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table des matières d'Athénée de Naucratis

introduction à athénée de naucratis

ATHÉNÉE DE NAUCRATIS

LIVRE VIII. Ibérie, ou Espagne ; son heureux climat; sa fertilité; mœurs des habitants; Poissons orychthes : pluie de poissons. - Sardanapale; sa volupté ; son épitaphe ; ses imitateurs ; sa doctrine réformée par Chrysippe. Jupiter-Neptune. - Dorion. Lasus. - Phaylle, et autres amateurs de poisson. - Némésis, mère d'Hélène. - Brizo, déesse des songes; comment les femmes de Délos lui sacrifiaient.  - Archestrate mis au même rang que Philœnis par Chrysippe.  - Gourmands divers. - Hypéride l’orateur, et autres Athéniens gagnés par les présents d'Harpalus. - Télestagoras ; insulte qu'on lui fait ; ses filles sont violées. - Stratonicus ; ses bons mots; sa mort. - Doutes sur plusieurs assertions d'Aristote concernant quelques animaux. - Présage tiré des poissons. - Sentiments des médecins sur les qualités de plusieurs poissons. - Quête de la corneille, de l'hirondelle : ballisme, ou danse : dais, eranos, eilapinee, thiasos; explication de ces mots désignant des repas. - Dieux présents aux festins, selon les anciens : emportements, violences dans les repas : surcroîts aux repas : symboles, ou ce que chacun apportait aux repas en commun, appelés syndeipnes, ou synagogimes, etc.

Le Livre VΙII des Deipnosophistes

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

texte grec

 

 

  

 

trADUCTION

LE BANQUET DES SAVANTS D'ATHÉNÉE.

LIVRE SIXIÈME.

 

 

ATHÉNÉE

DEIPNOSOPHISTES

 

 

LIVRE HUITIÈME.

 

Ibérie, ou Espagne ; son heureux climat; sa fertilité; mœurs des habitants; Poissons orychthes : pluie de poissons. Sardanapah; sa volupté ; son épitaphe ; ses imitateurs ; sa doctrine réformée par Chrysippe. Jupiter-Neptune. Dorion. Lasus. Phaylle, et autres amateurs de poisson. Némésis, mère d'Hélène. Brizo, déesse des songes; comment les femmes de Délos lui sacrifiaient. Archestrate mis au même rang que Philœnis par Chrysippe. Gourmands divers. Hypéride l’orateur, et autres Athéniens gagnés par les présents d'Harpalus. Télestagoras ; insulte qu'on lui fait ; ses filles sont violées. Stratonicus ; ses bons mots; sa mort. Doutes sur plusieurs assertions d'Aristote concernant quelques animaux. Présage tiré des poissons. Sentiments des médecins sur les qualités de plusieurs poissons. Quête de la corneille, de l'hirondelle : ballisme, ou danse : dais, eranos, eilapinee, thiasos; explication de ces mots désignant des repas. Dieux présents aux festins, selon les anciens : emportements, violences dans les repas : surcroîts aux repas : symboles, ou ce que chacun apportait aux repas en commun, appelés syndeipnes, ou synagogimes, etc.

 

 

Chap. I. Polybe de Mégalopolis racontant, excellent Timocrate, quelle est la félicité dont jouit la Lusitanie, province de l'Ibérie, que les Romains appellent actuellement l'Espagne, nous dit, dans le trente-quatrième livre de ses Histoires, [331a] que l'heureuse[1] température y rend les hommes et les animaux très féconds, et que les fruits ne s'y corrompent jamais. En effet, les roses, les giroflées,[2] les asperges et semblables, n'y cessent que trois mois de l'année. Quant au poisson qu'y fournit la mer, si on le compare avec celui de la nôtre, il l'emporte de beaucoup par sa quantité, sa bonté et sa beauté. Le sicle[3] d'orge, c'est-à-dire, le médimne n'y vaut qu'une dragme ; celui des froments, neuf oboles d'Alexandrie; [331b] la métrète de vin, une dragme; un moyen chevreau, une obole; un lièvre autant; le prix d'un agneau est évalué à trois ou quatre oboles ; un cochon gras, allant à cent livres pesant, cinq dragmes ; une brebis, deux ; le talent pesant de figues, trois oboles ; un veau, cinq dragmes ; un bœuf déjà propre au joug, dix. Quant au gibier, on n'y attache presque aucune valeur pécuniaire ; on le donne comme le par-dessus dans les ventes[4] que l’on fait des autres choses dont je viens de parler : mais l'aimable Larensius nous fait continuellement de Rome la Lusitanie même. Aussi attentif à tout ce qui peut être agréable,[5] qu'à la magnificence, il nous comble chaque jour de toutes sortes de biens, [331c] tandis que nous n'apportons de chez nous que quelques morceaux à lire, ou à réciter.

2. Cynulque paraissait déjà bien fatigué d'entendre parler si longtemps de poissons, lorsque l'aimable Démocrite le prévint, en disant : Messieurs poissons,[6] pour parler avec Archippe, il y a ici quelque omission, car il nous vient encore quelques poissons de surplus ; mais ce sont de ces poissons qu'on a nommés orychthes,[7] et qu'on trouve à Héraclée, ou près de Tion, ville du Pont, et colonie de Milet, selon le rapport de Théophraste. Le même philosophe a aussi parlé de ceux que le froid glace avec l'eau y où ils se trouvent pris, et qui ne recouvrent le sentiment et le mouvement que lorsqu'on les fait cuire dans les pots où on les a jetés ; [331d] mais outre ceux-ci, il y a quelque chose de particulier concernant les poissons orychthes de la Paphlagonie. On les tire de terre en creusant profondément dans des lieux où il n'y a ni épanchement de rivière, ni courants d'eau chaude,[8] et cependant on y trouve des poissons vivants.

3. Mnaséas de Patras dit, dans son Périple, que les poissons du fleuve Clitoris font entendre un son de voix, quoiqu'Aristote n'ait dit cela que du sanglier,[9] et du porc fluviatile. Philostephanus, originaire de Cyrène, et ami de Callimaque, rapporte, [331e] dans son Traité des Fleuves extraordinaires,[10] que dans le fleuve Aroanius,[11] qui traverse Phénée, il y a des poissons qui rendent un son de voix semblable à celui des grives, et qu'on les appelle pœciles.[12] Nymphiodore de Syracuse dit, dans son Périple, qu'on voit, dans le fleuve Hélore, des labrax (ou loups) et de grandes anguilles si apprivoisées, que ces poissons viennent prendre le pain qu'on leur présente à la main. Pour moi, j'ai considéré dans l'Aréthuse, près de Chalcis, des muges très familiers, et des anguilles ornées de pendants d'oreille, qui prenaient la nourriture qu'on leur présentait, de même que les entrailles des victimes, et du fromage nouvellement fait : or, plusieurs d'entre vous l'ont peut-être vu comme moi. Le sixième livre de la Déliade de Sémus nous apprend qu'un serviteur qui apportait de l'eau, qu'il venait de puiser dans une aiguière pour les Athéniens occupés d'un sacrifice à Délos, versa des poissons dans la cuvette avec l'eau. Sur quoi un devin, habitant de cette île, prédit aux Athéniens qu'ils auraient l'empire[13] de la mer.

 

4. [332a] Chap. II. Polybe dit, au liv. 34 de ses Histoires, qu'entre les Pyrénées et le fleuve Narbon,[14] il y a une plaine dans laquelle coulent les rivières Ilybernis et le Ruscinon, qui passent le long de villes de même noms, habitées par les Celtes ; et qu'on trouve dans cette plaine des poissons orychthes. Le sol est une terre légère qui produit beaucoup de chiendent. Il coule, sous ce sol sablonneux, à la profondeur de deux ou trois coudées, des eaux qui s'épanchent de ces rivières. [332b] Les poissons qui suivent ces épanchements souterrains, pour venir paître (car ils aiment beaucoup la racine de cette plante), remplissent cette campagne sous terre, et on les en tire en fouillant.

Selon Théophraste, il y a dans les Indes[15] des poissons qui passent de l'eau sur terre, et s'en retournent en sautant à l'eau, comme les grenouilles : ces poissons semblent être de l'espèce de ceux qu'on appelle maxeinoi.

5. Je n'ignore pas non plus ce que Cléarque le Péripatéticien [332c] a dit, au sujet du poisson qu'on appelle exocet,[16] dans son ouvrage sur les Animaux aquatiques. Je pense tenir encore bien son texte, que voici : « Le poisson exocet, que plusieurs appellent aussi adonis, a eu ce premier nom, parce qu'il va souvent reposer hors de l'eau. Il est d'une couleur tirant sur le roux, et il a de chaque côté, depuis les ouïes, une ligne blanche qui se prolonge sans interruption jusqu'à la queue. Il a le corps rond, sans aucune partie plane. Quant à sa grandeur, elle est la même que celle des petits muges qui fréquentent les rivages. [332d] Or, ceux-ci ont tout au plus huit doigts de long. En général, il est très semblable au petit poisson qu'on appelle tragos,[17] si l’on excepte le noir que celui-ci a sous la gorge, et qu'on appelle barbe de bouc. L'exocet est un des saxatiles, et vit dans les lieux pierreux. Lorsque la mer est calme, il se lance avec le flot, gît longtemps sur les lieux pierreux, où il repose à sec, se tournant et retournant au soleil. Après avoir reposé suffisamment, il revient en se roulant, [332e] jusqu'au flot qui le reçoit et le rend à la mer en refluant. Lorsqu'il est sur terre sans dormir, il est attentif à se garder des oiseaux qu'on appelle pareudiastes,[18] tels sont le keeryle, le trochile, et l’helorios qui ressemble à celui qu'on nomme crex. Or, ces oiseaux étant à paître, pendant le calme, le long de la côte qui est à sec, se jettent souvent sur l'exocet. S'il les aperçoit le premier, il se sauve sautant, se trémoussant jusqu'à ce que ses culbutes l'aient rendu dans l'eau.

6. Mais Cléarque parle encore de ces choses plus distinctement [332f] que Philostephanus de Cyrène, dont j'ai fait mention ci-devant. Or, il dit : « Quelques poissons font entendre un son, quoiqu'ils n'aient pas de larynx, tels que ceux du fleuve Ladon[19] qui coule près de Clitore, ville d'Arcadie, car ceux-ci rendent un son, et qui même est assez fort. »

Mais voici ce que raconte Nicolas de Damas dans la cent-quatrième de ses Histoires (ou liv. 104): « Du temps de la guerre de Mithridate, la ville d'Apamée en Phrygie essuya un tremblement de terre. Il parut, dans la contrée voisine, des étangs et des fleuves qui n'y étaient pas auparavant. Les secousses firent ouvrir de nouvelles sources; d'autres disparurent. On y vit sourdre une si grande quantité d'eau salée et verdâtre,[20] que tout le sol voisin se trouva plein d'huitres [333a] et de poissons, tels que ceux que produit la mer. »

Je sais aussi qu'il a souvent plu des poissons.[21] Phanias au liv. a, de ses Prytanées d'Erèse, rapporte qu'il plut des poissons pendant trois jours. Selon Phylarque, quelques personnes ont pareillement vu pleuvoir des poissons en plusieurs endroits; souvent du froment, et même des grenouilles. C'est ainsi qu'il plut dans la Péonie et la Dardanie une si grande quantité de grenouilles, qu'elles remplirent les chemins et les maisons, [333b] selon ce que dit Héraclide Lembos, liv. 21 de ses Histoires. Pendant les premiers jours on les tua, et l'on tint fermées les portes des maisons ; mais cela fut inutile. Elles remplirent tous les vases, et on les trouvait cuites avec les aliments qu'on préparait. D'ailleurs, il n’était plus possible d'employer les eaux, ni de poser le pied à terre, tant elles étaient amoncelées. Enfin, ne tenant plus à l'odeur infecte des grenouilles mortes, les habitants prirent la fuite, et abandonnèrent le pays.

7. Je n'ignore pas non plus le récit que fait Posidonius le Stoïcien, au sujet d'une quantité extraordinaire de poissons : « Tryphon [333c] d'Apamée, qui s’était emparé du royaume de Syrie, fut attaqué par Sarpédon, général de Démétrius, près de Ptolémaïde. Sarpédon vaincu se retirait dans le centre des terres, tandis que Tryphon, avec sa troupe victorieuse, suivait le bord de la mer, lorsque subitement l'onde s'élève et précipite sur terre un flot énorme qui couvre toute la troupe, la fait périr submergée, et laisse en se retirant un monceau considérable de poissons, avec les cadavres. [333d] Sarpédon et ceux de son parti apprenant cet accident y vinrent pour jouir avec plaisir du spectacle de leurs ennemis morts, emportèrent une grande quantité de poissons, et offrirent devant les faubourgs de la ville un sacrifice à Neptune Tropaios.[22]

8. Mais je n'omettrai pas ici les hommes ichthyomantes de Lycie, et dont a parlé Polycharme, liv. 2 de son Histoire de Lycie; voici ce qu'il dit : « Dès qu'on s'est rendu près de la mer, à l'endroit où est un bocage consacré à Apollon, sur le rivage même, et dans lequel il y a un gouffre au milieu du sable, ceux qui veulent consulter les devins se présentent, tenant deux broches de bois à chacune desquelles [333e] il y a dix pièces de viandes rôties : le prêtre s'assied en silence près du bocage. Alors celui qui consulte jette les deux broches[23] dans le gouffre, et considère ce qui se passe. Or, elles n'y sont pas plutôt jetées, que le gouffre se remplit d'eau de la mer, et qu'il vient une si grande quantité de différents poissons, que la vue seule de ce qui arrive[24] est capable de donner la plus grande frayeur. Il y en a même de si grands qu'il faut être sur ses gardes. Lorsqu'on a dit quels poissons on a vu, le prêtre parle,[25] et celui qui consulte reçoit ainsi de lui la réponse aux choses qu'il désirait connaître. Or, il paraît des orphes, [333f] des glauques; quelquefois des baleines, des souffleurs,[26] plusieurs poissons même qu'on n’avait jamais vus, et d'une forme absolument étrange. »

Artemidore, liv. 9 de sa Géographie, rapporte, d'après les habitants du lieu, qu'il jaillit là une source d'eau douce, d'où il se forme des permis, et qu'il naît de grands poissons dans l'endroit où est le gouffre. Ceux qui font des sacrifices leur jettent les prémices des victimes avec de petites broches de bois dont ils percent les viandes bouillies et rôties, les pains et les mazes : [334a] or, le port et ce lieu se nomment Dinos.

Je sais aussi que Phylarque, liv. 3 de ses Histoires, a parlé des grands poissons et des figues que Patrocle, général de Ptolémée, lit passer en même temps au roi Antigonus, comme une déclaration secrète de ses sentiments. Ce fut ainsi que s'étaient comportés les Scythes envers Darius, lorsqu'il alla dans leur pays : ils lui envoyèrent, dit Hérodote, un oiseau, une flèche et une grenouille; mais lorsque Patrocle envoya, comme le dit Phylarque, ces poissons et ces figues au roi Antigonus, ce prince était à boire. Personne ne comprenant ce que signifiaient ces présents, Antigonus dit en riant à ses amis: Je sais ce que veut dire ce qu'on m'envoie à titre d'hospitalité. Patrocle prétend qu'il faut, ou que nous soyons maîtres de la mer, ou réduits à vivre, comme des particuliers, en mangeant des figues.

 

10. Chap. III. Je n'ignore pas que le physicien Empédocle appelle ces poissons, en général, kamaseenes: voici ce qu'il dit :

« Comment de hauts arbres, et les camaseenes[27] (ou plongeurs) de la mer. »

Ni que celui qui a écrit les Cypria[28] (soit que cet homme fût né en Chypre, soit Stasinus [334c] (ou quelque nom qu'il ait eu), feint que Némésis, poursuivie par Jupiter, se métamorphosa en poisson. Voici ses vers :

« Il engendra Hélène, qui fut la troisième avec eux, et une merveille pour tous les mortels. Némésis aux beaux cheveux ayant eu accointance[29] avec Jupiter, le roi des dieux, enfanta forcément, car elle avait pris la fuite, se refusant aux embrassements [334d] de Jupiter, arrêtée par le sentiment accablant de la pudeur. Némésis fuyait donc par terre et par mer, tandis que Jupiter, qui la voulait saisir, la poursuivait. Tantôt elle s'élançait impétueusement, métamorphosée en poisson, à travers les flots de la mer mugissante, en parcourait un vaste espace ; tantôt elle se rendait par l'onde de l'Océan aux extrémités de la terre; tantôt elle franchissait le vaste continent, prenant la forme de tous les animaux qu'il nourrit, afin d'éviter Jupiter.

11. [334e] Je sais encore ce qui concerne ce fretin à griller[30] du lac Bolyce, dont Hégésandre parle ainsi, dans ses Mémoires. Il passe près d'Apollonie Chalcidique deux rivières, savoir, l’Ammite et l’Olynthiaque. L'une et l'autre se déchargent dans le lac Bolyce. Sur l’Olynthiaque est le tombeau d'Olynthe, fils d'Hercule et de Bolye. Les habitants disent qu'en novembre et en février Bolye envoie l’apopyris à son fils Olynthe, c'est-à-dire, qu'à ces époques une quantité prodigieuse de poissons quitte le lac, [334f] et remonte l’Olynthiaque. Les eaux de cette rivière sont si basses quelles couvrent à peine la malléole du pied; mais il n'y remonte pas moins une quantité de poisson assez considérable pour que les habitants des environs puissent en saler ce qui leur est nécessaire. Il est assez singulier que ce poisson ne remonte pas au-delà du tombeau d'Olynthe. On dit que les habitants d'Apollonie offrirent d'abord en février les sacrifices funéraires, mais que l'ayant fait ensuite en novembre, les poissons remontèrent, pour cette raison, la rivière dans ces deux mois, époques[31] auxquelles se font ces sacrifices pour les morts.

12. Mais en voilà assez sur ce sujet : en effet, vous [335a] avez tout recueilli, et vous nous avez fait servir de nourriture aux poissons, au lieu de nous donner des poissons à manger, en nous racontant plus de choses que n'en ont dit Ichthyas, philosophe de Mégare, et Ichthyon,[32] dont a parlé Téléclide dans ses Amphichtyons. Je vais donc à cause de vous donner à l'esclave qui nous sert, l'ordre qu'on lit dans les Myrmekanthropes de Phérécrate :

« Deucalion, ne me sers pas de poisson ; non, ne m'en sers jamais, quand j'en demanderais. »

Or, vous devez savoir, comme le rapporte Semus de Délos dans le second livre de sa Déliade, que quand les femmes de cette île sacrifient à Brizoo, elles lui présentent des jattes pleines de toutes sortes de bonnes choses, excepté du poisson, lui demandant, par leurs prières, de s'intéresser à tout ce qui concerne l'Etat, et, en particulier, à la conservation de leurs barques. Cette déesse Brizoo est celle qui fait connaître l'avenir en songe.  [335b] Son nom vient de brizein, qui, chez les anciens, signifie dormir, comme dans ce vers :

« Nous y attendîmes[33] la brillante aurore, après avoir dormi. »

13. Messieurs, j'ai toujours été admirateur de Chrysippe, ce Coryphée de la secte Stoïcienne, mais je le loue encore plus de ce qu'il a mis Archestrate, si célèbre par son Opsologie, au même rang que Philænis, à qui l'on attribue un ouvrage des plus libres sur les jouissances de l'amour. [335c] Cependant Eschrion, le poète iambique, de Samos, dit que c'est le sophiste Polycrate qui l'a fait pour décrier la réputation de cette femme qui fut très sage. Voici les vers d'Eschrion :

« Moi, Philænis, célèbre parmi les hommes, je repose ici, après une longue vieillesse. O! Nautonnier insensé, en doublant ce cap, ne fais pas de moi un sujet de plaisanterie, de risée insultante, car, j'en atteste Jupiter et les deux jeunes frères[34] qui viennent tour à tour ici bas, je n'ai jamais eu de commerce illicite avec les hommes, ni vécu en femme publique. [335d] C'est Polycrate d'Athènes, cet imposteur, cette mauvaise langue qui a écrit tout ce qu'on dit que j'ai écrit;[35] car pour moi je n'en sais rien. »

Mais cet admirable Chrysippe dit encore, dans le liv. 5 de son Traité de l’Honnête et de la Volupté :« Et les livres de Philænis et la Gastronomie d'Archestrate, et ceux qui traitent des qualités alimentaires, aphrodisiaques, et pareillement ces servantes qui sont maîtresses[36] dans l'art des postures et des mouvements, et qui s'exercent à les pratiquer avec succès. » [335e] Il dit ailleurs : « Ces gens apprennent de telles choses, se procurent les livres que Philænis, Archestrate ont faits à ce sujet, et les ouvrages de ceux qui ont écrit de pareilles choses. » Il dit encore au liv. 7 : « Comme la lecture des écrits de Philænis, et de la Gastronomie d'Archestrate, ne peut apprendre à bien vivre. »

14. Or, Messieurs, en nous rappelant si souvent le nom d'Archestrate, vous, avez lâché la bride à tous les désordres dans ce repas. En effet, ce poète épique a-t-il omis une seule des choses qui peuvent corrompre le cœur et l'esprit? [335f] lui qui seul s'est fait honneur de devenir l'émule de Sardanapale, fils d'Anakindaraxès, moins connu lorsqu'on y joint le nom de son père, que quand on le nomme seul, dit Aristote.

Voici même son épitaphe telle que le rapporte Chrysippe :

[336a] « Persuadé que tu es né mortel, livre-toi à la joie, te divertissant à des repas, car après la mort il n'y a plus de bien pour toi. Vois! je suis cendre, moi qui régnai sur la grande Ninive. Je n'emporte que ce que j'ai mangé,[37] que le plaisir de ma vie licencieuse, et celui que m'a procuré l'amour. Mais tout le reste de mon bonheur s'est évanoui. C'est le sage conseil que je te donne pour vivre ; [336b] je ne l'oublierai jamais:[38] possède qui voudra des monceaux d'or. »

Homère fait aussi dire aux Phéaciens :

« Nos plaisirs continuels sont la table, la musique, la danse, une riche garde-robe, les bains chauds et les femmes. »

Un autre écrivain, assez semblable à Sardanapale, donne le conseil suivant à ceux qui veulent prendre leurs ébats :

« Je conseille à tout mortel de vivre chaque jour dans les plaisirs; car un mort n'est plus rien qu'une ombre[39] en terre. [336c] Il faut donc profiter d'un instant qu'on a à vivre. »

Amphis le comique dit, dans son Ialème :

« Celui qui étant né mortel ne cherche pas à se rendre la vie agréable, laissant toute autre chose de côté, est un sot, selon moi, et selon tous ceux qui ont le jugement sain ; et un homme haï des dieux. »

Il parle de même dans sa pièce intitulée l’Empire des Femmes :

« Bois, joue ; ta vie te mène à la mort, tu n'es que peu de temps sur terre; la mort devient l'immortalité,[40] lorsqu'on est une fois mort. »

[326d] Bacchidas, qui a vécu en Sardanapale, fit mettre cette épitaphe sur son tombeau:

« Bois, mange,[41] satisfais tes désirs. Je ne suis plus ici qu'une pierre au lieu de Bacchidas. »

15. Je vais citer à ce sujet un passage du Maître de débauches d'Alexis, sur le rapport de Sotion d'Alexandrie. C'est dans son ouvrage sur les Silles de Timon, que Sotion nomme cette pièce; car pour moi je n'ai jamais eu occasion de la voir, quoique j'aie lu plus de huit cents[42] pièces de la moyenne comédie, dont j'ai même fait des extraits; mais cet asotodidascale ne m'est jamais tombé dans les mains. Je ne sache même pas qu'on en ait porté le titre dans les index. [336e] Au moins ne le voit-on pas dans ceux de Callimaque, d'Aristophane, ni de ceux qui ont recueilli à Pergame les titres des comédies. Selon Sotion, l'auteur introduit sur la scène un serviteur, nommé Xanthias, qui exhorte les esclaves, ses camarades, à se livrer aux plaisirs ; en leur disant :

« Pourquoi toutes tes inepties, et ce bavardage que tu nous fais sur le Lycée, l'Académie, les portes de l'Odeum,[43] les rêveries des Sophistes? Il n'y a rien qui vaille à tout cela. Buvons, buvons jusqu'à la dernière goutte, [336f] Sicon,[44] mon cher Sicon! Toi, Manès, livre-toi à toute la joie! Est-il rien de plus agréable que le ventre? Seul, il est ton père, il est ta mère : toutes les vertus, tous ces honneurs d'ambassade, ces commandements d'armée, ne sont qu'une jactance bruyante semblable à des songes. Le sort te glacera au terme fixé ; tu n'auras de bien que ce que tu auras bu et mangé : du reste, les Périclès, les Codrus, les Cimons ne sont que poussière. »

16. Mais, dit Chrysippe, il serait mieux de lire ces vers de Sardanapale ainsi changés :

[337a] « Persuadé que tu es né mortel, perfectionne tes facultés intellectuelles, en prenant plaisir aux sciences. Il ne te reste aucune utilité d'avoir bien mangé. Pour moi, je suis un lâche qui ai beaucoup mangé, pris beaucoup de plaisir; mais il ne me reste rien que ce que j'ai appris, que les réflexions sensées[45] que j'ai faites, et que le bien qui m'en est résulté; quant à tous les autres plaisirs, ils ont disparu. »

Timon disait très sensément:

« Le premier de tous les maux est la cupidité. »

17. Cléarque dit, dans son ouvrage sur les Proverbes, qu'Archestrate eut pour maître [337b] Terpsion, qui écrivit une gastrologie, et qui indiquait à ses disciples de quels aliments il fallait qu'ils s'abstinssent. Ce Terpsion disait aussi par manière de proverbe, au sujet de la tortue : « Ou en manger, ou n'en pas manger. » Mais d'autres rapportent ainsi le propos :

« Il est agréable[46] de manger de la chair de tortue, ou de n'en pas manger. »

 

18. Chap. IV. Mais, Messieurs, comment vous est-il venu dans l'esprit de citer Dorion comme écrivain culinaire, tandis que je sais qu'on l'a nommé comme joueur d'instrument, et amateur de poisson, non pas comme écrivain. [337c] En effet, Machon le rappelle comme musicien dans ce passage-ci :

« Le Kroumatopoios[47] Dorion étant venu un jour à Mylon, et n'y trouvant pas à loger pour de l'argent, alla s'asseoir dans un lieu consacré, qu'on avait bâti par hasard devant les portes de la ville. Voyant ensuite le gardien du temple faire un sacrifice : — Par Minerve, et par tous les dieux, lui dit-il, apprenez-moi, mon cher, à qui ce lieu est consacré. — Cet homme lui répond : Etranger, c'est à Zénoposeidon.[48] Dorion lui répartit : Comment donc trouver ici [337d] à loger, puisque les dieux habitent ici deux à deux? »

Lyncée de Samos, disciple de Théophraste, et frère de l'historien Duris, qui se rendit tyran de sa patrie, rapporte ceci dans ses Apophtegmes : « Quelqu'un disant à Dorion, La raie est un excellent poisson; Oui, répondit-il, c'est comme si l'on mangeait un vieux manteau bouilli. » [337e] Un autre vantant les bas-ventres des thons: — « Tu as raison, dit Dorion ; mais pour les trouver bons, il faut les manger comme moi. — Comment, repartit l'autre? — Comment? avec délices. » Dorion disait qu'il y avait trois avantages dans la langouste ; l'amusement, la bonne-chère, et de quoi contempler.[49] Se trouvant en Chypre, à la table de Nicocréon, il aperçut un gobelet dont il fit l'éloge : Eh! lui dit Nicocréon,[50] si tu en veux un autre, le même ouvrier te le fera. A vous, repartit Dorion ; et en attendant, donnez-moi celui-ci. Cette réponse n’était pas sotte pour un joueur de flûte, car on sait ce que dit le vieux proverbe :

« Les dieux n'ont pas soufflé[51] d'âme dans le corps d'un joueur de flûte; [337f] ou, pour mieux dire, un joueur de flûte la fait envoler lorsqu'il souille dans son instrument. »

19. Voici ce qu'Hégésandre dit de Dorion, dans ses Commentaires : Dorion voyant que son esclave ne lui avait pas acheté de poisson, le fit flageller, et lui ordonna de dire les noms des meilleurs poissons. [338a] L'esclave nomma, par ordre, l’orphe, le glaucisque, le congre, et autres semblables. — Mais, lui dit Dorion, je t'ai ordonné de me nommer des poissons, non pas des dieux.[52]

Dorion, se moquant de la tempête qui est dans le Nauplie de Timothée, dit qu'il en avait vu une plus grande dans une marmite qui bouillait.

Aristodème rapporte, liv. 2 de son Recueil de bons mots, que Dorion qui avait le pied-bot, ayant perdu,[53] dans un festin, le sabot du pied dont il boitait, se contenta de dire : « Tout le mal que je veux à celui qui l'a volé, c'est que ce sabot aille à son pied. » [338b] La pièce du comique Mnésimachus, intitulée Philippe, prouve que ce Dorion était renommé comme grand mangeur de poisson.

« Ils ne sont pas beaux;[54] d'ailleurs, nous avons ce soir au logis Dorion, qui souffle alors dans les plats. »

Je sais en outre ce que Lasus d'Hermione a dit en plaisantant sur les poissons. Chameléon d'Héraclée l'a rapporté dans l'ouvrage qu'il a fait concernant ce Lasus : « Cet homme, dit-il, soutenait un jour que le poisson cru était optos.[55] » Plusieurs personnes demeurant étonnées, il fit ce raisonnement: « Ce qu'on peut entendre est ahouston ; ce qu'on peut comprendre est nœeton; [338c] par conséquent, dit-il, ce qu'on peut voir est opton. Il prit un jour, en plaisantant, quelque poisson à des pêcheurs, et le donna à l'un de ceux qui se trouvaient-là. Le pêcheur se fâchant, Lasus jura qu'il ne l’avait pas,[56] et ne savait pas non plus qu'aucun autre l'eût pris. Or, c’était lui qui l’avait pris, et un autre qui l’avait. Celui-ci, instruit par cette réponse de ce qu'il avait à dire, jura aussi qu'il ne l’avait pas pris, et qu'il ne savait pas qu'un autre l'eût. En effet, c’était Lasus qui l’avait pris, et lui qui l’avait. »

Épicharme plaisante pareillement, de manière qu'un mot présente un double sens:[57]

« A. Jupiter vient de m'appeler, en donnant un repas (g'eranon) à Pélope. B, C'est un fort mauvais plat qu'««e grue (geranos). A. Je ne te parle pas de grue (geranon) ; je dis un repas, eranon. »

21. Alexis, dans son Démétrius, se moque sur la scène d'un nommé Phaylle, comme amateur de poisson.

« Autrefois on ne manquait de poisson au marché que quand il soufflait un vent violent du nord ou du sud ; [338e] mais actuellement Phaylle est survenu à ces vents comme une troisième tempête. En effet, toutes les fois que cet homme se précipite, comme un tourbillon qui fond des nuées, sur le marché, il achète le poisson, s'en va, emportant tout ce qui avait été pris, de sorte qu'il n'y a plus de disputes que pour les herbages. »

Antiphane rapporte, dans sa Pêcheuse, le nom de plusieurs personnes qui faisaient un délice du poisson. Voici ce qu'il dit :

« A. Donne d'abord des sèches. Par Hercule Telles sont tout souillées : Jette-les donc vite à la mer, et lave-les, de peur qu'on ne dise que tu as péché [338f] des doorias,[58] et non des sèches. Çà, donne des langoustes, outre les mendoles. O Jupiter, quelle est dodue! O Callimédon![59] quel est celui de tes amis qui va te manger! Certes, personne ; à moins qu'il ne donne son symbole.[60] Mais vous autres surmulets, je vous place ici à ma droite, comme le plat favori du charmant Callisthène qui a dissipé[61] tout son bien pour un des vôtres : [339a] et ce congre de Sinope, qui a déjà les épines fort dures, quel est celui qui se présentera le premier pour le prendre? Smigolas ne tâte guère de ces poissons ; mais à peine voit-il un cithare[62] qu'il l'empoigne, et ne le quitte plus. En effet, avec quel acharnement ne s'attache-t-il pas, sans qu'il y paraisse, à tous les citharèdes. Quant à cet honnête homme de Gobios (Goujon), il faut que je l'envoie tout frétillant à la belle Pythionice ; mais tout gras qu'il est, elle ne voudra pas en tâter, [339b] car elle donne actuellement[63] dans les salines. Mettons à part ce fretin d'aphyes, et une pastenaque pour (la petite) Théano, si cependant il s'en trouve une qui ne pèse pas plus qu'elle. »

22. Antiphane, outre cela, s'est moqué fort adroitement de ce Smigolas, sur le théâtre, comme passionné pour les citharèdes, et les citharistes qui avaient un joli minois. Voici ce que l'orateur Eschine en dit dans son discours contre Timarchus : « Athéniens, Misgolas, fils de Naucrate, de la tribu kolyte, est du reste un homme d'honneur, à qui personne n'a jamais eu rien à reprocher ; [339c] quoiqu'à l'égard de ce dont il s'agit il soit extrêmement passionné, et qu'il ait toujours auprès de lui des citharèdes ou des citharistes. Ce que je dis n'est pas pour le blâmer, mais afin que vous connaissiez quel est le personnage. » Timoclès en parle aussi dans sa pièce intitulée Sapho :

« Ce Smigolas ne paraît pas te faire sa cour, lui qui n'a d'appétit que pour les jolis minois de son sexe, à la fleur de l'âge. »

Alexis dit, dans son Agoon, ou Chevalet :

« O! ma mère! non, ne me commettez pas avec Smigolas, car je ne suis pas Citharède. »

 

23. [339d] Chap. V. Il dit aussi que Pythionice aimait les salines, parce qu'elle avait pour galants les fils de Chéréphile, marchand de salines. Ce que confirme Niocles[64] dans ses Acaries :

« Lorsque le gras Anytus vient manger chez Pythionice, car on dit qu'elle l'invite, lorsqu'elle traite les deux grands maquereaux de Chéréphile dans une partie de plaisir. »

Il écrit encore ailleurs:

« Pythionice te recevra très volontiers, et mangera peut-être tout le bien que nous t'avons donné, car elle est insatiable; [339e] quoi qu'il en soit, dis-lui de te procurer des sargins salés, car elle est dans l'abondance depuis qu'elle se trouve liée avec deux saperdes[65] hideux, à larges narines. »

Avant eux, elle avait pour galant un nommé (Gobios) Goujon :

24. quant à Callimédon la Langouste, [339f] Timoclès nous dit, dans son Curieux, que cet homme était amateur de poisson, et louche :

« Ensuite s'approcha subitement Callimédon la Langouste, qui paraissait me regarder en parlant à un autre ; mais ne comprenant rien, comme de raison, à ce qu'il disait, je lui faisais des signes de tête, quoique fort inutilement. Assurément ses prunelles (ses yeux) [340a] regardent ailleurs[66] que vers l'endroit où elles paraissent tournées. »

Alexis écrit, dans son Kratéuas, ou Apothicaire:

« A. Voilà déjà quatre jours que je traite les korai[67] de Callimédon. B. Quoi! a-t-il donc de jeunes filles (korai)? B. Je parle des korai de ses yeux, que Mélampus même ne pourrait mettre à leur place naturelle, lui qui seul a pu guérir la manie des filles de Prœtus.[68] »

Il s'en moque pareillement, sur le théâtre, dans ses Concurrents ; mais il le raille dans son Phédon, ou sa Phœdle, sur sa passion avide pour le poisson.

« A. Plaise au ciel que tu sois Édile, afin d'arrêter ce Callimédon qui fond toute la journée comme la tempête sur le poisson! Que je t'en saurai de gré! B. Tu parles là d'une entreprise qui n'est pas d'un Édile, mais bien d'un Souverain, car cet homme n'est pas poltron ; d'ailleurs il rend service à l'Etat.[69] »

Ces vers iambiques se retrouvent dans la pièce intitulée [340cau Puits, mais on lit, dans sa Mandragorizomene[70]

« Si j'aime d'autres étrangers plus que vous, que je devienne Anguille, et que Callimédon la Langouste m'achète! »

Le même dit, dans son Kratéuas :

« Et Callimédon la Langouste avec Orphe.[71] »

Antiphane dit, dans son Gorgythe :

« Je renoncerai moins au parti que j'ai pris, que Callimédon n'abandonnera une hure de glauque. »

[340d] Eubule dans ses Sauvés :

« D'autres jeunes[72] grivois se trouvent réunis en compagnie, avec la Langouste, qui seul, oui seul de tous les mortels, peut avaler les tronçons de salines, sortants de la casserole, toute bouillante, et les empiler de manière qu'il n'en reste rien. »

Mais Théophile le raille, tant lui-même que ses froids discours, dans sa pièce intitulée le Médecin:

« L'esclave servit avec empressement une anguille[73] au jeune homme; pour le père, [340e] ce fut un bon calmar. Papa, dit-il, comment vous sentez-vous disposé pour la langouste? Oh! cela est si froid, répond-il : non, je ne touche pas aux orateurs. »

Voici un passage du transfuge de Philémon :

« A. Argyrius ayant aperçu la langouste qu'on lui servait, dit aussitôt : Bon jour, cher papa! B. Que fit-il ensuite? A. Il mangea son papa. »

Hérodicus, disciple de Cratès, montre dans ses Mélanges critiques, que Callimédon avait un fils nommé Argyrius.

25. Mais voici plusieurs personnages amateurs de poisson. [340f] Selon Hégésandre, le poète Antagoras ne voulait pas que son esclave oignît son poisson d'huile, mais qu'il l'y fît baigner. Comme il faisait cuire à l'armée un plat de congre, ayant son habit retroussé, le roi Antigonus survint, et lui dit : Antagoras, penses-tu donc qu'Homère a écrit les exploits d'Agamemnon en faisant bouillir des congres? Antagoras lui répondit ingénieusement, pensez-vous, prince, qu'Agamemnon a fait ces exploits en cherchant qui faisait cuire des congres dans son camp? Le même poète, ayant une poule qui cuisait, dit qu'il ne voulait pas aller ce jour-là au bain, parce qu'il craignait que ses esclaves n'en avalassent la sauce. Votre mère la gardera, lui dit Phylocide. [341a] Qui? moi! répond-il, je confierais la sauce de ma poule à ma mère!

Androcyde de Cyzique, peintre, aimait beaucoup le poisson, et fut si voluptueux qu'il peignit, avec le plus grand soin, les poissons des eaux de Scylla.

26. Mais voici ce que Machon le comique écrit au sujet de Philoxène de Cythère, le poète dithyrambique.

« On dit que Philoxène, poète dithyrambique, aima [341b] passionnément les poissons. Ayant un jour acheté, à Syracuse, un polype de deux coudées, il l'arrangea, et mangea tout, excepté la tête, et se trouva très mal d'indigestion : un médecin étant venu le visiter, le trouva dans l'état le plus critique, et lui dit : Philoxène, si tu as chez toi quelques affaires qui ne soient pas en règle, mets-y ordre, et le plus promptement, car tu ne passeras pas une heure après-midi. [341c] J'ai tout achevé, répondit-il, et mis ordre à tout il y a longtemps. Grâce au ciel! je laisse mes dithyrambes bien mûrs, et au plus haut point de perfection : j'en fais même un hommage aux Muses avec qui j'ai été élevé. Bacchus et Vénus en seront les tuteurs, comme mon testament le déclarera : ainsi, le Charon de la Niobé de Timothée ne permettant pas de tarder, et me criant que la barque lève l'ancre, [341d] vu d'ailleurs que la parque ténébreuse, qu'il faut nécessairement écouter, m'appelle, afin que j'emporte chez les ombres tout ce qui m'appartient ; donnez-moi, je vous prie, tout ce qui reste de mon polype. »

Il dit dans un autre passage :

« Philoxène de Cythère souhaita, dit-on, avoir un gosier de trois coudées de long; c'est, disait-il, afin que je mette le plus de temps possible à la déglutition, et que tous les aliments me fassent plaisir en même temps. »

[341e] Diogène le cynique, ayant dévoré un polype cru, mourut d'un violent cours-de-ventre. Sopatre, le poète parodique, parle ainsi de Philoxène.

« Assis entre deux charges de poissons, il portait ses regards sur le milieu du mont Ætna. »

27. L'orateur Hypéride aimait aussi le poisson, comme le dit Timoclès le comique dans sa Délos, en rapportant les noms de ceux qu'Harpalus avait gagnés par des présents. Voici ce qu'il écrit :

« A. Démosthène a reçu cinquante talents ;

« B. Il est heureux, s'il n'en donne rien à personne.

« A. Métroclès a aussi reçu beaucoup d'or :

« B. Fou qui l'a donné! sage qui l'a reçu!

« A. Démon et Callisthène ont aussi eu quelque chose :

« B. Ils étaient pauvres! ainsi je le leur pardonne.

« A. Le grand orateur Hypéride a eu sa part :

[342a] « B. Oh! lui, il enrichira nos poissonniers, car c'est un grand amateur de poissons ; ainsi les Mouettes n'ont plus qu'à se faire Syriennes.[74] »

Le même poète dit, dans ses Icariens:

« Tâche de gagner[75] Hypéride (ce fleuve qui roule de nombreux poissons), en t'y prenant d'un ton mielleux, mais avec réflexion. C'est un homme dont la bouche fait entendre de grands mots entassés comme un flot qui bouillonne sur l'autre, mais il est séduisant. Les conditions qu'il a eu soin de faire d'avance, lui ont procuré une récompense : aussi, devenu mercenaire d'Harpalus, est-il forcé d'en arroser le jardin. »

Philétaire assure, dans son Esculape, qu'Hypéride, comme l'orateur [342b] Callias, aimait autant les jeux de hasard que le poisson.

 

Chap. VI. Voici un passage du Phileuripide d'Axionicus, dans lequel ce poète fait le même reproche à Callias.

« Il est venu, apportant avec soi, du Pont, un autre poisson qui se fiait sur sa grandeur dans ces lieux-là : c’était un galeus glaucus,[76] manger fait pour les amateurs de poissons, et les délices des gens les plus friands. Je l'apporte,[77] dit-il, sur mes épaules; mais ordonnez à quel sauce je le mettrai. Le plongerai-je dans un coulis aux herbes, ou l'enduirai-je d'une saumure grasse[78] et piquante, pour le faire cuire ensuite. On dit que [342c] Moschion, le joueur de flûte, le mange tout simplement dans une saumure. Mais toi, Calaide![79] on peut te reprocher particulièrement de faire ton délice des figues et des salines, tandis que tu ne veux pas tâter d'un excellent plat de poisson cuit dans la saumure. »

Il lui reproche des figues, comme pour le traiter de sycophante, ou calomniateur : quant aux salines dont il lui fait un crime, c'est peut-être quelque vice infâme qu'il veut faire entendre. Hermippus dit, dans le liv. 3 de son ouvrage sur les Disciples d'Isocrate, qu'Hypéride ne manque pas de faire un tour de bon matin dans le marché au poisson.

28. Timée de Taormine parle aussi d'Aristote, le philosophe,[80] comme d'un amateur de poisson. Matron le Sophiste l'aimait de même avec passion. C'est ce que montre [342d] Antiphane dans son Citharède, qui commence ainsi :

« Il ne ment pas; quelqu'un lui a arraché un œil, en approchant, comme Matron arrache ceux des poissons. »

Anaxilas dit, dans son Monotrope :

« Matron s'est saisi de la hure du muge, et l'a dévorée, tandis que je meurs de faim. »

C'est sans doute l'excès de la gloutonnerie que d'enlever les mets à table, et surtout une hure de muge, [342e] à moins que ceux qui ont le goût raffiné à cet égard, ne trouvent quelque chose d'utile dans la hure du muge. La friandise d'Archestrate le prouverait peut-être.

29. Voici les noms de plusieurs personnages qui ont aimé le poisson, tels que les rapporte Antiphane dans ses Riches :

« Euthynus, parfumé, en sandales, et muni[81] de son cachet, revoit à je ne sais quelles affaires. [342f] Phénicide et Tauréas mon intime ami, tous deux fort âgés, et si avides de poisson qu'ils avaleraient toutes les salines du marché, considérant ce qui arrivait, en mouraient de chagrin, ne pouvant voir sans douleur une disette absolue de poisson, lis réunissaient donc le peuple autour d'eux : or, voici ce qu'ils dirent. Non, il n'y a plus moyen de vivre! cela est insoutenable! Quoi! quelques-uns d'entre vous accapareront la mer, emploieront pour cela des sommes immenses, [343a] et il ne nous viendra pas seulement l'apparence d'un poisson? De quoi nous sert-il donc d'avoir l'empire des îles? Oui, on doit arrêter ce désordre par une loi, et faire abonder le poisson au marché. Mais, au contraire, Matron s'empare de tous nos pêcheurs, et Diogiton, juste ciel! leur persuade de porter toute leur capture chez lui. Assurément ce n'est pas agir en républicain, que d'avaler tant de provisions. On dirait que ce sont des noces continuelles, et c'est à qui dépensera[82] le plus à ces repas. »

[343b] Euphanès dit, dans ses Muses :

« Phénicide voyant au milieu d'une troupe de jeunes gens une casserole bouillante, remplie d’enfants de Nérée, retint cependant ses mains; quoique tout en colère, il fut près de les lâcher dessus. Quel homme! s'écria-t-il, toujours prêt à vivre sur le commun. Quel homme fait à enlever d'une marmite les morceaux tout bouillants? Où sont, dis-je, Corydus, Phyromachus, le redoutable Cœlus![83] Oui, que l'un ou l'autre vienne ici ; peut-être n'aurait-il rien. »

30. [343c] Mélanthe le poète tragique, qui a aussi fait des élégies, était du même goût. Leucon dans ses Confrères, Aristophane dans sa Paix, Phérécrate dans sa Pétale, l'ont traduit sur la scène comme grand mangeur de poisson. Archippus, dans ses Poissons, lie Mélanthe, comme ichthyophage, et le jette aux poissons pour en être dévoré. Mais Aristippe, disciple de Socrate, en faisait aussi un délice. Hégésandre [343d] et Sotion rapportent que Platon lui en fit même un reproche ; mais voici ce que cet écrivain de Delphes dit à ce sujet : « Platon, blâmant Aristippe de ce qu'il avait acheté beaucoup de poisson, celui-ci lui répondit : Je n'en ai acheté que pour deux oboles. Platon lui répliquant : Et pourquoi en as-tu acheté pour ce prix-là?[84] Vois-tu, Platon, repartit Aristippe, que ce n'est pas moi qui suis blâmable d'aimer le poisson, mais bien toi qui l’es d'aimer l'argent.

Antiphane se moque, dans sa Joueuse de Flûte, ou ses Jumelles, d'un Phénicide, comme passionné pour le poisson :

« Ménélas fit la guerre, pendant dix ans, aux Troyens, à cause d'une belle femme ; et Phénicide, à Tauréas, pour une anguille. »

31. [343f] Démosthène,[85] l'orateur, censura publiquement Philocrate comme débauché, et grand mangeur de poisson, lui reprochant même d'avoir acheté des filles de joie, et des poissons avec l'argent qu'il avait reçu pour prix de sa trahison. Dioclès ne l'aimait pas moins, selon le rapport d'Hégésandre. Quelqu'un lui demandant lequel valait mieux du congre ou du labrax (loups de mer). L'un bouilli, l'autre rôti, répondit-il. Leonteus d'Argos, acteur tragique, et disciple d'Athénion, était aussi du même goût. Amaranthus rapporte, dans son Traité du Théâtre, que ce Leonteus était attaché à la personne de Juba, roi de Mauritanie, et que ce prince fit sur lui cette épigramme badine, parce qu'il avait mal représenté Hypsipyle.

« En considérant la voix de Leonteus le tragique et mangeur d'artichauts, ne prends pas garde s'il a mal rendu le rôle d'Hypsipyle.[86] J'ai fait jadis les agréments de Bacchus, qui n'admire le gosier de personne (comme Midas) avec des oreilles d'or. Mais maintenant les ragoûts et les fritures [344a] ont privé Leonteus de la voix, par la complaisance qu'il a eue pour son ventre. »

 

32. Chap. VII. Hégésandre raconte ceci d'un nommé Phorysque, grand mangeur de poisson : « Ne pouvant prendre d'un poisson la part qu'il voulait, mais une plus grande quantité suivie du morceau qu'il tenait, il dit :

« Tout (arbre) qui résiste[87] au torrent est déraciné. »

Et il mangea tout le poisson. Quelqu'un ayant enlevé avant les autres tout un côté du dos d'un poisson, Bion le retourna de l'autre, et s'en régala bien, en ajoutant :

« C'est afin[88] qu'il soit achevé des deux côtés. »

Dioclès, mangeur de poisson, venant d'enterrer sa femme, donna le repas funèbre d'usage, et y empila le poisson en pleurant;

[344b] Théocrite de Chio qui s'y trouvait, lui dit : Lâche que tu es! Ne cesseras-tu pas de pleurer? le poisson que tu dévores[89] ne te servira de rien. Le même ayant employé tout le prix d'un fonds de terre à manger du poisson, et en avalant un jour de très chaud, s'écria : Je me brûle le ciel. Il ne te manque plus, lui dit Théocrite, qu'à boire toute la mer ; alors tu auras anéanti les trois plus grandes choses, la terre, la mer et le ciel.[90]

[344c] Cléarque, dans ses Vies, parle ainsi d'un amateur de poisson : « Charmus, joueur de flûte, avait aimé le poisson : à sa mort, Technon, l'ancien joueur de flûte, lui fit un sacrifice funèbre sur son tombeau avec des poissons à griller. » Le poète Alexis aimait aussi le poisson : quelques babillards l'ayant plaisanté sur cette passion, et lui demandant ce qu'il mangerait plus volontiers : Des bavards[91] rôtis, dit-il.

33. Hermippe parle ainsi de Nothippe le poète tragique, dans ses Parques :

[344d] « Si les hommes de nos jours étaient belliqueux, et que l'armée fût conduite par une raie rôtie, ou un carré de porc, il faudrait laisser tous les autres citoyens pour garder les maisons, et envoyer Nothippe s'il s'offrait à marcher; car lui seul il avalerait tout le Péloponnèse. »

Or, Téléclide montre clairement, dans ses Hésiodes, qu'il s'agit-là du poète tragique. Platon le comique raille, dans son Syrphax, l'acteur tragique Myniscus, comme amateur de poisson:

[344e] « A. Or, je te remets un orphe d'Anagyre ; c'est pour en régaler mon ami Myniscus de Chalcis. B. Fort bien. »

Lampon, le devin, a été persiflé pour ce sujet dans les Captifs de Callias, dans les Bacchantes de Lysippe ; et Cratinus en parle ainsi dans ses Fugitifs :

« Lampon, que les arrêts[92] de tous les hommes ne pourraient empêcher de se trouver aux repas d'un ami. »

Puis il ajoute :

« Or, personne n'est dans le cas[93] de roter, [344f] car il dévore tout; il se battrait même contre un surmulet. »

34. Hédyle, parlant de quelques amateurs de poissons dans ses Epigrammes, fait mention de certain Phédon dans ces vers :

« Phédon le musicien vante les tanches et les intestins, car il aime le poisson. »

Il parle d'Agis dans ceux-ci:

« Le callichthys a bouilli suffisamment ; maintenant ferme le pêne, [345a] de peur qu'Agis, ce Protée des casseroles et des marmites, ne vienne, car il se change en eau, en feu, et en tout ce qu'il veut. Mais ferme toujours, car il viendra peut-être sous la forme de pluie d'or, comme Jupiter est venu dans la casserole d'Acrise. »

Voici comment il raille une femme nommée Clio, pour le même sujet.

« Clio, mange du poisson en le déchirant[94] par pièces; si tu veux même, [345b] mange-le seule : tout ce congre ne vaut qu'une dragme. Dépose seulement, ou ta ceinture, ou tes boucles d'oreilles, ou autre chose semblable, pour gage; car, voir quoi que ce soit, cela ne nous suffit pas ; tu es pour nous une Méduse. Eh! nous ne sommes déjà malheureusement que trop pétrifiés, non par la gorgone, mais par ce plat de[95] congre. »

35. Aristodème rapporte, dans son Recueil de bons mots, qu'Euphranore, grand amateur de poisson, apprenant [345c] qu'un autre amateur était mort en avalant un morceau de salines tout chaud, s'écria : « C'est un sacrilège de la part de la mort! »

Cnidon et Démyle, l'un et l'autre grands mangeurs de poisson, se trouvant à table ensemble, on leur servit un glauque seul. Cnidon saisit ce poisson aux yeux ; Démyle saisit Cnidon aux siens, en lui criant : Lâche-le, et je te lâcherai. On servit dans un festin un beau plat de poisson : Démyle, qui s'y trouvait, voulant le manger seul, cracha dedans.

[345d] Mais voici ce que rapporte Antigone de Caryste, dans la vie de Zénon, fondateur de la secte Stoïcienne. Ce philosophe étant à la même table qu'un grand amateur de poisson avec qui il avait longtemps été lié, on servit un très beau poisson, et il n'y avait pas d'autre mets. Zénon le tira tout entier du plat, comme s'il eût voulu le manger seul. Cet homme le regardant fixement, Zénon lui dit : Que crois-tu que doivent penser de toi ceux qui te fréquentent, si tu ne peux souffrir un seul jour mon envie de manger du poisson?[96]

Le poète Chérile, dit Istrus, avait tous les jours à dépenser quatre mines que lui donnait Archélaüs; et il les employait à manger du poisson. Je n'ignore pas qu'il y eut des esclaves qui ne vivaient que de poisson. [345e] Cléarque en parle dans son ouvrage sur les Déserts sablonneux. Psammitique, dit-il, roi d'Egypte, accoutumait des esclaves (ou des enfants) à ne vivre que de poisson, voulant les envoyer à la découverte des sources du Nil. Il en accoutumait d'autres à se passer longtemps de boire, pour les envoyer examiner les déserts sablonneux de la Lybie; mais il n'en revint qu'un petit nombre.

Je sais aussi qu'il y a près de Mosyne, ville de Thrace, des bœufs qui mangent[97] des poissons, qu'on leur jette dans leurs auges. Phénicide, ayant servi des poissons à ceux qui avaient donné leur symbole, dit : La mer est à la vérité commune,[98] mais les poissons sont pour ceux qui les paient.

36. [345f] Quant au mot opsophage, mangeur de poisson, il s'est dit, comme d'autres mots,[99] formés de même; tel est opsophagein, manger du poisson, etc. Aristophane dit, dans ses Nuées, retouchées; opsophagein, oude kichlazein : « Manger du poisson, et non des grives.[100] » Céphisodore, dans le Cochon, dit de quelqu'un : « Il n'est ni opsophage, ni bavard. Machon écrit, dans sa pièce intitulée la Lettre :

« Je suis opsophage, et c'est la base de mon métier. [346a] Il faut en effet que celui[101] qui ne veut pas gâter ce qu'il sert, aime un peu ce qu'il y a de friand, car s'il joint à cela de l'intelligence, il fera tout bien. Lorsqu'une fois on a ce goût délicat, on ne peut plus se tromper: par exemple, faites bouillir doucement votre bonne chère. Il n'y a pas de sel? mettez-en. Il manque quelque chose? goûtez encore, de manière que tout soit dans un aussi juste rapport que les cordes d'une lyre que vous tendriez au point d'en rendre les sons agréables. Quant tout sera ainsi bien proportionné, [346b] faites entrer, dans cet accord parfait, des Myconiennes,[102] et elles pourront effacer les charmes des Laïs. »

 

 Chap. VIII. Outre tous ces opsophages, je sais qu'Apollon était adoré en Elide sous le nom d’Opsophage;[103] c'est Polémon qui le rappelle dans sa lettre à Attalus. Je n'ignore pas non plus qu'il y a dans le territoire de Pise un tableau, ouvrage de Cléanthe de Corinthe, lequel représente Neptune offrant un thon à Jupiter accouchant. Ce tableau est suspendu [346c] dans un temple de Diane Alpheioose,[104] comme le rapporte Démétrius dans le liv. 8 de l’Armement de Troie.

37. Après vous avoir régalé de tous ces plats de poisson, je ne suis pas venu, dit Démocrite, pour en manger moi-même, à cause de l'excellent Ulpien qui, guidé par les anciens usages de sa Syrie, voulait nous priver de poissons, nous proposant toute autre chose par son envie[105] continuelle de disputer.

Antipatre de Tarse, philosophe stoïcien, rapporte, liv. 4 de son Traité sur la Superstition, que selon quelques-uns, [346dGatis, reine de Syrie, était si passionnée pour le poisson, qu'elle fit défendre par un héraut de manger du poisson (ater gatidos) sans Gatis, et que plusieurs par ignorance l'ont appelée Atergatis,[106] s’abstenant d'ailleurs de manger du poisson ; mais Mnaséas dit, dans son second livre de l’Asie : « Pour moi, Atergatis me paraît avoir été une méchante reine qui gouverna ses peuples avec dureté, jusqu'à leur interdire l'usage du poisson, voulant qu'on lui apportât ce qu'on en prendrait, parce que ce mets lui plaisait. Voilà pourquoi il est encore une loi qui ordonne d'offrir[107] [346e] des poissons d'or et d'argent lorsqu'on va prier la déesse. Quant aux prêtres, ils lui présentent tous les jours de vrais poissons sur une table, après les avoir assaisonnés, tant bouillis que rôtis, et ils les mangent ensuite.

Le même dit un peu plus loin, sur le rapport de Xanthus de Lydie, que cette Atergatis, ayant été prise par Mopsus le Lydien, fut jetée et noyée dans le lac d'Ascalon, avec Ichlhys (poisson) son fils, à cause de ses mauvais traitements, et dévorée par les poissons.

38  [346f] Mais, Messieurs, vous avez peut-être omis exprès, comme poisson sacré, celui dont parle Ephippus le comique, et qu'on préparait pour Géryon, selon ce qu'il dit, dans sa pièce de même nom.

« A. Lorsque les habitants de la contrée ont pris un poisson pour lui, non un poisson tel qu'on en voit tous les jours, mais plus grand[108] que Crète (baigné de tous côtés par la mer), il y a une marmite qui peut contenir cent [347a] des habitations voisines,[109] et couvrir la Lydie, la Mygdonie, la Lycie, l'Attique et Paphos. Lorsque le Roi veut faire bouillir ce poisson monstrueux, les habitants de ces lieux leur abattent du bois, et l'amènent chacun proportionnément aux limites de sa ville. Ils font aussi venir toute l'eau d'un lac dans la saumure, et charrient du sel pendant huit mois, sans cesser. [347b] Sur le contour des bords de[110] cette marmite voguent cinq galères à cinq bancs de rameurs, pour avertir les Prytanées des Lyciens de ne pas laisser brûler le poisson. B. Laisse-moi là ce froid récit que tu me fais avec tant d'emphase! et comme chef des Macédoniens, garde-toi de t'attirer sur les bras les Celtes[111] de Brennus. »

Je sais qu'Ephippus a placé ces mêmes vers dans son Peltaste; il y a joint, [347c] en outre, ce qui suit:

« Tout en lâchant ces inepties, il trouve à souper, vit avec une estime mêlée d'admiration parmi des jeunes gens, sans songer au nombre des payants, respecté, traînant d'un air imposant une longue robe. »

C'est à présent à toi, Ulpien, de nous apprendre celui que peuvent concerner ces vers d'Ephippus :

« Si, dans ce que nous avons dit, il y a quelque chose de mal énoncé et d'obscur, redouble d'attention, et mets-toi bien les choses dans la tête, car j'ai à cet égard plus de loisir que je ne voudrais. »

comme le dit le Prométhée d'Eschyle.

39. [347d] A ces mots, Cynulque s'écria : Comment cet homme pourrait-il réfléchir, je ne dirai pas sur de grands poissons, mais sur des questions quelconques, lui qui ne choisit que les arêtes des epsètes[112] et des atherines, et autres semblables chétifs poissons, laissant de côté les gros tronçons de salines. Eubule, parlant des grands repas dans son Ixion, dit:

« Comme on y mange toujours de l'aneth, du persil, du cresson, apprêtés, quoiqu'il y ait des gâteaux de farine non moulue.[113] »

« De même Ulpien, ce Charon des marmites (pour parler avec Cercidas de Mégalopolis mon compatriote), [347e] ne mange rien de ce qui convient à des hommes, se contentant d'observer si Ton a laissé quelque arête, quelque croûte à gruger, ou un morceau de cartilage des mets qu'on a servis. D'ailleurs, il s'inquiète peu que le célèbre Eschyle ait dit que ses tragédies étaient des morceaux des festins d'Homère. Or, Eschyle était un des plus grands philosophes, car ayant été injustement privé du prix dans la concurrence, comme Théophraste, ou Chaméléon le rapporte dans son Traité de la Volupté, il dit qu'il consacrait ses tragédies à Saturne,[114] persuadé [347f] qu'il en obtiendrait l'honneur qui lui était dû. »

40. « On peut encore rappeler[115] ici à Ulpien, au sujet des grands poissons, ce que dit Stratonicus le cithariste contre Propis de Rhodes le citharède. »

Voici donc ce que Cléarque rapporte à ce sujet dans son Recueil de Proverbes : «Stratonicus, voyant Propis d'une grande taille, mais peu habile dans son art, et ne répondant point par son talent à la grandeur de son corps, dit un jour à quelques personnes qui lui demandaient : « Quel est cet homme-là? Nul mauvais grand poisson : [348a] voulant dire d'abord que Propis n’était qu'un homme de néant, ensuite qu'il n'avait aucun talent; et que s'il était grand, ce n’était qu'un grand poisson muet. »

Mais Théophraste, parlant du rire, attribue, il est vrai, cette plaisanterie à Stratonicus ; cependant il dit que celui-ci la fit contre le comédien Simylas, changeant ainsi les mots : « grand nul pourri poisson.[116] »

Voici l'histoire qu'Aristote raconte dans sa République de Naxe, sur le proverbe qui concerne les grands poissons : [348b] » Un grand nombre de Naxiens aisés demeuraient dans la ville même ; les autres s'étaient dispersés en différentes bourgades. Un habitant, nommé Télestagoras, demeurait à Lestades, qui était une de ces bourgades. Cet homme était riche, et considéré. Outre les honneurs que le peuple lui rendait tous les jours, il lui faisait encore, des présents. [348c] Lorsque ceux qui étaient descendus de la ville pour acheter quelque chose ne voulaient pas y mettre le prix, les marchands leur disaient : Nous aimons mieux le donner à Télestagoras que de vous le laisser pour ce prix-là. Quelques jeunes gens achetant donc un grand poisson, le poissonnier leur en dit autant. Fâchés de s'entendre toujours répéter ce même propos, ils se rendirent chez Télestagoras, étant déjà un peu pris de vin. Celui-ci les reçut avec amitié; mais les jeunes gens l'injurièrent, et violèrent ses deux filles déjà en âge d'être mariées. Les Naxiens, irrités de ces outrages, prirent les armes, et marchèrent contre ces jeunes gens. Aussitôt il s'éleva une grande sédition : Lygdamis, qui était à la tête des Naxiens, profita du commandement dont il était chargé, pour devenir le tyran de sa patrie. »

 

41. [348d] Chap. IX. Mais puisque j'ai fait mention du cithariste Stratonicus, il ne sera pas hors de propos de dire quelque chose ici concernant ses bons mots. Il avait dans son école les neuf figures des Muses et celle d'Apollon ; comme il y montrait à jouera deux Citharistes ses disciples, quelqu'un lui demanda combien il avait de disciples : Douze, dit-il, avec les dieux. Étant en voyage à Mylasse, où il voyait beaucoup de temples, et très peu d'habitants, il s'arrêta au milieu de la place, et dit : Écoutez, naoi[117] (temples).

[348e] Machon rapporte de lui les plaisanteries suivantes :

« Stratonicus fît un voyage à Pella. Il avait ouï dire, auparavant, à plusieurs personnes, que les bains de cette ville causaient un gonflement de rate. Y apercevant plusieurs jeunes gens qui s'exerçaient nus devant le feu du bain, ayant une belle couleur, et les membres bien formés aux exercices : on s'est trompé, se dit-il à lui-même. Mais étant sorti une seconde fois, il en aperçut un qui avait la rate double[118] du ventre: [348f] En voici un, dit-il, qui me semble rester assis là pour prendre et garder les habits et les rates de ceux qui entrent, sans doute afin qu'il n'y ait pas de presse en dedans. »

« Un mauvais chanteur traitait un jour Stratonicus, et voulut lui donner à table des preuves de son talent. Le repas était vraiment splendide, et l'on n'y avait rien épargné. Mais Stratonicus fatigué de la musique, et n'ayant personne à qui il pût dire un mot, brisa son gobelet [349a] et en demanda un beaucoup plus grand. Le remplissant alors de plusieurs verres de vin, il en fit hommage au soleil, l'avala tout d'un trait, et s'endormit sans s'inquiéter du reste.[119] Quelques autres personnes, vraisemblablement des amis du musicien, entrant pour avoir part à son repas, Stratonicus ne tarda pas à sortir de son ivresse. Ces gens lui dirent: Comment est-il possible que toi, qui bois toujours tant de vin, tu te sois enivré? Il répondit en deux mots : C'est cet insidieux, ce maudit musicien, qui, en me traitant, m'a tué comme on assomme un bœuf[120] à sa crèche. »

[349b] « Stratonicus étant allé à Abdère pour y voir les jeux gymniques qu'on y célébrait, s'aperçut que chaque citoyen avait en particulier un buccinateur, qui annonçait la Néoménie quand on le lui commandait, et que le nombre de ces hérauts surpassait presque celui des citoyens dans cet endroit-là. Pour lors il se mit à marcher sur le bout des pieds, et doucement, ayant toujours les yeux fixés sur terre. Un des étrangers lui demanda [349c] quel mal lui était survenu aux pieds si subitement. J'ai tous les membres en bon état, dit-il, et je cours plus vite au repas que tous les flatteurs parasites, mais je suis en perplexité, craignant partout de me percer le pied avec un kecryx.[121] »

« Un mauvais joueur de flûte s'apprêtant à jouer de son instrument lors d'un sacrifice : Silence, dit Stratonicus ; nous allons prier les dieux après ce sacrifice. »

« Il y avait un citharède nommé Cléon le Bœuf, chantant horriblement faux, et sachant à peine toucher sa lyre : Stratonicus l'entendant, dit : Le proverbe était ci-devant, Asinus ad lyram,[122] désormais il faudra dire, Bos ad lyram. »

[349d] « Stratonicus le citharède s'étant rendu par mer dans le Pont, chez le roi Bérisadès, y resta longtemps; mais il voulut enfin revenir en Grèce. Le roi ne jugeant pas à propos de consentir à sa demande, on dit qu'il fit cette réponse à Bérisadès : Je suis charmé que vous pensiez[123] à rester ici. »

[349e] « Stratonicus le citharède fit un voyage à Corinthe. Une vieille y jeta les yeux sur lui, et ne le perdait pas de vue. Par tous les dieux! lui dit-il alors, la mère, dites-moi donc ce que vous me voulez, et pourquoi me fixez-vous sans cesse? Je ne sais, répondit-elle, si ta mère t'a porté dix mois[124] sans que le ventre lui pette, car il n'y a qu'un jour que tu es dans cette ville, et elle en est déjà toute souffrante. »

« Biothée, femme de Nicocréon, entrant avec une suivante pour se mettre à table, lâcha un vent; ensuite marchant sur une amande de Sicyone, [349f] elle l'écrasa avec bruit. Ce n'est pas le même bruit, lui dit Stratonicus. Mais vers la nuit, il cessa ces propos hardis, car on le jeta dans la mer.[125] »

« Un méchant citharède voulant montrer l'habileté d'un de ses élèves, à Éphèse, en présence de quelques-uns de ses amis, Stratonicus qui s'y trouvait, dit : C'est lui que ce Scythe veut montrer, non les autres.[126] »

42. Cléarque dit, dans son liv. 2 sur l’Amitié, que Stratonicus le Cithariste, allant coucher, demandait toujours à boire à son esclave : Non, disait-il, que j'aie soif, mais afin que je ne l'aie pas.

[350a] Stratonicus, entendant chanter très bien à Byzance le prologue d'une pièce, mais mal exécuter le reste, se leva, et dit à haute voix : Il y a mille dragmes pour celui qui m'indiquera ce qu'est devenu le Citharède qui a chanté le prologue.

 

Chap. X. On demandait à Stratonicus quels étaient les plus vicieux de tous les habitants de la Pamphylie;[127] il répondit : Les Phasélites sont les plus vicieux; mais les Sidètes sont les plus pervers de tout le monde. On lui demandait encore, dit Hégésandre, lesquels étaient les plus barbares, ou les Béotiens, ou les Thessaliens. Ce sont les Éléens, répondit-il. [350b] Ayant élevé un trophée dans son école, il y mit cette inscription :

« Contre les mauvais Citharistes. »

Quelqu'un lui demandant quels étaient les vaisseaux les plus sûrs, les longs, ou les ronds.[128] Ceux, dit-il, qu'on a tirés sur le rivage. Voulant un jour faire preuve de son talent à Rhodes, personne ne lui donna d'applaudissement. Aussitôt il quitta le théâtre, disant : « Puisque vous ne faites pas ce qui ne vous coûte rien, comment oserais-je espérer d'obtenir de vous quelque contribution? »

Stratonicus disait : Laissez aux Éléens à donner des jeux gymniques; [350c] aux Corinthiens, des concerts; et aux Athéniens, des pièces de théâtre; et si les uns ou les autres exécutent mal, qu'on flagelle[129] les Lacédémoniens : persiflant ainsi les flagellations qui étaient d'usage chez ceux-ci, comme le dit Chariclès, dans son premier livre des Jeux publics des différentes villes. Capiton, poète épique, dit, liv. 4 de ses Commentaires adressés à Philopappus, que le roi Ptolémée, parlant à Stratonicus, et même avec plus de chaleur qu'il n'aurait dû, sur l'art du Cithariste, celui-ci lui dit : Prince, manier le sceptre, et le plectre, sont deux choses bien différentes.

Étant invité [350d] à venir entendre un Citharède, il dit après l'exécution :

« Jupiter lui a donné l'un, mais il lui a refusé l'autre. »

Quelqu'un demanda ce qu'il entendait par ce vers : « Jupiter, répondit-il, lui a accordé de savoir mal jouer, mais il lui a refusé de bien chanter.»

Une poutre ayant un jour écrasé un scélérat en tombant, Stratonicus s'écria : « Messieurs, il y a, je pense,[130] des dieux; s'il n'y en avait pas, il y en aurait par cette poutre. »

43. Le même rapporte encore ces bons-mots de Stratonicus.

[350e] Le père de Chrysogone lui disant qu'il avait tout ce qui lui était nécessaire, puisqu'il était entrepreneur de travaux, et que d'ailleurs l'un de ses fils pouvait enseigner, et l'autre jouer de la flûte; il te manque encore une chose, répondit Stratonicus. — Quoi donc dit l'autre? — Un théâtre qui soit à toi.[131]

Quelqu'un demandait à Stratonicus pourquoi il parcourait toute la Grèce sans se fixer dans l'une ou l'autre ville. Les muses, dit-il, m'ont donné tous les Grecs comme tributaires ; voilà pourquoi je perçois l'impôt de leur ignorance. Il disait que le musicien Phaon ne jouait pas Harmonie[132] sur sa flûte, mais Cadmus.

[350f] Phaon se donnant pour joueur de flûte, et disant qu'il avait un chœur de musiciens à Mégare, Stratonicus lui repartit : Tu n'as pas ce chœur, mais tu en fais nombre.[133]

Stratonicus disait qu'il était surtout étonné de la mère de Satyrus le sophiste, en ce qu'elle l'avait porté pendant dix mois, et qu'aucune ville ne pouvait le supporter pendant dix jours.

Apprenant que ce Satyrus était allé assister aux jeux Iliens : [351a] « Tous les maux, dit-il, fondent toujours sur Ilion. »

Mynnacus prétendant lui disputer le talent de la musique : « Je ne t'écoute pas, lui dit-il; tu parles de ce qui est au-dessus de la malléole du pied.»

Il disait d'un ignorant médecin : « Cet homme envoie chez Pluton tous les malades, le même jour qu'il les guérit. »

Rencontrant un de ses amis, il s'aperçut qu'il avait les souliers bien luisants, et s'en affligea, dans l'idée que cet homme faisait mal ses affaires:[134]

« Jamais, dit-il, ses souliers n'eussent été si propres s'il ne les eût nettoyés lui-même. »

Se trouvant à Teichionte, bourgade du district de Milet, et dont les habitants étaient un mélange de gens de diverses nations, [351b] il vit qu'il n'y avait que des tombeaux d'étrangers : « Éloignons-nous d'ici, dit-il à son esclave; car il paraît qu'il n'y a que les étrangers qui meurent ici, et non les citoyens. »

Zéthus le Cithariste, dissertant sur la musique : « Il te convient moins qu'à tout autre de parler de musique, dit Stratonicus, toi qui as pris le nom qui convient le moins à un musicien ; car tu t'appelle Zéthus, au lieu d'Amphion. »

Voulant montrer à un Macédonien à jouer de la cithare, il se fâcha de ce que cet homme s'y prenait extrêmement mal, et lui dit : « Va t'en chez tes Macédoniens.[135] »

44. [351c] Apercevant un héroon[136] magnifiquement orné, près d'un bain d'eau froide et malpropre, il s y lava fort mal, et dit en sortant : « Je ne suis pas surpris d’y voir nombre de tableaux votifs, car ceux qui en ont fait hommage ne les ont présentés que comme ayant été assez heureux pour en sortir sans y perdre la vie en se lavant. »

Il disait que le froid régnait à Ænos pendant huit mois, et l'hiver pendant les quatre autres[137] ………………. (que nombre d'habitants du Pont en sortaient comme d'un séjour pernicieux).

Stratonicus appelait les Rhodiens des Cyrénéens[138] blancs; et Rhodes, la ville des amans; Héraclée, la Corinthe des hommes; Byzance, l'aisselle de la Grèce ; [351d] les Leucadiens, des Corinthiens éventés ou rapides ; et les Ambraciotes, des Membraciotes.

En sortant des portes d'Héraclée, il regardait de tous côtés : quelqu'un lui demanda pourquoi il regardait ainsi : « C'est, dit-il, que j'ai autant de honte de sortir d'ici que d'un repaire de filles de joie, tant je crains d'être aperçu. »

Apercevant deux criminels au pilori dans une ville: « Voilà de bien sottes gens, dit-il, de n'avoir fait leur métier qu'à demi.[139] »

Un jardinier, devenu musicien,[140] voulant disputer avec lui sur l'harmonie, il lui dit :

« Que chacun chante selon le métier qu'il sait. »

[351e] Buvant avec quelques personnes à Maronée, il dit qu'il saurait deviner en quel endroit il serait, quelque part qu'on le menât les yeux bandés. On le mena réellement ainsi : Eh bien! lui dit-on, où es-tu à présent? Au cabaret, répondit-il ; car il regardait toute la ville comme un cabaret.

Etant à table à côté de Téléphane, celui-ci prit sa flûte, et commençait à souffler dedans ; Stratonicus dit aussitôt : « Voilà comme on rote! »

Un baigneur lui ayant donné à Cardie de mauvaise terre,[141] et de l'eau saumâtre pour se déterger la peau : « Me voilà, dit-il, attaqué par terre et par mer. »

45. Stratonicus, ayant vaincu ses antagonistes à Sicyone, érigea un trophée dans le temple d'Esculape, avec cette inscription :

[351f] « STRATONICUS, DES DÉPOUILLES[142] DES MAUVAIS CITHAREDES. »

Quelqu'un chantant, il demanda : « De qui sont ces vers? De Carcinus,[143] lui dit-on. — Je le crois volontiers, répondit-il, car ils sont plutôt d'un karkinos que d'un homme. »

Il n'y a pas de printemps à Maronée, disait-il, mais un air tiède.[144]

Se trouvant au bain à Phasélis, son esclave eut une dispute avec le baigneur, au sujet du prix. Il était d'usage que les étrangers payassent davantage: « [352a] Bourreau, dit-il à son esclave, tu as pensé me rendre Phasélite pour un sol![145] »

Quelqu'un le louait pour en obtenir quelques sols : « Eh mon ami! je suis encore plus pauvre que toi, lui dit-il. »

Donnant quelques leçons dans une petite ville, il dit : « Ce n'est pas ici une ville, mars une vilenie! »

Etant à Pella, il s'approcha du puits, et demanda si l'eau était potable. Ceux qui en tiraient lui dirent : « Nous en buvons. — Elle ne vaut donc rien, répondit-il. » En effet, ces hommes avaient un teint verdâtre.

 

Chap. XI. Assistant à la représentation des Couches de Semèlée, pièce de Timothée, il dit, en entendant les cris de celle qui en jouait le rôle : « Quels cris aurait-elle donc jeté, si elle était accouchée d'un manœuvre, et non d'un dieu? »

[352b] Certain Polyidas se vantait de ce que Philotas, un de ses disciples, avait vaincu Timothée : « Il est étonnant, dit Stratonicus, que vous ignoriez que Philotas fait des décrets,[146] et Timothée, des nomes. »

Axeius, joueur de harpe, le molestant, il lui dit: « Va t'en jouer aux corbeaux. »[147]

Un mégissier de Sicyone lui disait des injures, il se contenta de lui répondre : nakodœmon[148] kakodœmon; ouvrier en peau, mauvais démon.

 

Chap. XII. Stratonicus voyant que les Rhodiens étaient débauchés et buvaient chaud,[149] les appelait des Cyrénéens blancs. Il nommait Rhodes, [352c] la ville des amants ; trouvant, il est vrai, que pour la débauche les uns différaient seulement des autres par la couleur; mais que pour le penchant déterminé aux plaisirs, celui de la ville de Rhodes[150] ressemblait parfaitement à celui des amants (de Pénélope).

Stratonicus était, à l'égard de ces plaisanteries, l'émule du poète Simonide, selon ce que dit Éphore, dans son liv. 2 des Inventions : celui-ci ajoute même que Philoxène de Cythérée se plaisait aussi à ces bons mots.

Voici ce que dit Phanias le péripatéticien, liv. 2 de son Traité des Poètes : « C'est probablement Stratonicus qui introduisit l'usage d'un plus grand nombre de cordes[151] au jeu simple de la cithare : il forma aussi, le premier, des disciples aux principes de l'harmonie, et traça une tablature avant qui que ce fût : [352d] du reste, il était goûté dans ses plaisanteries. Sa hardiesse à persifler l'ayant un jour fait plaisanter sur les fils de Nicoclès[152] roi de Chypre, ce prince l'obligea de boire un poison, dont il mourut. »

47. Mon cher Démocrite, j'ai souvent été étonné au sujet d'Aristote, que les savants ont tant vanté pour sa pénétration, et dont les écrits te sont aussi familiers que ceux des autres philosophes et des orateurs.

Quand a-t-il donc pu apprendre, ou quel homme, [352e] sorti des gouffres de Protée ou de Nérée, lui a raconté ce que font les poissons ; comment ils dorment ; quelles sont leurs habitudes et leur manière de vivre? Car voilà ce dont il a parlé dans ses écrits. Or, pour me servir des termes d'un poète comique, ne sont-ce pas là autant de prodiges dont on berce les sots?

Selon lui, les buccins et tous les coquillages à écaille dure se reproduisent sans accouplement ; la pourpre et le buccin vivent longtemps : il donne six ans à la pourpre. D'où a-t-il su cela? En outre, dit-il, la vipère demeure longtemps accouplée ; [352f] le plus grand, des pigeons est le ramier, ensuite le pigeon vineux,[153] et la tourterelle le plus petit. Où a-t-il su que le cheval vit trente-cinq ans, et la jument plus de quarante; il ajoute même qu'on en a vu une vivre soixante-quinze ans.[154]

Selon son récit, les lentes viennent de l'accouplement des poux ; de la métamorphose d'un ver, il résulte une chenille, et de cette chenille un bombylios, d'où vient enfin ce qu'on appelle necydale.[155]

Le même dit que les abeilles vivent jusqu'à six ans ; quelques-uns même sept.[156] Selon lui, on n'a pas vu l'abeille ni le bourdon s'accoupler; [353a] ainsi on ne peut distinguer dans une ruche, les mâles des femelles.

Mais où ce philosophe a-t-il vu démontré que les hommes le cédaient[157] aux abeilles, en intelligence?

Puisque ces mouches observent toujours les mêmes procédés dans leur vie, sans aucun changement, et qu'elles agissent uniquement par instinct et sans réflexion, comment a-t-il découvert que l'homme leur est inférieur, lui qui abonde autant en réflexions qu'elles en miel?

Il dit, dans son Traité sur la longueur de la Vie, qu'on a vu une mouche vivre six ou sept ans : quelle preuve en apporte-t-il? où a-t-il vu du lierre[158] pousser de la corne d'un cerf? Selon lui, les hiboux et les corbeaux de nuit ne peuvent voir de jour; [353b] c'est pourquoi ils cherchent de nuit leur nourriture, non, il est vrai, pendant toute la nuit, mais à nuit tombante:[159] il dit que leurs yeux présentent une conformation et des couleurs différentes, selon les espèces ; les uns les ayant vert-de-mer, les autres noirs, et quelques autres bleu clair ; au lieu que ceux des hommes présentent toutes les couleurs, et que c'est dans les yeux qu'on aperçoit la différence des caractères : ceux qui ont des yeux de chèvre, sont nés, selon lui, pour avoir la vue perçante, et un excellent caractère. Quant aux autres, ils ont les yeux ou proéminents au dehors, ou enfoncés, ou entre ces deux positions.   [353c] Il suppose dans les seconds un très mauvais caractère; dans les premiers, une vue très perçante; et dans les troisièmes, qui tiennent l'état mitoyen, un caractère modéré.

Aristote remarque aussi qu'il y en a qui clignent souvent. Il regarde ces gens comme des impudents. Le regard fixe est pour lui l'indice d'un homme inconstant.

L'homme, selon lui, est le seul des animaux qui ait le cœur[160] situé à gauche ; les autres l'ayant au milieu. Les femelles ont moins de dents que les mâles : ce qui a été observé, dit-il, dans la brebis, la truie et la chèvre. [353d] Il ne reconnaît pas de testicules[161] dans les poissons : ni les oiseaux, ni les poissons n'ont de mamelles; le dauphin[162] est le seul poisson qui n'ait pas de fiel : quelques poissons n'ont pas le fiel dans le foie, mais appliqué le long des intestins; comme l’ellops, la synagris, la murène, l'espadon et l'hirondelle de mer, etc. Quant au boniton, il a le fiel étendu le long de l'intestin ; et l'épervier, le milan, l'ont le long du foie et des intestins : l'ægocéphale,[163] l'a le long du foie et de l'estomac. Le pigeon,[164] la caille, l'hirondelle, l'ont, les uns joint aux intestins, les autres à l'estomac.

49. [353e] Selon le même, les poissons à coquille tendre, ou dure, les sélaques ou mollusques, et les insectes, sont longtemps à coïter ; le dauphin et quelques poissons s'accouplent en se couchant l'un contre l'autre. Le dauphin est lent dans son accouplement, et les poissons fort prompts.

Le lion, dit-il encore, a les os si durs qu'en les frappant latéralement, il en sort des étincelles, comme des silex : quant au dauphin, il a des os, non des épines ; mais les sélaques ont du cartilage et des épines.

 

Chap. XIII. Après avoir distingué les animaux[165] en terrestres [353f] et aquatiques, il dit, d'autres sont pyrogènes, ou le produit du feu; d'autres animaux ne sont qu'éphémères,[166] ou ne vivent qu'un jour : il y a aussi des animaux amphibies, comme l'hippopotame, le crocodile, et l’énydris ou loutre.[167] Tous les animaux ont deux pieds[168] pour leur mouvement progressif; mais le cancre en a quatre : tous ceux qui ont du sang sont, ou sans pied, ou ils ont deux ou quatre pieds ; mais ceux qui en ont plus de quatre n'ont pas de sang. Ainsi tous les animaux qui se meuvent le font en quatre points. L'homme les marque avec deux pieds et deux mains, l'oiseau avec deux pieds et deux ailes; l'anguille et le congre avec deux nageoires et deux flexions ou courbures.

[354a] En outre, dit-il, quelques animaux[169] ont des mains comme l'homme; d'autres paraissent en avoir, comme le singe, car aucun animal, compris sous le nom de brute, ou d’irraisonnable, n'est susceptible de donner et de recevoir : ce à quoi les mains sont destinées comme les organes propres. Ensuite, parmi les animaux,[170] les uns n'ont pas de membres ou parties externes jointes par articulations comme les serpents, les huîtres, les poumons de mer.

Plusieurs animaux ne paraissent pas en toute saison, mais se cachent dans les unes ou dans les autres. Parmi ceux même qui ne se cachent pas dans des trous, ou des gouffres, il y en a qui ne paraissent pas toujours, comme les hirondelles,[171] les grues.

50. J'aurais encore beaucoup de choses à vous rapporter des rêves qu'a débités ce pharmacopole,[172] mais je m'arrête ici.  [354b] Je n'ignore cependant pas ce qu'a dit de lui Epicure, cet ami de la vérité, dans sa lettre sur les différentes professions auxquelles on peut se vouer : Après avoir dissipé son patrimoine, dit Epicure, Aristote prit le parti des armes; n'y réussissant pas, il se mit à vendre des médicaments. Platon ouvrait alors son école : Aristote se voua tout entier à ce philosophe, assistant assidûment à ses conférences, ayant d'ailleurs certaine aptitude pour les sciences, et peu à peu il se livra tout entier à l'étude.[173]

Je sais [ 354c] qu'Epicure est le seul qui ait ainsi parlé d'Aristote; car, ni Eubule, ni même Céphisodore, n'ont osé rien dire de pareil au sujet du Stagirite, quoiqu'ils aient publié des écrits contre lui.

Épicure dit, dans la même lettre, que le sophiste Protagoras fut porte-faix,[174] et gagnait sa vie à porter du bois ; qu'il changea d'état pour être d'abord copiste de Démocrite. Ce philosophe ayant admiré l'art avec lequel il arrangeait sa charge de bois, le prit à son service. Protagoras alla ensuite tenir école dans une bourgade, et devint enfin Sophiste.

Pour moi, Messieurs les convives, je me sens une grande envie [354d] de m'occuper de mon ventre.

Quelqu'un disant que les cuisiniers apportaient tous leurs soins pour ne rien servir de froid, vu ce long régal de dissertations, Cynulque prit la parole : « En effet, voici la réflexion que fait à ce sujet le Milcon du comique Alexis :

« A. Pour moi, si l'on ne sert les mets chauds ....[175] mais ne conviens-tu pas avec Platon que ce qui est bon l'est partout? B. Cela est juste. A. Ce qui est partout agréable l'est donc ici. »

[354e] Sphærus, qui fut avec Chrysippe, disciple de Cléanthe, fit aussi une réponse assez ingénieuse. Ayant été invité à Alexandrie par le roi Ptolémée, on servit à souper des volailles faites en cire.[176] Sphærus voulut y porter la main ; mais aussitôt Ptolémée l'arrêta, lui disant qu'il avait jugé faux de cet objet. Prince, répondit-il fort à propos, ce n'est pas que j'aie jugé que ce soient des volailles, mais que cela me paraissait probable. Or, l'assertion mentale[177] est bien différente d'une idée de probabilité. Dans le premier, on suppose qu'on ne se trompe pas; dans le cas d'idée de probabilité, il en est bien autrement. Ainsi, dit Cynulque, qu'on nous apporte actuellement de vraies volailles, [354f] mais de cire selon la vision intérieure qui les présentera telles à l'âme, de sorte que nous puissions nous tromper à l'aspect, et ne pas perdre tout à fait le temps à jaser de l'une ou l'autre chose.

51. [355a] On allait se mettre à souper, lorsque Daphnis ordonna qu'on s'arrêtât, en citant ce passage du Mammakytos ou Aures de Métagène :

« Injurieux[178] dans les termes, comme nous le sommes tous, le plus souvent, à la fin des repas, dans nos propos. »

Je dis donc qu'on a omis plusieurs choses dans ce qu'on a rapporté sur les poissons, car les enfants d'Esculape en ont beaucoup parlé, tels que Philotime, dans son Traité des aliments, Mnésithée d'Athènes, et Diphile de Siphne. Voici donc ce que dit celui-ci dans son ouvrage sur les aliments utiles aux gens en santés ou aux malades :

[355b] « Parmi les poissons de mer, les saxatiles digèrent facilement, ont un bon suc ; ils sont détersifs, légers, et ne nourrissent que peu ; mais ceux de haute mer digèrent plus difficilement, nourrissent beaucoup, se distribuent mal. Parmi les saxatiles, le phykeen et la phycis[179] étant de petits poissons, ont la chair tendre, sans odeur forte, et de facile digestion. La perche de mer qui leur est assez semblable, en diffère aussi peu par les qualités, selon les lieux. Les goujons, ou les boulerots sont analogues à la perche par leurs qualités. Ceux qui sont petits et blancs ont la chair tendre, sans odeur forte de vase; ils sont d'un bon suc, et digèrent bien ; mais ceux qui ont une teinte verdâtre, [355c] et qu'on appelle kaulinai, ont la chair sèche, maigre. Les serrans ont la chair délicate, cependant plus ferme que la perche. Le scare a aussi la chair délicate, peu liée, savoureuse, légère, de facile digestion : elle se distribue bien, et tient le ventre libre. Néanmoins il ne faut.pas en manger lorsqu'il est nouvellement pris, parce qu'il chasse le lièvre marin et le dévore. Voilà pourquoi ses intestins donnent lieu aux amas de bile. Le poisson qu'on appelle keeris,[180] est tendre, tient le ventre libre, va bien à l'estomac ; [355d] son suc humecte un peu le ventre,[181] et déterge en même temps. »

« L'orphe a beaucoup de suc, et bon ; la chair en est visqueuse, difficile à digérer, nourrit bien, sollicite les urines. Les parties qui sont près de la tête ont surtout cette qualité visqueuse, et sont de difficile digestion,[182] pesantes à l'estomac. La fibre charnue digère bien; mais la queue est plus délicate. En général, ce poisson donne beaucoup de pituite, et ne digère pas assez bien. »

« Les spets[183] sont plus nourrissants que les congres. L'anguille d'étang est plus agréable[184] au goût que celle de mer, et beaucoup plus nourrissante. La dorade est analogue à l'oblade. Les scorpènes de haute mer et fauves, sont plus nourrissantes [355e] que les grandes des lagunes, et qu'on prend là sur les bords.

52. Le spare a la chair tendre, un peu acrimonieuse, sans odeur de vase, agréable au palais, diurétique, et non indigeste;[185] mais frit, il digère difficilement. »

« Le surmulet a la chair agréable au goût, un peu astringente, dure, difficile à digérer : elle arrête les selles, surtout grillée sur les charbons. Frite, elle est pesante à l'estomac, et difficile à digérer. En général, tout surmulet[186] pousse les évacuations sanguines. »

« Le synodon (dentale) et le charax sont du même genre, mais le charax[187] vaut mieux. [355f] Quant au pagre, il y en a aussi dans les rivières ; mais celui de mer est plus beau. Le capriscus (sanglier marin) se nomme mys. Il sent la vase, est dur, et plus difficile à digérer que le citharus ou folio ; la saveur de sa peau est agréable au goût.[188] L'aiguille qu'on appelle raphis ou belonee, et même ablennees, ne digère pas facilement. La chair en est humide, quoique d'un assez bon suc. L'alose et ceux d'espèces analogues, tels que l'éritime, la chalcis, se distribuent bien. »

Il y a des muges de mer, d'étang et de rivière. [356a] Selon Diphile, « on appelle celui-ci oxyrinque. Le coracin du Nil est préférable aux autres ; mais on estime moins le noir que le blanc, et bouilli, il est moins bon que rôti. Celui-ci va bien à l'estomac, et tient le ventre libre. La saupe est dure, désagréable au goût. Elle est meilleure à Alexandrie, et pêchée en automne. Elle rend une matière muqueuse et blanchâtre, qui d'ailleurs ne sent pas la vase. »

« Le gryllus (ou congre)[189] est semblable à l'anguille, mais de mauvais goût. Le milan de mer a la chair plus dure que le rouget-grondin; du reste, il lui ressemble. Le corbeau a la chair plus dure que le milan. Le tapecon, qui se nomme ouranoscope, agnos et callionyme, est lourd sur l'estomac. [356b] Le bogue bouilli digère bien, passe facilement, détrempe, et rend le ventre libre. Rôti sur le gril, il est plus savoureux et plus tendre. Le bacchos ou la merlu[190] a, un suc abondant et bon, et bien nourrissant. Le tragus[191] a un mauvais chyle, est indigeste et sent la vase. La plie, la sole nourrissent bien, et flattent el palais : le turbot leur est analogue. »

Les glaucisques,[192] savoir, les capitons, les muges, les morveux, le grosse-lèvre sont analogues, quant aux principes nutritifs : cependant le muge le cède au capiton ; après vient le morveux, et enfin la grosse-lèvre.

53. Le thon femelle et mâle sont lourds sur l'estomac, mais très nourrissants. Le poisson qu'on appelle akarnan[193] est savoureux, bourre un peu,[194] nourrit bien, et passe par les selles sans difficulté. [356c] L'aphye est pesante à l'estomac, de difficile digestion : la blanche se nomme aphye-goujonne. L'epsète, le petit poisson,[195] appartient au même genre.

« Quant aux sélaques, le bœuf[196] est charnu ; mais le chien de mer étoile vaut mieux. L’alopécias, renard marin, ressemble, pour la saveur, au renard terrestre (ou alopex), voilà pourquoi on lui en a donné le nom. La raie plaît au goût ; mais la raie étoilée est plus délicate et d'un bon suc. La raie lisse affecte mal le ventre, passe mal, et sent la vase. La torpille difficile à digérer, a cependant les parties voisines de la tété assez tendres, et d'un bon suc : elles digèrent même facilement; [356d] mais il n'en est pas de même des autres. Les petites sont les meilleures, surtout si on les fait bouillir dans l'eau, sans y rien ajouter. La lime (ou ange) qui appartient aussi aux sélaques, digère bien, est légère; mais la plus grande nourrit mieux. En général, les sélaques sont flatueux et charnus, et assez difficiles à digérer; si même on en mange souvent, ils affaiblissent la vue. »

« La sèche bouillie est tendre, et plaît au goût. Elle digère bien, et tient le ventre libre. Son suc atténue le sang, et sollicite les évacuations hémorroïdales. Le calmar digère encore mieux, [356e] quoique désagréable au goût. Le polype bande l'arc de l'amour, est dur, de difficile digestion; mais le plus grand est le plus nourrissant; très cuit, il raffermit l'estomac, et lâche le ventre. »

« Alexis fait voir l'utilité du polype, parlant ainsi dans sa Pamphile :

[356f] « A. Eh! bien, toi qui es amoureux, qu'as-tu acheté? B. Oh! que me faut-il autre chose que ce que j'apporte! des buccins, des peignes, des truffes, un grand polype, et force poissons. »

« La pélamide nourrit beaucoup, mais elle est pesante, de difficile digestion, quoique diurétique. Salée, elle devient comme le kallibion,[197] atténuante, et rend le ventre libre. Quant elle est plus grande on la nomme synodontis. Le chelidohias,[198] analogue à la pélamide, est cependant plus dur; mais l'hirondelle (chelidoon) qui est semblable au pompyle, a par elle-même une qualité humectante, donne une bonne couleur, et plus de mouvement au sang. [357a] L'orcyn sent la vase ; devenu très grand, il est analogue au chelidonias pour la dureté de la fibre ; mais le bas-ventre, et les parties voisines de la tête, ou les clavicules, sont tendres et de bon goût. Ceux qu'on nomme kostai[199] tiennent le milieu par leur qualité, lorsqu'ils sont salés. Le xanthias sent un peu la vase, et est plus tendre que l'orcyn. »

« Tels sont les détails de Diphile ;

54. mais voici ce que dit Mnésithée, dans son Traité des Comestibles.

Quelques-uns comprennent le genre des grands poissons sous le nom de tmeeton;[200] les autres, sous celui de pelagion : tels sont, par exemple, les glauques, la dorade, [357b] les pagres ; poissons qui sont difficiles à digérer; mais si on les digère ils fournissent beaucoup de substance nutritive. »

« Quant aux poissons squammeux, ou couverts d'écaillés, tels que les thons, les maquereaux, les thynnides ou thons femelles, les congres et semblables, les uns vont en troupe,[201] les autres non ; mais ceux qui ne vont pas seuls, et cependant sans marcher en troupes, sont de facile digestion; comme les congres, les requins et semblables. Les espèces grégales de ces poissons ont, il est vrai, la chair d'une saveur agréable,[202] car ils sont gras ; mais elle est lourde, et digère assez difficilement : voilà pourquoi ils conviennent surtout pour faire des salines, et ce sont en effet les meilleures. [357c] Ils sont bons rôtis, parce que la cuisson en fait ainsi fondre et tomber la graisse. »

« Les poissons qu'on appelle darta, c'est-à-dire, excoriables, sont en général ceux sur la peau desquels il s'est formé des aspérités, non par des écailles, mais telles qu'on en voit sur la peau des raies et des pastenaques. Ces poissons ont tous la fibre peu liée, mais d'assez mauvaise odeur : elle ne fournit au corps qu'une substance flegmatique. De tous les poissons qu'on fait cuire en bouillant, ce sont ceux-ci qui lâchent le plus le ventre ; mais ils sont encore plus mauvais rôtis. »

« Les mollusques, tels que les polypes, les sèches et semblables, ont la chair difficile à digérer ; voilà pourquoi ils aiguillonnent l'amour ; [357d] d'ailleurs ils sont flatueux : or, pour se disposer aux ébats amoureux, il est bon d'être[203] dans une disposition flatueuse. Les mollusques sont meilleurs en général lorsqu'ils ont cuit en bouillant; car ils sont pleins de mauvaises humeurs, comme on peut s'en apercevoir à la simple lotion : or, on fait sortir ces humeurs de la chair par l'ébullition.[204] Le feu appliqué avec un fluide, devenant émollient, les pénètre et les purifie totalement. Si au contraire on les rôtit, la dessiccation y concentre ces humeurs vicieuses, et il faut qu'ils demeurent plus ou moins durs, puisqu'ils le sont déjà naturellement. »

55. [357e] « Les aphyes, les membrades, les trichides,[205] et tous les autres dont on mange les arêtes avec la chair, ne digèrent qu'en donnant des vents; mais ces poissons fournissent une substance nutritive humide. En effet, la digestion s'en fait à des temps inégaux ; les chairs se dissolvant promptement, lorsqu'à peine les arêtes ont commencé à digérer, car les aphyes en ont beaucoup. Les unes empêchent donc la réduction complète des autres. Voilà pourquoi la coction ne s'en fait qu'avec flatulence, [357f] tandis que d'un autre côté les chairs la rendent trop liquide. Il vaut donc mieux les manger bouillis. Du reste, ils causent des selles irrégulières. »

« Quant à ceux qu'on appelle saxatiles, comme les goujons, les scorpènes, les plies et semblables, ils fournissent au corps une substance alimentaire[206] sèche, bien nourrissante, et qui entretient bien l'embonpoint, parce qu'elle digère promptement, et sans laisser beaucoup de matières excrémentielles:[207] d'ailleurs, ils ne causent pas de flatuosités. En général, le poisson assaisonné avec le moins d'apprêt est toujours celui qui digère plus facilement. Il ne faut qu'un filet de vinaigre pour assaisonner les saxatiles. »

« Il en est de même de ceux qu'on appelle poissons à chair molle, tels que les merles, les grives et semblables ; mais ceux-ci sont plus humides que les précédents, fournissent plus de substance[208] propre à ranimer les forces, [358a] rendent les selles et les urines plus libres que les autres, parce qu'ils contiennent plus de principe aqueux. Si donc on veut relâcher le ventre, il faut donner ces aliments bouillis. Si au contraire il est un peu trop libre, qu'on donne ces aliments rôtis. Quant aux urines, ces aliments servis de l'une et l'autre manière les entretiendront bien. »

56. « Les poissons de mer ont toujours une chair plus humide et plus grasse dans les endroits où il se décharge des rivières et des lacs, et où il y a des lagunes étendues, de même que dans les golfes ; [358b] mais si d'un côté on les mange avec plus de plaisir, de l'autre, ils digèrent moins facilement, et fournissent une substance nutritive moins avantageuse.[209] La plupart des poissons dont les habitudes sont sur les côtes de la mer, dans des eaux très découvertes, ont une chair sèche, légère, étant continuellement battus par le flot; mais ils réunissent presque généralement les deux avantages du plaisir et de la nutrition dans les eaux un peu resserrées, sur lesquelles il ne règne pas de grands vents, et si les eaux sont dans le voisinage de quelque ville. [358c] Ils sont difficiles à digérer, et pesants lorsqu'ils quittent la mer pour remonter les rivières, ou passer dans des lacs, tels que le muge, et en général tous ceux qui peuvent vivre dans l'eau douce ou salée. De ceux qui vivent habituellement dans les rivières ou dans les étangs, les premiers sont les meilleurs, car l'eau des étangs est plus ou moins[210] putride. Les meilleurs poissons fluviatiles sont ceux qui ont leurs habitudes dans les rivières les plus rapides ; mais étant rôtis sur le feu.[211] C'est toujours dans les eaux froides et rapides qu'on les trouve de cette qualité. »

57. [358d] Tels sont, mes amis, les plats de poissons que j'avais à vous présenter : je les ai assaisonnés de la manière la plus saine qu'il m'a été possible : car pour parler avec le Parasite d'Antiphane :

« Pour moi, j'entends très peu de chose à la cuisine ; et je sais aussi peu comment on doit s'enivrer à la grecque,[212] dans un repas d'où l'on emporte les autres convives déjà ivres. »

Je ne suis pas non plus aussi amateur de poisson que le dit un des personnages du Butalion de ce même poète : cette pièce est un de ces Paysans, mais retouché. Voici ce qu'il dit :

[358e] « A. ………………. Pour moi, je vais vous traiter aujourd'hui : toi, tu achèteras ce qu'il nous faut. B. Oui, quand j'aurai reçu de vous quelque argent, car autrement je ne sais pas acheter avantageusement. Eh! bien, dites; quel poisson aimez-vous le mieux? A. Je les aime tous. B. Encore! nommez-en quelques-uns de ceux que vous mangeriez avec le plus de plaisir. A. Tiens, il vint un jour à la campagne, où j'étais, un poissonnier qui apporta des mendoles et de petits surmulets. Je t'avoue, certes, que cela nous fit plaisir à tous. B. Eh! bien, en mangeriez-vous actuellement? dites-moi. [358f] A. Oui, et tout autre petit, car pour ces gros poissons, je les regarde comme autant d'anthropophages. B. Que dites-vous! des poissons manger des hommes! A. Au reste, on sait que les mendoles et les petits surmulets étaient le plat favori d'Hélène. »

Mais dans son Paysan, il appelle :

« Les mendoles et les surmulets, un plat fait pour Hécate.[213] »

 

Chap. XV. Philippe le comique, qui méprisait les petits poissons, en fait ainsi parler dans sa Philyre :

« A. Papia, veux-tu courir [359a] au marché m'acheter quelque chose? B. Dites ce que vous voulez. A. Papa,[214] je veux des poissons qui soient en âge de raison, non des enfants à la mamelle. B. Mais ne savez-vous[215] donc pas que pour acheter de l'argent en lingot, il en faut auparavant de monnayé. »

58. On voit, dans les Crieurs d'oublies du même poète, un jeune homme badiner assez agréablement sur tous ces achats de cuisine, dont il ne parle qu'en diminutif, pour en marquer son mépris.

«A. ……………….Mais achète[216] bon marché, car il y a de tout suffisamment. B. Dites ce que vous voulez. A. Je ne veux point de choses de grand appareil, [359b] mais que tout soit bien arrangé, et qu'il y en ait assez; comme de petits calmars, de petites sèches. S'il se trouve une langouste, prends-là ; elle suffira. Quelques petites anguilles sur la table ne déplaisent pas : Thébé vient quelquefois avec un petit coq, un petit ramier, une petite perdrix; dis-lui de t'en donner, et autres choses semblables. Si quelqu'un se présente avec un lièvre,[217] apporte-le moi. B. Mais, que vous êtes serré aujourd'hui! A. Et toi, large à la dépense : Nous avons déjà ici différentes viandes. B. Est-ce que quelqu'un nous en a envoyé? A. Point du tout ; mais ma femme vient de sacrifier le petit veau de la Koroone.[218] B. Oh! nous souperons donc demain. »

[359c] Mnésimachus introduit sur la scène son Morose, (personnage avare, dont la pièce porte le nom), parlant ainsi à un jeune dissipateur :

« A. Mais, je t'en conjure, prescris-moi tout ce que tu voudras, pourvu que ce ne soit pas trop difficile, ni trop coûteux; enfin, ne sois pas trop exigeant ; car tu sais que je suis ton oncle. B. Comment, mon cher oncle, faut-il donc s'exprimer avec vous, pour n'être pas trop exigeant? A. Comment! diminue l'étendue de tes termes, et trompe-moi ainsi. Au lieu de dire un poisson, demande [359d] un petit poisson ; au lieu d'un plat de poisson, dis un petit plat : et je verrai la mort venir avec moins de peine! »

59. Eh! bien cher Ulpien, puisque le hasard nous a fait tomber sur le passage rapporté ci-devant, expliquez-nous donc vous autres enfants des grammairiens, en quel sens[219] Éphippe a pu dire:

« Le petit veau de la Koroone ; nous souperons demain. »

J'entrevois dans ce passage quelque anecdote que je voudrais bien connaître. C'est, dit Plutarque, une anecdote rhodienne; mais que je ne puis vous détailler sur-le-champ, [359e] parce qu'il y a longtemps que le livre où elle est ne m'est tombé dans les mains. Je sais cependant que Phénix de Colophone, poète iambique, a parlé de certains hommes qui faisaient une quête pour la koroone ou corneille, en disant ces vers :

« Braves gens, donnez une poignée d'orge à la Corneille, fille d'Apollon, ou une ration[220] de bled, ou un pain, ou une obole, ou ce dont vous pouvez disposer. Donnez a la Corneille de ce que chacun possède ; elle recevra même un grain de sel, [359f] car elle aime beaucoup à s'en régaler. Celle-ci qui donne aujourd'hui du sel, donnera la seconde fois un rayon de miel. Enfant, ou valet, ouvre la porte; Plutus nous a déjà écouté favorablement. Mais voici une fille qui apporte des figues à la Corneille. Puisse cette jeune fille être parfaite[221] en tout, et trouver un mari riche et renommé. Qu'elle porte dans les mains de son père, devenu vieux, un garçon, et pose sur les genoux de sa mère une fille, [360a] et qu'elle élève en bonne mère cet enfant avec des frères. Pour moi, je vais chantant des vers aux muses, de porte en porte, où mes pieds conduisent mes yeux, et même encore un plus grand nombre que ceux-ci, tant pour celui qui donne, que pour celui qui ne donne rien. »

Il dit à la fin de cette pièce iambique:[222]

« Çà! braves gens, donnez de ce que vous tenez serré en abondance! donne, mon roi![223] et toi, nymphe, donne beaucoup. Il est d'usage de donner plein la main à la Corneille, lorsqu'elle demande. Instruit de cet usage, donne quelque chose aussi toi, et cela suffira. »

[360b] On appelait coronistes ceux qui quêtaient ou mendiaient au nom de la corone ou corneille, comme le dit Pamphile dans son Traité des Noms. Les vers que les quêteurs chantaient se nommaient koroonismes. C'est Agnoclès de Rhodes qui le dit dans ses Coronistes :

60. On donnait à Rhodes le nom de chelidonizein, ou chant de l'hirondelle, à une autre manière de quêter ou mendier. Théognis en parle ainsi dans le liv. 2. de son ouvrage sur les sacrifices des Rhodiens : « On appelle, à Rhodes, chelidonizein, [360c] une espèce de quête qui se fait d'ordinaire au mois de mars. Elle a eu le nom de chant de l’hirondelle, parce qu'il était d'usage de l'entonner ainsi :

« Elle est venue, elle est venue l'hirondelle, qui amène avec elle les charmantes saisons et les belles années ; elle est blanche au ventre, et noire sur le dos. Quoi! vous ne tirerez[224] pas de votre maison abondante un cabas de figues, une mesure de vin, une caserette[225] de fromage, et autant de bled! l'hirondelle ne refuse même pas un petit gâteau aux jaunes d'œufs. Nous en irons-nous à vide, ou recevrons-nous quelque chose? Si vous nous donnez quelque chose, bien! autrement nous ne vous quitterons pas. Nous emporterons, ou la porte basse,[226] ou la porte haute, ou la femme qui est assise en dedans. [360d] Comme elle est petite, nous l'enlèverons facilement; mais si vous apportez quelque chose, vous serez certes bien récompensé. Ouvrez, ouvrez la porte à l'hirondelle, car nous ne sommes pas des vieillards décrépits, mais de jeunes gens vigoureux.

Ce fut Cléobule de Linde qui imagina cette manière de faire une collecte dans un moment où sa patrie avait besoin de fonds.

 

61. Chap. XVI. Mais puisque nous avons fait mention des histoires de Rhodes, je viens aussi de cette belle île, poissonneuse selon le charmant Lyncée, pour vous parler de poissons. Voici donc ce qu'Ergéas [360e] le Rhodien raconte dans ce qu'il a écrit sur sa patrie. Après avoir dit quelque chose sur les Phéniciens qui y établirent une colonie,[227] il continue : « Phalante et ses Colons ayant dans le territoire d'Ialyse une ville très forte, nommée Achaia, et se trouvant bien pourvus de vivres, résistèrent longtemps à Iphiclus. En effet, un oracle leur avait prédit qu'ils seraient maîtres de la contrée jusqu'à ce qu'il naquît des corbeaux blancs, et qu'il parût des poissons dans les cratères. Espérant donc qu'on ne verrait jamais ces prodiges, ils traitèrent avec négligence tout ce qui concernait la guerre. Iphyclus apprit pendant ce temps-là l'oracle qui avait été rendu [360f] aux Phéniciens. Aussitôt il épia un des hommes affidés de Phalante, nommé Larcas, au moment où celui-ci allait chercher la provision d'eau, et, s'arrangeant avec lui sous la foi du serment, il pécha quelques poissons à la source, et les jeta dans l'urne qu'il remit à Larcas, l'avertissant de verser de cette eau dans le cratère avec lequel Phalante buvait. Larcas le fit ponctuellement. Iphiclus, de son côté, prit quelques corbeaux à la chasse, les blanchit avec du plâtre, et les laissa envoler. »

[361a]« Phalante apercevant ces corbeaux blancs alla aussitôt visiter ses cratères. Y ayant vu des poissons, il présuma que le pays n'appartenait plus à sa colonie, et fit dire à Iphiclus, par un héraut, qu'il consentait à se retirer,  à condition que ce serait avec tout ce qu'il avait.[228] Iphiclus y consentit ; mais Phalante usa de cette ruse-ci.[229] Il immola des victimes, en ôta les entrailles, nettoya bien le ventre, et tenta d'emporter ainsi son or et son argent. Iphiclus l'ayant découvert s'y opposa : Phalante lui représenta le serment qu'il avait fait [361b] de leur laisser emporter tout ce qu'ils pourraient prendre dans le ventre : l'autre opposa ruse à ruse, leur donnant, il est vrai, des vaisseaux pour emporter tout, mais dont il avait fait ôter le gouvernail, les rames et les voiles, disant qu'il avait fait serment de leur fournir des vaisseaux,[230] mais rien de plus. »

« Les Phéniciens ne sachant plus quel parti prendre, enfouirent une grande partie de leur argent, marquant les lieux, afin de le reprendre, bien résolus de revenir un jour : ils en laissèrent aussi beaucoup à Iphiclus. [361c] Les Phéniciens abandonnèrent donc ainsi la contrée, et les Grecs y furent aussitôt les maîtres. » Polizèle qui raconte aussi les mêmes choses dans son Histoire de Rhode, dit que ce qui concernait les poissons et les corbeaux ne fut connu que de Phacas et de sa fille Dorkia, et que ce fut elle qui aimant Iphiclus, à qui elle avait juré sa foi par l'entremise de sa nourrice,[231] persuada celui qui apportait l'eau, d'y jeter des poissons, et de la verser dans le cratère d'Iphiclus : que, de son côté, elle lâcha des corbeaux qu'elle avait blanchis.

62. Créobule nous apprend[232] ce qui suit, dans son ouvrage sur les Limites des Ephésiens : « Ceux qui fondèrent Éphèse [361d] se trouvèrent d'abord fort embarrassés sur le choix du lieu. Enfin ils envoyèrent demander à l'oracle en quel endroit ils bâtiraient une ville. Il leur répondit de le faire au lieu même qu'un poisson leur indiquerait, et où un sanglier les conduirait. Or, voici ce qu'on raconte à ce sujet :

« Des pêcheurs se préparaient à dîner avec du poisson dans l'endroit où est actuellement la fontaine Hypélée et le port sacré. Un poisson, ayant sauté avec de la braise ardente, tomba dans des broussailles sèches. Le feu alluma le repaire où se retirait habituellement un sanglier. L'animal tout troublé de cet embrasement, se sauva, parcourant un grand espace de la montagne [361e] que l'on appelle Trichée. Néanmoins, percé de plusieurs javelots qu'on lui lançait', il tomba précisément où est à présent le temple de Minerve. Les Ephésiens quittant alors l'île où ils demeuraient depuis vingt-un ans, passèrent dans cet endroit-là, y bâtirent, la vingt-deuxième année, formèrent des habitations sur le mont Tréchée, dans les environs de Corisse,[233] élevèrent le temple de Diane dans le marché, et celui d'Apollon Pythien près du port.

63. Comme on s'occupait de ces récits, et d'autres, on entendit le son des flûtes mêlé au bruit des cymbales par toute la ville, et le retentissement des tambours qui accompagnaient des chants. [361f] C’était la célébration de la fête des Partîtes,[234] comme on l'appelait anciennement. Ce sont aujourd'hui les fêtes romaines, nom qu'elles ont eu à cause du temple que l'excellent et très savant[235] empereur Adrien a fait bâtir à la Fortune de la ville. C'est un jour solennel pour tous les habitants de Rome, et pour tous les étrangers qui s'y trouvent.

Ulpien prit aussitôt la parole : « Qu'est-ce que cela?

[362a]«  Est-ce un festin,[236] ou une noce? car ce n'est point un repas où chacun paie son écot. »

C'est, mon cher, lui dit un des convives, un bal général qu'on donne dans toute la ville en honneur de la déesse (la Fortune). Ulpien éclate de rire : « Mais, Cynulque, quel Grec a jamais employé le mot ballismos pour signifier ce que tu dis? Il fallait au moins dire tout le monde est en note[237] dans la ville, ou danse; ou tu de vois employer tout autre terme analogue; mais tu vas nous quêter un terme de la rue Suburra.[238]

« Tu as gâté le vin en y versant[239] de l'eau. »

Mais, Myrtile, lui repartit : Je vais, mon ami, te prouver que le mot que[240] tu blâmes, est très grec. [362b] En voulant fermer la bouche à tout le monde, sans convaincre personne d'ignorance, tu te montres plus vide que la peau qu'a quitté un serpent. Epicharme, charmant Ulpien, rappelle le mot ballismos dans ses Théares.[241] Or, l'Italie n'est pas loin de la Sicile. Les Théores considérant donc dans cette pièce les offrandes suspendues dans le temple de Delphes, les détaillèrent les unes après les autres, et voici comme ils parlent :

« Des chaudières d'airain, des cratères ……………….mais les autres dansent[242] à la lueur des torches et au son de la flûte! que c’était une belle chose à voir! »

[362c] Sophron dit, dans sa pièce intitulée la Nymphopone (celle qui pare la mariée).

« Ensuite la prenant, il la présenta, et les autres dansèrent : eballlizon. »

Il dit ailleurs :

« En dansant, ballizontes, ils remplirent la chambre à coucher de vilénie. »

Mais Alexis dit aussi dans sa Kouris :

« En effet, j'aperçois une troupe de gens en riote approcher de nous; ce sont tous, il est vrai, d'honnêtes gens, et de distinction: «mais puissé-je ne vous rencontrer jamais lorsque vous sortirez d'un bal (ballismon) où vous vous serez bien divertis; car à moins qu'il ne me poussât des ailes sur-le-champ, je [362d] n'apporterais certes pas mon habit au logis. »

Je sais que ce mot se trouve encore ailleurs:[243] je te l'indiquerai lorsque je m'en serai souvenu;

64. mais toi qui nous as rappelé ces vers d'Homère :

« Quel repas, quelle compagnie y a-t-il là? et pourquoi? Est-ce un festin en règle, ou une noce ; car certes ce n'est point un repas où chacun contribue pour sa part. »

Tu ne peux, dis-je, nous refuser de nous expliquer la différence des termes qu'emploie ici le poète ; mais puisque tu gardes le silence, je vais te la dire, et comme le dit le poète de Syracuse :

« Faire seul[244] ce qui se faisait auparavant à deux. »

[362e] Les anciens appelaient eilapinai[245] les sacrifices et les fêtes d'appareil, et eilapinastai ceux qui y participaient. On entend par eranoi des assemblées de personnes qui se réunissent en contribuant chacune pour le repas, car chacune s'y cotise[246] et fournit sa part en commun. Thiasos a le même sens que le mot eranos, et ceux qui s'assemblent pour former un thiase sont indistinctement appelés eranistes, ou synthiasotes, c'est-à-dire : « Gens qui mangent, boivent et se divertissent ensemble. » La troupe qui suivait Bacchus est aussi désignée par le nom de Thiase, comme Euripide le dit dans ce vers :

« Je vois trois thiases de femmes réunies en chœurs. »

Ces compagnies se nommaient Thiases, du mot theos ; qui signifie dieu ; [362f] mais les Lacédémoniens[247] disaient siases, parce qu'ils disaient sios pour dieu, au lieu de theos. Quant au mot eilapinee, par lequel on désignait ces repas, il est relatif aux apprêts et aux dépenses[248] qu'ils exigent; car les termes laphyttein et lapazein ont le sens de vider et consommer. Voilà pourquoi les poètes emploient le mot alapazein pour ravager, et laphyra pour dépouilles enlevées en pillant.

[363a] Eschyle et Euripide appelaient ces festins, où régnait la joie, eilapinai, du parfait passif lelapachthai, dont l'infinitif laptein signifie dissoudre, ou digérer le manger, et mettre les îles à l’aise en évacuant : et c'est du mot lagaros, mollet, qu'on a déduit lagoon, pour désigner les flancs, ou les iles, à cause du vide,[249] ou de la mollesse qu'on y remarque, comme dans un bignet. C'est ainsi qu'on a déduit le mot lapara, mollets, tendres, ou les flancs, du mot lapattein, vider, amollir. Quant au mot laphyttein, il signifie beaucoup vider, évacuer. Le mot dapanan, dépenser, consommer, employer, vient de daptein, qui signifie arracher, dissiper en déchirant, dévorer ; et le mot dapsilees, abondant, en est un dérivé. Voilà donc pourquoi on a dit dapsai et dardapsai, pour manger avec voracité, en parlant de ceux qui mangent comme une bête féroce. Homère dit ainsi :

« Quant à lui, les chiens et les oiseaux de proie l'ont dévoré : katedapsan. »

[363b] On disait euoochia, festin joyeux, ou repas splendide, non du mot ochee qui signifiait aliment, mais des mots simples eu echein, être bien traité dans ces repas, auxquels on se réunissait pour honorer les dieux, en se livrant ensuite à la joie et aux divertissements.

On appelait methy le vin qu'on y buvait, du mot methienai, se réunir à table ; le dieu qui le donnait se nommait Méthymnée, Lyœus, Euius, Ieeius : c'est ainsi qu'on a dit hilaros, gai, favorable, d'un homme qui n’avait pas un air sombre et rêveur. En criant donc iee iee, on avait intention de se rendre le dieu propice, ou hileoos ; terme correspondant. Voilà aussi pourquoi le lieu dans lequel on faisait ces prières [363c] fut appelé hieros, sacré. Or, que les mots hileoos et hilaros aient le même sens, c'est ce que montre Éphippus dans sa pièce intitulée l’Empole, ou Trafique. Voici ce qu'il dit d'une grisette :

« Ensuite, si quelqu'un de nous autres a du chagrin, elle le flatte dès qu'il entre, elle le baise, non en serrant les lèvres l'une contre l'autre, comme un ennemi, mais[250] bouche béante comme les moineaux : elle chante, le console, le rend bientôt gai, hilaros, dissipe tout son chagrin, et voilà mon homme vraiment hileoos, livré à toute la joie, et prêt à faire tout ce qu'elle veut. »

65. [363d] Les anciens représentant les dieux sous forme humaine, instituèrent toutes les cérémonies relatives aux fêtes, voyant bien que les hommes ne pouvaient pas être arrêtés dans le penchant qu'ils avaient pour les jouissances; que, d'un autre côté, il était avantageux de les y accoutumer avec ordre et décence : ils en fixèrent donc les temps. Ainsi, après avoir sacrifié aux dieux, on se livrait au divertissement, afin que tout se passât honnêtement à ces assemblées, où chacun était persuadé que les dieux venaient goûter les prémices.

[363e] Voilà pourquoi Homère dit :

« Minerve y vint, pour être présente aux sacrifices. »

Ailleurs :

« Neptune était allé chez les Éthiopiens, situés au loin, pour assister aux hécatombes des agneaux et des taureaux. »

Et ailleurs :

« Jupiter partit hier pour un festin, et tous les dieux le suivirent ; »

De sorte que s'il se trouvait à ces repas publics un homme âgé, ou distingué par son caractère, on pût craindre de rien dire ou de rien faire qui blessât l'honnêteté, comme le dit quelque part Epicharme :

[363f] « Mais il faut aussi que nous sachions nous taire lorsqu'il y a des gens[251] qui valent mieux que nous. »

Comme on croyait que les dieux étaient près des assemblées, on célébrait ces fêtes avec décence et réserve. C'est aussi pour cette raison que l'on ne se couchait[252] pas à table chez les anciens ; mais chacun mangeait assis, et personne ne buvait jusqu'à s'enivrer. Homère dit :

« Mais lorsqu'ils eurent fait les libations, et bu autant qu'ils avaient soif,[253] chacun s'en alla au logis. »

 

66. Chap. XVII. Mais de nos jours on ne sacrifie plus aux dieux que pour l'apparence ; on invite les amis [364a] et les proches au sacrifice, tandis que d'un autre côté, on maudit ses enfants, on injurie sa femme, on fait verser des larmes aux serviteurs, on menace sans réserve qui que ce soit,[254] et peu s'en faut qu'on ne dise comme dans Homère:

« Çà donc, venez à table, afin de nous battre.[255] »

Sans réfléchir comme un des personnages de la pièce intitulée Chiron, soit que Phérécrate ou Nicomachus le rythmique[256] en soit l'auteur, ou tout autre :

« En invitant un.ami à un repas somptueux, [364b] ne l'affligez pas lorsque vous le voyez chez vous ; c'est le propre d'un méchant homme d'en agir ainsi. Mais livrez-vous à une joie tranquille, et procurez-lui de l'agrément. »

Non, personne ne fait ces réflexions;[257] mais chacun sait ce qui suit, et qui est une partie de la parodie des grandes Heoiai attribuées à Hésiode, et de ses Œuvres et ses Jours :

« Mais si quelqu'un de nous immolant une victime invite des amis au repas, il est fâché de le voir venir : nous le regardons de mauvais œil lorsqu'il est chez nous, et nous voudrions qu'il fût aussitôt dehors : alors l'ami invité s'en aperçoit, et n'ose toucher de rien ; [364c] mais un des convives lui dit : Quoi! vous ne buvez pas, vous? allons, mettez-vous à l'aise! Celui[258] qui traite se fâche contre ce convive qui veut empêcher l'autre de s'en aller, et lui cite ces vers élégiaques. — N'oblige personne de rester chez nous malgré lui, et n'éveille[259] pas non plus, Simonide, celui qui dort. » Ne sont-ce pas là les discours que nous tenons en buvant, lorsque nous traitons un ami? »

Mais nous ajouterons encore ceci :

[364d] « Il faut se faire un plaisir d'avoir beaucoup de convives à table, car on mérite beaucoup de considération par les assemblées de ces repas, et à peu de frais. »

Mais lorsque nous sacrifions aux dieux, nous ne prenons que ce qu'il y a de plus ordinaire, et de moins coûteux pour nos offrandes, comme le représente Ménandre dans sa pièce intitulée l’Ivresse :

« A. D'ailleurs, nous[260] ne nous comportons pas de même dans ce que nous faisons pour nous, et dans les sacrifices que nous offrons. Pour moi, lorsque je sacrifie, j'amène aux dieux une méchante brebis qui ne m'a coûté que dix mines, et il faut[261] qu'ils s'en contentent ...[262] Mais si je traite des amis, il me faut des joueuses de flûte, du parfum, des joueuses de psaltérion, des vins de Mende, de Thase ; des anguilles, du fromage, du miel ; et, compte fait, cela revient presqu'à [364e] un talent d'argent. B. Mais aussi en n'offrant aux dieux que la valeur de dix drachmes, il est juste qu'ils ne vous accordent de bien[263] que pour ce prix-la, lorsque vous avez fait le sacrifice avec exactitude. D'un[264] autre côté, vous devez être puni pour cela. En effet, n'êtes-vous pas doublement coupable[265] dans vos sacrifices. C. Pour moi, si j'étais un dieu, je ne[266] souffrirais jamais qu'on mît sur mon autel le filet d'une victime, à moins qu'on n'y fît en même temps l'hommage d'une anguille ; poisson qui a donné la mort à Callimédon, un de mes parents. »

68. [364f] Les anciens font mention de repas epidosimes, que les Alexandrins appellent de surcroît.[267] C'est à ce sujet qu'Alexis fait dire dans sa pièce intitulée au Puits :

« A. Mon maître vient de m'envoyer un petit baril de vin, et c'est un de ces gens qui l'a apporté de chez lui. B. Fort bien : ce sera un surcroît au reste. J'aime cette vieille prévoyante! »

Crobyle écrit, dans son Faux-supposé:

[365a] « A. Mais Lâchés, je te joins, et conduis-moi. B. Où donc? A. Quoi! tu me demandes où? chez Philumène, où nous avons encore quelques epidosimes,[268] et à la santé de laquelle tu me forças de boire douze cyathes de suite. »

Les anciens connaissaient aussi les repas appelés apo spyridos. Phérécrate les indique dans son Oublieux ou la Mer :

« Ayant arrangé le souper dans le panier, il s'en alla droit chez Ophèle. »

Or, ceci nous fait entendre ce qu’était le repas de la spyris ou du panier. [365b] On préparait chez soi ce qu'on voulait d'aliments, ensuite on le mettait dans un panier pour aller le manger chez quelqu'un.

Lysias a employé le mot syndeipnon, pour symposion, repas, dans son discours sur le meurtre de Micinus. Il avait, dit-il, été invité à un syndeipnon, ou repas. Platon écrit : « A ceux qui avaient fait le syndeipnon, ou repas. » Aristophane a dit dans sa Gérytade : « Dans les syndeipnes, » en louant Eschyle. Voilà pourquoi quelques-uns veulent qu'on écrive syndeipnon au neutre, pour titre d'une pièce de Sophocle.

On nommait aussi certains repas[269] synagoogimes, comme le dit Alexis dans son Philocalos ou les Nymphes.

[365c] « A. Assieds-toi, ou mets-toi à table, et toi appelle ces nymphes, car nous faisons un synagoogime. B. Il y a longtemps que je sais que tu couperais un cheveu en quatre. »

Ephippus dit, dans son Géryon:

« Et ils tirent au sort[270] à qui sera du repas synagoogime. »

On se servait du mot synagein, rassembler, pour boire ensemble ; et de synagoogion, pour symposion, repas. Ménandre dit dans sa Brûlée [271]:

« Or, voilà pourquoi ils sont actuellement en assemblée particulière. »

Ensuite il dit:

[365d] « Il a complété le synagoogion, l'assemblée des convives. »

Entendrait-il par là le repas qu'on faisait en apportant chacun sa symbole?[272] Mais Alexis indique dans sa Mandragarizomène ce qu'on entendait par symbolai. Voici ce qu'il fait dire à une femme :

« A. Je viendrai, apportant avec moi les symboles. B. Comment les symboles? A. Les bandelettes, ou guirlandes, les pots de parfum. Or, voilà, ma vieille, ce qu'on appelle symbolee à Chalcis. »

Hégésandre écrit ceci dans ses Commentaires : « Les Argiens appellent choon, le symbole que chaque convive apporte avec soi aux repas; et meris, la part que l'on reçoit à table.

69. Mais, ami Timocrate, ce livre étant à sa fin,[273] ils convient aussi que nous terminions cet entretien, de peur qu'on ne pense que nous soyons devenus poissons, comme parle Empédocle.

« Pour moi, dit-il, j'ai été jeune fille, jeune garçon, plante,[274] oiseau, et poisson de mer animé. »

 

 

FIN DU LIVRE HUITIÈME.


 

[1] Strabon, liv. 3, à l'article de la Lusitanie, appelait aussi cette contrée Eudaimoon, heureuse. Elle abondait, dit-il, en fruits et en pâturages. On y trouvait beaucoup d'or et d'argent. Néanmoins les habitants négligeaient ces avantages, pour vivre des vols qu'ils faisaient chez leurs voisins, et même à leurs compatriotes. Après avoir vécu des productions du sol et de leurs troupeaux, ils furent contraints à ce parti violent par les montagnards qui, habitant des pays stériles, infestaient leur province, et leur enlevaient les fruits de leurs travaux. Ces brigandages durèrent jusqu'à ce qu'ils fussent sous la puissance des Romains. Les sacrifices humains étaient aussi en usage chez eux. Voyez Strabon, pour de plus amples détails. On verra qu'il ne faut pas juger d'une nation sur le récit d'un seul écrivain.

[2] Texte, leukoia : dont les espèces sont en assez grand nombre. L'auteur ne donnant pas de caractères, je traduis par le nom du genre.

[3] Mot phénicien qui signifie poids. Les compensations, dans les échanges du commerce devenu régulier, se sont faites d'abord au poids; c'est aussi par le poids que les mesures, prises par les dimensions, furent réglées; de sorte que telle mesure était la représentation de tel poids. Il ne faut donc pas prendre ici le sicle pour une mesure proprement dite, mais le médimne pour le poids que désignait le mot sicle chez les Phéniciens ou Carthaginois. Voyez l'index général pour l'estimation.

[4] Texte, allagee, proprement échange, selon les anciens usages. Plusieurs écrivains ont nommé ceux qu'on a cru avoir inventé les échanges dans le commerce; mais il n’était pas besoin d'inventeurs. Il n'y a que trois moyens d'avoir une chose ; 1° en la formant soi-même d'une matière première, qui est toujours le produit du sol; 2° en l'ôtant à celui qui la tient; 3° en donnant une chose pour une autre : or, tout homme connaît ces trois moyens, sans avoir besoin d'un inventeur.

[5] Je lis heedeos, avec les manuscrits et les premières éditions; mais je laisse de côté meta, que Casaubon veut prendre, en pure perte, de l'épitomé. La construction est : Philot. t. heed. kai megal. Le kai est : Equidem, et même. Meta n'est pas dans les anciens textes.

[6] Texte, andres ichthyes : allusion au propos d'Empédocle, à la fin de ce livre-ci.

[7] Je conserve ce mot grec qui signifie fossile, mais le mot indiquant des poissons vivants, dans ce discours, pourrait donner lieu à une équivoque, si je me servais du mot fossile qui présente une autre idée chez les naturalistes. Poisson fossile est un poisson retiré de la terre, pétrifié en tout, ou en partie. Quant à ces poissons orychthes, cf. Pline, liv. 9, ch. 57. Les naturalistes ne sont plus étonnés de trouver des poissons vivants dans des trous, où l'on ne voit aucune issue. Cf. Guillandin, dans son ouvrage sur le Papier, p. 20 et suiv. Plusieurs faits semblent prouver que les œufs de poissons, fécondés par la semence du mâle, peuvent conserver leur vertu prolifique pendant des siècles, enterrés par des alluvions, ou infiltrés en terre avec les eaux qui les ont charriés. Si les circonstances deviennent favorables au développement de l'embryon, le poisson s'y forme, et grossit dans l'eau, ou dans le terrain humide où il se trouve, quoiqu'il demeure enfermé dans la cavité où il est né. C'est par cette infiltration des œufs de poisson que plusieurs fosses très profondes, abandonnées, sont devenues poissonneuses. J'en ai vu la preuve dans des fosses, d'où l'on avait autrefois tiré des meules, et sur des coteaux fort élevés. Des gens peu attentifs ont avancé que ces poissons y étaient nés d'autres poissons, que des oiseaux avaient enlevés dans quelques eaux, et avaient laissés tomber. Les oiseaux ont donc dû porter mâles et femelles? d'ailleurs, comment des oiseaux pouvaient-ils porter en terre, à de grandes profondeurs, ces poissons de Paphlagonie qu'on retirait de terre dans des endroits où il n'y avait ni étang, ni rivières? « Ces poissons, ajoute Théophraste, étaient nombreux et très bons à manger. Il faut donc convenir que les œufs y étaient depuis des révolutions inconnues de la contrée ; car je ne dirai pas avec ce philosophe que ces poissons s'y forment d'eux-mêmes, par un jeu de la nature. Cette solution admissible chez les anciens ne l'est plus chez nous, qui savons par des faits que les œufs de poissons se conservent des siècles avec toute leur vertu prolifique. Quant à ceux qui se trouvent pris dans les glaces, Théophraste parle de ceux du Pont ; mais que penser de ceux des environs de Babylone, qui après le dessèchement du fleuve se retiraient dans des trous, d'où ils sortaient pour aller paître sur terre, se poussant sur leurs ailerons, et moyennant leur queue, fuyaient s'ils étaient poursuivis, rentraient dans leurs trous, s'apprêtaient au combat contre les agresseurs, quelquefois même s'avançaient contre les passants, etc. Ces poissons avaient la tête semblable à celle du diable de mer ou grenouille marine, et te reste du corps comme le goujon, etc. etc. On les a vus non seulement, on en a même pris beaucoup. » Je ne donne que cet extrait de ce précieux fragment de Théophraste. Ce sont autant de mensonges, dira-t-on. Je réponds : Voilà comme l'ignorance se sauve partout. Nous avons reproché aux anciens mille mensonges, qui sont reconnus pour des vérités constantes. Soyons donc réservés sur ce récit. J'ai vu plusieurs fois, et d'autres l'ont vu comme moi, des poissons s'élancer hors de leurs eaux sur terre, pour passer dans d'autres eaux du voisinage, et faire un assez long trajet en sautant. Le récit de Théophraste trouve donc ici sa preuve en partie. Voyez Théophraste, édit. Heinsii, p. 467, seq. mais on s'instruira mieux dans Cyprian, p. 1981-1985, sur ces poissons orychthes, et 2457.

[8] Lisez ici, pour suivre un peu Théophraste, kata bathous pleonos : tous de lopous outé p. ep. echein, outh'heteroon namatoon, p. 469; mais voici son texte : Kata b. pleionos ton de topon outh’epiklysin potamou lambanein, outh' hydatos systasin, ce qui est plus exact.

[9] Les manuscrits portent le scare, comme lisait Eustathe. Les premières éditions portent skaphros. Le Comte a lu kapros dans les siens. Il s'accorde alors avec ce que dit Aristote, Hist. liv. 4, ch. 9. Il s'agit-là du capros de l'Achéloüs, et des poissons qui rendent certain son en faisant un grognement. Il n'y est pas parlé du scare, quoique l'on ait vu, dans le livre précédent, que le scare avait la langue un peu libre. Mais s'agit-il ici du poisson nommé sanglier de mer? j'approuve le doute de M. Camus, t. 2, p. 472. Néanmoins l'épigramme de Théétète dans l'Anthologie prouverait que scare est ici la seule leçon qu'on doive admettre. Joignez-y la note de Brodeau, liv. 1, p. 105. 107.

[10] Qui présentent des singularités extraordinaires.

[11] Autrement, Olbius, dans Pausanias, p. 248. Cet historien rapporte cette singularité, mais il nie le fait, disant avoir été près du fleuve même, ou les poissons qu'on venait de prendre ne rendirent aucun son. Ce fleuve est, chez lui, le Clitoris, qui se jette dans l’Aroanius, ibid. p. 252, édit. 1583. Pausanias ajoute ornithi, oiseau, au mot grive, pour éviter l'équivoque de grive, poisson.

[12] L'auteur indiquerait-il, par ce nom, la mustèle fluviatile? Poikilee signifie de couleur variée.

[13] Voyez la dissertation citée de M. de Pastoret, liv. 7, sur cet empire qu'eurent les Athéniens.

[14] Ces trois rivières sont l’Aude, le Tech et le Tet. Cyprian a réuni ce passage aux autres, p. citée ci-devant. Conférez Strab. liv. 4.

[15] Voyez Pline, liv. 9, ch. 17; et Théophraste, p. 467 : De his qui in sicco degunt. Mon édition porte : Myxinois kaloumenois, appelés morveux. Casaubon lisait, mazinais kal., dans ses textes.

[16][16] Théophraste, ibid. parle aussi de l’exocet, comme ayant eu son nom de ce qu'il fait tous les jours son lit sur terre : hoseemerai poieisthai teen koitcen en tee gee, ce que Furlan traduit trop librement dans sa version. Cléarque dit qu'il pose souvent son lit hors de la mer. Je traduis mot à mot. Pline dit que l’Arcadie admire son exocet : Quod in siccum somni causa exeat, en ce qu'il va sur le sec pour dormir, liv. 9, chap. 19. Casaubon s'érige ici en docteur, et dit : Fallitur igitur Plinius : Pline se trompe donc. Je réponds : Fallitur ergo Casaubon. L’exocet de Pline est le blennius ocellaris d'Artedi. Voyez Linné, § 13o, n° 4; et Gronoove sur le liv. 9 de Pline, p. 78; mais Linné, à son article de l'exocet volant, demande, d'après le docte Rudbeck fils, si les slaw ou schlaw, qui volèrent dans le camp des Israélites, ne seraient pas des exocets? Je réponds que si l'on croit, avec Gronoove, que l’exocet est l’hirundo volitans, p. 97, cela n'implique aucune contradiction ; il est en effet assez singulier que l'hirondelle, oiseau duquel on a donné le nom à ce poisson, par certains rapports, se nomme schwallow, ou schwall, dans les langues du Nord, et que le poisson soit désigné au Pérou par le nom général de schullua. Cependant on a interprété le mot hébreu par cailles, et je crois ce sens plus naturel. En effet, la fable qu'Athénée a rapportée dans les livres précédents, et qui nous apprend qu'Hercule (le soleil) expirant fut ranimé par une caille qu'il mangea, nous indique assez clairement le retour des cailles, lorsque le soleil revient dans les signes zodiacaux de notre hémisphère. On sait que cet oiseau s'abat alors par bandes dans les contrées où étaient les Israélites, et même dans les îles de l'Archipel. Délos en eut le nom d'Ortygie. Voyez Sallier, Académ. Inscript., tom. 3, liv. ii, p. 385. Ainsi je tiens pour ce dernier sens. Le même mot a souvent passé dans divers idiomes avec des sens différends, quoique déduits du sens primitif de la racine. J'ajouterai que d'autres prennent le muge volant pour l’exocet, qui, poursuivi par d'autres poissons, s'élève hors de l'eau, franchit la portée d'un fusil ; mais souvent il devient la proie de différents oiseaux qui le prennent dans son vol, tel que l'alcyon mâle, le goulu, etc. Quant au trochile (bécassine) et au corlieu (helorius), ces oiseaux ne mangent que des vermisseaux. Le crex est le râle.

[17] Nous avons vu qu'Aristote entendait la mendole mâle par tragos. Rondelet appliquait ce mot au petit boulerot noir, à cause du seul aileron noir qu'il a au-dessus des ouïes, et qui répond très bien à ce que Cléarque appelle barbe de bouc. Casaubon contredit ce sentiment, parce qu'il s'agit, dit-il, d'un petit poisson, et que la mendole est plus petite que le boulerot. Mais ce petit goujon de mer a un doigt environ de long, et, selon Cléarque, la mendole en aurait environ huit en travers ; ce qui est plus long. Casaubon a donc tort de s'arrêter au plus petit poisson, pour y reconnaître le tragos, ou il faut convenir que c'est le boulerot et non la mendole. L'idée de Rondelet n'est pas dénuée de vraisemblance. Du reste, voyez Cyprian, p. 2706.

[18] Qui profitent du beau temps pour chercher leur proie.

[19] Pausanias cité plus haut, montre assez que cela est faux. Mais Casaubon ne comprend pas ici l'auteur, en voulant lire branchies, ou ouïes, pour bronchos, larynx. Le sens est que, « quelques poissons (quoique comme poissons ils n'aient pas de bronchos, ou larynx) font cependant entendre un son. » Ce sens est la vérité pure, et conforme à tous les textes écrits, ou imprimés. Si on lit branchies, avec Casaubon, le raisonnement de l'auteur tendra à prouver que tous les poissons qui ont des branchies rendent un son ; ce qui est faux. Il n'y en a que quelques-uns qui le font avec leurs branchies. Strident quidem non nulli pisces, dit Bochart ; at is stridor non est vera vox, cum non edatur naturalibus vocis organis, sed vel attritu branchiarum velcompressione ventris. Hieroz. t. 1, liv. I, ch. 6, col. 38. Or cet organe naturel, c'est le bronchos, ou le larynx. On voit que Bochart n'a pas cru Casaubon. Suivons Pline avec réserve. Il ne fait rien ici.

[20] Texte, glaukon, couleur de mer. Corrigez ainsi, dans notre texte imprimé, pour glyky, inconnu dans tous les écrits.

[21] Ce fait et les suivants, qui semblent tenir du prodige, et même incroyables, ne sont pas tous aussi faux qu'on pourrait le penser. Le dernier bouleversement de la Calabre a fait voir qu'il pouvait sortir subitement du sein de la terre des eaux assez considérables pour former de grandes rivières ; que des terrains d'une grande étendue ont coulé sur des eaux qui les soutenaient, et ont comblé de profondes vallées, sans qu'aucun arbre perdît son équilibre, et quittât le local où serpentaient ses racines. D'autres rivières se sont taries subitement. Voyez la lettre du Chevalier Hamilton, sur les effets de ce tremblement; et celle de M. d'Olémieu.

Les pluies de poissons n'ont rien de plus merveilleux que celles de crapauds, grenouilles, vers, sauterelles, et autres insectes. L'histoire de la physique nous rappelle plusieurs faits semblables, et bien constatés. Un vent violent passe sur un lac, un étang, une prairie, y bouleverse les eaux, enlève avec la vague qui se brise et jaillit en gerbe le jeune fretin qui s'y trouve, le transporte à plusieurs milles de distance. Voilà comment arrive une pluie de poisson. Celle de grenouilles, dont j'ai été une fois témoin, dans un violent ouragan qui précéda un tonnerre horrible, n’était que les petites grenouilles que la matière électrique, dont l'atmosphère était chargée, venait de faire éclore plus loin. Le vent passant sur les fossés des marais les avait enlevées; il fallait bien qu'elles tombassent quelque part. Une nuée de sauterelles qui franchit l'air, se trouve dans la direction d'un orage, le vent s'en empare, la précipite avec violence, et de la pluie : rien de surprenant. Je ne parlerai pas des pluies de soufre, puisque l'auteur n'en a rien dit ici. On sait que ce soufre n'est que la poussière des étamines des pins, ou de plusieurs autres espèces analogues. D. Ulloa parle de ce phénomène qu'il a eu lieu d'observer au Pérou, comme on le voit dans notre continent; mais les pluies de froment sont au premier abord plus étonnantes. Elles ne sont cependant pas si extraordinaires qu'on le croirait. De Thou, ce grand historien, d'une fidélité non suspecte, fait mention d'une pluie de froment qui tomba en 1548, et dont on fit du pain très bon, qu'on porta à l'Empereur avec quelques grains de froment qu'on avait ramassé. Gerberius, médecin de Laubach, rappelle aussi une semblable pluie survenue, pendant un grand orage, en Carinthie, l'année 1691 : il dit que chacun peut ramasser beaucoup de grain ; mais il ajoute, qu'après avoir examiné le prétendu froment de cette pluie, il découvrit que c’était la graine de l'épine-vinette. Voilà au moins une graine enlevée par le vent, soit celle de l'épine-vinette, soient les bulbes de la petite chélidoine, comme l'entendait Nollet. Mais cette explication ne détruit en rien l'assertion du grand de Thou. Un ouragan qui passe sur une vaste plaine de blé, en froisse les épis sur pied, en fait voler les grains, les enlève; un autre qui rase maison, grange, enlève tout, fait tout voler, peut, sans contredit, porter au loin une quantité de blé, quelque considérable qu'elle soit, et la laisse tomber au terme où cesse sa violence. Les ouragans qu'on essuie dans plusieurs de nos îles de l'Amérique, et qui ne laissent quelquefois pas l'apparence des habitations qui y étaient ; un autre qui enlève un moulina vent tout entier, comme je l'ai vu en Picardie, est bien capable de produire des phénomènes encore plus étranges qu'une pluie de froment. Notre auteur ne produit donc rien que de très croyable ; et je ne doute pas de la véracité des écrivains qu'il cite. J'aurais plus de mille faits de cette nature, et incontestables, à produire, si je voulais. Le tableau du dernier ouragan qu'on a essuyé dans l'Inde, et qui a poussé la mer à plusieurs lieues dans les terres, prouve seul ce que peut le vent, sans citer l'ouragan de Bourdeau, 19 juin 1789.

[22] Tropaios, celui qui met en déroute.

[23] Casaubon fait ici une demande bien ridicule ; ce qui est rapporté plus bas d'Artémidore prouve que le texte est exact.

[24] Je garde ici le texte, avec les manuscrits, horaton, ce qui peut se voir, comme opton, p. 338.

[25] J'ajoute ici parle, pour mieux rendre le sens ; autrement il faut lire, too propheetee, avec Daléchamp. Rendez auparavant au texte le mot ichthyoon que l'imprimeur omet dans le grec de Casaubon.

[26] Ou des scies, mais je préfère souffleurs.

[27] Hésychius conserve ce mot. Bochart, ibid. croit le voir, par inversion des lettres, dans le mot arabe samacuna : cela est trop recherché. Le mot kamasa indique assez la racine de kamasene, pris pour poisson, puisque kamasa signifie nager, plonger au fond, la haute mer, l’Océan : voyez Castell. Lexic., t. 2, col. 3365. C'est un mot que les Phéniciens ou les Carthaginois ont laissé en Sicile. Alberti sur Hésychius cite un vers où les poissons ont pour épithète, phylon amouson, gente stupide. C'est ce que Platon en dit à la fin même de son Timée : Genos malista anœetaton, kai amathestaton.

[28] On a présumé qu'Homère était auteur de ces vers, et qu'il les avait donnés, pour la dot de sa fille, à son gendre Stasinus; mais on ignore absolument l'auteur.

[29] Mercure la serra aussi de près. Voyez Jablonski, Panth. t. I, p. 109, et sa figure dans les médailles de Spanheim, Cœsar. Julian.

[30] Texte, apopyris de pyr, feu; proprement grillade.

[31] L'Église a continué cette fête des morts en novembre; mais cette théorie remonte à l'Egypte.

[32] Athénée s'amuse ici sur ces mots analogues à Ichthys, qui signifie poisson. On voit qu'il tâche de vider son portefeuille comme il peut, mais sans aucun intérêt. Il est même fatigant ici.

[33] Odyssée.

[34] Castor et Pollux.

[35] Hossa egrapsa, à la première personne : d'autres supposent egrapse, tout ce qu'il a voulu écrire.

[36] Il convenait bien à cet infâme philosophe de faire ces observations, lui qui disait que le père pouvait jouir de sa fille, le fils de sa mère, etc., dit Dempster. Voilà cette belle morale de Chrysippe. L'ouvrage attribué à Philænis était le premier volume de la Putana errante de l'Arétin.

[37] Il semblerait que cette épigramme eût été calquée sur plusieurs versets de l’Ecclésiaste de Salomon; car c'en est la traduction littérale. Au reste, cette épigramme existe dans plusieurs autres écrivains, avec des différences plus ou moins grandes. Il faut conférer Athénée, liv. 12, ch. 7, et lire les discussions de Fréret, Académ. Inscript., t. 5, Part. 2, p. 376.

[38] On devrait lire ici leesai, he. à la seconde personne. Ne l’oublie pas, dans le sens impératif?

[39] Qui sait si l'esprit s'en va en haut, dit Salomon?

[40] C'est-à-dire, on ne meurt qu'une fois.

[41] Infinitif dorique pour impératif.

[42] Lisez, sans scrupule, quatre-vingt.

[43] Je suis le manuscrit A, conforme à ceux de Casaubon ; mais le manuscrit B s'accorde avec les imprimés, et je serais porté à le préférer en interprétant pylas, des portiques. IL y en avait un grand nombre dans Athènes, outre le Pœcile, où Zénon donna ses leçons. Voyez Potter. Antiq. Græc., t. I, ch. 8. L’Odeum avait été bâti par les soins de Périclès. C'était là que les poètes allaient lire leurs pièces, avant de les donner au théâtre. Voyez le Schol. d'Aristophane, sur les Guêpes, p. 510; et Potter, qui en donne la figure, l. cit.

[44] En répétant deux fois le nom de Sikoon, je lis, avec le manuscrit B : Pinoomen ekpinoomen oo Sikon! Sikoon!

[45] Leibnitz disait aussi : « Nos pensées nous suivront même après la mort. »

[46] Je suis Apostolius. C'est le seul qui ait conservé le vrai texte : heedy, agréable ; et l'on voit, par son ordre alphabétique, qu'il faut écrire ainsi. Cent. 9, n° 67. S'il avait écrit ee dei, comme Zénobius et Suidas, il l'aurait placé avant ee doloo. Casaubon ne devait pas citer Zénobius seul. Cent. 4, n° 19. Le vrai sens du proverbe, et fondé sur l'expérience, savoir qu'on peut manger avec plaisir un peu de tortue, mais que la quantité deviendrait nuisible par le relâchement qu'elle causerait aux intestins. Je laisse la mauvaise interprétation des sophistes grecs.

[47] Kroumatopoios est celui qui joue en battant la mesure. On a aussi désigné par ce nom le maître d'orchestre : d'autres lisent chroomatopoios.

[48] Jupiter-Neptune. Mot composé de deux noms de divinités. La divinité était considérée dans cet emblème comme présidant, 1° au beau temps et à la tempête; comme présidant, 2° à l'agriculture, et à tout ce qui pouvait y être favorable. Voilà pourquoi Aratus veut qu'on observe les astres de Neptune et de Jupiter. Voyez Théon sur le vers 750, p. 82, édit. Morell.

[49] La singulière structure de ce crustacée.

[50] Texte, ho an boulee : leçon exacte des manuscrits; qu'on prenne ho pour hoti, ou qu'on le fasse accorder avec heteron.

[51] Expression analogue à celle de Moïse. Ensuite Casaubon n'a pas fait attention au mot alla, qui se prend ici pour immo vero, ou, pour mieux dire, ses corrections sont inutiles.

[52] Ces poissons étaient probablement les plus délicats, au goût de cet ichthyophage, car on ne peut entendre ceci d'un culte rendu à ces poissons, comme on en rendait à plusieurs en Egypte et ailleurs. J'ai déjà cité Strabon à ce sujet, dans le livre précédent, au mot latos. Conférez les détails de Cyprian, sur l’Ichthyolatrie, p. 2026.

[53] Les anciens se lavaient les pieds avant de se mettre à table ; il y avait un esclave, a sandaliis, qui gardait les chaussures pendant le repas, et il en répondait. Voyez Pignorros.

[54] Passage isolé, qui n'a, aux premiers mots, qu'un sens vague. Mes textes portent ou kala, relatif a ce qui précédait, mais inconnu pour nous. Daléchamp lit ouk, alla, etc. ; point du tout, mais, etc. L'auteur veut dire ensuite que Dorion à table ne songeait plus à souiller dans sa flûte, mais sur les plats, pour avaler plus vite.

[55] Plat jeu de mot qu'Athénée pouvait passer. Optos signifie visible, et rôti. Akouston, qui peut être entendu. — Nœeton, intelligible.

[56] Détail aussi peu important.

[57][57][57] Texte, un terme dans un autre, logos en logoo. Les textes sont exacts, et ne rappellent assurément pas la pièce que Casaubon croit indiquée. Le sens est clair. L'équivoque suivante est dans g'eranos (certe convivium), dont hauteur fait un seul mot, geranos, une grue : propos qui convient à un valet de théâtre, quoique assez plat.

[58] Doorias est le texte de tous les livres ; mais un mot qui n'a pas de sens. L'auteur envisageant la sèche comme un vase qui contient une liqueur sale, la compare ici avec le choorion, qu'Hésychius appelle docheion koprou, vase à recevoir les excréments. Lisez donc chooria g' al ; correction qui se présente d'elle-même : « Que tu as péché des choria, et non des sèches. » Ces basses plaisanteries étaient ordinaires sur le théâtre d'Athènes. Je laisse là Casaubon. Il n'y a qu'un acteur qui parle ici.

[59] C'est la langouste qu'il appelle ainsi, comme on l'a vu dans les livres précédents

[60] Voyez, vers la fin de ce livre, la note sur symbole.

[61] Je lis, avec les manuscrits, katedet' arti, etc. Adam avait senti cette leçon que Casaubon ne voyait pas. Ibid. des vôtres. C’était une Grisette qui se nommait Triglee. Sinope était une autre Grisette sur le retour : ce que le poète indique en disant que son congre avait déjà les épines fort dures, ou épaisses : pachyteras est la leçon des manuscrits.

[62] Jeu de mot sur cithare, poisson, le folio et les citharèdes. Ce Smigolas est nommé Misgolas dans Eschine. Gobios est une allusion à quelque personnage de ce nom. L'épithète androon t’ ariston est indiquée, dans les manuscrits, par androotariston.

[63] Les salines. Les deux fils de Chéréphile, dont il est parlé, liv.3, ch. 33, p. 120 du texte grec. Cet homme était, comme il est dit plus bas, vendeur de poisson salé : ensuite Théano est le nom d'une courtisane. Il y eut plusieurs femmes illustres de ce nom. La célèbre Théano qui tint l'école de Pythagore, et dont il nous reste ces belles lettres à Eubulée, sur l'éducation de ses enfants; a Nicostrate, sur la réserve avec laquelle elle doit supporter les écarts de son mari ; et à Callistrate, sur la manière dont elle doit conduire ses femmes domestiques : voyez la collection de Gale, 1671, in 8°. La seconde que je nommerai, est cette Théano d'Agraule, prêtresse, qui refusa de voter pour la condamnation d'Alcibiade ; disant que son ministère était fait pour bénir, et non pour prononcer d'ana thème; Plutarque, p. 202, t.1, Ruald: paroles qui auraient dû être écrites, en caractères de bronze, sur les portes de tous nos temples. On n'aurait pas à gémir et rougir aujourd'hui de ces formules d'exorcismes qu'on peut voir à la fin du tome 4 de la collection de l’Histoire de France par D. Bouquet. Théano, mère de Pausanias, n'a pas été moins estimable, etc.

[64] On ne connaît, parmi les comiques, ni ce Nicoclès, ni ses Akaries. Casaubon lisait, Timoclès dit dans ses Icariens, ce qui est connu. Il va être nommé dans son Curieux. Cependant Vossius a conservé notre texte.

[65] Texte, haper d'eis ou h est pour s, par la faute d'un copiste qui prononça peut-être ainsi ; comme on a dit hyper, en grec ; super, en latin : lisez donc saperdais, espèce de coracins. Ces deux fils de Chéréphile, reçus parmi les chevaliers, sont comparés, liv. 3, ch. 33, à deux maquereaux parmi des lézards marins, comme je l'ai corrigé. Voy. le passage. Casaubon brouille tout. Adam m’avait prévenu dans la correction que je fais ici.

[66] Placez too d'ara à la ligne de la page précédente du grec, pour faire le vers. Quelqu'un voulait ici chooris ee, quoique tous les textes portent chooris kai ; mais gardons le vers.

Blepousi, chooris kai dokousin hai korai.

[67] Equivoque sur le mot korai, prunelles, et jeunes filles.

[68] Elles s'étaient retirées dans un antre des monts Arcanius, dit Pausanias: Arcadie, p. 251. Virgile, Ovide, Stace, ont parlé de ce Mélampus, fils d'Amithaon, qui guérit les filles de Prœtus de la manie que leur avait inspirée Junon, à qui elles avaient osé se comparer. Clément d'Alexandrie, Stromat. liv. 7, p. 713, cite Diphile qui raconte, en persiflant, que les filles de Prœtus furent guéries avec une pomme de pin, une squille, du soufre, du bitume et de l'eau de mer.

[69] En dépensant beaucoup, il payait beaucoup de droits.

[70] Femme devenue maniaque, pour avoir pris de la mandragore, espèce de solanum. Voyez M. Adanson, Famill. des Plant., t. 2, p. 215 suiv. Les anciens connaissaient plusieurs plantes qui avaient cette vertu. Ceux qui entendront le Suédois, liront avec utilité les détails que M. Samuel Œdman a placés dans les Mém. de Stockholm, 1784, p. 241, sur les plantes dont pouvaient se servir les furieux Bersekar du nord, qui dans leur frénésie tuaient indistinctement hommes et animaux. Il croit avoir découvert la plante qui produisait ces effets terribles, et dont on se sert encore dans le nord de l'Asie, p. 245. « De toutes les plantes de la Suède, il me paraît, dit-il, que le Flug:svampen, ou Agaricus Muscarius, nous explique l'énigme concernant les Bersekar. » J'ai lu cette petite dissertation avec un souverain plaisir. Il s'élève avec raison contre le préjugé qui attribuait cette fureur à l'influence du diable; opinion qui cependant n'est guère digne d'être réfutée.

[71] Poisson, liv. 7. Le passage porte orpheoos au génitif. Nous ne pouvons plus décider si ce mot était une allusion au nom d'Orphée.

[72] Je lis ainsi les deux premiers vers que Casaubon estropie :

Heteroi d'eeiteoi sympeplegmenoi meta

Karabou syneisin, hos monos brotoon, monos, etc.

Au quatrième, athroous et temachitas. Mes manuscrits portent au premier vers, hetairoi, pour heteroi, mais c'est une faute très ordinaire.

[73] Je lis pros avec mes manuscrits. Daléchamp et Casaubon n'ont pas rétabli ces Vers. Il ne fallait qu'un coup d'œil pour les mettre en ordre :

Pais de philotimoos pros ton neeeniskon auton

Egchelyon paratetheeke ; too patri teuthis

Een chreestee. Poos echeis palridion pros karabon?

Psychros g' es tin : apage! rhcetoroon ou geuomai,

Pheesi...................

Quant à Papa, comment, etc., ce peut être une demande du valet, ou du jeune homme.

[74] Les Syriens rendaient un culte aux poissons, et n'en mangeaient pas. Voyez Selden, de Diis Syris, et Cyprian, p. 2026 seqq. Les Romains ne mangeaient pas non plus de poisson aux premiers temps connus de leur république, idem p. 2017.

[75] Ce passage, corrompu d'ancienne date, ne m'a cependant pas paru si obscur qu'on l'a cru. Nous venons de voir qu'Hypéride aimait passionnément le poisson, et qu'il s’était laissé gagner par Harpalus, moyennant une somme. C’était en même temps un des plus grands orateurs d'Athènes ; il était même si éloquent, que cette république le choisit pour défendre ses prétentions sur l'île de Délos, par-devant le tribunal des Amphictyons. Voyez Valois, Acad. Inscript., t. 5, P. ii, p. 405. Le premier vers suppose qu'un des personnages a besoin d'un orateur, ou d'un avocat. L'autre interlocuteur lui dit de tâcher de se rendre Hypéride favorable, de le gagner ; mais voulant railler l'orateur sur son goût décidé pour le poisson, il le compare à un fleuve rempli de poisson, qu'il lui conseille de tâcher de traverser. Je lis, au second vers, syn eepiais ph. Le même interlocuteur peint à l'autre le caractère de l'éloquence d'Hypéride, pour lui donner quelque confiance; mais, c'est en même temps une raillerie. Pour lui donner quelque espoir de l'attirer dans ses intérêts, il lui rappelle qu'il s'est laissé gagner par les présents, ou par l'argent d'Harpalus ; autre trait d'autant plus sanglant, qu'il est lâché sur le théâtre, comme dans le passage précédent, et d'où j'ai pris la pensée qui remplit la lacune de notre quatrième vers. Il met le comble à l'ignominie d'Hypéride, en disant qu'il est pour ainsi dire devenu l'esclave du corrupteur.

Harpalus était un des personnages les plus considérables de la Macédoine, et devint un des Généraux d'Alexandre. Celui-ci l’avait même fait gouverneur de Babylone, en partant pour l'Inde; lui confiant tous les trésors qu'il avait pris sur les Perses. Harpalus en dissipa une partie, surtout avec sa maîtresse Pythionice, comme le dit Athénée, liv. 13, ch. 7. Il se sauva avec six mille hommes en Grèce, où il voulut attirer Athènes dans ses intérêts, par le moyen des orateurs qu'il corrompit à force d'argent ; mais la fermeté de Phocion, les lettres d'Antipatre et d'Olympie le firent échouer. Il se retirera en Crète, où un de ses amis l'assassina. Athènes condamna à l'amende et au bannissement les orateurs qui avaient servi ses desseins; entre autres Hypéride. Démosthène fut mis en prison, mais il se sauva. Voyez le Dictionnaire allemand d'Iselin, article Harpalus, pour plus de détails. M. Gillies l'a traité trop brièvement dans sa Nouvelle Histoire de la Grèce, tom. 6, p. 299, français : cf. Rollin, Hist. anc., t. 6, p. 561, suiv.

[76] Casaubon a vu glaucon, mais il devait achever, et lire ensuite galeon. Il s'agit du galeus glaucus, ou cagnot bleu. C'est le seul de ces espèces de poissons qui ait le dos d'une belle couleur bleue assez foncée. Il est fort à craindre, car il avance jusque près du rivage pour se saisir de l'homme qu'il aperçoit, et l'a bientôt déchiré. Voy. Willugby, fol. 49; ou Cyprian. p. 2578. Daléchamp a aussi mal vu le sens.

[77] Je l’apporte. Daléchamp lisait nin, avec raison, pour tina. Lisez ensuite enepe pour enepoo.

[78] Je lis lipasma, enduit gras, avec Casaubon, sans cependant condamner liasma, qui est probablement pour chliasma, fomentation tiède; comme liaros, pour chliaros, ce que Casaubon devait observer. Ce serait donc, ou l'imprégnerai-je d'une saumure piquante, en le bassinant avec : sens très bon. C'est ainsi qu'on dit bassiner la pâte, pour la rendre plus molle. La chair de ce poisson est dure, quoique bien nourrissante. Liasma peut être bon grec, quoiqu'il ne se trouve probablement qu'ici.

[79] Calaidee est le texte, au vocatif. On lirait mieux ici Kalliaidee, pour répondre au mot Callias indiqué. Ce mot est formé comme Kynaidees : c'est une équivoque comique qui peut avoir un sens bon ou mauvais, selon l'intention.

[80] Il y a eu plusieurs Aristote. Raison de cette distinction.

[81] Ayant sa bague au doigt.

[82] C'est ainsi que je rends neanikai. Potoi est pris dans le sens général de repas.

[83] Bia est ici, comme dans Homère, la force d'Hercule, pour le vaillant Hercule ; ou la force de Télémaque, pour le fort et courageux Télémaque. Les interprètes n'ont pas assez bien vu ces expressions qui tiennent de la vie de l'homme sauvage, d'autant plus considéré qu'il est le plus fort. C’était donc alors un grand trait de louange. Casaubon ne devait rien changer. Koilos, ou Cœlus, pouvait être un parasite dont l'auteur se moque, comme de Corydus, etc. Nous ignorons quel est le vrai but du poète.

[84] Je lis, avec le manuscrit B, diotikai a. an eegorasas t. Le manuscrit A porte aussi dioti.

[85] Il y eut plusieurs Démosthène ; l'orateur, un militaire, un grammairien, un historien.

[86] J'ai longtemps balancé à prendre un parti sur le premier vers de cette épigramme. Mais je suis traducteur, et il faut opter pour un sens. Je lis donc mee ge pour mee me, et kinareephagou pour henareephagon. Casaubon gâte tout le sens. Je lis avec lui au second leussoon, voyant pour entendant, expression abusive, mais usitée dans toutes les langues. Nous disons voyez comme cet homme chante. Ensuite je dis eethos avec le même pour eetor. Le poète observe à la fin que Léonte aimait la friture ; ce qui certainement est préjudiciable à la voix, et il paraît par le badinage, qu'il avait mangé des artichauts frits, avant de jouer son rôle. C'est à quoi Casaubon n'a pas réfléchi. Voici les deux premiers vers construits : Meege, leussoon eechort Leonteos kinareephagou, hora es kakon eethos Hypsipylees. Je rends eethos par rôle avec Quintilien. Ce mot indique proprement le caractère d'un personnage. « Inquo exprimendo, dit-il, summa virtus est, ut fluere omnia ex natura rerum, hominumque videantur; quo mores dicentis ex oratione perluceant, et quodammodo agnoscantur. » Lib. 6, c. 3. Je lis au dernier vers cheeroosan avec Casaubon, qui devait ensuite corriger charizomenon.

[87] C'est le vers 729 de l’Antigone de Sophocle. L'auteur cite le vers dans un sens général. Un de nos poètes a heureusement imité la pensée de Sophocle.

Pareils à ces roseaux qu'on voit baissant la tête

Résister par faiblesse aux coups de la tempête ;

Tandis que jusqu'aux cieux les cèdres élevés

Satisfont en tombant aux vents qu'ils ont bravés.

[88] Ce vers a déjà été cité comme prononcé par Zénon ; ensuite le texte porte, à cet endroit-là exergazeetai, et j'y ai lu hina pour inoo qui ne fait aucun sens : je lis de même ici.

[89] Réprimande très âpre. Il eût dit à un homme plus sensible, et non gourmand : Cesse de pleurer! les larmes ne te rendront pas ta femme. Ce Théocrite est l'historien contemporain d'Aristote, et fort estimé. Il ne nous en reste rien.

[90] Équivoque sur le mot ouranos qui signifie le ciel et le voile du palais.

[91] Texte des spermologues. Ce mot désigne aussi certain oiseau dont il sera parlé. Aristote donne cette épithète au roitelet.

[92] Texte, phlegyra pseephos se dit du suffrage qui condamne. Je ne sais où Casaubon a pris asymbolon, pour le substituer au texte qui est clair.

[93] Pour avoir trop mangé, ibid. ; contre un surmulet, pour l'avaler.

[94] Je lis katamyssomen'een de theleesees, pour le faux texte, katamyomeneen de theleesee. La correction se présente d'elle-même ; ensuite esthe monee, drachmees, etc. —ou legomen peut rester: cependant je lis alegomen qui est plus clair. — palai est un mot qui se dit, tant d'une chose qui vient de se passer, que d'un temps éloigné. — Au dernier vers je lis gorgoi ablatif. Les copistes ont mis le génitif à cause de gongrou suivant, qui est au même cas : erreur assez fréquente. — Too, meleoi! Lopadi ; par ce plat de congre, c'est-à-dire, par l'activité avec laquelle tu le dévores.

[95] Inest fortasse aliquid turpiculi too gongrou lopadi : nam superius dixit de quadam vetula meretrice, ipsam habere congrum jam spinis duris hirsutum. Judicet lector.

[96] C'est la leçon de Diogène de Laërce. Voici son texte, depuis aras qui répond à laboon. Aras, hoios t'een katesthiein. Emblepsanti de, ti oun, ephee, tous symbiootas oiei paschein kath' heemeran, ei mee dynasai sy enegkein teen emeen opsophagian, p. 168, édit. Aldobrandini, Romæ, 1594. Ce texte est plus exact. Je noterai ici qu'il y a eu huit Zénon, selon Diogène de Laërce, dans Zénon d'Elée.

[97] Élien parle de bœufs, de chevaux, de moutons accoutumés à manger du poisson, liv. 15, ch. 25.

[98] Grande question parmi les modernes, discutée par deux des plus savants hommes de l'Europe, Selden et Grotius. Selden a mal défendu sa cause.

[99] D'autres mots composés analogues (texte, heteroi, qu'il ne faut pas changer), tels sont monophage, qui mange seul ; kreophage, carnivore.

[100] Le texte d'Aristophane, p. 179, dans les Nuées, porte kichlizein, auquel le Scholiaste donne le sens de kichlazein, manger des grives, des cailles grasses, et celui de rire immodérément. Les textes d'Athénée sont constants sur kichlazein. Le Comte le suit aussi: Turdis vesci, dit-il.

[101] Lisez, dans l'imprimé, ton mee, pour to mee, etc.

[102] Les habitants de Mycone étaient chauves, pauvres, méprisés des autres Grecs. Dapper, dans son Archipel, a fait graver l'habillement des femmes modernes de cette île, p. 160, édition hollandaise dont je me sers. Quant au mot accord parfait, le texte est diapason, il indique seulement la consonance, ou l'intervalle de l'octave. L'auteur entend, par Myconiennes, les poissons les plus chétifs qui vaudront mieux que les plus précieux.

[103] Apollon Opsophage, ou mangeur de poisson, était, en Elide, l'analogue de l’Atargadis, ou Atargathis, divinité connue sous le rapport féminin en Syrie, mais probablement par la faute des Grecs que la terminaison abusa. Apollon Opsophage rappelle la plus ancienne théorie qui considérait la nature comme se détruisant et se reproduisant par sa propre énergie. De là, l'idée du principe destructeur se régénérant, figuré entre autres par un bouc à queue de poisson. Le bouc était l'emblème de la fécondation; le poisson, celui de la fécondité. Pouvait-on mieux choisir si l'on considère qu'une morue, par exemple, jette par an plus de 93 millions d'œufs. Ce bouc était aussi figuré ayant une corne d'abondance qui se levait droite, en partant de la racine du cou, comme on le voit sur plusieurs médailles de la plus haute antiquité. Entre son pied droit et le genou gauche, est un globe, pour représenter toute la nature que les deux principes détruisent et régénèrent tour à tour. Quant à Neptune qui offre un poisson à Jupiter accouchant, c'est encore l'Etre générateur qui offre au principe destructeur, se régénérant par lui-même, l'Etre qu'il doit détruire à son temps. Ces deux principes ont été figurés, tantôt seuls, tantôt ensemble, comme le prouvent les belles médailles que Dapper a fait graver dans son Archipel, mais qu'il n'a pas comprises, et celles que M. Knight a si heureusement expliquées dans son excellent ouvrage anglais sur le Culte de Priape, ou de l’Etre universel, à Londres, in 4°, chez Spilsbury, 1786. Je ne saurais trop recommander la lecture de ce précieux morceau à ceux qui veulent connaître l'origine de toutes les théories religieuses ; au moins en grande partie.

[104] Voyez Rhodigin, liv. 13, chap. 34, sur cette Diane. Pausanias a cru pouvoir rendre raison de cette épithète de Diane, Éliac ii, p. 201. La fable a déduit ce nom d'Alphée qui avait poursuivi Diane jusque dans l'île d'Ortygie près de Syracuse. Pindare semble favoriser cette tradition ; Pythie ii; strophe I. Mais la vraie tradition, relative à Ortygie, ne concerne que l'île de Délos, qui a eu ce nom de l'abondance des cailles qui s'y abattent. D'autres ont déduit ce nom d'un temple et d'un bocage consacré à Diane, à l'embouchure de l'Alphée, dans le territoire de Pise ; ce qui la fit aussi appeler Potamia, ou Fluviatile. D'autres ont lu Elaphiaia, Cervina, nom relatif à la chasse. Plusieurs médailles représentant en effet Diane sur un cerf. Pindare, par flatterie, a confondu la vraie tradition ; les autres en ont confondu plusieurs.

[105] Éritheias, comme il faut absolument lire. Si Casaubon avait réfléchi à ce qui a été dit dans le prologue, hoon katetreche, etc. Ulpianos, etc., il aurait laissé aux copistes eretreias, qui ne mérite aucune attention : il aurait encore moins proposé sa correction ridicule.

[106] Atergatis, ou atargadis, comme on le trouve mieux écrit ailleurs. Ce mot est formé comme l'Égyptien atarbeki, dont les Grecs ont fait aussi le nom féminin atarbekis : à la lettre, ville de Vénus ou d'Atar, ou Æter, Athor, Athyr, Tyr et Tor, en Egypte, en Asie et dans le Nord. Je ne m'arrêterai pas à prouver cette identité de nom dans ces différentes contrées. On la verra dans le Pantheum de Jablonski, la Mythologie du nord de M. Mail et, l'Histoire ancienne de Russie par M. le Clerc. Athar était, en Egypte, la divinité considérée sous le rapport de la prolification et de la nuit : de là thoros en grec, pour signifier le sperme éjaculé, mais Thor était la nuit de la nature, ou le destructeur dans le Nord. Cette théorie passa chez les Phéniciens, ou en Syrie, et l'on en fit la Vénus poisson, sous le nom d'A-thargadi. Gad, qui dans son vrai sens signifie un aiguillon, fut le nom générique de tous les poissons, vu leur forme pointue. De là, Gados en grec, même dans Athénée ; chez les Latins, gadus, appliqué particulièrement aux diverses espèces d'asellus, ou de morue, cabillaud, merlan, etc. La théorie primitive du symbole, qui désignait l'Etre destructeur, et le générateur dont j'ai parlé précédemment, s'étant obscurcie, les âges postérieurs en firent une Vénus changée en poisson. Atargadi, qui était vraiment la Vénus céleste, ou la nature qui se détruit et se régénère, fut confondue avec Derceto, Vénus courtisane, ou coureuse, de derac, courir : derceto, signifie en syriaque, une coureuse, une fille de joie, et l'on fit de là Vénus Hiérapolis dégradée, la Vénus pandeemos, ou publique. Bochart, Selden et autres, ont très mal vu ces théories. Cette dégradation de la théorie primitive est manifestement prouvée par une antique où l'on voit un satyre cornu, ou Pan, qui couvre une chèvre; même idée que celle qui est autrement présentée sur une des médailles de Lesbos, produite dans celles de Dapper, ou l'Être générateur, devenu la Vénus pandeemos, ou publique, est figuré par une femme nue, assise jambe deçà, jambe delà, sur un homme nu qui la féconde. Voyez Dapper, p. 298, médailles de Lesbos, n° 1. Ce même emblème se retrouve sur une autre médaille qui paraît beaucoup plus ancienne, vu la grossièreté du travail.

M. Knight l'a fait graver dans l'ouvrage indiqué ci-devant; mais l'homme et la femme ne sont que près de se mettre à l'acte de la copulation ; car la partie de l'homme y paraît toute entière et tendue ; ce qu'on ne voit pas dans celle de Dapper. Il était naturel de représenter l'Être générateur (ou la nature qui se reproduit) par l'emblème d'une femme. Voilà pourquoi cet Etre fut aussi figuré, à Hiérapolis, par une femme couverte d'une robe, le long des bords de laquelle régnaient des priapes tendus, pour déterminer le sens du symbole; mais ce symbole venait encore de l'Egypte. C'est ce qu'on voit dans cette inscription de la statue d'Isis : Personne n'a encore troussé ma robe ; ce qui indiquait l'énigme impénétrable de la reproduction des êtres organisés. C’était un autre emblème de la Vénus céleste, ou de la puissance créatrice. Mais un autre symbole des deux puissances a donné lieu à mille rêveries chez les Grecs. C'est cette prétendue tête de Méduse. La tête de femme y est l'emblème de l'Etre générateur. Les serpents dont elle est hérissée, sont celui de l'Être destructeur renouvelé. De là, cette idée de pétrification et d'anéantissement, attachée à la tète de cette prétendue Gorgone: mais j'irais trop loin. C'en est assez pour montrer qu'on n'a pas encore eu l'idée du vrai sens du mot atargadis qui signifie Vénus poisson, ou la nature se régénérant elle-même. M. Knight a bien développé tous les autres emblèmes. Laissons aux Grecs leurs pitoyables étymologies.

[107] Voilà comme les suppôts de la superstition tirèrent toujours avantage de l'ignorance du peuple. C'est ainsi que les prêtres de Jupiter montraient son tombeau en Crète, où, selon eux, il était enseveli.

[108] Les Juifs qui ont le privilège de rêver avec plus d'extravagance que tous les autres peuples, se sont signalés par les absurdités qu'ils ont écrites sur leur Behemot et le Léviathan. Bochart les rapporte en parlant de ce poisson de Géryon. Celui-ci n'est sans doute rien en comparaison de celui avec lequel on peut donner à dîner à toute la terre. Hiéroz. t. I, liv. 1, ch. 7, p. 50.

[109] Je lis topous, avec Adam, pour toutous. A la première ligne de la page suivante 347, je trouve dans les manuscrits einai, pour eunai. Je suppose teinai tauteen, ou un analogue pour le sens.

[110] Je lis epi tois amboosin anoo, etc. avec les textes anciens, excepté un manuscrit où il y a ara, pour anoo.

[111] Comme nous n'avons pas ce qui précède, nous ignorons le but de ce passage, réellement singulier. Je l'ai rendu à la lettre. Géryon signifie la foudre, chez les anciens mythologistes. Voy. Lloyd, Lexic. Mais la foudre se dit, en grec, keraunos, surnom d'un Ptolémée qui fut défait par les Gaulois. Sosthène, dit Adam, les chassa de Macédoine, commandés par Bolgius. Il avait cependant encore à craindre l'armée de Brennus, qui venait de faire une irruption dans la Pannonie. Autres circonstances. Le poisson phagre, ou pagre, avait donné son nom à la ville de Phagroriopolis, près de laquelle il y avait des lacs, des fosses qui communiquaient à la mer Rouge, et différentes habitations, katoikiai, indiquées dans le mot perioikous du poète. Voyez Strabon, liv. 17, p. 553-559. D'après cet exposé, on voit que ce passage d'Éphippus est une hyperbole badine, où il veut parler de Ptolémée, du phagre, et toucher les circonstances où se trouvait alors l'Egypte. Mais pourquoi? C'est ce que le temps nous a caché. Il me suffit de lever le voile du passage. Adam conclut de l'observation qu'il avait faite, que Vossius s'est trompé sur l'époque de Sosthène, et que ce comique doit avoir vécu la 124e Olympiade ; ce qui paraît démontré.

[112] Voyez livre 7 précédent sur ces poissons.

[113] Voyez liv. 3, sur ces farines tirées de grains macérés : amylon.

[114] Ou au temps : krononoo, dans le manuscrit B que je suis, pour le k: les autres portent chronoo, au temps simplement. L'équivoque de kronoo est préférable. On l'a respecté dans le manuscrit B, où l'on n'a écrit chronoo que sur la marge.

[115] Pothen n'est pas ici interrogatif. J'ajoute au sujet des gros poissons, pour être plus clair. C'est Cynulque qui continue de parler.

[116] Le sens est que la chair de grand poisson est en général toujours bonne. Nous dirons : « Il n'est chair que de vieux poisson. » Adam.

[117] Pour laoi, peuples, selon l'usage des orateurs.

[118] Ce dont il jugeait à la grosseur du côté gauche; car il ne pouvait voir la rate.

[119] Texte, abandonnant les choses à la fortune. Il faut un point après tychee, et ôter celui qui est après koomon.

[120] Expression d'Homère.

[121] Mot équivoque qui signifie buccin, coquillage, et trompette, ou buccinateur, héraut. Cette réponse n'a de sel que dans l'original. Il paraît d'ailleurs que Stratonicus confond ici, sous le nom de buccin, le murex, ou qu'il prend une espèce pour le genre, savoir, le buccinum muricatum, pour le buccin en général. Voyez, sur cette espèce, Klein, Ostracologie, Sect. I, class. vii, p. 45, seqq. On a aussi donné le nom de murex à cette espèce de clou nommé autrement, en latin, silus, non stylus, comme je l'ai prouvé dans mon édition latine de Silius Italicus, en français, chausse-trappe. On s'en servait autrefois pour empêcher les approches de la cavalerie. Quant à cette annonce de la néomenie, ou nouvelle lune, cet usage avait eu son origine dans les temps éloignés, lorsque l'on n'avait pas encore de connaissances certaines pour fixer les révolutions lunaires. Des gens allaient observer le premier instant où la lune paraissait dégagée, et on l'annonçait ou à sonde trompette, ou en le criant. On faisait alors une fête. Les riches, comme je l'ai déjà indiqué, régalaient les pauvres, mais du repas qu'on présentait d'abord à la lune, sous le nom d'Hécate. Ce repas était, à Athènes, un surmulet, de petits pains, etc. L'ostentation y parut bientôt, et chaque homme aisé voulut avoir son buccinateur ce jour-là. Les Juifs observèrent le même usage sur l'annonce de la nouvelle lune, lors même qu'ils eurent acquis, sous les Ptolémées, les connaissances nécessaires pour se passer d'envoyer observer sur les montagnes. Voyez Scaliger, Canon. Isagogie, liv. 3, p. 282, édit. 1658. Quant à l'année grecque, et à la manière dont elle fut réglée, voyez Pétau, Doctrin. temp., t. I, liv. 1 ; et Académ. Inscript.

[122] Ces proverbes perdent tout leur sel en français.

[123] C’était dire ingénieusement : Je m'en vais.

[124] Dix mois lunaires, c'est ainsi que Virgile a dit :

Matri longa decem tulerunt fastidia menses.

Mais les femmes portent quelquefois beaucoup plus longtemps. Ce terme a causé de grands débats, à Paris, entre deux célèbres médecins de nos jours, Bouvart et Petit. Celui-ci avait la bonne cause, mais il l'a mal défendue. Deux chirurgiens, des plus instruits de notre siècle, le Cat et Pouteau, ont fourni des preuves non équivoques, pour appuyer l'opinion de Petit, et par lesquelles il constate qu'une femme peut porter avec succès beaucoup au-delà d'une année solaire. Ce point étant important pour la jurisprudence, j’ai cru devoir en faire mention ici. On consultera les ouvrages de ces deux habiles observateurs. Il y a beaucoup à gagner.

[125] La suite fera voir qu'il s'en tira; Mettez un point après psophos, ôtez celui qui est après nykta.

[126] Il est incroyable combien Casaubon s'abuse ici, forgeant les mots qu'il lui plait, pour prouver qu'il n'a rien compris à ce passage. Il ne s'agit que de séparer les mots, pour retrouver le vers le plus parfait, en lisant hos pour hoos, avec les manuscrits, ce qu'il avait aussi aperçu.

Hos autos auton, ouki d'allous ho scytha.

Sous-entendez epideiknyei du verbe précédent, après hauton qui en est le régime, comme allous. Ho devient long devant sc., ainsi le vers iambique est très complet sans rien changer. Stratonicus appelle l'autre Scythe, parce que les Scythes n'entendaient rien à la musique, et préféraient le hennissement de leurs chevaux à tous les concerts. On voit donc combien Casaubon est loin du but. Je le laisse dans sa lie.

[127] Pamphylie peut signifier aussi tout le genre humain, dans ce passage : de pan et de phylee.

[128] Longs pour la guerre ; ronds, ou gauloi, pour le commerce ; j'en ai parlé. On sait que les anciens tiraient leurs vaisseaux sur le rivage lorsqu'ils ne naviguaient pas.

[129] Cette flagellation des enfants à Lacédémone fut substituée aux sacrifices humains, comme on y substitua les combats de gladiateurs à Rome.

[130] Ce jeu de mot assez ingénieux en grec, ne peut plaire en français. L'équivoque consiste en ce que dohoo signifie je pense ; et pris comme nom ablatif, il signifie une poutre. L'auteur veut donc dire que cette poutre, qui écrase un scélérat donne lieu de croire qu'il y a des dieux.

[131] Autre équivoque du mot didaskein, qui signifie enseigner, et faire jouer une pièce de théâtre. Voyez ce que j'ai dit sur ce mot à la fin de mon édition d'Epictète grecque et française.

[132] Jeu de mot sur Harmonie, ou Hermione, femme de Cadmus. L'auteur compare le jeu de ce musicien à la difformité de Cadmus changé en serpent. Le nom d'Harmonie, femme de Cadmus, a fait commettre une singulière erreur à Rousseau, dans son Diction de Musique. Il nous dit que le mot Harmonie est d'autant moins facile à déterminer, qu'étant originairement nom propre, il n'a pas de racines par lesquelles on puisse le décomposer pour en tirer l'étymologie. Mais Harmonie, femme de Cadmus, avait un nom syrien, qui n'a rien de commun avec le grec haroo, parfait passif heermai: ôtant l'augment, il en résulte le verbe dérivé harmoo, participe hors d'usage, harmoon, de là harmonia, liaison, etc. ainsi le mot est grec.

[133] En latin, non habes, sed haberis. Allusion à ce que Démocrite disait au sujet de Laïs : « J'ai Laïs, mais elle ne m'a pas, ou je n'en suis captivé. »

[134] Sous-entendez, réduit à ne pouvoir se foire servir par un esclave.

[135] Les Grecs regardent les Macédoniens comme des gens très grossiers. Démosthène parlant contre Philippe, roi de Macédoine, disait que ce prince était d'un pays où l'on ne trouvait même pas un bon esclave.

[136] Chapelle consacrée à un héros.

[137] Il y a ici une lacune que j'indique. Ce que j'ai mis en parenthèse manque même dans le manuscrit B. Un copiste qui ne l'a pu comprendre, l'a passé; comme un autre, ce qui précédait. — Je lis dans ce reste, avec Adam, tous Pontikous pollous ek tou, etc.

[138] Les Cyrénéens, placés sur la côté d'Afrique, avaient le teint rembruni par la grande chaleur du local. Ils étaient voluptueux. Quant a Rhodes, c’était-là que les riches Romains mécontents se rendaient, attirés par la beauté du séjour. Cicéron se proposait d'y finir sa vie. Je ne vois pas de quelle Héraclée il s'agit ici ; car il y a eu plusieurs villes de ce nom. Le mot membraciote (ait allusion aux membrades, poissons chétifs, et qui ont promptement une odeur fétide.

[139] Le sens est qu'ils auraient dû se rendre assez coupables pour mériter la mort.

[140] Texte, harmonique, en français, harmoniste, ou savant dans l'harmonie, dit Rousseau. Je ne réveillerai pas ici la querelle sur la connaissance que les anciens avaient de l'harmonie : voici seulement ce à quoi l'a réduite l'auteur de l’Essai sur la Musique, ou son scribe, tom. 2, p. 32. « L'harmonie des anciens était semblable à celle que les Iroquois, amenés à Louis XIV vers la fin du siècle dernier, lui firent entendre pour lui donner une idée de leur musique. Plusieurs d'entre eux chantaient à l'unisson, et à l'octave; et les autres accompagnaient ce chant, en grondant comme des pourceaux, avec des secousses marquées par un mouvement bien réglé ; et voilà comme on tempérait l'aigu des voix par le mélange de la gravité du grondement rythmique des autres chanteurs. » J'avoue que ce passage m'a fait rire: d'autres se tairont ; ils feront peut-être mieux. Cependant si l'auteur a voulu parler des Grecs dans l'état sauvage, il a raison. Mais il parlait sans doute des rots de Téléphane. J'ai vu avec peine cette tache dans ce bon ouvrage. Il suffit de lire Nicomachus, pour voir le faux de ce jugement. Il paraît cependant que le docte et laborieux auteur de cet Essai produit plutôt ici le sentiment d'un autre que le sien, dans les limites de cette comparaison. Je n'ai pas assez de lumières en théorie musicale pour contredire son opinion sur l'idée que les anciens attachaient au mot harmonie. Comme chacun est libre dans son jugement, lorsqu'une question est presque insoluble, je dirai que, si on lit sans partialité la lettre de Théodoric à Boèce, dans Cassiodore, Var. l. 2, n° 40, édit. Bros. in 4°, on y verra des expressions encore plus décisives que celles que l'auteur de l’Essai produit de Sénèque, et qu'on ne refusera qu'avec peine aux anciens une connaissance assez exacte de l'harmonie, dans le sens que nous lui donnons aujourd'hui. Mais les grands effets de la musique des anciens venaient moins de leur symphonie que de l'accord du chant et des instruments mêlés ensemble, surtout avec une langue telle que la grecque, dans laquelle la moindre nuance d'un sentiment passionné, gai ou triste, trouvait un terme propre pour être rendue avec précision, de manière à présenter une image dans le rythme même du mot qui exprimait la pensée : c'est de ce fonds surtout que la musique grecque tirait ces grands effets, que l'habile auteur de cet Essai reconnaît aussi pour vrais. En vain les chercherait-on dans aucune des langues de l'Europe ; la langue italienne même rebute l'oreille par ses consonances si fréquentes : elle a la mollesse de l'ancien ionien, mais non le ton gracieux et noble de l'æolien, ni le ton mâle et grave du dorien. Ces trois idiomes qui rentraient plus ou moins l'un dans l'autre, se subdivisaient en nombre de ramifications qu'on rencontrait d'une ville à l'autre, et qui les rapprochaient aussi plus ou moins : de là cette infinie variété dans les mêmes termes. Il semble que la nature avait fait pour la perfection du chant grec ce qu'elle a fait à l'égard des couleurs, qu'on trouve toutes dans les mélanges du bleu, du jaune et du rouge combinés en différentes proportions, comme M. Pfannenschmidt vient de le démontrer dans son excellent ouvrage in 8°, chez Debure l'aîné. Cette comparaison est d'autant plus juste, que les Grecs avoient pris des couleurs la dénomination de leur genre chromatique. Ne cherchons donc pas dans notre musique les effets de celle des Grecs; nous ne les y trouverons jamais, parce qu'ils étaient dus au fonds de la langue, c'est-à-dire, au chant accompagné d'instruments, et que la nature n'a pas fait nos langues pour être chantées.

[141] Terre, argilo-crétacée, par conséquent détersive, analogue à celles dont on fait les pierres connues sous le nom de pierres à détacher. Les anciens en faisaient usage pour enlever la crasse des huiles dont ils se frottaient souvent, ou celles que leurs habits leur laissaient sur la peau, et qui en auraient obstrué les pores. Le recueil des écrits attribués à Hippocrate, nous apprend qu'ils imprégnaient même d'huile, en hiver, leur tunique interne, interula, en latin, ou chemise, afin d'empêcher le froid de donner trop d'astriction à la peau ; ce qui aurait arrêté la transpiration. Mais voyez ce que j'ai dit dans un long chapitre que j'ai ajouté sur les bains, dans le Traité des Maladies des enfants du premier âge, par M. Underwood. Conférez Baccius dans son Traité des Thermes, et Stuck, Antiq. Conviv.

[142] Il prend ici le ton militaire. Mais doit-on traduire auparavant, dans le temple, ou près du temple. Eis est ici fort équivoque. Lisez ensuite askleepiou.

[143] Carcinus, ou karkinos, signifie un cancre.

[144] Air tiède, ou étouffant, alea. Ce mot a encore d'autres sens, mais dont nous ne pouvons voir ici l'application.

[145] Que cet esclave refusait de payer ; ce qui était ranger son maître parmi les Phasélites.

[146] Les interprètes n'ont pas compris ceci. L'auteur entend par décrets, ces édits, arrêts extemporanés qui ont toujours lieu dans les Etats, dont le gouvernement n'est pas établi sur des principes de législation, et qui, par conséquent, changent très fréquemment l'ordre des choses, sans rien statuer de permanent : ce sont ces décrets affichés à tous les coins de rue, à tous les portiques, que blâmait Isocrate, comme l'effet d'un gouvernement sans principes, et qui ne peuvent jamais, dit-il, rendre l'homme vertueux.

Stratonicus comparait donc par ce sarcasme violent, la musique de Philotas à ces décrets ; et celle de Timothée a des nomes, ou lois certaines et invariables. Le mot nome est une équivoque fort adroite; car il désigne aussi des chants tirés du fond d'un système, et déterminés par des règles fixes. IL y avait dans l'ancienne musique grecque certain nombre de nomes, sur lesquels on consultera l’Essai sur la Musique, t. I. p. 35 ; et Rousseau, au mot nome, Diction. de Musique. Quant à Timothée de Milet, on produit un décret de Lacédémone contre lui, où il est accusé d'avoir ajouté plusieurs cordes à la lyre; mais ce décret paraît supposé, car Nicomachus assure dans son Harmonie, que Timothée n'ajouta que la onzième. Voila ce que devait observer Casaubon. Voyez aussi l’Essai cité, t. 3, p. 119.

[147] Va te faire pendre.

[148] De nakos, peau avec sa toison; et dæmon, génie bon ou mauvais ; mais qui se dit aussi de la profession qu'on exerce. Kakos signifie méchant. Ce jeu de mot n'a de sel qu'en grec. Le sens est mégissier, pauvre ouvrier!

[149] Les animaux même ne boivent pas chaud, dit Pline. C’était une marque de mollesse. L'auteur se répète et interprète, au sujet des Rhodiens dont il a parlé plus haut.

[150] Je suis les manuscrits et les imprimés. Il n'y a rien à changer, quoiqu'en ait pensé l'aristarque Casaubon : il faut seulement ajouter tee toon, avant mneesteeroon, en supposant, avec ce texte, kataphereia au datif.

[151] Voyez à l'article Timothée que je viens de citer. On a lieu de douter que ce soit Stratonicus qui ait fait cette augmentation d'après le décret que Lacédémone rendit contre Timothée. Selon d'autres, cette augmentation fut même faite par différentes personnes, et à temps différents.

[152] L'auteur a dit plus haut, ch. 9, Nicothéon, sous la main des copistes: ch. 4, il nomme aussi Nicocréon, et ici Nicoclès, celui qui, d'accord avec l'eunuque Thrasydée, fit périr Evagoras. Nicocréon est cet autre prince cruel qui fit piler Anaxarque ; ainsi l'un ou l'autre a bien pu faire périr Stratonicus d'une mort violente. D'ailleurs, il a semblé plus haut le faire mourir noyé dans la mer. S'agit-il donc de deux Stratonicus musiciens, dans Athénée? L'auteur de l’Essai sur la Musique fait deux articles, l'un Stratonicus, l'autre Stratonique, mais c'est absolument le même personnage. L'auteur de cet Essai, ou plutôt grand ouvrage en quatre volumes in 4°, fait, au sujet de ce Stratonicus, quelques réflexions qui prouvent que la vérité se fait quelquefois sentir à ceux qui ne veulent pas la voir. Athénée vient de dire que ce musicien enseigna le premier les principes de l'harmonie. « Cette phrase (dit « l’Essai) nous prouve à nous que Stratonique était peut-être le seul musicien ancien qui méritât ce nom; le seul qui sentît l'harmonie, et qui eût peut-être découvert en ce genre, ce que nous avons eu depuis, s'il n'eût pas trouvé son siècle aussi barbare en musique, qu'il était éclairé sur les autres arts, t. 3, p. 114. » J'aurais ici une foule de réflexions à faire, pour mieux développer la partie vraie de ce passage, et en détruire le faux; mais cela est hors de mon but.

[153] Je ne m'arrêterai qu'au mot oinas, vineux. On a vu un poisson désigné par la même épithète, à cause de sa couleur. Casaubon présume que ce mot pourrait être phénicien, car on dit ienah, ou ionah, pigeon, en hébreu : le poisson oinas aurait donc la même étymologie? Laissons-là ce rêve. Mais voyez liv. 9, ch. 11, sur les pigeons.

[154] Il faut comparer ce que l'on fait dire au philosophe, avec son Hist. liv. 5, ch. 14; liv. 6, ch. 22, sur la longue vie et la fécondité des chevaux. De Buffon, qui n’avait presque aucune expérience à cet égard, a prétendu abréger les termes que présente Aristote. Mais un homme consommé dans cette partie, M. Jean-George Hartmann, croit Aristote plus vrai qu'il ne le paraît. Les preuves qu'il donne, et les réflexions qu'il fait d'après l'expérience la plus certaine, réfutent pleinement de Buffon. Voici ce que dit M. Hartmann dans son Traité allemand des Haras dont on vient d'imprimer une traduction française, à laquelle j'ai contribué pour l'article d'angliser les chevaux, et celui de leur castration), chap. 3, p. 33, 40 ; et ch. 4, p. 78 suiv., chez Barrois le jeune, 1788. « C'est un signe indubitable qu'un cheval de haras est de bonne vie, ou du moins qu'il est sain, quand il tarde longtemps à se former. Celui qui n'a cessé de croître qu'à six ou sept ans, sera, sauf les accidents, de bon service pendant 20 ans, et au-delà ; et peut bien en vivre 40, et même davantage. Que des chevaux aient atteint l'âge de 40, et même de 60 ans, c'est ce que Fugger a prouvé dans son Traité des Haras, fol. 1611, ch. 2, etc. etc. » On peut excuser un érudit tel que notre auteur, de parler en ignorant sur ces sortes de matières, et sur toutes celles qu'il touche à la suite. Sachons-lui gré des détails qu'il nous a conservés.

[155] Il s'agit ici de ce que dit Aristote, Hist. liv. 5, ch. 19, vers le milieu, sur le bombyce de Coo, car le texte du philosophe ne permet pas de chercher ce ver ailleurs. Cependant Pline, liv. 11, ch. 22, place ce ver dans l'île de Cée, et parle ensuite, ibid. ch. 23, d'une autre espèce comme propre à Coo, liv. 11, ch. 23. Je suis étonné que Brotier n'ait pas noté cette différence. Je suis aussi d'un avis diffèrent du sien. Je ne doute pas que l'ordre des termes n'ait été celui-ci dans l'original grec, déjà altéré du temps de Pline. Vermis, eruca, necydalis, bombylios, le ver cornu, la chenille qui en résulte (ou l'insecte proprement dit qui file), la nymphe qui est comme dans un état de mort, et le papillon : car necydalus, terme de l'île de Coo, vient de nekyS, mort: bombylios se dit aussi d'une espèce de mouche qui bourdonne : c'est ici le papillon. M. Fabroni, académicien d'Italie, a fait graver la figure du ver dont parle Aristote, et sa première métamorphose à la fin de sa curieuse Dissertation italienne sur l'origine du byssus et du bombyx, imprimée à Pérouse, in 8°, 1782.

[156] Il n'exclut cependant pas neuf à dix ans, Hist. liv. 5, chap. 22. Je remarquerai qu'il parle d'une abeille du Pont, laquelle fait du miel sans cire, et dont on trouve l'analogue en Amérique ; mais l'abeille est une mouche infiniment variée. Il y en a qui font leur miel, non dans des gâteaux, mais dans une coque semblable a un œuf. Un très gros in-folio suffirait à peine pour traiter ce qui concerne cet insecte précieux. M. Camus a dit de bonnes choses, en se bornant à développer le texte de son auteur; mais Cyprian est beaucoup plus curieux et plus étendu. Voyez-le p. 3489 seqq. Il y a des observations que nos naturalistes n'ont pas faites. Je n'en citerai pas d'autres.

[157] D'autres ont répété cette assertion hyperbolique. Voyez Cyprian, p. 3447. J'ai déjà cité l'Histoire d'Aristote sur la durée de leur vie; mais voyez de Respirat., ch. 9.

[158] Hist. liv. 9, ch. 5. Aristote donne ce fait comme extraordinaire. Quelque singulier, ou plutôt incroyable, qu'il paraisse à notre auteur, je vais l'expliquer, ou en montrer la possibilité. Il est d'expérience que le lierre grimpe, s'attache aux pierres les plus dures, sans excepter le marbre, et y trouve assez de substance nutritive secondée par l'air ambiant et libre. Le lierre n'est pas la seule plante qui se nourrisse ainsi. On voit même à Malte des végétaux dont les racines percent comme une tarrière des bancs de pierre la plus dure, de sorte qu'elles laissent un trou de leur largeur lorsqu'on casse la pierre. M. Houel, qui rapporte ce fait à la fin de son Voyage de Malte, demande, avec raison, si la pierre, dont ces racines occupent la place, s'est convertie en bois-dans ces végétaux? Il pouvait l'assurer. Voilà donc deux exemples qui prouvent les ressources de la nature, pour alimenter ses productions.

Mais les substances animales ont quelquefois fait germer, et nourri pendant certain temps, des végétaux. Un enfant, âgé de trois ans, s'introduit un pois dans la narine droite : il s'y forme une tumeur, qu'on prend pour un polype, et l'on décide de l'extirper selon les procédés ordinaires de la chirurgie. On est fort étonné de découvrir que cette tumeur était formée par un pois qui avait jeté dix ou douze racines d'un pouce de long. C'est ce qu'attesta M. Renard, chirurgien à Bordeaux, le 15 juin 1701. Eloy Rochefort, paysan des environs de Noyon, rendit, par l'effet de l'émétique, en juin 1759, des grains d'avoine qu'il avait avalés en octobre 1768, et qui avaient germé dans son estomac. Seguin, paraisse des Essarts en Poitou, mourut, en 1771, de noyaux de cerises qu'il avait avalés depuis plus d'un an. Les noyaux s'étaient ouverts, avaient poussé un germe de plusieurs lignes, naissant entre les lobes de l'amande. Les substances animales peuvent donc en quelques circonstances favoriser le développement des végétaux.

Or, voyons ce qui arrive tous les ans au cerf. Ses bois tombent, peu de jours après le revenu pousse, les têtes s'allongent, les meules se forment ; mais la tête reste couverte d'une espèce de peau velue, jusqu'à ce qu'elle ait acquis une dureté ligneuse; alors le cerf cherche les arbres pour frayer ou frotter ses têtes, et les découvre. Est-il donc impossible qu'un cerf en se frottant ait introduit, dans la substance de ses nouvelles cornes, un pépin de lierre tombé de sa loge, et qu'en y prenant racine, il ait végété jusqu'à la chute du bois? Je crois qu'après ces détails personne n'osera le nier. Aristote n'a donc rien dit de si absurde.

[159] Le texte d'Aristote est, acris hesperon kaipéri orthron, que Gaza rend simplement, sed vesperiino et matutino : suppléez tempore. Ces oiseaux nocturnes rodent toute la nuit ; vont prendre les oiseaux perches sur les arbres, ou dans leurs nids, les rats, les souris, etc. Voyez Linné, qui les comprend sous le genre de strix, § 42. Mais quel est le corax, ou mieux nyeticorax dont parle Aristote. Ce mot est aussi indéterminé pour nous que glaux, qui a été rendu, en latin, par noctua. On a donné le nom de noctua à des oiseaux bien différents. Le nycticorax, que je rends par corbeau de nuit, est, chez le plus grand nombre des naturalistes, une espèce de héron, ardea varia, qui court de nuit. Les Allemands l'appellent nachttrabe, les Hollandais, auæk. On en verra la description dans Cyprian, p. 1149. Mais les anciens ont donné ce nom à un très grand et à un moyen oiseau. Quelques modernes ont rendu ce mot par hibou, duc, hulotte. Voyez Cyprian, 1704; M. Camus et le Dictionn. des animaux. Mais il est assez singulier qu'Athénée dise, particulièrement des oiseaux dont il vient de parler, ce qu'Aristote écrit en parlant généralement, Hist. liv. 1, ch. 10; ce qui me fait croire qu'il y a ici une lacune dans notre auteur, ou qu'il a copié inexactement. Au reste, les yeux, considérés comme signes, sont encore présentés différemment dans le Philosophe. Physionom., t. a, ch. 3.

[160] Nous savons qu'il n'y a que la pointe du cœur qui incline vers la gauche, vu la structure de la charpente osseuse, qui dans l'homme forme la cour bure d'une anse à panier assez aplatie à la poitrine, mais angulaire, ou proéminente dans les autres animaux. Voyez Aristote, de Partibus, liv. 4, ch. 10; Hist. liv. 2, ch. 17.

[161] Observez qu'Aristote distingue les cétacées des poissons; autrement il dirait faux, quant aux mamelles et aux testicules. Il a même décrit les testicules du dauphin, Hist. liv. 3, ch. 11 ; mais il le considère comme un cétacée.

[162] Voyez, au sujet de ces détails sur le fiel, Hist. liv. 2, ch. 15.

[163] Oiseau qu'on a pris pour la barge, mais encore indéterminé dans la nomenclature ancienne. Aristote dit que le capriceps ou œgocéphale (tête de chèvre) n'a pas de fiel, Hist. liv. 2, ch. 15. Voyez le Dict. des anim., et M. Camus, t. 2.

[164] Athénée tronque dans cette phrase le texte d'Aristote, et en altère tout le sens. Voyez Hist. liv. 2, ch. 15, vers la fin.

[165] Au lieu de poissons, il faut lire ici animaux. Casaubon fait ici un gâchis, où il se contredit sans scrupule. S'il avait lu Ocellus Lucanus, il aurait senti que le feu ne doit être considéré ici que comme une matrice dans laquelle ces animalcules se développent, et vivent. Les termes de Sénèque qu'il cite, les pyrigona du passage de Philon ne disent pas autre chose : ainsi il était inutile de distinguer ici entre notre feu matériel et le feu élémentaire, qui n'est que le même, mais qui ne se manifeste que par l'action qu'il trouve à exercer sur les corps. Il aurait encore moins cherché les démons, ou esprits aériens, qui ne font rien à notre texte.

Le passage d'Aristote se trouve Hist. liv. 5, ch. 19 ; mais il est altéré : la version qu'en donne Pline est aussi altérée, quoique différemment. Le passage que Casaubon nous cite de Philon l'est aussi ; cependant, combiné avec Pline, il nous rend celui d'Aristote, et se rétablit aussi.

Aristote parlant de vers qu'on trouve dans la neige dit, selon son texte actuel : Ek tees en eudia chionos. Pline traduit : « Sed in nive mediæ terra candidi et grandiores invenirent, etc. » Gaza, quittant le texte d'Aristote comme inintelligible, suit Pline, et traduit aussi : In nive mediæ terra, etc. Nogarole demande, avec raison, pourquoi Pline et Gaza traduisent ainsi. Ocell. Luc., p. 23, édit. Gale. Cantabrigiæ, 1671. Velim illud consideret diligens lector, dit-il. — Philon, parlant des animalcules pyrogènes, ou pyrigones, après ceux de la terre, de la mer, des fleuves, dit, ou semble dire des pyrigones : « On dit que c'est surtout en Macédoine que cela arrive ; » ce qui est évidemment faux, puisqu'Aristote dit que c'est dans les fourneaux des mines de cuivre de l’île de Chypre. Il avait donc ainsi parlé des vers de neige, et écrit : Pyros de tapyrigona, chionos de ta chionogona, logos de echei tauta kata Makedonian malista ginesthai. Pline, ou son copiste, trouvant, dans ses manuscrits, Mdia en abrégé, pour Makedonia, a écrit de la Médie ce que le philosophe avait dit de la Macédoine qui devait lui être très connue. D'autres copistes grecs ne pouvant comprendre mdia en ont fait eudia. Voilà comment les trois textes se sont corrompus, et comment je satisfais à la demande de Nogarole, en les rétablissant l'un par l'autre. Je laisse les animalcules pyrigones, ou produits par le feu, pour dire deux mots des vers de neige. Il ne faut pas croire que ce soit le produit de la neige : elle ne sert même pas à leur production. L'engourdissement où étaient ceux dont parle Aristote, prouve qu'elle leur est contraire, puisqu'ils pouvaient à peine remuer. On observera que la Macédoine étant autrefois, comme une grande partie de l'Europe, couverte de bois, un vent violent agitant, froissant, déracinant même des arbres, put emporter au loin ces vers, les laisser tomber sur la neige, et en même temps qu'elle tombait; ce qui a même fait croire qu'il pleuvait des vers. Les détails que M. de Geer, premier chambellan du roi de Sicile, donnait à Réaumur, en 1749, rendent raison de ces vers qu'on aperçoit sur la neige, ou qui tombent avec elle. La couleur rousse que prend la neige, ne vient pas non plus d'une fermentation de ce fluide congelé; fermentation supposée, capable d'y développer un germe. C'est de la poussière que le vent y précipite, soit des terrains plus ou moins éloignés, soit des arbres. J'ai eu lieu de m'en assurer dans les Alpes, à ces deux égards.

[166] Voyez M. Camus, t. 2, pour ce qui concerne les éphémères d'Aristote, et le Dict. des Animaux pour ces insectes en général. Aristote parle de coques sur la surface de l'eau, et qui s'ouvrent pour donner naissance à ces animaux ailés. Mais les naturalistes de nos jours ont observé que les larves de certaines mouches éphémères se nichent dans des terrains crayeux et marneux qui bordent les rivières, et les laissent perforés de plusieurs trous profonds et parallèles. Il existe un pareil morceau au cabinet de la Monnaie à Paris. Voyez aussi les remarques de M. de Born sur la partie minéralogique du voyage de M. Pallas en Sibérie. Mais il est faux que tous ces insectes ne vivent qu'un jour, comme le dit Aristote, liv. 1, ch. 5.

[167] Pline appelle aussi enydris, un serpent d'eau, liv. 32, chap. 7 ; ce qu'Hérodote avait dit. On en prend, dit Pline, les dents pour faire des scarifications aux gencives dans les douleurs de dents. Les scarifications sont en général un très mauvais procédé, quoiqu'admis par quelques chirurgiens modernes.

[168] Athénée présente mal ici les réflexions d'Aristote, Hist. liv. 1, ch. 5. Lisez la version de M. Camus, vers la fin du chapitre ; et ch. 4.

[169] Aristote dit que parmi les animaux qui ont du sang, les uns ont ou les mains et les pieds divisés à leur extrémité comme l'homme, Hist. liv. 2, ch. 1. A l'égard des mains du singe, voyez Hist. liv. 2, ch. 8 sur la faculté de donner et recevoir, voyez de Partib., liv. 4, ch. 10, au mot Anaxagore, philosophe qu'Aristote censure avec raison.

[170] Ceci est relatif à plusieurs détails du liv. 1, Hist.

[171] La retraite des hirondelles est, pour ainsi dire, encore un problème: on a dit en avoir trouvé, pendant l'hiver, dans des grottes, des carrières, des eaux dormantes, la mer; et que toutes ne quittent pas la contrée où elles reparaissent au printemps. Il faut surtout lire ici Cyprian, p. 1452, seqq., le Dictionnaire des Animaux, sans négliger M. Camus; ainsi j'y renvoie le lecteur.

[172] Aristote avait vendu des médicaments, comme nos charlatans. Il étudia ensuite la médecine, et se nourrit de la lecture d'Hippocrate qu'il copie même souvent. La troisième section des aphorismes est toute entière dans les problèmes. Aristote fut même médecin d'Amyntas, roi de Macédoine. Voyez Diogène de Laërce. Quant à ce qu'en dit Epicure, voyez le même, Vie d'Epicure, p. m. 269.

[173] Je lis ici eis teen theooreetiheen episteemeen exeelthen, guidé par Diogène de Laërce, et la note d'Aldobrandin. Aristote distinguait trois genres de vie, dont le troisième était bios theooreetikos. C'est celui qu'il a embrassé en dernier. La correction de Casaubon me surprend; il devait faire plus d'attention au mot exeelthein, quitter un état pour en prendre un autre ; passer d'un âge à un autre : comme exelthein eis epheebous.

[174] Texte, phormophoron, leçon conservée dans Diogène de Laërce ; Vie d’Epicure.

[175] Il y a ici une lacune dans tous mes textes. Adam voulait la remplir, mais il ne mérite pas d'être lu ici. Je suis l'idée de Casaubon comme texte supposé, faute de meilleur. Je soupçonne une autre lacune entre ce passage et Sphærus.

[176] Selon Diogène de Laërce, liv. 7 à l'article Sphærus, c'étaient des grenades en cire. Ce Ptolémée était le Philopator. Daléchamp suit Diogène, mais mal à propos. Gardons les différentes traditions.

[177] Je me sers de cette expression, pour être plus clair. Cicéron s'est beaucoup occupé de cette question, liv. 4, Académie, quœst. Voici l'idée de notre texte, selon lui : « Duo placet carneadi visorum esse genera, in uno hanc divisionem : alia visa esse quœ percipi possunt, alia quæ non possunt. In altero autem alia visa esse probabilia, alia non probabilia, etc. etc. »

[178] Casaubon dit qu'il n'entend pas ici iambeion. Il fallait ouvrir Lucien, qui donne iambeion phteggesthai, expression du même sens qu'iambeion lalein, tout au commencement de sa dissertation sur la manière d'écrire l'histoire; mais il faut lire iambion, dans Athénée, pour avoir la moitié d'un vers hexamètre, avec hoosp. ep. Lucien dit : Hai iambeia ephtheggounto, hai mega eboon. Des convives, dont le vin a échauffé la tête, se lâchent des propos offensants; c'est ce que veut dire ici le poète. J'admets dee, au vers suivant, avec Casaubon.

[179] Phykeen peut-être pour phyhees, ou pyhkee. Il s'agit ici de la tanche de mer, mâle et femelle; phyka, dans Pline, liv. 9, chap. 26. Gronove dit, ignorer ce qu'est la phykis. Je suis l'opinion la plus générale.

[180] C'est la leçon de tous les textes; le Comte la met en marge, quoiqu'il traduise karis, squille. L'auteur avait peut-être écrit; kirrhis, qui désignait l'exocet, chez les Cypriens, selon Varinus. Voyez Cyprian, p. 2705.

[181] Le texte est pachynei, épaissit. Cette leçon a déplu à Gesner y et avec raison. Je lis paraplynei, comme plus loin parhygrainei, p. 356 dû grec; en parlant du polype.

[182] Je suis ici Pursan et Daléchamp. En général, il n'y a rien de si difficile à digérer que les parties gélatineuses des viandes. Boërhaave l’avait observé avant moi. Les copistes ont brouillé tout ce passage.

[183] Texte du manuscrit A, sphyrainai ; dans le manuscrit B, il y a m sur ph, leçon que Casaubon rapporte d'un manuscrit; ce serait alors la murène. Si Diphile est du sentiment d'Icésius, liv. 7, notre texte est exact. Conférez, liv. 7, article Murène.

[184] Je lis eustomootera, avec le manuscrit A, où le copiste avait mis d'abord astom., comme dans le manuscrit B : l'expérience prouve le sens que je suis.

[185] Je suis les manuscrits : il n'y a rien à changer.

[186] Daléchamp traduit, arrête-les, etc., comme s'il avait lu pantos diachooreematos ephektikee. C'est la conséquence de ce qui vient d'être dit. Casaubon l'attaque en s'appuyant mal à propos de ce qui a été dit de la sèche. L'un ne prouve rien pour l'autre. Ils suffisent de dire que ce n’était pas le texte.

[187] Élien décrit, sous ce nom, un poisson de la mer Rouge, qui paraît être du genre des spares. Gronove présente deux poissons d'Amérique, sous ce nom, dans son Musœum ichthyologicum, p. 19. Voyez sa planche I, nos 1 et 5. Daléchamp le prend pour la synagris, espèce de spare.

[188] Pursan lit as tonton f désagréable au goût. Il a sans doute raison.

[189] Voyez liv. 7, au mot congre, ou gryllus, selon les Gloses de Nicandre. Conférez Cyprian, p. 2623, n° 89 : ses détails sont intéressant Quant au milan de mer, il faut conférer les détails du même, p. 3297, n° 100; et Gronove sur Pline, liv. 9, p. 97.

[190] Selon Icésius, le bacchos est une espèce de grosses-lèvres t ou cheloon, liv. 7, supra, p. 306, au mot leucisque. Le bacchus est la seconde espèce d'asellus, dans Pline; et poisson de haute mer, liv. 9, ch. 17. Mais il faut conférer Cyprian, p. 2343, n° 51. Gronove dit que ce poisson a été ainsi nommé par analogie, étant ventru, comme Bacchus, dieu des vendanges. On trouve ce nom écrit brachus, branchus. Voy. Gronove sur Pline, liv. 9, ch. 17. J'ai donné ailleurs une étymologie qui me paraît plus probable.

[191] Mendole mâle, ou le petit boulerot noir ; supra, liv. 7.

[192] Il faut probablement lire ici leucisques. Conférez p. 306 de notre auteur, au mot kestreus, et Cyprian, p. 2343.

[193] Akarne, dans Pline, acarne. Le phagolino, dit-on, de Rome. Je ferai ici quelques réflexions, singulières en apparence, mais qui me paraissent bien fondées. Akarn est sans contredit un mot phénicien, qui de lui-même signifie poisson. C'est de ce mot que l'île d'Icar avait eu son nom, qui signifie poissonneuse. Bochart l'a très bien vu. Les Phéniciens ont porté ce mot dans les pays où ils ont navigué, dans l'orient, et au Brésil, où l’on trouve plusieurs poissons désignés par ce mot, mais en même temps différenciés par la terminaison adjective. Akaranna, akara-mucu, akara-peba, akara-pinima, akara-pilamba, akara-pucu. Si l'on considère qu'outre les poissons, les Phéniciens ont nommé aussi plus de vingt rivières du Brésil par le mot para, paria, parava, etc. etc. modifiant, selon les circonstances, la racine para qui, selon ses formes, signifie eau, rivière, étang, lac, mer, dans la langue arabe, on ne sera pas étonné d'y trouver ces noms de poissons. On sera encore moins surpris de trouver la topaze occidentale nommée Brésil dans le Targum du faux Jonathan, et de retrouver le nom de toukan, dans ces touk, ou toukim, que les flottes des Phéniciens rapportaient tous les trois ans à Salomon. Je ne réfuterai pas ici Bochart, sur le nom de ces oiseaux, sur Ophir, sur sa Tarsis imaginaire. J'ai une petite dissertation prête à ce sujet. On voit combien les Juifs postérieurs ont mal lu le texte hébreu, parvaïm, qu'ils devaient écrire parava-iam, aujourd'hui la mer de Paraiva. D'autres ont voulu lire perouïm, mais cette opinion est mal fondée : je le prouverai. Le mont Brezou, d'où l'on pourrait encore tirer beaucoup d'or, est devenu le nom du pays qui attirait les Phéniciens, lorsqu'un coup de vent les eut jetés des côtes d'Afrique sur l'île de Norona, où l'on peut passer en cinq à six jours au plus, et de là au pays où était ce mont si riche en bel or, dont se servit Salomon pour orner son temple ; car ce fut de l'or de Parava-iam, et non d'Ophir, qu'il y employa. Brezou devint, par suite de temps, Brezii, de là Brezil. Le mot Brezou a été aussi laissé par les Phéniciens sous une autre forme, dans notre continent, obryzon, pour signifier de l'or natif, ou apyre. Mais en voici assez pour mon but. Le planisphère que M. de Villoison a rapporté de Venise à Louis XVI, prouve, sans réplique, que les Antilles étaient connues avant Colomb. Nous avons même la date d'une émigration portugaise aux Antilles, vers le septième siècle.

[194] Je me sers de cette expression du peuple, pour rendre l'idée du texte.

[195] Voyez liv. 7, et la note sur ce petit poisson.

[196] Espèce de raie qui a le museau très allongé. Raia oxyrynchos major, Linné, § 114, n° 3.

[197] Kallibioo dans les textes. Le manuscrit A porte, au-dessus, kybioo, c'est aussi ce que lit Daléchamp. Pursan et Casaubon admettent la correction. Ce serait donc du thon coupé par tronçons carrés, ou en losanges. Mais je doute de la certitude de ce texte ainsi corrigé. Kallibioo dit plus que kybioo. Il y a une lettre double qui doit en rappeler une autre. Je soupçonne ici kassyou kybioo. Le kassyas est un des plus grands thons. Ce nom assez rare, insolite pour les copistes, leur aura paru une erreur, et ils auront écrit kallibioo, à tout hasard. Hésychius donne ce mot comme particulier à la Pamphylie; mais on sait qu'il se trompe assez souvent, en restreignant au continent des mots qui se retrouvent chez les auteurs des îles de l'Archipel. Au reste, le lecteur prendra ma conjecture pour ce qu'elle peut valoir. Je la crois bien fondée.

[198] Synonyme de chellarez, est une espèce d'asellus, analogue, dit l'auteur, à la pélamide ; mais observez que c'est pour la qualité ou la saveur : car les comparaisons de ce texte-ci ne concernent pas la forme des poissons dont parle l'auteur. Je lis ensuite pompiloo, ou apolectoo, pour pobypoot quoi qu'en dise Casaubon, qui a cru que pompilus désignait ici le nautile. J'ai montré qu'en parlant du nautile il fallait lire pontilos, non pompilos, qui est une des espèces de thon dont il s'agit ici. L’apolecte est, dans Pline, liv. 9, ch. 15, un tronçon de pélamide; mais liv. 32, ch. 13, c'est la grande pélamide même. On voit que l'auteur ne veut parler ici que des espèces de thons, ou des analogues, dont il compare les qualités à celles de moindres poissons bien connus.

[199] Leçon de tous les textes, masculine sous forme féminine. Singulier, hostas, ou kostias. Hésychius l'explique par koilias et komoros. Le koilias, ou kolias, est connu. Komoros a aussi paru être pour kammaros, la grande squille, ou l'écrevisse; mais Wotton a entendu hostai d'un grand cétacée, comme parle aussi Hésychius, mega keetos, en expliquant le mot kemmor, ou peut-être chemor. Ce mot serait le phénicien chemar, qui se disait d'un grand corps, et signifiait en même temps plongé, submergé. On aurait dans ces idées celle d'un grand cétacée. Le mot keetos ne désigne souvent» chez les Grecs, qu'un grand poisson proprement dit, non un cétacée, ainsi ce pourrait être, ou des analogues du thon, ou le thon à certain âge, selon l'idiome de Diphile. Quant au xanthias, est-ce le xantochroos, ou surmulet? Il ne faut rien changer, sans preuves.

[200] Ce mot signifie, qui peut se diviser par tronçons. Pelagion signifie, de haute mer, ou qu'on prend très rarement près du rivage.

[201] J'ajoute, allois de mee, pour le sens. Quant au mot troupe, il faut l'entendre de poissons qui marchent réunis pour voyager, ayant un des leurs en tête, comme conducteur; ce qui les distingue de ceux qui ne se rassemblent qu'au hasard, et se quittent ou se divisent pour aller, les uns d'un côté, les autres de l'autre ; ce que j'aurais dû dire plus tôt.

[202] Quelques médecins du dernier siècle ont même attribué à la chair de thon la vertu de guérir de la rage : c'est ce qu'a répété Balthazar Pisanelli, médecin de Bologne, dans son Traité des aliments, p. m. 110. Cela est aussi faux que la vertu qu'on attribuait à celle de surmulet, de guérir les maléfices faits avec le sang périodique des femmes. Mais on peut compter sur le ver de mai étouffé dans le miel, dans les cas d'hydrophobie imminente ; en attendant que le gouvernement ait propagé la plante que M. de Gallitzin a envoyée à feu de Buffon, comme remède souverain dans l'empire russe.

[203] Idée fondée sur un préjugé qu'il est inutile de combattre ici. La physiologie était une science très obscure pour la plupart des anciens, faute de connaissances exactes en anatomie.

[204] Corrigez ici epseesis, avec les manuscrits, pour opseesis.

[205] Voyez liv. 7.

[206] L'auteur des trois livres de la Diète, attribués à Hippocrate, ordonnait aussi ces mêmes poissons comme très bons.

[207] C'est le sens qu'a euogkos, dans Hippocrate.

[208] Apolausis n'est pas ici le plaisir du manger, mais la substance qu'on en tire. Ceci est dans les principes d'Hippocrate, qui dit que les aliments ne sont nutritifs qu'autant qu'ils sont fluides. Vérité digne de ce grand homme.

[209] Les médecins de Cnide, antérieurs à Hippocrate lui-même, Galien, Paul d'Egine, ont tous défendus les substances alimentaires grasses.

[210] Limnaion est ici pour limnazein. A la lettre, la stagnation est la putréfaction de l'eau. On aurait peine à croire combien il s'exhale de miasmes putrides du fond des étangs, même de ceux dont l'eau paraît la plus claire, pendant un été chaud et non venteux, ou calme. C'est la vraie cause de nombre d'épidémies et de maladies épizootiques, et à laquelle on pense peu. Que sera-ce s'il y a des marais ou des lagunes croupissantes?

[211] Je lis ici, hoi te pyrhoothentes. Le texte porte, hoi te pyrountes. Casaubon fait trois mots de pyrountes, savoir, epi rhoun iontes. Nonnius a rejeté avec raison cette correction absurde, et adopte le sens que Gesner a donné à pyrountes, les truites. Mais pyrountes est ici un mot précaire, quoique relatif, en apparence, à la couleur de la truite. Le but de l'auteur est de dire la manière dont on doit manger les poissons dont on parle, comme on le voit par tout ce qui précède. Mnésithée conseille de les faire griller, parce que ces poissons ne sont jamais, ni gras, ni flegmatiques. Ainsi je renonce à toute autre idée que celle que je suis, d'autant plus que pyroothentes est très grec, et pyrountes ne l'est pas. Nonnius a suffisamment prouvé le faux du raisonnement de Casaubon, lib. cit. ch. 30. Je crois cependant, avec Nonnius, qu'on peut entendre de la truite ce que dit l'auteur, mais non exclusivement en vertu du mot grec.

[212] Casaubon a vu l'ordre du texte, excepté autou, qu'il faut, comme adverbe, au dernier vers, pour ton. Mais il a manqué le sens. Dialabein, pris du simple laboo, signifie, le plus souvent, distribuer par ordre, diviser par mesures. Le mot helleenikoos du texte, rappelle le proverbe : Bibere more grœco, qui est dans Cicéron et autres. Or, c’était ce que les Grecs disaient autrement kyathizein, boire par cyathes ; expression qui n'est pas inconnue dans Horace : Ternos ter çyathos, etc. Mais on passait quelquefois la douzaine en buvant, pour saluer les dieux, les amis, les amies, ou l'on buvait autant de cyathes qu'il y avait de lettres dans le nom de celui ou de celle à qui l'on buvait ; ainsi l'on était bientôt ivre. Cette expression rappelle aussi l'usage où l'on était de demander de plus grands gobelets, lorsqu'on était en train. Cicéron la prend aussi dans ce sens; et Horace a dit : Capaciores adferpuer scyphos, etc. ainsi dialabein kraipaleen helleenikoos signifie, à la lettre, s'enivrer, more grœco, à la grecque, de l'une ou de l'autre manière. Voyez Stuck, Antiq. Conviv., fol. 237, et 238. Un parasite devait suivre l'exemple des autres, quoiqu'il s'excuse ici de ne pas pouvoir le faire. Si le sens de Casaubon avait été admissible, j'aurais rappelé ce que dit l'auteur à la fin du liv. I, sur les Préservatifs contre l'Ivresse, indiquant ensuite Stuck, ibid., fol. 325, verso, seq.

[213] On a déjà vu que c’était une partie du souper qu'on présentait à Hécate, et que les pauvres le mangeaient pour elle. Les pauvres, dit le Schol. d'Aristophane, doivent vivre des offrandes qu'on fait aux dieux, p. 63. Aujourd'hui, ceux qui ont fait vœu de pauvreté sont dans l'abondance, et ceux qui les nourrissent de leur travail gémissent dans l'indigence et la misère.

[214] Texte, pater. Mot d'amitié d'un maître a son esclave âgé. Par poisson en âge de raison, entendez des gros.

[215] Je lis, à la fin de ce vers, esti men eis argyron. Casaubon ne l'a pas entendu. Argyrion est de l'argent monnayé, ou de la monnaie. Ar-gyros, de l'argent en masse ou en lingot. Le domestique veut dire ici deux choses « : d'abord il faut qu'il y ait de petits poissons pour en avoir de gros; ainsi les petits ne sont pas à mépriser : ensuite il demande adroitement de la monnaie, comme dans le passage précédent, pour avoir ces gros poissons. » Mais que veut dire dans Casaubon, l'argent monnayé n'est pas de l'argent. A quoi cela tend-il?

[216] Ce passage a déjà été cité en partie.

[217] Texte, dasypous, qui indique aussi le lièvre blanc. Pline, liv. 8, ch. 55. Voyez Brotier, ibid.

[218] Corneille. Je trouve ici, dans le manuscrit A, eu thys eu hee gynee, d'où je fais ethysen hee g.; mais auparavant lisez all’ei, mais si ma femme, etc. Cette idée d'Adam fait le vers.

[219] Il nomme plus haut Philippe. Il y a ici erreur de copiste.

[220] On a dit lachos, lachon et lachmos, portion déterminée, ration ; en latin, sors.

[221] Je lis pant' amemptos, avec mes manuscrits, comme Schott l’avait vu dans le sien.

[222] Les vers sont scazons. Athénée confond plusieurs fois le nom des vers. On voit ici régulièrement un spondée au sixième pied. Adam.

[223] Je lis ainsi régulièrement ces vers, que Casaubon estropie.

Dos, oo anax! dos kaisy polla moi nymphee :

Nomos koronee cheira doun' epaitousee.

Toiaut' eidoos sy, dos ti h. k.

Koroonee, au datif, a ce second vers. Je résous seulement oonax, le reste est autorisé par le manuscrit A, et tout est exact. Doun est pour dounai. Les apostrophes ont souvent induit les copistes en erreur, comme l’avait observé Ganter, dans Ratio emendandi, etc., p. 59. Le troisième vers, qui est ici, s'adresse à un autre qu'à la fille.

[224] Il faut garder la seconde personne que Casaubon et Meursius, Grœc. fer., p. 278, ont changé mal à propos.

[225] Dans mes manuscrits, kannystron. Ensuite les manuscrits portent mikka men enti par mikra, etc. Ce passage dorique a été tout défiguré, pour la forme, quoique le sens y soit.

[226] Les portes se partageaient en deux valves, mais horizontalement. Ces battants s'ouvraient en dehors; ce qui obligeait de frapper en dedans lorsqu'on voulait ouvrir pour avertir les passants de se ranger. Le battant supérieur, attaché au linteau par deux gonds, ou pentures, se levait comme un appentis. C'est cette partie qu'ils menacent d'enlever, non le linteau. Il eût fallu attaquer le mur ; ce que le» interprètes n'ont pas observé.

[227] Lisez katoikisantoon.

[228] Y compris tous ses habitants.

[229] Pour ne pas trouver d'obstacles.

[230] Je trouve, dans les nouvelles (la Frégone) de Cervantès, un ânier qui reproduit la même pensée sous une forme différente. Ayant perdu son âne aux cartes, il refuse de le céder, « parce que, dit-il, je n'ai pas joué la queue : or, la queue fait une pièce différente de la totalité de l'âne ; ainsi qu'on me donne la queue, et je céderai l'âne. » Du plus haut au plus bas étage, l'homme est partout le même. Les grands ne sont que trop souvent âniers dans leurs procédés.

[231] Terme vague chez les Grecs, et qui souvent ne signifie qu'une gouvernante, une duègne.

[232] Ce passage ne se trouve ici que parce qu'il y est parlé de poisson.

[233] En Ionie.

[234] D'autres écrivent Palilies, fête champêtre plus ancienne que Rome; ce dont conviennent plusieurs écrivains. Ils ont raison. C'est une des fêtes les plus anciennes du globe. Voyez Ovide, Fast. liv. 4, v. 717, et son excellent interprète Néapolis : les commentateurs de la collection des poètes bucoliques latine, in 4°, etc.

[235] On ne doutera pas de ce sens en lisant l’Adrien d’Ælius Spartianus. Il aimait à disputer avec les savants. Un jour qu'il reprenait Favorinus sur un mot, celui-ci lui céda. Les amis de Favorinus le blâmèrent décéder ayant raison. Comment! répondit Favorinus, vous ne voulez pas que je cède à un homme qui a trente légions pour me prouver qu'il est plus savant que moi?

[236] Odyssée, liv. I.

[237] Je ne vois que ce mot vulgaire pour rendre le terme grec ici. Il se prend aujourd'hui pour une partie de divertissement, où l’on chante, danse, boit.

[238] Quartier des filles de joie, connu par Horace et autres. Il ne faut pas oublier que ces discours se tiennent à Rome, selon l'auteur. Schotte, qui cite les manuscrits, a conservé ek gees, pour ek tees, mais à tort.

[239] Voyez Schott, Proverb. Zenob. Suid.

[240] Casaubon corrige mal ici. Il faut lire hoo, au datif : hoo, phile, epitimas, non oo p. e.

[241] Lisez Theores. C’étaient des personnages revêtus, pendant certain temps, d'un caractère sacré, en vertu duquel ils allaient offrir à Délos, à Delphes, des sacrifices particuliers pour la ville d'Athènes. Voyez le Mémoire de Valois sur les Amphictyons, t. 3, p. 226 ; Académ. Inscript., Part. ii.

[242] Je suis l'idée de Casaubon, faute de mieux. Je trouve, dans les manuscrits, ballizontes siosson, etc.; ce qui peut-être ballizousin, hosson, etc. ou ballizontes, thiasoon chreema ees ; « les autres dansaient, de sorte qu'on eût dit des thiases, ou compagnies de gens livrés à la joie. » Ce mot paraît plus bas, simple et composé. On y voit même siasoi, pour thiasoi, selon les Lacédémoniens ; ce qui pourrait être la leçon de notre texte, siasoon. Ensuite on peut lire kaloos te, pour kai loo te, dansaient avec grâce à la lueur des flambeaux. Au reste, il ne nous faut dans ce passage que le mot ballizein.

[243] Au défaut de ces passages omis, on lira avec plaisir les détails de Vopiscus, dans son Aurélien, nos 6 et 7; et les remarques de Saumaise sur les ballistea, ou chant, qui accompagnaient ces danses; d'où nous avons déduit le mot balle, ballet, qu'on croit cependant venir de ballare. V. Trévoux, et le Traité de la danse de Cahusac, t. 2, p. 71. Ces danses tenaient plus du caractère de la danse ambiguë de Platon, Lois 7, que de tout autre.

[244] Passage déjà cité : interroger et répondre.

[245] Répétition : l'auteur a considéré ces mots dès le commencement de son ouvrage.

[246] Syneran n'est pas ici s'entraimer, mais proprement faire ensemble, (comme nous disons au jeu de l'ancien verbe erhaoo, pour rhaoo, rheoo, rhezoo, faire. Erhan ne vient certainement pas d'erhanos, car il ferait erhanein, mais erhanos vient du verbe. Le mot est d'origine égyptienne.

[247] Je suis obligé de paraphraser cet endroit pour être plus clair.

[248] Pour trouver ici un vrai sens, il faut supposer que dapanee est présenté ici pour lapnnee, hoion lapanees. On voit alors les deux sens pris en un seul, mais qui n'existe que pour la forme. On peut passer ces détails peu faits pour plaire à nos oreilles, et mal vus par notre auteur.

[249] Je suis encore obligé de paraphraser; mais on verra, dans l'Economie d'Hippocrate, de meilleures choses aux mots lapara, laptein. Laissons à l'auteur ses misérables étymologies.

[250] Ou, en ouvrant les lèvres, mais uniquement par passion. Katagloottizein était le vrai baiser chez les Grecs : lingua labris inserta.

[251] Texte des manuscrits, alla hai sigêen agathon, etc.

[252] C'est ce qui a déjà été dit. Voyez Macrobe, Saturn., liv. 2, ch. 6.

[253] Thymos est ici désir fondé sur le besoin, comme Hippocrate prend ce mot, pour orexis.

[254] Daléchamp lisait doulois, esclaves, au lieu de pollois, qui que ce soit. Je ne doute pas de la vérité de cette correction, quoique je ne la suive pas dans le texte. Les copistes, confondant oihetees et doulos, serviteur volontaire, avec serviteur esclave, auront changé doulois en pollois. On a vu dans notre auteur que ces deux mots désignaient des personnes différentes. On peut voir Pignorius sur ces menaces faites aux esclaves.

[255] Ce n'est pas là le vrai sens que ce vers a dans Homère. Il s'agit de guerriers qui mangent avant d'aller au combat : sage conduite à laquelle j'ai vu faire très peu d'attention lorsque j'étais au service. Comment veut-on qu'un soldat à jeun soutienne un choc, même de peu de durée.

[256] C’était le nom qu'on donnait à celui qui enseignait les lois du rythme. Cet art se nommait rythmopée. « Elle avait pour objet, dit Rousseau, le mouvement ou le temps dont elle marquait la mesure, les divisions, l'ordre et le mélange, soit pour émouvoir les passions, soit pour les changer, soit pour les calmer. — Mais elle se rapportait principalement à la poésie, parce qu'alors la poésie réglait seule les mouvements de la musique, et qu'il n'y avait point de musique purement instrumentale, qui eût un rythme indépendant. » Quant à la pièce du Chiron, Nicomachus l'attribue formellement à Phérécrate, liv. 2, p. 30, édit. Meibom.

[257] Texte, ne se rappelle absolument pas, etc.

[258] Il ne manque rien ici.

[259] L'auteur omet le vers pentamètre de Théognis, et n'achève pas le suivant comme ce poète.

[260] Je lis ici, comme tout homme sensé lira,

Eit' oud' an tauta prattomen, kai thyomen.

Les copistes ont fait panta de tauta. L'erreur du p pour le t a déjà été notée par Canter, Rat. emend., p. 27. La correction de Casaubon m'étonne, tant elle est absurde.

[261] Texte, agapeeton. On n'a pas fait assez d'attention au vrai sens de ce mot.

[262] Il y a ici une lacune, et le manuscrit A laisse un petit intervalle. J'y supplée par ce que je mets en italique pour lier le discours.

[263] Texte, agathoon, mais le manuscrit A indique à propos agathon, de la même main.

[264] Je garde de après toutoon. Le dei de Casaubon est inutile, puisqu'axion précédent, régit an helein, qu'il faut lire de deux mots, non anelein.

[265] D'abord en n'offrant rien que de mauvais; ensuite ne le faisant pas avec le respect dû aux dieux.

[266] Texte, eiasa. Prenez an du vers suivant, pour le placer après ouk.

[267] Texte, ex epidomatoon, comme ex epidoseoos, ou epimetron, le par-dessus.

[268] C’était une addition au repas, laquelle, ou se payait en commun, ou était envoyée par quelqu'un, etc.

[269] Ce que nous dirions coteries.

[270] Je garde epikleerousi, que Casaubon change mal à propos.

[271] D'autres lisent Vénale.

[272] Symbolee, la part que chacun apportait à un repas, serait différente de symbolon, gage donné à celui qui dans une compagnie se chargeait de commander le repas.

[273] L'auteur a peut-être écrit : « Cet entretien sur les poissons se terminant ici, il est à propos que je finisse aussi mon livre. » Il n'y a qu'un mot à mettre à la place de l'autre, c'est-à-dire, logon, auparavant, et ensuite syggramma

[274] Texte, buisson. Je prends un sens général. Ces Métamorphoses d'Empédocle ont été joliment commentées dans le Spectateur Anglais. C'est une lettre qu'un singe est supposé avoir écrite, et que sa maîtresse lui surprend.