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table des matières d'Aulu-Gelle

 

AULU-GELLE

LES NUITS ATTIQUES

LIVRE TROISIÈME.

livre 2 - livre 4

Autre traduction

Relu et corrigé

 

 

I. Pourquoi Salluste a dit que l'avarice énerve non seulement une âme virile, mais même le corps.

Un jour, à la fin de l'hiver, nous nous promenions avec Favorinus devant les bains de Sitius, pour jouir de la chaleur du soleil.

Tout en nous promenant, nous lisions le Catilina de Salluste, sur l'invitation de Favorinus, qui avait aperçu ce livre entre les mains d'un de ses amis. A la lecture de ce passage : « L'avarice est une soif de l'or que ne connut jamais le sage; cette passion, pleine, pour ainsi dire, d'un poison funeste, énerve le corps et l'âme: toujours infinie, insatiable, elle ne diminue ni par l'abondance ni par le besoin ». Favorinus, se tournant vers moi : «Comment, dit-il, l'avarice peut-elle énerver le corps? Il me semble que je comprends parfaitement que cette passion énerve l'âme la plus virile; mais qu'elle puisse produire cet effet sur le corps, c'est ce que je ne m'explique pas.- Moi aussi, dis-je alors, je me suis bien des fois adressé cette question, et tu n'as fait que prévenir une demande que j'allais te faire ».

A peine avais-je ainsi témoigné le désir d'être éclairé sur ce passage, qu'un disciple de Favorinus, qui paraissait versé dans la littérature, prit la parole en ces termes : « Voici ce que j'ai entendu dire à Valérius Probus: Salluste s'est servi d'une tournure poétique, pour faire entendre que l'avarice corrompt l'homme : il a dit que cette passion énerve le corps et l'âme, qui sont les deux parties dont l'homme est composé ». - Jamais, que je sache du moins, dit Favorinus, notre ami Probus, pour expliquer ce passage, n'a eu recours à une subtilité aussi déplacée et aussi téméraire; il n'est pas possible qu'il prête ici une périphrase poétique à Salluste, un auteur qui recherche la concision avec un soin si particulier. Il y avait parmi nous un homme d'une grande érudition; Favorinus lui demande son opinion sur cette difficulté.

Ce dernier prend ainsi la parole : « Ceux qui, rongés et dévorés d'ambition, se livrent tout entiers à la passion d'entasser de l'or, sont sans cesse absorbés par cette occupation; comme leur seul but est de thésauriser, ils négligent les autres travaux et tous les exercices qui peuvent entretenir les forces de l'homme; la plupart du temps renfermés chez eux, ils se livrent à des trafics et à des opérations sédentaires qui leur enlèvent la vigueur du corps et de l'âme, et les énervent, comme dit Salluste. »

Alors Favorinus fait lire de nouveau le passage de Salluste. Après cette lecture: «Mais que dire, reprend-il alors, quand nous voyons beaucoup d'hommes très avides d'argent, conserver cependant une santé robuste? - Ton objection est juste, reprend le premier; cependant je dirai que si l'avare conserve une bonne santé, il faut nécessairement qu'il se livre à certains exercices pour satisfaire d'autres penchants qui l'invitent à prendre soin de son corps; car si l'avarice seule, s'emparant de toutes les affections, de toutes les facultés de l'homme, le pousse jusqu'à l'oubli de son propre corps, au point de lui faire abandonner les soins que réclament et ses propres forces et la nature, on peut dire avec raison que la soif de l'argent énerve le corps et l'âme de celui qu'elle dévore. - Ton opinion, dit Favorinus, est admissible, ou Salluste, par haine de l'avarice, en a exagéré la puissance. »

II. Quel est, d'après M. Varron, le jour natal de ceux qui sont nés avant ou après la sixième heure de la nuit (minuit) ? Durée de la journée civile chez les différents peuples. Que suivant Q. Mucius, la femme qui n'a pas observé la durée de l'année civile ne peut être épousée par usurpation.

On s'est demandé souvent quel est le jour natal de ceux qui naissent à la troisième, à la quatrième ou à toute autre heure de la nuit; est-ce le jour qui précède ou le jour qui suit la nuit de la naissance ? M. Varron, dans son traité des Choses humaines, au livre des Jours, dit: « Les enfants nés dans le même intervalle de vingt-quatre heures, placés entre la moitié d'une nuit et celle de la nuit suivante, sont considérés comme étant nés le même jour ». D'après ce passage, il est facile de voir que Varron établissait la division des jours de telle sorte que l'enfant né après le soleil couché, mais avant minuit, doit avoir pour jour natal celui qui a précédé la nuit de la naissance; qu'au contraire, l'enfant né dans les six dernières heures de la nuit a pour jour natal le jour qui suit immédiatement. Varron nous apprend, dans ce même traité, que les Athéniens comptaient autrement: chez eux, le jour civil commençait au coucher du soleil et finissait le lendemain à la chute du jour. Les Babyloniens avaient une autre manière de compter : chez eux, le jour embrassait tout le temps compris d'une aurore à l'autre. Il ajoute que les Ombriens prennent généralement pour un jour le temps qui se passe d'un midi à l'autre : « Ce qui est absurde, dit-il, car l'enfant qui naîtrait en Ombrie à la sixième heure (midi) des calendes, aurait son jour de naissance moitié dans les calendes et moitié dans le jour suivant.» Le peuple romain, comme l'affirme Varron, compte en effet le jour civil par le milieu de chaque nuit; cette opinion est confirmée par un grand nombre de faits. Chez les Romains, les sacrifices se font en partie pendant la nuit, en partie pendant le jour : les sacrifices de nuit se rapportent aux jours précédents, et non aux nuits; les sacrifices offerts dans les six dernières heures se rapportent au jour suivant.

Une autre preuve nous est fournie par les cérémonies et les rites établis pour prendre les auspices. Quand les magistrats doivent consulter les auspices pour un acte public, et dans le même jour exécuter cet acte, ils ont soin de ne prendre les auspices qu'après minuit, et de n'agir qu'après midi: ainsi ils ont pris les auspices et agi le même jour. En outre, les tribuns du peuple, à qui il est interdit de s'absenter de Rome pendant un jour entier, ne sont pas censés avoir violé la loi lorsqu'ils partent après minuit et qu'ils reviennent entre l'heure où l'on allume les flambeaux et le milieu de la nuit suivante, de manière à passer dans Rome une partie de la nuit.

J'ai lu aussi que le jurisconsulte Quintus Mucius disait souvent que le mariage par usurpation était impossible si la femme, qui avait vécu depuis les calendes de janvier avec l'homme qu'elle devait épouser, n'avait pas commencé à coucher hors du logis avant le quatrième jour des calendes de janvier suivant; car dans ce cas elle ne peut s'être absentée trois nuits de la maison de cet homme (condition requise par la loi des Douze-Tables pour valider le mariage par usurpation), puisque les six heures de la dernière nuit appartiennent à l'année suivante, qui commence aux calendes. Lorsque j'eus trouvé dans les anciens tous les détails sur la manière de diviser les jours, et les rapports de cette division du temps avec la jurisprudence ancienne, je me rappelai un passage de Virgile où ce poète, sans aucun doute, nous fournit là-dessus une preuve de plus, non pas d'une manière directe et précise, mais par une tournure toute poétique, qui, tout en voilant la réalité, ne laisse pas de rappeler une coutume ancienne; c'est dans ces deux vers :

L'humide nuit, dit-il, a parcouru la moitié de sa carrière; et déjà j'ai senti le souffle brûlant des coursiers du soleil.

Le poète, en effet, par cette image, ne semble-t-il pas nous dire que, chez les Romains, le jour civil commençait à la sixième heure de la nuit?

III. Moyen de reconnaître l'authenticité des comédies de Plaute, puisqu'on a confondu celles qui lui appartiennent véritablement avec celles qui ne sont pas de lui. Que Plaute composa plusieurs de ses ouvrages dans un moulin, et Névius quelques-unes de ses pièces dans une prison.

Je vois aujourd'hui combien est juste la réflexion que j'ai entendu faire à des hommes versés dans la littérature; quand on veut, disaient-ils, résoudre les doutes qui se sont élevés sur l'authenticité de la plupart des comédies de Plaute, il ne faut ajouter aucune foi aux catalogues d'Élius, de Sédigitus, de Claudius, d'Aurélius, d'Attius, de Manilius; il faut interroger Plaute lui-même, son génie, son style.

Varron n'a pas adopté d'autre méthode; car sans parler des vingt et une pièces appelées varroniennes, que ce critique distingue des autres comme appartenant à Plaute, du consentement de tout le monde, il en a recueilli encore quelques-unes, qui, par le style et par le caractère comique, lui paraissent, offrir des analogies frappantes avec la manière de Plaute, bien qu'elles aient été attribuées à d'autres. C'est ainsi que Varron revendique pour Plaute la Béotienne, que je lisais tout récemment. Bien que cette pièce ne se trouve pas dans les vingt et une premières, et qu'elle ait été attribuée à Aquilius, Varron n'hésite pas à la regarder comme l'œuvre de Plaute; tout lecteur un peu familiarisé avec le style de cet auteur en conviendra, s'il veut lire les vers suivants que j'ai cités, parce que, pour parler comme le comique lui-même, ils me paraissent tout à fait dignes de Plaute : « Plautinissimi ». C'est un parasite à jeun qui parle :

« Que les dieux confondent celui qui a inventé les heures et qui le premier plaça dans cette ville un cadran ! Malheureux que je suis! il m'a découpé la journée en compartiments! Lorsque j'étais jeune, je n'avais d'autre cadran que mon ventre; c'était pour moi l'horloge la plus sûre et la plus vraie; elle ne manquait jamais de m'avertir, excepté quand il y avait disette. Maintenant, lors même qu'il se présente de bons morceaux, on ne mange point s'il ne plaît pas au soleil; car, clans toute la ville, on ne voit plus que cadrans : aussi les trois quarts des citoyens se traînent-ils mourant de faim ».

Un jour je lisais avec Favorinus la Chaîne de Plaute, classée parmi les pièces douteuses; en entendant ce vers :

« Femmes débauchées, éclopées, épileuses, sales coquines », notre philosophe, charmé de ces anciennes et comiques expressions, qui dépeignent si bien le vice et la laideur des courtisanes, s'écria : « Ce seul vers dissiperait tous les doutes sur l'authenticité de cette pièce; elle est de Plaute. » Moi-même, en lisant dernièrement le Détroit (autre pièce classée parmi les douteuses), je n'hésitai pas à l'attribuer à Plaute, et même à y voir une de celles où se révèle le mieux sa verve comique. En voici deux vers que je recueillis en cherchant l'origine de l'oracle cornu : Voilà; c'est l'oracle cornu, qu'on redit dans les Grands jeux :

« Je suis perdu, si je ne le fais pas; si je le fais, je serai battu. »

Marcus Varron, dans son premier livre sur les Comédies de Plaute, reproduit ce passage d'Attius : « Les comédies intitulées : les Jumeaux, les Lions, l'Anneau de l'esclave, la Vieille, ne sont pas de Plaute; la Fille deux fois violée, la Béotienne, le Rustre, les Amis à la vie à la mort, n'ont jamais appartenu à Plaute; ces pièces sont de M. Aquilius ». Dans le même livre, M. Varron rapporte qu'il exista à Rome un autre poète nommé Plautius, et que comme ses comédies portaient en titre le mot PLAUTII, elles furent prises pour des ouvrages de Plaute, et appelées « Plautinae comoediae », au lieu de « Plautianae comoediae ».

On porte à cent trente environ le nombre des pièces de Plaute; mais le savant L. Élius ne lui en attribue que vingt-cinq. Il est aussi très probable que beaucoup de pièces portant son nom, pièces dont l'authenticité est douteuse, appartiennent à des poètes plus anciens; qu'elles ont été retouchées et refondues par lui, ce qui fait qu'elles portent l'empreinte de son style. Saturion, l'Insolvable, et une autre pièce dont le nom m'échappe, ont été composées dans un moulin, au rapport de Varron et de beaucoup d'autres critiques, qui racontent que Plaute, après avoir perdu dans le commerce tout l'argent qu'il avait gagné au théâtre, revint à Rome dans un dénuement complet; que pour vivre il fut obligé de tourner une meule à bras, et se loua à un boulanger.

J'ai entendu dire aussi que Naevius avait composé en prison les pièces intitulées le Devin et Léon. Comme il ne mettait aucun frein à la hardiesse de ses satires, et qu'à l'imitation des poètes grecs, il ne craignait pas de blesser l'amour-propre des principaux citoyens de l'État, il fut jeté en prison à Rome par l'ordre des triumvirs. La liberté lui fut rendue par les tribuns du peuple, après qu'il eut composé les deux pièces que je viens de citer, dans lesquelles il faisait amende honorable pour les railleries et pour les traits injurieux qui avaient blessé tant de citoyens.

IV. Que P. Scipion l'Africain et d'autres personnages distingués de son siècle avaient l'habitude de se raser les joues et le menton avant d'être parvenus à la vieillesse.

En lisant l'histoire de la vie de P. Scipion l'Africain, je remarquai un passage où l'on rapportait que P. Scipion, fils de Paul, après avoir triomphé des Carthaginois et exercé les fonctions de censeur, fut cité devant le peuple par le tribun Claudius Asellus, auquel il avait retiré son cheval pendant sa censure; que, Scipion, quoique accusé, n'en continua pas moins de se raser, de se montrer vêtu d'une robe blanche; en un mot, qu'il ne prit rien de l'appareil ordinaire des accusés. Comme Scipion, à cette époque, avait près de quarante ans, je fus tout étonné de voir qu'à cet âge il se rasait la barbe. Mais bientôt je m'assurai qu'à cette époque les autres personnages de distinction de son âge avaient coutume de se raser. C'est pour cela que nous voyons beaucoup d'anciens portraits où sont représentés sans barbe des hommes qui, sans être vieux, sont déjà au milieu de leur carrière.

 V. Par quelles paroles sévères et plaisantes tout à la fois, le philosophe Arcésilas railla quelqu'un sur sa mollesse, et sur la langueur efféminée de ses yeux et de sa personne.

Plutarque rapporte un mot spirituel et violent du philosophe Arcésilas sur un homme riche dont toute la personne paraissait efféminée, quoiqu'il passât pour avoir des mœurs chastes, honnêtes et pures. Entendant sa voix de femme, voyant sa chevelure artistement arrangée, ses yeux provocateurs et chargés de volupté, notre philosophe lui dit : « Peu importe qu'on soit impudique par le haut ou par le bas. »

 VI. Force et propriété du palmier: le bois de cet arbre se relève sous les fardeaux dont on le charge.

Aristote, dans le septième livre de ses Problèmes, et Plutarque, dans le huitième de ses Symposiaques, rapportent un fait bien étonnant. Si l'on met, disent-ils, sur le bois du palmier un poids très lourd, et qu'on le charge au point qu'il ne puisse supporter la masse qui agit sur lui, le palmier ne cédera pas, ne fléchira même pas; au contraire, il résistera et se relèvera en formant une courbe. Voila pourquoi, dit Plutarque, dans les combats, la branche de palmier est devenue le symbole de la victoire parce qu'il est dans la nature de ce bois de ne jamais céder à la force qui le presse et l'opprime.

VII. Histoire du tribun militaire Q. Cédicius, tirée des Annales. Citation d'un passage des Origines de M. Caton, qui compare la valeur de Cédicius à celle du Spartiate Léonidas.

Grands dieux! quel trait sublime, digne des éloges de la Grèce éloquente nous lisons dans le livre des Origines de M. Caton, sur le tribun militaire Q. Cédicius ! Voici le sens du passage en question :

Dans la première guerre punique, le général carthaginois qui commandait en Sicile s'avance contre l'armée romaine, et s'empare des hauteurs et de toutes les positions les plus favorables. Les soldats romains sont obligés de s'engager dans un défilé dangereux où ils courent risque de périr. Le tribun Cédicius vient trouver le consul, lui montre que, dans cette position et entourée d'ennemis, l'armée est exposée aux plus grands dangers: «Si tu veux sauver l'armée, ajouta le tribun, je pense qu'il est à propos qu'on envoie quatre cents soldats vers cette verrue (c'est ainsi que M. Caton désigne les lieux élevés et de difficile accès), et que, sur tes exhortations, sur tes ordres, ils s'en emparent; dès que les ennemis verront cette troupe, les plus braves et les plus déterminés d'entre eux accourront pour l'arrêter, et engageront une affaire qui les occupera tous. Les quatre cents soldats seront massacrés, sans aucun doute; mais toi, pendant que les ennemis seront occupés à les égorger, tu auras le temps de tirer l'armée de ce défilé; il n'y a pas, je crois, d'autre moyen de salut.

- Cet avis, dit le consul, me paraît excellent; mais qui se chargera de conduire ces quatre cents soldats sur les hauteurs couronnées d'ennemis ?

- Si tu ne trouves personne, reprit le tribun, sers-toi de moi pour tenter l'exécution de cette entreprise; je fais a mon général et à la république le sacrifice de ma vie.»

Le consul complimente et remercie le tribun. Les quatre cents soldats marchent à la mort, Cédicius à leur tête. Les ennemis, admirant leur audace, attendent pour voir où ils se dirigeront; mais dès que le général carthaginois comprend qu'ils s'avancent pour s'emparer des hauteurs, il détache contre eux tout ce qu'il y avait de plus intrépide dans son armée, tant en infanterie qu'en cavalerie. Les Romains sont enveloppés; dans cette position, ils se défendent avec énergie ; la victoire même est longtemps incertaine. Enfin le nombre l'emporte : les quatre cents tombent tous percés de coups d'épée, ou couverts de traits.

Le consul met à profit le temps du combat pour sortir du défilé et prendre une position sûre dans des lieux élevés. Mais je transcrirai les propres termes de Caton pour raconter le prodige que firent les dieux dans ce combat, en faveur du tribun qui commandait les quatre cents soldats :

« Les dieux immortels donnèrent au tribun un sort digne de sa bravoure. Couvert de blessures, il n'en reçut aucune à la tête; on le trouva parmi les morts, épuisé par la perte de son sang, respirant à peine; on l'emporta, il revint à la vie; plusieurs fois dans la suite, il donna à sa patrie des preuves de son courage. Dans cette circonstance, s'il conduisit à la mort quatre cents soldats, il sauva le reste de l'armée. Mais malheureusement la gloire d'une belle action dépend beaucoup du théâtre où elle s'est passée. L'univers retentit des louanges du Lacédémonien Léonidas, qui aux Thermopyles montra un semblable courage; la Grèce, sa patrie, a exalté sa valeur, l'a immortalisée par des monuments, par des statues, par des tableaux, par des récits, par des éloges publics; elle a mis tout en usage pour témoigner sa reconnaissance, et l'on connaît à peine le nom d'un tribun qui n'a pas montré moins de courage, et qui a sauvé sa patrie. » C'est ainsi que M. Caton honore par son témoignage la vaillance de Q. Cédicius. Toutefois Claudius Quadrigarius, dans le troisième livre de ses Annales, dit que le tribun ne s'appelait pas Cédicius, mais Labérius.

VIII. Lettre remarquable des consuls C. Fabricius et Q. Emilius, au roi Pyrrhus, conservée par l'historien Q. Claudius.

Lorsque Pyrrhus était en Italie, et que, vainqueur dans deux batailles, il pressait de toutes parts les Romains, qu'un grand nombre de peuples de l'Italie passaient du côté du vainqueur, un certain Timocharès d'Ambracie, favori du roi, vint en secret trouver C. Fabricius, et s'offrit, pour un salaire, à empoisonner son maître : ce qui serait d'autant plus facile, ajoutait-il, que ses fils étaient échansons du prince. Fabricius en écrit au sénat, qui envoie des ambassadeurs à Pyrrhus, avec ordre de ne point dénoncer Timocharès, mais de conseiller au roi d'agir avec plus de circonspection, et de se mettre en garde contre la trahison de ceux qui l'approchent le plus. Ce trait est ainsi rapporté par l'historien Valérius Antias. Mais Quadrigarius, dans le troisième livre de ses Annales, raconte que ce ne fut pas Timocharès, mais Nicias qui vint trouver le consul; que les ambassadeurs ne furent point envoyés par le sénat, mais par les consuls; que le roi écrivit au peuple romain une lettre d'éloges et de remerciements, et qu'il renvoya sans rançon tous les prisonniers romains.

Les consuls de cette année étaient C. Fabricius et Q. Emilius. Le texte de la lettre qu'ils écrivirent à Pyrrhus nous a été conservé par Claudius Quadrigarius :

« Les consuls romains au roi Pyrrhus, salut. Nous désirons toujours nous venger du mal que tu nous as fait, nous sommes toujours tes ennemis, et nous mettons tous nos soins à te faire la guerre. Mais pour donner à tous l'exemple de la loyauté, nous voulons sauver notre ennemi, afin de pouvoir en triompher plus tard. Un de tes courtisans, Nicias, est venu nous trouver pour nous demander quelle récompense il pouvait attendre de nous s'il mettait fin à tes jours. Nous avons rejeté ses propositions; nous lui avons dit qu'il ne devait rien attendre des consuls romains; en même temps il nous a paru bon de t'informer de ce projet criminel, afin que si l'on attentait à ta vie, aucun peuple ne crût que nous sommes les instigateurs du crime, et ne pensât que c'est par la ruse ou par la trahison soldée que nous combattons nos ennemis; si tu ne te tiens sur tes gardes, tu périras.»

IX. Ce qu'était le cheval de Séius, connu par un proverbe. Couleur des chevaux appelés « spadices », chevaux bais. Origine de ce mot.

Gabius Bassus, dans ses Commentaires, Julius Modestus, dans le deuxième livre de ses Remarques mêlées, racontent l'histoire merveilleuse du cheval de Séius. Ce Cn. Séius, disent ces auteurs, avait un cheval, né à Argos, en Grèce dont l'origine, si l'on en croit une tradition fort accréditée, remontait jusqu'à ces fameux coursiers que Diomède possédait en Thrace, et qu'Hercule, après avoir fait périr Diomède, conduisit de Thrace dans Argos.

C'était, dit-on, un cheval bai, d'une grandeur extraordinaire; il avait la tête haute, la crinière fournie et luisante, et possédait au plus haut degré toutes les autres qualités que l'on estime dans un cheval. Mais telle était la fatalité ou le sort funeste attaché à cet animal, que tous ceux qui le possédaient mouraient de mort violente après avoir perdu tout leur bien, à la suite d'affreux malheurs. Ainsi, son premier maître, Cn. Séius, condamné à mort par M. Antoine, qui dans la suite fut triumvir, perdit la vie dans d'horribles supplices; à la même époque, le consul Cornélius Dolabella, partant pour la Syrie, attiré par la célébrité de ce coursier, passa par Argos; il fut saisi d'un vif désir de l'avoir, et il l'acheta cent mille sesterces. Or, la guerre civile ayant éclaté en Syrie, Dolabella lui-même fut assiégé et égorgé.

Bientôt le cheval passa de Dolabella à C. Cassius, qui avait assiégé ce dernier; on sait assez que Cassius, voyant la ruine de son parti, la déroute de son armée, périt d'une manière funeste, frappé de sa propre main. Vainqueur de Cassius, Antoine se fit amener le cheval déjà fameux de son adversaire; mais, peu de temps après l'avoir eu en sa possession, trahi par la fortune, abandonné des siens, il périt de la plus déplorable mort. De là ce proverbe appliqué souvent aux hommes que le malheur poursuit :

« Cet homme a le cheval de Séius ».

Tel est encore le sens de cette ancienne locution passée en proverbe :

« L'or de Toulouse ».

En voici l'origine: le consul Q. Cépion, ayant pillé Toulouse, dans les Gaules, trouva beaucoup d'or dans les temples de cette cité; et on remarqua que ceux qui, dans le pillage, avaient pris de cet or, périrent tous d'une mort misérable et violente.
Gabius Bassus rapporte qu'il vit à Argos le cheval de Séius; il fut frappé de la beauté extraordinaire de cet animal, de sa vigueur et de la couleur remarquable de sa robe. Cette couleur était comme nous l'avons dit plus haut, celle que les Latins appellent « phoeniceus », et les Grecs
φοίνιξ ou bien encore rouge foncé, parce que c'est le nom qu'on donne à une branche de palmier, arrachée de l'arbre avec son fruit.

X. Vertu et propriété du nombre sept, constatées par un grand nombre d'exemples. Faits nombreux cités par M. Varron, sur ce sujet, dans son Traité des Semaines.

M. Varron, dans le premier livre de son ouvrage intitulé Semaines ou Images, traite fort au long de la vertu et de la propriété du nombre sept, que les Grecs appellent ἑβδομάς.

«Ce nombre, dit-il, forme dans le ciel la grande et la petite ourse, les Vergiliae, que les Grecs appellent Πλείαδες, Pléiades; il forme aussi les étoiles que les uns appellent erraticae, planètes, et P. Nigidius errones. »
Les cercles célestes, qui ont pour centre l'axe du monde, sont aussi au nombre de sept: les deux plus petits, voisins de l'extrémité de l'axe, sont appelés pôles; leur petitesse empêche de les marquer sur la sphère armillaire. Le zodiaque lui-même renferme ce nombre sept : en effet, le solstice d'été arrive quand le soleil entre dans le septième signe, à partir du solstice d'hiver; de même le solstice d'hiver a lieu quand le soleil a parcouru sept signes, à partir du solstice d'été. On compte également sept signes d'un équinoxe à l'autre. Le temps que les alcyons emploient à construire leur nid sur l'eau, dans l'hiver, est aussi de sept jours. Varron ajoute que la révolution de la lune se fait en quatre fois sept jours : «En effet, dit-il, en vingt-huit jours elle revient au point d'où elle est partie. » Il cite Aristide de Samos comme étant l'auteur de cette observation. En cela, dit-il, il y a deux choses à remarquer : d'abord, que la lune décrit son cercle en quatre fois sept jours, c’'est-à-dire en vingt-huit jours; et ensuite, que le nombre sept, ajouté à lui-même, forme, si l'on additionne toutes les unités depuis la première jusqu'à la dernière, le nombre vingt-huit, qui est celui de la durée de la révolution de la lune.

D'après le même auteur, le nombre sept a aussi une influence bien marquée sur la formation et la naissance de l'homme :

« Lorsque le principe fécondant, dit Varron, a pénétré dans le sein de la femme, il s'amoncelle et se réunit pendant les sept premiers jours, et devient ainsi susceptible de recevoir une forme et une figure; au bout de quatre semaines, lorsque le fœtus doit être un enfant mâle, la tête et l'épine dorsale se forment; après la septième semaine, vers le quarante-neuvième jour, l'homme est complètement formé. »

Voici une autre observation de Varron sur la puissance du nombre sept.
Le fœtus, de quelque sexe qu'il soit, ne peut naître viable et à terme avant le septième mois; depuis l'instant de la conception jusqu'à celui de la naissance, il reste ordinairement dans le sein maternel deux cent trente-six jours, c'est-à-dire quarante fois sept jours. Varron nous apprend en même temps que les nombres climatériques les plus dangereux sont ceux qui se composent du nombre sept. Les Chaldéens appellent nombres climatériques les époques où l'homme est menacé de la perte de la vie ou de ses biens. A tout cela Varron ajoute que la plus haute taille du corps humain est de sept pieds; ce qui me paraît plus probable que le récit d'Hérodote, ce conteur de fables, qui, dans le livre premier de ses Histoires, rapporte qu'on a trouvé sous terre le corps d'Oreste, long de sept coudées; ce qui fait douze pieds un quart, à moins que l'on n'admette avec Homère que les hommes des premiers siècles étaient d'une stature plus élevée que ceux de notre époque, et que maintenant le monde vieillissant pour ainsi dire, tout dégénère, les choses et les hommes.

Voici d'autres faits cités par Varron : les dents poussent dans les sept premiers mois; il en sort sept de chaque côté; elles tombent à la septième année; et les molaires percent vers la quatorzième année. Les pulsations des veines, ou plutôt celles des artères, suivent une espèce de rythme que détermine le nombre sept, d'après l'opinion des médecins qui guérissent par le secours de la musique; ils appellent ce mouvement διὰ τεσσάρων συμφωνία c'est-à-dire l'harmonie formée du nombre quatre. Varron pense que les dangers des maladies augmentent dans les jours formés du nombre sept et que les jours critiques ou décisifs, κριτικοὺς ἢ κρισισμούς, comme les appellent les médecins, sont le sept, le quatorze et le vingt et un de chaque mois. Une autre observation ne laisse pas de confirmer la vertu et la puissance du nombre sept: ceux qui veulent se laisser périr de faim ne meurent que le septième jour.

Telles sont les recherches soigneuses que Varron a faites sur le nombre sept; toutefois, il ajoute d'autres observations qui ne sont rien moins qu'intéressantes : par exemple, qu'il y a sept merveilles du monde; qu'il y eut sept sages; que dans les jeux, les chars doivent parcourir sept fois le Cirque; que sept chefs furent choisis pour assiéger Thèbes. Il termine en disant qu'il a bientôt vécu sept fois douze années; qu'il a écrit sept fois soixante-dix livres, dont il perdit un assez grand nombre, sa bibliothèque ayant été pillée pendant qu'il était proscrit.

XI. De quels pauvres arguments se sert Attius dans ses Didascaliques, pour prouver que le poète Hésiode est plus ancien qu'Homère.

On n'est point d'accord sur l'époque où vécurent Homère et Hésiode. Les uns prétendent qu'Homère est plus ancien qu'Hésiode : de ce nombre sont Philochorus et Xénophane; d'autres, qu'il est moins ancien : parmi ces derniers se trouvent le poète L. Attius et l'historien Ephorus. Marcus Varron, dans le premier livre de ses Images, dit qu'il est assez difficile de savoir lequel de ces deux poètes est né le premier; mais qu'il n'est pas douteux qu'ils furent pendant quelque temps contemporains. A l'appui de son opinion, il cite une inscription tracée sur le trépied qui fut consacré par Hésiode sur le mont Hélicon. Le poète Attius, dans le premier livre de ses Didascaliques, se sert de bien pauvres arguments pour établir qu'Hésiode est venu le premier. « Lorsqu'Homère, dit-il, au commencement de son Iliade, dit qu'Achille est le fils de Pélée, il néglige de nous apprendre quel est ce Pélée; sans contredit, il n'eût pas manqué de nous en instruire, si déjà Hésiode ne nous eût fait connaître ce personnage. De même, en parlant du Cyclope, il ne dit point qu'il n'a qu'un œil; certes il n'eût pas passé sous silence un trait aussi remarquable, si Hésiode ne nous en avait instruit déjà dans ses vers. » On est encore beaucoup moins d'accord sur la patrie d'Homère. Selon les uns, il naquit à Colophon; selon les autres, à Smyrne; quelques-uns font de lui un Athénien, d'autres un Égyptien; Aristote affirme qu'il est natif de l'île d'los. M. Varron, dans le livre premier de ses Images, place cette inscription au bas du portrait d'Homère : Cette chèvre blanche indique le lieu où repose Homère : car une chèvre blanche est la victime que les habitants d'los sacrifient à sa mémoire. Sept villes se disputent l'honneur d'avoir donné le jour à Homère : Smyrne, Rhodes, Colophon, Salamine, Ios, Argos, Athènes.

XII. Que P. Nigidius, savant distingué, en appelant un ivrogne bibosus, se sert d'une expression inusitée et bien peu latine.

Dans ses Commentaires sur la grammaire, P. Nigidius désigne un ivrogne par les mots de bibax, de bibosus. Bibax comme edax, grand mangeur, est employé fréquemment. Je pourrais citer plusieurs exemples de l'emploi de ce mot, que je lis dans beaucoup d'auteurs, mais je n'ai trouvé bibosus que chez Labérius. On ne voit pas, non plus, de mot formé de cette façon: car bibosus n'est pas de la même espèce que uinosus, uitiosus, et autres mots semblables qui dérivent de substantifs et non de verbes. Labérius, dans un de ses mimes, le Marchand de sel, s'est servi de ce mot dans le vers suivant :

Non mammosa, non annosa, non bibosa, non procax,
Qui n'a point de grosses mamelles, qui n'est ni vieille, ni buveuse, ni insolente.

XIII. Que Démosthène, pendant sa jeunesse, lorsqu'il était disciple de Platon, ayant entendu, par hasard, l'orateur Callistrate prononcer un discours dans l'assemblée du peuple, quitta l'école du philosophe pour suivre l'orateur.

Hermippus nous apprend que Démosthène, dans sa première jeunesse, allait souvent à l'Académie, où il suivait assidûment les leçons de Platon. Un jour, dit ce même Hermippus, Démosthène, sortant de chez lui pour se rendre, selon sa coutume, à l'école de son maître, voit un nombreux concours de peuple; il en demande la cause : on lui répond que cette multitude court entendre Callistrate. Ce Callistrate était un de ces orateurs publics d'Athènes que les Grecs appellent démagogues. Démosthène se détourne un instant de sa route pour s'assurer si le discours qui attirait tant de monde était digne d'un tel empressement. Il arrive , il entend Callistrate prononcer son remarquable plaidoyer sur Orope. Il est si ému, si charmé, si entraîné, qu'aussitôt, abandonnant Platon et l'Académie, il s'attache à Callistrate.

XIV. Que ces locutions, dimidium librum legi, dimidium fabula audiui, et autres semblables, ne sont pas correctes. Comment M. Varron démontre l'impropriété de ces termes, qui ne peuvent être justifiés par aucun exemple tiré des anciens.

Dimidium librum legi, j'ai lu la moitié d'un livre, dimidium fabulas audiui, j'ai entendu la moitié d'un récit, et autres locutions de ce genre, sont, de l'avis de Varron, incorrectes et vicieuses:

« L'expression propre est alors, dit-il, dimidiatum librum, dimidiatam fabulam, et non dimidium librum, dimidium fabulam legi. Mais si dans un setier on verse une hémine, il ne faudra pas dire, en parlant du demi-setier versé, dimidiatus sextarius fusus, mais dimidius. De même, si un homme à qui il est dû mille deniers en a reçu cinq cents, cette moitié payée sera désignée par dimidium et non par dimidiatum. Au contraire, ajoute Varron, si je divise en deux parties égales une coupe d'argent que je possède en commun avec tel autre, je devrai dire, en parlant de la coupe, dimidiatus scyphus meus, et non dimidius; en parlant de l'une des deux parties d'argent de la coupe, par exemple de celle qui m'appartient, je dirai dimidium meum, et non dimidiatum. Telle est la distinction savante que Varron établit entre dimidium et dimidiatum. Il ajoute que ce n'est pas sans raison que Q. Ennius a dit dans ses Annales:

Sicuti si quis ferat uas uinum dimidiatum.
Comme si on apportait un vase à moitié plein de vin.

S'il s'agissait de la moitié restée vide, on la désignerait par le mot dimidia, et non par dimidiata. Au reste, nous allons donner le résumé de toute cette dissertation de Varron, où l'on trouve, il faut le dire, autant d'obscurité que de finesse : Dimidiatum est presque le synonyme de dismediatum ; il se dit d'une chose divisée en deux parties égales. Il ne convient donc qu'à un objet divisé. Dimidium, au contraire, se dit, non de ce qui est divisé, mais de l'une des deux parties de l'objet divisé. Ainsi, lorsque nous voulons faire comprendre que nous avons lu la moitié d'un livre, ou que nous avons entendu la moitié d'un récit, si nous disons : dimidium librum, dimidiam fabulam, c'est une faute, car pour désigner un tout divisé, nous nous servons de dimidium, au lieu de dimidiatum. Lucilius a tenu compte de cette distinction dans ce passage :

Uno oculo, pedibusque duobus dimidiatus, Ut porcus;
(
Avec son poil unique et ses deux pieds fendus comme ceux d'un porc), et ailleurs :

Quidni? Et scruta quidem ut uendat scrutariu' laudat,
Praefractam strigilem, soleam improbu' dilnidiatam,
(
Pourquoi non? Le fripier vante bien ses guenilles pour les vendre; le rusé coquin vous fait passer pour neuves une étrille brisée, une vieille sandale dont il ne reste que la moitié.)

Dans son vingtième livre, il évite avec le plus grand soin de dire dimidia hora; il se sert de dimidium horae dans les vers suivants:

Tempestate sua, atque eodem uno tempore, et horae
Dimidio, tribu' confectis duntaxat, eamdem Et quartam.
(
Au bon moment pour lui, et juste dans le même espace de temps, au bout de trois heures et demie seulement, la même et la quatrième.)

Cependant il était aussi facile et aussi simple de dire:

Et hora Dimidia tribu' confectis, mais il s'est bien gardé d'employer une locution impropre. Ainsi, il paraît évident qu'il ne faut pas dire dimidia hora, mais tantôt dimidiata hora, tantôt dimidia pars horae. C'est pourquoi Plaute, dans les Bacchidis, dit : dimidium auri, et non dimidiatum aurum, la moitié de l'or. Dans la Marmite, nous trouvons encore dimidium obsonii, la moitié des provisions, au lieu de dimidiatum obsonium.

Voici le vers :

Ei adeo obsonii hinc iussit dimidium dari.
Aussi a-t-il ordonné qu'on lui donnât la moitié des provisions.

Nous lisons dans les Ménechmes un vers où le poète dit :

dimidiatus dies, et non dimidius dies :

Dies quidem iam ad umbilicum dimidiatus mortuu 'st.
Déjà la moitié du jour est passée.

M. Caton, dans son traité Sur l'Agriculture, dit : « Semez épais la graine de cyprès, comme on a coutume de semer le lin; criblez ensuite au-dessus de la terre à l'épaisseur d'un demi-doigt; puis aplanissez-la bien avec une planche, ou avec les pieds, ou avec la main ». On voit que Caton met dimidiatum digitum et non dimidium. On peut dire dimidium digiti, mais au mot digitus, on ne peut appliquer que dimidiatus.

En parlant des Carthaginois, Caton a dit encore : « Ils enterrèrent ces hommes jusqu'à la moitié du corps, in terram dimidiatos, ils les entourèrent de feu, et les firent mourir ainsi ».

Enfin tous les auteurs qui ont écrit purement leur langue observent la règle que je viens de faire connaître.

XV. Que plusieurs personnes, ainsi que l'attestent l'histoire et la tradition, ont perdu la vie en apprenant la nouvelle d'un bonheur extrême et inattendu, suffoquées par la violence de leur émotion et par l'excès du saisissement.

Le philosophe Aristote raconte que Polycrite, femme noble de l'île de Naxos, expira en apprenant une nouvelle heureuse à laquelle elle ne s'attendait pas. Philippides, poète comique qui n'était pas sans mérite, après avoir remporté sur la fin de sa carrière, dans un concours poétique, une victoire qu'il n'osait espérer, mourut de même, au milieu de son triomphe, suffoqué par l'excès de sa joie. On connaît l'histoire de Diagoras de Rhodes.

Ce Diagoras avait trois fils dans la fleur de l'âge : le premier s'était exercé au pugilat, le second au pancrace, le troisième à la course : il les vit tous trois vainqueurs et couronnés le même jour. Les trois jeunes gens, après avoir embrassé leur père, allèrent poser leur couronne sur sa tête, tandis que le peuple le saluait de ses acclamations et lui jetait des fleurs de toutes parts. Alors, dans le stade même, sous les yeux de la foule, Diagoras expira au milieu des embrassements et dans les bras de ses fils.
Nous lisons aussi dans nos annales que, dans le temps où l'armée romaine fut taillée en pièces à Cannes, une mère, avancée en âge, ayant reçu la nouvelle que son fils était mort, s'abandonna aux larmes et à la plus vive douleur. Cependant cette nouvelle était fausse, et le jeune homme, peu de temps après le combat, revint à Rome. En le voyant, sa mère, suffoquée par l'abondance et la vivacité de ses sentiments, succombant, pour ainsi dire, sous le poids accablant d'un si grand bonheur, rendit le dernier soupir à l'instant même.

 XVI. Différents termes assignés à la naissance des enfants par les médecins et par les philosophes. Opinion des poètes anciens à ce sujet. Plusieurs autres détails curieux sur le même sujet. Passage d'Hippocrate tiré de son Traité sur les Aliments.

Des médecins et des philosophes illustres, s'occupant de l'époque de la naissance des enfants, ont recherché combien de temps l'homme reste dans le sein maternel. Voici l'opinion la plus accréditée et la plus vraisemblable : la femme qui a reçu le principe fécondant met au monde son fruit, rarement dans le septième, mois, jamais dans le huitième, très souvent dans le neuvième, assez souvent dans le dixième; la fin du dixième mois est le terme le plus reculé jusqu'auquel la gestation puisse se prolonger. C'est ce que dit un de nos anciens poètes comiques, Plaute, dans sa comédie intitulée la Cassette :

« La femme avec laquelle il avait eu commerce mit au monde une fille à la fin du dixième mois ».

Ménandre, plus ancien encore, et très versé dans toutes les connaissances humaines, émet la même opinion dans le vers suivant de la comédie de Plocium :

« La femme accouche au bout de dix mois ».

Notre Cécilius, dans une comédie qui porte le même titre et qui roule sur le même sujet que celle de Ménandre, à laquelle il a fait de nombreux emprunts, met au nombre des mois où la femme peut accoucher le huitième, ce que Ménandre n'avait point dit. Voici le passage de Cécilius:

« Une femme peut-elle accoucher au dixième mois ? - sans doute, aussi bien qu'au neuvième, au septième et au huitième ».

L'autorité de M. Varron nous donne lieu de croire que Cécilius n'a pas avancé cela au hasard, et que ce n'est pas sans réflexion qu'il n'a pas partagé le sentiment de Ménandre et de plusieurs autres écrivains. En effet, dans le quatorzième livre de son Traité sur les Choses divines, Varron nous apprend que quelquefois des femmes ont accouché dans le huitième mois. Dans ce même livre, il ajoute que l'accouchement peut quelquefois n'avoir lieu qu'au onzième mois. Au reste, et il nous en prévient, ces deux assertions appartiennent à Aristote.

Un passage du traité d'Hippocrate Sur les Aliments nous explique pourquoi les avis sont partagés au sujet de la possibilité des accouchements du huitième mois; le voici : « Les enfants naissent et ne naissent pas au huitième mois. » Cet aphorisme, obscur par trop de concision, et qui semble renfermer une contradiction, est développé en ces termes par le médecin Sabinus, lumineux commentateur d'Hippocrate : « Les enfants qui naissent par avortement au huitième mois paraissent vivants; mais ils ne le sont pas réellement puisqu'ils meurent un instant après : c'est une apparence de vie; ce n'est pas la force, la puissance de la vie. »

Les premiers Romains, suivant Varron, ne regardaient pas comme possibles ces accouchements au huitième mois; ils pensaient que le neuvième et le dixième mois étaient des époques fixées par la nature, et qu'en dehors de ces deux termes, l'accouchement ne pouvait être naturel. Le même auteur ajoute que cette opinion fut l'origine des noms qu'ils donnèrent aux trois Parques; ces noms viennent, en effet, de parire, enfanter, et des adjectifs nonus et decimus. « Parca, Parque, dit Varron, vient de partus, par le changement d'une seule lettre, et Nona et Decima viennent des mois qui sont l'époque ordinaire de l'enfantement. »

Césellius Vindex dit dans ses Lectures antiques : « Les noms donnés aux trois Parques sont : Nona, Decuma, Morta. » Pour appuyer son opinion, il cite ce vers de l'Odyssée de Livius, le plus ancien de nos poètes : « Quand viendra le jour fixé par Morta ? » Mais Césellius, critique peu judicieux, a tout bonnement pris pour le nom de l'une des Parques le mot Morta, qui n'est autre que la traduction du Μοῖρα des Grecs, destin, la Parque.

A ces renseignements sur la durée de la gestation, puisés dans différents ouvrages, je joindrai le récit d'un fait arrivé à Rome. Une dame de mœurs pures et honnêtes, dont on ne pouvait contester la vertu, accoucha dans le onzième mois qui suivit la mort de son mari. L'époque de son accouchement fit généralement croire qu'elle avait eu un commerce illicite depuis la mort de son mari, et on l'accusa, en vertu de la Loi des décemvirs qui détermine que l'enfantement ne peut dépasser le dixième mois. Mais le divin Adrien, ayant à juger de l'affaire, décida que la femme pouvait accoucher au onzième mois. J'ai lu le décret lui-même, dans lequel Adrien, ayant à juger de l'affaire, décida que la femme pouvait accoucher au onzième mois. Dans ce décret, Adrien motive son jugement sur l'opinion des médecins et des philosophes anciens. Tout dernièrement, dans la satire de M. Varron, qui a pour titre le Testament, j'ai lu ce passage : « Si un ou plusieurs enfants m'arrivent au dixième mois, et s'ils sont aussi stupides que des ânes, je les déshérite; s'il m'en vient un dans le onzième mois, quoi qu'en dise Aristote, je ferai autant de cas d'Accius que de Titius. » Varron, pour faire comprendre sa pensée, cite ce vieux proverbe que l'on employait ordinairement pour dire qu'il n'y avait aucune différence entre deux choses : « Il en est d'Accius comme de Titius. » Il veut faire entendre qu'il réserve le même sort aux enfants qui naissent au dixième et à ceux qui viennent au onzième mois. Si la femme ne peut porter son fruit jusqu'au onzième mois, il est difficile de comprendre pourquoi, dans Homère, Neptune dit à une jeune fille qu'il vient de séduire:

« Jeune fille, réjouis-toi de t'être unie à moi; l'année, en achevant sa révolution, te verra mettre au jour deux illustres rejetons : car les caresses des Immortels sont toujours suivies de la fécondité ».

Je montrai ces vers à plusieurs grammairiens : les uns soutinrent qu'au temps d'Homère, comme dans le siècle de Romulus, l'année n'était pas de douze mois, mais seulement de dix; les autres pensaient qu'il convenait à la majesté du dieu que l'enfant dont il était le père grandît plus longtemps dans le sein de sa mère; d'autres me firent des réponses plus frivoles encore. Mais Favorinus me dit que le mot περιπλομένου ne signifiait pas que l'année était révolue, confectus, mais seulement qu'elle était bien avancée, affectus, mais il donna au mot affectus un sens qu'il n'a pas communément. Affecta est employé par M. Cicéron et par tous les bons écrivains de l'antiquité, pour désigner une chose qui n'est pas encore arrivée à sa fin; mais qui s'y achemine et s'en approche. Tel est le sens que Cicéron donne à ce mot dans son discours sur les Provinces consulaires.

Hippocrate, dans le livre précédemment cité, après avoir déterminé le nombre des jours nécessaires à la formation du fœtus, et fixé le temps de l'accouchement au dixième ou au onzième mois, sans affirmer cependant que cette époque ne puisse varier, et ne soit retardée ou avancée, termine en disant : « L'accouchement a lieu plus tôt ou plus tard : cet instant peut varier; mais quand nous disons plus tard, nous disons trop; quand nous disons plus tôt, nous disons trop encore. » Le sens de ces derniers mots est que, lorsque l'accouchement a lieu plus tôt, il n'est pas avancé de beaucoup, et que, lorsqu'il est retardé, ce retard est bien court. Je me rappelle qu'à Rome, dans une affaire très importante, on examina avec le plus grand soin la question de savoir si un enfant de huit mois né vivant, et venant à mourir quelques instants après sa naissance, pouvait donner au père le droit des trois enfants. Il y eut un long débat : quelques-uns pensant que, la délivrance à huit mois n'étant pas un terme, il y avait avortement. Mais, puisque j'ai fait connaître l'opinion d'Homère sur l'accouchement au douzième mois, et tout ce que j'ai pu recueillir sur la délivrance au onzième mois, je ne dois pas passer sous silence ce que j'ai lu dans le septième livre de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien. Comme la chose pourrait paraître peu vraisemblable, je cite les paroles mêmes de l'auteur : « Massurius rapporte que le préteur L. Papirius, devant lequel un plaideur réclamait une succession comme second héritier, l'adjugea, à son préjudice, à un errant que la mère déclarait avoir mis au monde au bout de treize mois; que le magistrat motiva son jugement sur ce qu'il ne croyait pas qu'il y ait véritablement d'époque fixe pour les accouchements. » Je trouve encore dans le même livre de Pline l'Ancien le passage suivant : « Le bâillement est mortel pendant l'enfantement; l'éternuement, au moment de la conception, provoque l'avortement ».

XVII. Que, d'après le témoignage des écrivains les plus graves, Platon acheta trois livres du pythagoricien Philolaüs, et Aristote quelques ouvrages du philosophe Speusippe pour des sommes qui passent toute croyance.

On dit que le philosophe Platon, quoiqu'il n'eût qu'un très modique patrimoine, acheta les trois livres du pythagoricien Philolaüs, au prix de dix mille deniers. Quelques auteurs assurent que cette somme lui avait été donnée par son ami Dion de Syracuse. Aristote acheta, dit-on encore, quelques opuscules du philosophe Speusippe, après la mort de l'auteur, trois talents attiques, somme qui équivaut à soixante-douze mille sesterces de notre monnaie. Timon, cet écrivain mordant, dans une satire intitulée Sille, où il donne un libre cours à sa causticité, apostrophe, en termes peu modérés, Platon, qui, comme nous l'avons dit, était fort pauvre, pour avoir acheté très cher un traité de philosophie pythagoricienne, et en avoir tiré tout le fonds de son fameux dialogue intitulé Timée. Voici les vers de Timon à ce sujet ;

« Et toi aussi, Platon, tu as été pris du désir de devenir un savant; tu as acheté à prix d'or un petit livre à l'aide duquel tu as fait ton apprentissage d'écrivain ».

XVIII. Ce qu'on entend par sénateurs pédaires; d'où vient cette dénomination.

Origine de ces termes d'un ancien édit maintenu par les consuls : « Les sénateurs et ceux qui ont le droit d'exprimer leur avis en plein sénat ».
On pense généralement que l'on appelle sénateurs pédaires les membres du sénat qui ne donnaient pas leur avis de vive voix, mais qui accédaient aux suffrages de leurs collègues, en changeant de place. Mais lorsque les sénatus-consultes se faisaient par discession, séparation de l'assemblée en deux côtés, est-ce que tous les sénateurs ne changeaient pas de place pour opiner?

Voici l'explication que Gabius Bassus nous a donnée de ce mot pedarius dans ses Commentaires. Dans les premiers temps de la république, dit cet auteur, les sénateurs qui avaient été revêtus de dignités curules jouissaient du droit honorifique de venir au sénat sur un char dans lequel était un siège sur lequel ils se plaçaient. Ce siège était, pour cette raison, appelé siège curule. Les sénateurs qui n'avaient pas encore été élevés aux premières dignités se rendaient à pied au sénat, et, pour cela, on les nommait sénateurs pédaires.

D'un autre côté, Marcus Varron, dans la satire Ménippée intitulée Ἱπποκύων, parle de chevaliers pédaires; il semble désigner par là les chevaliers qui, n'ayant pas encore été choisis par les censeurs pour faire partie du sénat, ne sont pas sénateurs, mais qui, eu égard aux fonctions élevées qu'ils ont remplies, ont le droit d'entrer au sénat et de voter. Il est certain, en effet, que ceux même qui avaient exercé les magistratures curules, s'ils n'avaient pas été élus par les censeurs, n'étaient point sénateurs; que les derniers inscrits n'étaient point appelés à donner leur avis de vive voix, mais qu'ils se portaient d'un côté ou de l'autre pour adopter l'avis des plus anciens membres de l'assemblée. C'est ce que signifie cet édit emprunté d'un autre temps, dont les consuls se servent, pour conserver un ancien usage, lorsqu'ils convoquent le sénat. On trouve ces mots dans cet édit : « Les sénateurs et ceux qui ont le droit de donner leur avis dans le sénat. » Je ne dois pas, non plus, oublier ici un vers de Labérius, tiré de son mime intitulé l'Écriture :

L'avis d'un sénateur pédaire est une tête sans langue.

Beaucoup de personnes altèrent ce mot d'une manière barbare car on dit souvent pedaneus pour pedarius.

XIX. Explication du mot « parcus » par Gabius Bassus; étymologie qu'il en donne. De quelle manière et dans quels termes Favorinus, tout en se moquant, réfuta cette opinion de Gabius.

Toutes les fois que l'on dînait chez le philosophe Favorinus, lorsque chacun était à sa place, et que la table était servie, un esclave placé près des convives faisait une lecture dans un auteur grec ou latin; c'est ainsi qu'un jour, où j'étais invité, j'entendis lire le Traité de l'Origine des mots et des noms de Gabius Bassus, savant distingué. On en vint au passage où l'auteur dit : « Parcus est un mot composé; c'est l'équivalent de par arcae, semblable à une cassette : en effet, comme une cassette enferme tout et garde fidèlement ce qu'on lui confie, de même l'homme économe, sachant se contenter de peu, garde et conserve tout comme la cassette, sicuti arca. Voilà l'étymologie de parcus, qui est la même chose que par arcae. » Favorinus n'eut pas plutôt entendu ces paroles : « Il me semble, dit-il , que ce Gabius Bassus cherche une étymologie bien minutieuse, bien ridicule et bien bizarre, au lieu de nous donner la véritable. Car si on peut donner libre cours à son imagination, pourquoi ne dirait-on pas, avec plus de vraisemblance, que parcus est une forme abrégée de pecuniarcus, puisque le propre de l'homme économe est de faire tous ses efforts pour ménager l'argent et pour empêcher la dépense, pecuniam arcere. Pourquoi, ajouta-t-il, ne pas adopter l'explication qui est en même temps la plus vraie et la plus simple? car parcus n'est formé ni de arca, ni de arcere, mais de parum, peu, ou de paruus, petit ».