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LES QUATRE LIVRES DES STRATAGÈMES DE SEXTUS JULIUS FRONTIN.

LIVRE SECOND.

Comment on doit agir pendant le combat et après l'action.

CHAPITRE PREMIER.

Du temps qu'il faut choisir pour livrer bataille.

P. Scipion ayant appris qu'Hasdrubal avait rangé ses troupes en bataille, dès le point du jour, sans les faire repaître, retint les siennes dans son camp jusqu'après midi; alors les menant au combat comme les autres se retiraient, il défit les ennemis abattus par la faim, la soif et la lassitude.

Metellus Pius faisant la guerre contre Hirtuleius en Espagne, usa du même artifice; car les ennemis étant venus se ranger en bataille devant son camp dès le point du jour, pendant les plus grandes ardeurs de l'été, il attendit pour les combattre jusqu'à midi, et alors, accablés de chaleur, ils furent défaits par ses troupes fraîches.

Le même s'étant joint à Pompée, ne voulut point accepter la bataille que Sertorius lui présentait, tant parce que l'ennemi l'avait refusée plusieurs fois, que parce qu'il lui voyait un grand désir de combattre.

Le consul Posthumius faisant la guerre en Sicile contre les Carthaginois, fut quelque temps sans vouloir livrer bataille, quoique les ennemis vinssent tous les jours se ranger devant son camp, qui était à une lieue du leur : il se contentait de quelque légère escarmouche. Mais un jour qu'ils étaient restés par mépris jusqu'à midi, il les attaqua dans la retraite, et les défit, exténués de faim et de lassitude, après avoir préparé à loisir, tout ce qui lui était nécessaire pour le combat.

Iphicrate, d'Athènes, ayant remarqué que les ennemis prenaient toujours leur repas à la même heure, fit repaître son armée un peu plus tôt que de coutume, et l'ayant rangée en bataille, obligea ainsi les ennemis à faire de même. Mais il resta sous les armes jusqu'à la fin du jour, se contentant de les harceler par des escarmouches continuelles jusqu'à ce que s'étant retirés l'un et l'autre, il les alla attaquer dans leur camp à l'improviste, et les défit fatigués et à jeun.

Le même ayant remarqué que les Lacédémoniens partaient en même temps que lui pour aller fourrager, y envoya un jour tous les valets de l'armée en équipage de soldats, et retint ses troupes dans son camp. Mais quand il vit les ennemis dispersés, il força leurs retranchements, et défit ensuite à son aise ceux qui revenaient chargés de bois et de fourrage.

Le consul Virginius, qui faisait la guerre aux Volsques, les voyant courir à la charge d'assez loin, retint ses soldats, jusqu'à ce que les ennemis fussent tout proche; alors Virginius jugeant qu'ils étaient hors d'haleine, son armée donna vigoureusement et les défit.

Fabius Maximus sachant que le choc des Gaulois et des Samnites était terrible, mais qu'ils se relâchaient peu à peu, se contenta de soutenir leur premier effort, puis faisant avancer toutes ses troupes, les défit aisément, lorsque leur ardeur fut ralentie.

Philippe, à la bataille de Chéronée, combattant contre de nouveaux soldats, avec des gens aguerris et expérimentés, laissa passer là première fougue de l'ennemi, et prenant ensuite l'offensive; remporta la victoire.

Les Lacédémoniens ayant appris que les Messéniens venaient fondre sur eux avec tant de furie, que leurs femmes et leurs enfants les suivaient, différèrent le combat jusqu'à ce que leur fougue fût aussi passée.

César, pendant la guerre civile, tenait Afrianus assiégé. Voyant que, faute d'eau, il avait fait égorger toutes les bêtes de somme, et venait pour lui donner bataille, César retint ses troupes dans son camp afin de n'avoir point affaire à des gens désespérés.

Pompée voulant engager au combat Mithridate qui fuyait, se posta la nuit sur sa route, et l'obligea ainsi à en venir aux mains. Il avait rangé ses troupes de telle sorte qu'elles avaient les rayons de la lune à dos, et qu'ils frappaient les yeux de son adversaire.

Jugurtha connaissant la valeur romaine, et la faiblesse de sa nation, différait toujours de combattre jusqu'au soir, afin de pouvoir se retirer à la faveur de la nuit, s'il éprouvait un échec.

Lucullus, en Arménie, n'ayant que quinze mille hommes contre les forces innombrables de Tigranes et de Mithridate, n'attendit pas qu'elles fussent toutes rangées en bataille; il les surprit en confusion et les défit.

Les Pannoniens ayant montré une grande ardeur pour combattre, et s'y étant préparés dès le point du jour, Tibère retient ses troupes dans son camp jusqu'à ce qu'il voie son ennemi abattu de lassitude et par un long orage ; il l'attaque alors et le défait.

César ayant su qu'Arioviste ne voulait pas combattre jusqu'à la nouvelle lune, lui donna la bataille au decours, et le défit.

Vespasien livra bataille aux Juifs un jour de sabbat, qu'il leur est défendu de rien faire.

Lysander, mouillant avec son armée navale, près d'Aegospotamos, présentait toujours la bataille à la même heure aux Athéniens, et ensuite se retirait, jusqu'à ce qu'ayant bien amusé les ennemis, il les surprit dispersés, comme ils ne s'attendaient pas au combat, et supposaient encore que ce n'était qu'une feinte. Il trouva leurs vaisseaux sans défense, et mit fin à une longue guerre.

CHAPITRE II.

Du champ de bataille.

M. Curius redoutant la phalange de Pyrrhus, et ne croyant pas y pouvoir résister en plaine, combattit dans des détroits, où les ennemis, pour être trop pressés, se nuisaient l'un l'autre.

Pompée en Cappadoce se campa sur un lieu élevé, d'où il vint fondre avec impétuosité sur les troupes de Mithridate, et les défit.

César en usa de même contre le fils de ce prince, qui eut l'imprudence de l'attaquer sur une hauteur où il avait rangé son armée. César perça d'en haut les troupes de Pharnace et les culbuta.

Lucullus ayant à combattre les troupes de Tigranes et de Mithridate, près de Tigranocerte, se saisit, avec une partie de ses gens, d'une petite plaine, qui était au haut d'une colline, et vint fondre de là si à propos sur les ennemis, que prenant leur cavalerie en flanc, elle se renversa sur une partie de leur infanterie ; ce qui procura à Lucullus une victoire signalée.

Ventidius ayant affaire aux Parthes, attendit pour sortir du camp que les ennemis fussent à cinq cents pas de lui, puis il courut à la charge si promptement, qu'il rendit leurs flèches inutiles. Ces Barbares ne furent plus en état de résister.

Hannibal à la journée de Numistron, fit couvrir l'un de ses flancs d'un chemin creux; ce qui contribua beaucoup à sa victoire contre Marcellus.

Le même à la bataille de Cannes, ayant remarqué que dès le matin le vent du Vulturne (1) soufflait et enlevait beaucoup de sable et de poussière, rangea son armée de sorte qu'elle avait le vent à dos, tandis que l'ennemi le recevait dans les yeux. Cette circonstance gêna beaucoup les Romains pendant l'action, et contribua à leur défaite.

Marius, ayant à combattre les Cimbres et les Teutons, rangea son armée devant ses retranchements, après l'avoir fait repaître, afin que l'ennemi fatigué par la route qu'il devait parcourir pour le joindre, devint plus facile à vaincre. Il avait eu le soin de choisir l'assiette de son camp de telle manière que les Barbares avaient en face le soleil, le vent et la pluie.

Cléomènes, plus faible en cavalerie que Hyppias, embarrassa le champ de bataille d'arbres coupés , et sut paralyser ainsi l'avantage de son ennemi.

Les Espagnols en Afrique, pour n'être point enveloppés par la multitude, s'adossèrent contre un fleuve, dont le bord était escarpé. Ainsi assurés pour leurs derrières, ils culbutèrent l’ennemi à mesure qu'il s'approchait et remportèrent enfin la victoire.

Les Carthaginois, battus plusieurs fois par les Romains, prirent pour général Xanthippe, de Lacédémone, qui changeant seulement de poste, ramena la fortune. Comme il était le plus fort en cavalerie, il descendit des montagnes, où ses prédécesseurs se tenaient campés, attaqua les Romains dans la plaine, ouvrit leurs rangs par la force de ses éléphants, puis les dissipa au moyen de sa cavalerie légère.

Épaminondas, avant d'en venir aux mains contre les Lacédémoniens, courut devant leur front de bataille avec sa cavalerie. La poussière qui s'éleva leur dérobant les objets , il les tourna, gagna une hauteur d'où il vint fondre sur eux, et les défit avec l'infanterie, tandis qu'ils s'attendaient à un com­bat de cavalerie.

Trois cents Spartiates postés au détroit des Thermopyles pour garder le passage, firent un grand carnage des Perses, et eussent arrêté leur effort sans un traître qui conduisit les ennemis par des lieux détournés, d'où ils vinrent prendre les Lacédémoniens en queue.

Thémistocle, voyant qu'il était avantageux aux Grecs qui n'avaient que peu de vaisseaux de combattre l'année navale des Perses dans le détroit de Salamine, et ne pouvant les en persuader, avertit secrètement l'ennemi de livrer bataille, parce que les Grecs voulaient se retirer et lui donneraient de la peine à les suivre. L'ennemi écouta ce conseil et fut battu, après être resté toute la nuit sous les armes.

CHAPITRE III. De l'ordre de bataille.

Cn. Scipion étant rangé en bataille contre Hannon, général des Carthaginois, près de la ville d'Indibilis en Espagne, et ayant remarqué que les Espagnols, qui étaient des soldats robustes, mais peu intéressés à l'issue du combat, se trouvaient à l'aile droite, tandis que les Africains, moins forts mais doués d'un courage plus ferme, occupaient la gauche, Scipion refusa son aile gauche, afin qu'elle n'en vînt pas si tôt aux mains avec les Espagnols, et avançant la droite où il avait mis ses meilleures troupes, rompit les Africains. Les Espagnols, qui devenaient alors simples spectateurs de ce combat, se rendirent facilement.

Philippe de Macédoine dans un combat contre les Illyriens, jugeant que leur front de bataille était composé de leurs meilleures troupes, et que les flancs étaient faibles, rangea tout ce qu'il avait de bon à son aile droite, et prenant en flanc l'aile gauche ennemie, mit toute cette armée en désordre, et remporta la victoire.

Pammenès, général des Thébains, voyant que les Perses avaient mis leurs meilleures troupes à l'aile droite, leur opposa les plus faibles de son armée, avec ordre, si on les venait attaquer, de se retirer en un lieu avantageux qui était proche. Il plaça ensuite toute sa cavalerie à l'aile droite, avec l'élite de son infanterie, enveloppa les ennemis, et les défit.

P. Cornelius Scipion, qui plus tard acquit le surnom d'Africain, faisait la guerre contre Hasdrubal en Espagne, et avait coutume de mettre ses meilleures troupes au centre, ce que Hasdrubal faisait à son exemple. Mais le jour du combat Scipion les transporta sur les ailes, et refusa son centre; de sorte que combattant des deux côtés avec ses meilleures troupes contre les plus faibles des ennemis , il les défit aisément.

Metellus, dans le combat qu'il gagna contre Herculeïus en Espagne, voyant que ce général avait mis ses meilleures troupes au centre, refusa le sien, afin de ne le faire donner que lorsque ses deux ailes auraient enveloppé l'ennemi.

Artaxerxès étant plus fort que les ennemis, lorsque les Grecs entrèrent en Perse, étendit sa ligne de bataille beaucoup au-delà de la leur, et mettant sa cavalerie sur le front et son infanterie légère aux ailes, fit marcher lentement le corps de bataille ; ce qui lui permit d'envelopper les ennemis et de les défaire.

Hannibal, au contraire, à la bataille de Cannes, fit avancer le centre et refusa les ailes. Mais ce centre qui, dans le premier choc, avait renversé les nôtres, pliant peu à peu, et les Romains le suivant avec témérité, ils s'engagèrent au milieu de l'ordre de bataille d'Hannibal. Alors celui-ci fit avancer ses deux ailes et enveloppa les Romains de toutes parts. Mais on ne peut se servir de ce stratagème qu'avec des troupes fort expérimentées, comme étaient celles d'Hannibal.

Livius Salinator, et Claudius Néro, lors de la seconde guerre punique, voyant qu'Hasdrubal, pour éviter le combat, s'était rangé en bataille sur une éminence dont le terrain était inégal, portèrent toutes leurs troupes sur les ailes, après avoir dégarni leur centre, attaquèrent l'ennemi des deux côtés, et le taillèrent en pièces.

Hannibal se voyant souvent battu par Claudius Marcellus, campait toujours dans des lieux avantageux, et rangeait ses troupes en bataille de telle sorte, qu'il pouvait se retirer aisément s'il avait le dessus, et dans le cas contraire, pousser plus loin sa victoire.

Xanthippe le Lacédémonien, opposé à Attilius Régulus en Afrique, ouvrit son front de bataille de l'infanterie légère, et lui donna l'ordre le se retirer dans les intervalles après avoir lancé ses traits. Il lui commanda le filer ensuite par derrière pour revenir fondre sur les ailes, et envelopper l'ennemi, tandis que les troupes pesamment armées, s'aborderaient. Sertorius fit la même chose en Espagne contre Pompée.

Cleandridas, de Lacédémone, faisant la guerre aux Lucaniens, resserra son ordre de bataille pour obliger l'ennemi à en faire autant; puis, comme on en vint aux mains, il s'étendit peu à peu, et l'enveloppa.

Gastron, du même pays, était venu au secours des Égyptiens contre les Perses. Comme il vit que l'ennemi ne les redoutait pas autant que les Grecs, il mit ceux-ci sur la première ligne, armés à l'égyptienne; et les Égyptiens sur la seconde, avec des armes grecques. Les Perses en étant venus aux mains; et trouvant plus de résistance à la première ligne qu'ils ne devaient en attendre appréhendèrent davantage la seconde, où ils croyaient que les Grecs étaient rangés ; de sorte qu'ils lâchèrent pied.

Pompée, en Albanie, voyant les ennemis plus forts que lui, cacha son infanterie dans un fond près d'une colline, et couvrit ses armes. Il fit ensuite avancer sa cavalerie lui donnant l'ordre, quand elle se sentirait pressée, de reculer jusque-là, et de se ranger sur les ailes. Cette manœuvre ayant i été exécutée, fut cause du gain de la bataille; car l'ennemi qui s'était avancé témérairement, trouvant l'infanterie en bon ordre fut défait.

Antoine contre les Parthes se trouvant accablé par la multitude de leurs flèches, commanda aux siens de se baisser et de lever leurs boucliers sur leurs têtes pour faire la tortue; ce qui mit à couvert son infanterie, comme sous un toit, et rendit les flèches des ennemis inutiles.

Hannibal, à la journée de Zama contre Scipion, couvrit son front de quatre-vingts éléphants, pour mettre le désordre dans les rangs ennemis. Il plaça les alliés en première ligne, les Carthaginois étant au contraire en troisième ligne, afin de les empêcher de fuir, et pouvant fournir une réserve contre les Romains qui, s'ils n'étaient pas rompus, devaient se fatiguer par l'attaque des auxiliaires. Sa seconde ligne fut composée des Italiens dont il se défiait, parce qu'il en avait amené une partie par force de leur pays. Scipion opposa à cet ordre de bataille son corps de légions, rangées sur trois lignes, hastaires, princes et triaires. Mais il rompit l'échiquier des manipules, laissant un grand espace entre eux, afin que les éléphants, excités par les ennemis, pussent traverser l'ordre de bataille sans le troubler. Ces intervalles étaient remplis par ses vélites, qui avaient ordre de se retirer, à l'approche des éléphants, derrière l'infanterie pesamment armée, ou sur les ailes. Sa cavalerie était rangée de part et d'autre, les turnes romaines à l'aile droite, commandée par Lelius et les Numides à la gauche, sous Massinissa. Un si bel ordre ne contribua pas peu à la victoire.

Archélaüs, contre Sylla, mit sur son front des chariots armés de faux pour enfoncer les ennemis ; il plaça en seconde ligne la phalange macédonienne; en troisième ligne, ses auxiliaires armés à la romaine et entremêlée de quelques déserteurs italiens, en qui il se fiait à cause de leur adresse. Le corps de réserve était composé de l'infanterie légère; et la cavalerie très nombreuse, était rangée sur les ailes afin d'envelopper les Romains. Contre ces dispositions, Sylla couvrit ses deux flancs de tranchées profondes avec des forts aux deux extrémités; et dans cet espace, il mit sur trois lignes son infanterie pesamment armée, laissant des intervalles pour lancer la cavalerie et l'infanterie légère, qui étaient placées derrière elle. Il ordonna à ceux qui étaient rangés devant les enseignes dans sa seconde ligne de ficher en terre des pieux très serrés, et sa première ligne s'en servit pour se couvrir lorsque les chariots approchèrent (2). Tout à coup les soldats jetant de grands cris, et l'infanterie légère tirant ses traits, les chariots des ennemis s'embarrassèrent dans les pieux ou furent épouvantés, et se retournèrent sur l'infanterie macédonienne qu'ils rompirent. Sylla prenant alors l'offensive, Archelaüs fit avancer sa cavalerie pour soutenir son attaque, et pour donner le moyen à son infanterie pesamment armée de se rétablir ; celle des Romains la chargea, et acheva la défaite. César arrêta de même les chariots des Gaulois en plantant des pieux en terre.

Alexandre à la journée d'Arbelles, craignant d'être enveloppé par la multitude des ennemis , et se fiant dans la valeur de ses troupes, les rangea de sorte qu'elles pouvaient faire front de tous côtés.

Paul Émile, à la bataille qu'il livra contre Persée, après avoir reconnu que ce prince avait partagé sa phalange en deux parties, qu'elle était couverte par son infanterie légère, et protégée aux deux ailes par sa cavalerie; Paul Émile forma ses trois lignes par petits corps très serrés avec des intervalles entre aux pour laisser passer les vélites. Quand il vit qu'il ne pouvait rompre la phalange macédonienne, il recula vers des terrains inégaux, pour la faire flotter; et comme elle le suivait en bon ordre, il fit courir à toute bride la cavalerie de son aile gauche le long du front de bataille, pour rompre les piques, ou pour les rendre inutiles; ce qui occasionna du désordre, et fut cause de la défaite de Persée.

Pyrrhus, roi d'Épire, combattant pour les Tarentins, près d'Asculum, mit à la droite les Samnites, et les Épirotes; à la gauche les Brutiens, les Lucaniens et les Sallentins; et ceux de Tarente au milieu, selon Homère, qui y met les plus faibles. Sa cavalerie et ses éléphants, furent rangés sur une seconde ligne. Contre cet ordre, les Romains opposèrent trois lignes de leurs légions, selon leur coutume, et les entremêlant avec les troupes auxiliaires, jetèrent sur les ailes leur cavalerie. Il y avait quarante mille hommes dans chaque armée; les ennemis perdirent la moitié de leur monde, et les Romains cinq mille hommes.

Pompée, à la journée de Pharsale, rangea ses légionnaires sur trois lignes à dix de hauteur, mit les meilleures soldats sur les ailes et au centre, et remplit les espaces, qui sont entre le centre et les extrémités de troupes nouvellement levées. À la droite, qui était couverte par l'Enipe, il plaça seulement six cents chevaux, et jeta tout le reste de la cavalerie sur l'aile gauche, avec ses troupes auxiliaires, pour envelopper l'ennemi. César rangea de même ses légions sur trois lignes, couvrit son aile gauche de la rivière, pour n'être point enveloppé de ce côté-là, et mit à l'aile droite toute sa cavalerie, entremêlée de quelqu'infanterie légère, qui était accoutumée de combattre avec elle. Mais comme sa cavalerie était beaucoup moins nombreuse que celle des ennemis, il la fortifia de six cohortes tirées des légions, et qu'il rangea en potence de ce côté-là, pour n'être pas enveloppé. Cette disposition lui donna la victoire car ces cohortes repoussèrent la cavalerie ennemie qui venait fondre sur ce point, le croyant sans résistance, et la mirent en fuite.

Germanicus, dans un combat de cavalerie contre les Cattes, vit qu'ils évitaient une défaite complète en se retirant toujours dans les bois quand on les pressait. Il fit mettre pied à terre à sa cavalerie lorsqu'elle fut arrivée vers ces lieux embarrassés, et parvint à fixer la victoire.

C. Duilius faisant la guerre sur mer contre les Carthaginois, et voyant que leurs vaisseaux, qui étaient plus légers que les siens, glissaient autour de lui impunément, et rendaient la valeur du soldat romain inutile, fit faire des corbeaux de fer pour les accrocher; après quoi les soldats jetant un pont, et sautant dessus combattaient corps à corps contre l'ennemi.

CHAPITRE IV.

Pour porter la confusion dans les rangs ennemis.

Papirius Cursor dans une bataille contre les Samnites, voyant la victoire en suspens, fit descendre d'une montagne les valets de l'armée sur des bêtes de somme, et traîner par terre des branches d'arbres avec un grand bruit. Alors criant à ses soldats, qu'ils hâtassent la victoire avant que l'autre consul qui accourait à leur secours fût arrivé, afin de ne partager leur gloire avec personne, il redoubla le courage de ses troupes, et mit les ennemis en fuite.

C. Sulpicius Peticus fit presque la même chose contre les Gaulois ; et Marius lors de la guerre des Cimbres, envoya les valets se cacher derrière une montagne à la nuit, et leur donna quelques gens de guerre, et un bon capitaine pour les commander.

Atheas, roi des Scythes, combattant contre les Triballes, qui le surpassaient en nombre, envoya de même les femmes et les enfants, avec tout le bagage, paraître sur les derrières des ennemis, après avoir fait publier qu'il lui venait du renfort; ce qui lui donna la victoire.

Fabius Rullus Maximus, dans un combat contre les Samnites, voyant qu'il ne les pouvait rompre, détacha une partie de ses troupes sous la conduite d'un de ses lieutenants, et lui donna l'ordre de fondre du haut d'une montagne et de prendre les ennemis, ce qui leur fit perdre courage, et le rendit victorieux.

Minucius Rufus prêt à combattre une grande multitude de Barbares, prescrivit à son frère, lorsqu'il le verrait attaché au combat, de se montrer tout à coup d'un autre côté avec quelque cavalerie, et de faire sonner toutes ses trompettes. Cette manœuvre ayant été exécutée, le son qui retentissait dans les collines, fit croire que c'était un grand secours qui arrivait aux Romains, et les ennemis prirent la fuite.

Acilius Glabrio attaquant Antiochus au détroit des Thermopyles, eût été repoussé avec perte, à cause du désavantage du lieu, s'il n'eût envoyé Porcius Caton avec une partie de ses gens chasser les Étoliens d'une montagne voisine. Il se montra de ce lieu sur les derrières des ennemis, qui s'étonnèrent de se voir attaqués des deux côtés, et prirent la fuite.

Licinius Crassus fit presque la même chose pendant la guerre des esclaves; car il envoya douze cohortes sous la conduite de deux de ses lieutenants, gagner une montagne qui était derrière l'ennemi, d'où venant fondre sur lui dans la chaleur du combat, elles le dissipèrent.

Marcus Marcellus, pour cacher le petit nombre de ses troupes, fit jeter des cris par tous les valets de l'armée au moment d'engager la bataille; ce qui donna l'épouvante aux ennemis, qui crurent qu'il avait de plus grandes forces.

Valerius Levinus pendant qu'il combattait Pyrrhus, cria montrant son épée sanglante, qu'il l'avait tué; ce qui fut cause que l'ennemi se retira épouvanté.

Jugurtha en fit autant à la bataille contre Marius, ayant appris à parler latin par le long temps qu'il avait passé dans nos troupes.

L'Athénien Myronide, dans un combat contre les Thébains, voyant balancer la victoire, s'avança vers son aile droite, criant que la gauche était victorieuse; ce qui redoubla le courage de ses gens, et abattit celui de ses adversaires.

Crésus opposa une troupe de chameaux à la cavalerie ennemie, qui était en grand nombre; ce qui effraya tellement les chevaux qui n'étaient pas accoutumés à les voir, qu'en se cabrant ils jetèrent leurs maîtres par terre, puis se renversèrent sur leur infanterie. Cet accident fut cause de la perte de la bataille.

Pyrrhus se servit du même stratagème avec ses éléphants, au combat qu'il livra contre les Romains pour ceux de Tarente; et les Carthaginois firent depuis la même chose en plusieurs rencontres.

Les Volsques étant campés près d'un taillis. Camille y mit le feu, et brûla leur camp. Crassus fut presque surpris de la même manière pendant la guerre des alliés, et taillé en pièces avec toutes ses troupes.

Les Espagnols, contre Hamilcar, couvrirent leur front de bataille de chariots chargés de suif, de soufre, et d'autres matières combustibles, et y mettant le feu, les chassèrent vers les ennemis sitôt qu'on eut sonné la charge. Il furent épouvantés et défaits.

Les Tarquiniens et les Falisques ayant équipé une partie de leurs gens en furies, avec des serpents et des torches ardentes, mirent le désordre parmi les Romains. Ce stratagème fut pratiqué depuis par les Véientes et les Fidénates. CHAPITRE V.

Des embuscades.

Romulus s'étant approché de Fidène, et ceux de la ville ayant fait une sortie, il plia jusqu'à, ce qu'il les eût attirés dans une embuscade, et les défit.

Q. Fabius Maximus étant allé au secours des Sutriniens contre les Etrusques, feignit d'avoir peur, et rétrograda jusqu'en des lieux avantageux. Les ennemis le poursuivirent inconsidérément; Fabius les défit et prit-même leur camp.

Sempronius Gracchus, faisant la guerre aux Celtibères, demeura dans son camp , comme s'il éprouvait des craintes; puis il envoya son infanterie légère escarmoucher, avec ordre de se retirer aussitôt. L'ennemi la poursuivant en désordre, Gracchus le chargea, et le défit.

Métellus faisait la guerre contre Hasdrubal en Sicile. Feignant d'appréhender le grand nombre des ennemis, et leur cent trente éléphants il posa son camp sous les murs de Palerme, et fit tirer un grand retranchement devant lui. Mais voyant paraître l'armée d'Hasdrubal avec les éléphants à la tête, il envoya sa première ligne lancer ses traits sur ces animaux, avec ordre de se retirer aussitôt dans le retranchement. Ceux qui conduisaient les éléphants, irrités de cette bravade, poussèrent jusque-la, et s'y étant engagée témérairement, une partie fut tuée à coups de trait, les autres tournèrent sur leurs gens et les mirent en désordre. Alors Métellus, qui n'attendait que ce moment, sortit avec toutes ses troupes, prit l'armée ennemie en flanc, la défit, et se rendit maître des éléphants et d'un grand nombre de prisonniers.

Tomyris, reine des Scythes, feignant de fuir devant Cyrus, l'attira dans des lieux désavantageux où elle vint fondre sur lui, et le défit.

Les Égyptiens s'étant rangés en bataille près d'un marais, qu'ils couvrirent d'herbes, lâchèrent pied. Mais quand ils virent l'ennemi enfoncé dans la vase, ils le cernèrent et le défirent.

Viriathus, de voleur devenu général dés Celtibères, s'enfuit devant notre cavalerie, jusqu'à ce qu'il l'eût attirée dans des marécages. Il en sortit par la connaissance qu'il avait du pays, et défit les Romains qui s'y embourbèrent.

Fulvius campé vis-à-vis des Cimbres, commanda à sa cavalerie de pousser jusqu'à leur retranchement, et lorsqu'elle se verrait poursuivie, de prendre la fuite. Cette manœuvre ayant été pratiquée pendant quelques jours, lorsque Fulvius vit que les ennemis s'emportaient dans la poursuite, et qu'ils laissaient leur camp dégarni, il plaça les gardes du sien comme il avait coutume de le faite, avec une partie de son armée, et se mit en embuscade près du camp des ennemis. Ceux-ci étant sortis comme à l'ordinaire, il attaqua le camp et le surprit.

Les Falisques étant entrés sur les terres des Romains avec des troupes nombreuses, Cn. Fulvius fit mettre le feu à quelques maisons éloignées, afin qu'ils y accourussent sur l'espérance du butin, et que par ce moyen ils partageassent leurs forces.

Alexandre, roi des Épirotes, faisant la guerre contre les Illyriens, équipa une partie de ses soldats à la façon des Barbares, et les envoya ravager son propre pays. L'ennemi trompé, les suivit d'autant plus hardiment pour avoir part au butin, que ces pillards lui semblaient d'excellents éclaireurs. Mais lorsqu'il se fut enfoncé dans le pays, les soldats d'Alexandre l'attirèrent dans une embuscade, où ils le défirent.

Leptinès de Syracuse, dans la guerre contre les Carthaginois, ayant mis une partie de ses troupes en embuscade, envoya les autres battre la campagne, et mettre le feu partout. Les Carthaginois croyant soutenir leurs gens, les suivirent, et tombèrent dans l'embuscade.

Maharbal, envoyé par les Carthaginois contre quelques nations soulevées, qui aimaient beaucoup à boire, prit la fuite à la première rencontre, comme s'il avait peur; et se retirant la nuit, laissa dans son camp force vin mictionné, pour les endormir. L'ennemi en but avec excès, et fut pris et tué tout assoupi, car les soldats étaient couchés ivres morts.

Hannibal campé contre les Romains dans un lieu qui manquait de bois, laissa à dessein de nombreux troupeaux dans son camp, puis retournant sur ses pas la nuit, faillit à défaire les Romains, qui ne se tenaient pas sur leurs gardes, et qui s'étaient remplis avidement d'une chaire à demi crue.

Tibérius Gracchus, en Espagne, ayant appris que l'ennemi manquait de vivres, quitta son camp rempli de toutes sortes de provisions. L'ennemi s'étant laissé prendre au piège, paya son intempérance par une défaite complète.

Quelques soldats ayant tué une sentinelle des Érythréens, qui était sur une montagne, revêtirent de ses habits un des leurs qui fit signe de là aux ennemis, et les attira dans une embuscade.

Les Arabes après avoir observé quelque temps leur coutume de s'entr'avertir la nuit par des feux, et le jour par de la fumée, prirent la résolution de cesser tout à coup à l'arrivée de l'ennemi; de sorte que croyant n'être pas découvert, il pénétra plus avant dans les pays, et fut défait.

Memnon de Rhodes, plus fort en cavalerie que les ennemis, et ne sachant comment les attirer dans la plaine, feignit une sédition dans son camp, et les en fit avertir. Pour les mieux rassurer encore, une partie de ses troupes se retrancha contre l'autre. L'ennemi trompé par les apparences, descendit de ses montagnes, et fut défait.

Un roi des Molosses, plus faible que celui d'Illyrie qui l'attaquait, envoya les femmes et les enfants dans les villes des Étoliens, avec tous ceux qui n'étaient pas en âge de porter les armes, comme pour se soumettre à leur obéissance. Sur ces nouvelles, les Illyriens se hâtèrent de venir ravager le pays avant que les autres en eussent pris possession, et tombèrent dans des embuscades qu'on leur avait dressées.

Labiénus, lieutenant de César, voulant combattre les Gaulois avant qu'un secours qui leur venait d'Allemagne, fût arrivé, repassa une rivière, comme s'il avait peur, et fit publier que chacun eût à se tenir prêt pour marcher le lendemain. Les Gaulois trompés par les apparences, passèrent la rivière pour le suivre, et furent défaits au passage.

Hannibal voyant le camp romain mal fortifié, et connaissant d'ailleurs la témérité de Fulvius qu'il avait en tète projeta une fausse attaque afin d'attirer l'ennemi, tandis qu'à la faveur d'un brouillard épais, il forçait le camp sur plusieurs points. Fulvius périt dans cette affaire, ainsi que huit mille de nos meilleurs soldats.

Le même, remarquant que l'armée romaine était partagée entre le dictateur Fabius, et Minutius, général de la cavalerie, avec un pouvoir égal, et sachant d'ailleurs que celui-ci ne cherchait que l'occasion d'en venir aux mains, se campa entre eux dans une plaine, puis après avoir dressé une embuscade, envoya quelques troupes se saisir d'une colline qui était proche, afin d'attirer Minutius au combat. Celui-ci sortit avec les siens pour investir l'ennemi qui s'était saisi de la colline. Mais il se trouva enveloppé tout à coup, et eût été défait, si le dictateur qui prévoyait cette imprudence ne l'eût dégagé.

Le même Hannibal, à la Trebbia, étant séparé du consul Sempronius par une rivière, la fit passer à quelque cavaliers, qui simulaient une escarmouche, avec ordre, si on les poursuivait, de repasser par certains endroits où il avait dressé une embuscade. Le consul s'étant laissé emporter contre eux dans la poursuite, jusqu'à faire passer la rivière à son infanterie pendant la rigueur de la mauvaise saison, et sans l'avoir fait repaître, il se trouva engagé entre l'embuscade et l'armée d'Hannibal, qui l'attendait en bataille après avoir pris de la nourriture à son aise, et s'être huilée près du feu.

Ce général ayant remarqué à Trasimène, qu'il n'y avait qu'un petit chemin qui conduisait de la montagne où il campait, dans la plaine qui était proche, le passa en diligence, comme s'il avait peur ; et ayant dressé la nuit des embuscades de tous côtés sur le passage, il se rangea en bataille sur le point du jour, à la faveur d'un brouillard. Flaminius, qui croyait poursuivre un ennemi en fuite, s'engagea inconsidérément dans ces détroits, où il fut enveloppé et taillé en pièces avec toute son armée.

Le même contraignit le dictateur Junius par des alarmes continuelles, à demeurer toute la nuit sous les armes pendant un violent orage; puis, l'attaquant le matin, il défit ses troupes harassées.

Épaminondas trouvant les Lacédémoniens retranchés à l'entrée du Péloponnèse, les tint de même toute la nuit sous les armes par le moyen de quelque infanterie légère, et le matin qu'ils s'étaient retirés dans leurs tentes, il les attaqua avec ses troupes fraîches et reposées, et força leur retranchement.

Hannibal à la journée de Cannes, étant rangé en bataille, envoya six cents chevaux numides se rendre aux Romains, avec ordre, pour donner plus de sécurité, de livrer leurs armes. Comme on les avait placés à l'arrière garde, lorsqu'ils virent qu'on en était aux mains, ils tirèrent de courtes épées qu'ils avaient cachées sous leurs casaques, et se saisissant des boucliers qui étaient épars sur le champ de bataille, chargèrent les Romains par derrière, et aidèrent à leur défaite.

Les Iapydes firent semblant aussi de se venir rendre au proconsul Licinius, avec tout ce qu'ils avaient, et ayant été envoyés de même à son arrière garde, se tournèrent contre lui pendant le combat.

Scipion l'Africain ayant devant soi le camp de Syphax et celui des Carthaginois, mit le feu la nuit à celai de Syphax, qui était le plus facile à brûler, et plaçant une embuscade, défit les Carthaginois qui accouraient pour le secourir ; tandis que d'un autre côté, il faisait main basse sur les Numides qui fuyaient.

Mithridate battu plusieurs fois par Lucullus, essaya de le faire assassiner par un cavalier d'une force prodigieuse, qui alla se rendre à lui , et fut reçu parmi ses troupes. Après avoir signalé son courage et sa fidélité dans plusieurs rencontres, il voulut exécuter sa trahison, et choisit un matin que la garde était levée. Le hasard servit Lucullus : car celui qui voulait le prévenir l'ayant trouvé endormi, ne laissa pas entrer le cavalier malgré son insistance, et ce­lui-ci se croyant découvert, se sauva au camp de Mithridate, sur des chevaux qu'il tenait tout prêts.

Sertorius campé en Espagne devant Pompée, remarqua qu'il n'y avait que deux quartiers où l'on pût aller au fourrage; de sorte que faisant battre continuellement par son infanterie celui qui était le plus proche, il contraignit les ennemis d'aller à l'autre, où il ne touchait point, et où il avait mis en embuscade dans un bois dix cohortes armées à la romaine, avec autant d'infanterie légère du pays, et deux mille chevaux. L'infanterie espagnole, comme plus propre aux rencontres, avait pris le devant, celle qui était pesamment armée venait après, et la cavalerie s'était enfoncée dans le bois pour ne point être découverte par le hennissement des chevaux. Mais comme les Romains revenaient du fourrage en toute assurance sur les neuf heures du matin, et que la garde même s'était dispersée pour en prendre, parce qu'elle ne voyait paraître personne, tout à coup l'infanterie espagnole vint fondre dessus avec la vitesse qui lui est naturelle, et en ayant tué une partie, mit le reste en désordre. Enfin avant que les Romains fussent ralliés, et en état de faire tête, l'infanterie qui était derrière vint à la charge, et la cavalerie s'étant séparé en deux, une partie fit main basse sur ceux qui fuyaient, et l'autre prit les devants, afin qu'il n'en pût échapper un seul. Sur cette nouvelle, Pompée envoya au secours une légion que la cavalerie laissa passer, et la prenant en queue, tandis que l'infanterie l'attaquait de front, elle la tailla en pièces avec celui qui la commandait. Pompée fut alors contraint de faire sortir toutes ses troupes : mais voyant paraître l'armée ennemie en bataille sur des collines, il n'osa passer outre. Voilà le premier engagement qu'il eut contre Sertorius. Il y perdit dix mille hommes, et tout le bagage de son armée, étant lui-même spectateur de sa défaite. Mais depuis la mort de Sertorius, il mit quelques troupes en embuscade, feignit de reculer jusqu'à ce qu'il eût attiré l'ennemi dans des lieux désavantageux, le prit en tête et en flanc, et le défit. Perpenna, qui commandait, fut fait prisonnier.

Ce même Pompée, en Arménie contre Mithridate, cacha la nuit trois mille soldats d'infanterie légère, et cinq cents chevaux dans un vallon couvert de bois, qui était entre les deux camps, puis au point du jour il envoya le reste de sa cavalerie escarmoucher contre celle de l'ennemi, plus forte que la sienne, avec ordre de reculer jusqu'à ce qu'elle l'eût attirée tout entière en deçà du vallon. Cette manœuvre ayant été exécutée comme il le voulait, la troupe ennemie fut enveloppée et défaite.

Crassus, lors de la guerre des esclaves, ayant tracé deux camps sur une montagne, à la vue de l'ennemi, fit passer pendant la nuit les troupes de l'un à l'autre, laissant toujours sa tente au plus grand. Il mit ensuite toute son infanterie en bataille au pied de la montagne, sépara sa cavalerie en deux, en envoya une partie pour amuser Spartacus, et l'autre pour escarmoucher contre les Gaulois et les Germains, afin de les attirer jusqu'à l'endroit où il avait rangé son infanterie. Lorsque les Barbares qui la poursuivaient furent arrivés sur ce point, la cavalerie se sépara en deux, et, se jetant sur les ailes, donna la facilité à l'infanterie romaine de charger avec vigueur. Il y eut trente-cinq mille hommes de tués avec leurs chefs, cinq aigles reprises, vingt-six enseignes, et quantité de butin, parmi lequel étaient cinq faisceaux romains avec leurs haches.

C. Cassius, en Syrie, contre les Parthes, après avoir rangé sa cavalerie en bataille, mit son infanterie derrière, à couvert dans des lieux difficiles. La cavalerie, lâchant le pied à dessein et se retirant par des routes détournées, l'ennemi vint donner dans l'infanterie qui était en embuscade, et fut défait.

Ventidius ayant affaire à Labiénus et aux Parthes, glorieux de plusieurs victoires, retint ses troupes dans son camp, comme s'il avait des craintes, jusqu'à ce qu'ayant attiré ainsi l'ennemi dans des lieux désavantageux, il vint fondre sur lui lorsqu'il ne s'y attendait pas, et le contraignit d'abandonner la Syrie et de se séparer de Labiénus.

Le même, dans la guerre des Parthes, ayant peu de troupes en comparaison de Pharnastanès, et le voyant orgueilleux de son nombre, cacha dix-huit cohortes à côté de son camp, dans un vallon, et mit la cavalerie derrière. Ensuite il envoya quelques troupes escarmoucher, afin d'attirer l'ennemi dans l'embuscade. Il fut chargé en flanc, mis en fuite, et cette action occasionna la perte de Pharnastanès.

César et Afranius étaient campés dans deux plaines opposées et environnées de montagnes. Comme ils jugeaient l'un et l'autre qu'il leur importait de se saisir de certains passages, ce qui était assez difficile à cause de l'âpreté des rochers, César fit semblant dé retourner vers Lérida, faute de vivres, et cependant tourna tout à coup vers ces détroits. L'ennemi étonné décampa en diligence pour le prévenir; mais sa marche fut retardée par la cavalerie de César et par quelque infanterie qu'il avait envoyée devant, de sorte qu'il fut contraint de reculer, et eût été défait si César ne l'eût épargné.

Antoine, ayant appris que Pansa venait contre lui avec une armée, dressa des embuscades dans les bois le long de la route, puis, marchant à sa rencontre, le défit ; Pansa mourut des suites de ses blessures.

Juba, dans les guerres civiles, fit semblant de reculer devant Curion, l'engagea dans de grandes plaines, l'enveloppa avec sa cavalerie, et le tailla en en pièces.

Melanthe, général des Athéniens, défié en combat singulier par le béotien Xanthus, roi des ennemis, lui dit, lorsqu'ils furent en présence, qu'il n'aurait pas dû amener quelqu'un à un rendez-vous où l'on se présentait ordinairement seul; et comme Xanthus se retourna pour voir si quelqu'un le suivait, Mélanthe lui passa son épée au travers du corps, et le tua d'un seul coup.

Iphicrate, du même pays, ayant appris dans la Chersonèse qu'Anaxibius, général des Lacédémoniens, menait son armée par terre, se mit en embuscade sur son chemin avec ses meilleurs soldats, et fit continuer la route à ses galères. L'ennemi, qui ne se doutait de rien, donna dans l'embuscade et fut défait.

Quelques bateaux légers s'étant retirés dans des lieux bourbeux, firent croire à une trirème qui les poursuivait qu'il y avait de l'eau, parce qu'ils ne montraient que la partie supérieure. Celle-ci s'engagea dans la vase et fut prise.

Alcibiade, général des Athéniens dans l'Hellespont, surpassant en nombre par ses soldats et ses vaisseaux Mindare, qui commandait la flotte du Péloponnèse, débarqua quelques gens la nuit, et laissant une grande partie de ses galères derrière un cap, s'avança avec les autres pour harceler l'ennemi. Mindare, le voyant faible, le poursuivit vivement, et donna sans y penser à travers la flotte. Il voulut se retirer et mettre ses troupes à terre ; il fut défait par ceux qu'Alcibiade avait débarqués.

Le même, dans un combat naval, mit quelques mâts sur un cap, et quelques hommes pour les garder, avec ordre de déployer les voiles au plus fort de la bataille. Cette manœuvre ayant été exécutée, fit croire aux ennemis que c'était une nouvelle flotte qui arrivait à son secours, et ils prirent la fuite.

Memnon, de Rhodes, ayant deux cents vaisseaux, et voulant attirer au combat les ennemis, qui étaient les plus faibles, ne fit dresser que les mâts du premier rang des navires; de sorte que l'ennemi, qui les vit de loin, se croyant aussi fort qu'eux, engagea la bataille et fut défait.

Thimothée, général des Athéniens, voulant livrer bataille à l'armée navale des Lacédémoniens, l'envoya harceler par vingt galères des plus légères, et lorsqu'il l'eut bien fatiguée, il donna avec toute sa flotte, et remporta la victoire.

CHAPITRE VI.

Pour donner passage à l'ennemi contre un coup de désespoir.

Après le combat de Camille contre les Gaulois, le sénat leur accorda des bateaux et des vivres peur se retirer. À d'autres de la même nation, il donna passage sur le territoire de Pomptine, par où ils prirent leur route

L. Marcius, chevalier romain, qui commanda l'armée d'Espagne après la mort des deux Scipion, voyant les Carthaginois investis redoubler de courage pour vendre chèrement leur vie, s'ouvrit afin de leur donner passage, et les défit ensuite sans danger, lorsqu'ils furent débandés dans leur fuite.

César, voyant les Germains investis se défendre vaillamment, leur fit ouvrir aussi un passage, et les chargea pendant qu'ils se retiraient.

À la journée du Trasimène, les Romains enfermés de toutes parts, combattant avec fureur, Hannibal fit ouvrir ses rangs pour leur donner passage, puis, les chargeant en queue, les défit sans peine et sans danger.

Antigone, roi de Macédoine, certain que les Étoliens, qu'il assiégeait, étaient résolus à périr par une sortie généreuse plutôt que de mourir de faim ou de se rendre, leur donna les moyens de se retirer, et, les chargeant dans leur retraite, les défit.

Agésilas, contre les Thébains enfermés de toutes parts et qui se battaient plus par désespoir que par résolution, préféra leur laisser un passage, puis les chargeant en queue, les défit sans perdre un seul des siens.

Le consul Cn. Manlius, à son retour d'une bataille, ayant trouvé les ennemis maîtres de son camp, mit des troupes à toutes les portes, ce qui les réduisit à un tel désespoir, qu'il fut tué dans le combat. Mais ses lieutenants, instruits par sa perte, leur laissèrent une porte libre, et les chargeant dans leur fuite, les défirent entièrement avec l'aide de l'autre consul, qui vint les attaquer de front pendant leur retraite.

Thémistocle, après la victoire de Salamine, empêcha qu'on ne rompit le pont de bateaux que Xerxès avait fait sur l'Hellespont, et dit qu'il était plus avantageux de le chasser de l'Europe que de l'y retenir. Pour lui donner plus de sécurité, il l'avertit de se retirer promptement, comme s'il eût été son ami.

Pyrrhus, après la prise d'une ville, voyant que les habitants, enfermés de toutes parts, faisaient une défense opiniâtre, leur livra passage. Dans les maximes de guerre qu'il a laissées , il est d'avis de ne point trop presser celui qui fuit, non seulement pour ne point l'obliger à faire volte-face, mais encore pour en avoir meilleur marché, lorsqu'il doit pouvoir se sauver sans péril.

CHAPITRE VII.

Pour cacher ou dissimuler ce qui nous est contraire.

Tullus Hostilius, roi des Romains, combattant avec les Albins contre les Véïes, et voyant ceux-là se retirer au commencement du combat sur une colline, cria tout haut que c'était par son ordre, afin d'envelopper l'ennemi; ce qui rendit le courage aux siens, et le fit perdre aux ennemis, persuadés que c'était une ruse, et non une trahison.

Sylla, dans un combat, voyant le général de sa cavalerie qui allait se rendre à l'ennemi avec une partie de ses gens, feignit que c'était par son ordre, pour exécuter quelque trahison ; ce qui augmenta le courage des siens. Une autre fois, que ses troupes auxiliaires avaient été enveloppées par les ennemis et taillées en pièces, il dit qu'il les avait engagées là à dessein, pour s'en défaire, parce qu'elles méditaient leur révolte. Ainsi déguisant sa perte sous une feinte vengeance, il rassura ses gens au lieu de les intimider.

Syphax, ayant averti Scipion, sur le point de passer en Afrique, qu'il ne pouvait abandonner les Carthaginois, Scipion renvoya aussitôt ses ambassadeurs sans souffrir qu'ils parlassent à personne, pour ne point faire perdre courage à ses troupes, et publia qu'ils étaient venus l'assurer de la fidélité de Syphax.

Sertorius poignarda de sa main un Barbare qui lui vint annoncer la défaite d'un de ses lieutenants, de peur qu'il n'allât divulguer cette nouvelle, et qu'elle n'intimidât ses gens, qui étaient aux mains avec l'ennemi.

Alcibiade, combattant contre ceux d'Abyde, reçut un courrier qui lui apprenait que sa flotte était attaquée par celle des ennemis. Mais, comme il reconnut sur son visage que la nouvelle n'était pas bonne, il le tira à part, et fit cesser adroitement le combat, sans que ses ennemis ni ses gens en sussent la cause ; puis il amena ses troupes en diligence au secours de ses galères.

Trois mille Carpétaniens ayant abandonné la nuit Hannibal, comme il passait en Italie, ce général fit publier qu'il les avait congédiés; et pour donner plus de poids à ses paroles, il en renvoya encore d'autres dont il ne tirait pas grand service.

Lucullus, voyant une partie de sa cavalerie qui se retirait vers l'ennemi, fit sonner la charge, et envoya quelques troupes à la suite, comme pour la soutenir. L'ennemi, croyant qu'elle le venait attaquer, la chargea; de sorte que se trouvant investie de tous côtés, elle dissimula son dessein et servit Lucullus.

Datames, persan, faisait la guerre contre Autophradate, en Cappadoce. Prévenu qu'une partie de sa cavalerie s'allait rendre à l'ennemi, il la suivit en diligence avec le reste, la loua d'avoir devancé les autres, et la pria de bien faire ; ce qui la piqua d'honneur et la fit changer de dessein, croyant n'être pas découverte.

Le consul T. Quintius Capitolinus, voyant l'aile qu'il commandait sur le point de lâcher pied, fit courir le bruit que l'autre était victorieuse; ce qui rendit le courage aux plus faibles et fut cause de la victoire.

Le consul Cn. Manlius, dans un combat contre les Étrusques, ayant appris que son collègue Fabius avait été blessé à l'aile gauche, et qu'elle commençait à plier, y accourt en diligence avec quelque cavalerie, en criant que ce n'était rien, et qu'il avait remporté la victoire à l'aile droite. Il la rassura, et fut cause du gain de la bataille.

Le camp de Marius, lors de la guerre des Cimbres, ayant été placé par mégarde dans un lieu où il n'y avait pas d'eau, il dit à ses soldats, qui en mur-muraient : c'est là qu'il en faut aller prendre, montrant le ruisseau qui coulait devant le camp ennemi.

T. Labienus, après la journée de Pharsale, s'étant sauvé à Dyrrachium, affaiblit l'effet que devait produire la nouvelle de la défaite de Pompée, en disant que César était blessé à mort; ce qui rassura les esprits et les retint dans leur devoir.

Caton, ayant abordé au golfe d'Ambracie dans le moment où les Étoliens y attaquaient la flotte des alliés, donna tout haut quelques ordres, comme si ses vaisseaux l'eussent suivi; ce qui porta l'épouvante au milieu de la flotte ennemie, et le tira de danger.

CHAPITRE VIII.

Pour faire renaître le courage chez le soldat.

À la bataille livrée par Tarquin contre les Sabins, Servius Tullius, qui était encore jeune, voyant que le soldat romain commençait à plier, prit une enseigne, et la jeta aux ennemis. Les Romains combattirent si bien pour la reprendre qu'ils remportèrent la victoire.

Furius Agrippa et T. Quinctius Capitolinus en firent autant, l'un contre les Herniques et les Èques; et l'autre contre les Falisques. Salvius Pelignus usa du même expédient lors de la guerre des Perses.

M. Furius Camillus, voyant ses troupes chanceler, arracha une enseigne des mains de celui qui la tenait et se porta en avant. Ses soldats eurent honte de ne le pas suivre.

M. Furius, ayant rencontré ses gens qui tournaient le dos, dit que personne ne rentrerait au camp que victorieux. Il les ramena lui-même au combat, et remporta la victoire. Scipion, au siège de Numance, dit qu'il regardait comme son ennemi celui qui rentrerait au camp sans lui.

Le dictateur Servilius Priscus ayant ordonné de charger les Falisques, fit tuer un porte enseigne qui hésitait. Les soldats, frappés de cet exemple, culbutèrent l'ennemi.

Tarquin, contre les Sabins, voyant sa cavalerie qui ne donnait pas assez vigoureusement, fit ôter la bride aux chevaux, et les poussa contre l'ennemi.

Cossus Cornelius, maître de la cavalerie, usa du même moyen contre les Fidénates.

Le consul M. Atilius, pendant la guerre des Samnites, voyant ses soldats fuir jusqu'au camp, marcha contre eux avec ce qui lui restait de troupes, et menaça de faire main-basse sur ceux qui ne retourneraient pas au combat; ce qui les fit obéir.

Sylla, à la bataille contre Archélaüs, lieutenant de Mithridate, voyant ses soldats plier, tira son épée, et courut aux premiers rangs : Si l'on vous de-mande, s'écria-t-il, où est votre général, dites que vous l'avez laissé combattant dans les plaines de la Béotie. Cette action les piqua d'honneur, et les fit retourner au combat.

César, à Munda, comme ses soldats pliaient, mit pied à terre, et faisant emmener son cheval; marcha devant eux au-devant de l'ennemi. Les soldats eurent honte d'abandonner leur général et retournèrent au combat.

Philippe de Macédoine, craignant que ses soldats ne pussent soutenir l'effort des Scythes, mit les cavaliers sur lesquels il comptait le plus à la queue de son infanterie, avec ordre de tuer le premier qui reculerait; ce qui ne contribua pas peu à la victoire. Chacun préféra périr de la main des ennemis que d'être tué par les siens.

CHAPITRE IX.

Pour profiter d'un succès, afin de terminer la guerre.

Marius ayant vaincu les Teutons, sans pouvoir achever leur défaite, à cause de l'obscurité, les tint toute la nuit en haleine par des cris qu'il fit jeter de temps en temps ; ce qui les obligea à demeurer sous les armes, et fut cause qu'il en eut meilleur marché le lendemain.

Claudius Nero après avoir défait Hasdrubal fit jeter sa tête dans le camp de son frère. À cette vue, Hannibal éprouva une profonde tristesse, et tout le camp fut frappé de consternation.

Sylla après sa victoire, fit mettre au bout d'une pique les têtes des chefs ennemis, et par là vainquit la résolution de ceux qui s'étaient enfermés dans Préneste.

Arminius fit porter de la même manière, jusqu'au retranchement des Romains, la tête de ceux qui avaient été tués au combat.

Domitius Corbulon, assiégeant Tigranocerte , et les ennemis s'opiniâtrant à la défendre, il fit couper la tête à un grand d'entre eux qu'il tenait prisonnier, et la fit lancer dans la ville au moyen d'une machine. Il arriva par hasard qu'elle tomba au milieu de l'assemblée où l'on tenait conseil. Cet événement donna une telle épouvante, qu'il fut résolu qu'on se rendrait.

Hermocrate de Syracuse ayant vaincu les Athéniens, et craignant qu'il n'arrivât quelque désordre par le grand nombre de prisonniers, dit que la cavalerie ennemie devait le venir attaquer la nuit. Ses gens se tinrent sur leurs gardes.

Une autre fois, voyant ses soldats relâchés par la victoire et ensevelis dans le vin et le sommeil, il craignit que les Athéniens qu'il venait de vaincre, ne se retirassent la nuit. Il les envoya avertir par des transfuges que les Syracusains avaient placé des embuscades auprès des passages. Ce qui les retint dans leur camp et fut cause de leur entière défaite.

CHAPITRE X. Pour rétablir les affaires en cas de revers.

T. Didius en Espagne, après une sanglante bataille qui ne cessa qu'à la nuit, fit secrètement enterrer une grande partie de ses morts. L'ennemi étant venu le lendemain pour rendre les derniers devoirs aux siens, et trouvant beaucoup plus d'Espagnols que de Romains, crut avoir du désavantage, et subit les conditions de Titus Didius.

L. Martius, chevalier romain, qui eut le commandement de l'armée l'Espagne après la mort des deux Scipions, voyant celle des ennemis séparée en deux corps, en alla attaquer un de nuit, le surprit, et le tailla en pièces, sans qu'il restât un seul homme pour en porter la nouvelle. Ensuite, après avoir donné quelque repos à ses soldats, il courut pendant. la même nuit attaquer l'autre camp, et l'emporta. Ces deux victoires rendirent l'Espagne aux Romains.

CHAPITRE XI.

Pour retenir dans leur devoir ceux dont on se méfie.

P. Valerius, à Épidaure , craignant la révolte des habitants, parce qu'il n'avait pas beaucoup de troupes, fit célébrer des jeux hors de la ville, et la multitude y étant accourue, il ordonna de fermer les portes, et ne laissa rentrer personne qu'il n'eût reçu les principaux habitants en otage.

Pompée craignant que ceux de Catane ne voulussent pas recevoir garnison, les pria de loger ses malades, et sous ce prétexte fit porter ses meilleurs soldats dans la ville, dont il se saisit, pour placer ensuite telle garnison qu'il voulut.

Alexandre passant en Asie, après avoir vaincu les Thraces, et craignant qu'ils ne se révoltassent en son absence, garda près de lui, comme par honneur, tous les grands du pays, et ceux qui étaient les plus capables de remuer. Il les retint par-là dans le devoir.

Antipater voyant des Barbares entrer dans son pays pour le saccager, sur la nouvelle de la mort d'Alexandre, feignit de ne pas connaître le motif de leur arrivée, et les remercia du secours qu'ils lui amenaient, dans un moment où il était en guerre contre les Lacédémoniens, ajoutant qu'il en écrirait au roi. Il les pria ensuite de se retirer, parce qu'il était assez fort pour résister à ses ennemis.

Comme on avait amené à Scipion parmi des prisonniers espagnols une jeune fille de condition, dont la beauté attirait les yeux de tout le monde, il la fit garder soigneusement, et la remit entre les mains de celui à qui elle était fiancée. Il fit plus, il lui donna l'argent qu'on avait apporté pour sa rançon. Cette conduite gagna tellement le cœur de ces peuples, qu'ils se soumirent volontairement aux Romains. Alexandre parvint aussi à se concilier tous les esprits par la noblesse de ses sentiments envers une jeune femme qu'on lui avait amenée : il ne voulut seulement pas la voir, afin de ne donner aucun soupçon de sa générosité.

Auguste, dans la guerre où il conquit le nom de Germanicus, bâtissant des forts sur le pays des Ubiens, donna de l'argent pour les terres qu'il prenait. Cet acte de justice rendit ces peuples plus fidèles.

CHAPITRE XII.

Ce qu'il faut faire dans un camp, si l'on n'a pas assez de confiance dans ses troupes.

Le consul T. Quinctius, comme les Volsques délibéraient la nuit d'attaquer son camp, mit une seule cohorte de garde, et fit reposer toutes les autres : mais il ordonna aux trompettes de tourner à cheval autour du retranchement, et de sonner toute la nuit. Cette ruse retint les ennemis sous les armes, et les empêcha de donner; de sorte que non seulement il se défendit de leur surprise, mais il les attaqua au point du jour, lorsqu'ils étaient las et fatigués, et les défit.

Q. Sertorius, en Espagne, voyant que les ennemis, qui étaient les plus forts en cavalerie, le venaient braver impunément jusque dans son camp, fit faire des fossés la nuit, et rangea son armée devant. Lorsque la cavalerie fut revenue à son ordinaire, il défendit à ses troupes de bouger, feignant d'avoir appris qu'il y avait quelque embuscade. Il arriva effectivement par hasard qu'il y en avait une, ce qui ne surprit pas ses soldats, parce qu'il les en avait avertis. (3)

Charès, général des Athéniens, craignant que l'ennemi ne prît avantage de sa faiblesse avant que toutes ses troupes fussent arrivées, fit sortir en secret une partie de ses gens par la porte de derrière du camp, et ils rentrèrent ostensiblement par une autre porte; de sorte que l'ennemi croyant que c'était le reste de ses troupes qui arrivait, ne l'attaqua point.

Iphicrate d'Athènes, campé dans une plaine, ayant appris que les ennemis descendraient la nuit des montagnes pour l'attaquer, rangea secrètement ses troupes des deux côtés de la descente, après avoir laissé un grand nombre de feux allumés dans son camp, comme s'il y demeurait. Les ennemis vinrent fondre dessus ; mais il les prit en flanc des deux côtés, et les défit.

CHAPITRE XIII.

Pour favoriser sa retraite.

Les Galates ayant à combattre contre Attalus, mirent leur argent entre les mains de certaines personnes chargées de le répandre ça et là en cas d'échec. Ils voulaient profiter du moment où l'ennemi s'occuperait du pillage pour se sauver.

Tryphon, roi de Syrie, se retirant après la perte d'une bataille, fit semer aussi de l'argent le long du chemin, pour retarder la poursuite de la cavalerie d'Antiochus; ce qui lui réussit.

Q. Sertorius, défait par Q. Metellus surnommé le Pieux, défendit à ses gens de se retirer en masse, et les ayant dispersés après leur avoir donné un rendez-vous , il fut cause qu'on en tua peu dans la poursuite. Viriathus, général des Lusitaniens, sortit par le même stratagème, d'un lieu désavantageux.

Horatius Cocles, poursuivi par Porsenna, arrêta les ennemis à l'entrée d'un pont, tandis qu'il le faisait rompre; et lorsque le pont fut abattu, il se jeta dans la rivière, et se sauva à la nage tout couvert de blessures, mais encore plus chargé de gloire.

Afranius faisant retraite devant César, près de Lérida, et se voyant pressé, feignit de camper, ce que César fit à son exemple : mais lorsque les troupes de César furent dispersées pour aller au bois et au fourrage Afranius poursuivit sa marche.

Antoine se retirant devant les Parthes, et ayant remarqué que s'il décampait au point du jour, il les avait sur les bras, attendit jusqu'à onze heures du matin. Il partit alors à l'improviste, lorsque les Parthes croyaient qu'il séjournerait, et ne fut point suivi de tout le jour, parce que l'ennemi s'était écarté.

Philippe défait en Épire par les Romains, et craignant d'être poursuivi dans si retraite, demanda une suspension d'armes comme pour enterrer ses morts, et se retira pendant ce temps.

Publius Claudius ayant perdu une bataille navale contre les Carthaginois, était contraint dans sa retraite de traverser des lieux qui étaient gardés par les ennemis. Il feignit d'être victorieux, et ornant ses vaisseaux de festons, passa sans péril, parce qu'on redoute toujours le vainqueur.

Les vaisseaux carthaginois se retiraient après une bataille perdue, lorsque se voyant poursuivis de près par les Romains, ils firent semblant de donner à travers un banc, et s'arrêtant tout-à-coup, commencèrent à jeter de grands cris. Cette ruse fit retirer les Romains, qui craignaient un pareil accident, et ce fut pour les Carthaginois un moyen de salut.

Commius l'Atrebate, voulant se sauver des Gaules en Angleterre, après avoir été défait par César, et trouvant les vaisseaux à sec, parce que la mer était basse, entra dans l'eau néanmoins, et fit déployer toutes les voiles ce qui fit croire de loin à César que Commius était déjà en mer, et qu'on ne pourrait le joindre; de sorte qu'on cessa de le poursuivre.

(1) Frontin dit : Volturnum amnem. Tous les commentateurs se sont essayés sur ce passage qui présente une erreur, car c'est l'Aufide qui coule auprès de Cannes, et non le Vulturne, fleuve de la Campanie. Il est évident, pour quiconque connaît à fond l'histoire romaine, que cette leçon de Frontin est corrompue, et que notre interprétation est la seule bonne. Polybe, du reste, ne parle pas de cette circonstance.

(2) Ce passage offrait quelque difficulté, et les commentateurs n'ont pas manqué de l'embrouiller encore. Le voici : Tum prosignanis, qui in secunda acie erant, imperavit, ut densos numerosque palos firme in terram delgerent: intraque eos, adpropinquantibus quadrige, antesignarum aciem recepit. Dans la vieille milice, lorsque les légions se fermaient sur trois lignes en échiquier, les hastaires qui occupaient la première ligne, étaient nommés antesignani parce que leurs enseignes se plaçaient au dernier rang. On conçoit les motifs qui présidèrent à cette disposition ; cette ligne donnait la première, et on voulait éloigner autant que possible les enseignes de l'ennemi. Plus tard, les légions abandonnèrent la division des manipules pour adopter les cohortes, et il est probable que les enseignes furent placés au centre de la profondeur de claque cohorte; cependant le nom d'antesignani resta encore à la première ligne; comme un de ces vestiges d'antiquité dont on trouve plusieurs exemples dans la milice romaine, bien que l'on n'en reconnaisse pas exactement la raison. Mais il devenait bien inutile de faire la correction qu'adoptent tons les commentateurs en mettant postignani au lieu de prosignani, pour opposer ces deux sortes de soldats; car il est peu important d'admettre que Sylla fit planter des pieux par ceux qui étaient placés devant ou derrière les enseignes de la seconde ligne. Là n'était pas la difficulté. On doit même croire que ce terme de prosignani n'est pas employé sans motif à côté de l'autre, et il parait enfin plus convenable, dans la position pressante où était Sylla, qu'il fit exécuter ces travaux entre les deux premières lignes, qu'entre les deux dernières.
C'est pitié de voir comment d'Ablancourt rend tous ces détails militaires. En parlant de l'ordre de bataille de Scipion contre Hannibal à Zama (voyez le paragraphe précèdent), Frontin disait: Robur legionis, triplici acie in fronte ordinatum per hastatos et principes et triarios obposuit, etc., etc. d'Ablancourt traduit : « Il rangea son infanterie pesamment armée par peloton en ligne droite;» et ce traducteur ajoute dans une note que Frontin s'exprime en termes barbares qu'on ne peut expliquer. Dans un autre endroit, il prétend que Sylla sauva son artillerie.  Sans doute encore pour éviter des termes barbares.

(3) Ce passage est fort difficile à débrouiller, et paraît incomplet ou corrompu dans l'original.