POMPONIUS MELA

 

DESCRIPTION DE LA TERRE

 

LIVRE I

 

LIVRE II - LIVRE III

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

texte latin

 

 

DESCRIPTION DE LA TERRE

 

NOTICE SUR POMPONIUS MELA.

********************

Le nom de Pomponius Mela ne se trouve que dans Pline, qui se borne à le citer comme géographe, et l’on est réduit, sur ce qui concerne sa personne, à consulter ou interpréter son ouvrage. Il naquit à Tingentera, petite ville de la Bétique, comme il nous l’apprend lui-même dans le sixième chapitre du second livre de sa Géographie: Atque unde nos sumus, Tingentera. Quant à l’époque où il vivait, s’il ne nous la fait pas connaître aussi positivement, il nous l’indique du moins, de manière à ne pas s’y méprendre, dans le sixième chapitre de son troisième livre, où il dit, en parlant de la Bretagne « Britannia qualis sit, qualesque progeneret, mox certiora et magis explorata dicentur. Quippe tamdiu clausam aperit ecce principum maximus, nec indomitarum modo ante se, verem ignotarum quoque gentium victor, qui propriarum rerum fidem ut bello affectavit, ita triumpho declaraturus portat. » Quoique Vossius prétende qu’il s’agit ici de J. César, ces mots s’appliquent évidemment à l’expédition de Claude, qui eut lieu l’an 42 de notre ère. On sait que J. César ne fit que reconnaître la Bretagne; et, comme le dit Tacite, il la montra plutôt aux Romains qu’il ne la leur donna. Ce qui prouve, en outre, que Mela était contemporain de Claude, et non de César, c’est que, dans le sixième chapitre de son premier livre, il désigne l’ancienne ville d’Iol en Afrique, sous le nom de Caesarea, nom qui lui avait été donné par Juba en l’honneur d’Auguste; c’est que, dans le cinquième chapitre du troisième livre, il cite Cornelius Nepos, qui mourut sous le règne de ce prince. Voilà tout ce qu’on peut savoir de la personne de Pomponius Mela; et nous ne nous arrêterons pas à discuter les conjectures de quelques commentateurs, qui ont voulu voir dans notre géographe un frère du philosophe Sénèque, par la seule raison que la famille de Sénèque était espagnole et que l’un de ses deux frères se nommait Mela.

Pomponius Mela est l’auteur qui présente le tableau le plus complet de l’état de la géographie vers le milieu du premier siècle de l’ère chrétienne. Vossius le place à côté de Strabon et de Pline. Gronovius dit qu’en examinant avec attention la clarté, l’ordre et la simplicité qui règnent dans la disposition des parties, dans la nomenclature naturellement sèche des villes, des fleuves et des montagnes, dans l’exposition courte et naïve du caractère et des mœurs des différents peuples, on ne peut se rassasier de le lire et de rendre grâces à cet auteur d’avoir fait à la littérature un si riche présent. Malte-Brun le met bien au-dessus de Denys le Periégète, qui est, parmi les géographes du premier siècle, celui qu’on cite le plus souvent avec Mela. « L’abrégé de Mela, dit-il, bien plus curieux pour le géographe, offre le système d’Ératosthène. Dans ses détails historiques, on remarque des particularités qu’il a dû tirer d’ouvrages perdus pour nous; il semble douter de la prétendue communication de la mer Caspienne avec l’Océan; il trace bien le cours de l’Oxus vers notre lac Aral; dans le nord de l’Europe, il distingue la Scandinavie et les îles voisines; il sait que les Sarmates ont déjà étendu leurs possessions jusqu’à la Baltique; sa description des Gaules et de l’Espagne contient quelques particularités physiques. » Il lui reproche, à la vérité, de manquer de critique, de suivre quelquefois d’une manière trop servile les anciens auteurs grecs et de reproduire trop souvent les récits fabuleux d’Hérodote; mais une partie de ce reproche doit, ce semble, retomber sur l’état de la science au temps de Mela. « L’empire romain, dit, en effet, le même auteur, était devenu la patrie commune de toutes les nations civilisées; un commerce paisible liait entre eux les peuples du monde connu, et devait peu à peu en faire connaître de nouveaux. Mais beaucoup de circonstances retardèrent les progrès de la géographie d’abord la facilité de trouver, dans les pays déjà découverts, tous les objets que réclamaient les arts et le luxe; ensuite les imperfections d’une navigation dépourvue du secours de la boussole et de nos voilures, plus adaptées aux voyages de haute mer; enfin, le peu de connaissance que les anciens avaient des vents qui règnent entre les tropiques. » Malte-Brun loue, du reste, l’éclat et la vivacité du style de Mela, et vante surtout sa bonne foi et sa modestie.

Nous n’ajouterons rien aux jugements des savants hommes que nous venons de citer, comme aussi nous croyons superflu de donner une analyse de la Géographie de Mela, l’auteur ayant pris soin d’exposer son plan avec une clarté et une brièveté qui ne laissent rien à désirer.

L. BAUDET.


 


LIVRE PREMIER.

**********

AVANT-PROPOS.

Je veux faire une description du globe, ouvrage épineux et aride, qui ne consiste guère qu’en une longue nomenclature de peuples et de lieux, dont l’énumération assez compliquée est plus laborieuse que susceptible des ornements du style; toutefois, c’est une matière vraiment digne d’être étudiée et connue, et dont l’importance peut amplement dédommager le lecteur de la sécheresse de la narration.

Avant d’entrer dans une description détaillée, je commencerai par des généralités faciles à saisir. Ainsi, je parlerai d’abord de la forme de la terre, de ses parties principales, de leur nature et de leurs habitants; ensuite, revenant sur mes pas, je décrirai successivement toutes les côtes, tant celles que baignent les mers intérieures, que celles qu’embrasse l’Océan dans son vaste contour, en ajoutant à cette description les particularités les plus remarquables de chaque contrée et de chaque peuple. Mais, pour rendre mon tableau plus clair et plus intelligible, j’ai besoin de prendre les choses d’un peu haut.

I. Du monde et de ses parties.

Ce que nous appelons monde et ciel, quelle qu’en soit la nature, forme un tout unique, compris lui-même avec ce qu’il contient dans une seule et même circonférence. On le divise en plusieurs parties: le côté du ciel où le soleil se lève, s’appelle orient ou levant; celui où il se couche, occident ou couchant; le point d’où il luit au milieu du jour, midi; le point opposé, septentrion. La terre, assise au centre du monde, est environnée de tous côtés par la mer, qui la divise encore de l’orient au couchant, en deux parties appelées hémisphères, et distribuées en cinq zones. La zone du milieu est dévorée par la chaleur, tandis que les deux zones qui sont situées, l’une à l’extrémité méridionale, l’autre à l’extrémité septentrionale, sont glacées par le froid. Les autres sont habitables et ont les mêmes saisons, mais dans des temps différents: les Antichthones habitent l’une, et nous l’autre. Celle-là nous étant inconnue, à cause de la plage brûlante qui nous en sépare, je ne puis parler que de la nôtre. Cette zone, qui s’étend de l’orient au couchant, et qui, par suite de cette direction, a dans sa longueur plus d’étendue que dans sa plus grande largeur, est de toutes parts environnée par l’Océan, dont elle reçoit quatre mers: une au septentrion, deux au midi, et la quatrième au couchant. Je parlerai des trois premières en leur lieu. La dernière ouvre les terres en s’y creusant un lit d’abord étroit et qui n’a guère que dix mille pas de largeur; puis, s’étendant et s’élargissant, chasse au loin ses rivages, qui, se rapprochant ensuite l’un de l’autre, presque au point de se réunir, la resserrent dans un espace qui a moins de mille pas; puis elle s’élargit une seconde fois, mais très peu, pour se rétrécir encore plus qu’auparavant; enfin, elle s’étend et s’élargit de nouveau dans un vaste espace, à l’extrémité duquel elle s’unit, par une très petite entrée, un grand lac. Elle est connue dans son ensemble sous la dénomination générale de Notre mer. Nous appelons particulièrement détroit, et les Grecs appellent πορθμός, l’étroite ouverture par laquelle elle s’introduit dans la terre. Ses autres parties prennent différents surnoms, selon les lieux qu’elle baigne. Où elle se resserre une première fois, c’est l’Hellespont; où elle s’élargit ensuite, c’est la Propontide; où elle se resserre une seconde fois, c’est le Bosphore de Thrace; où elle se déploie de nouveau, c’est le Pont-Euxin; enfin, où elle se mêle à un lac, c’est le Bosphore Cimmérien. Quant à ce lac on l’appelle Méotide. La zone entière est divisée en trois parties par cette mer et deux fleuves célèbres, le Tanaïs et le Nil. Le Tanaïs, qui coule du septentrion au midi, se jette dans le Méotide, à peu près vers le milieu; le Nil, qui coule du midi au septentrion, se jette dans notre mer. Toutes les terres qui s’étendent depuis le détroit jusqu’à ces fleuves, forment d’un côté l’Afrique, et de l’autre l’Europe. La première s’étend jusqu’au Nil; la seconde, jusqu’au Tanaïs. Tout ce qui est au delà s’appelle Asie.

II. Description sommaire de l’Asie.

L’Asie est baignée de trois côtés par l’Océan, qui, changeant de nom selon les lieux qu’il baigne, s’appelle Oriental à l’orient, Indique au midi, Scythique au septentrion. Du côté de l’orient, elle présente un front immense et continu, dont l’étendue égale celle de l’Europe et de l’Afrique ensemble, y compris la mer qui les sépare. A partir de ce point, elle s’étend sans aucune sinuosité jusqu’à l’endroit où l’océan Indien et l’océan Scythique viennent former dans son sein, d’un côté les mers Arabique et Persique, de l’autre la mer Caspienne, qui la rétrécissent dans cette partie. Mais, au delà de ces mers, elle se déploie de nouveau et reprend sa première latitude. Enfin, arrivée à ses bornes occidentales, aux confins de l’Europe, elle entre vers le milieu dans le sein de nos mers, et porte ses deux extrémités latérales, d’un côté jusqu’au Nil, de l’autre jusqu’au Tanaïs. Ses confins, contigus au lit du Nil, descendent, en suivant le cours de ce fleuve, jusqu’à la mer, avec laquelle elle remonte longtemps, jusqu’à ce que, assez forte pour lui résister, elle forme d’abord nu golfe très profond, et présente ensuite un vaste front au détroit de l’Hellespont. A partir de ce détroit, elle dévie obliquement vers le Bosphore; puis, après une seconde courbure qu’elle décrit sur le Pont-Euxin, ses confins vont transversalement aboutir à l’entrée du Méotide. Elle embrasse dans son sein ce lac jusqu’au Tanaïs, dont elle devient la rive.

Les premiers peuples que l’on rencontre en Asie, à partir de l’orient, sont, dit-on, les Indiens, les Sères et les Scythes. Les Sères habitent à peu près le milieu de cette partie orientale; les Indiens et les Scythes, les extrémités. Ces deux nations, très étendues, n’occupent pas seulement les bords de la mer orientale: les Indiens s’étendent encore au midi, et couvrent sans interruption les bords de la mer Indienne, à l’exception des parties que la chaleur rend inhabitables. De leur côté, les Scythes s’étendent au septentrion sur les bords de l’océan Scythique jusqu’à la mer Caspienne, et aussi loin que le froid est supportable.

Immédiatement après l’Inde est l’Ariane, ensuite l’Arie, la Cédroside et la Perside jusqu’au golfe Persique. Ce golfe est environné de nations persanes, et le suivant de peuples arabes. Au-dessous d’eux, tout ce qui reste de l’Asie le long de l’Afrique, est habité par des Éthiopiens. Au nord les Caspianiens, qui confinent à la Scythie, environnent la mer Caspienne; au delà, dit-on, sont les Amazones, et au delà de celles-ci les Hyperboréens.

L’intérieur des terres est habité par un grand nombre de peuples divers. Tels sont au-dessus des Scythes et des déserts de la Scythie, les Gandariens et les Paricaniens, les Bactriens, les Sugdiens, les Harmatotrophes, les Comares, les Comaniens, les Paropamisiens, les Dahes; au- dessus de la mer Caspienne, les Chomariens, les Massagètes, les Cadusiens, les Hyrcaniens, les Ibères; au-dessus des Amazones et des Hyperboréens, les Cimmériens, les Cygiens, les Hénioques, les Gorgippiens, les Mosques, les Cercètes, les Torètes, les Arimphéens; et, dans les parties où l’Asie s’avance dans nos mers, les Matianiens, les Tibaréniens, et plusieurs autres peuples dont les noms sont plus connus, tels que les Mèdes, les Arméniens, les Commagéniens, les Maryandins, les Venètes, les Cappadoces, les Gallo-Grecs, les Lycaones, les Phrygiens, les Pisides, les Isauriens, les Lydiens, les Syrociliciens. De même, les nations placées sur la côte méridionale s’avancent aussi dans l’intérieur et occupent les rivages jusqu’au golfe Persique. Au-dessus de ce golfe sont les Parthes et les Assyriens; au-dessus du golfe Arabique, les Babyloniens, et au-dessus des Éthiopiens, les Égyptiens, qui habitent le long du Nil et sur les bords de la mer. Ensuite l’Arabie touche par une petite pointe aux rivages qui suivent. A partir de cette pointe jusqu’à ce golfe dont j’ai parlé plus haut, c’est la Syrie, et, sur les bords de ce golfe, la Cilicie. Plus loin, la Lycie et la Pamphilie, la Carie, l’Ionie, l’Éolide, la Troade, s’étendent jusqu’à l’Hellespont. De l’Hellespont au Bosphore de Thrace, sont les Bithyniens; autour du Pont sont quelques peuples, distingués entre eux par différentes limites, et connus sous le nom général de Pontiques. Sur les bords du lac, sont les Méotiques, et sur les bords du Tanaïs, les Sauromates.

III. Description sommaire de l’Europe.

L’Europe a pour bornes, à l’orient, le Tanaïs, le Méotide et le Pont; au midi, le reste de notre mer; à l’occident, l’océan Atlantique; au septentrion, l’océan Britannique. Ses côtes, d’abord considérées du Tanaïs à l’Hellespont, soit comme formant une des rives de ce fleuve, soit comme suivant le détour que fait le Méotide pour aller jusqu’au Pont, soit comme adjacentes à la Propontide et à l’Hellespont, sont non seulement opposées aux rivages correspondants de l’Asie, mais encore configurées de la même manière. De l’Hellespont au détroit, alternativement rentrantes et saillantes, elles forment trois grands golfes, séparés par trois grandes avances. Au delà du détroit, elles s’étendent vers l’occident, où leur forme est très inégale, surtout au milieu; dans leur direction vers le septentrion, sans deux enfoncements considérables, elles présenteraient presque une ligne droite. Le premier golfe s’appelle mer Égée, le second mer Ionienne, dont la partie intérieure prend le nom de mer Adriatique; le troisième forme la mer que nous nommons Tusque, et que les Grecs appellent Tyrrhénienne.

La première contrée de l’Europe est la Scythie, qu’il ne faut pas confondre avec celle dont j’ai déjà fait mention: elle commence au Tanaïs et se termine à peu près au milieu de la côte du Pont. Vient ensuite la Thrace, qui s’étend sur une partie de la mer Égée et confine à la Macédoine; plus loin se montre la Grèce, qui sépare la mer Égée de la mer Ionienne. L’Illyrie occupe un côté de l’Adriatique. L’Italie se prolonge entre cette mer et la mer Tusque. Au fond de la mer Tusque est la Gaule, et au delà l’Hispanie, qui se dirige vers l’occident, et, dans une longue étendue, vers le nord et le midi.

Au delà on rencontre encore la Gaule, qui, des bords de notre mer, se prolonge au loin dans la direction septentrionale. Les Germains sont à la suite, et après eux les Sarmates jusqu’à l’Asie.

IV. Description sommaire de l’Afrique.

L’Afrique est, à l’orient, bornée par le Nil, et des autres côtés par la mer; elle est moins longue que l’Europe, car elle ne correspond pas à toute la longueur de la côte Asiatique ni, par conséquent, à toute l’étendue des rivages de l’Europe. Cependant elle ne laisse pas d’être plus longue que large, même en considérant sa largeur dans le voisinage du Nil, où elle est plus grande que partout ailleurs. A partir de ce fleuve, l’Afrique s’élève, surtout au milieu, en décrivant une courbe d’orient en occident, de sorte que, diminuant en largeur, quoique insensiblement, mais sur un long espace, elle est, à son extrémité, plus étroite qu’en aucun autre endroit. Elle est d’une fertilité merveilleuse dans les régions habitées; mais elle est en grande partie déserte, parce que la plupart de ses contrées sont peu susceptibles de culture, ou couvertes de sables stériles, ou inhabitables à cause de l’aridité du ciel et de la terre, ou infestées d’une multitude d’animaux malfaisants de toute espèce.

La mer, dont elle est environnée, se nomme Libyque au septentrion, Éthiopique au midi, Atlantique à l’occident. Dans la partie qui touche à la mer Libyque, on rencontre d’abord, dans le voisinage du Nil, une province appelée Cyrènes; vient ensuite une contrée qui porte en particulier le nom général de la région entière, celui d’Afrique. Le reste de la côte est habité par les Numides et les Maures; ces derniers occupent encore une partie des rivages de la mer Atlantique. Au delà sont les Nigrites et les Pharusiens, jusqu’aux Éthiopiens, qui habitent ce qui reste des bords de cette mer, ainsi que toute la côte méridionale, jusqu’aux confins de l’Asie. Au-dessus des parties baignées par la mer Libyque, sont les Liby-Egyptiens, les Leucoéthiopes, et les Gétules, nation nombreuse et multiple. Plus loin est un vaste désert, entièrement inhabitable, au delà duquel on place, d’orient en occident, d’abord les Garamantes, puis les Augiles et les Troglodytes, et enfin les Atlantes. Dans l’intérieur, s’il faut en croire la renommée, sont des Aegipans, des Blémyes, des Gamphasantes et des Satyres, peuplades errant à l’aventure, sans toits, sans demeures fixes, qui tiennent autant de la bête que de l’homme, et couvrent plutôt la terre qu’ils ne l’habitent.

Voilà le tableau général de notre globe, voilà ses principales parties, leurs formes et leurs différents peuples. Maintenant ayant à faire, d’après mon plan, la description détaillée des côtes, je commencerai de préférence par le détroit qui introduit l’océan Atlantique dans nos terres, en suivant les rivages de droite; et après avoir décrit, de proche en proche, les côtes des mers intérieures, je décrirai pareillement celles que baigne l’Océan, en faisant le tour extérieur de la terre; ma tâche sera remplie, lorsqu’après avoir parcouru le globe au dedans comme au dehors, je serai revenu au point d’où j’étais parti.

V. Description détaillée de l’Afrique. Mauritanie.

L’océan Atlantique baigne, comme je l’ai dit, les côtes occidentales de la terre. Si de cet océan on veut pénétrer dans notre mer, on rencontre l’Hispanie à gauche, et la Mauritanie à droite: par l’une commence l’Europe, et par l’autre l’Afrique. La côte de la Mauritanie s’étend jusqu’au Mulucha, depuis tin promontoire que les Grecs appellent Ampélusie, nom différent de celui que lui donnent les Africains, quoiqu’ils aient tous deux la même signification. Ce promontoire renferme un antre consacré à Hercule, au delà duquel est Tingé, ville très ancienne, et bâtie, dit-on, par Antée. On rapporte comme une preuve de. cette origine, l’existence d’un bouclier fait de cuir d’éléphant, et d’une telle grandeur qu’il ne pourrait aujourd’hui convenir à personne. Les habitants du pays tiennent et donnent pour certain qu’il fut porté par ce géant, ce qui le rend pour eux l’objet d’une vénération toute particulière. Plus loin est une très haute montagne, qui fait face à celle qui s’élève sur la côte opposée de l’Hispanie: l’une se nomme Abyla, l’autre Calpé, et toutes deux ensemble les colonnes d’Hercule. La fable ajoute qu’autrefois ces deux montagnes n’en faisaient qu’une, qui fut divisée par Hercule; et qu’ainsi l’Océan, jusqu’alors arrêté par cette barrière, trouva un passage pour se répandre dans les lieux qu’il inonde aujourd’hui. A partir de ce point, la mer s’élargit et se déploie avec une grande impétuosité entre deux rives lointaines.

Du reste, la Mauritanie est une contrée qui ne réveille aucun souvenir et n’a presque rien de remarquable: on n’y voit que de petites villes, de petites rivières, et son sol vaut mieux que ses habitants, que leur inertie tient ensevelis dans l’obscurité. Cependant on peut citer les hautes montagnes qui, rangées par ordre et comme à dessein les unes à la suite des autres, sont appelées les Sept Frères, à cause de leur nombre et de leur ressemblance; ensuite le fleuve Tamuda, les petites villes de Rusigada et de Siga, et un port que son étendue a fait appeler le Grand-Port. Quant au Mulucha, dont j’ai parlé, c’est un fleuve qui, après avoir autrefois servi de limite aux royaumes de Bocchus et de Jugurtha, ne distingue plus aujourd’hui que les nations qu’ils avaient sous leur puissance

VI. Numidie.

La Numidie s’étend des rives du Mulucha à celles de l’Ampsaque; elle est moins grande que la Mauritanie, mais plus cultivée et plus riche. Ses villes les plus considérables sont Cirta, assez loin de la mer, qui, autrefois séjour des rois, et très opulente sous Syphax, est aujourd’hui habitée par une colonie de Sittianiens; Iol, sur le bord de la mer, qui, jadis obscure, est aujourd’hui illustre, tant pour avoir été le siège du royaume de Juba, que par son nom actuel de Césarée. En deçà de cette dernière ville, qui est située presque au milieu de la côte, on rencontre les petites villes de Cartinna et d’Arsinna, le fort Quiza, le golfe Laturus et le fleuve Sardabale. Au delà on rencontre un tombeau consacré à la sépulture de la famille royale, puis les villes d’Icosium et de Ruthisie, entre lesquelles coulent le Savus et le Nabar, et quelques autres lieux peu mémorables dont on peut se dispenser de parler. Dans l’intérieur, et à une distance assez considérable de la mer, ou trouve, dit-on, dans des campagnes stériles et désertes, si toutefois la chose est croyable, des arêtes de poissons, des débris de coquilles et de murex, des rochers qui paraissent avoir été rongés par les flots, comme ceux qu’on voit au sein des mers, des ancres incrustées dans des montagnes, et beaucoup d’autres signes et vestiges de l’ancien séjour de la mer dans ces terres lointaines.

VII. Afrique proprement dite.

La contrée qui s’étend ensuite du promontoire Métagonium aux autels des Philènes, a proprement le nom d’Afrique. On y rencontre d’abord Hippone Royale, Rusicade et Thabraca; puis, trois vastes promontoires, qu’on appelle cap Blanc, cap d’Apollon, cap de Mercure, et qui forment dans leurs intervalles, deux grands golfes. Le premier se nomme golfe d’Hippone, de la ville du même nom, située sur ses bords, et surnommée pour cela Diarrhyte. Sur les bords du second, on remarque l’assiette des camps de Lelius et de Cornelius, le fleuve Bagrada, les villes d’Utique et de Carthage, toutes deux célèbres, et toutes deux bâties par les Phéniciens: l’une est fameuse par la fin tragique de Caton, et l’autre, fameuse par la sienne, n’est plus aujourd’hui qu’une colonie du peuple romain, après en avoir été la rivale obstinée. Quelle que soit l’opulence qu’elle a recouvrée depuis, elle est encore aujourd’hui plus célèbre par la ruine de sa puissance passée, que par la splendeur de son état présent. De là jusqu’à la Syrte, on rencontre, sur le même rivage, Hadrumète, Leptis, Clupée, Macomades, Thènes, Néapolis, villes comparativement célèbres au milieu d’autres villes obscures. Le Syrte est un golfe qui a presque cent mille pas d’ouverture, et trois cent mille pas de circonférence, mais d’un abord très périlleux, moins à cause des écueils et des bas-fonds dont il est parsemé, qu’à cause du flux et du reflux de la mer, qui est continuellement agitée dans ces parages. Au delà est un grand lac qui reçoit le fleuve Triton, et s’appelle Tritonis de là le surnom donné à Minerve, qui passe chez les habitants du pays pour être née sur les bords de ce lac; et ce qui accrédite jusqu’à un certain point cette fable, c’est qu’ils célèbrent le jour auquel ils rapportent la naissance de cette déesse par une fête où les jeunes filles se battent les unes contre les autres. Plus loin sont la ville d’Oea et le fleuve Cinyps, qui arrose des campagnes très fertiles; puis une autre Leptis, et une autre Syrte, semblable à la première par son nom et par sa nature, mais à peu près une fois plus grande en ouverture et en circonférence. Elle commence au cap Borion, d’où s’étend, jusqu’au cap Phycus, une côte qui a été habitée, dit-on, par les Lotophages, et dont les abords sont aussi très dangereux. Les Autels des Philènes sont ainsi appelés du nom de deux frères choisis par les Carthaginois pour l’accomplissement d’une convention faite avec les Cyrénéens, et qui avait pour but de mettre fin à une guerre cruelle, depuis longtemps existante entre les deux peuples à l’occasion de leurs limites respectives. On était convenu de les fixer à l’endroit où se rencontreraient deux coureurs qu’on ferait partir de chaque côté à un moment déterminé. Des contestations s’étant élevées sur l’exécution de ce traité, les Philènes acceptèrent la proposition d’être enterrés vifs à l’endroit où ils voudraient établir leurs limites: dévouement héroïque et bien digne de mémoire !

VIII. Cyrénaïque

La Cyrénaïque s’étend des limites de l’Afrique propre au Catabathmos, et renferme trois choses remarquables: l’oracle d’Ammon, si célèbre par sa véracité; une fontaine appelée la Fontaine du Soleil, et une certaine roche consacrée à l’Auster. Si l’on s’avise d’y porter la main, aussitôt ce vent se déchaîne avec colère, et, soulevant les sables comme des flots, produit sur la terre les mêmes tourmentes que sur la mer. L’eau de la fontaine, bouillante au milieu de la nuit, s’attiédit peu à peu; et, déjà fraîche au point du jour, elle se refroidit de plus en plus à mesure que le soleil s’élève, de sorte qu’elle est tout à fait glacée à midi; puis, partir de cette heure, elle se réchauffe de nouveau par degrés, et, déjà tiède au déclin du jour, sa chaleur augmente de plus en plus jusqu’au milieu de la nuit, où elle bout encore à gros bouillons. Sur le rivage, on rencontre les promontoires Zéphyrion et Naustathmos, le port Parétonius, les villes d’Hespérie, d’Apollonie, de Ptolémaïde, d’Arsinoé, et celle de Cyrène, qui a donné son nom à toute la contrée. Le Catabathmos est une vallée qui descend jusqu’à l’Égypte, où elle termine l’Afrique.

Tel est l’état des côtes de l’Afrique depuis les colonnes d’Hercule. Les peuples qui les habitent ont adopté en tous points nos mœurs et nos usages, si ce n’est que quelques-uns d’entre eux ont conservé leur langue primitive, ainsi que les dieux et le culte de leurs ancêtres. Ceux qui les suivent immédiatement dans l’intérieur n’ont point de villes, mais se pratiquent une sorte de demeures qu’on appelle mapalia (huttes, masures); leur manière de vivre est âpre et malpropre. Les chefs de la nation se couvrent de saies, et le reste du peuple de peaux de bêtes fauves ou de celles de leurs troupeaux; ils n’ont d’autre lit ni d’autre table que la terre; leurs vases sont de bois ou d’écorce; ils ne boivent que du lait et d’une certaine liqueur qu’ils expriment des fruits sauvages; ils ne mangent que de la chair, et le plus souvent de celle des animaux féroces: car, autant qu’ils le peuvent, ils ne touchent pas à leurs troupeaux, qui sont leur seule richesse. Plus loin, ce sont des hommes encore plus grossiers, qui suivent à l’aventure leurs troupeaux dans les pâturages, traînant avec eux leurs cabanes, et passant la nuit dans l’endroit où les ténèbres les surprennent. Quoique distribués en familles éparses, sans lois, sans intérêt commun qui les réunisse, ils ne laissent pas d’être partout assez nombreux, parce que, chaque homme ayant à la fois plusieurs femmes, il en résulte une grande quantité d’enfants et d’agnats. Parmi les peuples qui existent, dit-on, au delà des déserts, sont les Atlantes, qui maudissent le soleil à son lever et à son coucher, comme un astre funeste aux habitants et au pays. Chez eux, les individus n’ont point de nom; ils s’abstiennent de chair, et n’ont point de rêves pendant leur sommeil, comme les autres hommes. Les Troglodytes ne possèdent rien; leur voix rend moins des sons articulés que des cris aigus; ils habitent des cavernes et se nourrissent de serpents. Les Garamantes ont une espèce de bœufs qui, en paissant, inclinent obliquement la tète, parce que leurs cornes, abaissées directement vers la terre, les empêcheraient de paître. Aucun d’eux n’a d’épouse particulière, et, parmi les enfants qui naissent de cette promiscuité, la filiation s règle sur la ressemblance. Les Augiles ne connaissent d’antres dieux que les mânes; ils jurent par eux, les consultent comme des oracles, et, quand ils leur ont adressé quelque vœu, ils se couchent sur des tombeaux et prennent pour réponses les songes qu’ils ont pendant leur sommeil. Suivant une coutume solennelle, leurs femmes s’abandonnent la première nuit de leurs noces à tous ceux qui leur apportent des présents, et plus le nombre en est grand, plus elles sont fières; du reste, une fois quittes envers l’usage, elles sont d’une rare chasteté. Les Gamphasantes vont tout nus, et ne connaissent aucunement l’usage des armes, soit pour se défendre, soit pour attaquer: c’est pour cela qu’ils fuient la rencontre des autres hommes, et qu’ils n’ont de commerce ou d’entretien qu’avec ceux qui ont la même nature. Les Blémyes n’ont point de tête: leur visage est sur leur poitrine. Les Satyres n’ont d’humain que la figure. Les Aegipans ont la forme qu’on leur attribue. Voila ce qui regarde l’Afrique.

IX. Description détaillée de l’Asie. Egypte.

L’Égypte est la première partie de l’Asie: elle s’étend du Catabathmos à l’Arabie, et des bords de notre mer à l’Éthiopie, qui y est adossée et la borne au midi. Quoiqu’il ne pleuve pas en Egypte, la terre y est extraordinairement féconde en fruits, en hommes et en animaux, grâce aux inondations du Nil, le plus grand des fleuves qui se jettent dans notre mer. Ce fleuve, qui sort des déserts de l’Afrique, n’est d’abord ni propre à la navigation, ni connu soirs le nom de Nil. Après avoir parcouru dans un même lit, dont la pente est très rapide, une grande étendue de pays, il entre en Éthiopie et s’y divise en deux bras, dont il entoure la grande île de Méroé l’un s’appelle Astaboras, et l’autre Astape. Ces deux bras se réunissent ensuite, et c’est alors qu’il commence à porter le nom de Nil. De là, tantôt. violent et rebelle, tantôt facile et navigable, il se jette dans un lac immense, d’où il sort avec impétuosité pour embrasser une seconde île, appelée Tachompso, et rouler avec violence ses eaux tumultueuses jusqu’à Éléphantine, ville d’Égypte. Seulement alors devenu plus calme et sans danger pour la navigation, il se divise d’abord en trois branches, près de la ville de Cercasore; plus loin, vers les parties de l’Égypte qu’on appelle Delta et Mélis, il se subdivise encore en quatre branches, et, après avoir ainsi traversé tout le pays, vagabond et dispersé, il vient se jeter dans la mer par sept embouchures différentes, mais toutes d’une largeur considérable. Au reste, le Nil ne se borne pas à parcourir l’Égypte, il déborde encore et l’inonde au solstice d’été, et ses eaux sont si fécondantes et si nutritives, qu’outre qu’elles fourmillent de poissons et produisent même des animaux d’une grosseur prodigieuse, tels que l’hippopotame et le crocodile, elles animent jusqu’à la terre et en forment des êtres vivants: la preuve en est, qu’à la suite des inondations, et lorsque le fleuve est rentré dans son lit, on trouve dans les plaines encore humides certains animaux dont l’organisation ébauchée présente une portion de terre faisant corps avec la partie vivante et animée. Les débordements du Nil proviennent, soit de la fonte des neiges qui couvrent les hautes montagnes de l’Éthiopie, et, dans les grandes chaleurs, découlent dans ce fleuve avec une telle abondance, que son lit ne peut les contenir; soit de ce que le soleil, qui est, en hiver, plus rapproché de la terre, et diminue par son attraction le volume des eaux du Nil, remonte en été dans une région plus élevée, et le laisse alors couler dans toute sa plénitude; soit de ce que, dans cette saison, les vents Étésiens poussent du septentrion au midi des nuages qui se résolvent en pluie dans les lieux où il prend sa source, ou que, soufflant dans un sens contraire au cours de ce fleuve, ils repoussent ses eaux et les empêchent de descendre, ou qu’ils obstruent ses embouchures par des sables qu’ils chassent avec les flots de la mer vers le rivage. En un mot, le Nil grossit, ou parce qu’il ne perd rien, ou parce qu’il reçoit plus qu’à l’ordinaire, ou parce qu’il donne moins à la mer qu’il ne doit lui donner. S’il existe vraiment au delà de la zone torride une terre correspondante à celle que nous habitons, on peut croire encore, sans trop blesser la vraisemblance, que, prenant sa source dans cette contrée inconnue et passant au-dessous des mers intermédiaires par un lit souterrain, il reparaît ensuite dans notre hémisphère, et s’y gonfle au temps du solstice, par la raison que le pays d’où il vient a l’hiver à la même époque.

L’Égypte présente encore d’autres merveilles: on y voit une île, appelée Chemmis, sur laquelle s’élève, au milieu de forêts et de bois sacrés, un grand temple d’Apollon, errer dans un lac au gré des vents. On y trouve des pyramides construites avec des pierres de trente pieds chacune, et dont la plus grande, car elles sont au nombre de trois, a presque quatre arpents de largeur à sa base, sur autant de hauteur. Le lac Moeris, autrefois terre ferme, a vingt mille pas de circonférence, et. assez de profondeur pour porter de gros vaisseaux de charge. Le labyrinthe, ouvrage de Psammetichus, renferme trois mille maisons et douze palais dans une enceinte continue de murailles; il est fait et couvert de marbre; il n’a qu’une seule entrée, mais cette entrée se divise en une multitude presque innombrable de routes, qui se croisent, s’embrouillent et s’égarent en mille détours, pour aboutir sans cesse à des portiques; et ces portiques, tantôt décrivant des orbes les uns autour des autres, tantôt ramenant au point d’où on était parti, jettent le voyageur dans une perplexité d’où il ne se tire qu’avec la plus grande peine.

Les Égyptiens ont des usages tout à fait contraires à ceux des autres peuples. Ils se couvrent de boue dans les funérailles. Ils regardent comme une profanation de brûler ou d’enterrer les morts; mais ils les embaument et les déposent dans l’intérieur des édifices. Ils écrivent de droite à gauche. Ils pétrissent la boue avec les mains, et la farine avec les pieds. Les femmes vont sur la place et font les affaires; les hommes gardent la maison et veillent aux menus soins du ménage. Celles-là portent les fardeaux sur les épaules, et ceux-ci sur la tête; celles-là sont forcées de nourrir leurs parents dans l’indigence, ceux-ci peuvent s’en dispenser. Ils prennent leurs repas en public et hors de leurs maisons; mais ils y rentrent pour satisfaire à certains autres besoins naturels. Ils adorent, suivant la différence des lieux, les effigies d’un grand nombre d’animaux, mais plus encore les animaux eux-mêmes: de sorte qu’il y en a que c’est un crime capital de tuer, même involontairement, et quand ils meurent de maladie ou d’accident, on les ensevelit et on les pleure avec solennité. Le bœuf Apis est l’objet d’un culte commun à tous les peuples de l’Égypte; il est noir et marqué de certaines taches déterminées; sa langue et sa queue diffèrent de celles des autres bœufs. Sa naissance est un prodige rare: on prétend même qu’il n’est pas le fruit d’un accouplement ordinaire, mais que sa mère le conçoit surnaturellement d’un rayon du feu céleste; et le jour de sa naissance est pour l’Égypte un grand jour de fête. Les Égyptiens se vantent d’être le plus ancien peuple de la terre, et de posséder des annales authentiques, qui font mention de trois cent trente rois antérieurs à Amasis, et remontent à plus de treize mille ans. On y lit encore que, depuis qu’ils existent, le cours des astres a quatre fois changé de direction, et que le soleil s’est couché deux fois où il se lève actuellement. L’Égypte avait vingt mille villes sous le règne d’Amasis, et en compte encore beaucoup aujourd’hui. Les plus célèbres dans l’intérieur sont Saïs, Memphis, Syène, Bubastis, Éléphantis et Thèbes. Cette dernière est fameuse, suivant Homère, par ses cent portes, par chacune desquelles elle pouvait, au besoin, faire sortir dix mille soldats; ou, suivant d’autres, par cent palais, autrefois habités par autant de princes. Sur le bord de la mer, on distingue encore Alexandrie, qui touche à l’Afrique, et Péluse, qui touche à l’Arabie. La côte est coupée par les sept bouches, du Nil, connues sous les noms de Canopique, Bolbitique, Sébennytique, Pathmétique, Mendésienne, Cataptyste et Pélusiaque.

X. Arabie.

De cette extrémité de l’Égypte, l’Arabie s’étend jusqu’à la mer Rouge. Cette contrée, agréable et fertile dans ses parties méridionale et orientale, où elle abonde en encens et autres parfums, n’offre du côté de notre mer qu’un terrain stérile et plat, dont la monotonie n’est interrompue que par le mont Casius. Azot est, du même côté, le port où les Arabes viennent particulièrement faire trafic de leurs marchandises. Le mont Casius a tant d’élévation, que l’illumination de son sommet annonce dès la quatrième veille le lever du soleil.

XI. Syrie.

La Syrie s’étend au loin sur le bord de la mer, et plus encore dans l’intérieur des terres: elle prend çà et là des noms différents. Dans l’intérieur, on l’appelle Coelé, Mésopotamie, Damascène, Adiabène, Babylonie, Judée et Commagène; ici Palestine, sur les confins de l’Arabie; là Phénicie; et, sur les confins de la Cilicie, Antiochie. Elle fut autrefois puissante, et pendant une longue suite d’années, mais surtout sous la domination de Sémiramis. Parmi les nombreux et magnifiques travaux qui ont immortalisé le nom de cette reine, il en est deux qui l’emportent de beaucoup sur tous les autres la construction de Babylone, ville d’une merveilleuse grandeur; et cette multitude de canaux qui distribuèrent à des régions auparavant arides les eaux de l’Euphrate et. du Tigre. Cependant la Palestine possède Gaza, ville grande et très fortifiée, ainsi appelée d’un mot qui, dans la langue les Perses, signifie trésor, parce que Cambyse, allant faire la guerre à l’Égypte, y avait déposé sa caisse et ses approvisionnements militaires; Ascalon, qui n’est pas moins importante, et Jopé, bâtie, dit-on, avant le déluge. Les habitants de cette dernière ville prétendent que Céphée y régna autrefois, par la raison que d’anciens autels, qui sont chez eux l’objet d’un culte particulier, portent encore le titre de ce prince et celui de son frère Phinée; ils font voir en outre les ossements prodigieux d’un monstre marin, comme une preuve indubitable de la délivrance d’Andromède par Persée, événement si fameux dans la poésie et la fable.

XII. Phénicie.

La Phénicie doit sa célébrité à ses habitants, nation ingénieuse et également supérieure dans les travaux de la guerre et de la paix. Ils inventèrent les caractères alphabétiques et leurs divers usages, ainsi que plusieurs autres arts; ils enseignèrent à courir les mers et à se battre sur des navires, à commander aux nations: également puissants au dehors et au dedans. C’est dans la Phénicie que se trouve Tyr, qui formait autrefois une île, et tient aujourd’hui au continent par une jetée que fit construire Alexandre lorsqu’il assiégeait cette ville. Près de Tyr, et au delà de quelques bourgades, est Sidon, ville encore florissante et qui, avant de tomber au pouvoir des Perses, tenait le premier rang parmi les villes maritimes. De là jusqu’au promontoire Euprosopon on rencontre deux petites villes, Byblos et Botrys, et, au delà de ce promontoire, un lieu appelé Tripolis, à cause de trois villes qui y existaient jadis, à un stade l’une de l’autre. Plus loin est le fort Simyra, et une ville qui n’est pas sans célébrité, Marathos. A partir de ce point, la côte d’Asie, cessant de longer obliquement la mer, la regarde de face; et forme, en repliant peu à peu ses rivages sir elle-même, un golfe d’une étendue considérable. Les bords de ce golfe sont habités par des peuples riches, qui doivent leur opulence à leur situation dans un pays fertile et entrecoupé d’une multitude de fleuves navigables, qui leur fournissent les moyens d’échanger facilement les différentes productions de la mer et de là terre, et de faire un double commerce. Le premier pays que l’on rencontre sur ce golfe, est ce reste de la Syrie auquel on a donné le surnom l’Antiochie, et dont les villes maritimes sont Séleucie, Paltos, Béryte, Laodicée, Rhosos. Trois fleuves coulent entre ces villes: le Lycos, le Baudos et l’Oronte; puis vient le mont Amanus, et immédiatement après la ville de Myriandros, qui touche à la Cilicie.

XIII. Cilicie.

Au fond du golfe dont je viens de parler, est un lieu qui fut autrefois le théâtre d’une grande bataille, et le témoin de la défaite des Perses par Alexandre et de la fuite de Darius: c’est là que florissait Issus, qui aujourd’hui n’est plus rien, et d’où le golfe a pris le nom d’Issique. Loin de ce lieu s’élève le promontoire Ammodes, entre les embouchures du Pyrame et du Cydnus: le Pyrame, plus voisin d’Issus, baigne les murs de Mallos; le Cydnus, qui en est plus éloigné, se jette dans la mer en sortant de Tarse. Ensuite est une ville anciennement habitée par des Rhodiens et des Argives, et depuis par de pirates qui y furent relégués par Pompée; d’abord appelée Soles, c’est aujourd’hui Pompéiopolis. Auprès, sur une petite éminence, est le tombeau du poète Aratus, qui a cela de remarquable que les pierres qu’on y jette se brisent en éclats, sans qu’on ait pu découvrir la cause de ce phénomène. Un peu plus loin est la ville de Corycos, située sur une presqu’île, au pied de laquelle la mer forme un port; au-dessus est un antre appelé l’antre de Corycos, d’une nature si singulière et si extraordinaire, qu’il n’est rien moins que facile d’en faire la description. Cet antre présente une immense ouverture sur le sommet d’une montagne, dont la pente est assez rapide, et qui domine la mer à une hauteur de dix stades. De ce point il s’enfonce à une profondeur considérable, et s’élargit à mesure qu’il descend, environné par étages d’arbres toujours verts, dont les branches inclinées l’enveloppent dans toute la spirale d’un feuillage épais. Le charme de cette merveilleuse solitude est tel, que le curieux qui la visite est, en entrant, frappé de stupeur, et ne peut, une fois qu’il s’est familiarisé avec l’aspect du lieu, rassasier ses regards et son admiration. On n’y peut descendre que par un sentier étroit et difficile, long de quinze cents pas, à travers des ombrages frais et touffus, d’où s’échappe un certain bruit sauvage qui se mêle au murmure de mille ruisseaux qui serpentent çà et là. Quand on est arrivé au fond de cet antre, on en découvre un second, remarquable par d’autres merveilles: on est épouvanté, en y entrant, par un bruit éclatant de cymbales, qui semblent s’entrechoquer par l’effet d’une puissance surnaturelle; il est éclairé jusqu’à une certaine distance, après quoi il s’obscurcit à mesure qu’on avance, et conduit ceux qui osent s’engager dans ces ténèbres, à une gorge étroite et profonde. Là un large fleuve, qui ne fait, pour ainsi dire, que paraître, s’échappe d’une large source, et après avoir parcouru avec impétuosité un assez court espace, s’abîme et disparaît. L’intérieur de cette gorge est si effroyable, que personne n’ose y pénétrer: aussi ignore-t-on où elle aboutit. Au reste, cette solitude a, dans toutes ses parties, un caractère auguste et vraiment sacré, et digne d’être, comme on croit qu’elle l’est en effet, le séjour des dieux: tout y commande le respect, tout y est religieux et divin. Plus loin est encore une troisième caverne, appelée la caverne de Typhon; elle est étroite d’ouverture, et, au rapport de ceux qui y ont pénétré, extrêmement basse: ce qui fait qu’elle est toujours obscure et qu’on ne peut aisément en connaître l’intérieur; mais elle est remarquable sous deux rapports: elle fut autrefois, suivant la fable, la retraite de Typhon, et aujourd’hui, par une propriété naturelle, elle tue à l’instant les animaux qu’on y plonge. Au delà de la montagne sont deux promontoires: l’un, appelé Sarpédon, fut jadis la limite du royaume de Sarpédon; l’autre, appelé Anemurium, sépare la Cilicie de la Pamphylie. Entre ces deux promontoires sont les colonies samiennes de Celenderis et de Nagidos; la première est la plus voisine du cap Sarpédon.

XIV. Pamphylie.

On rencontre d’abord, dans la Pamphylie, le Mélas, fleuve navigable, la petite ville de Sida, et l’Eurymédon, autre fleuve, près de l’embouchure duquel Cimon, commandant la flotte athénienne, remporta une victoire navale sur les Phéniciens et les Perses. L’endroit de la mer où se livra le combat est dominé par une colline très élevée, sur laquelle est située Asendos, bâtie par des Argives, et ensuite occupée par des peuples du voisinage.

Plus loin sont deux autres fleuves très considérables: le Cestros, d’une navigation facile, et le Catarractes, ainsi nommé parce qu’il se précipite du haut d’un rocher. Entre ces deux fleuves est la petite ville de Perga, et un temple consacré à Diane, qui a pris de cette ville le surnom de Pergée. Au delà sont le mont Sardemisos, et Phaselis, fondée par Mopsus, à l’extrémité de la Pamphylie.

XV. Lycie.

La Lycie fait suite à la Pamphylie. Cette contrée, ainsi nommée du roi Lycus, fils de Pandion eut, dit-on, beaucoup à souffrir autrefois des éruptions volcaniques du mont Chimère; elle est située sur un grand golfe, qui s’étend entre le port de Sida et un promontoire formé par le Taurus. Le Taurus commence à la côte orientale de l’Asie, où sa hauteur est déjà assez considérable; ensuite il pousse deux branches, l’une à droite vers le septentrion, l’autre à gauche vers le midi, tandis qu’il se prolonge en ligue directe et. sans aucune interruption vers l’occident, à travers de grandes nations, que sa chaîne élevée sépare les unes des autres. Après avoir ainsi partagé les terres, il avance dans notre mer. Ce mont, connu dans son ensemble sous le nom général de Taurus, est proprement appelé de ce nom du côté de l’orient; ailleurs, on l’appelle diversement Hémodes, Caucase, Paropamise, portes Caspiennes, Niphates, portes Arméniennes, jusqu’à ce qu’enfin il reprenne, dans le voisinage de notre mer, son nom propre de Taurus. Au delà du promontoire qu’il forme sur cette côte, ont rencontre le fleuve Limyra, une cité du même nom, et un grand nombre de petites villes qui n’ont rien de remarquable, à l’exception de Patara: cette ville est célèbre par un temple d’Apollon, qui jadis ne le cédait en rien à celui de Delphes, soit pour ses richesses, soit pour l’autorité de ses oracles. Plus loin sont le fleuve Xanthus, la petite ville de Xanthos, le mont Cragus, et la ville de Telmessos, ou se termine la Lycie.

XVI. Carie.

Vient ensuite la Carie. L’origine de ses habitants est incertaine: les uns les regardent comme indigènes; selon d’autres, ce sont des Pélasges, ou des Crétois. Ils étaient autrefois tellement passionnés pour les armes et les combats, qu’ils faisaient la guerre pour autrui moyennant un salaire. A la suite de quelques forts, on trouve les promontoires Pédalion et Crya; et, sur les bords du fleuve Calbis, la petite ville de Caunus, tristement connue pour l’état valétudinaire de ses habitants. De là jusqu’à Halicarnasse, on rencontre successivement quelques colonies de Rhodiens; deux ports, entre lesquels sont situées la petite ville de Larumna et la colline Pandion, qui s’avance dans la mer: l’un s’appelle Gélos, et l’autre Tisanusa, du nom d’une ville placée sur ses bords; trois golfes rangés à la suite l’un de l’autre, sous les noms de Thymnias, Schoenus et Bubassius: le premier se termine au promontoire Aphrodisium, le second baigne Hyla, et le troisième, Cyos; enfin Cnide, sur la pointe d’une presqu’île, et Euthane, située dans un enfoncement entre Cnide et le golfe Céramique. Halicarnasse, fondée par une colonie d’Argives, outre la célébrité de son origine, est encore fameuse par le tombeau du roi Mausole, une des sept merveilles, ouvrage d’Artémise. Au delà de cette ville on voit une côte appelée Leuca, les villes de Myndos, Caryanda, Neapolis, les golfes Iasius et Basilicus. Sur le golfe Tasius est Bargylos.

XVII. Ionie.

Au delà du golfe Basilicus est l’Ionie, dont la côte este assez inégale et sinueuse. Sur les bords d’un premier golfe qui commence au promontoire Posidéen, on trouve un oracle, jadis appelé l’oracle d’Apollon Branchide, aujourd’hui l’oracle d’Apollon Didyméen; Milet, qui brillait autrefois entre toutes les villes de l’Ionie par les arts de la paix et de la guerre, et que les noms de l’astronome Thalès, du musicien Timothée, du physicien Anaximandre, et d’autres hommes illustres à qui elle a donné naissance, ont rendue justement célèbre chez tous les peuples qui ont entendu parler de l’Ionie; la ville d’Hippus, près de l’embouchure du Méandre; le Mont Latmus, où la lune devint, dit-on, éperdument amoureuse d’Endymion. Dans un second golfe est la ville de Priène et l’embouchure du Gésus, et comme ce golfe est plus large que le précédent, il renferme aussi un plus grand nombre de lieux et de villes remarquables. Là est le Panionium, lieu sacré, et ainsi nommé parce qu’il est commun à toute la confédération Ionienne; là est Phygela, qui passe pour avoir été bâtie par des fugitifs, ce que son nom semble confirmer; là est Ephèse et son célèbre temple de Diane, qui, suivant la tradition, fut bâti par les Amazones au temps de leur grande puissance en Asie; le fleuve Caystre; la ville de Lebedos; le temple d’Apollon Clarien, érigé par Manto, fille de Tirésias, lorsqu’elle se réfugia dans cette contrée pour se soustraire aux Épigones vainqueurs des Thébains, et Colophon, bâtie par son fils Mopsus. Le promontoire qui ferme ce golfe en ouvre un autre appelé golfe de Smyrne; et, comme il ne tient au continent que par une langue de terre fort étroite, il s’avance dans la mer en forme de presqu’île. Sur l’isthme on trouve d’un côté Téos, et de l’autre Clazomène; ces deux villes, adossées l’une à l’autre, et réunies par un mur commun regardent deux mers différentes. Plus avant dans la presqu’île se trouve Coryna; dans le golfe de Smyrne est l’embouchure du fleuve Hermus et la ville de Leuca. Au delà est Phocée, la dernière ville de l’Ionie.

XVIII. Eolide.

La contrée qui suit l’Ionie, devenue l’Eolide depuis qu’elle est habitée par des Éoliens, était auparavant, la Mysie, et, dans la partie qu’occupaient les Troyens sur les bords de l’Hellespont, la Troade. Sa première ville est Myrine, ainsi nommée de Myrinus, son fondateur; la suivante fut fondée par Pélops, quand, après avoir vaincu Oenomaüs, il revint de Grèce en Asie. Cymé, à la tête des Amazones, en chassa les habitants et lui donna son nom. Au-dessus est l’embouchure du Caïcus, entre la ville d’Élée et celle de Pitane, où naquit Arcésilas, cet illustre chef de l’Académie moyenne, dont la doctrine consiste à ne rien affirmer. Plus loin on rencontre la petite ville de Cana, au delà de laquelle on entre dans un golfe qui s’avance dans les terres par une courbure lente et insensible, et repousse peu à peu les côtes jusqu’au pied du mont Ida. Le premier côté de ce golfe est semé de petites villes, dont la plus célèbre est Cisthène, puis au fond, et dans une plaine appelée Thèbes, les petites villes d’Adramyttios, d’Astyra et de Chrysa, rangées à la suite l’une de l’autre dans l’ordre où je viens de les nommer, et sur l’autre côté Antandre, nom dont on rapporte l’origine à deux causes différentes. Les uns prétendent qu’Ascagne, fils d’Énée et roi du pays, étant tombé au pouvoir des Pélasges, leur abandonna cette ville pour rançon; d’autres pensent qu’elle fut fondée par des habitants d’Andros, qu’une violente sédition avait chassés de leur île. Ainsi, dans le système de ceux-ci, Antandrus veut dire à la place d’Andros, et dans le système de ceux-là, à la place d’un homme. En suivant la côte, on arrive à Gargare et Assos, colonies éoliennes, puis à un autre golfe appelé Ἀχαιῶν λιμήν [port des Achéens], dont les rivages sont peu éloignés d’Ilion, ville à jamais mémorable par sa guerre de dix ans et sa ruine. Là était la petite ville de Sigée; là était le camp des Achives; là descendent du mont Ida le Scamandre et le Simoïs, fleuves célèbres, mais pour qui la renommée a plus fait que la nature. Le mont Ida, fameux par l’ancienne dispute des trois déesses et le jugement de Paris, présente le lever du soleil sous un aspect différent de ce qu’il est partout ailleurs. De son sommet, et presque dès le milieu de la nuit, on voit briller çà et là des feux épars qui, à mesure que le jour approche, semblent se rapprocher et devenir moins nombreux, jusqu’à ce qu’enfin ils ne fassent plus qu’un seul faisceau de lumière; cette flamme, après avoir jeté pendant longtemps une clarté vive et semblable à celle d’un incendie, se resserre encore et s’arrondit sous la forme d’un vaste globe. Ce globe à son tour conserve longtemps la même grandeur, et paraît comme attaché à la terre; puis, décroissant peu à peu et devenant plus éclatant à mesure qu’il décroît, il finit par chasser les dernières ombres de la nuit, et, se confondant avec le soleil, s’élève sur l’horizon. Au delà du golfe sont les rivages rhétéens, célèbres par les villes de Rhétée et de Dardanie, mais surtout par le tombeau d’Ajax. A partir de ce point, les terres se rapprochent, et la mer, cessant de flotter sur les rivages, les divise de nouveau en s’y frayant un étroit passage, sous le nom d’Hellespont, de sorte que les deux côtés opposés des continents deviennent une seconde fois les flancs d’un détroit.

XIX. Bithynie, Paphlagonie et autres contrées pontiques et méotiques sur la côte d’Asie.

Dans l’intérieur sont les Bithyniens et les Mariandyns; sur les bords du détroit sont les villes grecques d’Abydos, de Lampsaque, de Parion et de Priapos. Abydos est célèbre par les aventures touchantes de deux amants. Lampsaque fut ainsi nommée par une colonie de Phocéens qui, ayant demandé à l’oracle dans quel pays il leur serait le plus avantageux d’aller s’établir, en reçurent l’avis de se fixer dans le premier lieu où un éclair viendrait frapper leur vue. Plus loin, la mer s’élargit de nouveau sous le nom de Propontide. Là se jette le Granique, sur les bords duquel se livra la première bataille entre les Perses et Alexandre. Au delà de ce fleuve, sur l’isthme d’une presqu’île, est la ville de Cyzique, ainsi appelée du nom d’un certain Cyzicus, que les Minyes, faisant voile pour Colchos, tuèrent, dit-on, involontairement dans une mêlée. Viennent ensuite Placie et Scylace, petites collines pélasgiques, derrière lesquelles s’élève une montagne que les habitants du pays appellent l’Olympe Mysien. De cette montagne sort le Rhyndaque, qui arrose le pays qui s’étend au delà. Sur les bords de ce fleuve on trouve des serpents énormes, qui ne sont pas moins étonnants à cause de leur grandeur qu’à cause de la faculté qu’ils ont, en sortant du fleuve, où ils vont chercher un abri contre la chaleur et le soleil, d’attirer et d’engloutir dans leurs gueules béantes les oiseaux qui passent au-dessus d’eux, malgré la hauteur et la rapidité de leur vol. Au delà du Rhyndaque est Dascylos, et Myrlée, bâtie par les Colophoniens; puis deux petits golfes, dont l’un, qui n’a point de nom, baigne Cios, entrepôt très avantageux de la Phrygie, contrée voisine; l’autre, appelé Olbianos, longe un promontoire, sur lequel s’élève un temple de Neptune, et, dans son enfoncement, Astacos, fondée par des Mégariens. Ensuite les terres se rapprochent une troisième fois, et resserrent la mer dans un canal plus étroit encore, par où elle s’échappe dans le Pont. C’est, comme je l’ai dit, le Bosphore de Thrace, qui sépare l’Europe de l’Asie par un intervalle de cinq stades. Dans la gorge du détroit est une petite ville, et à son embouchure un temple. La ville, appelée Calchédon, fut fondée par Archias, chef d’une colonie de Mégariens; le temple, consacré à Jupiter, fut bâti par Jason. Là se déploie la grande mer Pontique, entre deux rivages qui s’étendent au loin en ligne droite, et dont la continuité n’est interrompue que par les promontoires opposés et correspondants de cette mer, après quoi ils se replient de chaque côté, moins par un rapprochement brusque et direct, que par une courbure presque insensible, qui aboutit de part et d’autre à un petit angle: ce qui donne au contour de ces rivages la forme d’un arc à la scythe. La mer Pontique est semée de bas-fonds, difficile, couverte de brouillards; les rades y sont rares; ses rivages sont sans vase ni sable; elle avoisine les aquilons et comme elle n’est pas profonde, elle est mobile et tumultueuse. Elle fut d’abord appelée Axenus, à cause de l’extrême férocité des peuples situés sur ses bords, et ensuite Euxinus, lorsque leurs mœurs se furent un peu adoucies par leur commerce avec les autres nations. On rencontre d’abord une ville habitée par des Mariandyns, à qui elle fut donnée, dit-on, par l’Hercule Argien. Elle s’appelle Héraclée, et son nom confirme la tradition. Auprès est la caverne Acherusia, qui, dit-on, conduit aux enfers, et par où l’on croit que Cerbère en fut arraché. Vient ensuite Tios, petite ville habitée par une colonie de Milésiens, mais faisant aujourd’hui partie du territoire et du peuple paphlagonien. A peu près au milieu des côtes de la Paphlagonie est le promontoire Caramnis. En deçà sont le fleuve Parthenius, les villes de Sésame et de Cromne, et celle de Cytore, bâtie par Cytisorus, fils de Phryxus; puis Cinolis, Anticinolis, et Armène qui termine cette contrée.

Les Chalybes viennent immédiatement après. Leurs villes les plus célèbres sont Amise, et Sinope, patrie de Diogène le Cynique, et leurs plus grands fleuves sont l’Halys et le Thermodon. Sur les bords de l’Halys est Lycasto, et le Thermodon arrose une plaine, où était la petite ville de Thémiscyrium, et qu’on appelle la plaine Amazonienne, parce que les Amazones y établirent autrefois leur camp. Après les Chalybes viennent les Tibaréniens, pour qui rire et jouer est le souverain bien. Au delà du promontoire Carambis, les Mossyniens logent dans des tours de bois, se stigmatisent toutes les parties du corps, mangent en public et couchent pêle-mêle hors de leurs habitations. Ils élisent leurs rois, les tiennent enchaînés et les font garder très étroitement, et pour la moindre faute qu’ils commettent dans leur administration, ils les privent de nourriture pendant tout un jour. Ils sont, au reste, durs, grossiers et très inhumains pour les étrangers. Quoiqu’avec des mœurs aussi grossières, leurs voisins, les Macrocéphaliens, les Béchériens, les Buzériens sont moins féroces. Ils ont peu de villes: les plus remarquables sont Cérasunte et Trapézunte. Là se termine la côte qui commence au Bosphore; et à partir de ce point, elle se courbe, et, s’unissant à l’extrémité de la côte opposée, elle resserre le Pont-Euxin dans un angle très étroit. Sur ce rivage sont les Colchidiens, l’embouchure du Phase, et une petite ville du même nom, fondée par le Milésien Thémistagoras; un temple de Phryxus, et un bois sacré, fameux par l’ancienne fable de la toison d’or. C’est de là que part cette longue chaîne de montagnes qui va se joindre à celle des monts Riphées, et qui, s’avançant d’un côté vers le Pont-Euxin, le Méotide et le Tanaïs, de l’autre vers la mer Caspienne, est connue sous le nom général de monts Cérauniens. Ces mêmes monts sont appelés particulièrement, selon les pays qu’ils traversent, Tauriques, Moschiques, Amazoniques, Caspiens, Coraxiques, Caucasiens. Sur le premier enfoncement qu’on rencontre dans la courbe que décrit la côte, est une petite ville, dont on attribue la fondation à des marchands grecs, qui, dans l’obscurité d’une tempête, ne sachant sur quelle côte ils avaient été emportés, se reconnurent au chant d’un cygne ce qui leur donna l’idée de donner le nom de cet oiseau à la ville qu’ils bâtirent. Le reste du rivage est habité par des peuples féroces et grossiers, tels que les Mélanchlènes, les Serriens, les Syraces, les Coliciens, les Coraxiens, les Phthirophagiens, les Hénioques, les Achéens, les Cercéticiens, et, sur les confins du Méotide, les Sindons. Dioscoriade, limitrophe du pays des Hénioques, fut fondée par Castor et Pollux, qui accompagnèrent Jason sur le Pont-Euxin. Sindos, dans le pays des Sindons, fut bâtie par les habitants du pays. Vient ensuite une contrée, d’une médiocre largeur, qui s’étend obliquement vers le Bosphore, entre le Pont et le Méotide, et dont le Corocondame, fleuve qui se jette dans le lac par une embouchure et dans la mer par une autre, forme, en l’entourant de ses deux bras, une espèce d’île. On y rencontre quatre villes, Hermonassa, Cèpes, Phanagorie, et à l’entrée même du lac, Cimmerium. Ce lac est d’une grande étendue en longueur et en largeur. Loin du Pont-Euxin, ses rivages forment une courbe; plus près de cette mer, si ce n’est à l’endroit où le lac commence, ils s’étendent en ligne droite: de sorte que, à la grandeur près, le Méotide est presque semblable au Pont-Euxin. La côte qui s’étend du Bosphore au Tanaïs est habitée par les Méoiciens, les Torètes, les Arrèques, les Phicores, et à l’embouchure du fleuve, par les Ixamates. Chez ces peuples, les femmes partagent tous les travaux des hommes, jusqu’à ceux de la guerre. Les hommes combattent à pied et avec la flèche; les femmes combattent à cheval, et n’ont d’autres armes que des filets, au moyen desquels elles enveloppent leurs ennemis et les font périr en les traînant après elles. Elles se marient néanmoins, mais la faculté de se marier ne dépend pas de l’âge nubile, et elles sont condamnées à la virginité jusqu’à ce qu’elles aient donné la mort à un ennemi. Le Tanaïs descend du mont Riphée, et coule avec tant d’impétuosité, que tandis que le froid enchaîne les fleuves voisins, le Méotide, le Bosphore et même quelques parties du Pont, ses eaux, également insensibles aux feux de l’été et aux frimas de l’hiver, conservent la même nature et la même rapidité. Ses rives et leurs environs saut habités par les Sauromates, qui, quoique ne formant qu’une seule nation, sont partagés en différents peuples, qui ont des noms particuliers. Les premiers sont les Méotides, γυναικοκρατούμενοι, sujets des Amazones, qui vivent dans des campagnes abondantes en pâturages, mais stériles en toute autre production. Les Budins habitent une ville construite en bois, qu’on appelle Gélonos. Près d’eux, les Thyssagètes et les Iyrces font leur demeure dans de vastes forêts et se nourrissent de leur chasse. Au delà, ce ne sont que des rochers, dans une région âpre et déserte, jusqu’au pays des Arimphéens. Ceux.ci sont singulièrement amis de la justice; ils vivent dans les bois, et se nourrissent de fruits sauvages; ils sont tous chauves, hommes et femmes: aussi les regarde-t-on comme sacrés; et ils sont tellement respectés des peuples même les plus barbares, que quiconque se réfugie chez eux y trouve un asile inviolable. Au delà s’élève le mont Riphée, et au delà de ce mont est la côte qui regarde l’Océan.