur destruction, arrivèrent sous l'Archontat d'Anaxicrate à Athènes, la seconde année de la cent vingt-cinquième olympiade, en laquelle Ladas d'Égine avait remporté le prix de la course du stade. L'année suivante, Damoclès étant Archonte à Athènes, ces Barbares firent de nouveau une expédition en Asie. Voilà ce qui arriva.

CHAPITRE XXIV.

Les sept Sages de la Grèce. Statue d'Horaire et son tombeau. Statues de Jupiter et d'Apollon Méragètes. Tombeau de Néoptolème. Fontaine Cassotis.

[1] On voit dans le parvis du temple de Delphes des sentences écrites, très utiles aux hommes pour leur conduite ; elles ont été tracées par ceux que les Grecs surnomment les Sages, qui étaient Thalès de Milet, et Bias de Priène, tous deux de l'Ionie ; Pittacus, Éolien, de Mitylène dans l'île de Lesbos; Cléobule de Lindos, ville Dorienne de l'Asie ; Solon, Athénien, et Chilon, Spartiate. Quant au septième, au lieu de Périandre, fils de Cypsélus, Platon, fus d'Ariston, le nomme Myson de Chénée ; il y avait autrefois sur le mont OEta un bourg de ce nom. [2] Ces Sages étant venus à Delphes placèrent dans le temple d'Apollon ces sentences célèbres : Connais-toi toi-même, et, Rien de trop. Ilsles inscrivirent dans cet endroit. Vous y verrez aussi une statue en bronze d'Homère sur une colonne, et on y lit l'oracle qui fut, dit-ont rendu à ce poète. Heureux et infortuné ( car tu es né pour l'un et l'autre sort ), tu cherches à connaître ta patrie ; ta mère en avait une, mais tu n'en as point. Ta mère était de l'île d'Ios où tu finiras tes jours ; mais sois en garde contre l'énigme que te proposeront de jeunes enfants. Les Iètes montrent dans leur île le tombeau d'Homère, et, dans un autre endroit, celui de Clymène, qui était sa mère, à ce qu'ils assurent. [3] Les Cypriens (car ils veulent aussi s'approprier Homère) prétendent qu'il avait pour mère Thémisto, femme de leur île, et que sa naissance avait été prédite par Euclus en ces termes : On verra naître alors dans l'île de Cypre un grand poète ; la divine Thémisto lui donnera le jour dans les champs à quelque distance de la riche Salamine. Laissant l'île de Cypre, et traversant les flots humides, il chantera le premier les  malheurs de la Grèce; son nom sera immortel et ne vieillira jamais. Après avoir entendu ces traditions et ces oracles, je n'écrirai rien de particulier sur la patrie d'Homère, ni sur l'époque à laquelle il a vécu. [4] On a érigé un autel à Neptune dans le temple d'Apollon, parce qu'anciennement l'oracle appartenait aussi à ce dieu. Vous y voyez aussi les statues de deux Parques ; Jupiter, surnommé Méragètes, tient la place de la troisième : Apollon Méragètes est aussi auprès d'elles. Vous remarquerez encore dans le même endroit la table sacrée sur laquelle le prêtre d'Apollon tua Néoptolème, fils d'Achille. J'ai raconté ailleurs ce qui a rapport à la mort de Néoptolème. [5] Le siège de Pindare est à peu de distance de cette table. Ce siège est en fer, et l'on dit que lorsque Pindare venait à Delphes, il s'asseyait sur ce siège et chantait les hymnes qu'il avait faits en l'honneur d'Apollon. Il n'y a que peu de personnes qui entrent tout à fait dans l'intérieur du temple; on y voit une autre statue d'Apollon en or.

[6] En sortant du temple, et en tournant à gauche, vous trouvez une enceinte dans laquelle est le tombeau de Néoptolème, et les Delphiens lui offrent tous les ans des sacrifices comme à un héros. On voit un peu au-dessus de ce tombeau une pierre qui n'est pas très grande, sur laquelle on verse tous les jours de l'huile, et on y met les jours de fête de la laine non lavée. La tradition, à cet égard, est que cette pierre est celle qu'on donna à Saturne au lieu de son fils, et qu'il la revomit dans la suite. [7] Après avoir remarqué cette pierre, en revenant comme pour aller vers le temple, vous trouvez la fontaine nommée Cassotis ; elle est entourée d'un mur peu élevé, dans lequel est une porte qui conduit à la fontaine. On dit que l'eau de Cassotis entre sous terre et va se rendre dans l'endroit le plus secret du temple, oh elle inspire les Pythies et leur fait prédire l'avenir. Cassotis, qui a donné son nom à la fontaine, était, à ce qu'on assure, une des nymphes du Parnasse.

CHAPITRE XXV.

Édifice orné de peintures, appelé Lesché.

[1] ON remarque au-dessus de la fontaine Cassotis un édifice renfermant des tableaux de Polygnote, qui ont été offerts par les Cnidiens. Les Delphiens donnent à cet édifice le nom de Lesché, parce que c'était là qu'on se réunissait anciennement, soit pour parler de choses sérieuses, soit pour faire des contes. Il y avait autrefois beaucoup d'édifices pareils dans la Grèce, au moins à en juger par les injures que Mélanthus dit à Ulysse dans l'Odyssée d'Homère : Au lieu de tant jaser ici, tu devrais être à dormir dans quelque forge ou dont quelque Lesché. [2] En entrant dans cet édifice, toutes les peintures que vous voyez à droite, représentent la ville de Troie prise, et le départ des Grecs; on prépare tout ce qui est nécessaire pour le retour de Ménélas; son vaisseau est peint avec son équipage mêlé d'hommes et d'enfants ; le pilote Phrontis, tenant des avirons, est au milieu du vaisseau. Entre différentes choses qu'Homère fait raconter à Télémaque par Nestor, il lui fait dire que Phrontis, fils d'Onétor, et pilote de Ménélas, était très habile dans son art, et qu'il perdit la vie en revenant, lorsqu'on passait déjà vers le promontoire Sunium dans l'Attique, Nestor, qui jusque là avait navigué de conserve avec Ménélas, le laissa alors, ce dernier étant resté pour donner la sépulture à Phrontis et lui rendre les autres honneurs funèbres. [3] On remarque donc ce Phrontis dans le tableau de Polygnote, et au-dessous de lui un certain Ithaemènes portant une robe, et Echéax qui descend du vaisseau par une échelle ; il tient une urne de cuivre. Politès, Strophius et Alphius enlèvent la tente de Ménélas, qui n'est pas très éloignée du vaisseau : Amphiialus en fait autant d'une autre ; un enfant est assis à ses pieds, mais il n'y a aucune inscription qui nous apprenne le nom de cet enfant. Phrontis est le,seul qui ait de la barbe ; et le seul dont Polygnote ait trouvé le nom dans l'Odyssée ; il a, à ce que j'imagine, forgé lui-même les autres. [4] Briséis est debout, Diomède est au-dessus d'elle, et Iphis est devant eux; tous trois ont l'air de regarder la figure d'Hélène ; cette dernière est elle-même assise près d'Eurybates, qui était, à ce que je crois, le héraut d'Ulysse ; il n'avait pas encore de barbe. Vous voyez ensuite deux servantes d'Hélène, Électre et Panthalis ; celle-ci est debout auprès d'elle, et Électre attache la chaussure de sa maîtresse. Ces noms sont aussi différents de ceux qu'Homère donne dans l'Iliade aux femmes esclaves qui vont avec Hélène sur les murs. [5] Un homme vêtu d'une tunique de pourpre, et l'air extrêmement abattu, est assis au-dessus d'Hélène, et, même avant d'avoir lu l'inscription, on devine que c'est Hélénus, fils de Priam. Mégès est près d'Hélénus ; il est blessé au bras, ainsi que, nous le représente Leschès, fils d'Eschylénus, de la ville de Pyrrha, dans son poème de la Déon de Troie; car il dit que Mégès avait été blessé par Admète d'Argos dans le combat que les Troyens avoient livré pendant la nuit.  [6] Lycomède, fils de Créon, est auprès de Mégès ; il a au poignet une blessure qu'il avait reçue d'Agénor, suivant le même Leschès. Il est évident que Polygnote ne les aurait pas ainsi représentés blessés, s'il n'avait pas lu le poème de Leschès. Lycomèdes, dans ce tableau, est blessé en deux autres endroits, à la cheville du pied et à la tête. [7] Euryalus, fils de Mécistéus, est aussi blessé à la tête et au poignet; tous ces personnages sont placés au-dessus d'Hélène. Après elle viennent la mère de Thésée, rasée jusqu'à la peau, et Démophon, l'un des fils de ce héros, qui, à sa contenance, semble rêver aux moyens de délivrer Ethra. Les Argiens assurent que Thésée eut de la fille de Synis un fils nommé Mélanippus, qui remporta le prix de la course lorsque ceux qu'on nomme les Épigones firent célébrer les jeux Néméens pour la seconde fois après Adraste. [8] Leschès dit que lorsque Troie fut prise, Ethra s'échappa et vint dans le camp des Grecs, où elle fut reconnue par les fils de Thésée. Démophon la demanda à Agamemnon ; celui-ci désirait bien le satisfaire, mais il lui dit qu'il ne le pouvait pas sans le consentement d'Hélène ;  il lui envoya un héraut à cet effet, et Hélène lui accorda sa demande. Eurybates, qu'on voit dans ce tableau, paraît donc aller vers Hélène au sujet d'Ethra, pour lui porter les ordres d'Agamemnon. [9] On voit ensuite des femmes Troyennes qui paraissent déjà captives et dans les larmes; Andromaque y est représentée avec son enfant à son sein. Leschès assure qu'il périt précipité du haut d'une tour, non pas d'après une résolution générale des Grecs, mais par Néoptolème et de sa propre volonté. On y remarque aussi Médésicaste, l'une des filles naturelles de Priam; Homère dit qu'elle était établie à Pédéum, où elle avait épousé Imbrius, fils de Mentor. [10] Andromaque et Médésicaste sont voilées ; Polyxène, suivant la coutume des filles non mariées, a les cheveux tressés sur la tête. Les poètes prétendent qu'elle fut sacrifiée sur le tombeau d'Achille, et j'ai vu à Athènes et à Pergame, sur le Caïque, des tableaux qui représentent les malheurs de Polyxène. [11] On aperçoit aussi dans le tableau dont nous parlons, Nestor avec le pilus sur la tête et une lance à la main; son cheval semble prêt à se rouler sur le sable : jusqu'à ce cheval, tout se passe sur le rivage de la mer, et l'on y distingue même les cailloux. A partir de là, le reste ne paraît avoir aucun rapport avec la mer.

CHAPITRE XXVI.

Suite des peintures du Lesché. Anciennes cuirasses.

[1] AU-DESSUS des femmes qui sont entre Ethra et Nestor, il y en a quatre autres qui sont pareillement captives ; savoir : Clymène, Creuse, Aristomaque et Xénodice; Stésichore, dans la Destruction de Troie, a mis Clymène au nombre des captives; de même, dans son poème sur le Retour, il dit qu'Aristomaque était fille de Priam et femme de Critolaüs, fils d'Hicétaon. Je n'ai trouvé le nom de Xénodice dans aucun poète ni dans aucun écrivain en prose. Quant à Creuse, on prétend que la Mère des dieux et Vénus la tirèrent des mains des Grecs et la délivrèrent de l'esclavage, car elle était la femme d'Énée; cependant Leschès et l'auteur des vers Cypriens, donnent Eurydice pour femme à Énée. [2] Au-dessus de ces femmes vous voyez représentées Déinomé, Métioché, Pisis et Cléodice, toutes sur le même lit. Déinomé est la seule dont on trouve le nom dans la petite Iliade; les noms des autres sont, à ce que je crois, de l'invention de Polygnote. On remarque aussi Epéus : il est nu et renverse les murs de Troie ; derrière toutes ces figures s'élève la tête du cheval Durien. Polypoetès, fils de Pirithoüs, a la tête ceinte d'une bandelette; Acamas, fils de Thésée, avec son casque sur la tête, est auprès de lui : ce casque est surmonté d'une aigrette. [3] Ulysse vient ensuite, il est revêtu de sa cuirasse ; Ajax, fils d'Oïlée, tenant son bouclier à la main, est debout auprès d'un autel, sur lequel il jure au sujet de l'attentat sur Cassandre ; celle-ci est assise à terre, tenant la statue en bois de Minerve, qu'elle avait probablement entraînée de dessus sa base lorsqu'Ajax ravoit arrachée des pieds de cette statue, sous la protection de laquelle elle s'était mise. On a aussi représenté les fils d'Atrée, qui ont également leurs casques sur la tête ; Ménélas a son bouclier, sur lequel on remarque le serpent qui parut à Aulis lors du sacrifice, et qui fut regardé comme un prodige ; ils font jurer Ajax sur les membres d'un porc qu'ils viennent de sacrifier. [4] Sur la même ligne que le cheval, et tout auprès de Nestor, est Néoptolème qui vient de tuer Elassus. Je ne sais ce que c'est que cet Elassus, mais il est représenté rendant le dernier soupir. Néoptolème frappe aussi de son épée Astynolis, qui est tombé sur le genou ; il est question d'Astynoüs dans le poème de Leschès. Néoptolème est le seul de tous les Grecs que Polygnote ait représenté tuant encore des Troyens, ce qui vient sans doute de ce que toutes ces peintures étaient destinées à orner son tombeau. Homère, dans tous ses poèmes, donne le nom de Néoptolème au fils d'Achille, mais l'auteur des vers Cypriens dit que Lycomède lui donna le nom de Pyrrhus, et que ce fut Phœnix qui le nomma Néoptolème, parce qu'Achille commença très jeune à faire la guerre. [5] On voit aussi sur ce tableau un autel auquel se tient un enfant saisi de frayeur; sur cet autel est une cuirasse de cuivre d'une forme presque inusitée maintenant, mais telle qu'on les portait anciennement. Elle est composée de deux pièces de cuivre, dont l'une s'adapte à la poitrine et au ventre, et l'autre est destinée à garantir le dos; ces deux parties, qui s'appelaient Gyala, s'ajustaient, l'une devant, l'autre derrière, et s'attachaient ensemble avec des agrafes. [6] Cette armure pouvait suffire, même sans bouclier, pour la défense du corps; c'est pour cela qu'Homère a représenté Phorcys, Phrygien, combattant sans bouclier, parce qu'il était armé ainsi.  J'ai vu ce genre de cuirasse représenté dans le tableau de Polygnote dont il est ici question, et dans un tableau qui est dans le temple de Diane à Éphèse, où Calliphon de Samos a peint des femmes ajustant à  Patrocle une cuirasse de cette espèce. [7] Vous voyez devant l'autel Laodice ; elle est debout : je ne connais aucun poète qui l'ait nommée parmi les femmes captives, et il me paraît très vraisemblable que les Grecs lui avaient rendu la liberté. Homère, en effet, parle dans l'Iliade de l'hospitalité qu'Anténor donna à Ulysse et à Ménélas, et il dit aussi que Laodice fut mariée à Hélicaon, fils d'Anténor. [8] Leschès assure qu'Hélicaon ayant été blessé dans le combat qui eut lieu pendant la nuit, fut reconnu par Ulysse, qui le tira vivant de la mêlée. D'après le soin que Ménélas et Ulysse prirent de la famille d'Anténor, il est probable qu'Agamemnon et Ménélas n'auraient pas traité en ennemie la femme d'Hélicaon. Ce qu'Euphorion de Chalcis a dit dans ses vers sur Laodice, n'a donc aucune vraisemblance. [9] Vous voyez après Laodice un support en marbre sur lequel est placée une cuvette à laver en bronze : Méduse, assise à terre, tient ce support de ses deux mains. Cette Méduse était aussi l'une des filles de Priam, suivant l'ode de Stésichore d'Himère. On voit près d'elle une vieille femme, ou un eunuque, rasé jusqu'à la peau, qui tient sur ses genoux un enfant nu; cet enfant, saisi de frayeur, met sa main devant ses yeux.

CHAPITRE XXVII.

Autres peintures du Lesché.

[1] Vous voyez ensuite des morts, l'un, nommé Pélis, est nu et couché sur le dos; au-dessous de lui sont étendus Eïonée et Admète encore revêtus de leurs cuirasse. Leschès dit qu'Eïonée avait été tué par Néoptolème, et Admète par Philoctète. Un peu plus haut on en voit d'autres ; savoir : au-dessus de la cuvette dont j'ai parlé, Léocritus, fils de Polydamas, qui fut tué par Ulysse, et au-dessus d'Eïonée et d'Admète, Corébus fils de Mygdon; ce Mygdon a un tombeau remarquable sur les frontières de la Phrygie et du pays des Tectorhéniens, et c'est de lui que vient le nom de Mygdoniens, que les poètes donnent aux Phrygiens. Corébus était venu demander Cassandre en mariage, et il fut tué par Néoptolème, suivant la tradition la plus reçue ; cependant Leschès dit que ce fut par Diomède. [2] Au-dessus de Corébus sont les corps de Priam, d'Axion et d'Agénor. Leschès nous apprend que Priam ne fut pas tué sur le foyer consacré à Jupiter Hercius ; mais qu'ayant été arraché de l'autel de ce dieu, il fut tué accidentellement par Néoptolème, vers les portes de son palais. Quant à Hécube, Stésichore dit, dans la Destruction de Troie, qu'Apollon la transporta dans la Lycie. Leschès prétend qu'Axion était fils de Priam, et qu'il fut tué par Eurypylus, fils d'Evémon. Agénor, suivant le même poète, fut tué par Néoptolèrne; il paraît, d'après cela, qu'Echéclus, fils d'Agénor, avait été tué par Achille, et Agénor lui-même par Néoptolème. [3] Vous voyez ensuite Sinon, l'un des compagnons d'Ulysse, et Ancliialus, qui emportent le corps de Laomédon; on remarque encore là un autre mort, nommé Erésus. Je ne connais aucun poète qui ait parlé ni d'Erésus ni de Laomédon. La maison d'Anténor est aussi dans ce tableau, avec une peau de léopard suspendue à la porte, signal pour avertir les Grecs de respecter cette maison. Théano est là avec ses enfants ; savoir : Glaucus, assis sur une cuirasse comme celle dont j'ai parlé, dont les deux pièces sont agrafées ensemble; et Eurymachus, assis sur une pierre : [4] Anténor est debout auprès d'eux, et après lui vient Crino, sa fille, qui tient un enfant dans ses bras. On voit sur toutes leurs figures l'expression du malheur. Des esclaves chargent sur un âne un coffre et d'autres effets ; il y a aussi un petit enfant assis sur cet âne, et vous lisez à cet endroit du tableau ces deux vers élégiaques de Simonide : Polygnote de Thasos, fils d'Aglaophon, a peint la destruction de la citadelle de Troie.

CHAPITRE XXVIII.

Autres peintures du Lesché. Piété des frères Catanéens. Piété des hommes envers les dieux. Eurynomus, Démon.

[1] L'AUTRE portion de tableau qui est à main gauche, présente la descente d'Ulysse aux enfers, pour y consulter l'âme de Térésias sur les moyens de rentrer sain et sauf dans sa maison. Voici ce que contient ce tableau : On y voit de l'eau qui paraît être celle d'un fleuve ; il est évident que c'est l'Achéron ; il est rempli de roseaux ; on y remarque des poissons peu apparents, et qui ressemblent plutôt à dés ombres qu'à des poissons véritables. [2] Sur ce fleuve est une barque et un nautonier qui tient les rames. Je crois que Polygnote a suivi à cet égard le poème de la Minyade, dont l'auteur dit au sujet de Thésée et de Pirithoüs : Arrivés là ils ne trouvèrent point sur le bord du fleuve la barque qui porte les morts et que conduit le vieux nautonier Caron. C'est pour cela que Polygnote a peint Caron déjà très vieux. Ceux qu'on voit sur la barque ne sont pas en général très connus par leurs ancêtres ; [3] on y distingue cependant Tellis, qui paraît un adolescent, et Cléobée encore fille, qui a sur les genoux un coffre semblable à ceux qu'on a coutume de faire pour Cérès. Tout ce que j'ai appris au sujet de Tellis, c'est que le poète Archiloque descendait de lui à la troisième génération ; quant à Cléobée, on assure qu'elle apporta la première de Paros à Thasos les mystères de Cérès. [4] Ce qu'il y a de plus remarquable sur la rive de l'Acheron, c'est, au-dessous de la barque de Caron, un fils étranglé par son père envers qui il s'était mal conduit. Les anciens avaient le plus grand respect pour les auteurs de leurs jours, comme on peut le conjecturer, entre autres choses, par ce qui arriva à Catane à ceux qu'on nomme les Enfants pieux. Des torrents de feu sortis de l'Etna venaient jusqu'à Catane ; ces enfants ne songèrent point à sauver leur or et leur argent, mais, en prenant la fuite, ils emportèrent, l'un leur père, et l'autre leur mère. Comme ils ne pouvaient aller très vite, le feu et les flammes les atteignirent ; ils n'abandonnèrent pas pour cela leurs parents, et la lave se divisa, dit-on, et passa des deux côtés sans faire aucun mal ni à ces jeunes gens ni à ceux qu'ils portaient; on leur rend encore des honneurs à Catane. [5] Dans le tableau de Polygnote, auprès de l'homme qui avait maltraité son père, et qui subit pour cela des tourments dans les enfers, vous en voyez un autre qui est puni pour avoir pillé les temples des dieux ; la femme qui le châtia connaît bien tous les poisons, et surtout ceux qui peuvent servir à tourmenter les hommes. On avait encore alors un respect singulier pour les dieux, comme le montre la conduite des Athéniens, qui lorsqu'ils eurent pris à Syracuse le temple de Jupiter Olympien, ne touchèrent à aucune des offrandes et les laissèrent à la garde du prêtre Syracusain : ce respect se voit aussi dans les discours que tint aux Déliens le Mède Datis, et dans sa conduite lorsqu'ayant trouvé dans un vaisseau Phénicien une statue d'Apollon, il la rendit aux Tanagréens pour la replacer à Délium; c'est avec ce respect que tous les hommes honoraient alors la divinité. C'est pourquoi Polygnote a représente le supplice de celui qui avait pillé leurs temples. [7] Vous remarquez au-dessus de ces deux figures celle d'Eurynomus : les Exégètes des Delphiens assurent que cet Eurynomus est un des génies infernaux dont la fonction est de dévorer la chair des morts et de ne leur laisser que les os ; il n'est question de ce génie ni dans l'Odyssée d'Homère, ni dans la Minyade, ni dans le poème des Retours, qui sont cependant les ouvrages où il est question des enfers et de ce qu'on y voit d'effrayant. Je me contenterai de dire quelle forme le peintre a donnée à cet Eurynomus ; il l'a peint d'une couleur bleue tirant sur le noir, comme ces mouches qui s'attachent à la viande ; il montre les dents, et une peau de vautour est étendue sur le siège où il est assis. [8] Après Eurynomos viennent Auge d'Arcadie et Iphimédie. Augé alla dans la Mysie chez Teuthras, et elle fut, à ce qu'on prétend, de toutes les femmes avec qui Hercule eut commerce, celle qui mit au jour le fils qui ressembla le plus à son père. Quant à Iphimédie, les Cariens de Mylases lui rendent de très grands honneurs.

CHAPITRE XXIX.

Suite des peintures du Lesché. Travail d'Ocnus.

[1] UN peu au-dessus de tout ce que je viens de décrire, sont des victimes portées par Périmède et Eurylochus, lieux des compagnons d'Ulysse ; ces victimes sont des béliers noirs. Après eux on remarque un homme assis ; l'inscription le nomme Ocnus; il est représenté tressant une corde de jonc : une ânesse, qui est auprès de lui, mange cette corde à mesure qu'il la tresse. [2] On raconte que cet Ocnus était un homme très laborieux qui avait une femme très dépensière, de sorte qu'elle avait bientôt mangé ce qu'il amassait en travaillant; on prétend que Polygnote a voulu désigner par cette peinture la femme d'Ocnus. Je sais aussi que les Ioniens, lorsqu'ils voient quelqu'un se livrer à un travail qui ne peut être utile à rien, disent que cet homme tresse la corde d'Ocnus. Ceux qui prédisent l'avenir par le vol des oiseaux, donnent le nom d'Ocnus à une espèce de héron qui est le plus grand et le plus beau de tous les oiseaux de ce genre, mais un des plus rares. [3] On voit aussi Titye dans ce tableau ; il n'est plus en proie au vautour, et, à force d'avoir souffert, il paraît réduit à rien : ce n'est plus qu'un fantôme à peine visible, et qui n'est pas même entier. En suivant le tableau, auprès de celui qui tresse une corde, vous apercevez, Ariane ; elle est assise sur une pierre et regarde Phèdre, sa sœur, dont tout le corps est suspendu en l'air sur une corde, à laquelle elle se tient de chaque coté par une main. Le peintre a voulu nous faire connaître par là le genre de mort de Phèdre, mais en l'exprimant d'une manière moins ignoble. [4] Quant à Ariane, Bacchus l'ayant rencontrée par hasard, ou bien s'étant mis exprès sur son passage, l'enleva à Thésée, qu'il attaqua avec une escadre plus nombreuse que la sienne. Ce Bacchus était, à ce que je crois, le même qui conduisit le premier une armée dans l'Inde, et qui le premier éleva un pont sur l'Euphrate, a l'endroit où depuis on a construit une ville nommée Zeugma : on y voit encore maintenant le câble dont il se sert pour faire ce pont sur le fleuve ; il est de sarments de vigne, tressés avec des branches de lierre. [5] Les Grecs et les Égyptiens racontent beaucoup de choses de ce Bacchus. Au-dessus de Phèdre, se trouve Chloré appuyée sur les genoux de Thyia : on ne court pas risque de se tromper en assurant que ces deux femmes, lorsqu'elles vivaient, avoient l'une pour l'autre une grande amitié. Chloris était d'Orchomène dans la Béotie; on rapporte à leur sujet que Neptune avait eu commerce avec Thyia, et que Chloris fut mariée à Nélée, fils de Neptune. [6] Procris, fille de d'Érechthée, est debout auprès de Thyia ; Clymène vient après, mais elle tourne le dos. On voit dans le poème des Retours, que Clymène était fille de Minyas, et qu'elle fut mariée à Céphale, fils de Déion, dont elle eut un fils nommé Iphiclus. Quant à Procris, tout le monde sait que Céphale l'avait épousée avant Clymène, et on connaît la manière dont elle fut tuée par son mari. [7] Sur un plan plus éloigné que Clymène, vous remarquez Mégare, de la ville de Thèbes ; Hercule l'avait épousée, mais il la répudia dans la suite, tant parce qu'il se voyait privé des enfants qu'il avait eus d'elle, que parce qu'il croyait l'avoir épousée sous des auspices peu favorables. Au-dessus de toutes les femmes dont je viens de parler, est la fille de Salmonée, assise sur une pierre: Eripliyle est debout auprès d'elle; l'extrémité de ses doigts, qui sortent de sa tunique vers son col, donne à conjecturer qu'elle cache, sous cette tunique, le collier qu'elle tient dans sa main. [8] Au-dessus d'Eriphyle, le peintre a représenté Elpénor, et Ulysse se courbant, quoique sur ses pieds, et tenant son épée sur la fosse vers laquelle s'avance le devin Tirésias ; derrière lui, debout sur une pierre, est Anticlée, mère d'Ulysse. Elpénor est vêtu d'une natte de jonc, vêtement ordinaire des marins. Un peu au-dessous d'Ulysse sont Thésée et Pirithoüs, assis sur des sièges ; Thésée tient de chaque main une épée, la sienne et celle de Pirithoüs; ce dernier les regarde toutes deux, et il semble s'indigner contre ces épées de ce qu'elles ne leur ont été d'aucun secours dans leur entreprise téméraire. Panyasis nous apprend dans ses vers que Thésée et Pirithoüs ont l'air, non pas d'être enchaînés sur leurs sièges, mais d'avoir la peau adhérente à la pierre. [9] Homère a parlé dans ses deux poèmes de l'amitié si connue de Thésée et de Pirithoüs, car Ulysse, dans l'Odyssée, dit aux Phéaciens : Et j'aurais eu de plus, comme je le désirais, ces anciens héros Thésée et Pirithoüs, les glorieux enfants des dieux. Et dans l'Iliade, entre autres discours que Nestor tient à Agamemnon et à Achille en leur faisant des remontrances, il leur dit: Je n'ai jamais vu et je ne verrai jamais des hommes tels gué Pirithoüs, Dryas, le chef d'une nation ; Cénée Exadius, le divin Polyphème et Thésée, fils d'Égée mortel égal aux dieux.

CHAPITRE XXX.

Autres peintures du Lesché. Phocus et Iaséus.

[1] POLYGNOTE a représenté ensuite les filles de Pandaréus. Pénélope dit dans Homère que les parents de ces filles périrent par l'effet de la colère céleste ; qu'étant restées orphelines, Vénus les éleva, et qu'elles furent douées de différents dons par les autres divinités. Junon leur accorda la sagesse et la beauté, Diane y joignit l'avantage de la taille, et Minerve leur apprit à faire tous les ouvrages qui conviennent aux femmes. [2] Vénus étant montée au ciel dans le dessein de leur obtenir de Jupiter un mariage avantageux, les Harpies les enlevèrent pendant son absence et les livrèrent aux Furies. Voilà ce qu'Homère en a dit. Polygnote les a peintes comme de jeunes filles couronnées de fleurs et jouant aux osselets ; il les a nommées Camiro et Clytie. Il faut qu'on sache que Pandaréus, leur père, était de Milet dans l'île de Crète; il fut complice du vol commis par Tantale, et prit part à la ruse qu'imagina celui-ci pour s'en purger par serment. [3] Vous voyez après les filles de Pandaréus, Antilochus, l'un de ses pieds sur une pierre, et tenant son visage et sa tête appuyés sur ses deux mains. Agamemnon vient après Antilochus; il est appuyé sur un sceptre qui est sous son aisselle gauche, et il a une baguette dans les mains. Protésilas, assis, regarde Achille qui est dans la même position. Patrocle est debout au-dessus d'Achille ; ils sont tous sans barbe, a l'exception d'Agamemnon. [4] Un peu plus haut est Phocus encore jeune homme, et laséus, qui a beaucoup de barbe ; il ôte une bague de la main gauche de Phocus. Voici à quoi cela se rapporte. Phocus, fils d'Éaque, ayant passé de l'île d'Égine dans le pays qui porte maintenant le nom de Phocide, et cherchant à acquérir quelque autorité sur les habitants de cette contrée où il voulait s'établir, laséus s'unit à lui d'une étroite amitié, et entre autres présents qu'il lui fit, ainsi qu'il est d'usage, il lui donna une pierre gravée enchâssée dans de l'or. Phocus étant retourné peu de temps après à Égine, Pelée lui dressa sur-le-champ des embûches et le fit périr. C'est pour cela et pour rappeler cette amitié que, dans ce tableau, laséus veut regarder cette bague, et que Phocus la lui a laissé prendre.  [5] Au-dessus d'eux est Maya assise sur une pierre. Il est question d'elle dans le poème des Retours, où l'on voit qu'elle mourut fille, et qu'elle avait pour père Proetus, fils de Thersandre, fils de Sisyphe. Après Méra vienrient Actaeon, fils d'Aristée, et la mère d'Actéon ; ils tiennent dans leurs mains un faon de biche, et sont assis sur une peau de cerf, une chienne de chasse est couchée auprès d'eux, pour indiquer le genre de vie d'Actéon et la manière dont il mourut. [6] En ramenant de nouveau la vue sur le bas du tableau, vous remarquez, la suite de Patrocle, Orphée assis comme sur une espèce de colline ; il pince sa cithare de la main gauche, et il touche de sa main droite les branches d'un saule contre lequel il est appuyé : le bois où il est paraît être celui de Proserpine. [7] Ce bois, suivant Homère, est planté de peupliers et de saules. Le costume d'Orphée est Grec ; il n'a ni la robe ni le bonnet thraces. Promédon est de l'autre côté du même saule, et pareillement appuyé dessus. Quelques personnes pensent que le nom de ce Promédon est absolument de l'invention de Polygnote ; d'autres disent que cet homme était Grec de nation, et qu'il se plaisait singulièrement à entendre toute sorte de musique, et surtout les chants d'Orphée. [8] On voit encore en cet endroit du tableau, Schédius, qui conduisit les Phocéens au siège de Troie, et, après lui, Pélias assis sur un trône; il a la barbe et les cheveux blancs; il regarde Orphée. Quant à Schédius, il a une épée à la main et est couronné d'Agrostis. Thamyris est assis auprès de Pélias, il est privé de la vue et a l'air extrêmement misérable; sa chevelure est très touffue, ainsi que sa barbe ; il a jeté sa lyre à ses pieds : les cornes en sont rompues et les cordes brisées. [9] Au-dessus de lui est Marsyas assis sur une pierre, et auprès de lui Olympus, sous la forme d'un jeune garçon très beau qui apprend à jouer de la flûte. Les Phrygiens qui habitent Célènes, disent que le fleuve qui traverse leur ville, était jadis le joueur de flûte Marsyas ; ils prétendent aussi que l'air de flûte nomme Métroüm est de son invention ; enfin ils ajoutent qu'il les assista contre les barbares, tant par le secours de ses eaux que par ses airs de flûte.

СHAPITRE XXXI.

Fin des peintures de Lesché. Mort de Méléagre.

[1] EN reportant de nouveau les yeux vers le haut du tableau, vous voyez, après Actéon, Ajax de Salamine, Palamède et Thersite s'amusant à jouer aux dés, qui étaient une invention de Palamède : l'autre Ajax les regarde jouer ; ce dernier a la couleur d'un homme qui aurait péri dans un naufrage, et sa peau est encore toute blanche de l'écume de la mer. [2] Polygnote a réuni à dessein tous les ennemis d'Ulysse dans le même endroit; le fils d'Oïlée, en effet, conçut de la haine pour Ulysse, lorsque celui-ci eut conseillé aux Grecs de le lapider à cause de son attentat sur Cassandre, et je me rappelle d'avoir lu dans les vers Cypriens, que Palamède étant allé à la pêche, fut noyé par Diomède et Ulysse. [3] Méléagre, fus d'OEnée, est dans ce tableau un peu au-dessus d'Ajax, fils d'Oïlée, et il paraît le regarder. Tous ces personnages ont de la barbe, à l'exception de Palamède. Homère dit au sujet de la mort de Méléagre, que les Furies exaucèrent les imprécations d'Althée, ce qui fut cause qu'il périt. Le poème nommé Megalæ Eoae, et la Minyade, s'accordent à raconter cela d'une manière différente. On lit dans cet deux poèmes qu'Apollon étant venu au secours des Curètes contre les Étoliens, tua lui-même Méléagre. [4] Quant à la fable du tison, que les Parques donnèrent à Althée en lui assurant que son fils ne mourrait que lorsque ce tison serait consumé en entier, et qui fut brûlé par Althée dans un mouvement de colère, Phrynichus, fils de Polyphradmon, est le premier qui en ait parlé dans sa tragédie de Pleuron ; voici ses expressions : Il ne put échapper à son malheureux destin ; la flamme rapide le consuma avec le tison fatal que sa que sa cruelle mère mit au feu. Cependant Phrynicus ne s'étend pas sur ce sujet, comme il n'aurait pas manqué de le faire, si cette fable avait été de son invention, et il ne fait qu'y toucher en passant, comme à un événement déjà très célèbre dans toute la Grèce. [5] Dans la partie du bas du tableau, après Thamyris de Thrace, vous voyez Hector assis tenant ses deux mains autour de son genou gauche ; il a l'air d'être plongé dans le chagrin. Après lui viennent Memnon assis sur une pierre, et Sarpédon à côté de lui ; il tient son visage appuyé sur ses deux mains : Memnon a la main gauche sur l'épaule de Sarpédon; tous ces personnages ont de la barbe. [6] Des oiseaux sont représentés sur le manteau de Memnon ; on donne à ces oiseaux le nom de Memnonides : les habitants de l'Hellespont disent qu'ils viennent tous les ans, à certains jours, vers le tombeau de Memnon; qu'ils balayent avec soin toute la portion de ce monument où il n'y a ni arbres ni plantes ; ils l'arrosent ensuite en, apportant avec leurs plumes de l'eau du fleuve Esépus. [7] On a placé près de Memnon un enfant Éthiopien tout nu, sans doute parce que Memnon était roi de peuples Éthiopiens ; ce ne fut cependant pas de l'Éthiopie qu'il vint au secours de Troie, mais de Suse dans la Perse, et des bords du Choaspe, après avoir soumis tous les peuples qui habitent entre ce pays et l'Éthiopie. Les Phrygiens montrent encore la route par laquelle il amena son armée en prenant toujours le chemin le plus court, et l'on remarque encore les gîtes ou il séjourna. [8] Au-dessus de Sarpédon et de Memnon, on observe Paris, qui n'a pas encore de barbe  ; il claque des mains comme le ferait un paysan, et vous diriez que, par ce bruit, il veut inviter Penthésilée à venir vers lui ; cette dernière elle-même le regarde, mais, au mouvement de sa figure, on voit qu'elle le méprise et qu'elle n'en tient aucun compte. Penthésilée est représentée comme une jeune fille, avec un arc semblable à ceux des Scythes, et une peau de léopard sur les épaules. [9] Au-dessus de Penthésilée sont deux femmes qui portent de l'eau dans des cruches cassées ; l'une est encore jeune et d'une figure agréable, l'autre est déjà avancée en âge; il n'y a point d'inscription particulière pour chacune de ces femmes, mais une inscription commune à toutes les deux nous apprend qu elles n'étaient pas initiées. [10] Un peu plus haut que ces femmes vous voyez Callisto, fille de Lycaon ; Nomia et Péro, filles de Nélée. On sait que Nélée demandait les vaches d'Iphiclus pour présent de noces à ceux qui voulaient obtenir Péro en mariage. Au lieu de tapis, une peau d'ours est étendue sous Callisto, et ses pieds sont posés sur les genoux de Nomia. On a déjà vu dans un de mes livres précédents, que, suivant les Arcadiens, Nomia était une des nymphes de leur pays. L'opinion des poêles au sujet des nymphes est qu'elles vivent un très grand nombre d'années, mais qu'elles n'en sont pas moins sujettes à la mort. Après Callisto et les femmes qui sont avec elle, on voit une espèce de rocher sur lequel Sisyphe, fils d'Éole, s'efforce de faire remonter une pierre. [11] On remarque aussi dans ce tableau un tonneau, un vieillard, un jeune garçon et deux femmes, dont l'une jeune est sur une pierre, et l'autre, qu'on voit près du vieillard, est à peu près aussi âgée que lui : les autres portent de l'eau; quant à la vieille femme, il semble que sa cruche soit cassée, et elle verse dans le tonneau l'eau qui y reste. Je conjecture que ce sont des gens qui ne faisaient aucun cas des mystères d'Eleusine, car, dans les temps très anciens, les Grecs croyaient qu'il n'y avait pas moins de différence entre les mystères d'Eleusine et toutes les autres cérémonies religieuses, qu'il n'y en a des dieux aux héros. [12] On remarque au-dessous de ce tonneau Tantale qui éprouve tous les autres tourments qu'Homère a décrits, et qui de plus est agité par la frayeur que lui cause une pierre suspendue sur sa tête. Il est évident que Polygnote a suivi en cela le récit d'Archiloque, mais j'ignore si ce poète est l'inventeur de cette fable, ou s'il la tenait de quelque autre. Tel est le nombre de figures qu'offre le tableau du peintre de Thasos, et qu'il a toutes peintes avec le plus grand soin.

CHAPITRE XXXII.

Autres monuments. Grotte Gorycium, et autres grottes. Statue d'Apollon. Ville de Tithorée. Tombeau d*Antiope et de Phocus. Temple et statue d'Esculape. Temple et fête d'Isis.

[1] A L'ENCEINTE sacrée tient un théâtre qui mérite d'être vu. En montant hors de l'enceinte, vous voyez une statue de Bacchus qui est une offrande des Cnidiens. Il y a un stade au-dessus de la ville ; il était construit de pierres, telles que sont la plupart de celles du Parnasse, jusqu'à ce que Hérode, Athénien, l'eût orné de marbre Pentélique. Voilà tout ce qui existait encore de mon temps à Delphes et qui mérite à'être décrit. [2] A soixante stades ou environ au-dessus de Delphes, en montant au sommet du Parnasse, on trouve une statue en bronze, et on monte de là à l'antre Corycien par un chemin praticable non seulement pour les gens de pied, mais encore pour les mulets et les chevaux. J'ai déjà dit un peu plus haut que cet antre avait pris son nom de la nymphe Corycia. [3] De toutes celles que j'ai vues, cette grotte me paraît la plus admirable. Il serait difficile de compter toutes celles qui existent soit sur les rivages, soit dans le fond de la mer, mais voilà la plus remarquable, tant chez les Grecs que chez les Barbares. Les Phrygiens qui, venus dans l'origine de l'Arcadie et du pays d'Azan, habitent les bords du fleuve Pucella, montrent un antre nommé Steunus; il est rond, et son élévation est bien proportionnée à sa grandeur : il est consacré à la Mère des dieux, et on y voit sa statue. [4] On trouve au-dessus de Laodicée une ville nommée Thémisoniens qui est aussi habitée par les Phrygiens, les Thémisoniens disent que lorsque l'armée des Gaulois ravageait et pillait l'Ionie ainsi que les pays circonvoisins, Hercule, Apollon et Mercure vinrent à leur secours et montrèrent en songe, à leurs magistrats, un antre dans lequel ils leur ordonnèrent de cacher leurs femmes et leurs enfants. C'est pour cela, assurent-ils, qu'on a placé devant cet antre de petites statues d'Hercule, de Mercure et d'Apollon, et ils leur donnent le nom de Spélaïtes. Cet antre est à environ trente stades de la ville ; on y trouve des sources d'eau douce ; il n'est indiqué par aucun sentier ; la lumière du soleil n'y pénètre pas très avant, la voûte étant presque partout très rapprochée du sol. [6] Il y a chez les Magnètes qui habitent les bords du fleuve Léthée un endroit nommé Hylae, où l'on voit une caverne consacrée à Apollon ; elle n'a rien de merveilleux pour la grandeur, mais on y remarque une statue d'Apollon de la plus haute antiquité, et qui donne de la force pour toutes sortes de travaux à ceux qui l'invoquent; les gens qui lui sont consacrés descendent des rochers très escarpés et sautent du haut des roches les plus élevées ; ils arrachent avec leurs mains des arbres très grands et les emportent sur leurs épaules par les. sentiers les plus étroits. [7] L'antre Corycien est plus grand que tous ceux dont je viens de parler, et l'on ceux, y marcher presque partout sans flambeau ; la voûte en est suffisamment élevée au-dessus du sol, et on y trouve beaucoup de sources, mais il découle encore une bien plus grande quantité d'eau de la voûte, de sorte qu'à terre on en aperçoit des traces à chaque pas. Les habitants du Parnasse croient que cet antre est plus particulièrement consacré aux nymphes et au dieu Pan. De l'antre Corycien jusqu'aux sommets du Parnasse, le chemin est très difficile, même pour un  homme bien dispos. Ces sommets sont en effet au-dessus des nues, et c'est là que les Thyiades se livrent a leur folie en l'honneur d'Apollon et de Bacchus.

[8] Tithorée est, autant qu'on peut le conjecturer, à quatre-vingts stades de Delphes en y allant par le Parnasse ; il y a une autre route qui n'est pas toute à travers les montagnes, et qui est praticable pour les voitures, mais on dit qu'elle a quelques stades de plus. Hérodote, dans son histoire de l'expédition des Mèdes, n'est pas d'accord sur le nom de cette ville avec Bacis; [9] celui-ci en effet, dans ses Prophéties,  lui donne le nom de Tithorée, et Hérodote, en racontant que ses habitants se réfugièrent à l'approche des Barbares sur le sommet du Parnasse, donne à ce mont le nom de Tithorée, et la ville celui de Néone. Il paraît que, primitivement, Tithorée était le nom de tout le pays, et Néone celui de la ville ; mais avec le temps, lorsque les habitants des bourgs se furent réunis dans la ville, le nom de Tithorée l'emporta, et celui de Néone fut oublié. [10] Les gens du pays disent que leur ville a pris son nom de Tithorée, l'une de ces nymphes qui, suivant ce que rapportent les anciens poètes, naissaient de différents arbres, et principalement des chênes. La fortune devint contraire à Tithorée une génération avant moi ; on y voit cependant encore un théâtre et l'enceinte d'une place publique très ancienne. De tout ce qu'il y a dans la ville, les choses qui méritent le plus d'être remarquées, sont le bois sacré de Minerve, son temple et sa statue, ainsi que le monument d'Antiope et de Phocus. J'ai déjà dit, dans l'endroit où je parle des Thébains, comment Bacchus, irrité contre Antiope, l'avait rendue furieuse, et qu'elle était la cause de la colère du dieu contre elle; on y a aussi vu que Phocus, fils d'Ornytion, en étant devenu amoureux, l'épousa, qu'ils furent enterrés ensemble, et j'ai rapporté ce que le devin Bacis a prédit au sujet de ce tombeau et de celui de Zéthus et d'Amphion à Thèbes. A l'exception de ce que je viens de dire, il n'y a rien dans cette petite ville qui mérite qu'on en parle. Le fleuve qui passe auprès de la ville des Tithoréens leur fournit de l'eau pour boire; ils sont obligés de descendre sur ses bords pour la puiser : ce fleuve se nommé Cachalès. [12] Le temple d'Esculape, surnommé Archagétas, est à soixante-dix stades de Tithorée; il reçoit de grands honneurs de la part des Tïthoréens eux-mêmes, ainsi que de celle des autres Phocéens. Il y a dans son enceinte des logements pour ceux qui viennent se mettre sous la protection du dieu, et pour ses esclaves. Le temple est au milieu de cette enceinte; la statue d'Esculape est en marbre ; elle a plus de douze pieds de haut, pt elle le représente avec de la barbe. On voit un lit à droite de la statue; il est`permis de lui sacrifier toutes sortes d'animaux, excepté des chèvres. [13] A quarante stades du temple d'Esculape, se trouvent l'enceinte et le sanctuaire secret d'Isis, qui est le plus vénéré de tous ceux que les Grecs ont consacrés à cette déesse Égyptienne. Les Tithoréens ne sont point dans l'usage d'habiter les environs de ce sanctuaire, et il n'est permis à personne d'y entrer, si ce n'est à ceux que, par un choix particulier, la déesse appelle par des songes. Les dieux infernaux qu'on honore dans les villes au-dessus du Méandre en font de même ; ils avertissent par des songes ceux qu'ils veulent bien admettre dans leur sanctuaire. [14] On tient deux fois par an, dans le pays des Tithoréens, une assemblée de fête en l'honneur de la déesse, une fois au printemps et une en automne. Le troisième jour avant la fête, à chacune de ces époques, ceux à qui il est permis d'entrer dans le sanctuaire, se purifient suivant certains rites mystérieux ; ils ramassent tout ce qui reste des victimes qui ont été jetées dans le temple l'année précédente, et les portent toujours dans le même endroit, où ils les y enterrent : cet endroit est, à ce que je puis conjecturer, à deux stades du sanctuaire. Voilà ce qu'ils font pour le temple dans cette journée. [15] Les jours suivants les marchands construisent des tentes avec des roseaux et d'autres matériaux pris au hasard, et le dernier de ces trois jours ils vendent à ceux qui sont venus à la fête, des esclaves, des bestiaux de toutes les espèces, et même des vêtements et des bijoux d'or et d'argent. [16] Le milieu de la journée étant passé, on s'occupe des sacrifices ; les gens riches offrent des bœufs et des cerfs, ceux qui ne le sont pas présentent des oies et des oiseaux Méléagrides ; mais il n'est permis de sacrifier ni des porcs, ni des moutons, ni des chèvres. La piété exige que, pour brûler les victimes, on les jette dans le sanctuaire où l'on a élevé un bûcher; il faut auparavant les lier avec des bandelettes de lin ou de byssus : cette manière de les arranger est égyptienne; [17] on porte en procession tout ce qu'on a sacrifié, et, tandis que les uns jettent les victimes dans le sanctuaire, les autres mettent le feu aux tentes qui sont devant et se retirent en hâte. On raconte qu'un homme, non de ceux qui peuvent entrer dans le sanctuaire, mais un profane, fut un jour assez curieux et assez téméraire pour y pénétrer lorsque le bûcher commençait à brûler ; tout lui parut rempli de spectres ; il retourna bien à Titborée, mais il rendit l'âme après avoir raconté ce qu'il avait vu. [18] Un Phénicien m'a rapporté quelque chose de semblable. On célèbre en Égypte une fête en l'honneur d'Isis, à l'époque où l'on dit quelle pleure Osiris, с'est alors que le Nil commence à monter, et beaucoup de gens du pays assurent que ce sont les larmes de la déesse qui font que le fleuve s'enfle et arrose les terres. Il me dit donc que le Romain qui gouvernait alors l'Égypte, ayant gagné quelqu'un à prix d'argent, l'envoya dans le sanctuaire d'Isis à Coptos; cet homme en revint bien, mais, lorsqu'il eut rendu compte de ce qu'il avait vu, il mourut sur-le-champ. C'est donc avec vérité qu'Homère prétend qu'il n'est jamais avantageux à l'espèce humaine de voir les dieux d'une manière manifeste. [19] Le pays de Tithorée ne produit pas autant d'huile que l'Attique et la Sicyonie, mais cette huile, tant pour la couleur que pour le goût, est supérieure à celles de l'Espagne et de l'Istrie : on s'en sert pour la composition de toutes sortes d'huiles odoriférantes, et on en porte à Rome pour l'empereur.

CHAPITRE XXXIII.

La ville de Lédon ; celle de Lilée et ses monuments. Ville de Charadra. Amphiclée ou Ophitée. Tithronium et Drymée.

[1] IL y a une autre route qui conduit de Tithorée à Lédon. Ce dernier endroit était aussi jadis une ville, mais de mon temps les habitants l'avaient abandonnée à cause de sa faiblesse, et étaient allés, au nombre d'environ soixante-dix, s'établir sur les bords du Céphissus ; ils ont donné le nom de Lédon à leurs habitations, et ils ont, de même que les Panopéens, conservé le droit d'envoyer des députés à l'assemblée générale des Phocéens. Les ruines de l'ancienne Lédon sont quarante stades au-dessus du lieu qu'ils habitent maintenant sur les bords du Céphissus, et ils disent que leur ville avait pris son nom d'un certain Lédon Autochtone. [2] Différentes villes ont été entraînées dans des malheurs irréparables par la scélératesse de quelques-uns de leurs citoyens ; d'autres ont été conduites par des crimes à leur ruine totale, comme Troie par l'injure dont Alexandre se rendit coupable envers Ménélas; Milet par la manière dont Histiée s'abandonna à ses passions, et par ses fantaisies tantôt de bâtir une ville dans le pays des Hédones, tantôt d'être le conseiller de Darius, et tantôt de revenir en Ionie. Il en fut de même de Lédon ; elle porta en commun la peine de l'impiété de Philomélus. [3] Lilée n'est qu'à une journée de chemin de Delphes, même en hiver, en descendant par le Parnasse, ce que j'évalue à cent quatre-vingts stades. Les citoyens de cette ville, même après qu'elle eut été reconstruite, dévoient encore éprouver de nouveaux malheurs de la part des Macédoniens. Demetrius, en effet, les ayant assiégés, ils capitulèrent, et on mit dans leur ville une garnison qui y resta jusqu'à ce qu'un homme du pays, nommé Patron, ayant soulevé contre elle tous les habitants qui étaient en âge de porter les armes, vainquit les Macédoniens et les força de se retirer après avoir capitulé ; les Liléens ont placé sa statue à Delphes en mémoire de ce bienfait. [4] Il y a dans la ville du Lilée un théâtre, une place publique et des bains, ainsi que deux temples, dédiés, l'un à Apollon, et l'autre à Diane ; leurs statues, qui les représentent debout, sont de l'école Athénienne, et de marbre Pentélique. Lilée, qui a donné son nom à la ville, était, à ce qu'on dit, une de ces nymphes qu'on nomme Naïades ; elle était fille du fleuve Céphissus : [5] c'est là que ce fleuve prend sa source. II ne sort pas toujours paisiblement de la terre, mais la plupart du temps il arrive, et surtout vers le milieu du jour, qu'il fait du bruit en jaillissant ; et ce bruit peut assez bien se comparer au mugissement d'un taureau. La température de Lilée est très agréable au printemps, en été et en automne, mais l'hiver y est très rude à cause du voisinage du Parnasse. [6] Charadra est vingt stades plus loin; cette ville est située sur un rocher très élevé; ses habitants manquent d'eau, et ils n'en ont pas d'autre pour boire que celle du Charadrus, qui, après un cours d'environ trois stades, va se jeter dans le Céphissus : c'est, à ce que je crois, de ce fleuve Charadrus que la ville a pris son nom. On voit à Charadra, en plein air, les autels de ceux qu'on nomme les héros ; quelques personnes les prennent pour les Dioscures, d'autres pour des héros du pays. [7] Les terres qui bordent le Céphissus sont, sans contredit, les meilleures de toutes celles de la Phocide, et les plus propres au labourage, aux plantations d'arbres et aux pâturages ; aussi sont-elles les mieux cultivées de toute la contrée : c'est ce qui a fait dire qu'il n'y avait point eu de ville du nom de Parapotamies, et que c'était de ceux qui cultivent les bords du Céphissus dont il est question dans ce vers d'Homère : Et ceux qui habitent les rives dû divin Céphissus; [8] mais les personnes qui avancent cela se trouvent en contradiction avec l'histoire d'Hérodote elles mémoires qu'on conserve des victoires Pythiques ; car lorsque les Amphictyons firent célébrer pour la première fois les jeux Pythiques, Aecmaeas, Parapotamien, fut vainqueur au pugilat parmi les enfants ; et de même Hérodote, dans l'énumération des villes de la Phocide que Xerxès fit brûler, fait mention de Parapotamies ; mais cette ville ne fut point rétablie par les Athéniens et les Béotiens, et les habitants, à cause de leur faiblesse et de leur pauvreté, furent distribués dans d'autres villes. Il ne reste maintenant aucune ruine de Parapotamies, et l'on ne se rappelle pas de l'endroit où elle était bâtie. [9] Le chemin de Lilée à Amphiclée est de soixante stades; le nom de cette dernière ville a été corrompu par les gens du pays. Hérodote, se conformant à la tradition la plus ancienne, la nomme Amphicée, et les Amphictyons, dans le décret qu'ils rendirent pour la destruction de plusieurs villes de la Phocide, la nomment Amphiclée. Quant aux habitants, voici ce qu'ils disent à cet égard : Un homme qui avait une certaine autorité dans la contrée, soupçonnant quelque complot de la part de ses ennemis contre son fils encore enfant, le mit dans ne vase et le cacha dans l'endroit du pays où il crut qu'il serait le plus en sûreté. Un loup étant venu attaquer cet enfant, un très gros serpent, qui s'était entortillé autour du vase, en prit la défense ; lorsque le père arriva, il crut que le serpent en voulait à son enfant, et. ayant lancé un trait, il le tua et tua son fils du même coup. Il apprit ensuite des bergers des environs avait tué le bienfaiteur et le protecteur de son fils. [10] Il mit sur le même bûcher et son fils et le serpent; aussi dit-on que la terre de ce canton ressemble à la cendre d'un bûcher. On prétend que la ville a pris de ce serpent le nom d'Ophitée. Ce qu'on y voit de plus remarquable c'est un temple de Bacchus ; l'entrée du sanctuaire est cachée, ainsi que la statue ; [11] on y célèbre des orgies en l'honneur du dieu. Les Amphicléens assurent qu'il leur prédit l'avenir et qu'il les soulage dans leurs maladies, ainsi que leurs voisins ; il leur indique par des songes ce qu'ils doivent faire pour guérir. Quant à l'avenir, c'est le prêtre qui sert de prophète, et il rend ses oracles lorsque le dieu s'est emparé de lui. [12] Quinze stades plus loin qu'Amphiclée, vous trouvez Tithronium, ville située dans une plaine; elle n'offre rien qui mérite d'être cité. On compte vingt stades de Tithronium à Dryraée; cette route et celle d'Amphiclée à Drymée se joignent vers le Céphissus. Il y a là, dans le pays de Tithronium, un bois consacré à Apollon ; on y voit un temple et des autels, mais il n'y a point de statue. Drymée est à quatre-vingts stades d'Amphiclée. En tournant à gauche vous arrivez à la ville, qui, suivant Hérodote, se nommait anciennement Nauboles, et qui a été fondée, à ce que disent les habitants,  par Phocus, fils d'Éaque. Les Dryméens ont un ancien temple de Cérès Thesmophore avec sa statue en marbre qui la représente debout ; on y célèbre tous les ans les fêtes des Thesmophories.

CHAPITRE XXXIV.

Ville d'Etalée ; exploits et malheurs des Elatéens. Monuments d'Etalée. Temple de Minerve Cranéa et son culte.

[1] Élatée est, après Delphes, la plus grande de toutes les villes de la Phocide ; elle est située à l'opposite d'Amphiclée. Il y a d'une de ces villes à l'autre cent quatre-vingts stades de chemin; la plus grande partie de cette route est par la plaine; elle ne commence a monter un peu que tout auprès d'Élatée. Le Céphissus coule dans cette plaine, et ses bords sont très fréquentés par les oiseaux connus sous le nom d'outardes. [2] Les Elatéens parvinrent dans le temps a repousser Cassandre et l'armée des Macédoniens ; ils se défendirent aussi contre Taxile, général des troupes de Mithridate. Pour les récompenser de leur courage, les Romains les laissèrent jouir de leur liberté et ne mirent aucun tribut sur leurs terres. Ils se prétendent étrangers d'origine et disent que leurs ancêtres étaient venus anciennement de l'Arcadie ; ils racontent en effet que lorsque les Phlégyens allèrent attaquer le temple de Delphes, Elatus, fils d' Arcas, alla au secours du dieu, et resta ensuite avec son armée dans la Phocide, où il fonda Élatée. [3] Cette ville est du nombre de celles que les Mèdes brûlèrent; elle partagea tous les autres malheurs des Phocéens, et en éprouva elle-même de particuliers île la part des Macédoniens. Cassandre en ayant formé le siège, fut obligé de se retirer, grâce principalement à Olympiodore, qui rendit ses efforts inutiles ; mais Philippe, fils de Démétrius, contint le peuple d'Élatée par la terreur, en même temps qu'il s'attacha les principaux par ses présents. [4] Titus Flamininus, général des Romains, qu'on avait envoyé de Rome pour rendre la liberté à toute la Grèce, offrit aux Elatéens de rétablir leur ancienne forme de gouvernement, et leur fit dire par ses députés de se détacher de l'alliance des Macédoniens ; mais soit stupidité de la part du peuple, soit que cela vînt des magistrats, ils voulurent rester fidèles à Philippe; aussi, à la suite d'un siège, furent-ils soumis par les Romains. Plus tard, ils repoussèrent de leurs murs Taxile, général de Mithridate, qui était venu les assiéger avec les Barbares du Pont; les Romains leur rendirent la liberté pour les récompenser de leur valeur. [5] Les brigands connus sous le nom de Costoboces, qui ravagèrent la Grèce de mon temps, s'êtant avancés jusqu'à Élatée, Mnésibulus, après avoir [page 514] rassemblé quelques troupes, combattit ces barbares et les tailla en pièces, mais il y périt. C'est ce même Mnésibule qui avait été plusieurs fois vainqueur à la course, et qui, en la deux cent trente-cinquième olympiade, remporta le prix du stade simple et du stade doublé avec son bouclier. Un statue de bronze qu'on lui a érigée sur le grand chemin près de la ville, atteste ses victoires. [6] La place publique d'Élatée est fort belle; dans le milieu il y a un cippe avec une statue d'Élatus au-dessus. Je ne sais si les habitants ont voulu l'honorer comme leur fondateur, ou si cette colonne est là seulement pour marquer sa sépulture. Près de là on voit un temple d'Esculape, où le dieu est représenté avec une grande barbe. Sa statue est un ouvrage de deux Athéniens, Timoclès et Timarchidès. Au bout de la ville, à main droite, vous voyez un théâtre et une Minerve de bronze qui paraît fort ancienne. Les habitants disent que cette divinité les secourut contre l'armée de Taxile. [7] À vingt stades d'Élatée, on trouve un temple de Minerve Cranéa; le chemin qui y conduit va en pente, mais la pente est si douce, que vous montez sans vous en apercevoir. Quand vous êtes arrivés, vous voyez un rocher assez escarpé, qui ne vous paraît ni fort haut, ni fort grand; c'est sur ce rocher que le temple est situé.  Il est accompagné de portiques où il y a des appartements pour les ministres du temple et surtout pour le prêtre de Minerve.  [8] On choisit cе dernier parmi les enfants impubères, et on a soin de le prendre assez jeune pour que le temps de son sacerdoce soit écoulé avant qu'il ait atteint l'âge de puberté ; il exerce ces fonctions pendant cinq années consécutives, durant lesquelles il vit toujours dans le temple de la déesse, où il se baigne même dans une espèce de baquet, suivant l'ancienne manière. La statue de la déesse est aussi l'ouvrage des fils de Polyclès; elle est armée comme pour aller au combat, et on a représenté sur son bouclier le même sujet qu'on voit à Athènes sur celui de Minerve nommée Parthénos.

CHAPITRE XXXV.

Abes, ville consacrée à Apollon. Ses monuments. Hyampolis et ses monuments. Suris et temple de Cérés Stiritide.

[1] ON peut aller d'Élatée à Abes et à Hyampolis par la route à travers la montagne qui est à droite d'Élatée ; le grand chemin d'Orchomène a Oponte conduit aussi à ces deux villes : en allant donc d'Orchomène à Oponte, et en vous détournant un peu à gauche, vous couvez un sentier qui vous conduit à Abes. Les habitants de cette ville disent que leurs ancêtres sont venus d'Argos s'établir dans la Phocide, et qu'elle a pris son nom d'Abas, leur fondateur, qui était le fils de Lyncée et d'Hypermnestre, fille de Danaüs. Cette ville passait dès les temps les plus anciens pour consacrée à Apollon, qui y avait même un oracle. [2] Les Romains se conduisirent bien différemment que les Perses envers le dieu qu'on honore à Abes; car, pour lui témoigner leur vénération, ils permirent aux Abaéns de se gouverner par leurs propres lois, tandis que l'armée de Xerxès avait brûlé jusqu'au temple d'Abes. Ceux des Grecs qui repoussèrent les Barbares ne crurent pas devoir rétablir les temples qu'ils avoient brûlés, pour avoir éternellement sous les yeux des objets qui rappelassent leur haine ; c'est pour cela que les temples du pays d'Haliarte, celui de Junon dans l'Attique sur le chemin de Phalère, et celui de Cérés à Phalère même, sont encore maintenant à moitié brûlés. [3] Celui d'Abes présentait probablement le même aspect; mais pendant la guerre Phocéenne, quelques Phocéens, vaincus dans un combat, s'étant réfugiés à Abes, les Thébains brûlèrent, pour la seconde fois après les Mèdes, ce temple et ceux qui s'y étaient réfugiés. Ce qui reste maintenant de cet édifice est donc dans le plus grand délabrement, ayant été d'abord très endommagé par le feu qu'y avoient mis les Mèdes, et détruit de nouveau par celui qu'y mirent les Béotiens. [4] Auprès du grand temple on en voit un autre plus petit que l'empereur Adrien a érigé à Apollon ; les statues sont plus anciennes et y ont été placées par les Abéens eux-mêmes ; elles sont en bronze et représentent Apollon, Latone et Diane, tous les trois debout. Les Abéens ont aussi un théâtre et une place publique, tous deux d'une architecture très ancienne. [5] En reprenant ensuite le chemin d'Oponte, vous arrivez à Hyampolis : le nom de cette ville fait assez connaître l'origine de ses habitants et de quelle contrée ils avaient été chassés, lorsqu'ils vinrent dans ce pays. Les Hyantes, en effet, ayant pris la fuite devant Cadmus et les troupes qu'il avait amenées, vinrent en cet endroit ; leur ville, dans les premiers temps, fut connue par les peuples des environs sous le nom de Hyanton-Polis, ville des Hyantes, dans la suite on la nomma tout simplement Hyampolis. [6] Quoiqu'elle ait été brûlée par Xerxès, et de nouveau détruite par Philippe, on y voit cependant encore les constructions d'une ancienne place publique, un édifice peu considérable où s'assemble le sénat, et un théâtre qui est à peu de distance des portes. L'empereur Adrien y a fait élever un portique qui porte son nom. On ne trouve qu'un puits dans toute la ville ; c'est lui qui fournit aux habitants toute l'eau qu'ils boivent et qu'ils emploient à leurs bains, excepté en hiver qu'ils ont celle de la pluie. [7] Diane est la divinité pour laquelle ils ont le plus de vénération, et ils lui ont érigé un temple. J'ignore comment est faite sa statue, l'usage n'étant pas d'ouvrir ce temple plus de deux fois par an. Ils disent que tous les bestiaux qu'ils consacrent au nom de la déesse, n'ont jamais de maladies et deviennent bien plus gras que les autres. [8] Le chemin qui passe à Panopée, vers Daulis et le chemin Fourchu, n'est pas le seul passage par où l'on entre de Chéronée dans la Phocide ; il y en a un autre qui est très rude et presque tout entier à travers les montagnes : celui-là conduit de Chénonée à Stiris, ville de la Phocide, et il a cent vingt stades de long. Les Stirites se prétendent Athéniens d'origine et non Phocéens ; ils vinrent, à ce qu'ils racontent, de l'Attique avec Pétéus, fils d'Ornéus, qui avait été chassé d'Athènes par Agée ; et comme la plupart de ceux qui suivirent Pétéus étoffent du bourg de Stiris, ils donnèrent pour ce motif, à la ville, le nom de Stiris. [9] Elle est bâtie dans un lieu très élevé et très pierreux, ce qui fait qu'on y manque d'eau en été : les puits, en effet, n'y sont pas très nombreux, et l'eau qu'ils fournissent n'est pas bonne ; aussi ne s'en sert-on que pour les bains et pour abreuver les bestiaux : les hommes vont chercher l'eau qu'ils boivent à une source qui est environ quatre stades au-dessous de la ville. Cette source est dans une roche creuse, et on y descend pour puiser de l'eau. [10] On voit dans Stiris un temple de Cérès surnommée Stiritide ; ce temple est de briques crues ; la statue de la déesse est en marbre Pentélique: elle tient des torches ; on remarque auprès d'elle une autre statue très ancienne enveloppée de bandelettes : il y a aussi d'autres choses qui servent au culte de Cérès.

CHAPITRE XXXVI.

Ville d'Ambrisse et ses monuments. Ville d'Anticyre. Temple  de Cérés Dictynnée. Malheurs des Anticyréens. Ellébore. Monuments à Anticyre.

[1] ON compte environ soixante stades de Stiris à Ambrysse ; la route est dans une plaine entourée de montagnes : celte plaine est toute couverte de vignes ; quant au territoire d'Ambrysse, il est planté en grande partie d'une espèce d'arbrisseau que les Ioniens et les autres grecs nomment coccus, et que les Gaulois établis au-dessus de la Phrygie nomment houx dans là langue de leur pays ; ces plantations sont disposées comme de la vigne. [2] Cet arbrisseau est de la même grandeur que l'épine blanche; ses feuilles sont d'un vert plus foncé et  ont plus tendres que celles du lentisque, à qui il est pareil pour tout le reste. Son fruit, semblable à celui de la morelle, est à peu près de la grosseur d'un pois chiche : ce fruit renferme un petit insecte ; si le fruit est arrivé à sa maturité, et que cet insecte se trouve en l'air, il s'envole sur-le-champ, et il ressemble alors à un cousin ; mais ou cueille le fruit du coccus avant que l'insecte en soit sorti : le sang de ce dernier sert à la teinture des laines. [3] Ambrysse est au bas du Panasse, et Delphes est au-delà ; elle a pris son nom à ce qu'on dit, du héros Ambryssus. Les Thébains étant en guerre avec Philippe et les Macédoniens, entourèrent Ambrysse d'un double mur qu'ils construisirent avec la pierre du pays qui est noire et très dure et chacun de ces murs n'a pas moins de cinq pieds d'épaisseur et environ treize pieds de haut dans les endroit où ils n'ont pas souffert; [4] il y a cinq pieds d'intervalle d'un de ces murs à l'autre : on n'y a fait ni tours ni créneaux, ni rien de ce qui sert à l'ornement, a murs ayant été construits seulement pour se défendre dans le moment où on en avait besoin. Les Ambrysséens ont une place publique qui n'est pas très grande, et les statues de marbre qui l'ornaient sont brisées pour plupart. En tournant du côté d'Anticyre, le chemin est d'abord très raide à monter, mais, après avoir fait  environ  deux stades, vous trouvez une place unie et vous voyez à droite du chemin le temple de Diane surnommée Dictynnéa, pour laquelle les Ambrysséens ont la plus grande vénération : sa statue, qui est en marbre noir, est un ouvrage dans le style Eginète. [5] En allant de ce temple à Anticyre, vous descendez toujours. On dit que cette ville portait anciennement  le nom de Cyparissus, et qu'Homère a préféré la nommer ainsi dans le catalogue des Phocéens, quoiqu'elle portât déjà le nom d'Anticyre, car Anticyrée était contemporain d'Hercule. [6] Cette ville est tout auprès des ruines de Médéon. J'ai déjà rapporté au commencement de ce livre que les Anticyréens manquèrent de respect pour le temple de Delphes, et qu'après l'avoir pillé, ils se virent chassés de leur ville par Philippe, fils d'Amyntas ; ils le furent une seconde fois par Atilius, général Romain, parce qu'ils étaient alors sujets de Philippe, fils de Démétrius, et roi des Macédoniens. Atilius avait été envoyé de Rome pour secourir les Athéniens contre les entreprises de ce prince. [7] Les montagnes au-dessus d'Anticyre sont très pierreuses ; c'est là principalement que vient l'ellébore. Il y en a de deux espèces ; la noire qui passe par le bas et purge le ventre, et la blanche qui fait vomir : c'est la racine de la plante qu'on emploie comme remède. [8] On voit sur la place publique d'Anticyre plusieurs statues de bronze ; on remarque sur le port un temple de Neptune : il est petit et construit avec des pierres de choix ; il est recrépi dans l'intérieur; la statue du dieu est en bronze; il est debout, le pied gauche sur un dauphin, et il tient de ce côté-là sa main sur sa cuisse : il a dans son autre main un trident. [9] Un peu plus loin que le gymnase, où sont aussi leurs bains, on en trouve un autre plus ancien, où l'on voit une statue de bronze: une inscription qu'on y lit, nous apprend que c'est Xénodamus d'Anticyre, Pancratiaste, qui remporta la victoire à Olympie parmi les hommes. Si cette inscription dit la vérité, il faut que ce Xénodamus ait obtenu la victoire en la deux cent onzième olympiade ; c'est la seule en effet que les Éléens ayant oubliée sur leurs registres.[10]  Il  y a au-dessus de la place publique une source d'eau dans un puits; ce puits est abrité du soleil par un toit que soutiennent des colonnes. Un peu plus haut est un tombeau bâti avec des pierres communes ; c'est là, assure-t-on, que sont enterrés les fils d'Iphitus, dont l'un, Epistrophus, revint du siège de Troie et mourut dans sa maison; quant à Schédius, il avait, à ce qu'on prétend, perdu la vie dans la Troade ; mais on a rapporté ses os dans sa patrie.

CHAPITRE XXXVII.

Ville de Bulis et ses monuments. Cirrha, port de Delphes. Cirque pour les courses des chevaux. Stratagème de Solon. Monuments de Cirrha.

[1] EN allant en avant, à deux stades tout au plus de la ville, à droite, vous trouvez un rocher très élève qui fait partie de la montagne ; sur ce rocher est un temple de Diane : sa statue est un des ouvrage de Praxitèle ; elle a un flambeau à la main droite, un carquois sur les épaules, et un chien auprès d'elle, à sa gauche ; cette statue est plus grande que les femmes de la taille la plus élevée.

[2] La ville de Bulis, qui est limitrophe de la Phocide, a pris son nom de Bulon, qui amena dans cet endroit une colonie tirée des villes de l'ancienne Doride. On dit que les Bulidiens ne voulurent point s'associer à l'entreprise de Philomélus et des Phocéens contre le temple de Delphes. Il y a quatre-vingts stades de chemin de Bulis à Thisbé, ville de la Béotie. Les montagnes qui séparent Bulis d'Anticyre sont si impraticables et si escarpées que je ne sais pas si, à travers la Phocide, il y a même une route d'une de ces villes à l'autre. D'Anticyre au port, on compte cent stades, et je crois qu'il y eu a tout au plus sept pour un homme de pied, de Bulls à ce même port. [3] Une rivière qui n'est qu'un torrent, se jette dans la mer en cet endroit ; les gens du pays le nomment Héraclium. Bulis est sur une hauteur, et elle se trouve sur le passage de ceux qui vont par mer d'Anticyre à Léchée dans le pays des Corinthiens. Plus de la moitié des habitants de ce canton s'occupent à la pêche des coquillages pour teindre en pourpre. La ville de Bulis n'offre aucun édifice bien remarquable, excepté un temple de Diane et un temple de Bacchus; les statues sont en bois. il m'a été impossible de conjecturer de qui elles pouvaient être l'ouvrage. De tous les dieux, celui que les habitants révèrent le plus, est celui qu'ils nomment Mégistos (très grand) : ce qui est, je crois, un surnom de Jupiter. Les Bulidiens ont aussi une fontaine qu'ils nomment Saunium.

[4] Il y a soixante stades de Delphes à Cirrha, qui est le port de cette ville ; en descendant dans la plaine vous trouvez l'hippodrome, où se font les courses de chevaux pour les jeux Pythiques. J'ai parlé du Taraxippus d'Olympie dans mon livre sur l'Élide ; l'hippodrome consacré à Apollon n'est pas non plus lui-même exempt des accidents qui troublent quelquefois ceux qui se livrent aux exercices des chevaux, la fortune se plaisant, dans toutes les choses de la vie, à distribuer aux hommes et les biens et les maux; on n'attribue cependant l'effroi qu'éprouvent les chevaux dans cet hippodrome ni à aucun héros ni à aucune autre cause occulte. [5] La plaine qui est entre Delphes et Cirrha est absolument nue, et l'on ne peut y planter aucun arbre, soit à cause de quelque imprécation, soit qu'on sache que la terre n'est pas propre à les nourrir. On dit au sujet de Cirrha et c'est de cette Cirrha que la ville a pris, à ce qu'on assure, le nom qu'elle porte maintenant. Homère cependant se sert de l'ancien nom Crissa dans l'Iliade et dans l'hymne à Apollon. Dans la suite des temps, les habitants de Cirrha se portèrent à différentes impiétés envers Apollon, et s'emparèrent d'une portion du terrain consacré au dieu; les Amphictyons crurent donc devoir leur faire la guerre; ils donnèrent le commandement des troupes à Clisthène, tyran de Sicyone, et ils firent venir d'Athènes Solon pour l'assister de ses conseils. [6] Les Amphictyons ayant consulté l'oracle sur les moyens d'obtenir la victoire, la Pythie leur répondit : Vous ne parviendrez à détruire les murs de cette ville, âpres l'avoir prise, que lorsqu'Amphitrite aux yeux bleus aura baigné de ses flots l'enceinte qui m'est consacrée. Alors Solon leur conseilla de consacrer au dieu tout le territoire de Cirrha pour que la mer devînt voisine de l'enceinte sacrée. [7] Il imagina aussi un autre stratagème contre les Cirrhéens; il détourna ailleurs l'eau du fleuve Plistus, qui se rendait dans leur ville par un aqueduc ; les assiégés continuaient cependant à se défendre en buvant l'eau des puits et celle qui tombait du ciel ; mais Solon fit jeter dans le Plistus une très grande quantité de racine d'ellébore ; lorsqu'il s'aperçut que l'eau s'en était suffisamment imprégnée, il fit rentrer le fleuve dans l'aqueduc; les Cirrhéens en ayant bu abondamment, se virent attaqués d'une si violente diarrhée qu'ils abandonnèrent la garde des murs. [8] Les Amphictyons ayant pris la ville, punirent les habitants de leur impiété envers Apollon. Cirrha est maintenant le port des Delphiens ; elle n'offre de remarquable qu'un temple dédié à Apollon, à Diane et à Latone ; leurs statues, qui sont d'une très grande proportion, sont de l'école d'Athènes. La statue d'Adrastée est placée dans le même temple, mais elle est bien moins grande que les autres.

CHAPITRE XXXVIII.

Les Locriens. Ville d'Amphisse et ses monuments. Fête des Amphisséens. Villes des Locriens. Myonie, Oeanthia et Naupacte ; leurs monuments. Temple d'Esculape.

[1] LE pays des Locriens nommés Ozoles confine à la Phocide du côté de Cirrha. J'ai entendu donner différentes raisons de ce surnom des Locriens, et je les rapporterai toutes. Oresthée, fils de Deucalion, étant roi de ce pays, sa chienne mit bas, et, au lien d'un chien, produisit un morceau de bois; Oresthée l'ayant enterré, il en provint de la vigne le printemps suivant ; et ce fut des rameaux (en grec ozos) que ce bois avait produits, que les hommes de cette contrée prirent le nom d'Ozoles. [2] D'autres disent que Nessus, qui transportait les voyageurs d'un côté du fleuve Evénus à l'autre, ayant été blessé par Hercule, n'expira pas sur-le-champ, mais s'enfuit jusque dans ce pays, où, il mourut; et son corps étant resté sans sépulture, infecta l'air de son odeur en pourrissant. Suivant une troisième tradition, cette mauvaise odeur est produite par les vapeurs d'un certain fleuve ; une quatrième opinion, est qu'elle vient des fleurs de l'asphodèle, qui croît en ce pays en très grande abondance; [3] enfin on prétend que les premiers habitants de cette contrée étaient Autochtones, el que ne sachant pas faire des étoffes pour se vêtir, ils se garantissaient du froid en se couvrant de peaux de bêtes sauvages non apprêtées, dont ils tournaient le poil en dehors pour que cela parut plus beau; de sorte que l'odeur du cuir cru se communiquait à leur peau, ce qui leur fit donner le nom d'Ozoles, ou puants.

[4] Amphisse, la plus grande et la plus célèbre ville de ces Locriens, est à cent vingt stades de Delphes; ses habitants, rougissant du nom d'Ozoles, se font passer pour Étoliens, et il est effectivement vraisemblable que lorsque l'empereur des Romains força les Étoliens à quitter leur pays pour aller s'établir à Nicopolis, la plus grande partie du peuple se retira à Amphisse; cependant ils sont Locriens d'origine. On dit que cette ville a pris son nom d'Amphissa, fille de Macar, fils d'Eolus, et qu'Apollon fut amoureux d'Amphissa. [5] Cette ville est ornée de différents édifices, mais ce qu'il y a de plus remarquable c'est le tombeau d'Amphissa et celui d'Andraemon; on assure que Gorgé, fille d'Oenée et épouse d'Andrémon, est enterrée avec lui. On voit dans la citadelle un temple de Minerve et une statue de cette déesse en bronze qui la représenta debout. On raconte que Thoas apporta cette statue de Troie, et qu'elle faisait partie du butin pris dans cette ville, mais je n'en crois rien. [6] J'ai déjà fait voir en effet, dans un de mes livres précédents, que Rhécus, fils de Рhiéus  et Théodore, fils de Téléclus, tous deux Samiens, ont été les inventeurs de l'art de fondre parfaitement le cuivre et de le jeter en moule. Je ne me souviens pas d'avoir vu aucun ouvrage en cuivre de Théodore ; mais dans le temple de Diane à Éphèse, en allant vers la chapelle où l'on voit des peintures, on remarqué un autel dédié à Diane surnommée Protothronia, sur lequel est une balustrade de marbre : il y a sur cette balustrade différentes statues ; celle de femme qui est à l'extrémité, et que les Éphésiens nomment la Nuit, est un ouvrage de Rhécus : [6] or, cette statue me paraît bien plus ancienne et d'un travail bien plus grossier que celle de Minerve qu'on trouve à Amphisse. Les Amphisséens célèbrent aussi des mystères qu'ils nomment les mystères des Anactes enfants. On n'est pas trop d'accord sur ce que c'est que ces Anactes enfants; les uns disent que ce sont les Dioscures; suivant d'autres Ce sont les Curetés ; enfin, ceux qui se croient mieux instruits, prétendent que ce sont les Cabires. [8] Voici quelles sont toutes les autres villes de la Locride : au-dessus d'Amphisse, et en remontant dans le continent, vous rencontrez Myonia, qui est à environ trente stades d'Amphisse; ce sont les habitants de cette ville qui ont offert à Jupiter Olympien le bouclier dont j'ai parlé. Cette petite ville est située sur une hauteur ; on y voit un bois et un autel consacrés aux dieux Milichiens ; on leur offre des sacrifices pendant la nuit, et on est dans l'usage de consommer les chairs des victimes sur les lieux mêmes ; et avant que le soleil soit levé. Au-dessus de la ville est une enceinte consacrée à Neptune : on la nomme Posidonium; on y remarque un temple de ce dieu, mais il n'y avait plus de statue de mon temps. Cette ville est au-dessus d'Amphisse. [9] Vous trouvez ensuite sur les bords de la mer, Œanthia, et, dans son voisinage, Naupacte ; toutes ces villes, à l'exception d'Amphisse, sont soumises aux Achéens de Patras, à qui l'empereur Auguste les a données. On voit à Oeanthia un temple de Vénus, et un peu au-dessus de la ville, est un bois où les cyprès el les pins se trouvent mélangés; dans ce bois est un temple et une statue de Diane ; les peintures qui étaient sur les murs ont été effacées par le temps, et l'on ne peut plus rien y distinguer. [10] Je conjecture que cette ville a pris son nom de quelque femme ou de quelque nymphe. Quant à Naupacte, je sais qu'on ait qu'elle a pris son nom de ce que les Doriens qui étaient dans cet endroit avec le fils d'Aristomaque, y fabriquèrent les vaisseaux sur lesquels ils passèrent dans le Péloponnèse. J'ai raconté fort au long, dans mon livre sur Messène, comment les Athéniens, après avoir enlevé Naupacte aux Locriens, y établirent ceux qui, s'étant révoltés lors du tremblement de terre de Lacédémone, s'étaient retirés à Ithome, et comment, après la défaite des Athéniens à Egos-Potamos, les Lacédémoniens chassèrent aussi les Messéniens de Naupacte. Ces derniers ayant été forcés d'abandonner Naupacte, les Locriens s'y rassemblèrent de nouveau. [11] Le poème que les Grecs nomment les Vers Naupactiens, est assez généralement attribué à un Milésien ; cependant Charon, fils de Pythéus, leur donnepour auteur Carcinus de Naupacte, et je me range à l'opinion de l'écrivain de Lampsaque. Quelle apparence y a-t-il, en effet, qu'un Milésien ayant fait un poème sur les femmes, l'eût nommé les Vers Naupactiens? [12] On voit à Naupacte, sur les bords de la mer, un temple de Neptune et une statue en bronze de ce dieu, qui le représente debout. On y remarque aussi un temple de Diane avec sa statue en marbre blanc ; elle est représentée tirant de l'arc : on lui donne le surnom d'Etolienne. Vénus y est adorée dans un antre ; on l'implore pour différentes choses; les femmes et les veuves surtout s'adressent à elle pour obtenir des maris. [13] Le temple d'Esculape est tout en ruines ; il avait été bâti dans l'origine par un simple particulier nommé Phalysius. Il avait mal aux yeux, et il s'en fallait peu qu'il ne fût aveugle ; le dieu d'Épidaure lui envoya par Anyté, celle qui a fait des vers, des tablettes scellées. Cette femme avait vu en songe le dieu qui lui remettait ces tablettes et lui ordonnait de les porter à Phalysius ; son songe s'était réalisé, car en se réveillant elle avait trouvé ces tablettes scellées dans ses mains. S'étant embarquée et rendue à Naupacte, elle ordonna à Phalysius de rompre le cachet et de lire ce qui était écrit sur ces tablettes ; celui-ci ne voyait pas trop comment il lui serait possible de lire, ayant les jeux aussi malades; cependant, plein de confiance en Esculape, il enleva le cachet, et, en regardant ce qui était écrit sur la cire, ses yeux furent guéris. Il donna à Anytê deux mille statères d'or comme cela était écrit sur les tablettes.

FIN DU TOME CINQUIÈME.

 

 

FIN DU LIVRE X DE PAUSANIAS ET DU TOME CINQUIÈME.