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LES QUATRE LIVRES DES STRATAGÈMES DE SEXTUS JULIUS FRONTIN.

TABLE DES CHAPITRES DU TROISIÈME LIVRE.

CHAP. I. D'un coup de main.
CHAP. II. Pour tromper les assiégés.
CHAP. III. Divers moyens de surprendre des places par trahison.
CHAP. IV. Pour occasionner la disette chez les ennemis.
CHAP. V. Pour faire croire qu'on veut continuer un siège.
CHAP. VI. Pour ruiner les garnisons ennemies.
CHAP. VII. Pour détourner le cours d'un fleuve et ôter l'eau à ses ennemis.
CHAP. VIII. Pour intimider les assiégés.
CHAP. IX. Pour porter l'attaque sur le point où on ne l'attend pas.
CHAP. X. Pour faire donner les assiégés dans une embuscade.
CHAP. XI. Pour feindre une retraite.
CHAP. XII. Pour rendre les siens plus vigilants.
CHAP. XIII. Pour faire entrer et sortir un porteur de dépêches.
CHAP. XIV. Pour faire entrer du secours ou des vivres dans une place.
CHAP. XV. Pour faire croire que l'on a ce dont on manque.
CHAP. XVI. Pour gagner ceux qui sont suspects ou pour s'en défaire.
CHAP. XVII Des sorties.
CHAP. XVIII. De la résolution des assiégés.

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE PREMIER.

D'un coup de main.

Le consul T. Quintius, après avoir défait en bataille les Èques et les Volsques, forma le dessein de forcer Antium. Il rassemble ses soldats, leur représente combien la prise de cette place est nécessaire et facile, pourvu qu'on n'en retarde point l'exécution, et les voyant bien résolus, les mène sans tarder à l'assaut.

M. Caton ayant remarqué qu'il pouvait emporter une place par surprise, fit en deux jours le chemin de quatre journées, et trouvant les habitants qui n'étaient pas sur leurs gardes, se rendit maître de leur ville. Comme on s'étonnait, depuis, d'un si heureux succès, et qu'on lui en demandait la cause, il n'en donna point d'autre, que la diligence.

CHAPITRE II.

Pour tromper les assiégés.

Domitius Calvinus, assiégeant Luna, ville des Ligures, place forte et bien gardée, ne faisait autre chose que de tourner autour, presque tous les jours avec toutes ses troupes ; ce qui fit croire à la fin aux assiégés qu'il n'avait pas envie de les attaquer, et que son dessein, n'était que d'exercer ses soldats. Mais un jour qu'ils n'étaient pas sur leurs gardes, Calvinus donna l'assaut de tous côtés, et ayant escaladé le rempart, les contraignit de se rendre à discrétion.

Le consul C. Duilius étant devant une place avec son armée navale, exerçait de temps en temps ses soldats et sa chiourme, sans rien entreprendre ; puis tout d'un coup comme les ennemis ne se doutaient de rien, il donna l'assaut, et emporta la place.

Hannibal prit plusieurs villes d'Italie, en y faisant entrer quelques-uns des siens, qui sachant parler la langue et étant habillés à la romaine, passaient pour être du même pays.

Les Arcades s'étant campés devant un fort des Messéniens où les alliés entraient en garnison tour à tour, ils s'équipèrent comme eux, surent profiter du moment où l'on changeait la garnison, et envoyèrent quelques-uns des leurs faire semblant de la venir relever. Par ce moyen, ils se rendirent maîtres de la place.

Cimon, général des Athéniens, voulant s'emparer d'une place de la Carie, mit le feu à un temple de Diane qui était hors de la ville, et brûla aussi un bois sacré. Les assiégés sortirent en foule pour éteindre l'embrasement et Cimon se rendit maître de la ville ; car il ne restait plus personne pour la garder.

Alcibiade s'étant approché de la ville d'Agrigente, qui était très bien fortifiée, demanda audience publique, et comme il haranguait dans l'assemblée et que chacun l'écoutait avec attention il fit entrer ses troupes, et se rendit maître de la place ayant tout préparé pour le coup de main.

Épaminondas le Thébain apprit que des Arcadiennes étaient sorties en grand nombre un jour de fête. Il habilla quelques-uns de ses gens en femmes, qui rentrèrent dans la ville le soir parmi la foule et s'étant saisis des portes, les livrèrent aux autres.

Aristippe, de Lacédémone, un jour de fête que tous les Tégéates étaient dehors pour assister à un sacrifice en l'honneur de Minerve, chargea quelques chevaux avec des sacs qui contenaient ordinairement du blé, les remplit de paille, et les fit escorter par des soldats habillés en paysans, qui entrèrent sans faire naître de soupçons, et se saisirent des portes.

Antiochus, à l'attaque d'une place de Cappadoce, surprit des bêtes de charge qu'on faisait sortir pour aller chercher des vivres, et ayant tué ceux qui les conduisaient, donna leurs habits à quelques soldats, qui rentrèrent sous cet équipage, comme s'ils eussent ramené du blé, se saisirent des portes, et les livrèrent aux leurs.

Les Thébains désespérant de prendre le port de Sicyone, remplirent un immense vaisseau de soldats, et chargèrent le dessus de marchandises, pour la montre. Quelques-uns d'entre eux s'approchèrent ensuite de la ville à l'endroit qui était le plus éloigné du port, et il en vint d'autres du vaisseau qui engagèrent une querelle avec eux. Mais tandis que les habitants accouraient pour les séparer, les gens du vaisseau se saisirent du port abandonné, et ensuite de la ville.

Thymarque l'Étolien ayant tué Charmade, préfet du roi Ptolémée, se vêtit de ses habits, et se saisit du port de Samos après avoir été reçu, sans soupçon sous cet équipage.

CHAPITRE III.

Divers moyens de surprendre des places par trahison.

Le consul Papirius Cursor, ayant corrompu Milon qui commandait la garnison de Tarente, celui-ci pour consommer sa trahison, persuada aux Tarentins de le députer vers le consul, et au retour il les amusa par de belles promesses ; de sorte que les Tarentins s'étant relâchés, Milon livra la ville.

M. Marcelus, au siège de Syracuse, apprit d'un traître, nommé Sosistrate, qu'on devait relever les gardes certain jour de fête, pendant lequel Epéryde donnait un festin solennel aux habitants. Au milieu de l'allégresse publique, Marcellus escalada les remparts, tua le peu de monde qui gardait les portes, et fit entrer l'armée romaine.

Tarquin-le-Superbe ne pouvant prendre la ville de Gabie, envoya son fils comme transfuge, après l'avoir fait fouetter jusqu'au sang. Les habitants, trompés par les apparences, lui confièrent le commandement, et il livra la place à son père. C'est ainsi que Zopyre rendit Cyrus maître de Babylone, après s'être déchiré le visage, et avoir été reçu par les habitants comme un courtisan disgracié.

Philippe ne pouvant entrer dans Samos, corrompit le gouverneur, qui fit placer à l'entrée de la porte un chariot chargé de grosses pierres, pendant que les habitants, faisaient une sortie ; de sorte qu'au retour étant poursuivis chaudement, ils furent presque, tous tués dans l'embarras du passage.

Hannibal ayant corrompu un habitant de Tarente, où il y avait une garnison romaine, ce Tarentin sortait de nuit, comme pour aller à la chasse, et revenait chargé de gibier et de venaison, dont il faisait présent au gouverneur ; ce qui lui donnait la liberté de rentrer à toute heure. Lorsque Hannibal vit que l'on ne concevait aucun soupçon, et que les absences fréquentes du Tarentin passaient en habitude, il équipa en valets de chasse des soldats, qui rentrant avec lui, poignardèrent le corps-de-garde, et surprirent la ville. Hannibal fit main basse sur tous les Romains qui s'y trouvaient à l'exception de ceux qui se sauvèrent dans la forteresse.

Lysimachus, roi de Macédoine, assiégeait Éphèse. Ayant remarqué que les habitants donnaient retraite à un pirate qui revenait souvent au port chargé de butin, il trouva moyen de le corrompre, et le renvoya dans le port avec plusieurs Macédoniens enchaînés, qui prirent des armes dans la forteresse, et livrèrent la ville à ce prince.

CHAPITRE IV.

Pour occasionner la disette chez les ennemis.

Fabius Maximus, ayant ravagé les terres de ceux de Capoue se retira après la moisson, pour donner la facilité aux habitants de semer le peu de blé qui leur restait ; mais il revint bientôt et les prit par famine. Antigonus usa du même stratagème contre les Athéniens.

Denis le tyran voulant attaquer ceux de Rhége qui avaient des troupes nombreuses les pria de lui fournir des vivres pour de l'argent, feignant d'avoir d'autres desseins ; et lorsqu'ils l'eurent fait, il les assiégea et les prit par famine. On dit qu'il fit la même chose contre ceux d'Himère.

Alexandre voulant attaquer Leucadie, qui était bien approvisionnée, alla prendre tous les forts qui étaient aux environs, et permit à ceux qui s'y trouvaient de se retirer dans la ville, afin de l'affamer plus promptement.

Phalaris, tyran d'Agrigente, ayant affaire quelques places fortes de Sicile, fit semblant d'entrer en accommodement avec elles, et pour mieux les tromper, leur laissa en dépôt les provisions de son armée, avec ordre à ceux qui les gardaient, de les laisser corrompre. Sur la confiance que leur donnaient ces vivres, les habitants consommèrent les leurs. Phalaris revint mettre le siège à l'entrée de la campagne, et les prit par famine.

CHAPITRE V.

Pour faire croire qu'on veut continuer un siège.

Cléarque, de Lacédémone, faisait la guerre aux Thraces. Ayant appris qu'ils s'étaient retirés sur les montagnes avec tout ce qu'ils possédaient, dans la croyance que lui, Cléarque, serait contraint d'abandonner le pays faute de vivres, il fit égorger un esclave en présence de leurs députés, et en ayant distribué la chair aux soldats, donna à penser ainsi à ces peuples qu'il souffrirait tout, plutôt que de se retirer ; de sorte qu'ils se rendirent à lui.

Tibérius Gracchus dit aux Lusitaniens, qui se vantaient d'avoir pour dix ans de vivres, qu'il les prendrait la onzième année ; ce qui ébranla leur résolution, et les obligea de traiter avec lui.

Comme on disait devant A. Torquatus, qui assiégeait une ville grecque, que la jeunesse, y était fort exercée aux armes : tant mieux, répliqua-t-il, nous la vendrons plus chèrement, quand nous l'aurons prise.

CHAPITRE VI.

Pour ruiner les garnisons ennemies.

Scipion voyant qu'Hannibal de retour en Afrique, avait mis garnison dans plusieurs petites places dont l'occupation lui était utile, envoya ses gens autour pour les inquiéter, et quelquefois il s'en approchait lui-même comme pour les assiéger sérieusement, puis se retirait tout à coup, feignant d'éprouver des craintes. Sur cette apparence, Hannibal fit sortir toutes ses garnisons pour le venir attaquer, et il lui donna moyen de se rendre maître de ces places, aidé par Massinissa et les Numides.

P. Cornelius Scipion voyant la difficulté qu'il y avait à attaquer une ville où tous les peuples du pays s'étaient renfermés, fit semblant de diriger ses vues sur les places voisines, et obligea ces peuples d'accourir à leur défense, après quoi il prit la ville saris danger.

Pyrrhus, roi d'Épire, désespérant de prendre la capitale de l'Illyrie, se mit à former le siège des autres places, afin que ceux qui gardaient cette ville, et qui avaient une grande confiance dans sa force, l'abandonnassent pour secourir les autres. Cette ruse ayant réussi, Pyrrhus revint fondre dessus avec toutes ses forces, et la surprit sans défense.

Le consul Cornelius Rufinus, après avoir assiégé plusieurs jours la ville de Crotone, sans pouvoir la prendre à cause de la garnison, leva tout à coup le siège, et laissant échapper un prisonnier qu'il avait corrompu par de grandes récompenses, fit dire par lui aux habitants qu'il se retirait. Cette résolution engagea les habitants de Crotone à renvoyer leur garnison, et C. Rufinus, qui se présenta à l'improviste devant la ville, la prit sans peine.

Magon, général des Carthaginois, tenant Cn. Pison assiégé dans une tour, après l'avoir défait, jugea bien qu'on accourait à son secours ; et pour l'empêcher, fit courir le bruit par un transfuge, qu'il avait pris Pison. Cette nouvelle arrêta ceux qui se préparaient à le secourir, et acheva sa victoire.

Alcibiade voulant prendre Syracuse, envoya un habitant de Catane, dont il semblait vouloir faire le siège, dire à l'assemblée des Syracusains, que s'ils voulaient secourir la place, elle se faisait fort de défaire Alcibiade. Sur ce rapport ils accoururent, et donnèrent la facilité aux Athéniens d'investir leur ville.

Cléonyme d'Athènes, voulant attaquer les Trézéniens, qui résistaient avec le secours de Cratérus, fit jeter, au moyen des javelots, quelques billets dans la ville, pour annoncer qu'il venait de délivrer les habitants de la tyrannie de Cratérus ; comme il avait renvoyé en même temps quelques prisonniers afin d'exciter la révolte il s'approcha de la place, et la surprit au milieu de ses dissensions

CHAPITRE VII

Pour détourner le cours d'un fleuve et ôter l'eau à ses ennemis.

P. Servilius Isauriens prit la ville qui lui a donné ce nom en détournant une rivière qui fournissait l'eau aux assiégés ; car il les contraignit par-là à se rendre.

César, assiégeant une place des Cadurques, dans la Gaule, détourna les fontaines qui portaient l'eau vers la ville, et plaça des archers qui empêchèrent les habitants de venir puiser à la rivière qui coulait au pied ; ce qui les obligea à se rendre.

Q. Métellus, en Espagne, inonda le camp ennemi qui était dans un vallon par le moyen d'un ruisseau qui coulait au-dessus ; et comme il vit les Espagnols qui décampaient en désordre, il leur dressa une embuscade, où il les défit entièrement.

Alexandre assiégeant Babylone, qui est séparée en deux par l'Euphrate, la prit au moyen de la rivière qu'il mit à sec, après avoir détourné le cours de l'eau. On dit que Sémiramis avait fait la même chose avant lui.

Clisthènes de Sycione, assiégeant une ville, détourna l'eau d'un aqueduc, et l'ayant corrompue avec de l'ellébore, lui rendit son cours ordinaire. Les habitants en burent avec avidité et furent pris d'un flux de ventre qui ne leur permit pas de défendre leurs remparts.

Les Lacédémoniens s'emparèrent d'une ville, en tirant une chaussée à travers la rivière qui coulait par le milieu, et faisant remonter l'eau ; ce qui ébranla le fondement des maisons et des murs de la place.

CHAPITRE VIII.

Pour intimider les assiégés.

Philippe, au siège d'une forteresse, fit amasser quantité de terre au pied de la muraille, comme s'il l'eût tirée par la sape : les assiégés, qui se crurent minés, consentirent à se rendre.

Pélopidas voulant prendre deux places qui n'étaient pas fort éloignées, se campa devant l’une, et fit paraître publiquement quatre cavaliers avec des guirlandes sur leur tête, comme s'ils venaient annoncer la prise de l'autre. Pour mieux établir cette opinion, il ordonna de mettre le feu à un bois qui séparait ces deux villes, voulant faire croire que c'était la ville même qui brûlait ; et on lui présenta des captifs ; ce qui étonna tellement les assiégés, qu'ils n'osèrent résister plus longtemps.

Cyrus ayant renfermé Crésus dans Sardes, dressa la nuit, du côté où la montagne était inabordable de grands mâts qui égalaient la hauteur du mur ; et ayant mis au haut de ces mâts des mannequins armés à la perse, il ordonna de faire au point du jour une attaque générale de l'autre côté. Le soleil venant à donner sur ces mannequins, fit briller leurs armes, et épouvanta les habitants, qui se crurent pris par là ; de sorte qu'ils abandonnèrent leurs défenses.

CHAPITRE IX.

Pour porter l'attaque sur le point où on ne l'attend pas.

Au siégé de Carthagène, Scipion conduit par un dieu, comme il le disait, s'approcha des murailles du côté où elles étaient baignées par les eaux, et au moment de la retraite de la marée, il prit la ville par le point où on ne l'attendait pas.

Fabius Maximus, fils de Fabius Cunctator, assiégeant une place où Hannibal avait garnison fit monter la nuit six cents soldats, au moyen des échelles, à l'endroit qui était le plus fort, et le moins gardé, tandis qu'il attaquait ailleurs. Les assiégés étant accourus sur le point le plus faible, les soldats entrèrent de l'autre côté, à la faveur d'un orage dont le bruit couvrait celui de l'attaque. Ils brisèrent ensuite les portes et livrèrent la place à leurs gens.

Marius, lors de la guerre contre Jugurtha, assiégeant une forteresse assise sur le haut d'un rocher, où l'on ne pouvait parvenir que par un sentier étroit et difficile, apprit qu'un soldat Ligurien qui cherchait des escargots sur le flanc de la montagne, était parvenu de ce côté jusqu'à la plate-forme de la forteresse. D'après cette découverte, Marius choisit quelques centurions avec des soldats éprouvés, leur ordonnant de marcher la tête et les pieds nus, pour mieux voir où ils posaient le pied et l'assurer davantage comme aussi de fixer leur épée et leur bouclier sur le dos afin d'être plus libres dans leurs mouvements. Ces hommes partirent sous la conduite du Ligure. Ils s'appuyaient sur un javelot pour faciliter leur marche et parvinrent ainsi vers les derrières de la forteresse qui étaient entièrement abandonnés. Suivant leurs instructions, ils sonnèrent la charge, firent beaucoup de bruit, et Marius exhortant les siens à profiter du désordre des assiégés qui se croyaient pris par là, força les défenses et se rendit maître de la citadelle.

Le Consul L. Cornelius prit plusieurs villes de Sardaigne en débarquant ses meilleures troupes la nuit dans un endroit à couvert, et le matin venant aborder d'un autre côté avec ses navires car tandis que les ennemis accouraient en foule, pour s'opposer à la descente, et qu'il les attirait à dessein le plus loin qu'il pouvait de leur ville, ceux qu'il avait mis en embuscade, prenant leur temps, emportaient la place.

Périclès, général des Athéniens, assiégeant une ville qui se défendait vigoureusement, fit sonner les trompettes la nuit et jeter des cris, du côté qui regardait la mer. L'ennemi croyant être pris de ce côté, se sauva par l'autre porté, et livra l'entrée à Périclès.

Alcibiade s'étant approché la nuit de Cyzique pour y donner l'assaut, fit sonner les trompettes du côté où il n’était pas, et les ennemis étant accourus, il prit le rempart abandonné.

Trasybule, général des Milésiens, voulant se rendre maître du port de Sycione, fit faire quelques fausses attaques du côté de la terre ; et après avoir attiré les ennemis par là, se saisit tout-à-coup du port avec sa flotte.

Philippe, à l'attaque d'une place maritime, ordonna de dresser secrètement sur deux vaisseaux des tours à plusieurs étages ; et comme il donnait l'assaut du côté de la terre, il les fit approcher tout d'un coup par mer et prit la ville.

Périclès assiégeant dans le Péloponnèse une forteresse, où il n'y avait que deux avenues, tira un grand retranchement autour de l'une pour empêcher les sorties, et fit ses approches contre l'autre. Lorsque l'ennemi eut tourné toutes ses forces vers l'endroit qu'on attaquait, Périclès fit jeter des ponts sur son retranchement, et prit la ville par l'endroit où elle n'était pas gardée.

Antiochus, au siège d'Éphèse, fit attaquer le port, la nuit, par la flotte de Rhodes, qui était à son service ; mais lorsque tout le monde se fut porté sur ce point il prit la ville de l'autre côté.

CHAPITRE X.

Pour faire donner les assiégés dans une embuscade.

Caton forma l'attaque d'une place en Espagne avec les plus faibles troupes, après avoir mis les meilleures en embuscade ; et comme les assiégés faisaient une sortie et poussaient les attaquants qui pliaient, à dessein, l'embuscade se leva derrière eux, et prit la ville.

Scipion s'étant retiré en désordre devant une place dont il faisait le siège en Sardaigne et les assiégés le poursuivant vivement : une partie de ses troupes qu'il avait cachées près de la ville, s'en saisit.

Hannibal, au siège d'Himère, laissa exprès emporter son camp par l’ennemi ; mais tous ceux qui gardaient la ville étant accourus au pillage, il la prit de même, au moyen de soldats qu'il avait cachés autour de la ville dans ce dessein.

Une autre fois, pour tirer les Sagontins hors de leur ville, il s'approcha de la muraille avec quelques troupes, et prit la fuite à la première sortie, mais comme les assiégés s'emportaient trop loin, ils furent coupés par le gros de l’armée, et taillés en pièces.

Himilcon, général des Carthaginois, assiégeant la ville d'Agrigente, mit une partie de ses gens en embuscade près de la place, avec ordre lorsqu'on ferait une sortie, et qu'on serait un peu éloigné, de mettre le feu à du bois vert, qu'on avait préparé dans cet endroit. Ensuite s'étant approché des murailles, sur le point du jour, avec le reste de ses troupes, et les assiégés ayant fait une sortie, Himilcon plia jusqu'à ce qu'il les eût attirés assez loin du mur. Alors le bois ayant été allumé, et les habitants voyant monter la fumée, ils retournèrent sur leurs pas, car ils croyaient leur ville en feu. On les enveloppa de tous côtés, et ils furent taillés en pièces.

Viriathus ayant mis ses gens en embuscade près d'une ville, envoya enlever le bétail et lorsque toute la ville fut sortie à la rescousse, il éloigna les habitants le plus qu'il put des murailles ; de sorte qu'ils furent coupés par ceux qui étaient en embuscade, et taillés en pièces.

Comme Lucullus était en garnison dans Héraclée, la cavalerie des Scordisques se présenta pour enlever des troupeaux ; ensuite elle feignit de prendre la fuite, attira Lucullus dans une embuscade, et il y périt avec huit cents des siens.

Charès, général en chef des Athéniens, voulant attaquer une place maritime, cacha ses vaisseaux derrière un cap, et envoya le plus léger passer à la vue du port. Les galères qui le gardaient, étant sorties aussitôt pour le poursuivre, il se saisit du port abandonné, et ensuite de la ville.

Les Romains attaquant par mer et par terre la ville de Lylibée en Sicile, Barca, général des Carthaginois, fit paraître de loin une partie de sa flotte, et lorsqu'il eut attiré contre elle celle des Romains, il entra dans le port avec les autres vaisseaux qu'il tenait cachés aux environs.

CHAPITRE XI.

Pour feindre une retraite.

Phormion, général des Athéniens, après avoir ravagé les terres de la Calcide, fit très bon accueil des députés qui venaient se plaindre. Mais la nuit qu'ils devaient s'en retourner, il feignit de recevoir des lettres de son pays qui l'obligeaient à partir ; et décampa en leur présence. Les Députés rapportèrent ce fait à leurs concitoyens, de sorte que la garde se relâcha, tant à cause de ce départ, que parce que l'on se souvenait de la bienveillance de Phormion. Cependant celui-ci étant revenu sur ses pas, s'empara de la ville.

Agésilaus assiégeant les Phocéens, et ayant appris que la garnison souffrait beaucoup se retira comme s'il projetait une autre entreprise ; mais lorsqu'elle fut sortie, il retourna brusquement sur la place et s'en rendit maître.

Alcibiade ayant dressé une embuscade à ceux de Byzance qui ne voulaient pas sortir de leur ville, fit semblant de se retirer et les prit par cette embuscade, lorsqu'ils ne se doutaient de rien.

Viriathus, après une feinte retraite, fit en un jour le chemin de trois journées, et surprenant les assiégés, occupés à des sacrifices, emporta leurs murailles.

Épaminondas, qui était campé devant Mantinée, vit que les Lacédémoniens étaient accourus au secours de cette ville, et crut pouvoir prendre Lacédémone, s'il y arrivait sans être aperçu. Il fit donc allumer la nuit quantité de feux, afin de cacher son départ : mais ayant été trahi par un transfuge ; et se voyant suivi des Lacédémoniens, il changea de dessein, décampa la nuit suivante, après avoir allumé de nouveau quantité de feux, retourna en toute diligence à Mantinée, et la prit après avoir fait quarante milles.

CHAPITRE XII.

Pour rendre les siens plus vigilants.

Comme les Lacédémoniens assiégeaient Athènes, Alcibiade craignant que la garde de la ville ne se relâchât la nuit, ordonna sous des peines très sévères, qu'on eût l'œil fixé sur les flambeaux qu'il ferait paraître de la forteresse, afin d'en élever en même temps de semblables par tous les corps-de-garde. Cela obligea les habitants à veiller toute la nuit, et fut cause qu'on ne pût former aucune entreprise contre la ville.

Iphicrate, général des Athéniens, étant en garnison à Corinthe, et faisant la ronde, lorsqu'on attendait l'apparition des ennemis, passa son épée au travers du corps d'une sentinelle endormie, et dit à ceux qui en murmuraient, qu'il laissait cet homme dans l'état où il l'avait trouvé. On dit que Épaminondas en fit autant.

CHAPITRE XIII.

Pour faire entrer et sortir un porteur de dépêches.

Les Romains assiégés dans le Capitole, voulant rappeler Camille qui était banni, dépêchèrent un d'entre eux. Celui-ci, pour tromper la garde gauloise, descendit le long du roc où était bâti le temple, et ayant passé le Tibre à la nage, arriva à la ville où Camille s'était réfugié. Après s'être acquitté de sa commission il s'en retourna par le même chemin.

Ceux de Capoue étant assiégés par les Romains, un des habitants qui feignait de venir se rendre, s'enfuit vers les Carthaginois, et leur donna des lettres qu'il avait cachées dans son baudrier.

Plusieurs en ont mis dans le ventre d'une pièce dé gibier ou d'une brebis ; quelquefois, on en plaça dans la partie postérieure d'un cheval, au moment où l'on franchissait un poste ; d'autres écrivaient leurs dépêches, par incision, dans cette partie même (1).

Lucullus, pour faire connaître son arrivée à ceux de Cyzique, assiégés par Mithridate et enfermés dans une île où il n'y avait qu'une avenue gardée par les ennemis, fit passer un excellent nageur au milieu de deux peaux de bouc enflées sur lesquelles on avait cousu une lettre entre deux petites règles de bois. Bien que le trajet fût de plus de deux lieues, cet homme passa de nuit à travers les vaisseaux ennemis en se servant de ses jambes comme d'un gouvernail ; et paraissant de loin comme un poisson ou comme un monstre marin.

Le consul Hirtius fit tenir souvent des lettres à Décimus Brutus au siège de Modène ; tantôt dans une feuille de plomb qu'un soldat liait à son bras, et passait ainsi à la nage ; tantôt par des pigeons qu’on avait gardés longtemps sans leur donner à manger, et qu'on lâchait avec un billet au cou, le plus près que l'on pouvait des murailles. Ils allaient se percher sur le toit des plus hautes maisons où on les prenait, et surtout depuis qu'on eût mis de la mangeaille dans les lieux où ils avaient coutume de venir.

CHAPITRE XIV.

Pour faire entrer du secours ou des vivres dans une place.

Dans les guerres civiles, l'armée de César assiégeait une ville d'Espagne, qui ne pouvait plus tenir lorsque la garnison en sortit heureusement par la hardiesse de celui qui la commandait. Il feignit d'être un des officiers de l'armée de César ; esquiva une partie des corps-de-garde, trompa les autres, et déploya tant d'adresse et de résolution, qu'il mit les siens en sûreté.

Les enfants de Pompée assiégeaient la ville d'Ulle en Espagne. Comme elle ne pouvait plus tenir sans être secourue, César y envoya six cohortes d'infanterie, et autant de cavalerie, sous le commandement de Junius Pachecus. Ce capitaine espagnol très expérimenté, étant venu au camp ennemi par un si grand orage qu'on ne se voyait pas l'un l'autre, fit marcher deux à deux sa cavalerie, et comme on demandait : qui va là ? il répondit qu'on se tût, et qu'il voulait surprendre la place de sorte qu'il y entra sans danger. (2)

Hannibal assiégeant Casilinum qui est sur le Vulturne, les Romains livrèrent au courant du fleuve des tonneaux pleins de farine, parce que les assiégés manquaient de pain ; et Hannibal ayant fait tendre une chaîne pour les arrêter, alors les Romains jetèrent quantité de noix qui servirent de nourriture à leurs alliés.

Le consul Hirtius au siège de Modène, jeta de même dans l'eau des pipes de sel, dont les assiégés avaient besoin, et leur envoya de la sorte jusqu'à du bétail.

CHAPITRE XV.

Pour faire croire que l'on a ce dont on manque.

Les Romains assiégés dans le Capitole, et se voyant pressés par la faim, jetèrent du pain par dessus les murailles pour faire croire aux Gaulois qu'ils en avaient de reste.

Les Athéniens firent la même chose envers les Lacédémoniens qui les assiégeaient.

Hannibal au siège de Casilinum, ayant fait labourer à diverses reprises tout l'espace qui était entre son camp et la ville pour ôter jusqu'à l'herbe aux assiégés, ceux-ci y firent semer du blé : ce qui fit croire qu'ils en avaient de reste jusqu'à la moisson.

Ceux qui échappèrent à la défaite de Varus, étant assiégés par les Germains, on crut qu'ils manquaient de blé. Mais ils promenèrent pendant la nuit des prisonniers au milieu de leurs magasins, et, les renvoyèrent pour faire voir qu’on ne pourrait les prendre par famine.

Les Thraces assiégés sur une montagne inaccessible donnèrent à des brebis le peu de blé et de fromage qui leur restait, puis ils les lâchèrent vers les postes des assiégeants. Ceux-ci les ayant égorgées et voyant ce qu'elles avaient dans le ventre crurent que les Thraces avaient beaucoup de vivres et levèrent le siège.

Thrasybule, général des Milésiens, ayant su, après un long siège, que les assiégeants lui enverraient quelques députés, fit amener tout le blé sur la place publique, et dressa des tables de festin dans toutes les rues ; ce qui persuada à l'ennemi qu'on était pourvu abondamment de tout.

CHAPITRE XVI.

Pour gagner ceux qui sont suspects, ou pour s'en défaire.

C. Marcellus apprit qu'un habitant de Nole voulait faire révolter la ville en faveur d'Hannibal, parce qu'ayant été pris et blessé à la bataille de Cannes, Hannibal avait eu soin de le bien traiter et de le renvoyer sans rançon. Il le fit donc venir à lui, et, n'osant s'en défaire de peur d'irriter les habitants, il lui dit qu'il saurait témoigner dans toutes les occasions l'estime, qu’il faisait de sa valeur, et pour plus grande marque de bienveillance, lui fit présent d'un beau cheval. Cette, conduite adroite le retint dans son devoir, et sa ville aussi, par le crédit qu'il y avait.

Hamilcar voyant que les Gaulois qui étaient à son service, passaient souvent du côté des Romains, et qu'on ne s'en défiait plus, choisit ceux d'entre eux qui lui étaient les plus fidèles et sous prétexte de s'aller rendre, les envoya faire main basse sur ceux qui venaient au devant d'eux. Il empêcha par ce stratagème qu'on ne reçut plus de Gaulois à l'avenir.

Hannon, autre général des Carthaginois en Sicile, ayant appris que quatre mille Gaulois, qui étaient dans ses troupes, n'attendaient que l'occasion de passer au service des Romains, parce qu'on ne les payait point, n'osa les châtier de peur d'élever une sédition, et les envoya chercher, pour leur dire qu'ils ne perdraient rien à attendre. Après les avoir ainsi apaisés, il fit avertir les Romains par un transfuge d'un endroit où ils devaient aller fourrager ; de sorte qu'ils leur dressèrent des embuscades où ils furent tous tués, avec une partie des Romains.

Hannibal se vengea de quelques transfuges par le même artifice. Car ayant appris que quelques-uns de ses soldats s'étaient allés rendre aux Romains la nuit précédente, et qu'il y avait des espions dans son camp, il dit tout haut qu'ils l'avaient fait par son ordre, reconnaître les desseins de l'ennemi. Sur ce rapport les Romains leur firent couper les mains, et les renvoyèrent.

Diodore en garnison dans Amphipolis, craignant que deux mille Thraces, qu'il avait parmi ses troupes, ne pillassent la ville, imagina de dire que des vaisseaux ennemis étaient abordés la nuit sur la côte, et les fit sortir sous ce prétexte. Mais une fois dehors, il ferma les portes et ne voulut plus les recevoir.

CHAPITRE XVII.

Des sorties.

Hasdrubal étant venu mettre le siège devant Palerme, la garnison romaine fit paraître à dessein fort peu de monde aux défenses ; de sorte qu'Hasdrubal ayant fait donner l'assaut sur l'espérance de pouvoir emporter la ville d'emblée, les Romains tentèrent une sortie, si à propos, avec le reste des troupes, qu'ils défirent une partie des siennes.

Les Ligures étant venus en foule attaquer le camp de Paul Emile, ce consul retint quelques temps ses soldats, comme s'il avait peur ; et lorsqu'il vit les ennemis fatigués, il combla le fossé et rompit la clôture puis il sortit brusquement par toutes les portes, et prit ou tua une grande partie de ces Barbares.

Velius qui commandait la garnison romaine de Tarente, envoya demander permission à Hasdrubal de se retirer avec les honneurs de la guerre, et après l'avoir amusé sous ce prétexte, fit une sortie lorsqu'il ne s'y attendait pas et défit une partie de ses troupes.

Pompée assiégé par César près dé Dyrrachium, non seulement fit lever le siège, mais après une heureuse sortie, le voyant venir à l'attaque d'un fort qui avait un double retranchement, il le laissa pénétrer dans la première enceinte et vint ensuite l'attaquer en queue, tandis qu'on lui faisait tête du côté du fort ; ce qui le mit en grand danger.

Flavius Fimbria, campé en Asie contre le fils de Mithridate, couvrit son front et ses flancs au moyen d'un fossé, et retint ensuite ses soldats tranquilles jusqu'à ce qu'il vit la cavalerie ennemie qui s'engageait dans les pas difficiles de ses défenses ; alors faisant une sortie, il en tua six mille.

César en Gaule, après la défaite de deux de ses lieutenants Titurius Sabinus et Cotta, accourait au secours du troisième. Les ennemis, sur la nouvelle de son arrivée, ayant quitté Q. Cicéro pour venir à, lui, César, comme s'il avait peur, retint ses soldats dans son camp après l'avoir resserré, afin d'augmenter la confiance des ennemis. Mais comme ils rompaient les palissades et qu'ils comblaient le fossé, sortit par toutes les portes, et les défit.

Titurius Sabinus ayant affaire à une grande armée de Gaulois, retint ses troupes dans son camp, et, pour témoigner plus d'appréhension, les fit avertir par un transfuge, qu'il ne songeait qu'à se retirer ; de sorte que les Barbares vinrent l'attaquer sur une colline, dans l’espérance certaine de la victoire. Mais Titurius se présenta brusquement et comme il surprit l'ennemi tout hors d'haleine, et chargé de bois et de fascines pour combler le fossé, il en tua une partie et prit l'autre.

Pompée venant attaquer ceux d'Asculum, ils rangèrent sur leurs remparts les vieillards et les infirmes, et lorsqu'ils se furent ainsi rendus méprisables, ils sortirent avec toutes leurs forces, et mirent en fuite les Romains qui étaient dans une grande sécurité.

Ceux de Numance, assiégés par Popilius Laenas, au lieu de se ranger près des retranchements, selon la coutume, se tinrent enfermés dans la ville, comme s'ils étaient épouvantés ; de sorte que croyant pouvoir emporter la place d'emblée, Laenas fit planter les échelles. Cependant comme il ne vit paraître personne, il craignit une surprise et fit sonner la retraite. Alors les assiégés se précipitant sur lui, le chargèrent en queue et le battirent.

CHAPITRE XVIII.

De la résolution des assiégés.

Hannibal étant campé près des murs de Rome, les Romains, pour témoigner plus de confiance, firent sortir par une autre porte des recrues qu'ils envoyaient en Espagne.

Le champ où il était campé se vendant alors ; parce que le maître était mort, il monta au même prix qu'il avait été estimé avant la guerre. Ces mêmes Romains, tandis qu'Hannibal assiégeait Rome, formaient le siège de Capoue, et donnèrent ordre au consul de n'en point partir que la ville ne fût prise.

(1) Aliqui et jumentum in aversam partem infulserunt, dum stationes transeunt.- Non nulli interiora vaginarum inscripserunt. D'Ablancourt n'a pas osé traduire ce passage.

(2) Cet exemple, tiré de César, a été ajouté par d'Ablancourt. Nous le conservons, parce qu'il nous paraît bien choisi, et convient au titre de ce chapitre.