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table des matières de PAUSANIAS

 

 

PAUSANIAS

 

LIVRE IX.

livre X - Phocide

 

BÉOTIE.

 

Oeuvre numérisée et mise en page en collaboration avec Marc Szwajcer

 

 

texte grec

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DESCRIPTION DE LA GRÈCE,

 

PAR PAUSANIAS.

 

BÉOTIE,

 

LIVRE IX.

CHAPITRE I.

La Béotie. Les Platéens et leurs exploits contre Xerxès.

[1] LA Béotie est en partie limitrophe de l'Attique, surtout du côté de Platée qui touche à Eleuthères. Le peuple Béotien a pris son nom de Boeôtos ; on dit que Boeôtos était fils d'Itonos et de la nymphe Mélanippé, et qu'Itonos était fils d'Amphictyon. Les villes de la Béotie ont pris quelques-unes des noms d'hommes, et la plupart des noms de femmes. Les Platéens qui sont, à ce que je crois, autochtones, disent que le leur vient de Platée qui était, suivant eux, fille du fleuve Asopos. [2] Il est évident qu'ils étaient anciennement gouvernés par des rois ; car il n'y avait alors que des monarchies dans la Grèce, et point du tout de démocraties. Les Platéens ne connaissent aucun de leurs anciens rois, excepté Asopos et Cithéron qui avait régné avant lui ; ils ont donné leur nom, l'un au fleuve, l'autre à la montagne ; et je crois que Platée qui avait donné le sien à la ville, était fille du roi Asopos, et non du fleuve. [3] On ne connaît aucune action mémorable des Platéens avant la bataille de Marathon où ils se trouvèrent avec les Athéniens. Plus tard Xerxès étant venu dans la Grèce, ils eurent le courage de s'embarquer avec les Athéniens, et combattirent dans leur propre pays contre Mardonios, fils de Gobryas et général de Xerxès. Il leur arriva deux fois d'être chassés de la Béotie et d'y revenir de nouveau. [4] Les Lacédémoniens assiégèrent leur ville et la prirent pendant la guerre du Péloponnèse contre les Athéniens ; elle fut rétablie à l'époque de la paix qu'Antalcidas, Spartiate, fit au nom des Grecs avec le roi des Perses, et les Platéens y revinrent d'Athènes où ils s'étaient réfugiés ; mais ils ne devaient pas tarder à éprouver un second malheur. La guerre n'était pas ouvertement déclarée entre eux et les Thébains, les Platéens disaient même que la paix subsistait toujours, parce qu'ils n'avaient eu aucune part ni au projet ni à l'exécution de la prise de la Cadmée par les Lacédémoniens; [5] mais les Thébains prétendaient que la paix, étant l'ouvrage des Lacédémoniens, était rompue pour tout le monde, dès l'instant qu'ils l'avaient violée eux-mêmes. Les Platéens d'après cela, n'étant pas sans inquiétude du côté des Thébains, veillaient avec le plus grand soin à la sûreté de leur ville ; et ceux qui avaient des terres à quelque distance, n'y allaient pas tous les jours ; mais sachant que les Thébains s'assemblaient assez souvent pour délibérer en commun, ils remarquaient ces jours d'assemblées, et ils allaient alors tranquillement visiter leurs biens, même ceux qui étaient les plus éloignés. [6] Néoclès qui se trouvait alors béotarque à Thèbes, n'ignorant pas cette manœuvre des Platéens, ordonna un jour aux Thébains de se rendre tous à l'assemblée avec leurs armes ; il les conduisit sur-le-champ à Platée, non par le chemin le plus court à travers la plaine, mais par le chemin d'Hysies qui va à Eleuthères et dans l'Attique, sur lequel il n'y avait point de sentinelles, et par où il devait se trouver sous les murs de Platée, au plus tard vers le milieu de la journée. [7] Les Platéens croyant les Thébains à leur assemblée, restaient dans leurs champs, et cependant l'entrée de la ville leur était fermée ; ceux qui furent pris dedans,capitulèrent avec les Thébains qui leur permirent de s'en aller avant le coucher du soleil; les hommes chacun avec une tunique et les femmes avec deux. Il arriva alors aux Platéens le contraire de ce qui s'était passé, lorsqu'ils avaient été pris précédemment par Archidamus  et les Lacédémoniens; car ceux-ci en les assiégeant les avaient enfermés d'un double mur pour les empêcher de sortir de la ville ; les Thébains, au contraire, s'en emparèrent en les empêchant d'y entrer. [8] Platée fut prise pour la seconde fois trois ans avant la bataille de Leuctres, sous l'Archontat d'Astios à Athènes ; la ville fut entièrement rasée par les Thébains à l'exception des temples ; la manière dont elle avait été prise, fut la cause du salut de tous les Platéens ; les Athéniens les reçurent de nouveau chez eux. Après la bataille de Chéronée, Philippe mit garnison à Thèbes, et entre autres choses qu'il fit pour l'affaiblir, il rétablit les Platéens dans leur ville.

CHAPITRE II.

Ruines d'Hysies et d'Erythres. Tombeau de Mardonios. Roche d'Actéon. Tombeaux. Jeux Eleuthéries. Monuments de Platée. Temple et statue d’Héra Téleia.

[1] Vous trouverez sur le Cithéron dans le pays de Platée, en vous détournant un peu à droite du chemin, les ruines d'Hysies et d'Erythres qui étaient autrefois des villes béotiennes ; l'on voit encore maintenant parmi ce qui reste d'Hysies un temple d'Apollon à moitié construit, et un puits sacré. Les Béotiens disent qu'anciennement ceux qui avoient bu de l'eau de ce puits, prédisaient l'avenir. [2] En revenant sur le grand chemin, vous voyez aussi à droite un tombeau qui est, à ce qu'on prétend, celui de Mardonios. Il est constant que le corps de Mardonios disparut aussitôt après la bataille; mais on n'est pas d'accord sur celui qui lui donna la sépulture. On sait seulement qu'Artontès, son fils, fit beaucoup de présents à Dionysophanes, Éphésien, et qu'il en fit aussi à d'autres Ioniens, parce qu'ils avaient pris soin de la sépulture de Mardonios. [3] Ce chemin conduit d'Eleuthères à Platée. En venant de Mégare vous remarquez une fontaine à droite, et en avançant un peu, une roche qu'on nomme la roche d'Actéon, sur laquelle, dit-on, il dormait, lorsqu'il était fatigué de la chasse ; on assure que ce fut dans la fontaine dont je viens de parler, qu'il vit Artémis se baigner. Stésichore d'Himère rapporte que Artémis le couvrit d'une peau de cerf, et le fit tuer par ses chiens pour empêcher qu'il n'épousât Sémélé ; [4] mais je crois que ses chiens ont bien pu être attaqués de la rage, sans que la déesse s'en soit mêlée ; une fois dans cet état, ils le déchirèrent sans le connaître, comme ils auraient déchiré toute autre personne qu'ils auraient rencontrée. On ne connaît pas l'endroit du Cithéron, où se passa le malheureux événement dont Penthée, fils d'Echion, fut victime, ni celui où Oedipe fut exposé après sa naissance; mais nous connaissons bien le chemin fourchu de la Phocide, où il tua son père. Le mont Cithéron est consacré à Zeus Cithéronios, ce que je dirai plus au long lorsque j'en serai là. [5] Les tombeaux de ceux qui furent tués en combattant contre les Mèdes, sont principalement vers cette entrée de Platée ; tous les autres Grecs ont un tombeau commun, mais il y en a un particulier pour les Lacédémoniens, et un pour les Athéniens ; les inscriptions en vers élégiaques qu'on y a gravées, sont de Simonide. A peu de distance on trouve un trophée en bronze, un autel et une statue de Zeus Eleuthérios en marbre blanc. [6] On y célèbre encore tous les cinq ans des jeux nommés Eleuthéries, où le prix principal est celui de la course. Les athlètes courent armés devant l'autel. Le trophée que les Grecs érigèrent en mémoire de la bataille de Platée, est à environ quinze stades plus loin que la ville.
[7] En partant de l'autel et de la statue qu'on a érigés à Zeus Eleuthérios, vous voyez dans la ville même, le monument héroïque de Platée ; j'ai déjà rapporté ce qu'on en dit, et ce que j'en conjecture moi-même. Il y a à Platée un temple de Héra, très remarquable par sa grandeur et par les statues dont il est orné. On y voit en entrant Rhéa portant à Saturne une pierre emmaillotée au lieu de l'enfant dont elle était accouchée. On surnomme cette Héra Téleia ; on l'a représentée debout, sa statue est très grande, elle est, ainsi que celle de Rhéa de marbre pentélique ; elles sont toutes deux l'ouvrage de Praxitèle. On trouve dans le même temple une autre Héra assise qui a été faite par Callimaque, on la nomme Nymphéomène (la fiancée); voici à quel sujet.

 

CHAPITRE III.

Courroux d’Héra. Fêtes appelées Dédales. Caverne des Nymphes Cithéronides.

[1] ON dit qu’Héra irritée, on ne sait pourquoi, contre Zeus, se retira dans l'Eubée ; Zeus ne pouvant, à ce qu'on prétend, la déterminer à revenir, alla vers Cithéron, alors roi de Platée, qui ne le cédait en sagesse à personne. Il conseilla à Zeus de faire faire une statue de bois, de la voiler et de la conduire sur un char attelé de bœufs, en disant que c'était Platée, fille d'Asopos, qu'il allait épouser. [2] Zeus suivit le conseil de Cithéron ; Héra instruite sur-le-champ de ce mariage, accourut promptement; mais lorsqu'elle se fut approchée du char, et qu'elle eut déchiré le vêtement de la statue elle vit avec plaisir qu'on l'avait trompée et qu'au lieu d'une femme c'était une statue en bois ; elle se réconcilia donc avec Zeus. Les Platéens célèbrent en mémoire de cette réconciliation, des fêtes appelées Dédales, parce qu'on donnait anciennement le nom de Dédales à toutes les statues en bois. On les appelait ainsi, à ce que je crois, même avant que Dédale, fils de Palaemon, fût né à Athènes ; je pense même qu'il n'avait pas reçu ce nom en naissant ; mais que c'était un surnom qu'on lui avait donné plus tard, à cause de son habileté à faire des statues en bois. [3] Les Platéens célèbrent les Dédales tous les sept ans, à ce que m'a dit l'Exégète du pays ; mais à dire la vérité, ils les célèbrent plus souvent; malgré mes recherches, il ne m'a pas été possible de déterminer au juste l'intervalle qu'il y a d'une de ces fêtes à l'autre : voici comment ils les célèbrent.

[4] Il y a dans la Béotie à peu de distance d'Alalcomènes un bois de chênes, le plus grand qui soit dans cette contrée, on y trouve de très gros troncs de chêne ; les Platéens viennent dans ce bois et y mettent des morceaux de viande cuite ; ils ne font aucune attention aux autres oiseaux, mais ils observent avec soin les corbeaux qui s'approchent, et ils examinent sur quel arbre va se poser celui qui a pris un de ces morceaux de viande, et après avoir coupé cet arbre, ils en font le Dédale, ( c'est le nom qu'ils donnent à la statue en bois) : [5] cette fête est particulière aux Platéens; ils la nomment les petits Dédales ; ils ont encore les grands Dédales que les Béotiens célèbrent en commun avec eux ; ils ne les célèbrent que tous les soixante ans, parce que, disent-ils, cette fête fut discontinuée pendant un pareil espace de temps à cause de l'exil des Platéens. Ils ont quatorze statues en bois qui ont été préparées, une chaque année, dans les petits Dédales ; [6] elles sont tirées au sort par les Platéens, les Coronéens, les Thespiens, les Tanagréens, les Chéroniens, les Orchoméniens, les Lébadiens et les Thébains ; car ces derniers, lorsque Cassandre, fils d'Antipater, eut rétabli leur ville, demandèrent à se réconcilier avec les Platéens., à être admis à l'assemblée commune, et à envoyer des sacrifices aux Dédales. Quant aux autres villes moins importantes, elles se réunissent plusieurs pour une statue. [7] Le tirage fait, ils parent ces statues sur les bords de l'Asopos, et les ayant mises chacune sur un char, ils placent auprès une femme comme pour mener l'épouse au mari ; ils tirent alors de nouveau au sort pour déterminer l'ordre dans lequel chacun sera placé pour la procession ; on conduit ensuite ces chars des bords de l'Asopos vers le sommet du Cithéron, où on a préparé d'avance un autel fait de la manière suivante : on arrange des pièces de bois carrées en les mettant les unes sur les autres, comme si c'était des pierres ; lorsqu'on est parvenu à une certaine hauteur, on y ajoute des broussailles et du menu bois ; [8] les villes et les associations des petites villes, sacrifient chacune une vache et un taureau à Zeus, et après avoir rempli de vin et de parfums les victimes, ils les brûlent sur l'autel avec les Dédales. Quant aux particuliers, les gens riches font comme les villes, ceux qui le sont moins, offrent des bestiaux d'une moindre valeur ; mais il faut que tout soit brûlé ensemble; le feu prend à l'autel lui-même qui est consumé avec les victimes, et cela produit une flamme qui s'élève très haut et qu'on aperçoit de très loin. [9] Sur le même sommet où l'on érige cet autel, et en descendant environ quinze stades, on trouve l'autel des nymphes cithéronides, qu'on nomme l'antre Sphragidion ; la tradition est que ces nymphes y rendaient autrefois des oracles.

CHAPITRE IV.

Temple et statue de Minerve Areia. Autres monuments de Platées. Ruines de Scolus.

[1] IL y a à Platée un temple d’Athéna Areia, qui a été construit avec la portion du butin que les Athéniens donnèrent aux Platéens après la bataille de Marathon ; la statue est en bois doré, le visage, les pieds et les mains sont en marbre pentélique; elle ne diffère pas beaucoup en grandeur de l’Athéna en bronze que les Athéniens eux-mêmes érigèrent dans leur citadelle du produit du butin fait à la même bataille; elle est aussi l'ouvrage de Phidias. [2] On voit dans le temple deux tableaux ; l'un de Polygnote, qui représente Ulysse venant de tuer les prétendants ; l'autre d'Onatas, qui représente la première expédition des Argiens contre Thèbes ; ces tableaux sont sur les murs du vestibule du temple. Vers les pieds de la déesse est un portrait d'Arimnestus, qui commanda les Platéens à la bataille de Marathon et à celle contre Mardonios. [3] On remarque aussi à Platée un temple de Déméter Éleusinienne et le tombeau de Lèïtos. De tous les chefs qui conduisirent les Béotiens au siége de Troie, Lèïtos fut le seul qui revint dans sa patrie. Mardonios et la cavalerie des Perses avaient comblé la fontaine Gargaphia, parce que l'armée grecque campée devant eux, allait y boire ; les Platéens la rétablirent dans la suite. [4] En allant de Platée à Thèbes, vous trouvez la rivière Oeroé ; Oeroé était, à ce qu'on dit, fille d'Asopos. Lorsque vous êtes arrivé vers l'Asopos même, en vous détournant vers le bord de ce fleuve, sans le traverser, et en avançant environ quarante stades, vous voyez les ruines de Scolos au milieu desquelles est le temple de Déméter et de sa fille ; il n'est pas achevé, et les statues des déesses ne sont elles-mêmes qu'à moitié faites. L'Asopos sépare encore maintenant le territoire de Platée de celui de Thèbes.

 

CHAPITRE V.

Ogygès, Cadmos, Polydoros, Penthée, Amphion et Zéthos. Laïos, Oedipe, Polynice et Etéocle. Les Argiens s'emparent de Thèbes. Thersandre.

[1] LE pays de Thèbes fut, à ce qu'on dit, habité d'abord par les Hectènes. Ils avaient pour roi Ogygès Autochtone ; c'est de lui que Thèbes a pris le nom d'Ogygienne que lui donnent la plupart des poètes ; on prétend que ces Hectènes furent détruits par une épidémie, et que le pays fut habité après eux par les Hyantes et les Aones, peuples Béotiens d'origine, à ce que je crois, et non étrangers. Cadmos étant venu avec une armée de Phéniciens, défit les Hyantes qui abandonnèrent le pays la nuit suivante; mais il céda aux prières des Aones, et consentit à ce qu'ils restassent et se mêlassent avec les Phéniciens. [2] Les Aones à cette époque n'habitaient que des bourgs, et Cadmos fonda la ville qui porte encore maintenant le nom de Cadmée. Cette ville s'étant agrandie avec le temps, Cadmée ne fut plus que la citadelle de Thèbes qui était située au-dessous. Cadmos fit un mariage illustre, s'il est vrai, comme le disent les Grecs, qu'il épousa Harmonie, fille d’Arès et d’Aphrodite ; il fut aussi très célèbre par ses filles ; Sémélé ayant eu un enfant de Zeus, et Ino étant devenue une des divinités de la mer. [3] Ceux qui sous son règne eurent après lui le plus de pouvoir, furent les Spartes Chthonios, Hypérénor, Péloros et Udaeos; Echion le plus distingué d'entre eux par sa valeur, eut même l'honneur de devenir le gendre de Cadmos. N'ayant pu rien découvrir sur l'origine de ces Spartes, je m'en tiens à la tradition, qui dit qu'on les nomma Spartes à cause de la manière dont ils avaient été produits. Cadmos étant allé s'établir dans l'Illyrie chez les Enchéléens, Polydoros, son fils, monta sur le trône. [4] Penthée, fils d'Echion, eut beaucoup de pouvoir sous son règne, tant à cause de l'éclat de sa naissance que de l'amitié du roi ; comme il était d'ailleurs très insolent, et qu'il s'était montré impie envers Dionysos, il en fut puni par ce dieu. Polydoros fut père de Labdacos qui était encore enfant, lorsque son père mourut; c'est pourquoi celui-ci se sentant près de sa fin, confia la tutelle de son fils, et le gouvernement de ses états à Nyctéos. [5] J'ai raconté dans la description de Sicyone ce qui se passa ensuite, de quelle manière mourut Nyctéos, et comment la tutelle de l'enfant et le gouvernement de Thèbes passèrent à Lycos, son frère. Ce dernier remit la couronne à Labdacos, lorsqu'il fut en âge de gouverner ; mais Labdacos étant mort peu de temps après, Lycos fut tuteur de Laïos, son fils, [6] et ce fut durant cette seconde tutelle qu'Amphion et Zéthos ayant rassemblé quelques forces, entrèrent dans le pays : Laïos fut soustrait par ceux qui avaient à cœur que la race de Cadmos ne s'éteignît pas entièrement, et Lycos fut vaincu par les fils d'Antiope. Lorsqu'ils furent sur le trône, ils ajoutèrent à la Cadmée la ville qui est bâtie au-dessous, et lui donnèrent le nom de Thèbes, à cause de Thébé, leur parente. [7] J'ai pour preuve de ce que j'avance, les vers suivants d'Homère dans l'Odyssée : Ils fondèrent les premiers Thèbes aux sept portes, et la fortifièrent ; car tout puissants qu'ils étaient, ils n'auraient pu habiter cette vaste cité, si elle n'avait pas été fortifiée. Quant à ce qu'on dit qu'Amphion chantait et qu'il éleva les murs de Thèbes au son de sa lyre, il n'en est point question dans ces vers. Amphion fut célèbre par ses talents comme musicien, les Lydiens, à cause de son alliance avec Tantale, lui ayant appris l'harmonie qui porte leur nom ; et ayant ajouté lui-même trois cordes aux quatre que la lyre avait auparavant. [8] Celui qui a fait le poème sur Europe, dit qu'Amphion est le premier à qui Hermès ait enseigné l'usage de la lyre. Il dit aussi qu'il attirait en chantant les pierres et les bêtes féroces. Myro, femme de Byzance qui a fait des vers héroïques et des élégies, dit qu'Amphion fut le premier qui érigea un autel à Hermès, et qu'en récompense il reçut de lui la lyre. On assure encore qu'il est puni dans les Enfers des propos qu'il avait tenus sur Latone et sur ses enfants. [9] Il est question de cette punition dans le poème nommé la Minyade, qui roule sur Amphion et Thamyris de Thrace. La famille d'Amphion ayant été détruite par une maladie contagieuse, et le fils de Zéthos ayant été tué par sa mère, je ne sais par quelle erreur, ces deux frères succombèrent à leur chagrin. [10] Alors les Thébains rappelèrent Laïos ; celui-ci ayant épousé Jocaste, il lui vint un oracle de Delphes qui lui annonça que si Jocaste devenait mère, son enfant serait le meurtrier de son père : en conséquence il exposa Oedipe, ce qui n'empêcha pas que celui-ci devenu grand, ne le tuât et n'épousât sa mère. Je crois qu'il n'en eut pas d'enfants, et je me fonde à cet égard sur Homère qui fait dire à Ulysse dans l'Odyssée : [11]  Je vis aussi la belle Epicaste, mère d'Oedipe, qui commit par ignorance un grand forfait en épousant son propre fils, qui avait tué son père ; mais les dieux divulguèrent cela sur-le-champ. Comment les dieux auraient-ils divulgué cela sur-le-champ, si Œdipe avait eu de Jocaste ses quatre enfants, et non d'Euryganie, fille d'Hyperphas ? Ce fut en effet de cette dernière qu'il eut ses enfants, comme on le voit dans le poème nommé l'Oedipodie ; et Onatas dans le tableau qui est à Platée, a représenté Euryganie consternée à la vue du combat de ses fils. [12] Polynice sortit de Thèbes du vivant d'Oedipe, et sous son règne, de crainte que ses imprécations contre lui et son frère ne fussent accomplies. S'étant rendu à Argos où il épousa une fille d'Adraste, il retourna à Thèbes, après la mort d'Oedipe, sur l'invitation d'Etéocle ; mais ayant eu quelque différent avec lui après son retour, il s'enfuit une seconde fois. Ayant alors prié Adraste de lui donner des forces pour le ramener, il perdit son armée, [13] et les deux frères se tuèrent dans un combat singulier. La couronne appartenant à Laodamas, fils d'Étéocle, et encore enfant, Créon ; fils de Ménécée, prit les rênes du gouvernement comme son tuteur. Laodamas devenu grand et gouvernant déjà par lui-même, les Argiens conduisirent pour la seconde fois une armée contre Thèbes; les Thébains étant allés au devant d'eux jusqu'à Glisante, il y eût un combat dans lequel Laodamas tua Aegialéos, fils d'Adraste. Mais la Nikê étant restée aux Argiens, Laodamas partit à l'entrée de la nuit suivante avec ceux des Thébains qui voulurent le suivre et se retira chez les Illyriens. [14] Les Argiens ayant pris Thèbes, la donnèrent à Thersandre, fils de Polynice. Plus tard les Grecs qu'Agamemnon conduisait au siège de Troie, s'étant trompés dans leur navigation, abordèrent dans la Mysie où ils éprouvèrent un échec; Thersandre, fut tué par Télèphe, après avoir montré la plus grande valeur pendant le combat. On voit son tombeau à Elaea, ville dans la plaine qu'arrose le Caïque; c'est une pierre qui est en plein air sur la place publique ; on dit que les habitants lui sacrifient comme à un héros. [15] Les Grecs s'étant rassemblés une seconde fois pour aller contre Troie et Alexandre, les Thébains (comme Tisamène, fils de Thersandre, n'était pas encore en âge de porter les armes) prirent Pénéléos pour chef ; mais Pénéléos ayant été tué par Eurypylos, fils de Télèphe, ils choisirent pour roi Tisamène, fils de Thersandre et de Démonasse, fille d'Amphiaraos. Tisamène n'éprouva point la colère des furies vengeresses de Laïos et d'Oedipe, mais elles tourmentèrent Autésion, son fils, à un tel point, que d'après les conseils de l'oracle, il alla s'établir chez les Doriens. [16] Après son départ, les Thébains prirent pour roi Damasichthon, fils d'Opheltes, fils de Pénéléos; Damasichthon fut père de Ptolémée qui eut pour fils Xanthos, qu'Andropompos tua en combat singulier, par trahison et non d'une manière loyale. Dès lors les Thébains ne voulurent plus dépendre de la volonté d'un seul, et crurent qu'il valait mieux, être gouverné par plusieurs.

CHAPITRE VI.

Affaires militaires des Thébains. Signes qui ont précédé des entreprises de guerre.

[1] QUANT aux succès que les Thébains ont obtenus à la guerre et aux revers qu'ils y ont éprouvés, voici ce que j'ai trouvé de plus mémorable. Ils furent vaincus par Ies Athéniens qui étaient venus au secours des Platéens, avec qui les Thébains étaient en guerre au sujet des limites de leur territoire. Ils furent défaits une seconde fois par les Athéniens, devant qui ils se trouvèrent en bataille vers Platée, lorsqu'ils embrassèrent le parti du roi de Perse contre les Grecs. [2] On ne peut imputer cette faute à la nation entière ; Thèbes, en effet, était alors livrée à l'oligarchie, et leur constitution primitive n'était plus en vigueur. Si les Barbares étaient venus dans la Grèce, tandis qu'Athènes était encore soumise à la domination de Pisistrate et de ses enfants, il aurait été difficile aux Athéniens d'éviter de se joindre aux Mèdes. [3] Les Thébains dans la suite remportèrent une Nikê sur les Athéniens à Délium dans le pays de Tanagre, et les Athéniens y perdirent Hippôcrate, fils d'Ariphron, leur général, avec la plus grande partie de leur armée. Les Thébains et les Lacédémoniens furent en assez bonne intelligence immédiatement après la retraite des Mèdes, et jusqu'à la guerre du Péloponnèse contre les Athéniens ; mais cette guerre étant terminée, et les forces navales des Athéniens étant détruites, les Thébains ne tardèrent pas à faire, de concert avec les Corinthiens, la guerre aux Lacédémoniens ; [4] vaincus deux fois vers Corinthe et à Chéronée, ils remportèrent enfin à Leuctres la Nikê la plus célèbre qu'à notre connaissance des Grecs aient remportées sur d'autres Grecs ; ils renversèrent les Décarchies que les Lacédémoniens avaient établies dans les villes, et chassèrent de partout les harmostes spartiates. Ils soutinrent dans la suite pendant dix années sans interruption la guerre de la Phocide, nommée par les Grecs la guerre sacrée. [5] J'ai déjà dit dans la description de l'Attique, que la défaite de Chéronée avait été une calamité générale pour tous les Grecs, et plus particulièrement encore pour les Thébains, qui furent forcés de recevoir une garnison dans leur ville. Lorsque Philippe fut mort et qu'Alexandre eut pris la couronne de Macédoine, les Thébains parvinrent à chasser cette garnison ; à peine cela fut-il fait, que les dieux leur présagèrent leur ruine, et il parut dans le temple de Déméter Thesmopbore des signes absolument contraires à ceux qui avaient précédé la bataille de Leuctres ; [6] en effet, à la première époque, les araignées avaient couvert de toiles blanches les portes de ce temple ; elles les couvrirent de toiles noires lors de l'entrée d'Alexandre et des Macédoniens dans leur pays. C'est ainsi qu'on raconte qu'il tomba une pluie de cendre à Athènes dans l'année qui précéda la guerre que Sylla fit aux Athéniens, et tous les malheurs qui en furent la suite.

CHAPITRE VΙI.

Les Thébains. Inimitié de Cassandre et ses enfants. Courroux de Sylla contre les Thébains.

[1] LES Thébains ayant alors été chassés de leur pays par Alexandre, se réfugièrent à Athènes d'où Cassandre, fils d'Antipater, les ramena plus tard dans leur ville. Les Athéniens montrèrent le plus grand zèle pour cette nouvelle fondation de Thèbes ; les Messéniens et les Arcadiens de Mégalopolis y contribuèrent aussi. [2] Le principal motif de Cassandre pour rétablir Thèbes, fut, je crois, sa haine pour Alexandre qui le porta à faire périr toute sa famille ; car il livra Olympias pour la lapider, à ceux des Macédoniens qui étaient exaspérés contre elle ; il fit périr par le poison les fils d'Alexandre, savoir : Héraclès qu'il avait eu de Barsine, et Alexandre, qui était fils de Roxane; mais il termina lui-même ses jours d'une manière assez malheureuse ; il fut attaqué d'une hydropisie sous-cutanée qui engendra des vers qui sortaient de toutes les parties de son corps. [3] Quant à ses fils, Philippe, l'aîné de tous, mourut d'une maladie de langueur peu après son avènement au trône ; Antipater qui régna après lui, tua Thessalonice, sa mère, fille de Philippe, fils d'Amyntas et de Nicasipolis, sous prétexte qu'elle aimait mieux Alexandre que lui; enfin Alexandre, qui était le plus jeune des fils de Cassandre, ayant appelé à son secours Démétrius, fils d'Antigone, se vengea par ce d'Antipater, son frère, et le fit périr ; mais il s'aperçut bientôt qu'il avait trouvé dans Démétrius un assassin plutôt qu'un allié. [4] C'est ainsi qu'une divinité, je ne sais laquelle, prit soin de la punition de Cassandre. Les Thébains repeuplèrent sous Cassandre toute l'ancienne enceinte de leur ville, mais il fallait qu'ils éprouvassent encore dans la suite de grands malheurs. Mithridate ayant déclaré la guerre aux Romains, les Thébains suivirent son parti, sans autre motif, je crois, que leur amitié pour le peuple d'Athènes ; Sylla étant entré dans la Béotie, ils changèrent d'avis sur-le-champ, et recherchèrent l'amitié des Romains; [5] mais Sylla n'en exerça pas moins sa colère sur eux, et entre autres choses qu'il imagina pour les affaiblir,  il leur ôta la moitié de leur territoire sous le prétexte suivant : lorsqu'il commença la guerre contre Mithridate, il manquait d'argent ; pour s'en procurer, il avait pris les offrandes qui étaient à Olympie, à Épidaure, et toutes celles que les Phocéens avaient laissées à Delphes. [6] Il avait distribué tout cela à ses troupes, et donna aux dieux la moitié du territoire de Thèbes, en échange des richesses qu'il leur avait enlevées. Les Thébains recouvrèrent dans la suite, grâce à l'amitié des Romains, le pays qui leur avait été enlevé; mais ils furent dès lors affaiblis au dernier point, et de mon temps, la partie basse de la ville était entièrement déserte à l'exception des temples qui y restaient. Les habitants sont tous dans la citadelle qu'ils nomment Thèbes et non Cadmée.

 

CHAPITRE VIII.

Ruines et monuments de Potnies. Temple de Dionysos. Les sept portes de Thèbes.

[1] APRÈS avoir traversé l'Asopos, à dix stades tout au plus de la ville, vous trouvez les ruines de Potnies, parmi ces ruines, un bois consacré à Déméter et à sa fille. On nomme déesses Potniades les statues qu'on voit sur les bords du fleuve, vers Potnies ; on fait à certaines époques différentes cérémonies instituées en leur honneur, entre autres choses, on jette dans l'endroit nommé Mégara, des cochons de lait, et on prétend que ces cochons se trouvent l'année suivante à Dodone. Il est possible que quelqu'un croit cela, mais ce n'est pas moi. [2] On voit dans le même endroit un temple de Dionysos surnommé Aegobolos ; des gens du pays qui sacrifiaient à ce dieu, s'étant enivrés, en vinrent à un tel degré d'insolence, qu'ils tuèrent le prêtre de Dionysos. Une maladie épidémique se répandit aussitôt parmi eux, et il leur vint en même temps de Delphes, un oracle qui leur ordonna de sacrifier à Dionysos un jeune et beau garçon. On dit que peu d'années après, le dieu leur permit de lui sacrifier une chèvre à la place. [3] On montre aussi à Potnies un puits dont l'eau, à ce qu'on prétend, rend furieuses les juments du pays lorsqu'elles en boivent. En allant de Potnies à Thèbes, vous trouvez à droite du chemin une enceinte qui n'est pas très grande et dans laquelle sont des colonnes; on croit que c'est là que la terre s'ouvrit pour recevoir Amphiaraos; on ajoute de plus que les oiseaux ne se reposent point sur ces colonnes, et qu'aucun animal, ni domestique ni sauvage, ne mange de l'herbe qui croît en cet endroit. [4] L'ancienne enceinte de Thèbes avait sept portes qui existent encore maintenant ; voici quels sont leurs noms, et pourquoi, à ce que j'ai appris, on les leur a donnés. Les portes Électrides ont pris le leur d'Électre, sœur de Cadmos ; les Proetides de Proetos, l'un des habitants du pays ; il est difficile de connaître son origine et l'époque à laquelle il a vécu. Les Néistes ont pris le leur, à ce qu'on dit, d'une des cordes de la lyre ; on nomme en effet nété, la plus haute de ces cordes ; on prétend qu'Amphion l'inventa auprès de ces portes. J'ai aussi entendu dire que le fils de Zéthos, frère d'Amphion, se nommait Néis; et que c'est de lui que ces portes ont pris leur nom. [5] Les portes Crénées et les portes Hypsistes sont ainsi nommées, les premières parce que la fontaine Dircé est auprès, et les autres à cause du temple de Zeus Hypsistos qui est dans le voisinage. Les portes Ogygiennes viennent ensuite, les portes Homoloïdes sont les dernières ; leur nom me paraît le plus moderne, de même que celui des portes Ogygiennes est le plus ancien. [6] Voici pourquoi on les appelle Homoloïdes ; lorsque les Thébains furent vaincus par les Argiens à Glisante, ils s'en allèrent pour la plupart avec Laodamas, fils d'Étéocle ; mais une partie d'entre eux refusa d'aller chez les Illyriens ; ceux-là s'étant jetés dans la Thessalie, s'emparèrent de la montagne Homolé, l'une des plus fertiles et des mieux arrosées de toute la Thessalie. [7] Thersandre, fils de Polynice, les ayant rappelés dans leur patrie, ils donnèrent, en mémoire de la montagne Homolé, le nom d'Homoloïdes aux portes par lesquelles ils rentrèrent. En venant de Platée à Thèbes on entre par les portes d'Electrides ; on dit que Capanée, fils d’Hipponoos, fut tué par la foudre, en voulant escalader les murs de la ville de ce côté-là.

CHAPITRE ΙΧ.

Guerre des Argiens contre les Thébains. Expédition de Thersandre et des Épigones

[1] CETTE guerre des Argiens contre les Thébains est, à ce que je pense, la plus mémorable de toutes celles qui ont été faites par des Grecs à d'autres Grecs dans les temps nommés héroïques. En effet, les Éleusiniens lorsqu'ils firent la guerre aux autres Athéniens, et les Thébains lorsqu'ils la firent aux Minyens, n'eurent pas à chercher bien loin leurs ennemis ; une seule bataille décida du sort de la guerre ; on en vint aussitôt à des conventions et à des traités ; [2] mais l'armée des Argiens se porta du milieu du Péloponnèse dans le milieu de la Béotie, et Adraste avait rassemblé des secours de l'Arcadie et de la Messénie, de même que les Thébains avoient pris à leur solde des Phocéens et des Phlégyens du pays des Minyens. Le combat s'étant livré près du fleuve Isménios, les Thébains furent vaincus, et ayant pris la fuite, se réfugièrent dans leurs murs. [3] Comme les Péloponnésiens ne savaient pas former un siège, et qu'ils mettaient beaucoup plus de courage que d'habileté dans leurs attaques, les Thébains en tuèrent beaucoup de dessus leurs murs; ils défirent ensuite les autres, en faisant une sortie et en les attaquant avant qu'ils eussent le temps de se reconnaître de sorte que toute l'armée périt à l'exception d'Adraste ; mais cette Nikê leur coûta très cher, aussi nomme-t-on Nikê cadméenne, celle où les vainqueurs font eux-mêmes des pertes considérables. [4] Peu d'années après, ceux que les Grecs nomment les Épigones marchèrent avec Thersandre contre Thèbes ; il est certain qu'il y avait dans leur armée, non seulement des Argiens, des Messéniens et des Arcadiens, mais encore des troupes auxiliaires qu'on avait appelées de Corinthe et de Mégare. Les Thébains avaient avec eux les peuples de leur voisinage ; il y eut vers Glisante une bataille où l'on se battit avec acharnement de part et d'autre. [5] Les Thébains ayant été vaincus, les uns quittèrent sur-le-champ le pays avec Laodamas ; ceux qui restaient soutinrent un siège. Cette guerre a été aussi le sujet d'un poème nommé la Thébaïde que Calaenos attribue à Homère. Beaucoup de gens, dont l'opinion est de quelque poids, sont du même avis, et je trouve qu'après l'Iliade et l'Odyssée, ce poème est celui qui mérite le plus d'éloges. En voilà suffisamment sur la guerre que se firent les Argiens et les Thébains au sujet des fils d'Oedipe.

CHAPITRE X.

Monuments aux environs de Thèbes. Temple d'Apollon Isménios. Mantô. Fontaine d’Arès et tombeau de Caanthos.

[1] On voit un polyandrion à peu de distance des portes, on y a enterré tous ceux qui furent tués en combattant contre Alexandre et les Macédoniens; un peu plus loin on vous montre le champ où Cadmos sema, à ce qu'on dit, (le croira qui voudra) les dents du dragon qu'il avait tué sur les bords de la fontaine ; et où ces dents produisirent des hommes. [2] A droite de ces portes est une colline consacrée à Apollon, on donne au dieu et à la colline le nom d'Isménios, à cause du fleuve Isménios qui passe auprès. Vous voyez d'abord devant l'entrée du temple une Athéna et un Hermès en marbre blanc, on les nomme Pronaoi ; on dit que l’Hermès est de Phidias et l’Athéna de Scopas. Vous trouvez ensuite le temple d'Apollon ; la statue du dieu est aussi grande que celle d'Apollon Branchide, et elle lui ressemble si parfaitement, que quiconque a vu l'une de ces deux statues, et sait qu'elle est l'ouvrage de Canachos, devine aisément, en regardant l'autre, qu'elle est du même artiste. Elles diffèrent seulement en ce que celle d'Apollon Branchide est en bronze, et celle d'Apollon Isménios en bois de cèdre. [3] Il y a là une pierre sur laquelle on dit que Mantô, fille de Tirésias, s'asseyait ; elle est devant l'entrée, et on l'appelle encore maintenant le siège de Mantô. A droite du temple sont deux statues en marbre qui représentent, à ce qu'on assure, l'une Hénioché et l'autre Pyrrha ; elles étaient filles de Créon, qui régna quelque temps à Thèbes, comme tuteur de Laodamas, fils d'Étéocle. [4] Voici ce qui se fait encore à présent à Thèbes, pour le service d'Apollon Isménios; on choisit tous les ans pour prêtre un jeune garçon d'une famille illustre et qui à la beauté réunisse la force du corps; on lui donne le nom de Daphnophore, parce que ces enfants portent des couronnes de laurier. Je ne puis dire si tous ceux qui remplissent cette charge sont obligés de consacrer au dieu des trépieds de bronze; cependant je ne le crois pas, car je n'en ai vu là qu'un petit nombre. Il est probable qu'il n'y a que les plus riches qui en offrent. Le plus remarquable de tous par son antiquité et par la célébrité du personnage qui l'a offert, est celui qu'Amphitryon dédia pour Héraclès, son fils, alors Daphnophore. [5] Un peu au-dessus du temple d'Isménios, vous voyez une fontaine qui était, dit-on, consacrée à Arès ; ce dieu y avait établi un dragon pour la garder. Vers cette fontaine est le tombeau de Caanthos qui était, à ce qu'on prétend, fils de l'Océan, et frère de Mélia ; son père l'envoya à la recherche de sa sœur qui avait été enlevée ; il découvrit qu Apollon était le ravisseur, et ne pouvant la lui ôter, il eut l'audace de mettre le feu à l'enceinte consacrée à Apollon, et qu'on nomme maintenant l'Isménion; le dieu le tua à coups de flèches, disent les Thébains. [6] Le tombeau de Caanthos est donc dans cet endroit. Apollon eut, à ce qu'on assure, de Mélia, deux fils, Ténéros et Isménios ;  il dota le premier du don de prédire l'avenir, et Isménios donna son nom au fleuve, qui portait auparavant celui de Ladon.

CHAPITRE XI.

Monuments de Thèbes. Maison d'Amphitryon. Images des Pharmacides. Héraclion. Dédale et Icare. Autel d'Apollon Spondios.

[1] A gauche des portes appelées du nom d'Électre, sont les ruines d'une maison où demeura, dit-on, Amphitryon lorsqu'il fut exilé de Tirynthe, à cause du meurtre d'Électryon. On distingue encore parmi ces ruines, le lit d'Alcmène ; on assure qu'Amphitryon l'avait fait construire par Trophonios et Agamède, et qu'on y lisait l'inscription suivante : Amphitryon, lorsqu'il était sur le point d'épouser Alcmène, fit faire ce lit qui est l'ouvrage de Trophonios, Anchasien, et d'Agamède. [2] Les Thébains disent que cette inscription y était autrefois. Ils montrent aussi le tombeau des enfants qu'Héraclès avait eus de Mégare; ils racontent leur mort autrement que Stésichore d'Himère et Panyasis ne l'ont fait dans leur vers. Les Thébains ajoutent qu'Héraclès dans sa fureur était prêt à tuer aussi Amphitryon, lorsqu'un coup de pierre qu'il reçut le fit tomber dans un profond sommeil ; cette pierre qu'ils nomment Sophronistéra, lui fut jetée par Athéna. [3] On voit aussi dans le même endroit des femmes représentées en bas-relief, elles sont presque effacées ; les Thébains les nomment les Pharmacides, et prétendent qu'elles avaient été envoyées par Héra, pour mettre obstacle aux couches d'Alcmène, elles l'empêchaient effectivement d'accoucher, lorsque Historis, fille de Tirésias, trouva le moyen de les tromper, en se mettant à pousser des cris de joie, et en disant, de manière à ce qu'elles l'entendissent, qu'Alcmène était accouchée; ces femmes ainsi induites en erreur, s'en allèrent, et alors Alcmène accoucha. [4] Le temple d'Héraclès est dans le même endroit. Quant aux statues, l'une d'Héraclès nommé Promachos, en marbre blanc, est l'ouvrage de Xénocrite et d'Eubios, tous deux Thébains ; l'autre en bois est très ancienne ; les Thébains croient qu'elle est de Dédale, ce qui me paraît vrai. On assure qu'il l'offrit lui-même pour témoigner sa reconnaissance à Héraclès. En effet, lorsqu'il s'enfuit de l'île de Crète, il fabriqua pour Icare son fils et pour lui, deux petits navires ; il imagina, chose inconnue jusqu'alors, d'y ajouter des voiles pour échapper à l'aide d'un vent favorable, aux vaisseaux à rames de Minos. Il parvint effectivement à se sauver ; [5] mais on dit qu'Icare, n'ayant pas su gouverner son bâtiment, fut submergé ; les flots portèrent son corps dans une île au-dessus de Samos, qui n'avait point encore de nom ; Héraclès ayant trouvé par hasard son cadavre, le reconnut et lui donna la sépulture. L'on voit encore maintenant son tombeau, c'est un tertre peu élevé sur le promontoire qui s'avance dans la mer Égée. L'île et la mer qui l'entourent ont pris leur nom de cet Icare. [6] Praxitèle a représenté sur les frontons du temple d'Héraclès à Thèbes, la plupart des douze travaux de ce dieu ; mais au lieu du combat contre les oiseaux du lac Stymphale, et de ce qu'il fit pour nettoyer l'Élide, c'est sa lutte contre Antée qui est retracée. Thrasybule, fils de Lycos, et ceux des Athéniens qui détruisirent avec lui la tyrannie des Trente, ont dédié dans le temple d'Héraclès, une Athéna et un Héraclès de grandeur colossale, en figures en marbre pentélique, et faites par Alcamène ; ils les dédièrent, parce que c'était de Thèbes qu'ils étaient partis pour rentrer dans leur patrie. [7] Le gymnase et le stade qui portent aussi le nom d'Héraclès tiennent tous deux à son temple. Au-dessus de la pierre Sophronistéra est l'autel d'Apollon surnommé Spondios ; il est fait de la cendre des victimes. On y prédit l'avenir par le moyen des paroles qu'on entend au sortir de là ; manière de prédire à laquelle les Smyrnéens se livrent plus particulièrement que tous les autres Grecs ; il y a au-dessus de Smyrne hors des murs, un temple qui a pris son nom de cette espèce de divination.

CHAPITRE XII.

Culte d'Apollon Polios. Cadmos. Athéna. Noces d'Harmonie. Sémélé. Pronomos joueur de flûte.

[1] LES Thébains offraient anciennement des taureaux à Apollon Polios, mais une fois il arriva qu'au moment même du sacrifice, ceux qu'on avait envoyés chercher le taureau ne revenant point, on prit un des bœufs attelés à un char qui se trouvait là par hasard, et on le sacrifia. On est depuis ce temps dans l'usage de sacrifier au dieu des bœufs destinés au travail. Les Thébains disent aussi que Cadmos s'en allant de Delphes par la Phocide, prit pour guide une vache qu'il avait achetée des pâtres de Pélagon, cette vache avait sur chaque flanc une tache semblable au disque de la lune, lorsqu'elle est dans son plein. [2] Il fallait d'après l'orale du dieu, que Cadmos et son armée s'établissent dans l'endroit où la fatigue forcerait cette vache à se reposer. Les Thébains montrent cet endroit ; on y voit en plein air un autel et une statue d’Athéna qui ont été dédiés, à ce qu'on dit, par Cadmos. L'opinion de ceux qui croient que Cadmos qui vint dans le pays de Thèbes, était Égyptien et non Phénicien, est contredite par le nom de cette Athéna qu'on appelle Onga en langue Phénicienne, au lieu de Saïs qui est le nom égyptien de cette déesse. [3] Les Thébains disent qu'anciennement la maison de Cadmos était à l'endroit de la citadelle où est maintenant la place publique ; et ils y montent les débris du lit d'Harmonie, et à ce qu'ils prétendent ceux du lit de Sémélé, dont encore maintenant on ne laisse approcher personne. Ceux des Grecs qui admettent que les Muses ont chanté aux noces d'Harmonie, peuvent voir sur la place publique l'endroit où l'on assure que ces déesses ont chanté. [4] On raconte aussi qu'au moment même où la foudre frappa le lit de Sémélé, il tomba du ciel un morceau de bois que Polydore fit orner de cuivre, et qu'il nomma Dionysos Cadméen. Il y a tout auprès une statue de Dionysos qu'Onassimède a faite en bronze massif; celle de Cadmos est l'ouvrage du fils de Praxitèle. [5] On voit dans le même endroit celle de Pronomos, le joueur de flûte le plus agréable que l'on ait entendu. Jusqu'à lui les joueurs de flûte faisaient usage de trois flûtes différentes, l'une pour le mode dorien, l'autre pour le mode phrygien et la troisième pour le mode lydien. Pronomos  fut le premier qui imagina une flûte propre à toutes sortes de modes,  il est le premier encore qui exécuta sur le même instrument des chants aussi différents les uns des autres ; [6] on ajoute de plus qu'il divertissait singulièrement les spectateurs par les mines qu'il faisait et par les mouvements de tout son corps. On a conservé de lui un chant qu'il avait fait pour servir d'hymne, en arrivant à Délos, aux Chalcidiens des bords de l'Euripe. Les Thébains ont placé en cet endroit sa statue ainsi que celle d'Épaminondas, fils de Polymnis.

CHAPITRE XIII.

Épaminondas et ses exploits. Guerre des Lacédémoniens et des Thébains. Scedasos et ses filles. Bataille de Leuctres.

[1] Épaminondas descendait d'ancêtres très illustres, mais son père était, sous le rapport de la Tuchê, au-dessous des Thébains d'un état moyen.  Il étudia avec beaucoup d'application tout ce qu'on avait coutume d'enseigner dans le pays ; parvenu à l'adolescence, il fréquenta Lysis, natif de Tarente, et qui connaissait la doctrine de Pythagore de Samos. On dit que lorsque les Lacédémoniens firent la guerre aux Mantinéens, les Thébains envoyèrent Épaminondas avec plusieurs autres, au secours des premiers ; et il s'exposa aux plus grands dangers pour sauver Pélopidas qui avait été blessé dans le combat. [2] Dans la suite il fut envoyé ambassadeur à Sparte, pour la paix que les Lacédémoniens voulaient procurer à tous les Grecs et qu'on nomma la paix d'Antalcidas. Agésilas lui demanda, si les Thébains permettraient que les villes de la Béotie jurassent la paix chacune en leur particulier ; nous ne le ferons pas, répondit Épaminondas, que nous n'ayons vu toutes les villes de votre territoire la jurer de la même manière. [3] Lorsque la guerre fut tout à fait déclarée entre les Thébains et les Lacédémoniens, ces derniers s'étant mis en marche avec toutes leurs forces et celles de leurs alliés pour aller contre les Thébains, Épaminondas avec une partie de l'armée se posta au-dessus du lac Céphise, croyant que les Péloponnésiens entreraient par là ; mais Kléombrotos, roi des Lacédémoniens, tourna vers Ambryse dans la Phocide, et ayant tué Chaeréas et les autres Thébains qu'on avait chargés de la garde de ce passage, il le franchit et s'avança jusqu'à Leuctres dans la Béotie : [4] les dieux en cet endroit firent connaître par différents présages, à Kléombrotos et au peuple Lacédémonien ce qui devait leur arriver. Les rois de Sparte, lorsqu'ils se mettaient en campagne, avaient à leur suite des troupeaux de moutons, pour avoir toujours des victimes prêtes à offrir aux dieux et surtout pour sacrifier avant le combat. A la tête de ces troupeaux étaient des chèvres pour les conduire;  les bergers nomment ces chèvres katoiades. Des loups fondirent sur ces troupeaux, ne firent aucun mal aux moutons, mais tuèrent les chèvres katoiades. [5] On dit aussi que les Lacédémoniens étaient en butte à la colère des filles de Scédasos. Ce Scédasos qui habitait les environs de Leuctres, avait deux filles, Molpia et Hippô ; elles étaient déjà en âge de se marier, lorsqu'au mépris des lois, deux Lacédémoniens, Phrydarchidas et Parthénios, les violèrent ; ces filles ne voulant pas survivre à cet outrage, s'étranglèrent sur-le-champ; Scédasos lui-même, étant allé  à Lacédémone, et n'ayant nullement pu obtenir justice, se tua aussi, lorsqu'il fut de retour à Leuctres. [6] Épaminondas offrit en cette occasion un sacrifice aux mânes de Scédasos et de ses filles, et leur adressa des vœux, comme allant combattre autant pour les venger que pour le salut des Thébains. Les béotarques, bien loin d'être d'accord, étaient d'avis entièrement opposés ; Épaminondas, Timarchide et Xénocrate voulaient qu'on attaquât le plus promptement possible les Lacédémoniens ; mais Damoclidas, Damophilus et Simangélus ne voulaient pas qu'on risquât le combat ; et ils étaient d'avis qu'après avoir envoyé dans l'Attique les femmes et les enfants, on se disposât à soutenir un siége ; les six chefs étant ainsi divisés d'opinion, le septième Béotarque nommé Branchyllidès qui gardait les avenues par le mont Cithéron, étant revenu dans le camp et s'étant rangé à l'avis d'Épaminondas, le combat fut décidé d'un commun accord. Épaminondas se défiait de plusieurs Béotiens et surtout des Thespiens : craignant donc qu'ils ne trahissent les Thébains pendant le combat, il permit à tous ceux!qui le voudraient, de quitter l'armée et de se retirer chez eux ; alors les Thespiens s'en allèrent tous, ainsi que ceux des Béotiens qui avaient quelque sujet de haine contre les Thébains. Lorsqu'on en fut venu : aux mains, les alliés des Lacédémoniens qui ne les avaient jamais aimés jusqu'alors, montrèrent toue leur haine dans cette occasion ; car ils ne tinrent ferme nulle part ; et cédèrent partout où ils furent attaqués. Quant aux Lacédémoniens et aux Thébains, le combat était à peu près égal entre eux, les premiers étant forts de leur ancienne expérience ;  et animés par la crainte de compromettre la dignité de Sparte, comme les Thébains l'étaient par la vue des dangers qui menaçaient leur patrie, leurs femmes et leurs enfants. Dans ces entrefaites, plusieurs des Lacédémoniens en charge, et Cléombrote, leur roi, ayant été tués, les Spartiates se virent forcés de rester sur le champ de bataille, quelque maltraités qu'ils fussent; car, laisser le corps de leur roi entre les mains des ennemis, était aux yeux des Lacédémoniens une bonté extrême ; les Thébains remportèrent donc la victoire la plus éclatante que des Grecs aient jamais obtenue sur d'autres Grecs. Les Lacédémoniens s'occupèrent le lendemain de donner la sépulture à leurs morts; ils envoyèrent à cet effet, un héraut aux Thébains ; mais Épaminondas sachant qu'ils mettaient toujours le plus grand soin à dissimuler leurs pertes, dit qu'il permettait d'abord à leurs alliés d'enlever leurs morts, et qu'ensuite les Lacédémoniens pourraient donner la sépulture aux leurs. Comme de ces alliés les uns n'avaient  pas un seul homme à enlever, n'en ayant point perdu, et que les autres n'en avaient à regretter qu'un petit nombre, il fut évident que ceux qui étaient restés sur le champ de bataille étaient des Spartiates, et les Lacédémoniens leur donnèrent la sépulture. Il ne périt que quarante-sept hommes, tant des Thébains que des Béotiens qui étoffent restés ; les Lacédémoniens en perdirent plus de mille.

 

CHAPITRE XIV.

Événements après la bataille de Leuctres. Épaminondas fonde la ville de Mégalopolis, repeuple celle des Messéniens ; est vainqueur d'Iphicrate.

[1] Épaminondas aussitôt après la bataille ayant ordonné à tous les autres Péloponnésiens de se retirer dans leur patrie, tint les Lacédémoniens enfermés dans Leuctres ; mais ayant appris que les Spartiates restés dans la ville, venaient tous au secours de ceux qui étaient à Leuctres, il leur permit de s'en aller par capitulation, en disant qu'il était beaucoup plus avantageux de transporter la guerre de la Béotie dans le pays de Lacédémone. [2] Pendant que cela se passait, les Thespiens qui redoutaient également la haine invétérée des Thébains et leur Tuchê présente, jugèrent à propos d'abandonner leur ville et de se retirer à Céresse, une des places fortes de leur pays, où ils s'étaient défendus jadis lors de l'expédition des Thessaliens contre eux. Les Thessaliens, à cette époque, ayant tenté de prendre Céresse et désespérant d'y réussir, allèrent à Delphes consulter l'oracle dont ils reçurent la réponse suivante : [3]  J'ai sous ma protection Leuctres l'ombragée et les champs Alésiens ; je veille aussi sur les deux filles infortunées de Scédasos, vers le tombeau desquelles se livrera un combat qui fera verser beaucoup de larmes, et nul n'en aura connaissance qu'au moment fatal où les Doriens perdront la fleur de leur jeunesse, lorsque ce jour fatal sera arrivé, on pourra prendre Céresse, mais autrement elle est imprenable. [4] A l'époque dont nous parlons, Épaminondas ayant fait prisonniers les Thespiens qui s'étaient réfugiés à Céresse, se mit aussitôt en marche pour le Péloponnèse d'après les invitations pressantes des Arcadiens; reçut en passant au nombre de ses alliés les Argiens qui s'offrirent volontairement ; il rétablit ensuite dans leur ancienne ville les Mantinéens qu'Agésipolis avait dispersés dans les bourgs ; et ayant engagé les Arcadiens à détruire toutes celles de leurs petites villes qui étaient trop faibles pour se défendre il leur fonda une ville qui pût leur servir de patrie commune, et qu'on nomme encore maintenant Mégalopolis (la grande ville). [5] Dans ces entrefaites, le temps durant lequel il devait être béotarque, était expiré, et les lois prononçaient la peine de mort contre celui qui en continuait les fonctions ; mais Épaminondas croyant que les circonstances étaient plus impérieuses que la loi, conserva son autorité de béotarque, et étant venu avec son armée jusqu'à Sparte, il vit qu'Agésilas n'osait pas sortir avec ses troupes pour combattre ; il tourna toutes ses pensées à la fondation de Messène, et les Messéniens actuels reconnaissent Épaminondas pour leur fondateur. J'ai dit dans mon livre sur la Messénie, tout ce qui se fit lors de cette fondation. [6] Dans ces entrefaites, les alliés des Thébains se débandant, parcouraient la Laconie et pillaient tout ce qu'ils trouvaient; ce qui obligea Épaminondas de ramener les Thébains dans la Béotie. Arrivé vers Lechée, il allait s'engager dans les défilés étroits et difficiles où passe la route, lorsqu'il se vit attaqué par Iphicrate, fils de Timothée; qui avait avec lui les peltastes et quelques autres troupes d'Athènes ; Épaminondas les mit en déroute et alla jusqu'à la ville même d'Athènes. [7] Iphicrate n'ayant pas voulu laisser sortir les Athéniens pour combattre, il poursuivit son chemin jusqu'à Thèbes, où il fut obligé de se défendre d'une accusation capitale, pour avoir retenu l'autorité au-delà du temps prescrit par les lois ; on dit que ceux que le sort avait désignés pour être juges, ne daignèrent pas même aller aux voix sur cette accusation.

CHAPITRE XV.

Guerre des Thébains contre Alexandre, tyran de Thessalie. Orchoméniens. Mort d'Épaminondas. Inscription sur sa statue.

[1] QUELQUE temps après, Alexandre, tyran dans la Thessalie, ayant, par méfiance et sans aucun égard, mit aux fers Pélopidas qui s'était rendu auprès de lui, le regardant comme son ami et comme celui du peuple thébain, les Thébains se mirent aussitôt en marche pour aller attaquer Alexandre ; ils prirent pour chef de cette expédition Cléomène qu'ils avaient nommé béotarque. Épaminondas se trouvait alors dans l'armée comme simple soldat. [2] Lorsque les Thébains furent arrivés aux Thermopyles, Alexandre, qui s'était mis en embuscade, les attaqua dans les défilés ; comme il paraissait très difficile de se tirer de ce mauvais pas, toute l'armée déféra le commandement à Épaminondas, et les béotarques eux-mêmes lui cédèrent volontairement leur autorité. Alexandre, dès qu'il vit Épaminondas à la tête de l'armée ennemie, n'eut plus autant de confiance en ses forces, et relâcha de lui-même Pélopidas. [3] Les Thébains, pendant l'absence d'Épaminondas, chassèrent les Orchoméniens de leur pays ; ce général regarda leur expulsion comme un très grand malheur, et dit que, s'il avait été présent, les Thébains ne se seraient point portés à une entreprise pareille. [4] Ayant été de nouveau nommé béotarque, et étant entré avec une armée de Béotiens dans le Péloponnèse, il défit dans les environs de Léchée, les Lacédémoniens réunis aux Achéens de Pellène et aux troupes que Charbrias avait amenées d'Athènes. Les Thébains étaient dans l'usage de relâcher pour de l'argent, tous les prisonniers qu'ils faisaient, à l'exception des exilés béotiens qu'ils punissaient de mort; Épaminondas ayant pris Phybia, petite ville des Sicyoniens, où étaient la plupart de ces exilés, il les laissa tous aller moyennant une rançon, leur donnant à chacun pour patrie une autre ville que celle d'où ils étaient. [5] Étant arrivé à Mantinée avec son armée, il remporta encore une Nikê ; mais il fut tué par un Athénien, et d'après le tableau qu'on voit à Athènes où l'on a représenté le combat de la cavalerie, il fut tué par Gryllos, fils de Xénophon, qui suivit Cyrus dans son expédition contre Artaxerxès, et qui ramena les Grecs jusqu'à la mer. [6] On voit sur la statue d'Épaminondas une inscription en vers élégiaques, qui dit entre autres choses, qu'il fut le fondateur de Messène, et que les Grecs recueillirent la liberté par son moyen. Voici cette inscription : Mes conseils firent perdre à Sparte sa gloire; Messène vit revenir dans son sein ses enfants si longtemps dispersés. Mégalopolis fut entourée de murs, grâce aux armes de Thèbes, et toute la Grèce fut rendue à ses lois et à la liberté. Voilà ce que j'ai à dire à sa louange.

CHAPITRE XVI.

Autres monuments de Thèbes. Temple d'Ammon. Temple et statue de Déméter Thesmophore. Temple de Dionysos Lysios.

[1] LE temple d'Ammon est à peu de distance de la statue d'Épaminondas ; la statue du dieu a été érigée par Pindare, et elle est l'ouvrage de Calamis. Ce poète envoya aussi aux Ammoniens de la Libye un hymne en l'honneur d'Ammon ; c'est celui que l'on voit encore maintenant sur un cippe triangulaire auprès de l'autel que Ptolémée, fils de Lagus et dédié à Ammon. Vous trouvez à Thèbes après le temple d'Aramon, ce qu'on nomme l'oiônoscopeion ( endroit pour regarder les oiseaux) de Tirésias et près de là, le temple de la Tuchê ; elle portait Ploutos enfant. [2] Les Thébains disent que le visage et les mains de cette statue sont de Xénophon, Athénien et que le reste a été fait par Callistonicos, sculpteur du pays. C'est une idée très ingénieuse que d'avoir mis Ploutos entre les bras de la Tuchê, comme étant sa mère ou sa nourrice. Celle de Céphisodotos ne l'est pas moins, c'est lui qui a fait pour les Athéniens une statue de la Paix portant Ploutos. [3] On voit à Thèbes des statues en bois d’Aphrodite, tellement anciennes, qu'on prétend qu'Harmonie les a dédiées ; elle les fit faire, dit-on, avec les ornements en bois qui étaient au haut de la proue des vaisseaux de Cadmos. De ces Aphrodite, la première se nomme Uranie, la seconde Pandémos, et la troisième Apostrophia ; c'est Harmonie qui a donné â Aphrodite ces surnoms ; [4] d'Uranie (céleste), parce qu'elle préside à l'amour pur et dégagé du commerce des sens ; de Pandémos, à cause du commerce des deux sexes; et d'Apostrophia, pour qu'elle détourne les humains des passions illicites et des actions impies. Harmonie, en effet, avait connaissance de plusieurs faits de ce genre qui avoient déjà eu lieu, soit chez les Grecs, soit chez les Barbares ; tels que furent dans la suite, l'amour de la mère d'Adonis, celui de Phèdre, fille de Minos, et celui de Térée de Thrace. [5] Le temple de Déméter Thesmophore était jadis, à ce qu'on prétend, la maison de Cadmos et de ses descendants; la statue de Déméter ne se voit que jusqu'à la poitrine ; il y a dans ce temple des boucliers de bronze ; ce sont, à ce qu'on assure, les boucliers de ceux des Lacédémoniens en charge, qui furent tués à la bataille de Leuctres. [6] On a bâti le théâtre vers les portes Proetides. Tout auprès du théâtre se trouve un temple de Dionysos surnommé Lysios. On l'a nommé ainsi, parce que des Thébains que des Thraces emmenaient captifs, furent délivrés vers Haliarte, par ce dieu qui leur livra les Thraces endormis pour les tuer. Les Thébains disent que l'autre statue qu'on voit dans ce temple, est celle de Sémélé ; il est d'usage de n'ouvrir ce temple qu'une fois par an, à certains jours. [7] On trouve aussi dans le même endroit les ruines de la maison de Lycos et le tombeau de Sémélé ; quant à Alcmène, les Thébains rapportent qu'elle n'a pas de tombeau, et qu'après sa mort elle fut changée en pierre ; ils ne conviennent pas de ce que les Mégaréens racontent à son sujet. Il y a bien d'autres choses sur lesquelles les Grecs ne sont pas d'accord entre eux. Les tombeaux des enfants d'Amphion sont également là ; ceux des garçons sont séparés de ceux des filles.

CHAPITRE XVII.

Temple d’Artémis Euclia. Les filles d'Antipoenos. Statues d’Athéna Zostéria. Tombeau de Zéthos et d'Amphion. Phocos et Antiope.

[1] LE temple d’Artémis Euclia est voisin de ces tombeaux, la statue est de Scopas. On dit qu'Androclia et Alcida, filles d'Antipaenos, sont enterrées dans l'intérieur de ce temple. Un combat étant sur le point de se livrer entre les Orchoméniens et les Thébains commandés par Héraclès, il fut rendu à ces derniers un oracle qui leur promettait la Nikê, si celui de leurs citoyens le plus distingué par sa naissance, voulait se tuer de sa propre main ; Antipoenos, qui était celui dont la famille était la plus illustre, ne paraissant pas disposé à sacrifier sa vie pour le salut du peuple, ses filles se dévouèrent et se tuèrent elles-mêmes ; on leur rend en reconnaissance des honneurs. [2] Devant le temple d’Artémis Euclia est un lion de marbre ; il fut, dit-on, dédié par Héraclès lorsqu'il eut défait les Orchoméniens et Erginos, fils de Clyménos, leur roi. Apollon surnommé Boédromios et Hermès Agoreos sont tout auprès ; ce dernier est aussi une offrande de Pindare. Le bûcher des enfants d'Amphion est à un demi stade tout au plus de leurs tombeaux ; il y reste encore de la cendre qui en provient. [3] On voit près de la maison d'Amphitryon deux statues en marbre d’Athéna, surnommée Zostéria ; on dit, en effet, qu'Amphitryon se revêtit de ses armes dans cet endroit, lorsqu'il partit pour aller faire la guerre à Chalcodon et aux Eubéens. Ce surnom de Zostéria vient de ce que les anciens employaient l'expression Zosasthai, se ceindre, pour dire qu'on revêtait ses armes ; et lorsqu'Homère dit qu'Agamemnon ressemblait à Arès par la ceinture, il entend parler de toute son armure. [4] Le tombeau commun d'Amphion et Zéthos n'est qu'un tertre de terre peu considérable. Les habitants de Tithorée dans la Phocide, cherchent tous les ans à y dérober de la terre ; ils font cette tentative lorsque le soleil a parcouru dans le ciel le signe du Taureau ; ils prétendent que s'ils appliquent à cette époque au tombeau d'Antiope, la terre qu'ils ont prise de celui d'Amphion, le pays de Tithorée devient plus fertile, et que celui de Thèbes ne l'est pas autant; aussi les Thébains ont-ils alors grand soin de garder ce tombeau. [5] Ces deux villes croient cela d'après une prédiction de Bacis, qui dans ses oracles s'exprime ainsi : Lorsque le Tithoréen offrira des libations et des prières à Amphion et à Zéthos, et posera sur leur tombeau des gâteaux pétris avec du miel à l'époque où le taureau est échauffé par l'ardeur du soleil, alors soyez sur vos gardes, un grand malheur vous menace ; car les fruits de votre territoire périront, si on enlève de la terre de ce tombeau, et qu'on la porte sur celui de Phocos. [6] Voici pourquoi Bacis dit le tombeau de Phocos ; Dircé, femme de Lycos, révérait Dionysos plus qu'aucun autre dieu ; lorsqu'elle eut éprouvé tout ce qu'on raconte, Dionysos fut irrité contre Antiope; les vengeances excessives déplaisent en effet presque toujours aux dieux ; on assure donc qu'Antiope devint folle, et qu'ayant tout à fait perdu la raison, elle erra dans toute la Grèce ; Phocos, fils d'Ornytion, fils de Sisyphe, l'ayant rencontrée, la guérit et l'épousa. On érigea un tombeau en commun à Phocos et à Antiope. [7] Les pierres qu'on voit au bas du tombeau d'Amphion, et qui ne sont que grossièrement travaillées, sont, à ce qu'on dit, celles qu'il attirait par ses chants. On raconte quelque chose de pareil d'Orphée, savoir que les bêtes féroces le suivaient, lorsqu'il jouait de la cithare.

CHAPITRE XVIII.

Monuments hors de Thèbes. Mélanippos. Tombeau des enfants d'Oedipe ; celui d'Hector.

[1] LA route de Thèbes à Chalcis passe par les portes Proetides ; on vous montre d'abord sur cette route le tombeau de Mélanippos, l'un des Thébains les plus renommés par sa valeur ; lorsque les Argiens vinrent assiéger Thèbes, ce Mélanippos tua Tydée et Mécistéos, l'un des frères d'Adraste, et fut tué lui-même, à ce qu'on dit, par Amphiaraos. [2] Il y a tout auprès de son tombeau trois pierres brutes ; ceux des Thébains qui connaissent les antiquités du pays, assurent qu'elles désignent l'endroit où Tydée a été enterré par Maeon ; ils citent pour preuve, ce vers d'Homère, dans l'Iliade : Tydée que la terre couvre dans les champs de Thèbes. [3] Vous trouvez ensuite les tombeaux des fils d'Oedipe ; quoique je n'aie pas vu ce qui se fait sur leurs tombeaux, je ne l'en crois pas moins véritable ; les Thébains, à ce qu'ils disent, offrent des sacrifices à plusieurs d'entre ceux qu'on nomme les héros, et aux fils d'Oedipe ; lors donc qu'ils sacrifient à ces derniers, la flamme ainsi que la fumée qui en sort, se sépare en deux. Cela ne me paraît pas très difficile à croire, ayant vu moi-même ce que je vais raconter. [4] Il y a dans la Mysie au-dessus du Caïque, une ville nommée Pionies, qui a eu pour fondateur, à ce que racontent les habitants, Pionis l'un des descendants d'Héraclès; lorsqu'ils doivent lui sacrifier, il sort naturellement de la fumée de son tombeau ; c'est ce que j'ai vu moi-même. Les Thébains montrent aussi le tombeau de Tirésias, qui est quinze stades tout au plus, au-delà de ceux des fils d'Oedipe ; ils conviennent cependant que Tirésias est mort à Haliarte, et que le tombeau qu'ils montrent n'est qu'un cénotaphe. [5] On voit aussi à Thèbes le tombeau d'Hector, fils de Priam, il est près de la fontaine nommée Oedipodie ; les Thébains ont apporté ses os de Troie, à ce qu'ils prétendent, d'après l'oracle suivant : Thébains qui habitez la ville de Cadmos, voulez-vous jouir dans votre patrie de la plus grande abondance? apportez de l'Asie dans votre ville les restes d'Hector, fils de Priam, et rendez des honneurs à ce héros ; car telle est la volonté de Zeus. [6] La fontaine Oedipodie a pris son nom d'Oedipe, qui s'y lava pour se purifier du sang qui avait jailli sur lui, lorsqu'il tua son père. Le tombeau d'Asphodicos est vers cette fontaine ; cet Asphodicos, à ce qu'assurent les Thébains, tua lors de la bataille qu'ils livrèrent aux Argiens, Parthénopeos, fils de Talaos ; cependant l'auteur de la Thébaïde dit que Parthénopeos fut tué par Périclyménos.

CHAPITRE XIX.

Temple d’Athéna Telchinia. Ruines de Glisante. Mont Hypatos et temple de Zeus Hypatos. Ruines de Harma et de Mycalesse. Temple de Déméter. Aulis et ses monuments.

[1] ON trouve sur la même route un endroit nommé Teumesse, où l'on dit que Zeus cacha Europe. Il y a encore une autre tradition sur un renard nommé Teumésios, monstre que Dionysos irrité avait produit pour le malheur des Thébains ; comme il allait être pris par le chien qu’Artémis avait donné à Procris, fille d'Erecthée, il fut changé en pierre ainsi que le chien. On voit à Teumesse un temple d’Athéna Telchinia où il n'y a point de statue. On peut conjecturer à l'égard de ce surnom, qu'une portion de ces Telchines qui habitaient jadis l'île de Chypre, étant venus dans la Béotie, y érigea ce temple d’Athéna. [2] A gauche de Teumesse, en avançant sept stades, vous remarquez les ruines de Glisante. Devant ces ruines, à droite du chemin, est un tertre peu élevé couvert de broussailles et d'arbres cultivés ; c'est là que lors de l'expédition faite contre Thèbes sous les ordres d'Aegialéos, furent enterrés différents chefs des Argiens et entre autres Promachos, fils de Parthénopeos. Quant à Aegialéos, on lui érigea un tombeau à Péges, comme je l'ai déjà dit dans la description de la Mégaride. [3] Il y a sur le sentier qui conduit de Thèbes à Glisante un endroit entouré de pierres de choix, que les Thébains nomment la Tête du Serpent. Ils prétendent que ce serpent, dont l'espèce n'est pas connue, ayant mis dans cet endroit la tête hors de son trou, Tirésias qui se trouvait auprès, la coupa avec son épée. C'est de cette tradition que ce lieu a pris son nom. Au-dessus de Glisante est le mont Hypatos, sur lequel on trouve le temple de Zeus Hypatos avec sa statue ; on donne le nom de Thermodon au torrent qui coule auprès. En revenant à Teumesse et au chemin de Chalcis, vous voyez le tombeau de Chalcodon, qui fut tué par Amphitryon dans le combat entre les Eubéens et les Thébains. [4] Vous rencontrez ensuite les ruines des villes de Harma et de Mycalesse ; la première de ces villes a pris son nom du char d'Amphiaraos qui y fut englouti, à ce que disent les Tanagréens, et non dans l'endroit que montrent les Thébains. Quant à Mycalesse, on convient qu'elle a été ainsi nommée, parce que ce fut dans ce lieu que beugla la vache qui conduisit Cadmos et son armée à Thèbes. On a déjà vu dans la description de l'Attique de quelle manière Mycalesse fut abandonnée par ses habitants ; [5] on y voit sur les bords de la mer le temple de Déméter Mycalessienne ; on assure qu'il est fermé chaque nuit et ouvert ensuite par Héraclès, l'un des Dactyles Idéens. Une autre merveille qu'on vous fait encore observer dans ce temple, c'est qu'on y met devant les pieds de la statue, toutes les productions de l'automne, et qu'elles s'y conservent fraîches toute l'année. [6] Le temple est à droite de l'Euripe qui sépare de ce côté la Béotie de l'Eubée ; en avançant un peu vous trouvez Aulis, qui a pris, dit-on, son nom d'une fille d'Ogygès. II y a là un temple d’Artémis et deux statues en marbre blanc; l'une la représente tenant des torches, et l'autre, tirant de l'arc. On sait que les Grecs se disposant à sacrifier Iphigénie sur son autel, d'après les prédictions de Calchas, la déesse substitua une biche pour victime. [7] On conserve encore dans le temple du bois du platane dont Homère a fait mention dans l'Iliade. On dit que les vents ayant été quelque temps contraires aux Grecs pour leur navigation, ils devinrent tout-à-coup favorables, et qu'alors chacun s'empressa de  sacrifier à la déesse tout ce qu'il avait en victimes, mâles ou femelles ; aussi depuis ce temps-là est-il resté en usage à Aulis d'offrir toutes sortes de victimes. On vous montre aussi la fontaine vers laquelle était le platane, et sur la colline voisine, le seuil en bronze de la tente d'Agamemnon ; [8] devant le temple il y a des palmiers dont le fruit n'est pas aussi bon à manger que celui des palmiers de la Palestine ; cependant il mûrit mieux que dans l'Ionie. Aulis n'est pas très peuplée ; ses habitants sont tous potiers de terre. Tout ce pays ainsi que celui d’Harma et de Mycalesse est occupé par les Tanagréens.

CHAPITRE XX.

Délion, temple d'Apollon. Fondateur et monuments de Tanagre. Triton et Dionysos.

[1] DANS le pays de Tanagre, sur les bords de la mer, est un endroit nommé Délion, on y voit les statues d’Artémis et de Latone. Les Tanagréens disent que leur ville a été fondée par Poemander, fils de Chærésilès, fils d'Iasios, fils d'Eleuther qui était lui-même fils d'Apollon et d'Aethusse, fille de Poseidon. On rapporte que Poemander épousa Tanagra, fille d'Aeolos ; cependant Corinne dit dans ses vers qu'elle était fille d'Asopos ; [2] la vie de Tanagra s'étant extrêmement prolongée, les gens des environs retranchèrent, à ce qu'on assure, deux syllabes de son nom, et la nommèrent Graea (la vieille), nom qui passa dans la suite à la ville ; elle le conserva si longtemps, qu'Homère dit dans son catalogue, Thespie, Graea et la vaste Mycalesse. Elle reprit plus tard son ancien nom. [3] On voit à Tanagre le tombeau d'Orion et le mont Cégytion, où l'on prétend qu’Hermès vit le jour. On vous montre aussi un endroit nommé Poloson, où Atlas assis s'occupait de ce qui se passait sous la terre et dans les cieux. Homère a aussi fait mention d'Atlas en parlant de Calypso, fille du savant Atlas qui connaît tous les abîmes de la mer, et qui a lui-même des colonnes élevées qui entourent le ciel et la terre. [4] Il y a dans le temple de Dionysos une statue de ce dieu qui mérite d'être vue ; elle est en marbre de Paros ; c'est un ouvrage de Calamis. Une chose encore plus merveilleuse est le Triton qu'on y voit. Il existe deux traditions sur ce Triton ; suivant la première qui est la plus pieuse, les femmes les plus considérables de Tanagre, célébrant les mystères de Dionysos, descendirent à la mer pour se purifier ; pendant qu'elles se baignaient, ce Triton fondit sur elles; ces femmes alors invoquèrent le secours de Dionysos, qui entendit leur prière et vainquit le Triton ; [5] la seconde tradition est moins imposante que la première, mais elle est plus vraisemblable. On dit qu'un Triton épiait tous les bestiaux qu'on conduisait à la mer et les enlevait ; il attaquait même les petits bâtiments. Les Tanagréens, pour s'en délivrer, mirent sur le bord de la mer un vase rempli de vin ; le Triton s'approcha aussitôt, attiré par l'odeur, et ayant bu, il s'endormit étendu sur la plage ; alors un Tanagréen lui coupa la tête avec une hache. C'est pour cela qu'il n'a point de tête ; et comme ce fut l'ivresse qui le livra, on attribue sa mort à Dionysos.

CHAPITRE XXI.

Tritons. Taureaux éthiopiens. Alcé. Martiora ou Androphage. Serpents ailés.

[1] J'AI vu parmi les curiosités de Rome un autre Triton, qui n'est pas aussi grand que celui des Tanagréens. Ces Tritons ont la forme suivante : ils ont sur la tête une chevelure semblable à l'ache des marais, tant par la couleur que parce que vous ne sépareriez pas facilement un cheveu de l'autre. Le reste du corps est couvert d'écailles minces et rudes comme une lime. Ils ont des branchies au-dessous des oreilles, un nez d'homme, mais la bouche beaucoup plus large, avec des dents de bêtes féroces ; leurs yeux sont vert de mer, à ce qu'il me semble; ils ont des mains, des doigts et des ongles qui ressemblent à l'écaille supérieure des huîtres ; sous la poitrine et sous le ventre; au lieu de pieds, sont des nageoires pareilles à celles des dauphins. [2] J'ai vu aussi de ces taureaux d'Ethiopie, qu'on nomme rhinocéros à cause de leur forme ; ils ont en effet chacun une corne à l'extrémité du nez, et une autre plus petite au-dessus; ils n'en ont point du tout sur ta tête. J'ai vu des taureaux de la Péonie, qui sont velus par tout le corps, mais principalement autour de la poitrine et au menton ; j'ai vu aussi des chameaux indiens dont la peau ressemble, pour la couleur, à celle de la panthère. [3] Il y a un animal sauvage, nommé Alcé, qui tient le milieu, pour la forme, entre le chameau et le cerf ; on le trouve dans le pays des Gaulois, et il est le seul, des animaux que nous connaissons, qu'on ne puisse ni découvrir à la vue ni suivre à la trace ; on dit en effet, qu'il évente les hommes de très loin, et va se cacher dans les ravins ou dans les cavernes les plus profondes ; mais le hasard le livre quelquefois à ceux qui vont à la chasse d'autres animaux, et voici comment. Ces chasseurs environnent une plaine de mille stades au moins ou une montagne, et, se rapprochant ensuite sans rompre leur cercle, ils prennent tout ce qui se trouve dans l'intérieur, et même des Alcés, si quelqu'une se trouve avoir là son repaire ; il n'y a point d'autre moyen de les prendre. [4] Quant à l'animal dont parle Ctésias dans son livre sur les Indes, que les Indiens nomment martiora, et les Grec, androphage, je suis persuadé que c'est le tigre. Ils disent qu'il a trois rangs de dents à chaque mâchoire, qu'au bout de la queue sont des aiguillons dont il se sert pour se défendre contre ceux qui l'approchent et qu'il lance aussi loin que ceux qui tirent des flèches; mais j'attribue à la frayeur qu'inspire aux Indiens cet animal, les idées fausses qu'ils se transmettent les uns aux autres. [5] Ils se sont aussi trompés sur la couleur, soit parce que le tigre, lorsqu'on le voit au soleil, paraît rouge et d'une seule couleur, soit parce qu'il court très vite ; ou bien parce que, lors même qu'il ne court pas, il est toujours en mouvement, et que d'ailleurs, on ne le voit jamais de près. Je pense que si quelqu'un visitait les endroits les plus reculés de la Libye, de l'Inde ou de l'Arabie, pour y chercher toutes les bêtes féroces qu'on voit chez les Grecs, il en est qu'il n'y trouverait pas du tout; il en est d'autre aussi qui ne lui paraîtraient pas de la même forme.
[6] Les hommes ne sont pas en effet les seuls qui changent de figure suivant les différents pays et les différents climats ; il en est de même des autres animaux. Les aspics, par exemple, sont de la même couleur dans la Libye que dans l'Égypte, tandis que dans l'Ethiopie, ils sont noirs comme les hommes. C'est pourquoi il ne faut être trop prompt ni à croire ni à rejeter tout ce qui est extraordinaire. Quoique je n'aie point vu de serpents ailés, je crois cependant qu'il peut y en avoir, un Phrygien ayant apporté dans l'Ionie un scorpion qui avait des ailes tout à fait semblables à celles d'une sauterelle.

CHAPITRE XXII.

Monuments de Tanagre. Hermès. Tombeau de Corinne. Mont Messapion. Ville et monuments d'Anthédon. Temple des Cabires.

[1] IL y a à Tanagre, vers le temple de Dionysos, trois autres temples, dédiés l'un à Thémis, l'autre à Aphrodite, et le troisième à Apollon ; Artémis et Latone sont aussi honorés dans ce dernier. Hermès y a deux temples, l'un sous le nom de Criophoros (porte-bélier), l'autre sous celui de Promachos. Ce premier surnom lui fut donné, dit-on, parce qu'il détourna de la ville une maladie contagieuse, en portant un bélier autour des murs ; c'est pour cela que Calamis a fait la statue d’Hermès portant un bélier sur ses épaules. [2] Le jour de la fête du dieu, celui des adolescents qui a été jugé le plus beau, fait le tour des murs de la ville portant un agneau sur ses épaules. Quant à Hermès Promachos, ils disent que les Erétriens de l'Eubée ayant fait un débarquement dans le pays de Tanagre, Hermès conduisit les adolescents au combat, et que lui-même, comme adolescent, combattant avec une étrille, il contribua le plus à la déroute des Eubéens. On voit dans le temple d’Hermès Promachos, les restes d'un arbousier, et les Tanagréens croient que ce dieu a été élevé sous des arbres de cette espèce. Près de là est le théâtre, vers lequel est un portique. Les Tanagréens me paraissent avoir réglé ce qui concerne le culte des dieux bien mieux que tous les autres Grecs ; leurs maisons, en effet, sont séparées de leurs temples, qui sont à part, dans un endroit pur et écarté du commerce des hommes. [3] Corinne, la seule qui ait fait des hymnes à Tanagre, a son tombeau dans l'endroit le plus apparent de la ville. Il y a dans le gymnase un tableau qui représente Corinne la tête ceinte de bandelettes, à cause de la Nikê pour l'ode qu'elle remporta à Thèbes sur Pindare. Je pense que le prix lui fut décerné tant à cause du dialecte qu'elle avait employé, qui était plus à la portée des Éoliens que le dialecte dorien dont Pindare se servait, qu'à cause de sa beauté ; car elle était la plus belle femme de son temps, s'il faut en juger par son portrait. [4] Il y a dans le pays de Tanagre deux espèces de coqs ; les uns propres au combat, les autres, nommés cossyphes (merles), sont pareils, pour la grandeur, aux oiseaux de Lydie, et de la même couleur que les corbeaux;  ils ont les barbes et la crête couleur d'anémone, et de petites taches blanches sur le bec et sur l'extrémité de la queue. [5] Tels sont ces oiseaux. Le mont Messapios est dans la Béotie, à gauche de l'Euripe ; la ville d'Anthédon est au pied de ce mont, et sur les bords de la mer. Elle a pris son nom, suivant les uns, de la nymphe Anthédon, ou, suivant d'autres, d'Anthas, qui régna dans cette contrée. Cet Anthas était fils de Poseidon et d'Alcyone, fille d'Atlas. A peu près au milieu de la ville est un temple des Cabires entouré d'un bois, et près de là un temple de Déméter et de sa fille ; leurs statues sont en marbre blanc. [6] Le temple de Dionysos et sa statue sont devant la ville du côté de la terre. On voit dans le même endroit les tombeaux d'Iphimédie, d'Aloéos et de leurs fils, qui furent tués par Apollon, comme le disent Homère et Pindare. Suivant ce dernier, ils terminèrent leurs jours dans l'île de Naxos, qui est au-dessus de Paros. Leurs tombeaux sont à Anthédon ; on y remarque aussi sur les bords de la mer, ce qu'on appelle le saut de Glaucos. [7] On rapporte que ce Glaucos était pêcheur, et qu'ayant mangé d'une certaine herbe, il devint un dieu marin; il prédit encore maintenant l'avenir, à ce que croient beaucoup de gens, et, entre autres, ceux qui naviguent sur mer, qui racontent tous les ans beaucoup de choses sur la vérité des prédictions de Glaucos. Pindare et Eschyle qui en avaient entendu parler aux Anthédoniens, l'ont chanté, le premier seulement en passant; mais Eschyle en a fait le sujet d'un drame.

CHAPITRE XXIII.

Monuments devant les portes Proetides. Pindare. Ville d'Acraephnion. Mont Ptoos. Ville de Larymna.

[1] ON voit aussi à Thèbes, devant les portes Proetides, le gymnase qui porte le nom de Iolas, et un stade qui est une levée de terre, de même que ceux d'Olympie et d'Épidaure. On y remarque le monument héroïque de Iolas ; cependant les Thébains conviennent eux-mêmes que Iolas mourut dans l'île de Sardaigne, ainsi que les Athéniens et les Thespiens qui y avaient passé avec lui. [2] En allant à la droite du stade, vous trouvez l'hippodrome, dans lequel est le tombeau de Pindare ; étant dans sa première jeunesse, un jour qu'il allait à Thespies, dans les plus grandes chaleurs, et vers le milieu de la journée, il se trouva accablé de fatigue et de sommeil ; s'étant un moment couché un peu à l'écart de la route, des abeilles, pendant qu'il dormait, volèrent sur lui, et firent des rayons autour de ses lèvres. [3] Ce fut alors que Pindare commença à se livrer à la poésie. Il avait déjà acquis une très grande réputation dans toute la Grèce, lorsque la Pythie le rendit encore plus célèbre en ordonnant aux habitants de Delphes de lui donner une portion égale à celle des prêtres d'Apollon, dans tous les sacrifices qu'ils offraient à ce dieu. On dit que Pindare, étant déjà très avancé en âge, eut le songe suivant : Proserpine lui apparut durant son sommeil et se plaignit d'être la seule divinité pour laquelle il n'eût pas fait d'hymne; elle, ajouta qu'il en ferait un lorsqu'il serait venu auprès d'elle. [4] Il mourut presque aussitôt, c'est-à-dire avant que dix jours se fussent écoulés depuis ce songe. Il y avait à Thèbes une vieille femme, parente de Pindare, et qui s'était exercée à chanter la plupart de ses poèmes ; Pindare lui ayant apparu pendant qu'elle dormait, il lui chanta l'hymne à Proserpine. Cette femme, aussitôt qu'elle fut éveillée, écrivit ce qu'elle venait d'entendre. Il donne dans cet hymne différents surnoms à Ploutos, entre autres celui de Chrysénios (aux rênes d'or) ; ce qui a évidemment rapport à l'enlèvement de Proserpine. [5] On va de cet endroit à Acraephnion par une route qui est presque toute dans la plaine ; on dit que cette ville était anciennement dans le territoire de Thèbes, et j'ai appris que beaucoup de Thébains s'y réfugièrent, lorsqu'Alexandre détruisit leur ville ; tous ceux en effet que leur vieillesse ou leurs infirmités empêchèrent de se retirer dans l'Attique, s'établirent à Acraephnion, sur le mont Ptoos ; on y trouve un temple et une statue de Dionysos qui méritent d'être vus. [6] Environ quinze stades plus loin que la ville, à droite, vous voyez le temple d'Apollon Ptoos. Asios dit, dans ses vers que Ptoos, qui a donné son nom à cette montagne, et de qui Apollon a pris ce surnom, était fils d'Athamas et de Themistos. Avant l'expédition d'Alexandre et des Macédoniens, et la destruction de Thèbes, il y avait là un oracle infaillible. On prétend qu'un certain Mys d'Europe, était venu de la part de Mardanios, le consulter dans sa propre langue, et que le dieu lui répondit non en grec, mais dans le dialecte Carien.  [7] De l'autre côté du mont Ptoos, vous trouverez, sur les bords de la mer, la ville béotienne de Larymna, qui a pris son nom, à ce qu'on dit, de Larymné, fille de Cymos.  Je parlerai de ses ancêtres, lorsque je décrirai la Locride. Larymna était anciennement de la dépendance d'Opontis mais les Thébains étant devenus très puissants, les Larymnéens se rangèrent de leur propre mouvement parmi les Béotiens. On voir chez eux un temple de Dionysos avec sa statue. Le dieu est debout. Il y a aussi un lac très profond, même sur les bords ; les montagnes de la ville sont très peuplées de sangliers.

CHAPITRE  XXIV.

Lac Copaïs. Olmones et Hyette. Petites villes de Cyrtone, de Corsia et de Hales.

[1] EN allant par le chemin le plus court d'Acraephnion au lac Céphiside, que d'autres nomment le lac Copaïs, vous trouvez une plaine nommée Athamantion, où l'on dit qu'a demeuré Athamas. Le fleuve Céphise, qui se jette dans le lac, prend sa source à Lilée dans la Phocide. En traversant le lac on va à Copes (Copes est une petite ville sur les bords du lac; Homère en a parlé dans le catalogue des vaisseaux) ; on y voit trois temples, l'un de Déméter, l'autre de Dionysos, et le troisième de Sérapis. [2] Les Béotiens assurent qu'il y avait autrefois sur les bords de ce lac deux autres villes, nommées Athènes et Éleusis ; mais qu'un débordement, survenu en hiver, les fit entièrement disparaître. Les poissons du lac Céphiside ne diffèrent en rien de ceux des autres lacs ; mais on y trouve des anguilles d'une grosseur prodigieuse et qui sont un manger délicieux. [3] Olmones est à  environ douze stades de Copes, en avançant à gauche ; Hyette est à peu près à sept stades d'Olmones : ces deux endroits sont des bourgs et n'ont jamais été autre chose. Je crois qu'avec la plaine Athamantion, elles font partie de l'Orchoménie; lorsque j'en serai à la description de cette contrée, je rapporterai ce que j'ai entendu dire d'Hyettos, Argien, et de Holmos, fils de Sisyphe. Olmones n'offre rien qui mérite d'être vu; Hyette possède un temple d'Héraclès où les malades trouvent la guérison de leurs maux. La statue du dieu est faite sans art ; c'est une pierre toute brute, suivant l'ancien usage. [4] Cyrtones est à environ vingt stades d'Hyette ; on dit que l'ancien nom de cette ville était Cyrtoné; elle est bâtie sur un mont élevé : on y voit un temple et un bois consacrés à Apollon ; les statues d'Apollon et d’Artémis sont debout; une source d'eau fraîche, qui sort là d'un rocher, forme une fontaine vers laquelle est un temple et un petit bois consacrés aux Nymphes; ce bois est entièrement planté d'arbres cultivés. [5] En gagnant le haut de la montagne, et en redescendant de l'autre côté, vous trouvez Corsia, petite ville au-dessous de laquelle est un bois planté d'arbres sauvages, principalement de chênes verts ; on voit une petite statue d’Hermès en plein air dans ce bois, qui est à environ un demi stade de Corsia. En descendant dans la plaine vous trouvez le fleuve Platanios, qui se jette là dans la mer; à droite de ce fleuve est Hales, la dernière ville des Béotiens ; elle est sur les bords de la mer qui sépare la Locride de l'Eubée.

CHAPITRE XXV.

Tombeau de Ménécée. Combat des fils d'Oedipe. Ruines de la maison de Pindare. Temple de Dindymène. Temple et statue de Thémis. Forêt de Déméter et de Proserpine. Temple des Cabires.

[1] Vous voyez à Thèbes, auprès des portes Néïstes, le tombeau de Ménécée, fils de Créon, qui se tua lui-même, d'après un oracle rendu à Delphes, lorsque Polynice vint d'Argos avec une armée pour attaquer Thèbes. Il y a sur son tombeau un grenadier dont les fruits, lorsqu'ils sont mûrs, présentent, en les ouvrant, quelque chose qui ressemble à du sang. Le grenadier est un arbre toujours vert. Les Thébains disent que leur pays est le premier où la vigne soit venue ; mais ils ne peuvent montrer aucun monument à l'appui de ce qu'ils avancent. [2] On prétend que les fils d'Oedipe, en combattant l'un contre l'autre, se tuèrent mutuellement à peu de distance du tombeau de Ménécée ; on y voit pour preuve de leur combat une colonne sur laquelle est un bouclier, le tout en marbre. On vous montre aussi l'endroit où l'on dit qu’Héra, trompée je ne sais comment par Zeus, donna à téter à Héraclès encore enfant. Tout ce canton est nommé le Syrma d'Antigone, parce qu'ayant entrepris d'abord d'enlever le corps de Polynice, et ne pouvant en venir à bout,  elle imagina alors de le traîner ; elle le traîna effectivement jusqu'au bûcher allumé pour Étéocle, et le plaça dessus. Vous traversez ensuite le fleuve Dircé, qui a pris son nom de Dircé, femme de Lycus, on raconte qu'elle maltraitait Antiope, et que les fils de cette dernière la firent périr pour venger leur mère. De l'autre côté de ce fleuve sont les ruines de la maison de Pindare et un temple de Dindymène; la statue est une offrande de Pindare : elle est l'ouvrage d'Aristomède et de Socrats, tous deux Thébains. L'usage est de n'ouvrir ce temple qu'un seul jour par an ; j'ai eu le bonheur de m'y trouver ce jour-là : j'ai vu la statue de la déesse qui est en marbre Pentélique, ainsi que son trône. Vous trouvez sur le chemin qui sort des portes Néïtes, un temple de Thémis et sa statue en marbre blanc; ensuite celui des Parques, où il n'y a point de statues; puis celui de Jupiter Agoréus, dont la statue est en marbre. Un peu plus loin, vous voyez en plein air un petit Hercule surnommé Rhinocolustès ; on l'a surnommé ainsi, parce que, au dire des Thébains, il coupa, par manière d'affront, le nez aux hérauts que les Orchoméniens avaient envoyés pour demander le tribut. Le bois de Cérès Cabiria et de Coré est à vingt-cinq stades de là ; les initiés seuls peuvent y entrer. Le temple des Cabires est à environ sept stades de ce bois. Je prie les curieux de vouloir bien m'excuser, si je ne leur dis pas ce que c'est que les Cabires, et tout ce qu'on fait en leur honneur et en l'honneur de la Mère des dieux ; cependant rien ne m'empêche de rapporter quelle est, suivant les Thébains, l'origine de ces cérémonies. Ils disent qu'il y avait dans cet endroit une ville dont les habitants se nommaient les Cabiréens. Cérès étant venue dans le pays, confia la connaissance de quelque chose à Prométhée, l'un de ces Cabiréens, et à Etnmus, son fils ; quant à ce qu'elle leur confia, et ce qu'on fait à cet égard, il ne m'est pas permis de l'écrire. Les mystères sont donc un don de Cérès elle-même aux Cabiréens. [7] Ils furent chassés de leur pays par les Argiens lors de l'expédition des Épigones et de la prise de Thèbes ; la célébration des mystères fut suspendue pour quelque temps ; mais on dit que, dans la suite, Pélargé, fille de Potnée, et Isthmiade, son époux, rétablirent ces mystères, d'abord dans le même endroit, plus tard ils les transportèrent à Alexiare. [8] Comme Pélargé initiait hors du pays anciennement destiné à cela, Télondès et ceux des Cabiréens qui restaient, revinrent à Cabirée. Quant à Pélargé, d'après un oracle rendu à Dodone, on établit différentes choses en son honneur, et l'usage est de lui sacrifier une victime pleine. La colère des Cabires envers les hommes est implacable, comme on l'a éprouvé plusieurs fois. [9] Quelques particuliers ayant osé imiter à Naupacte les cérémonies qui se pratiquent à Thèbes, ne tardèrent pas à en subir la punition. Quelques soldats de l'armée que Xerxès avait laissée à Mardonios, et qui étaient restés dans la Béotie, ayant osé entrer dans le temple des Cabires, peut-être dans l'espoir d'y trouver de grandes richesses, ou plutôt, je pense, par mépris pour les dieux, ils devinrent aussitôt furieux, et se précipitèrent, les uns dans la mer, les autres du haut des rochers. [10] Lorsqu'Alexandre, après avoir remporté la Nikê, eut livré aux flammes la ville de Thèbes et tout le pays, quelques Macédoniens entrèrent dans le temple des Cabires, comme étant en pays ennemi : ils furent tous tués par la foudre et par des éclairs ; tant ce lieu a toujours été saint et vénérable.

CHAPITRE XXVI.

Temple d'Héraclès Hippodotos. Sphinx. Ruines d'Oncheste. Ville de Thespie. Statues de Zeus Saotés et d'autres dieux dans Thespie.

[1] A droite du Cabirion est une plaine qui porte le nom du devin Ténéros, fils, à ce qu'on dit, d'Apollon et de Mélia, et un grand temple d'Héraclès surnommé Hippodétos; on prétend en effet que l'armée des Orchoméniens étant venue jusque-là, Héraclès, sans qu'on s'en aperçût, lia ensemble pendant la nuit, les chevaux qui étaient à leurs chars. [2] Plus loin est la montagne d'où l'on assure que le Sphinx s'élançait pour enlever et faire périr ceux qui ne devinaient pas son énigme. [3] Il y en a qui disent que c'était un pirate, qui parcourait les mers avec quelques vaisseaux, et qui s'arrêta dans les parages d'Anthédon ; s'étant emparé de cette montagne, il se livrait au pillage ; ce qui ne cessa que lorsque Oedipe, ayant amené de Corinthe une armée, l'eut tué après l'avoir vaincu. On dit aussi que ce Sphinx était une fille naturelle de Laïos, qui, par amitié pour elle, lui avait appris l'oracle qui avait été rendu à Cadmos à Delphes ; cet oracle n'avait été jusqu'alors connu que des rois. Lors donc que quelqu'un de ses frères se présentait pour lui disputer le trône (car Laïos avait eu des fils de plusieurs concubines, et l'oracle qui lui avait été rendu à Delphes ne concernait qu'Epicaste et les enfants qu'il pourrait avoir d'elle), elle leur disait, en employant la ruse suivante que, s'ils étaient réellement fils de Laïos, ils devaient connaître l'oracle rendu à Cadmos. [4] Comme ils ne savaient que répondre, elle les faisait mourir, comme élevant des prétentions à un trône et à une extraction auxquels ils n'avaient aucun droit. Oedipe, avant de se présenter, avait été instruit de cet oracle par un songe. [5] Les ruines de la ville d'Oncheste sont à quinze stades de cette montagne; c'était là, à ce qu'on dit, que demeurait Onchestos, fils de Poseidon. On y voyait encore de mon temps le temple et la statue de Poseidon Onchestios, et le bois dont Homère a parlé. [6] En prenant la route à gauche du Cabirion, et en avançant environ cinquante stades, vous arrivez à Thespie, ville au pied du mont Hélicon. On prétend que Thespia, qui a donné son nom à la ville, était fille d'Asopos ; d'autres assurent que cette ville avait pris son nom de Thespios, fils d'Érechthée, qui était venu d'Athènes. [7] On remarque encore à Thespie une statue en bronze de Zeus Saotès ; les gens du pays racontent que la ville étant ravagée par un dragon, ce dieu leur ordonna de donner tous les ans, à ce monstre, celui des adolescents que le sort désignerait. Ils ne se rappellent pas, à ce qu'ils disent, les noms de tous ceux qui périrent ; mais le sort étant tombé sur Cléostratos, voici ce qu'imagina Ménestratos qui était amoureux de lui. [8] Il fit faire une cuirasse de cuivre, sur chacune des écailles de laquelle il y avait un hameçon dont la pointe était tournée en haut; s'étant revêtu de cette cuirasse, il se livra volontairement au dragon, qu'il fit périr en périssant lui-même. C'est pour cela qu'ou donna à Zeus le surnom de Saotès (sauveur). La statue de Dionysos, celle de la Tuchê, celle d'Hygie, qui est dans un autre endroit ; la statue d’Athéna Ergané et celle de Ploutos, qui est auprès, sont des ouvrages de Théron.

CHAPITRE XXVII.

Culte et statues de l'Amour. Statues et autres monuments de Thespie. Temple d'Héraclès. Les filles de Thestios.

[1] De tous les dieux, l'Amour est celui pour lequel les Thespiens ont eu de toute antiquité le plus de vénération; ils en ont une très ancienne statue, qui n'est autre chose qu'une pierre toute brute. Je ne sais pas de qui les Thespiens tiennent ce culte particulier qu'ils rendent à l'Amour. Ce dieu n'est pas moins révéré chez les Pariens des bords de l'Hellespont, qui sont des Ioniens d'origine, venus de la ville d'Erythres, sont maintenant soumis aux Romains. [2] Le vulgaire s'imagine que l'Amour est le plus jeune des dieux, et qu'il est fils d’Aphrodite. Olen qui a composé pour les Grecs les hymnes les plus anciens qu'on connaisse, dit  dans l'hymne à Lucine que cette déesse est la mère de l'Amour. Pamphos et Orphée, qui ont fait des vers après Olen, firent aussi des vers sur ce dieu et les Lycomidiens en entonnent dans leurs cérémonies secrètes; et le Porte-Flambeau de Déméter Éleusine m'en communiqua quelques-unes dans la conversation que j'eus avec lui; mais je ne puis en faire part au public. On sait aussi qu'Hésiode ou celui qui a écrit la Théogonie sous son nom, a écrit que le Chaos était le plus ancien et que la Terre, le Tartare, et l'Amour vinrent ensuite. [3] Sapho de Lesbos, qui dans ses poésies a dit de l'Amour beaucoup de choses qui ne s'accordent pas trop bien ensemble, je ne la cite point. Mais pour revenir aux Thespiens, Lysippe fit pour eux un Cupidon de bronze, et Praxitèle auparavant leur en avait fait un de ce beau marbre du Mont Pentélique. J'ai raconté dans un autre endroit par quelle ruse Phryné vint à bout de savoir le cas que Praxitèle faisait lui-même de cette statue. Les Thespiens disent qu'elle leur fut enlevée par Gaius, empereur des Romains; qu'ensuite Claudius la leur renvoya, et que Néron les en dépouilla encore, et la fit transporter à Rome,  [4] où elle fut consumée par le feu. Mais l'impiété de ces deux empereurs ne demeura pas impunie; on sait que l'un en donnant le mot du guet à un officier, avec la bouffonnerie et les obscénités qui lui étaient ordinaires, fut tué par cet officier-là même. Quant à Néron, on connaît l'horreur et l'excès de ses attentats, tant sur sa mère que sur les femmes qu'il avait épousées. La statue de l'Amour qu'on voit maintenant à Thespie, est l'ouvrage de Ménodoros, Athénien, qui a imité celle de Praxitèle. [5] On remarque dans le même endroit une Aphrodite et une Phryné, toutes deux en marbre, et faites par Praxitèle. On voit dans une autre partie de la ville, le temple d’Aphrodite Mélaenide, ainsi qu'un théâtre et une place publique qui méritent d'être vus ; on rencontre une statue en bronze d'Hésiode sur cette place, et, à peu de distance, une Nikê en bronze ainsi qu'un temple des Muses qui n'est pas grand, et qui renferme de petites statues en marbre. [6] Les Thespiens ont aussi un temple d'Héraclès ; la prêtresse est une fille qui est obligée de rester vierge jusqu'à la fin de ses jours. Voici, dit-on, l'origine de cet usage : Thestios avait cinquante filles qu'Héraclès connut toutes dans la même nuit, excepté une seule qui se refusa à ses caresses; irrité contre elle, il ordonna qu'elle resterait vierge toute sa vie et lui servirait de prêtresse. [7] D'autres assurent qu'Héraclès jouit de toutes les filles de Thestios dans la même nuit, qu'elles lui donnèrent chacune un fils, mais que l'aînée et la plus jeune accouchèrent de deux jumeaux. Je ne me laisserai jamais persuader qu'Héraclès se soit livré à ce point à sa colère envers la fille de son ami ; d'un autre côté, lui qui, pendant son séjour parmi les mortels, châtiait les insolents en général, et surtout ceux qui se conduisaient envers les dieux d'une manière impie, se serait-il élevé un temple à lui-même comme à une divinité, et se serait- il consacré une prêtresse? [8] Je crois donc que ce temple est plus ancien qu'Héraclès, fils d'Amphitryon, et qu'il a été érigé à Héraclès, l'un des Dactyles Idéens, qui a aussi des temples chez les Erythréens de l'Ionie et chez les Tyriens; les Béotiens eux-mêmes connaissent le nom de cet Héraclès, puisqu'ils disent que c'est à lui qu'est confié le soin du temple de Déméter Mycalessienne.

CHAPITRE XXVIII.

Mont Hélicon. Venin des serpents.

[1] De toutes les montagnes de la Grèce, l'Hélicon est la plus fertile et la mieux plantée d'arbres ; les arbousiers y donnent des fruits d'un goût plus agréable que partout ailleurs. Ceux qui habitent les environs de l'Hélicon, disent qu'il ne produit ni plantes ni racines pernicieuses pour les hommes, et que le venin même des serpents qu'on y trouve, est beaucoup affaibli par la nature de ce qu'ils mangent; de sorte que ceux qui en sont mordus, guérissent aussi facilement que s'ils avaient eu recours à des Libyens de la race des Psylles, ou à d'autres remèdes plus efficaces. [2] Le venin des serpents les plus cruels est en général mortel pour les hommes et pour tous les autres animaux ; mais la nourriture qu'ils prennent ne contribue pas peu à donner plus d'activité à ce venin ; car j'ai appris d'un Phénicien, qu'il y a dans les montagnes de son pays des racines qui rendent les vipères beaucoup plus dangereuses; il ajouta qu'il avait vu lui-même un homme poursuivi par une vipère ; cet homme monta sur un arbre, la vipère étant arrivée trop tard, lança son venin contre l'arbre, et l'homme mourut sur-le-champ : tel est ce qu'il m'a raconté. [3] Voici ce que j'ai appris au sujet des vipères qui demeurent autour des arbres à baume dans le pays des Arabes. L'arbre à baume est à peu près de la grandeur d'un myrte, et ses feuilles ressemblent à celles de la marjolaine ; il y a plus ou moins de ces vipères sous chacun de ces arbres ; elles trouvent en effet dans leur suc une nourriture très agréable, et elles se plaisent en outre à l'ombrage de leurs feuilles. [4] Lorsque le temps vient de recueillir ce suc, chaque Arabe porte deux petits bâtons, et, en les frappant l'un contre l'autre, écarte ces vipères ; ils se donnent bien de garde de les tuer, les regardant comme consacrées à l'arbre. S'il arrive à quelqu'un d'eux d'en être mordu, il n'y fait pas plus d'attention que s'il avait été blessé par du fer, sachant bien qu'il ne court aucun danger : le venin de ces vipères, qui se nourrissent du plus odoriférant de tous les parfums, perdant par ce mélange sa qualité mortifère et devenant très bénin. Ces choses sont ainsi que je le dis.

CHAPITRE XXIX.

Ephialte et Ottis. Ville d'Ascra. Muses et Piéros. Monuments de l'Hélicon, fontaine Aganippé, Euphémé, nourrice des Muses. Linos.

[1] Ephialte et Ottis furent, à ce qu'on prétend, les premiers qui sacrifièrent aux Muses sur l'Hélicon, et qui leur consacrèrent cette montagne : on ajoute qu'ils fondèrent Ascra et Hégésinoos dit à ce sujet, dans son poème sur l'Attique : Poseidon eut commerce avec Ascré, et, l'année étant révolue, elle lui donna un fils, Oeoclos, qui, de concert avec les fils d'Aloéos, fonda le premier la ville d'Ascra au pied de l'Hélicon, abondant en sources. [2] Je n'ai point lu ce poème d'Hégésinoos, car il était déjà perdu avant que je fusse né; mais Callippos, Corinthien, dans son ouvrage sur les Orchoméniens, a cité ces vers à l'appui de ce qu'il dit, et je les rapporte d'après lui. Une tour était, de mon temps, tout ce qui restait d'Ascra. Les fils d'Aloéos me reconnaissaient que trois Muses, qu'ils nommèrent Mélété, Mnémé et Acedé. [3] On dit que dans la suite Piéros le Macédonien, qui a donné son nom à une montagne de la Macédoine, étant venu à Thespie, établit le culte des neuf Muses, et changea leurs noms en ceux qu'elles portent maintenant, soit parce que cela lui parut mieux ainsi, ou qu'il eût été inspiré par quelque oracle, soit enfin qu'il l'eût appris de quelque Thrace ; car les Thraces paraissent, à divers égards, avoir été anciennement bien plus habiles que les Macédoniens, et plus soigneux de tout ce qui concerne les choses divines. [4] Il y en a qui prétendent que Piéros avait neuf filles à qui il avait donné les mêmes noms qu'aux neuf Muses, et c'est à elles, selon eux, que devaient le jour tous ceux que les Grecs disent fils des Muses. Mimnerme, qui a fait un poème élégiaque sur le combat des Smyrnéens contre Gygès et les Lydiens, dit, dans son exorde, que les Muses les plus anciennes étaient filles d'Ouranos, et qu'il y en avait de plus nouvelles qui étaient filles de Zeus. [5] En allant sur l'Hélicon, vers le bois consacré aux Muses, vous trouvez sur votre gauche la fontaine Aganippé ; on assure qu'Aganippé était fille du Permesse, qui coule aussi dans les environs de l'Hélicon. En allant au bois par le chemin le plus court, vous voyez le portrait d'Euphémé, sculpté sur une pierre; on dit que cette Euphémé était la nourrice des Muses. [6] Cette figure, ainsi que celle de Linos, qui est auprès, se voit dans un petit rocher creusé en forme de grotte ; on offre tous les ans des sacrifices funèbres à Linos, avant que de sacrifier aux Muses. On raconte que ce Linos était fils d'Uranie et d'Amphimaros, fils de Poseidon ; que sa célébrité, comme musicien, fut bien plus grande que celle de ses contemporains et de ceux qui l'avaient précédé, et qu'Apollon le tua parce qu'il avait voulu se comparer à lui pour le chant. [7] Linos étant mort, la douleur de sa perte se fit ressentir même chez les peuples barbares; et les Égyptiens ont une chanson de Linos, à laquelle ils donnent, dans leur langue, le nom de Manéros. Quant à ceux qui, dans la Grèce, ont fait des vers, Homère, qui savait bien que les Grecs avaient une chanson sur les malheurs de Linos, dit qu’Héphaistos avait représenté sur le bouclier d'Achille, entre autres choses, un enfant jouant de la cithare et chantant Linos : Au milieu d'eux un jeune garçon jouait agréablement de la cithare et chantait le beau Linos. [8] Pamphos, qui a fait pour les Athéniens les hymnes les plus anciens qu'on connaisse, et qui vivait à une époque où les regrets de la perte de Linos étaient dans toute leur force, le nomme Oetolinos. Sapho de Lesbos ayant appris dans les vers de Pamphos le nom d'Oetolinos, l'a mêlé dans ses chants avec celui d'Adonis. Les Thébains disent que Linos était enterré chez eux, et qu'après l'échec qu'éprouva la Grèce à Chéronée, Philippe, fils d'Amyntas, d'après quelque songe, enleva les os de Linos, et les emporta dans la Macédoine, [9] plus tard, d'autres songes le décidèrent à les renvoyer à Thèbes; mais les figures qui étaient sur le tombeau, et tout ce qui servait à le faire reconnaître, a été, à ce qu'ils assurent, détruit par le temps. Les Thébains ajoutent aussi d'autres choses ; savoir, qu'après ce Linos, il y en eut encore un autre qu'on nommait le fils d'Isménos ; il fut tué par Héraclès encore enfant, à qui il montrait la musique. Au reste, Linos, fils d'Amphimaros, et le second Linos, n'ont point fait de vers, ou, s'ils en ont fait, ils ne sont pas parvenus à la postérité.

CHAPITRE XXX.

Statues des Muses. Statues de poètes célèbres. Orphée. Le fleuve Hélicon. Ville de Libèthre. Tombeau d'Orphée. Lycomèdes.

[1] En entrant dans le bois, vous voyez d'abord les statues des neuf Muses, qui sont toutes de Céphisodotos. En avançant un peu vous en trouvez trois autres aussi de Céphisodotos; les trois qui suivent sont de Strongylion, sculpteur très habile à représenter des bœufs et des chevaux ; les trois dernières sont d'Olympiosthènes. On remarque aussi sur l'Hélicon un Apollon en bronze et un Hermès qui se disputent au sujet de la lyre ; un Dionysos, fait par Lysippe, et un autre Dionysos debout, le plus admirable des ouvrages de Myron, après la statue d'Erechthée qu'on voit à Athènes. Ce dernier Dionysos est une offrande de Sylla, qui ne la fit point à ses dépens, car il avait enlevé cette statue aux Minyens d'Orchomène; c'est ce que les Grecs appellent encenser les dieux avec l'encens d'autrui. [2] On a aussi placé dans cet endroit les statues suivantes de poètes ou de gens qui se sont distingués de quelque autre manière dans la musique; d'abord Thamyris, déjà aveugle, et tenant une lyre brisée ; Arion de Mithymne, sur un dauphin; Sacadas d'Argos ; mais celui qui a fait sa statue, ne comprenant pas l'exorde de Pindare où il est question de lui, ne l'a pas représenté plus grand que des flûtes. [3] On y voit aussi Hésiode, assis et ayant une cithare sur ses genoux, instrument qu'Hésiode ne portait jamais car il est évident, par ses vers mêmes, qu'il les chantait avec une branche de laurier à la main. Ayant recherché avec le plus grand soin, l'époque à laquelle Homère et Hésiode ont vécu, je n'ai pas cru devoir écrire sur ce sujet, sachant combien de querelles cela a excité entre plusieurs personnes, et surtout parmi ceux de mes contemporains qui s'occupent de poésie. [4] On a représenté Orphée avec Télété (l'initiation) debout auprès de lui, et il est entouré d'animaux féroces en marbre et en bronze, qui l'écoutent chanter. Entre beaucoup d'autres choses fausses auxquelles les Grecs ajoutent foi, ils croient qu'Orphée était fils de Calliope, la Muse, et non la fille de Piéros ; qu'apprivoisés par ses chants, les animaux féroces venaient vers lui, et qu'il descendit vivant aux Enfers pour demander sa femme aux dieux infernaux. Quant à moi, je pense qu'Orphée surpassa tous ceux qui l'avaient précédé, par la beauté de ses vers, et qu'il acquit une très grande réputation par l'opinion où l'on était qu'il avait inventé les mystères des dieux, les expiations pour les grands crimes, et qu'il avait trouvé des moyens tant pour guérir les maladies que pour apaiser la colère des dieux. [5] On dit que les femmes de la Thrace ayant formé le projet de se défaire de lui, parce qu'il avait engagé leurs époux à l'accompagner dans ses courses, furent d'abord retenues par la crainte de leurs maris; mais que s'étant enivrées, elles exécutèrent ce forfait : c'est depuis ce temps-là, ajoute-t-on, que les hommes ont coutume de s'enivrer pour aller au combat. Quelques-uns prétendent qu'il périt foudroyé par les dieux, qui voulurent le punir de ce que dans les mystères il avait appris aux hommes des choses qu'ils ignoraient auparavant; [6] d'autres racontent que sa femme étant morte avant lui, il alla, à cause d'elle, à Aornos dans la Thesprotide, où il y avait anciennement un oracle des morts ; s'étant imaginé que l'âme d'Eurydice le suivait, il se retourna ; mais voyant qu'il s'était trompé, il en conçut un tel chagrin qu'il se tua lui-même. Les Thraces disent que les rossignols qui font leur nid sur le tombeau d'Orphée, ont le chant plus fort et plus agréable que les autres. [7] Les Macédoniens qui habitent la Piérie au pied du mont Olympe, et la ville de Dion, assurent que c'est là qu'Orphée fut tué par les femmes. En allant de Dion à la montagne, lorsque vous avez fait vingt stades, vous trouvez à votre droite une colonne sur laquelle est une urne de marbre qui renferme les os d'Orphée, à ce que prétendent les gens du pays. [8] Le fleuve Hélicon continue son cours pendant soixante-quinze stades ; plus loin il disparaît et coule sous terre pendant vingt-deux stades au plus, et reparaissant ensuite, il prend le nom de Buphyra au lieu de celui d'Hélicon, et devient navigable jusqu'à la mer. Les habitants de Dion disent qu'autrefois ce fleuve coulait entièrement à découvert, mais que les femmes qui avoient tué Orphée, voulant s'y laver du sang dont elles étaient souillées, il se cacha alors sous la terre, afin de ne pas fournir de l'eau pour les purifier de ce meurtre. [9] Voici encore ce que j'ai entendu raconter à Larissa. Il y avait sur le mont Olympe, du côté de la Macédoine, une ville nommée Libèthre ; le tombeau d'Orphée n'en était pas éloigné. L'oracle de Dionysos, dans la Thrace, avait prédit aux Libéthriens que leur ville serait détruite par un sanglier, lorsque le soleil verrait les os d'Orphée; ils ne firent pas grande attention à cet oracle, ne croyant pas qu'un animal, quelque terrible qu'il fût, pût renverser leur ville, et moins encore un sanglier, qui a beaucoup plus d'audace que de force. [10] Cependant, lorsque les dieux le jugèrent convenable, voici ce qui arriva. Un berger s'étant appuyé vers le milieu du jour contre le tombeau d'Orphée, s'endormit, et il se mit en dormant à chanter les vers d'Orphée d'une voix forte et agréable; ceux qui faisaient paître leurs troupeaux ou qui labouraient la terre dans les environs, laissant chacun leurs travaux, s'assemblèrent autour du berger pour écouter ce qu'il chantait en dormant. Il arriva, je ne sais comment, qu'en se poussant les uns les autres, et en se disputant à qui serait le plus près, ils renversèrent la colonne ; l'urne qui était dessus se brisa en tombant, et le soleil vit les restes des os d'Orphée. [11] Dès la nuit suivante il tomba du ciel une pluie si abondante, que le fleuve Sus, ou Sanglier, qui est un des torrents de l'Olympe, s'enfla tellement qu'il renversa les murs de Libètbre, les temples des dieux, les maisons des habitants, et ensevelit dans ses eaux les hommes et tout ce qu'il y avait de vivant dans la ville. Les Libéthriens ayant ainsi tous péri, les Macédoniens de Dion, ajouta mon hôte de Larissa, apportèrent dans leur pays les os d'Orphée. [12] Quiconque a fait des recherches sur la poésie, n'ignore pas qu'il nous reste des hymnes d'Orphée, qu'ils sont très courts et en petit nombre. Les Lycomèdes les savent par cœur et les chantent dans leurs cérémonies ; ils ne peuvent avoir que le second rang après ceux d'Homère, quant à la beauté des vers; mais ils l'emportent sur eux comme hymnes religieux.

CHAPITRE XXXI.

Statue d'Arsinoé. Statue et culte de Priape. Trépieds. Fête des Muses. Hippocrène. Poésies d'Hésiode et sa mort. Narcisse.

[1] On voit aussi sur l'Hélicon la statue d'Arsinoé, que Ptolémée, son frère, épousa ; elle est portée par une autruche de bronze ; l'autruche a des ailes comme tous les autres oiseaux, mais à cause de son poids et de sa grandeur, elle ne veut pas s'en servir pour s'élever dans les airs. [2] Il y a dans le même endroit une biche allaitant un petit enfant qui est Télèphe, fils d'Héraclès; auprès de cet enfant est un bœuf et une statue de Priape qui mérite d'être vue. Ce dieu est honoré dans beaucoup d'endroits, et plus particulièrement dans ceux où l'on a des troupeaux de chèvres et de moutons ou des essaims d'abeilles. Les habitants de Lampsaque l'honorent plus qu'aucune autre divinité, et ils le disent fils de Dionysos et d’Aphrodite. [3] On voit sur l'Hélicon différents trépieds, dont le plus ancien est celui qu'Hésiode reçut ; à ce qu'on prétend, pour prix de la Nikê qu'il remporta par ses vers à Chalcis sur l'Euripe. Les environs du bois sacré sont habités, et les Thespiens y célèbrent une fête et des jeux en l'honneur des Muses ; ils en célèbrent aussi en l'honneur de l'Amour, où ils distribuent des prix non seulement pour la musique, mais encore pour les exercices des athlètes. En montant environ vingt stades au-dessus du bois, vous trouvez l'Hippocrène (la fontaine du cheval), que le cheval de Bellérophon fit, dit-on, sortir en frappant la terre de son pied. [4] Ceux des Béotiens qui habitent autour de l'Hélicon assurent, comme l'ayant reçu par tradition, qu'Hésiode n'a pas fait d'autre ouvrage que le poème des Travaux, encore en retranchent-ils l'exorde sur les Muses, et ils ne font commencer ce poème qu'à l'endroit où il est question des différentes espèces d'émulation. Ils me montrèrent dans l'endroit où est la fontaine, des lames de plomb très altérées par le temps, sur lesquelles le poème des Travaux est écrit. [5] Il y a une autre opinion bien différente de celle-là qui attribue à Hésiode un grand nombre de vers, savoir un poème sur les femmes célèbres, celui qu'on nomme Megalae Eoae ; la Théogonie ; le poème sur le devin Mélampos; la descente de Thésée et de Pirithoos aux Enfers ; les préceptes de Chiron pour l'éducation d'Achille, et enfin les Travaux et les Jours. Les mêmes personnes disent qu'Hésiode avait appris des Arcananiens l'art de la divination ; l'on donne comme étant de lui des prédictions en vers que j'ai lues moi-même, et un livre d'explication des prodiges. [6] On débite aussi sur sa mort des choses qui se contredisent ; en effet, on sait que Ctiménos et Antiphos, fils de Ganyctor, s'enfuirent de Naupacte à Molycrion, à cause du meurtre d'Hésiode, et que là, ayant commis quelque impiété envers Poseidon, ils subirent la punition qu'ils méritaient. Tout le monde est d'accord là-dessus; mais les uns disent qu'Hésiode fut accusé injustement d'avoir déshonoré la sœur de ces jeunes gens, crime qu'un autre avait commis ; quelques personnes prétendent qu'il en était réellement coupable. Voilà à quel point les opinions sont partagées sur Hésiode lui-même et sur ses ouvrages. [7] Il y a sur le sommet de l'Hélicon une petite rivière nommée le Lamos. Hédonacon est un endroit du pays des Thespiens où l'on voit la fontaine de Narcisse. On dit que Narcisse regardant dans cette fontaine, et ne sachant pas que c'était son visage qu'il voyait, devint, sans s'en apercevoir, amoureux de lui-même, et qu'il mourut d'amour sur les bords de la fontaine. Il me paraît tout à fait absurde d'imaginer que quelqu'un, parvenu à un âge assez avancé pour pouvoir se laisser prendre d'amour, ne sût pas distinguer l'image d'un corps du corps réel. [8] Il existe à son sujet une autre tradition moins connue que la précédente, que l’on raconte ainsi : On dit que Narcisse avait une sœur  jumelle qui lui ressemblait parfaitement en tout; ils avaient de plus les mêmes cheveux, les mêmes vêtements et allaient à la chasse ensemble; Narcisse devint amoureux de sa sœur, et ayant eu le malheur de la perdre, il allait vers cette fontaine sachant bien que c'était son image qu'il y voyait ; mais se faisant illusion, il s'imaginait y voir sa sœur, et trouvait ainsi quelque soulagement à son amour. [9] Quant à la fleur qu'on nomme Narcisse, elle existait, à ce que je crois, avant cette aventure, autant que nous pouvons le conjecturer par les vers de Pamphos, qui florissait longtemps avant Narcisse de Thespie ; car il dit que la fille de Déméter fut enlevée tandis qu'elle s'amusait à cueillir des fleurs, et qu'elle fut trompée, non par des violettes, mais par des narcisses.

CHAPITRE XXXII.

Port des Thespiens. Villes de Thisbé, de Tipha et d'Haliarte. Lysandre.

[1] Creusis, port des Thespiens, n'offre aucun monument public ; on y voit dans la maison d’un particulier un Dionysos en plâtre et orné de peinture. Le trajet par mer, du Péloponnèse à Creusis, est tortueux, et du reste assez orageux ; en effet, des promontoires qui s'élèvent de distance en distance empêchent de naviguer en droite ligne, et l'on est exposé à des vents violents qui viennent des montagnes. [2] En vous embarquant à Creusis pour aller, non plus avant, mais le long de la Béotie même, vous trouvez à droite la ville de Thisbé. Vous voyez d'abord une montagne; après l'avoir passée, vous entrez dans une plaine, à la suite de laquelle est une autre montagne : Thisbé est au bas de cette dernière. On y remarque un temple d'Héraclès avec sa statut en marbre qui le représente debout; on y célèbre des fêtes en son honneur. [3] La plaine qui est entre les deux montagnes deviendrait bientôt un lac par l'abondance des eaux qui s'y rendent, si l'on n'avait pas fait au milieu une chaussée très forte, par le moyen de laquelle on détourne alternativement, tous les deux ans, les eaux d'un côté de la plaine à l'autre, et on cultive celui qui n'est pas inondé. On dit que Thisbé, de qui la ville a pris son nom, était une nymphe du pays. [4] En continuant votre navigation le long de la côte, vous trouvez sur les bords de la mer une petite ville nommée Tipha, où l'on voit aussi un temple d'Héraclès; les Tiphéens y célèbrent tous les ans une fête en son honneur. Ils se vantent d'avoir été les premiers de tous les Béotiens qui se soient occupés de la navigation, et ils citent Tiphys, leur concitoyen, qui fut choisi pour diriger le vaisseau Argos ; ils montrent devant la ville l'endroit où ils disent que ce vaisseau aborda à son retour de Colchos. [5] En remontant de Thespie dans l'intérieur des terres, vous trouvez la ville d'Haliarte; je ne séparerai pas ce que j'ai à dire sur les Orchoméniens, de ce qui regarde le fondateur d'Haliarte et de Coronée. Haliarte ayant fait cause commune avec le reste de la Grèce lors de l'expédition des Mèdes, une partie de l'armée de Xerxès se jeta dans leur pays, le ravagea, et brûla leur ville. On voit à Haliarte le tombeau de Lysandre, Lacédémonien ; il était venu assiéger cette ville occupée par une armée de Thébains et d'Athéniens; cette armée ayant fait une sortie, il fut tué dans le combat. [6] Il mérite, à certains égards, les plus grandes louanges, à d'autres, les reproches les plus amers. Voici un trait qui fait honneur à son habileté. Commandant les forces navales du Péloponnèse, il saisit le moment où Alcibiade, qui commandait celles des Athéniens, s'étant absenté, avait laissé le commandement à Antiochos, son pilote; il chercha à faire croire à ce dernier qu'il était en état de combattre les Lacédémoniens. Antiochos s'étant laissé facilement aller à sa présomption et à sa témérité, Lysandre le défit à peu de distance de Colophon. [7] Etant venu une seconde fois de Sparte avec des trirèmes, il captiva tellement Cyrus, qu'il obtint de lui pour ses vaisseaux, tout l'argent dont il avait besoin et au moment même où il lui était nécessaire. Les Athéniens étant mouillés à Ægos-Potamos avec cent vaisseaux, il profita du moment où les matelots étaient dispersés pour se procurer de l'eau et acheter les choses dont ils avaient besoin, et il prit tous leurs vaisseaux. Voici un acte de justice qu'il fit ; [8] Etéonicos, Spartiate, était en difficulté au sujet d'un certain bien, avec Autolycos le pancratiaste, dont j'ai vu la statue dans le Prytanée d'Athènes ; la demande du Spartiate ayant paru injuste, il crut qu'Athènes, étant alors soumise aux trente Tyrans, et Lysandre s'y trouvant encore, il pouvait se porter à frapper Autolycos; celui-ci se défendant, Etéonicos le conduisit devant Lysandre, dans la persuasion qu'il prononcerait en sa faveur ; mais Lysandre lui donna tout le tort et le renvoya en lui faisant une forte réprimande ; tout cela est à la louange de Lysandre. [9] Voici maintenant ce qu'il a fait de condamnable ; ayant fait prisonniers au combat d'Aegos-Potamos environ quatre mille Athéniens, et Philoclès, l'un de leurs généraux, il les fit tous mourir, et leur refusa même la sépulture que les Athéniens avaient accordée aux Mèdes qui avaient débarqué à Marathon, et que Xerxès lui-même accorda aux Lacédémoniens qui furent tués aux Thermopyles. Il flétrit encore plus la gloire de sa patrie par les décarchies et les harmostes lacons qu'il établit dans les différentes villes; [10] enfin les lois ne permettant pas aux Lacédémoniens de posséder de l'argent, ce qui était fondé sur un certain oracle qui portait que l'amour de l'argent serait seul la ruine de Sparte, Lysandre introduisit parmi eux la passion la plus vive pour les richesses. En faisant donc comme les Perses, et en le jugeant d'après la loi établie chez eux, je crois pouvoir prononcer qu'il nuisit plus à sa patrie qu'il ne lui fut utile.

CHAPITRE XXXIII.

Mont Tilphusion et fontaine Tilphusa. Tirésias. Monuments des Halartiens et temple des déesses Praxidiques. Le fleuve Lophis. Sylla. Le fleuve Triton.

[1] ON voit donc à Haliarte le tombeau de Lysandre et le monument héroïque de Cécrops, fils de Pandion. Le mont Tilphusion et la fontaine Tilphusa sont tout au plus à cinquante stades d'Haliarte. Les Grecs disent que les Argiens, avec les fils de Polynice, ayant pris Thèbes, envoyèrent à Delphes différentes choses provenant du butin, et Tirésias pour les offrir au dieu ; la soif prit Tirésias en chemin, et il rendit l'âme, à ce qu'on assure, en buvant de l'eau de la fontaine Tilphusa, auprès de laquelle son tombeau est élevé. [2] On ajoute que les Argiens donnèrent Mantô, sa fille, à Apollon, qui lui ordonna de s'embarquer et de passer à Colophon, dans le pays qui porte maintenant le nom d'Ionie, où elle épousa Rhacios, Crétois. Quant aux autres choses qu'on raconte sur Tirésias, le nombre d'années qu'il a vécu, sa métamorphose d'homme en femme, et ce qu'Homère dit de lui dans l'Odyssée, qu'il était le seul dans les Enfers qui eût conservé son intelligence, tout le monde sait cela. [3] Les Haliartiens ont un temple en plein air consacré aux déesses qu'ils nomment Praxidices ; c'est là qu'ils font leurs serments, et ils ne les font pas à la légère. Le temple de ces déesses est vers le mont Tiphusion. II y a encore à Haliarte d'autres temples, mais on n'y voit point de statue, et ils n'ont point de toit ; je n'ai même pas pu savoir à qui ils avaient été dédiés. [4] Le pays d'Haliarte est arrosé par le fleuve Lophis ; on dit que cette contrée était anciennement aride et absolument sans eau. Un de ceux qui avaient l'autorité étant allé à Delphes, demanda à l'oracle quel serait le moyen de procurer de l'eau à son pays; la Pythie lui ordonna de tuer la première personne qui se présenterait à lui, lorsqu'il retournerait à Haliarte. Celui qu'il rencontra le premier fut Lophis, fils de Parthénoménos, et sans balancer il frappa de son épée ce jeune homme, qui, n'étant pas mort sur le coup, prit la fuite, et la terre produisit de l'eau dans tous les endroits que son sang arrosa ; c'est de lui que ce fleuve a pris le nom de Lophis. [5] Alalcomènes est un bourg peu considérable tout à fait au bas d'une montagne qui n'est pas très élevée. On dit que ce bourg a pris son nom d'Alalcomènes Autochthone, par qui Athéna avait été élevée; suivant d'autres, Alalcoménia était une des filles d'Ogygès. Le temple d’Athéna avait été construit dans un endroit bas, à quelque distance du bourg ; on y voyait une ancienne statue de la déesse en ivoire. [6] Sylla, qui se conduisit envers les Athéniens d'une manière inhumaine et bien peu dans le caractère des Romains, ne traita pas mieux les Thébains et les Orchoméniens; il fit encore plus à Alalcomènes, où il enleva la statue d’Athéna. Après s'être déchaîné avec tant de fureur contre les villes et les divinités de la Grèce, il se vit attaqué de la maladie la plus affreuse qu'on connaisse ; il mourut en effet couvert de poux. Ainsi se termina tout le bonheur dont il avait joui précédemment. Le temple d'Alalcomènes ayant été dépouillé de sa statue, fut entièrement négligé. [7] Voici ce qui est arrivé de mon temps pour en accélérer la ruine. Un lierre grand et vigoureux, en croissant auprès de cet édifice, s'est insinué entre les pierres, et les a toutes disjointes les unes des autres. Un torrent peu considérable coule auprès ; on lui donne le nom de Triton, à cause de la tradition qui veut qu’Athéna ait été élevée auprès du fleuve Triton ; les habitants du pays disent que c'est vers ce fleuve-là même, et non vers celui de la Libye qui prend sa source dans le lac Tritonis, et va se jeter dans la mer de Libye.

CHAPITRE XXXIV

Temple d’Athéna Itonia. Monuments de Coronée. Statue d’Héra. Monts Libéthrion et Laphystion. Héraclès Chacops. Le Phalaros, fleuve. Orchomène; ses fondateurs.

[1] Avant d'arriver d'Alalcomènes à Coronée, vous trouvez le temple d’Athéna Itonia ; elle a pris ce surnom d'Itonos, fils d'Amphictyon ; c'est là que se rassemble le conseil commun des Béotiens. On voit dans le temple les statues en bronze d’Athéna Itonia et de Zeus; elles sont de la main d'Agoracritos, l'élève et le bien-aimé de Phidias. On y a aussi placé, de mon temps, les statues des trois Charites Charites. [2] Voici ce qu'on raconte sur ce temple. On dit qu'une prêtresse de la déesse, nommée Iodamie, étant entrée durant la nuit dans l'enceinte sacrée, Athéna elle-même lui apparut avec la tête de la Gorgone Méduse attachée à sa tunique ; celle-ci, en la voyant, fut changée en pierre ; c'est pourquoi la femme qui met tous les jours du feu sur l'autel d'Iodamie, dit trois fois en langage Béotien, qu'Iodamie vit et demande du feu. [3] L'autel d’Hermès Epimélios et l'autel des Vents, sur la place publique, sont ce que Coronée offre d'abord de plus remarquable. Un peu plus bas est un temple d’Héra avec une ancienne statue qui est l'ouvrage de Pythodoros, Thébain ; elle porte des Sirènes sur sa main. Les Thébains disent que ces filles de l'Achéloos s'étaient laissées entraîner par Héra à entrer en concurrence, pour le chant, avec les Muses; ces dernières ayant vaincu les Sirènes, arrachèrent les plumes de leurs ailes, et s'en firent, à ce qu'on rapporte, des couronnes. [4] Le mont Libéthirion est à environ quarante stades de Coronée ; on y voit les statues des Muses et des Nymphes surnommées Libéthrides ; il y a aussi deux fontaines nommées, l'une Libéthriade, et l'autre Pétra ; elles ressemblent aux mamelles d'une femme, et l'eau qui en sort est semblable à du lait. [5] Il y a tout au plus vingt stades de Coronée au mont Laphystion et à l'enceinte de Zeus Laphystios; la statue de Zeus est en marbre. On dit qu'Athamas se disposant à sacrifier en cet endroit Phrixos et Hellé, Zeus envoya à ces enfants un bélier dont la toison était d'or; ils montèrent sur ce bélier et prirent la fuite. Vous voyez un peu plus haut la statue d'Héraclès surnommé Charops; ce fut en cet endroit, assurent les Béotiens, qu'Héraclès remonta sur la terre lorsqu'il amena le chien des Enfers. En allant du mont Laphystion au temple d’Athéna Itonia, vous rencontrez sur votre route le fleuve Phalaros, qui se jette dans le lac Céphiside. [6] De l'autre côté du mont Laphystion, est Orchomène, ville célèbre dans la Grèce, s'il en fut jamais. Parvenue au plus haut point de prospérité, elle devait finir par éprouver le même sort, ou à peu près, que Mycènes et Délos. Voici ce qu'on raconte de ses antiquités ; on dit que le premier qui vint s'établir là fut Andréos, fils du fleuve Pénée, et que la contrée prit de lui le nom d'Andréide; [7] Athamas étant venu vers lui, il lui donna la portion du pays qui est aux environs du mont Laphystion, et celle où sont maintenant Coronée et Haliarte. Athamas croyant qu'il ne lui restait plus d'enfants mâles (il avait en effet fait périr lui-même Léarque et Mélicertes, Leucon était mort de maladie, et il ignorait si Phrixos existait, ou s'il avait laissé des enfants), adopta Haliartos et Coronos, fils de Thersandre, fils de Sisyphe, qui était lui-même frère d'Athamas. [8] Phryxos, suivant quelques-uns, ou, suivant d'autres, Presbon, fils de Phryxos et d'une fille d'Æétès, étant revenu dans la suite de Colchos, les fils de Thersandre tombèrent d'accord que le bien d'Athamas appartenait de droit à ce dernier et à ses descendants ; ils se retirèrent dans un canton du pays qu'Athamas leur céda, et y fondèrent Haliarte et Coronée. Antérieurement à tout cela, Athamas avait donné Evippé, fille de Leucon, en mariage à Andréos; Andréos en avait eu un fils nommé Étéocle, qui passait parmi les gens du pays pour fils du fleuve Céphisos; c'est pourquoi quelques poètes ont donné à Étéocle le nom de Céphisiade. [9] Étéocle étant monté sur le trône, laissa au pays le nom qu'il avait pris d'Andréos; mais il imposa le nom de Céphisiade à l'une des tribus, et le sien propre à l'autre. Il donna une portion peu considérable du territoire à Almos, fils de Sisyphe, qui était venu le trouver. Ces bourgs prirent alors de lui le nom d'Almones. Dans la suite, ce nom se changea en celui d'Halmones, qui s'est conservé.

CHAPITRE XXXV.

Noms et Statues des Charites.

[1] Les Béotiens disent qu'Étéocle est le premier qui ait sacrifié aux Charites ; ils savent bien qu'il en fit reconnaître trois, mais ils ne se rappellent pas les noms qu'il leur donna. De leur côté, les Lacédémoniens ne reconnaissent que deux Charites, à qui Laédémon fils de Taygète, érigea un temple, et qu'il nomma Clita et Phaenna, [2] noms qui conviennent aux Charites, de même que ceux que leur donnent les Athéniens, chez qui le culte des Charites est très ancien et qui les nomment Auxô et Hégémoné; Carpô, en effet, est une des Saisons, et non une des Charites. Ils rendent à l'autre Saison un culte en commun avec  Pandrose, et ils la nomment Thallô. [3] C'est donc d'Étéocle d'Orchomène que nous tenons l'usage d'honorer trois Charites au lieu de deux. Angélion et Tectaeos, qui ont fait la statue de Dionysos et celle d'Apollon pour les Déliens, ont placé les trois Charites sur la main de ce dernier. On les a aussi placées au nombre de trois à Athènes, devant l’entrée de la citadelle ; on célèbre auprès d'elles des mystères qu'il est défendu de révéler à la multitude. [4] Pamphos est, à ma connaissance, le premier qui ait chanté les Charites, mais sans parler ni de leur nombre ni de leurs noms. Homère, qui en a fait aussi mention, donne l'une d'elles pour épouse à Héphaistos : il la nomme Charis ; il dit aussi que le Sommeil était amoureux de Pasithéa, et il met dans sa bouche les expressions suivantes : Promets-moi de me donner en mariage une des plus jeunes Charites, vers d'après lequel quelques personnes ont soupçonné qu'Homère connaissait des Charites plus anciennes que celles dont il parle. [5] Hésiode, dans sa Théogonie (admette qui voudra cette Théogonie parmi ses ouvrages), dit que les Charites sont filles de Zeus et d'Eurynome, et qu'elles se nomment Euphrosyne, Aglaé et Thalie; elles ont les mêmes noms dans les vers d'Onomacrite. Antimaque ne parle ni de leur nombre ni de leurs noms ; il dit qu'elles sont filles d'Aeglé et du Soleil. Hermésianax, le poète élégiaque, ne s'est écarté de l'opinion reçue avant lui, qu'en disant de Pithô qu'elle était elle-même l'une des Charites. [6] Je n'ai pas pu découvrir quel a été le premier, soit peintre, soit sculpteur, qui a représenté les Charites nues ; mais elles sont vêtues dans les anciens tableaux et dans les anciens ouvrages de sculpture ; c'est ainsi en effet que sont les Charites en or sculptées par Bupalos, et placées au-dessus des statues des Némèses, dans le temple de ces déesses à Smyrne. Celle qu'Apelle a peinte dans l'Odéon de la même ville,  celles qu'on voit à Pergame dans la chambre à coucher d'Attale, également de la main de Bupalos, sont aussi vêtues ; [7] elles le sont de même dans le tableau de Pythagore de Paros, qu'on trouve dans l'édifice nommé le Pythion; enfin Socrate, fils de Sophroniscos, qui a fait les statues des Charites qu'on voit à Athènes devant l'entrée de la citadelle, les a encore représentées vêtues, Les artistes plus récents ont changé leur costume, je ne sais pourquoi ; mais de mon temps les peintres et les sculpteurs les représentent nues.

CHAPITRE XXXVI.

Rois des Orchoméniens. Expédition des Phlégyens contre Delphes. Minyes et les Minyens. Orchoménos et Hyettos.

[1] Étéocle ayant terminé ses jours, la couronne passa à la famille d'Almos; celui-ci avait eu deux filles, Chrysogénie et Chrysé. On croit que Phlégyas était fils d’Arès et de Chrysé, fille d'Almos, et il monta sur le trône après la mort d'Étéocle, qui n'avait point laissé d'enfants ; on donna alors au pays le nom de Phlégyantide, au lieu de celui d'Andréide qu'il portait. [2] On y avait originairement fondé une ville nommée Andréis ; Phlégyas en fonda une autre de son nom, où il rassembla tout ce qu'il y avait de plus vaillant dans la Grèce. Dans la suite des temps, les Phlégyens portèrent l'audace et l'imprudence jusqu'au point de se séparer du reste des Orchoméniens ; ils se mirent à piller leurs voisins, et finalement ils entreprirent, pour dépouiller le temple de Delphes, une expédition dans laquelle Philammon, venu au secours du temple avec quelques Argiens d'élite, fut tué dans un combat, ainsi que tous les Argiens qui étaient venus avec lui. [3] Les Phlégyens étaient alors les plus belliqueux de tous les Grecs ; j'en prends à témoin Homère, qui dit dans l'Iliade, en parlant d’Arès et de Phobos (l'effroi), son fils : Ils s'arment tous deux pour aller porter la guerre chez les Ephyréens ou chez les vaillants Phlégyens. Je crois que les Ephyréens dont il parle ici, sont ceux de la Thesprotide de l'Épire. Les dieux détruisirent entièrement la race des Phlégyens par des coups de tonnerre multipliés et de violents tremblements de terre; une maladie épidémique emporta ceux qui restaient, et il n'en échappa qu'un petit nombre qui se réfugia dans la Phocide. [4] Phlégyas n'ayant pas laissé d'enfants, la couronne passa à Chrysès, fils de Chrysogénie, fille d'Almos et de Poseidon. Minyas fut fils de Chrysès, et les peuples qu'il gouvernait, prirent de lui le nom de Minyens qu'ils portent encore. Ce Mynias eut de si grands revenus, qu'il surpassa en richesses tous ceux qui l'avaient précédé ; il est le premier, à notre connaissance, qui ait fait construire un trésor pour renfermer ses richesses. [5] Les Grecs sont forts pour admirer beaucoup plus ce qui est dans les autres pays que dans le leur; en effet, des écrivains célèbres se sont attachés à décrire avec la plus grande exactitude les pyramides de Memphis, et ils n'ont pas daigné faire la moindre mention du trésor de Minyas et des murs de Tirynthe, qui ne sont pas moins dignes d'admiration. [6] Minyas fut père d'Orchoménos, sous le règne duquel la ville prit le nom d'Orchomène, et les habitants du pays celui d'Orchoméniens; ils conservèrent cependant celui de Minyens pour se distinguer des Orchoméniens de l'Arcadie. Ce fut sous le règne d'Orchoménos qu'Hyettos vint d'Argos auprès de lui ; il avait été exilé de son pays pour avoir tué Molyros, fils d'Arisbas, qu'il avait surpris avec sa femme légitime. Orchoménos lui donna le canton où est maintenant le bourg d'Hyette, et le territoire environnant. [7] L'auteur du poème que les Grecs nomment Mégalae Eoae, parle de cet Hyettos en ces termes : Hyettos ayant tué dans sa maison Molyros, le fils chéri d'Arisbas, à cause de sa femme que Molyros avait séduite, s'enfuit d'Argos et se réfugia chez Orchoménos, fils de Mynyas ; ce héros le reçut et partagea ses biens avec lui. [8] Cet Hyettos est le premier homme connu qui ait tiré vengeance d'un adultère. Postérieurement, Dracon, dans les lois qu'il fit étant archonte pour les Athéniens, plaça la vengeance qu'on tire d'un adultère, parmi les choses qui ne doivent pas être punies. Les Minyens parvinrent à un tel degré de considération que Nélée, fils de Créthée, et roi de Pylos, ne dédaigna pas de prendre pour épouse une femme d'Orchomène, Chloris, fille d'Amphion, fils d'Issos.

CHAPITRE XXXVII.

Clyménos et Erginos. Trophonios et Agamèdes. Les Mynyens vont dans la Troade. Les Orchoméniens.

[1] LA race d'Almos devait aussi prendre fin ; Orchoménos, en effet, étant mort sans enfants, la couronne passa à Clyménos, fils de Presbon, fils de Phrixos. Clyménos eut plusieurs fils, savoir : Erginos, qui était l'aîné ; Stratios, Ambon, Pylée, et Azéos le plus jeune de tous. Clyménos fut tué à la fête de Poseidon Onchestios, par des Thébains qui, sous un prétexte assez léger, se livrèrent à toute leur colère. Erginos, l'aîné de ses fils, lui succéda, et, à peine monté sur le trône, [2] il rassembla, de concert avec ses frères, des forces considérables, et marcha contre les Thébains ; les ayant vaincus dans un combat, il leur accorda la paix, à condition qu'ils paieraient chaque année un tribut pour la mort de Clyménos. Héraclès, qui avait été élevé à Thèbes, fit la guerre aux Minyens, qui éprouvèrent des pertes considérables, et les Thébains furent ainsi affranchis de ce tribut. [3] Erginos, en effet, voyant ses sujets réduits à la dernière extrémité, fit la paix avec Héraclès. Cherchant ensuite à rendre à son pays sa première prospérité, et à recouvrer son ancienne opulence, il négligea tellement tout le reste, qu'il parvint à un âge très avancé sans songer qu'il n'avait ni femme ni enfant. Lorsqu'il eut amassé des richesses, le désir d'avoir des héritiers se fit sentir, [4] et il alla à Delphes consulter l'oracle à ce sujet ; la Pythie lui répondit : Erginos ; fils de Clyznénos, descendant de Presbon, tu viens bien tard demander à perpétuer ta race ; cependant encore maintenant, ajuste un anneau neuf au vieux timon. D'après cet oracle, il prit une jeune femme, et il en eut deux fils, Trophonios et Agamèdes ; [5] on assure cependant que Trophonios était fils d'Apollon et non d'Erginos, ce dont je suis persuadé ainsi que tous ceux qui ont consulté son oracle. On dit qu'Agamèdes et Trophonios, lorsqu'ils furent grands, étaient très habiles à construire des temples pour les dieux et des palais pour les rois; ce furent eux, en effet, qui bâtirent le temple d'Apollon à Delphes, et le trésor d'Hyriéos ; ils avaient construit ce dernier édifice de manière que du dehors on pouvait en ôter une pierre, et ils allaient de temps en temps prendre quelqu'une des choses qui y étaient déposées. Comme Hyriéos ne pouvait concevoir comment il se faisait que les serrures et les scellés qu'il mettait aux portes, étant intacts, la quantité de ses richesses diminuait cependant tous les jours, [6] il plaça sur les vases qui contenaient son argent et son or, des piéges, ou quelque autre chose de semblable, pour arrêter celui qui entrait et touchait à ses trésors. Agamèdes étant entré, se trouva pris, et Trophonios lui coupa la tête pour lui épargner les mauvais traitements auxquels il serait exposé, lorsque le jour paraîtrait, et pour ne pas être découvert lui-même. [7] On dit que la terre s'étant ouverte, elle engloutit Trophonios à Lébadie, dans le bois sacré, à l'endroit où est la fosse qui porte le nom d'Agamèdes, et vers laquelle il y a un cippe. La couronne d'Orchomène passa à Ascalaphos et à lalménos, qu'on disait fils d’Arès et d'Astioché, fille d'Actor, fils d'Azéos, fils de Clyménos; les Myniens marchèrent sous leurs ordres au siége de Troie ; [8] ils prirent aussi part à l'expédition qui partit pour l'Ionie avec les fils de Codros. Philippe, fils d'Amyntas, les fit rentrer dans leur ville dont ils avaient été chassés par les Thébains ; mais la Tuchê a voulu que depuis cette époque ils allassent toujours en décadence.

 

CHAPITRE XXXVIII.

Monuments des Orchoméniens. Trésor de Minyas. Tombeaux de Minyas et d'Hésiode. Le Mêlas et le Céphisus, fleuves. Richesses des Orchoméniens

[1] On voit à Orchomène un temple de Dionysos ; mais le plus ancien de leurs temples est celui des Charites. Les Orchoméniens ont de la plus grande vénération pour les statues en pierre de ces déesses, qui tombèrent, à ce qu'ils disent, du ciel pour Étéocle. Quant aux statues faites avec plus d'art, elles y ont été placées de mon temps ; elles sont en marbre. [2] Il y a aussi une fontaine qui mérite d'être vue ; on y descend pour puiser de l'eau. Le trésor de Minyas, qui est une merveille non moins étonnante que celles qu'on voit dans la Grèce et ailleurs, est un édifice de forme circulaire en marbre, et dont le faite se termine en une pointe qui n'est pas très aiguë ; la pierre qui termine ce sommet, est, à ce qu'on assure, la clef de tout l'édifice. [3] On remarque aussi à Orchomène les tombeaux de Mynias et d'Hésiode; voici à quelle occasion ils recherchèrent les restes de ce dernier. Le pays étant ravagé par une maladie épidémique qui faisait périr les hommes et des bestiaux, on envoya des députés à Delphes pour consulter l'oracle, et la Pythie leur dit qu'il fallait apporter de la Naupactie, dans l'Orchoménie, les os d'Hésiode; que c'était là le seul remède à leurs maux. Ces envoyés demandèrent ensuite dans quel endroit de la Naupactie ils les trouveraient ; la réponse de la Pythie fut qu'une corneille le leur indiquerait. [4] Lorsqu'ils eurent débarqué dans le pays de Naupacte, ils virent à peu de distance du chemin, un rocher sur lequel il y avait une corneille, et ils découvrirent les os d'Hésiode dans le creux de ce rocher. On mit sur son tombeau l'inscription suivante : La fertile Ascra fut la patrie d'Hésiode; le pays des Myniens, dompteurs de chevaux, possède les restes de ce poète, l'un des plus célèbres de ceux qui se sont livrés dans la Grèce à l'étude de la sagesse. [5] Quant à Actaeon, les Orchoméniens disent que leur pays étant tourmenté par un spectre qui se tenait vers le rocher où est maintenant sa statue, ils consultèrent l'oracle de Delphes, qui leur ordonna de chercher s'il y avait quelques restes d'Actæon, et de leur donner la sépulture ; il leur ordonna aussi de faire une figure en bronze de ce spectre, et de la lier à ce rocher avec du fer. J'ai vu moi-même cette statue d'Actaeon enchaînée, et ils lui sacrifient tous les ans comme à un héros. [6] Il y a un temple d'Héraclès à sept stades d'Orchomène; on y voit une petite statue de ce dieu : c'est là que sont les sources du fleuve Mélas, qui se jette aussi dans le lac Céphiside. Ce lac occupe ordinairement la plus grande partie du territoire d'Orchomène ; mais refoulé en hiver par le vent du sud, qui souffle pendant presque toute cette saison, il couvre une bien plus grande surface de pays. [7] Les Thébains disent que c'est Héraclès qui a fait refluer le fleuve Céphisos dans la plaine d'Orchomène, en bouchant le gouffre dans lequel il se précipitait autrefois et se rendait dans la mer par dessous la montagne ; cependant Homère savait que le lac Cephiside existait et n'était point l'ouvrage d'Héraclès ; c'est pour cela qu'il dit: Sur les bords du lac Cephiside. [8] Il n'est pas probable, en effet, que les Orchoméniens n'eussent pas retrouvé l'ouverture qu'Héraclès avait fermée, et n'eussent pas rendu au Céphisos son ancien cours en détruisant son ouvrage ; car même à l'époque du siège de Troie, ils avaient encore des richesses assez considérables ; Homère lui-même m'en fournit la preuve dans la réponse que fait Achille aux ambassadeurs d'Agamemnon : Pas même s'il me donnait toutes les richesses d'Orchomène. Il est donc évident que les Orchoméniens avaient encore alors de grandes richesses. [9] On dit que le manque d'eau fit abandonner Asplédon par ses habitants; cette ville avait pris son nom d'Asplédon, fils de Poseidon et de la nymphe Midée; cela se trouve confirmé par les vers de Chersias d'Orchomène : De Poseidon et de l'illustre Midée naquit Asplédon dans la ville qui prit son nom. [10] Il ne reste plus rien non plus des poésies de ce Chersias ; mais Callippos a rapporté ceux que je cite, dans son ouvrage sur les Orchoméniens. Les Orchoméniens prétendent que l'inscription en vers qui est sur le tombeau d'Hésiode, est aussi de ce Chersias.

CHAPITRE XXXIX.

Ville de Lébadie. Hercyna. Oracle et monuments de Trophonios.

[1] Les Phocéens habitent les montagnes qui dominent le pays des Orchoméniens; Lébadie est dans la plaine voisine de ces montagnes. Cette ville, dans l'origine, était sur la hauteur, et s'appelait Midée, du nom de la mère d'Asplédon. Lébados y étant venu d'Athènes, les habitants descendirent dans la plaine, et la ville prit de lui le nom de Lébadie. On ne connaît pas le nom du père de Lébados, on ignore le motif qui l'amena dans le pays; on sait seulement que sa femme se nommait Nicé. [2] Cette ville ne le cède en rien, sous le rapport des embellissements, aux villes les plus riches de la Grèce ; elle est séparée par la rivière Hercyna du bois sacré de Trophonios. On dit qu'Hercyna, jouant dans cet endroit avec la fille de Déméter, laissa échapper involontairement une oie qu'elle tenait ; cette oie s'étant envolée dans un antre, se cacha sous une pierre où Proserpine l'alla chercher; et aussitôt qu'elle eut enlevé la pierre, l'eau se mit à couler ; c'est pour cela qu'on a donné à cette rivière le nom d'Hercyna. [3] Le temple d'Hercyna est sur ses bords; on y voit une jeune fille qui tient une oie dans ses mains. Les sources de la rivière sont dans l'antre : on y remarque aussi des statues debout avec des serpents entortillés autour de leurs sceptres, ce qui pourrait les faire prendre pour Esculape et Hygie ; elles peuvent être néanmoins également prises pour Trophonios et Hercyna, car les gens du pays pensent que les serpents ne sont pas moins consacrés à Trophonios qu'à Esculape. Vers le fleuve est le tombeau d'Arcésilas, dont les restes furent rapportés de Troie par Lèïtos. [4] Le temple et la statue de Trophonios sont ce qu'il y a de plus remarquable dans le bois; il est représenté comme Esculape, et sa statue est de Praxitèle. On y trouve ensuite le temple de Déméter surnommée Europe, et la statue de Zeus Hyétios, qui est en plein air. En montant vers l'oracle et en allant plus avant dans la montagne, vous voyez ce qu'on appelle la chasse de Proserpine et le temple de Zeus roi ; il n'est qu'à moitié bâti, la construction en ayant été abandonnée, soit parce qu'il était trop grand, soit à cause des guerres perpétuelles que se faisaient les peuples voisins. On montre dans un autre temple les statues de Saturne, d’Héra et de Zeus ; il y a aussi dans cette enceinte un temple d'Apollon. [5] Quant à l'oracle, voici ce qui arrive : Lorsque quelqu'un a résolu de descendre dans l'antre de Trophonios, il passe d'abord un nombre de jours déterminés dans un édifice qui est consacré à Agatho Daemon (le bon génie) et à la bonne Tuchê; tant qu'il y demeure, il s'abstient de différentes choses pour rester pur, entre autres de bains chauds, et il se lave dans la rivière Hercyna ; mais il a en abondance de la viande des victimes, car celui qui veut consulter l'oracle est obligé de sacrifier à Trophonios et à ses enfants ; en outre à Apollon, à Saturne, à Zeus roi, à Héra Hénioché et à Déméter surnommée Europé, qui était, à ce qu'ils disent, la nourrice de Trophonios. [6] Un devin, présent à chacun de ces sacrifices, examine les entrailles des victimes et prédit, d'après leur inspection, à celui qui doit descendre, si Trophonios le recevra favorablement et avec indulgence ; cependant les entrailles de toutes ces victimes ne font pas connaître d'une manière certaine les dispositions de Trophonios ; mais dans la nuit même où l'on doit descendre, on sacrifie un bélier sur la fosse dont j'ai parlé, en invoquant Agamèdes, et l'on ne tient aucun compte des entrailles des victimes précédentes, si celles de ce bélier ne promettent pas la même chose ; aussi, lorsqu'elles sont d'accord avec les autres, on descend rempli d'espérance, et cela se fait de la manière suivante : [7] on vous conduit d'abord pendant la nuit à la rivière Bercyna; arrivé là, deux enfants nés de citoyens, âgés environ de treize ans, qu'on nomme les Hermès, vous lavent, vous oignent d'huile, et font tout ce qui est de leur ministère. Les prêtres vous prennent ensuite, et vous conduisent non à l'oracle, mais à des fontaines qui sont très près l'une de l'autre; [8] il faut que vous buviez premièrement de l'eau appelée eau de Léthé (de l'oubli), pour vous, faire oublier tout ce dont vous vous êtes occupé jusqu'alors ; vous buvez après de l'eau de Mnémosyne, pour bien vous rappeler de ce que vous verrez en descendant ; vous regardez ensuite une statue qui est, à ce qu'on dit, l'ouvrage de Dédale (les prêtres ne la montrent qu'à ceux qui doivent pénétrer dans l'antre de Trophonios). Après avoir vu cette statue, lui avoir adressé vos hommages et vos vœux, vous allez à l'oracle revêtu d'une tunique de lin, ceint de bandelettes par-dessus, et chaussé d'une manière particulière au pays. [9] L'oracle est sur la montagne qui domine le bois sacré ; c'est une plate-forme ronde de marbre blanc qui est à peu près de la grandeur d'une petite aire : elle a deux coudées de haut; sur les bords de la plate-forme sont des barreaux de bronze réunis par une ceinture du même métal; c'est entre ces barreaux que sont pratiquées les portes. Il y a dans l'intérieur de l'enceinte une ouverture qui n'est pas l'ouvrage de la nature, mais qui a été construite avec beaucoup d'art et de régularité, [10] et qui ressemble à un four; son entrée a, autant qu'on peut le conjecturer, quatre coudées de diamètre, et elle ne paraît pas avoir plus de huit coudées de profondeur : il n'y a point d'escalier pour arriver au fond. Lorsque quelqu'un veut entrer dans l'antre de Trophonios, on lui apporte une échelle étroite et légère ; en descendant vous trouvez, entre le sol et l'édifice, un trou qui a deux spithames de large, et, à ce qu'il paraît, un spithame de haut ; [11] celui qui est descendu se couche sur le carreau, et tenant à chaque main un gâteau pétri avec du miel, il met ses pieds dans cette ouverture, et cherche à y entrer jusqu'aux genoux ; aussitôt qu'ils y sont, le corps est entraîné avec autant de violence et de rapidité que l'est un homme par un de ces tourbillons que forment les fleuves les plus grands et les plus rapides. Ceux qui de là sont parvenus au fond de l'antre secret, n'apprennent pas tous l'avenir de la même manière ; il y en a, en effet, qui voient ce qui doit leur arriver, et d'autres qui l'apprennent par ce qu'ils entendent ; on remonte par l'ouverture qui a servi pour descendre, et on en ressort les pieds les premiers. [12] On dit qu'aucun de ceux qui y sont descendus n'y est mort, excepté un certain garde du corps de Démétrios, qui n'avait observé, à ce qu'on prétend, aucune des cérémonies en usage autour du temple, et dont l'intention n'était pas de consulter le dieu, mais qui espérait emporter beaucoup d'or et d'argent de l'antre secret; on assure aussi que son cadavre fut trouvé dans un autre endroit, et qu'il ne fut pas rejeté par l'ouverture sacrée. On raconte beaucoup d'autres choses au sujet de cet homme ; je ne rapporte que ce qu'il y a de plus remarquable. [13] Les prêtres s'emparent de nouveau de celui qui est sorti de l'antre de Trophonios, et, après l'avoir placé sur ce qu'on appelle le trône de Mnémosyne, qui est à peu de distance de l'antre secret, ils l'interrogent sur ce qu'il a vu et entendu, et, lorsqu'ils l'ont appris, ils le remettent entre les mains de ses amis qui l'emportent encore tout épouvanté et méconnaissable, tant à lui-même qu'à ses proches, dans le temple d'Agatho-Daemon et de la bonne Tuchê, où il avait demeuré précédemment. On recouvre cependant plus tard sa raison, ainsi que la faculté de rire. [14] Je raconte tout cela non d'après des ouï-dire, mais pour avoir vu des gens qui avoient consulté l'oracle de Trophonios, et pour l'avoir consulté moi-même. Ceux qui sont entrés dans l'antre de Trophonios sont obligés d'y consacrer un tableau sur lequel est écrit ce qu'ils ont vu ou entendu ; on y voit encore le bouclier d'Aristomène. J'ai dit dans un de mes livres précédents tout ce qui était arrivé an sujet de ce bouclier.

CHAPITRE XL.

Oracle de Trophonios. Ouvrages de Dédale. Ville de Chéronée. Trophées dans le pays des Chéronéens. Polyandrion des Thébains. Sceptre d'Agamemnon.

[1] CET oracle était jadis inconnu aux Béotiens eux-mêmes, et voici comment ils le découvrirent. Depuis deux ans il ne pleuvait pas; ils envoyèrent de chacune de leurs villes des députés à Delphes pour demander au dieu la cessation de cette sécheresse. [2] La Pythie leur ordonna d'aller vers Trophonios, à Lébadie, et leur assura qu'ils obtiendraient de lui le remède de leurs maux. Ils allèrent à Lébadie, mais ils ne pouvaient pas trouver l'oracle qu'ils cherchaient. Dans ces entrefaites, Saon, de la ville d'Acraephnion, qui était le plus avancé en âge de tous les députés, aperçut un essaim d'abeilles, et le suivit partout où il volait ; tout à coup il vit ces abeilles se porter vers cet endroit, et il entra avec elles dans l'oracle. On dit que ce Saon fut instruit par Trophonios lui-même de la manière dont il fallait régler tout ce qui avait rapport à son culte, et aux autres cérémonies relatives à l'oracle. [3] La statue de Trophonios est l'un des deux ouvrages de Dédale, qu'on voit dans la Béotie ; l'autre est la statue d'Héraclès à Thèbes. Les autres statues en bois faites par Dédale sont dans l'île de Crète, Britomartis à Olonte, et Athéna chez les Gnossiens; on voit de plus chez ces derniers le chœur de danse d'Ariane, dont Homère a parlé dans son Iliade : c'est un bas-relief en marbre blanc. Il y a de lui à Délos une petite Aphrodite en bois dont la main droite a été endommagée par le temps, et qui, au lieu d'avoir des pieds, est carrée par le bas ; [4] je crois qu'Ariane avait reçu cette statue de Dédale, et que, lorsqu'elle suivit Thésée, elle l'emporta avec elle. Thésée, lorsqu'Ariane lui eut été enlevée, dédia, ce que disent les Déliens, cette statue en bois à Apollon, pour ne pas remporter chez lui ce qui lui aurait rappelé Ariane à chaque instant, et aurait sans cesse renouvelé le chagrin que l'amour lui avait causé. Je ne vois pas d'autres ouvrages de Dédale actuellement existants; car ceux que les Argiens avaient dédiés dans le temple d’Héra, et ceux qu'on avait apportés d'Omphacé à Géla dans la Sicile, ont été entièrement détruits par le temps. [5] Les Chéronéens sont limitrophes des Lébadiens ; leur ville se nominait anciennement Acné. On dit qu'Acné était fille d'Æolus, et qu'elle avait donné son nom à une autre ville dans la Thessalie. Chéronée a pris celui qu'elle porte maintenant de Chaeron, fils, à ce qu'on prétend, d'Apollon et de Thérô, fille de Phylas; on en cite pour preuve les vers suivants du poème intitulé Megalae Eoae : [6]  Phylas épousa Lipéphile, fille de l'illustre Iolas, et non moins belle que les déesses de l'Olympe ; elle lui donna un fils, Hippotès, et la belle Thérô, aussi éclatante que les rayons de la lune, qui conçut entre les bras d'Apollon le vaillant cavalier Choeron. Homère, quoiqu'il sût bien, à ce que j'imagine, que ces villes s'appelaient Chéronée et Lébadie, s'est cependant servi des anciens noms pour les désigner; c'est ainsi qu'il a employé le nom d'Egyptos pour celui du Nil. [7] Il y a dans le pays de Chéronée deux trophées que Sylla et les Romains érigèrent après la victoire qu'ils gagnèrent sur Taxilos et les troupes de Mithridate. Philippe, fils d'Amyntas, n'a érigé de trophée ni là, ni ailleurs, pour aucune de toutes les victoires qu'il avait remportées sur des Grecs ou sur des Barbares. [8] Les Macédoniens, en effet, ne sont pas dans l'usage d'ériger des trophées, et ils disent même que Caranos, un de leurs rois, ayant vaincu Cisséos, qui régnait sur le pays voisin, érigea un trophée après sa victoire, suivant la coutume des Argiens. Ils ajoutent qu'un lion, sortant du mont Olympe, renversa ce trophée ; [9] ce qui fit penser Garanos qu'il avait eu tort de l'ériger, puisque cela ne tendait qu'à établir une haine irréconciliable entre lui et les Barbares de son voisinage ; il sentit donc qu'afin de se réconcilier un jour avec eux, il fallait que ni lui ni ses successeurs n'érigeassent jamais de pareils monuments; la preuve de ce que j'avance, c'est qu'Alexandre n'en érigea aucun ni pour ses victoires sur Darios, ni pour celles qu'il remporta dans l'Inde. [10] En arrivant à la ville de Chéronée, on trouve le Polyandrion où furent enterrés les Thébains qui périrent en combattant contre Philippe ; il n'y a d'inscription sur ce monument, mais il est surmonté d'un lion, ce qui a principalement rapport au courage de ces derniers. On n'y a pas mis d'inscription, je pense, parce que la Tuchê ne seconda pas leur valeur. [11] Celui de tous les dieux que les Chéronéens honorent le plus, c'est le sceptre que, suivant Homère, Héphaistos avait fabriqué pour Zeus, qui le donna à Hermès ; Pélops le reçut de ce dieu, et le laissa à Atrée, qui le transmit à Thyeste, de qui le tenait Agamemnon. Ils rendent donc un culte à ce sceptre, qu'ils nomment Dory ; et ce qui surtout prouve qu'il a quelque chose de divin, c'est l'illustration qu'il a répandue sur ceux qui l’ont porté. [12] Les  Chéronéens disent que ce sceptre fut trouvé sur les limites de leur territoire et de celui des Panpéens de la Phocide ; que les Phocéens le trouvèrent avec de l'or ; que pour eux, ils consentirent volontiers à leur laisser l'or et à prendre le sceptre. Je crois qu'il avait été porté dans la Phocide par Électre, fille d'Agamemnon. On ne lui a point élevé de temple en public, mais on lui nomme tous les ans un prêtre qui le garde dans sa maison, on lui offre des sacrifices tous les jours, et il y a continuellement devant lui une table couverte de toutes sortes de viandes et de gâteaux.

CHAPITRE XLI.

Ouvrages d’Héphaistos. Colllier d'Eriphyle. Rocher appelé Pétrachos.

[1] De tous les prétendus ouvrages d’Héphaistos que les poètes ont célébrés, et que la renommée lui a attribués, il n'y a que ce sceptre d'Agamemnon à l'égard duquel la tradition mérite quelque confiance. Les Lyciens, la vérité, montrent à Patare, dans le temple d'Apollon, une coupe de bronze qui est, à ce qu'ils disent, une offrande de Télèphe et un ouvrage d’Héphaistos ; mais ils ignorent, à ce qu'il paraît, que Théodore et Rhoecos de Samos sont les premiers qui aient trouvé l'art de couler le bronze au moule. [2] Les Achéens de Patras assurent aussi que le coffre qu'Eurypylos apporta de Troie, avait été fait par Héphaistos; mais à dire la vérité, ils ne le laissent pas voir. Amathonte est une ville de l'île de Chypre, où l'on voit un ancien temple d’Aphrodite et d'Adonis ; on y conserve, à ce que prétendent les habitants, le collier qui, originairement, fut donné à Harmonie, et qu'on nomme le collier d'Eriphyle, parce qu'elle le reçut en présent pour trahir son mari. Ce collier fut consacré à Delphes par les fils de Phégée : j'ai raconté dans mon livre sur l'Arcadie, par quel moyen ils l'avaient eu ; il fut enlevé de ce temple par les tyrans des Phocéens, [3] mais je ne crois point qu'il soit à Amathonte dans le temple d'Adonis; en effet, le collier qu'on voit dans ce temple, est de pierres vertes enchâssées dans de l'or, tandis qu'Homère dit, dans l'Odyssée, que celui qui fut donné à Eriphyle était tout en or, et voici ses expressions  : Elle reçut de l'or pour trahir son cher époux. Il n'ignorait cependant pas qu'il y avait des colliers enrichis de divers ornements ; car, dans la conversation d'Eumée et d'Ulysse, avant que Télémaque fût venu de Pylos dans la maison d'Eumée, on remarque les expressions suivantes : Il vint à la maison de mon père un homme très rusé ; il avait un collier d'or garni d'ambre jaune.  [5] Et dans les présents que les prétendants font à  Pénélope, il est question, entre autres choses, d'un collier que lui donne Eurymachus: Eurymachus lui apporta un collier d'or très bien travaille, garni d'ambre jaune, et éclatant comme le soleil. Mais il ne dit point qu'Eriphyle eût reçu un collier d'or orné de pierreries.  Ainsi le sceptre dont il s'agit, est le seul ouvrage qui soit vraisemblablement de Vulcain. [6]  Il y a au-dessus de la ville un rocher nommé Pétrachus; on dit que c'est là que Saturne fut trompé par Rhéa, qui lui donna une pierre au lieu de Jupiter. On voit sur le sommet de la montagne une petite statue de Jupiter; [7] on fabrique à Chéronée des huiles odorantes qu'on tire du lys, de la rosé, du narcisse et de l'iris; ces huiles servent de remèdes contre certaines douleurs.  Quant à l'huile de rosé, si vous en frottez les statues en bois, elle les préserve de la pourriture. L'iris est une plante qui croit dans les marais ; elle est de la même grandeur que le lys, mais elle n'est pas blanche et a beaucoup moins d'odeur.

 

FIN DU LIVRE IX DE PAUSANIAS.




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