ATHÉNÉE DE
NAUCRATIS
LIVRE VI. - Tragédie : liberté qu'elle permet aux poètes. Donner et restituer ; expressions tournées en plaisanterie contre Démosthène. Marchands de poisson ; leurs friponneries. Passion des Grecs pour le poisson. Opsonomes, officiers ou inspecteurs des repas à Athènes. Poêle à frire. Vases d’argent, époques de leur usage. Rareté de l’or et de l’argent. Offrandes faites en airain, en argent, en or à Delphes; quand et par qui d’abord. Cordistes Gaulois, restes de l’année de Brennus, méprisaient l’or, mais étaient avides d'argent. Parasite, nom d'une dignité et de personnages méprisables. Longs détails à ce sujet. Flatteurs : noms de plusieurs de ces vils personnages. Princes ou Rois qui en ont eu auprès d'eux. Bouffons; Rois qui en ont eu auprès d'eux. Esclaves, leur grand nombre, à Rome surtout. Dénominations des différents esclaves chez plusieurs peuples. Eloges de plusieurs Romains qui n'en ont eu que peu. Frugalité des premiers Romains. Lucullus introduit à Rome le luxe des nations vaincues. Sobriété des anciens peuples de l'Italie. Luxe du temps de Théopompe l’historien.
Le Livre VΙ des Deipnosophistes
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
trADUCTION
LE BANQUET DES SAVANTS D'ATHÉNÉE.
LIVRE SIXIÈME.
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Tragédie : liberté qu'elle permet aux poètes. Donner et restituer ; expressions tournées en plaisanterie contre Démosthène. Marchands de poisson ; leurs friponneries. Passion des Grecs pour le poisson. Opsonomes, officiers ou inspecteurs des repas à Athènes. Poêle à frire. Vases d’argent, époques de leur usage. Rareté de l’or et de l’argent. Offrandes faites en airain, en argent, en or à Delphes; quand et par qui d’abord. Cordistes Gaulois, restes de l’année de Brennus, méprisaient l’or, mais étaient avides d'argent. Parasite, nom d'une dignité et de personnages méprisables. Longs détails à ce sujet. Flatteurs : noms de plusieurs de ces vils personnages. Princes ou Rois qui en ont eu auprès d'eux. Bouffons; Rois qui en ont eu auprès d'eux. Esclaves, leur grand nombre, à Rome surtout. Dénominations des différents esclaves chez plusieurs peuples. Eloges de plusieurs Romains qui n'en ont eu que peu. Frugalité des premiers Romains. Lucullus introduit à Rome le luxe des nations vaincues. Sobriété des anciens peuples de l'Italie. Luxe du temps de Théopompe l’historien.
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[222a ]Mon cher Timocrate, puisque vous me prévenez, et continuez à me demander ce qui s'est dit à table entre nos savants,[1] présumant que je puis toujours trouver matière à vous entretenir, je commencerai par vous rappeler ici ce que dit Antiphane, dans sa pièce intitulée la Poésie :
« La tragédie jouit en vérité de bien grandes faveurs! en effet, les spectateurs n'ont pas plutôt entendu nommer le sujet, qu'ils savent ce qu'on va dire, même avant qu'un acteur ait parlé ; [222b] de sorte qu'il suffit au poète, de rappeler son héros. Si je homme seulement Ulysse, on soit tout ce qui va suivre; Laïus son père, Jocaste sa mère, ses filles, ses fils, tout, est présent : On voit ce qui va lui arriver, ce qu'il a fait. Si d'un autre côté, l'on nomme Alcméon, les enfants même disent, il a tué sa mère étant en fureur. Adraste paraîtra en colère, mais il s'en retournera[2]……………………..
« Lorsque les poètes tragiques n'ont plus rien à dire, [222c] et ne savent plus quel parti prendre dans leurs pièces, ils lèvent une machine,[3] comme on lève le doigt, et cela suffit aux spectateurs. [223a] Nous autres, nous n'avons pas ces ressources ; mais il nous faut tout imaginer le sujet, ce qui l'a précédé, l'action, la catastrophe, le prologue : qu'on omette l'un ou l'autre, Chrémès, ou Phidon sera sifflé, tandis qu'il est permis à Pélée, à Teucer de faire cette omission: »
Diphile a dit, dans ses Hélénophores[4]
« O toi qui possèdes et protèges le lieu sacré de Brauron, chéri des dieux! vierge qui domptes tout par ton arc, [223b] fille de Latone ; comme parlent les tragiques, à qui seuls il est permis de dire et de faire tout ce qu'ils veulent! »
2. Timoclès, disant que la tragédie est d’une grande utilité pour la vie, s'explique ainsi, dans ses Dionysiazuses :
« Mon cher, écoute ce que je vais te dire : L'homme est de sa nature un être sujet à bien des peines. La vie est de sa nature la source de mille afflictions : or, voilà[5] les moyens, qu'il a trouvés pour diminuer ses soucis. Consolé par l'exemple des maux d'autrui, [223c] son esprit oublie volontiers les siens, et sort même du spectacle avec quelques instructions : ainsi, vois d'abord, si tu le veux, combien les tragiques sont utiles à la vie. Qu'un pauvre aperçoive un Télèphe encore plus pauvre.que lui, en supporte plus facilement sa pauvreté. Un autre est-il maniaque? qu'il considère Alcméon : celui-ci a-t-il les yeux malades? il verra au spectacle les fils de Phinée aveugles. [223d] A-t-on perdu ses enfants? l'exemple de Niobé calme la douleur : un tel est boiteux, mais il voit que Philoctète l'est aussi; un vieillard gémit sous le poids des malheurs, Œnée devient son tableau : c'est ainsi que chacun, regardant les malheurs d'autrui comme plus considérables que les siens, supporte plus facilement ses propres maux. »
3. Ainsi, mon cher Timocrate, je ne vous donne pas, mais je vous rends les reliefs de nos savants convives, pour parler avec l'orateur Cothocide, qui se moquait, en ces termes-là, de Démosthène.
« Philippe donnant Halonnèse[6] [223e] aux Athéniens, Démosthène leur dit : « Ne la recevez pas s'il vous la donne à titre de présent, mais s'il vous la remet à titre de restitution. » C'est ce dont Antiphane a fait une plaisanterie dont il s'amuse aux dépens de Démosthène, dans sa Néottis, ou sa jeune Agnès. »
« A. Or, mon maître à eu de son père tout ce qu'il devait en attendre, mais en le reprenant. B. Avec quel plaisir Démosthène aurait saisi cette expression!»
Alexis a dit, dans son Soldat :
« A. Eh bien, le reprends-tu? B. De quoi? A; C'est l’enfant que tu m'avais donné ; je viens té le rapporter.[223f] B. Comment, tu ne veux plus relever! A. Il n'est pas à nous. B. Ni à nous non plus. A. Mais c'est vous qui me l'avez donné. B; Non, nous ne l'avons pas donné. A. Quoi donc! B. Nous vous rendons ce qu'il ne m'était pas permis de recevoir. ».
Il dit, dans ses Adelphes :
« A. Je leur ai donné quelque chose, n'est-ce pas? B. Non, mais tu le leur as rendu ce que tu avais reçus pour gage. »
[224a] On lit, dans l’Evandrie d'Anaxilas :
« Par la terre, ne donne pas des palœstres![7] mais rends-les, et je les emporte en m'en allant. »
Timoclès écrit, dans ses Héros :
« Ainsi ordonnez que je vous raconte toute autre chose que ce dont vous me parlez, et je le ferai pour vous. D'abord j'apaiserai Démosthène qui est fâché contre vous; car c'est un Briarée qui avalerait[8] et lances et catapultes, [224b] et qui ne veut pas de raisons. Jamais il ne s'amuse à répondre à une objection ; mais lançant un regard aussi furieux que Mars... »
C'est donc conformément à ce que disent ces poètes que je vais, non vous donner, mais vous rendre la suite des discours de nos convives.
4. Ainsi nous vîmes entrer des esclaves, apportant quantité de poissons de mer et d'étang, sur des plats d'argent; la richesse du service était aussi étonnante que l'éclat de l'appareil. Il ne manqua plus que d'y faire paraître toutes les Néréides. [224c] Quelques-uns des parasites et des flatteurs dirent même : « Certes, c'est Poséidon[9] qui envoie tous ces poissons à notre Neptune en présent, non par ces hommes qui les vendent à Rome au plus haut prix ; mais les uns étaient apportés d'Antium, les autres de Terracine, ou des îles Pontia[10] qui sont vis-à-vis, ou de Pyrges, ville de Toscane. » En effet, ces poissonniers de Rome sont à peu près les mêmes que ceux sur lesquels les comédiens d'Athènes ont souvent plaisanté. Voici ce qu'en dit Antiphane, dans ses Adolescents :
« Pour moi, j'avais regardé les Gorgones comme une pure fiction; mais à peine suis-je au marché [224d] que j'en crois la réalité. Lorsque j'y jette les yeux sur les marchands de poisson, je suis tout à coup pétrifié, au point que je n'ose plus leur parler qu'en tournant la tête. En effet, je reste tout stupéfait en les entendant dire combien ils vendent un petit misérable poisson. »
5. Chap. II. On lit, dans le Plane d'Amphis :
« Il est dix mille fois plus facile d'approcher un Général d'armée pour lui parler, et d'en avoir une réponse, que ces maudits poissonniers au marché. Si vous leur demandez, combien cela? [224e] ils manient celui-ci ou celui-là, baissant la tète comme Télèphe, mais d'abord sans parler (et ce n'est pas sans raison, car tous ces gens sont autant d'assassins) ; l'un paraissant vous écouter, l'autre, ne faisant aucune attention retourne et repousse un polype : un troisième marmotté entre ses dents, ne répondant qu'à demi-mot, et vous dit, en retranchant une syllabe, taroon,[11] oboloon, quatre oboles, c'est le prix : ce spet vaut huit oboles, kt' oboloon.[12] Il faut donc entendre tout cela, si Ton veut aller au «r marché. »
[224f] Alexis fait parler ainsi un acteur, dans son Apeglaukomène :
« Je ne suis pas absolument choqué de voir que des Généraux d'armée froncent le sourcil; mais je suis surpris que des gens à qui la ville rend quelques honneurs particuliers, soient plus fiers que les autres citoyens. D'un autre côté, j'étouffe de rage lorsque je vois ces maudits poissonniers baisser les yeux, et vous avoir les sourcils plus hauts que le sommet de la tête. Demandez-leur combien ils vendent deux muges : dix oboles répondent-ils. Mais c'est bien cher! [225a] En voulez-vous huit? Oui, si vous n'en prenez qu'un. — Allons, mon ami, prenez mon argent, et ne bernez pas des gens qui ne sont pas faits pour être badines. — Passez, passez plus loin. — Eh bien, cela n'est-il pas plus amer que la bile même! »
6. On lit, dans le Curieux de Diphile :
« Je m'imaginais autrefois qu'il n'y avait de poissonniers fripons que ceux d'Athènes ; mais partout c'est une engeance naturellement aussi disposée à ravir qu'une bête féroce. Il y a tel qui l'emporte là sur tous les autres, et qui vous dit d'abord qu'il laisse, croître ses cheveux, pour en faire un hommage à la divinité; [225b] mais cela n'est pas vrai : c'est parce qu'il a été stigmatisé sur le front, et se sert de ses cheveux pour le couvrir. Demandez-lui — combien ce labrax (loup)? — Dix oboles ; mais il n'ajoutera pas de quel pays : or, comptez-lui son argent, il vous dira qu'il entend des oboles d'Egine; et s'il y a de la monnaie à rendre, il vous la comptera en oboles attiques. Voilà comment il tire l'intérêt de deux côtés. »
Xénarque dit, dans sa Pourpre:
[225c] « Nos poètes, eh! ce n'est plus que bagatelle! Ils n'inventent rien; ils ne font que mettre en bas ce qui était en haut. Mais il n'est personne si ingénieux que nos poissonniers, ni en même temps rien de si scélérat. Comme il ne leur est plus permis d'arroser leur poisson (la loi est formelle à cet égard), si quelque malheureux le leur voit faire, il leur cherche aussitôt une querelle : on en vient aux coups. [225d] Le poissonnier fait semblant d'être violemment frappé, se laisse tomber, et s'étend par terre, comme près de rendre l'âme. Un de ses camarades saisit aussitôt plein un pot d'eau, ne lui en jette que quelques gouttes, et répand tout le reste sur ses poissons, de sorte que. Vous diriez qu'ils viennent d'être péchés. »
7. Antiphane remarque aussi qu'ils vendaient des poissons morts et pourris. Voici ce qu'il dit, dans ses Adultères :
[225e] « Il n'y a pas d'animal plus malheureux que le poisson ; car ce n'est pas assez pour-ceux qui sont pris d'être condamnés à la mort, et d'être bientôt ensevelis dans le ventre de ceux qui les mangent ; les malheureux, sont en outre livrés, à de scélérats poissonniers, pour rester chez eux deux ou trois jours à pourrir. S'ils trouvent un acheteur aveugle, vite ils vous lui laissent enlever leurs morts. Mais celui-ci, averti par l'odeur dès qu'il est au logis, ne tarde pas à les jeter. »
[225f] Il dit, dans son Philothébain :
« N'est-il pas révoltant que celui qui vend du poisson bien frais fronce le sourcil, et ne vous parle que d'un ton bourru, tandis que celui qui en vend de pourri, se met à rire et à faire le plaisant? Ils devraient justement l'un et l'autre faire le contraire; le premier, rire ; le second, pleurer[13] de son impudence. »
Alexis nous apprend, dans sa pièce intitulée les Pylœes, qu'ils vendaient le poisson très cher :
[226a] « Par Minerve! je suis étonné, certes, que tous les poissonniers ne deviennent pas riches, percevant sur le peuple des tribus tels que ceux d'un roi. Assis[14] dans nos villes, ils tirent presque la dîme de tous les biens : chaque jour il y a même quelque maison qu'ils ruinent. »
8. Le même poète dit, dans sa pièce intitulée la Marmite :
« Il n'y a pas eu de plus sage législateur que le riche Aristonicus. Il établit pour loi de mettre en prison tout poissonnier qui, faisant [226b] son poisson tel prix, le donnerait à moins, afin qu'ils craignissent de se dédire du prix, ou qu'ils le remportassent tout pourri chez eux, le soir. Par ce moyen, une vieille femme, un vieillard, un enfant qu'on envoie au marché, achètent à juste prix. »
Il ajoute plus loin :
« Non, depuis Solon il n'y a pas eu de meilleur législateur qu'Aristonicus : entre autres choses [226c] qu'il a établies sur nombre de différents articles, il vient de porter une loi, qu'on peut appeler loi d'or. C'est que les poissonniers seront, obligés de demeurer debout, au lieu de vendre leur poisson assis. On dit même que l'année prochaine il ordonnera qu'ils soient tous suspendus[15] ; par ce moyen, ils renverront plus promptement les acheteurs, étant forcés de vendre, élevés dans une machine comme les dieux de la tragédie. »
9. Antiphane montre bien leur perversité et leur haine pour les autres citoyens, les comparant avec tous ceux qu'on peut rencontrer de plus méchants dans le commerce de la vie. [226d] Voici les termes de son Misoponère, celui qui hait les méchants) :
« Mais les Scythes ne sont-ils pas très sages? Dès qu'il leur est né des enfants, ils leur donnent du lait de jument ou de vache, et se gardent bien de ces sorcières de nourrices, de ces pédagogues: or, je ne vois rien de pire que ces gens-là. Ces nourrices[16] surpassent même en méchanceté ceux qui rendent à fausse mesure, les charlatans des places publiques, et sont assurément une engeance bien plus détestable, [226e] à moins qu'on ne rappelle ici les vendeurs de poisson, race qui, après les usuriers, est la plus maudite qui soit sur terre. »
10. C'est aussi avec juste raison que Diphïle parle, dans son Marchand, du grand prix auquel se vendait le poisson :
« O Neptune! je ne crois pas avoir vu le poisson plus cher! Si tu prenais la dîme de ce qui s'en vend tous les jours, tu serais le plus riche des dieux. [226f] Néanmoins, si quelqu'un ne s'était mis à rire a côté de moi, j'allais donner, quoiqu'à regret, ce qu'on m'en demandait, et j'aurais acheté ce congre au poids de l’or, comme fit Priam pour obtenir le corps d'Hector. »
Alexis dit, dans son Hellenis :
« Les animaux marins nous font toujours ta guerre, soit qu'ils vivent, soit qu'ils se trouvent morts. Qu'un vaisseau chavire, et que, comme il arrive assez souvent, quelque personne à la nage[17] soit saisie par un poisson, ri vous la dévore aussitôt : [227a] si au contraire les poissons se trouvent pris par les pêcheurs, ils ruinent, tout morts qu'ils sont, ceux qui les achètent, car on nous les vend au prix de tout ce que nous possédons, et l'acheteur s'en retourne réduit à la mendicité. »
Archippus fait ainsi mention, nommément d'un vendeur de poisson Égyptien, qu'il appelle Hermée:
« Il y a un vendeur de poisson, natif de l'Egypte, nommé Hermée : c'est un franc coquin! S'il vous vend de l'ange, du chien de mer, il lui enlève la peau malgré vous : quant au loup marin, il en prend toujours les entrailles, à ce qu'on dit. »
[227b] Alexis parle d'un certain Nicion, poissonnier, dans son Epiclère.[18]
11. Chap. III. C'est sans contredit avec raison que les pêcheurs sont plus fiers de leur profession que les meilleurs Généraux d'armée. Voici comment Anaxandride en fait parler un sur son état, dans sa pièce intitulée Ulysse :
« On admire le bel art des peintres dans les tableaux, où on l'expose à la vue ; mais le nôtre, présenté dans un plat, s'enlève avec gravité. S'il est dans une poêle, il en disparaît promptement. [227c] Ça, mon cher, dis-moi pour quel art la jeunesse ose-t-elle se brûler la bouche? pour lequel fait-on claquer les doigts, et risque-t-on d'étouffer, si l'on ne peut pas avaler le morceau? N'est-ce pas le seul marché au poisson qui fournit abondamment les festins? quel homme donne un repas sans y avoir de la friture et des coracins, ou des mendoles? par quels enchantements, par quels propos un jeune damoiseau se laisse-t-il séduire, dis-moi, [227d] si l'on n'a recours à part des pêcheurs? C'est cet art impérieux qui subjugue, par le bel aspect d'un plat de poisson, une femme quelconque ; qui amène, jusqu'aux portes de la salle où l'on fait un repas, les complaisants[19] dont on a besoin, et force la nature à céder, pour prendre part au festin sans y rien payer. »
12. Voici comment s'exprime Alexis, dans son Épiclère, au sujet de ceux qui paraissent trop avides de poisson :
« Quiconque est pauvre, et achète beaucoup de poisson, [227e] ayant de quoi se fournir à cet égard, tandis qu'il manque de toute autre chose, est un homme qui va de nuit dépouiller tous les autres. Si donc quelqu'un a été détroussé, qu'il observe de bon matin celui qui va au marché au poisson ; et s'il voit qu'un homme pauvre auparavant, et vigoureux, achète des anguilles à Micion, il peut l'arrêter hardiment, et le traîner en prison. »
Diphile nous apprend qu'il y avait à ce sujet une loi à Corinthe. Voici ce qu'il dit dans son Marchand :
« A. Mon cher, voici une loi établie à Corinthe. Si nous voyons un homme dépenser beaucoup [227f] pour du poisson, et continuellement, on lui demande d'où il a de quoi vivre ainsi. S'il a un bien dont les revenus lui permettent ces dépenses, nous le laissons jouir paisiblement de sa fortune, et mener ce train de vie : mais s'il dépense plus qu'il n'a vaillant, on lui défend de continuer. N'obéit-il pas, on le condamne à une amende. Si même, n'ayant absolument rien, il vit splendidement, on le livre au maître des hautes-œuvres. B. Vraiment? [228a] A. Tu comprends bien qu'il ne peut vivre ainsi sans quelque mauvaise manœuvre ; mais qu'il faut qu'il aille détrousser les gens pendant la nuit, ou percer les murs, ou être de société avec ceux qui le font, ou être délateur dans la place publique, ou faux témoin : or, voilà l'engeance dont nous avons soin de nous purger. B. Vous faites bien, certes! Mais qu'est-ce que cela me fait à moi? A. C'est que nous te voyons tous les jours te traiter, non avec frugalité, mais splendidement; de sorte qu'il ne nous est plus possible d'acheter un misérable petit poisson. [228b] Tu nous commets tous même dans la ville, pour des légumes, et nous sommes obligés de nous battre pour du persil, comme aux jeux isthmiques.[20] Est-il entré un lièvre dans la ville, aussitôt tu l'enlèves ; une perdrix, une grive; non, par Jupiter, nous ne pouvons même plus la voir voler, à cause de vous. Pour le vin étranger, vous l'accaparez tout par le prix auquel vous le faites monter. »
Sophile nous apprend, dans son Androclès, qu'on observait le même usage chez les Athéniens.; selon lui, le sénat nommait deux ou trois opsonomes.[21]
[228c] Lyncée de Samos a fait un ouvrage sur la manière d’acheter le poisson, en faveur d'un homme qui n'achetait que difficilement:[22] il lui apprenait ce qu'il devait dire, pour son utilité, à ces assassins de poissonniers, et acheter ce qu'il voulait, sans s'exposer à rien de fâcheux.
13. Ulpien ramassant encore ici les épines de ce que l'on venait de dire, demande si nous pouvions montrer que les anciens se servissent de vaisselle d'argent, et si le mot pinax (ou plat) était un nom grec. En effet, quoiqu'Homère ait dit, dans l’Odyssée :
« Le bouvier leur servit des plats (pinakas) de viande. »
[228d] Aristophane de Byzance prétend que c'est un usage assez moderne que de servir les mets dans des plats; ignorant que le même poète dit ailleurs :
« Le cuisinier prit des plats (pinakas) de viande, et les servit. »
En outre, dit-il, je demande si quelqu'un avait cette foule d'esclaves qu'on a de nos jours : si le mot teeganon se dit pour une poêle, et si tageenon ne doit pas être le seul en usage; car ne mangeons pas, et ne buvons pas toujours, comme ces affamés qu'on nomme parasites et flatteurs, à cause de leur gloutonnerie.
14. [228e] Emilien lui répondit: « Tu as le vaisseau nommé pinax (plat), dans les Thurioperses du comique Métagène ; en outre, mon cher, Phérécrate a écrit teeganon, dans ses Mendères :[23]
« Il disait avoir mangé des aphyes cuites dans la poêle (teeganou) »
Le même écrit, dans ses Perses :
« Etant assis près des poêles (teeganois) allumer du phleum.[24]
[228f] Philonide dit, dans ses Cothurnes:
« Traiter avec de la raie et des fritures faites dans les poêles (teeganois). »
Il écrit ailleurs :
« Dès qu'elle sentit l'odeur des poêles (teeganoon). »
On lit, dans l’Orthane[25] d'Eubule :
« Le soufflet de Vulcain réveille les chiens qui gardent, en irritant leur odorat par la vapeur chaude de la poêle. »
Et ailleurs :
« Toute jolie femme amoureuse court volontiers, et aime à se divertir avec une poêle. »
[229a] Le même dit encore, dans ses Titans :
« La huguenotte qui nous sourit, fait entendre dans son bouillonnement un langage barbare ; mais les poissons dansent au milieu des poêles (teeganois). »
Phrynicus rappelle aussi ce mot dans ses Tragoodes :
« Il est doux d'avoir part à la poêle sans rien payer. »
Phérécrate dit, dans ses Myrmekanthropes :
« Et toi, tu as ta part de la poêle (apoteeganizeis). »
Hégésandre de Delphes dit que les Siciliens nomment teeganon ce que nous nommons lopas,[26] et xeerotee-ganon[27] notre teeganon; [229b] il ajoute que Théodoridas dit dans un poème, en prenant teeganon pour notre lopas :
« Il fit bien cuire le grèbe[28] dans la huguenotte (dans la poêle à faire bouillir). »
Les Ioniens écrivent eeganon en retranchant le t, comme Anacréon a dit :
« Porter la main dans la poêle (eeganoo). »
Quant à l'usage de la vaisselle d'argent, mon cher Ulpien, je vois ce que je dois en penser par ce que dit Alexis, dans sa Femme exilée :
« Où y a-t-il de la poterie (keramos) à louer [229d] pour les cuisiniers? »
Car jusqu'au temps de l'empire des Macédoniens, on ne servit à table que dans des vaisseaux de terre, comme le dit Juba, mon compatriote. Les Romains devenant plus somptueux dans leurs repas, Cléopâtre, cette reine qui renversa le royaume de l'Egypte, voulut les imiter; mais ne pouvant changer le nom des choses, elle appela herame (ou poterie de terre) la vaisselle d'or et d'argent. Elle donna aussi de ces kerames pour apophorètes aux convives, et des plus magnifiques. Outre cela, elle employait tous les jours cinq mines pour la poterie de Rose, qui était toute brillante de fleurs artificielles.
Le roi Ptolémée, parlant de Massinissa, roi de Lybie, liv. 8 de ses mémoires, dit ce qui suit: On servit les Romains à table dans des kerames d'argent : quant aux desserts, la table fut ornée à la manière de l'Italie. Les corbeilles étaient toutes faites, de fils d'argent tissés comme du jonc, et la musique fut grecque.
16. [229e] Héliodore d'Athènes, qui a écrit quinze livres sur l’akropole, ou citadelle de cette ville, rapporte qu'Aristophane, qu'il fait originaire de Naucrates, dit, dans son Plutus :
A l'arrivée de ce dieu (Plutus) tous les plats de poisson parurent être d'argent, de même que tout le reste du service. Voici le passage du poète:
« Toutes les saucières, les huguenottes, les marmites devinrent de cuivre ; mais les vieux plats [229f] où étaient les poissons, furent changés en argent, et le four ne fut plus que d'ivoire. »
Platon le comique dit, dans ses Députés:
« Épicrates et Phormésius reçurent nombre de présents du Roi des saucières d'or, des assiettes d'argent. »
[230a] Sophron dit, dans ses Mimes féminins :
« L'éclat des vases d’or et d’argent faisait resplendir les buffets. »
17. Philippide, dans sa Disparition de l'argent, fait mention de cette odieuse prodigalité, rare encore alors, il est vrai, mais affectée par des étrangers nouvellement enrichis:
« Mais tout le monde me fait en vérité pitié, lorsque je vois des gens bien nés dans l'indigence, et des coquins se (aire servir une saline de deux ou trois oboles dans un plat d'argent qui pèse une mine, et pour trois sous de câpres dans une jatte [230b] d'argent qui pèse cinquante dragmes. Autrefois, à peine voyait-on quelqu'un consacrer une tasse à deux anses dans un temple, et c'était un grand présent! Mais aujourd'hui cela est rare pour une autre raison ; c'est qu'à peine en a-ton fait l'hommage, qu'un autre l'enlève aussitôt. »
Alexis introduit, dans son Hippisque, un jeune amoureux qui montre ses richesses à sa maîtresse, il lui fait dire :
« J'ai dit à mes gens (car j'en ai amené deux du logis) d'exposer en vue mes vases à boire après les avoir bien lessivés. Il y a un cyathe d'argent, des gobelets qui pèsent chacun [230c] deux dragmes, une gondole qui en pèse quatre autres à peu-près, un réfrigérant de dix oboles, et plus mince (ou léger) que Philippide; au reste cela n'a pas été mal imaginé pour le faste. Mais je connais un de nos compatriotes, gueux orgueilleux, qui, ayant pour toute argenterie la valeur d'une dragme, crie, appelle son esclave, le seul qu'il ait au monde, en lui donnant autant de noms qu'il y a de grains de sable. [230d] Strombilichide, dit-il, ne me sers pas aujourd'hui ma vaisselle d'hiver, mais celle d'été. »
On voit un pareil personnage dans la pièce de Nicostrate, intitulée les Rois. C'est un soldat fanfaron dont il parle. Or, il dit :
« Il reste une saucière, et un réfrigérant plus mince que la toile la plus, déliée. »
Chap. IV. En effet, quelques ouvriers avaient l'art de battre et allonger l'argent, de manière à le rendre aussi fin qu'une pellicule.
18. Antiphane dit aussi, dans ses Lemniènes :
« On apporta une table à trois pieds, sur laquelle, [230e] bons dieux! il y avait un fort bon gâteau et du miel dans une petite jatte d'argent. »
Sopatre, le poète parodique, dit, dans son Oreste:
« Un plat d'argent dans lequel était un tronçon de silure pourri. »
Mais il écrit, dans sa pièce intitulée la Lentille :
« Mais à ses soupers il a une saucière ornée de figures qui imitent les serpents, en relief, telle qu'en eut Thibron,[29] cet efféminé fils de Tantale, et qui a dissipé tant de talents d'argent. »
Théopompe de Chio fait mention d'un de ses concitoyens, dans les conseils qu'il donne à Alexandre, [230f] et en parle ainsi : « Il boit dans des vaisseaux d'argent et d'or, et se fait servir à table dans des plats de mêmes métaux. Bien loin d'avoir pu autrefois boire dans de l'argent, il n'avait même pas de vaisseau de cuivre, mais de terre, et quelquefois même pas entiers. »
Diphile dit, dans son Peintre :
« Il donna un dîner exquis; [231a] c'était tout ce qu'il y avait de nouveau et de plus appétissant : des coquillages de toute, espèce. Il parut une phalange de plats rangés avec le plus grand ordre ; ce qui fut suivi d'un monceau de fritures toutes brûlantes, et; de farces broyées dans des mortiers d'argent. »
On lit, dans le Médecin de Philémon :
« Un panier d'argenterie. »
Ménandre écrit, dans sa pièce intitulée celui qui se punit lui-même :
« Le bain, les servantes, l'argenterie. »
Et, dans son Hymnis :
« Mais je viens dans l'intention de prendre l'argenterie. »
[231b] Lysias, dans son Discours sur le trépied d'or, si cependant ce discours est de lui, a dit : « On pouvait donner encore de la vaisselle d'or et d'argent. »
19. Emilianus ayant dit ces choses, Pontianus prit la parole, et dit : « Oui, certes, l'or était très rare autrefois chez les Grecs. Quant à l'argent, on en tirait peu des mines : c'est pourquoi, selon Douris de Samos, Philippe, père d'Alexandre le Grand, ayant eu occasion d'avoir en sa possession une coupe d'or, la mettait le soir sous son oreiller. [231c] En outre, cet agneau d'or d'Atrée,[30] au sujet duquel il y eut des éclipses de soleil, des changements de rois, et qui a été le sujet de tant de tragédies, n'était, selon Hérodote d'Héraclée, qu'une coupe d'argent au milieu de laquelle il y avait un agneau d'or. »
Anaxymène de Lampsaque dit (dans celles de ses histoires qu'il nomme Premières) que le collier d'Ériphyle ne fut si fameux chez les Grecs, que parce que l'or était très rare de ce temps-là. C'était alors une chose bien extraordinaire que de voir un gobelet d'argent. [231d] Ceux qui passaient pour très riches, n'avaient pour boire que des vases de cuivre ; on en appelait les étuis chalcothèques,
Selon Hérodote, les prêtres Égyptiens buvaient dans des gobelets de cuivre. Il ajoute : L'on ne trouvera nulle part qu'on donnât une coupe d'argent à leurs rois lorsqu'ils sacrifiaient publiquement; et Psammitique fut le dernier de ces rois qui firent des libations avec une coupe de cuivre, les autres les ont faites par la suite avec des vaisseaux d'argent.
L'or ne brilla chez les Grecs, et l'argent n'y parut avec profusion, qu'après le pillage que les tyrans Phocéens[31] firent du temple de Delphes ; [231e] mais les puissantes richesses, selon l'expression de Pindare, ne se répandirent véritablement qu'après Alexandre, qui s'était emparé des trésors de l'Asie. C’était Gygès, roi de Lydie, qui y avait consacré les premières offrandes, tant en or qu'en argent. Avant son règne, Apollon Pythien n'avait ni or, ni argent, selon Phanias d'Erèse, et ce que dit Théopompe dans sa quarante-huitième Philippique. [231f] En effet, ils rapportent que le temple de Delphes fut d'abord enrichi par Gygès, et après lui par Crésus, Gélon et Hiéron de Sicile. Gélon y fit hommage d'un trépied et d'une victoire d'or, lorsque Xerxès marchait contre la Grèce : Hiéron y envoya de pareilles offrandes.
Voici ce que dit à ce sujet Théopompe : « Ce temple n'était autrefois orné que d'offrandes faites en airain : on n'y voyait pas de statues, mais des trépieds et des chaudières de cuivre. Les Lacédémoniens, voulant dorer la statue [232a] d'Apollon d'Amyclée, ne trouvèrent pas d'or en Grèce. Ils envoyèrent consulter l'oracle, pour savoir où ils pourraient en acheter. Il leur répondit, chez Crésus, roi de Lydie. Ils envoyèrent chez lui, et les députés en achetèrent. Hiéron de Syracuse, voulant offrir au dieu le trépied et [232b] la victoire en or natif,[32] et ne sachant, pendant un très long temps, où il en trouverait, fit enfin passer des gens en Grèce pour en chercher. Arrivés à Corinthe, ils firent les recherches dont ils étaient chargés, et en trouvèrent avec peine chez un Corinthien nommé Architèle, qui s'en était procuré une assez grande quantité, en l’achetant peu à peu pendant plusieurs années. Il céda donc aux commissionnaires d'Hiéron ce qu'ils en voulaient. Outre cela, il en prit autant que sa main pouvait en tenir, et il le leur donna. Hiéron, en revanche, envoya de Sicile un vaisseau chargé de bled, et beaucoup d'autres présents.
21. [232c] Phanias dit aussi, dans son histoire des Tyrans de Sicile, que les anciennes offrandes étaient des trépieds, des chaudrons et des poignards de cuivre, sur l'un desquels on lisait même ceci :
« Considère-moi : j'étais réellement autrefois dans la grande citadelle d'Ilion, lorsque nous, combattîmes pour Hélène aux beaux cheveux. Le prince Helicaon, fils d'Anténor, me portait; et maintenant c'est le temple du fils de Latone qui me possède. »
[232d] Sur un des trépieds, qui était un des prix proposés aux funérailles de Patrocle, on lisait:
« Je suis un trépied d'airain, et j'ai été suspendu ici comme offrande faite au dieu Pythien. Achille aux pieds légers, m'avait exposé pour honorer Patrocle, et le vaillant Diomède, fils de Tydée, m'a consacré dans ce temple, après l'avoir remporté pour prix de sa victoire, à la course des chevaux, sur les bords de l'Hellespont. »
22. Ephore, ou Démophile, son fils, [232e] parlant du temple de Delphes, dans la trentième de ses histoires, dit ce qui suit : « Onomarque, Phaülle et Phalæque, non seulement emportèrent tous les présents faits au dieu, leurs femmes prirent même, à la fin, la parure d'Ériphyle, qu'Alcméon avait consacrée à Delphes, de l'ordre du dieu même : elles prirent aussi le collier d'Hélène, offert par Ménélas. L'un et l'autre avaient consulté l'oracle. Il répondit à Alcméon, qui lui demandait comment il pourrait être délivré de sa fureur :
« Tu me demandes d'être délivré de ta fureur, [232f] ce qui serait une faveur insigne. Fais-moi, de ton côté, un don précieux, en me consacrant la chose pour laquelle ta mère précipité Amphiaraüs sous terre avec ses chevaux. »
Quant à Ménélaüs, il demandait comment il pourrait se venger de Paris, (On lui répondit) :
« Ote du cou de ton épouse la parure que Vénus lui avait donnée, et qui lui fait tant de plaisir : apporte-la ici, alors tu te vengeras de Pâris de la manière la plus sanglante. »
[233a] Il survint un différend entre les femmes au sujet de cette parure, lorsqu'il s'agissait de décider laquelle aurait l'un ou l'autre collier. Elles tirèrent au sort L'une, d'un caractère sombre, et toujours grave dans sa conduite, eut celui d'Eriphyle; l'autre, personne très belle, mais libertine, eut celui d'Hélène. Ayant conçu de la passion pour un jeune homme de l’Épire, elle s'en alla avec lui; l'autre fit périr son mari dans une embûche.
23. Platon et le divin Lycurgue excluaient de leurs républiques tout ce qui tenait à la magnificence, sans excepter ni l'or ni l'argent, persuadés que de tous les métaux, le fer [233b] et le cuivre suffisent au commerce de la vie. Ainsi, ils avaient banni ces autres métaux comme la peste des villes bien réglées.
Zénon le Stoïcien, qui regardait tout comme indifférent de soi-même excepté la manière honnête d'en faire usage conformément à la nature, défendait de rechercher ou de fuir ces métaux. Il conseillait d'user des choses simples, sans exclure celles qui sont par elles-mêmes superflues,[33] mais après avoir bien réfléchi, afin que les hommes, tenant leur âme dans une assiette [233c] où elle fût autant éloignée de la crainte que de l'admiration, pussent choisir entre les choses qui ne sont par elles-mêmes ni honnêtes, ni honteuses, user de celles qui se trouvent en général conformes à la nature, et s'abstenir de ce qui est contraire, sans être condamnés par la réflexion, ou arrêtés par la crainte.
En effet, la nature n'a excepté[34] aucun de ces métaux mentionnés, du commerce de la vie : elle en a seulement caché des veines sous terre ; ce qui en rend les exploitations très difficiles et pénibles : de sorte que ceux qui cherchent ces richesses n'en acquièrent la possession qu'avec les plus grands travaux. Ainsi, les mineurs et ceux qui rassemblent les produits de leurs exploitations, n'obtiennent la jouissance de ces biens éclatants qu'au prix de peines infinies.
[233d] Il est vrai que la nature semble leur en présenter l'appât (car on en voit à la superficie du sol) aux extrémités[35] de la terre, où des fleuves roulent çà et là des grains d'or dans leurs lits. Des femmes et des hommes, peu susceptibles de grands travaux, les enlèvent avec des sables qu'ils triturent, les séparent en les lavant, et les portent au creuset, comme cela se fait chez les peuples voisins des rivières, selon mon compatriote Posidonius, et chez d'autres nations Celtes. Une forêt s'étant embrasée dans les monts que l'on appela d'abord Riphées, ensuite Olbies (ce sont maintenant les Alpes[36] [233e] de la Celtique), l'argent y coula sur le sol. Cependant, la plus grande partie de ces métaux précieux ne se tire que des mines qui demandent le plus pénible travail, selon Démétrius de Phalère : c'est-là que la cupidité va chercher à faire sortir Plutus des entrailles de la terre. Il ajoute donc fort sensément que les entrepreneurs, après avoir dépensé ce qu'ils avaient de bien évident pour des choses qui leur étaient cachées, n'ont pas eu ce qu'ils espéraient, et ont perdu ce qu'ils avaient, trompés dans leurs combinaisons, comme on l'est dans la solution[37] d'une énigme.
24. Le même Posidonius observe que les Lacédémoniens, [233f] en vertu de leurs lois, ne pouvaient introduire dans Sparte ni or, ni argent, ni en posséder; que néanmoins ils avaient trouvé le moyen d'en avoir en propriété, en le déposant chez les Arcadiens qui les avoisinaient; mais ceux-ci, après avoir été leurs amis, leur déclarèrent la guerre, afin de se couvrir du prétexte de la haine, et de n'avoir aucun compte à leur rendre.
Chap. V. L'histoire rapporte qu'on avait d'abord consacré dans le temple de Delphes, l'or et l'argent qui étaient à Lacédémone ; mais que Lysandre, en en introduisant l'usage public, donna lieu à nombre de maux. [234a] Selon le bruit commun, Gylippe, qui avait délivré Syracuse, fut condamné par les Éphores, pour avoir détourné une partie de l'argent de Lysandre, et se laissa mourir de faim, en se résignant avec fermeté à son sort. Il n'était pas facile qu'un particulier manquât impunément de réserve au sujet d'un bien qui avait été en partie consacré au dieu, en partie attribué au peuple, tant comme ornement, que comme propriété.
25. Les Galates, qu'on appelle Kordistes, ne souffrent pas qu'il entre de l'or dans leur pays; mais lorsqu'ils vont piller le pays des autres peuples, et y exercer des vexations, [234b] ils n'en laissent pas. Ce peuple est un reste des Galates qui allèrent attaquer le temple de Delphes sous la conduite de Brennus. Un de leurs chefs, nommé Bathanatius,[38] les mena dans les campagnes voisines du Danube, où il les établit. C'est de lui qu'ils appellent Bathanatie le chemin par lequel ils sont revenus. Ils donnent même encore le nom de Bathanates aux descendants de ce chef.
Ces Galates détestent l'or, et n'introduisent pas dans leur patrie ce métal qui leur a causé tant de maux. Ils ont l'usage de l'argent, [234c] et ils s'exposent à tout pour en avoir ; mais c'était leur impiété sacrilège, et non l'objet de leur pillage qu'il fallait proscrire. S'ils n'avaient pas admis chez eux l'usage de l'argent, peut-être auraient-ils pillé le cuivre avec le même brigandage ; et si le cuivre n'avait pas été d'usage parmi eux, ils auraient pris les armes avec autant de furie pour le boire, le manger, et autres nécessités de la vie.
26. Chap. VI. Tel fut le discours de Pontien, lorsque plusieurs voulurent, à l'envi l'un de l'autre, résoudre les questions que venait de proposer Ulpien. Conformément à la distinction qu'on avait faite de celles qui restaient, Plutarque prit la parole, et dit : « Le nom de Parasite était autrefois respectable et sacré. [234d] C'est ce qu'on voit par un ouvrage de Polémon, que l'on fait natif de Samos, de Sicyone, ou d'Athènes, comme le rapporte Héraclide de Mopsueste.[39] Il le range même parmi les citoyens de plusieurs autres villes, par le nom desquelles on le désignait comme y étant né. Il fut surnommé Stelokope,[40] selon Hérodicus, disciple de Cratès. Or, voici ce que dit Polémon, en parlant des Parasites. »
[234e] « Le nom de Parasite, qui est maintenant ignominieux, fut, chez les anciens, comme nous le trouvons, une chose sacrée, et synonyme de convive. On voit au cynosargès,[41] dans le temple d'Hercule, une colonne qui présente un décret d'Alcibiade, écrit par Stephanus, fils de Thucydide. Or, voici ce qu'il y a sur cette dénomination : »
« Que le prêtre avec les Parasites fasse les sacrifices de chaque mois. Les Parasites prendront avec eux un bâtard, et un fils de bâtard, selon l'usage de la patrie. Celui qui ne voudra pas être Parasite, sera aussitôt traduit en justice à ce sujet. »
« Mais voici ce qui était écrit sur les tables publiques, concernant les Déliastes :
[234f] « Deux Keerykes,[42] de race de Ceryces, ministres des mystères, seront Parasites à Délos pendant un an. »
« On lit cette inscription au bas des dons consacrés à Pallènes:
« Sous l'archontat de Pythodore, les magistrats et les Parasites, la tête ceinte d'une couronne d'or, ont offert ces dons. »
« On lit encore[43] ceci :
« Les Parasites de la prêtresse Phylée, Rirent, sous Léostrate de Gargette, Périclès de Pitthea, fils de Périclite, et Charinus de Gargette, fils de Démocharès. »
Il est ordonné dans les lois du roi (des sacrifices), que les Parasites d'Acharné sacrifient à Apollon.
Cléarque de Soli, l'un des disciples d'Aristote, écrit ceci, dans le premier livre de ses Vies : [235a] « En outre, Parasite désigne actuellement un homme prêt à se conduire comme on veut; autrefois ce nom désignait un homme choisi pour être convive (des prêtres). On voit dans les anciennes lois, que la plupart des villes mettaient au rang des premières dignités celle de Parasites, comme quelques-unes le font encore. Clidémus dit, dans son Attique : On nomma des Parasites pour Hercule. Thémison écrit, dans sa Pallenis : Ce soin regardera le roi qui est en charge, les Parasites choisis entre les bourgades, les vieillards et les femmes protoposes.[44] »
27. [235b] Voilà, Ulpien, une demande qui se présente pour toi : quelles sont ces femmes protoposes? vas-tu peut-être dire; mais suivons les Parasites. Il est écrit sur une des colonnes de l’Anacée:[45]
« Des deux plus beaux bœufs qu'on aura choisis, le tiers sera employé à la célébration des jeux; des deux autres tiers on donnera l'un au prêtre, l'autre au Parasite. »
Cratès dit, dans le second livre (ou chapitre) de sa Dialecte Attique : « Le nom de Parasite est maintenant quelque chose de honteux; mais autrefois on appelait ainsi ceux qui étaient nommés pour inspecter la perception du bled sacré; et Parasite était la dénomination d'une espèce[46] de magistrature. » [235c] Voilà pourquoi il est écrit dans la loi du roi :
« Le roi aura soin que les dignitaires soient nommes chacun pour leurs (onctions, et que les Parasites soient choisis des différents peuples (bourgades), selon les statuts; mais les Parasites percevront des magasins destinés aux classes particulières, chacun un setier d'orge pour les Athéniens qui seront de la leur, et qui se trouveront au temple selon les usages de la patrie. Les Parasites d'Acharné fourniront, du magasin des orges, un setier à Apollon, pour les collèges ou magasins (des Parasites.) »
[235d] Or, ce qu'on lit ensuite dans la loi, prouve qu'il y avait une maison consacrée au collège qu'ils formaient :
« On donnera, pour l'entretien de l'ancien temple et du parasition, et de la maison sacrée, l'argent dont on sera convenu avec ceux qui doivent entretenir les édifices sacrés. »
Il est donc évident que le Parasition n'a eu son nom que du bled (para sitou) dont on y déposait les prémices. C'est ce que rapporte Philochore, dans son ouvrage intitulé Tétrapole, et dans lequel il fait mention des Parasites qui avaient été choisis pour Hercule. Diodore, poète comique de Sinope, et dont je citerai plus bas le témoignage dit la même chose dans [235e] son Epiclère.[47] Aristote nous apprend, dans sa république de Méthone, qu'on donnait deux Parasites aux Archontes, et un aux Polémarques; et ils recevaient des pêcheurs, et autres gens de bouche, certaine portion de bonne chère.
28. Chap. VII. VIII. Caristius de Pergame dit, dans son traité des Didascalies, que ce fut Alexis qui employa le premier, dans ses pièces, le personnage que nous appelons actuellement Parasite, ne se rappelant sans doute point qu'Épicharme en fait paraître un à une table où l'on boit, dans sa pièce intitulée l’Espérance, [235f] ou Plutus :
« Mais l'un se plaça ici, l'autre aux pieds de celui-là. Ainsi toi, prends avec plaisir[48] de ce pain (ou de ce manger) qui ne coûte que très peu, tandis que celui-ci vide d'un trait un broc comme s'il buvait un verre. »
Or, voici comment il fait répondre son Parasite à celui qui l'interroge :
« Je soupe avec celui qui le veut bien : il suffit de m'inviter. Quant aux repas de noces, j'y vais sans être appelé ; c'est alors que je suis charmant. [236a] Je fais rire on ne peut davantage, et je ne manque pas de louer celui qui traite. Si quelqu'un s'avise de ne pas dire comme lui, je l'entreprends vivement, et je m'emporte. Enfin, après avoir bien bu, bien mangé, je m'esquive. Je n'ai pas d'esclave pour m'accompagner avec une lanterne ; mais je marche en trébuchant, et seul[49] au milieu des ténèbres. Si par hasard je rencontre la ronde, je lui dis quelques mots d'amitié, rendant grâces ensuite aux dieux de ce qu'au lieu de me broyer de coups, elle s'est contenté de me donner de l'escourgée. [236b] Lorsque je suis arrivé au logis, je m'endors sur des peaux garnies de leur poil, et sans avoir été blessé. Pour lors je ne songe plus à ce qui s'est passé auparavant, aussi longtemps que le vin pur est maître de toute mon âme. »
29. Le Parasite d'Épicharme tient encore d'autres propos semblables. Voici ce que dit celui de Diphile :
« Lorsqu'un riche donne un repas, et m'y invite., je ne m'arrête pas à considérer les triglyphes, ni les lambris, je n'examine pas les vases de Corinthe ; mais je fixe toute mon attention sur la fumée du cuisinier : [236c] si je la vois s'élever droite et avec force, je me sens tout joyeux, je saute de plaisir; mais ne s'élève-t-elle qu'obliquement, et en petite vapeur, aussitôt je me dis : voilà bien un repas pour moi ; mais il n'y a pas de quoi graisser le couteau. »
Quelques-uns disent que c'est Homère qui a introduit le premier le personnage de Parasite, en nommant Podès, convive ami d'Hector.
« Parmi les Troyens[50] était Podès, aussi vaillant que riche, et fils d'Eétion. [236d] Hector l'avait pour ami et pour convive, lui marquant plus d'honneur qu'à tout autre de ses concitoyens. »
Quand le poète l'appelle ami dans le Banquet, il veut dire qu'Hector l'avait pour convive à ses repas. C'est aussi pour cette raison qu'il le fait blesser au ventre par Ménélaüs, selon Démétrius de Scepse. [236e] Celui-ci remarque encore que c'est un Spartiate, ami de la frugalité, qui le blesse, et que Pandare, qui s'était parjuré, fut blessé à la langue.
Les anciens poètes désignaient les Parasites par le nom de flatteurs. C'est pourquoi Eupolis a fait une comédie sous ce nom-ci, et y introduit sur la scène un chœur de flatteurs, qui tient ce discours:
« Nous allons vous dire la vie que nous menons nous autres flatteurs. Apprenez donc combien nous sommes d'aimables gens. D'abord, le valet qui me suit n'est pas à moi, et je m'en inquiète peu.[51] J'ai deux assez jolis habits que je mets tour-à-tour, [236f] et j'en fais toujours aller l'un ou l'autre au marché : si j'y aperçois quelque étourdi richard, vite je suis à ses côtés. S'il dit quelques mots, je me répands en éloges, je parois tout extasié, tant ce qu'il dit semble me faire plaisir, et notre homme se voit assailli d'une foule de flatteurs qui se rendent à sa table; et nous grugeons aux dépens d'autrui. Là, tout propos doit être flatterie, mensonge; autrement, adieu la table : on nous mettrait à la porte. [237a] Or, c'est un affront qu'Acestor, cet esclave marqué d'un fer rouge, a eu à digérer. Oh, tu me bernes, lui dit son hôte.[52] Garçon, allons, qu'on lui mette les fers, et qu'on le livre à Œnée. »
31. Quant au nom de Parasite, on le trouve dans l’Hyménée d'Araros. Voici ses termes :
« Mon cher, tu es nécessairement Parasite, car n'est-ce pas Iscomachus qui te nourrit de sa table? »
Ce nom est fréquent chez les écrivains modernes : on voit même dans le dialogue de Platon, intitulé Lâchés, le verbe parasitein : « Les jeunes mangent avec nous (parasitei). »
[237b] Alexis distingue deux sortes de Parasites, dans son Pilote, en ces termes :
« A. Nausidice, il y a deux sortes de Parasites, l'une ordinaire, et sujet des railleries de nos comiques ; celle de gens à mine sombre, tels que nous : mais j'en cherche une autre espèce; par exemple, ces Satrapes parasites, ces Généraux illustres. Je veux un Parasite qui en impose [237c] par la gravité de son personnage, et qui, pris au milieu du peuple, sache contrefaire tous les états, au point d'avoir les sourcils aussi froncés que s'il possédait mille talents de bien, et qu'il ne parle sans cesse que de sa grande fortune. Comprends-tu actuellement quelle est cette espèce, et ce que je veux? B. Oui, vraiment. A. Eh bien, ce que ces deux espèces de gens ont à faire se réduit à une seule chose : c'est de se disputer à qui flattera davantage. Il en est de ces deux espèces comme de noua dans nos différents états. La fortune élève les uns aux grandeurs, tient les autres dans rabaissement : [237d] de même, parmi nous, les uns sont dans l'abondance, les autres traînent une misérable vie. Qu'en dis-tu, Nausidice? ne t'instruis-je pas bien? B. Mais, si je t'en fais des compliments, tu vas encore me faire d'autres questions. »
32. Timoclès peint bien le caractère d'un Parasite, dans son Draconlion. Voici ce qu'il dit :
« A. Quoi! je souffrirai qu'on dise des injures à un Parasite? Point du tout : c'est l'espèce d'hommes la plus utile. S'il y a quelque chose d'honnête à faire par un principe d'amitié, le Parasite ne met-il pas aussitôt la main à l'œuvre. [237e] Avez-vous une belle passion? le Parasite sera aussi amoureux que vous, et sans en demander la raison. Faites-vous quelque chose? il vous seconde, prêt à tout ce qui est nécessaire, et persuadé que c'est une juste reconnaissance qu'il vous doit pour la table que vous lui fournissez. D'ailleurs, combien d'éloges ne donne-t-il pas à ses amis? B. Mais c'est pour être bien traité sans rien payer. A. Et moi je te dis pour réponse, quel homme, quel héros, quel dieu même n'est pas flatté qu'il y ait des gens de cette espèce? Mais pour ne pas disserter toute la journée, [237f] voici ce qui prouve bien évidemment combien on fait de cas de la vie de Parasite. On accorde à leur mérite les mêmes prérogatives qu'à ceux qui ont été victorieux à, Olympie ; savoir, la nourriture aux dépens de l'Etat : car, en quelque endroit qu'on mange sans rien payer, ne doit-on pas l'appeler Prytanée?[53] »
32. Antiphane dit aussi, dans ses Jumeaux :
[238a] « Vois, c'est un Parasite, c'est-à-dire, si tu réfléchis bien, un homme qui partage avec nous et là fortune et la vie. Jamais un Parasite n'a désiré voir ses amis malheureux ; au contraire, il ne leur souhaite que du bonheur à tous. Quelqu'un vit-il dans la splendeur, il ne lui porte pas envie : il veut seulement jouir de cette fortune en sa compagnie. C'est un ami candide, et toujours sûr. [238b] On ne le verra pas querelleur, emporté, ni trompeur. Il sait supporter un moment de vivacité. Le plaisantez-vous, il en rit. Il est amoureux, badin, jovial; Soldat brave à l'excès, pourvu qu'un bon dîner lui tienne lieu de ration journalière. »
34. Chap. IX. On lit, dans le Médecin d'Aristophane :
« Je dois, avant tout, le prévenir sur ma manière d'agir. Si quelqu'un régale, j'y suis le premier, ce qui depuis longtemps, m'a mérité le nom de Zoome.[54] Faut-il arracher quelqu'un du milieu [238c] de gens violents? imagine-toi voir en moi un lutteur Argien. S'agit-il d'assaillir une maison? je suis un bélier même : parle-t-on d'escalade? je suis un Capanée : faut-il tenir ferme contre les coups, les gourmades? je suis une enclume; mais l'argile n'est pas plus souple, lorsqu'il faut se prêter à quelque adroite manœuvre ; et jamais la fumée né cherche un beau minois[55] avec plus de promptitude que moi. »
Le même dit dans son Pythagoriste :
« S'il s'agit de jeûner jusque même à ne pas prendre une bouchée, imagine-toi voir en moi Tithymalle, ou Philippide. [238d] Faut-il boire de l'eau? je suis grenouille : y a-t-il un oignon sauvage, des herbes à manger? je suis chenille : faut-il se passer de bain? je suis la crasse même : vivre l'hiver à la belle étoile? je suis merle : soutenir une chaleur étouffante, et chanter en plein midi? je suis cigale : ne pas user d'huile, n'en voir pas même? je suis poussière aride : marcher pieds nus dès l'aurore? je suis grue : ne pas dormir un seul instant de la nuit? je suis chouette. »
35. On lit, dans les Ancêtres d'Antiphane :
« Tu sais comment je me comporte, [238e] et qu'il n'y a pas de fierté chez moi. Je suis un fer rouge, s'il me faut être battu pour mes amis ; mais la foudre même lorsqu'il faut battre ; un éclair, s'il faut aveugler ; le vent, pour enlever quelqu'un; une corde, pour étrangler; un tremblement de terre, pour forcer une porte; une sauterelle, pour sauter; une mouche pour venir dîner sans être prié; aussi clos que la bouche d'un puits, quand il ne faut pas que je sorte. S'agit-il d'étouffer un homme en le prenant à la gorge, de tuer, d'être faux témoin? il suffit qu'on me dise un mot, je fais tout cela sans y regarder : [238f] aussi les jeunes gens m'appellent-ils la Foudre, mais je m'inquiète peu des sarcasmes. Ami de mes amis, je leur prouve par des effets, et non par de vaines paroles, que je sais leur être utile. »
Voici comment Diphile fait parler un Parasite dans une pièce qui a ce nom pour titre. C'est au moment où l'on va faire une noce.
« Ignores-tu à quelles imprécations s'expose celui qui ne montre pas le vrai chemin qu'on lui demande; [239a] celui qui met le feu ; celui qui empoisonne les eaux; celui, enfin, qui empêche un homme d'aller assister à un repas? »
Eubule dit, dans son Œdipe :
« Celui qui a imaginé de souper aux dépens d'autrui, était vraiment un homme bien zélé pour la société! quiconque, au contraire, invitera, soit un ami, soit un étranger a souper, et lui fera ensuite payer son écot, qu'il soit banni, sans qu'il puisse même emporter rien de chez lui. »
36. Diodore de Sinope parle avec esprit de la vie des Parasites, dans son Epiclère. Voici ce qu'il dit:
[239b] « Je veux te montrer clairement combien cet usage reçu est respectable, et que c'est même une invention des dieux. Ce sont les hommes, et non aucune divinité, qui ont montré les autres arts; mais celui du Parasite est de l'invention de Jupiter-amical : or, Jupiter est sans contredit le plus grand des dieux. Il s'en va sans façon dans la première maison qu'il trouve, ne faisant aucune distinction de la pauvreté et des richesses. Aperçoit-il un lit bien couvert, une table dressée, pourvue de tout ce qu'il faut? [239c] aussitôt il s'y couche fort proprement, dîne en empilant bien les morceaux, et arrosant bien, puis il part sans payer son écot : c'est aussi ce que je fais actuellement. Si j'aperçois des lits couverts, des tables bien servies, la porte ouverte, je me coule en silence, puis, m'arrangeant avec décence, j'évite de gêner en rien le convive qui se trouve à côté de moi. Dès que j'ai suffisamment pris de tout ce qu'on a servi, et bu, [239d] je me retire chez moi, comme Jupiter-amical. Mais vois par ce que je vais dire, que cette profession a toujours été glorieuse et très honnête. Notre ville, qui rend de grands honneurs à Hercule, fait des sacrifices dans toutes les bourgades, en donnant à ce dieu des parasites pour ces cérémonies sacrées. Or, ce n'est pas au sort qu'elle les tire ; elle ne prend pas non plus le premier venu ; au contraire, elle choisit avec la plus grande attention douze des citoyens [239e] les plus puissants, riches,[56] et d'une vie irréprochable. Par la suite, quelques citoyens[57] aisés, voulant imiter ce qu'on faisait pour Hercule, s'engagèrent réciproquement à prendre certain nombre de Parasites pour les nourrir; mais ce ne furent pas des gens d'une société vraiment aimable qu'ils choisirent : ils prirent, au contraire, des flatteurs toujours prêts à les combler d'éloges ; de sorte que si le patron leur rotait au nez après avoir mangé du raifort, et une vieille saline de silure, ils lui faisaient compliment sur la violette et les roses avec lesquelles il avait dîné. était-il à côté de l'un ou l'autre? [239f] celui-ci tournait le nez çà et là en flairant, et demandait : où prenez-vous ce parfum exquis? C'est donc par cette odieuse conduite.que les Parasites ont fait de et qui était honnête et considéré, un état ignoble tel qu'il est aujourd'hui.
37. Axionicus écrit, dans son Chalcidique :
« Lorsque je commençai à mener la vie de Parasite avec Philoxène, ce Tranche-jambon, j'étais encore jeune, et je souffrais tant de coups de poings, d'assiettes, d’os, que je ne m'en retournais quelquefois [240a] qu'avec huit blessures ; mais ce fut à mon avantage, car je suis actuellement incapable de résister au plaisir, et je me suis fait en quelque sorte une raison de tirer parti de tout. Par exempte, se trouve-t-il un homme querelleur, et prêt à se battre avec moi? je m'accommode à son humeur ; je conviens de tout ce qu'il me dit de mal, et je ne suis plus battu. Est-ce un coquin qui se dit honnête homme? j'en fais l'éloge, et il m'en témoigne sa reconnaissance. [240b] Si l'on me sert à table un tronçon de glauque salé, cuit au bouillon, je ne me fais pas une peine d'en manger le lendemain tout gâté qu'il est. Telle est actuellement mon humeur ; tel est mon caractère. »
Antidote, dans sa pièce intitulée le Protochœur, introduit sur la scène un personnage analogue aux sophistes du Claudium,[58] et dont il serait indécent de nous entretenir ici. Voici ce que dit cet auteur sur l'art du Parasite :
« Demeurez à vos places, et écoutez-moi avant que je sois inscrit, et que je prenne la chlamyde. [240c] Si l'on venait à parler de l'art de vivre en Parasite, j'écoutais avec avidité[59] ce qu'on disait sur cet art charmant, et dès mon enfance je me sentais singulièrement porté à m'en instruire. »
38. On a connu nommément pour Parasite, Tithymalle, dont Alexis fait mention dans sa Milésienne, et dans l’Ulysse Tisserand, mais il en parle encore ainsi, dans ses Olynthiens:[60]
« Le tien, ma chère, est pauvre; mais c'est la seule engeance [240d] que la mort redoute de frapper : or, voilà pourquoi Tithymalle se trouve de tous côtés, comme s'il était immortel. »
Dromon dit, dans sa Musicienne :
« A. J'étais singulièrement confus de devoir encore dîner sans payer mon écot. B. En effet, cela est très honteux! C'est donc pour cette raison qu'on voit Tithymalle se promener partout, plus rouge que l'écarlate? A. Oui, sans doute, il rougit parce qu'il ne paie jamais rien. »
On lit, dans le Centaure ou le Dexamène de Thimoclès :
« L'appelant Tithymalle et Parasite. »
Le même écrit, dans ses Cauniens :
[240e] « On a déjà servi : pourquoi tarde-t-on? Çà, mon ami, qu'on se dépêche! C'est ainsi qu'est ressuscité Tithymalle, qui était ma foi bien mort, pour avoir mangé des lupins de huit à l'obole.
« Tu vois, mon cher, qu'il n'était pas mort d'inanition; mais c'est aussi en bien buvant qu'il a bravé le danger. »
Il dit, dans sa pièce intitulée les Lettres :
« Juste ciel, que je suis malheureux d'aimer à ce point! Non, jamais Tithymalle n'a tant aimé la bonne chère, ni connus à voler des habits, [240f] ni Nilus un plat de gruau, ni Coryde à branler la mâchoire sans rien payer. »
Antiphane écrit, dans son Tyrrhénien :
« A. En effet, Tithymalle ne voulait pas obliger ses amis gratis. B. A t'entendre, Tithymalle va devenir riche ; et, si je t'en crois, il prétendra sans doute une indemnité de ceux chez qui il allait souvent prendre sa portion sans rien fournir. »
39. [241a] Corydus était aussi un des Parasites bien connus pour tels : Timoclès en fait mention dans sa pièce intitulée celui qui se réjouit du mal d'autrui. Voici ce qu'il en dit :
« Voir le marché au poisson bien fourni, c'est sans doute un grand plaisir pour un homme riche, mais un crève-cœur pour l'indigent. Korydus, a ce qui me semble, soupe aujourd'hui chez lui, faute d'avoir été invité. Mais ce qu'il y a de risible ici, c'est que cet homme qui n'avait, hélas, que quatre oboles, considérant les anguilles, les tronçons de thon, les torpilles, les langoustes, se sentait allonger les dents. [241b] Il va et vient autour de toutes ces provisions, demande le prix, et jette enfin son dévolu sur les membrades.[61] »
Alexis, dans son Démétrius ou Philélaire:
« Aller dîner dehors d'une manière si décidée, cela me fait de la peine à cause de Coryde ; néanmoins je ne le refuserai pas : en effet, il ne le refusait pas non plus si on l'invitait. »
Et, dans sa Titthée :
« Ce Coryde, qui a toujours le mot pour rire, [241c] voudrait être Blepée, il n'est pas sot, car Blepée est riche. »
Cratinus, le second, dit, dans ses Titans :
« Garde-toi de Coryde le chaudronnier,[62] autrement tu verras qu'il ne te laissera[63] rien. Ne partage pas non plus en commun avec lui ce que tu as à manger ; je te préviens sur son compte, car il a une main vigoureuse, d'airain, infatigable, et plus active que le feu même. »
[241d] Alexis lui-même, nous apprend dans ses Poètes, que Corydus aimait à plaisanter, et se faisait un plaisir d'être raillé :
« Oui, je suis, après Coryde, celui de tous les Athéniens, qui aime le plus à plaisanter, et à me faire persifler. »
Lyncée de Samos a recueilli les Dits mémorables de Coryde, et dit que son vrai nom était Eucrate. Voici ce qu'il en raconte : « Eucrate, surnommé Coryde, buvant chez une personne dont la maison menaçait ruine,[64] il faut, dit-il, souper ici, [241e] tenant la main gauche élevée pour soutenir la maison, comme des caryatides. On vint à dire que les grives étaient chères;
40. Philoxène Tranche-jambon, répondit en présence de Coryde, devenu complaisant : « Je me rappelle le temps où Coryde[65] ne coûtait qu'une obole. Philoxène était aussi du nombre des Parasites selon le rapport d'Axionicus, dont j'ai déjà cité le témoignage. Ménandre en fait même mention dans son Kekryphale, où il le désigne seulement par le nom de Tranche-jambon. Machon, poète comique de Corinthe ou de Sicyone, en parle aussi. Ce Machon [241f] mourut à Alexandrie d'Egypte, après y avoir passé le reste de ses jours, expliquant le traité que le grammairien Aristophane avait écrit sur les parties de la comédie. On lui fit même cette épitaphe :
« Terre légère, fais naître, sur le tombeau de l'immortel poète comique Machon, un lierre, ami des chantres: [242a] tu ne renfermes pas ici un vieux bourdon, mais tu tiens dans ton sein des restes glorieux qui ont fait honneur à l'art ancien. Le vieux Machon apprendra à la ville de Cécrope, que près du Nil il parut un grand homme,[66] distingué par son génie.
Or, ces vers prouvent que Machon était originaire[67] d'Alexandrie. Voici donc le passage où ce poète fait mention de Coryde :
« On demandait un jour à Coryde-Eucrate,[68] en présence de plusieurs personnes, comment [242b] Ptolémée le traitait. Je n'en sais trop rien, répondit-il : il ne me donne à boire que comme un médecin ordonnerait une potion ; et pour le manger, jamais il ne m'en a offert. »
Lyncée rapporte, dans le second livre de l'ouvrage qu'il a écrit sur Ménandre, qu'Euclide, fils de Seriminus, et Philoxène Tranche-jambon se sont fait de la réputation pour leurs bons mots. Euclide, selon lui, avait des saillies dignes d'être écrites et conservées ; du reste, c'était un homme froid et désagréable. Quant à Philoxène, il ne disait rien de bien extraordinaire lorsqu'on lui proposait un sujet ; [242c] mais lorsqu'il jasait, ou se fâchait contre l'un ou l'autre de ceux qui étaient liés avec lui,[69] ou racontait quelque chose, c'était un homme charmant et délicieux. Voilà pourquoi Euclide n'a été estimé et recherché que pendant sa vie ; au lieu que Philoxène est encore généralement considéré.
41. Alexis rappelle certain Moschion Parasite, dans son Trophonius, et le nomme Paramaseete[70] dans le vers suivant :
« Ensuite Moschion le paramaseete, homme d'une grande célébrité. »
Le même, faisant le dénombrement des coureurs de soupers, dit, [242d] dans son Pancratiaste :
« A. D'abord tu avais à table Callimédon[71] la Langouste, ensuite Korydus, Kobion, Kerybion, le Scombre, la Sémidalis. 6. Par Hercule, ce sont-là des provisions du marché que tu nous nommes, ma femme, et non une compagnie de convives. »
Cerybion était le surnom d'Epicrate, tuteur de l'orateur Eschine, comme le dit Démosthène, dans son discours de falsa legatione. Anaxandride parle, dans son Ulysse, de ces épithètes ou sobriquets que les Athéniens donnaient par plaisanterie, et pour s'amuser.
[242e] « Je sais très bien que vous vous moquez les uns des autres. Quelqu'un s'est-il mis proprement? vous l'appelez hiérogame.[72] Un tel est-il de très petite taille? c'est pour vous une goutte. Un autre sort-il de chez lui bien paré? c'est un ololygme.[73] Paraît-il un homme aussi gras que Damoclès, on le nomme aussitôt la sauce. Si tel autre se plaît à être couvert de saletés et de crasse, il est aussitôt la poussière. [242f] Un flatteur marche-t-il à la suite de quelqu'un?[74] il est surnommé l’esquif. Un homme se promène-t-il souvent sans avoir soupe? c'est un muge affamé. Jette-t-on les yeux sur un beau minois? on est un autre Cœnée.[75] Qu'un charlatan escroque un agneau en jouant, il a le nom d’Atrée:[76] prend-t-il un bélier? c'est un Phryxus: s'empare-f-il d'une toison? c'est un autre Jason. »
42. Chap. X. Nous avons déjà parlé du Parasite Chéréphon. [243a] Or, Ménandre le rappelle dans sa pièce intitulée le Kekryphale, et en dit ceci dans une autre, qui a pour titre la Colère :
« Cet homme ne diffère en rien de Chéréphon, quel qu'il puisse être. Ayant été invité de se rendre à un repas, lorsque l'ombre du gnomon[77] aurait douze pieds, il accourut de grand matin, regardant l'ombre de la lune, et arriva à la pointe du jour, en s’excusant de s'y être rendu un peu tard. »
Il dit ; dans sa pièce intitulée l’Ivresse :
« Chéréphon, le plus aimable des hommes, me causa un peu de retard, [243b] disant que le 22 du mois il devait célébrer chez lui les noces sacrées;[78] mais que les quatre jours suivants il souperait chez autrui, parce que du reste la fête de cette divinité allait bien. »
Ménandre en fait encore mention dans son Androgyne ou le Crétois. Timoclès le nomme aussi dans sa pièce intitulée les Lettres, et dit qu'il était Parasite chez Démotion, homme fort débauché.
« Démotion pensant que l'argent ne lui manquerait pas, le prodiguait, et donnait à mangera qui en voulait. Chéréphon, ce malheureux Parasite,[79] s’imaginait vraiment [243c] aller chez lui-même lorsqu'il se rendait au logis de Démotion. Mais il faut encore faire ici cette seule observation, c'est que Démotion a dans ce Parasite un bois à deux pointes:[80] d'abord il n'est pas homme à s'accommoder de tout ; ensuite il n'est pas sans ressource par lui-même, à l'égard de la fortune. »
Antiphane dit, dans son Scythe :
« A. Allons, si vous êtes d'humeur, faire une partie de débauche, et tels, que nous sommes. B. Nous ne prendrons donc ni torches, ni couronnes? A. Eh! voilà justement comme Chéréphon se met en train, quand il ne trouve à souper nulle part. »
On lit, dans le petit Chien de Timothée :
[243d] « Tâchons d'aller faire[81] ce souper : ce sera dans une salle à sept lits, m'a-t-il dit; mais Chéréphon ne s'y glisserait-il pas comme surnuméraire? »
43. Apollodore de Caryste dit, dans sa Prêtresse:
« On vient de dire que Chéréphon s’était introduit aux noces d'Ophella, sans y être invité. Il prit un panier, une couronne, profitant de l'obscurité, et disant qu'il apportait de jeunes paons [243e] de la part de la mariée. C'est ainsi qu'il sut avoir entrée, et bien souper. »
Et, dans sa pièce intitulée l’Egorgée :
« Lorsque je sors de chez moi, j'appelle Mars et la Victoire : j'appelle Chéréphon; et quand je ne l'appellerais pas, il viendrait sans être invité. »
Machon le comique dit :
« On dit que Chéréphon, sortant un jour de la ville pour aller loin à un repas de noces, le poète Diphile lui donna cet avis : Chéréphon, [243f] fiche quatre clous de chaque côté de tes gencives, de peur que tu ne te disloques les mâchoires par le mouvement du long chemin que tu as à faire. »
Et ailleurs :
« Chéréphon acheta un jour quelques petits morceaux de viande : le cuisinier qui les lui vendit, lui coupa, dit-on, par hasard de la viande où il y avait beaucoup d'os. Cuisinier, dit-il, ne me pèse pas ces os. — Mais, répond celui-ci, c'est ce qu'il y a de plus savoureux. [244a] Ne dit-on pas que la viande qui touche les os est toujours la plus délicate? — Fort bien, mon cher : délicate tant que tu voudras; mais elle n'est pas la plus avantageuse au poids. »
Callimaque range un ouvrage de Chéréphon, dans l'index des nombreux écrits qu'on a faits sur différentes matières : « Tous ceux qui ont écrit sur les repas, dit-il, tels que Chéréphon, Cérybion. » Ensuite il cite ces mots du commencement: «Puisque tu m'as écrit plusieurs lettres. » L'ouvrage, selon lui, était de 365 lignes.
Nous avons dit ci-devant que Cérybion était Parasite.
44. [244b] Chap. XI. Machon parle aussi d'un Parasite nommé Archéphon. Voici le passage :
« Le Parasite Archéphon, invité par le roi Ptolémée à venir souper avec lui, se rendit alors, par mer, de l'Attique en Egypte. On servit quantité de ces poissons qu'on prend dans les roches, et des langoustes de la plus belle espèce:[82] outre cela, il parut un grand plat, dans lequel étaient trois goujons apprêtés comme on sert les salines. Tous les convives en furent étonnés. [244c] Archéphon mangea beaucoup des scares, des surmulets, des tanches; se remplit bien de mendoles, de membrades et d'aphyes de Phalère ; mais il s'abstint absolument des goujons. Cela parut bien extraordinaire. [244d] Le roi demandant à Alcénor si par hasard Archéphon n'avait pas aperçu les goujons; Ptolémée, répond-t-il, ne vous y trompez pas, cette nasse[83] est bien la première qui les ai vus ; mais Archéphon n'y a pas touché par respect pour ce plat, et même par crainte ; car il pense que, soupant sans rien payer, l'usage de sa patrie ne lui permet pas d'entamer un poisson de si haut prix.[84] »
45. Alexis, dans son Ivrogne, introduit sur la scène le Parasite Stratius se plaignant de celui qui lui donnait à vivre. Voici ce qu'il dit :
[244e] « J'aimerais mieux être Parasite de Pégase, ou des enfants de Borée, ou de tout ce qui court encore plus vite, que d'être celui de Démée Étéobutade, fils de Lachès; car il ne marche pas dans la rue, il vole. »
Peu-à-près il ajoute :
« A. Stratius, m'aimes-tu? B. Oui, certes, plus que mon père même, car il ne me nourrit pas; au lieu que vous traitez splendidement. A. Sans doute que tu demandes aux dieux que je vive longtemps? B. Eh! si vous veniez à mourir, comment pourrais-je vivre? »
[244f] Axionicus le comique fait mention d'un Parasite nommé Gryllion, dans son Tyrrhénien. Voici ce qu'il dit :
« Ils n'ont plus de vin, vous disent-ils, et voilà[85] comme ils s'excusent devant leurs amis, pour ne passe mettre en débauche comme Gryllion y est continuellement. »
Aristodème cite, dans le second livre de son recueil de Bons mois, trois Parasites renommés : Sopatre, Parasite du roi Antiochus ; Évagoras le bossu, celui de Démétrius Poliorcète; et Phormion, celui de Seleucus.
Lyncée de Samos rapporte ce qui suit, dans ses Apophtegmes : [245a] « Gryllion faisant son métier de Parasite, on demanda à Silanus d'Athènes, quel était cet homme-là? C'est, dit-il, l’Axiagnathe[86] de Ménandre. »
Chéréphon le Parasite, étant entré à un repas de noces sans être invité, se plaça le dernier, dit le même : les Gynæconomes comptant les convives, et lui ordonnant de se retirer comme étant-là le trente-unième, contre la loi : Comptez, leur répondit-il, encore une fois, en commençant par moi. »
46. Voici un passage du Philodicaste de Timoclès, qui nous apprend [245b] qu'il était d'usage que les Gynæconomes inspectassent les festins, et s'informassent si le nombre des convives n'excédait pas trente.
« A. Çà, ouvrez les portes, afin que nous soyons mieux aperçus, en cas que le Gynæconome veuille, selon la nouvelle loi, savoir le nombre que nous sommes à table, comme il est d'usage qu'il le fasse. B. Hélas! il vaudrait bien mieux qu'il visitât les maisons de w ceux qui n'ont pas de quoi souper. »
Ménandre dit, dans son Kehryphale :
« Apprenant que tous les cuisiniers qui servent aux noces [245c] sont inscrits chez les Gynæconomes, en vertu d'une nouvelle loi, afin que ces officiers sachent si par hasard il ne s'introduit pas aux festins quelqu'un de plus que le permet la loi. »
Philochore rapporte aussi, dans le livre 7 de son Attique, que les Gynæconomes et les Aréopagites avaient inspection sur les assemblées qui se faisaient dans les maisons, soit aux noces, soit aux autres repas qui suivaient les sacrifices.
47. [245d] Lyncée rapporte ces Apophtegmes-ci de Corydus. La courtisane Gnomée se trouvant à table avec Corydus, le vin y manqua. Corydus dit qu'il fallait que chacun[87] des convives mît deux oboles ; que pour Gnomée[88] elle contribuerait de ce que le peuple jugerait à propos. Polyctor le Citharède, mangeant des lentilles, broya, une pierre sous la dent : malheureux, lui dit Corydus, jusqu'aux lentilles tout te jette la pierre. Ne serait-ce pas de lui que Machon dit :
« Un très mauvais citharède, et bien connu pour tel, voulant bâtir une maison,[89] [245e] demanda des pierres à son ami………….. Mais, dit ce citharède, j'en remporterai bien davantage du spectacle. »
Chap. XII. Quelqu'un disait à Corydus : Je baise les bras, le sein, le nombril (l’omphale) de mon épouse. Voilà déjà de la coquinerie, répondit Corydus; mais Hercule passa d'Omphale[90] à Hébé.
Phyromachus, trempant une bouchée de pain dans un brouet de lentilles, renversa l'assiette : A l'amende, dit Corydus, pour s'être fait inscrire comme sachant souper,[91] et n'y connaissant rien.
Coryde étant à la table de Ptolémée, [245f] vit que certain plat très friand se portait à la ronde, et se trouvait toujours vide quand il arrivait à lui : Suis-je ivre, dit-il au roi, ou tout tourne-t-il autour de moi?
Chéréphon le Parasite, disant qu'il ne pouvait supporter le vin : Ni ce qu'on y met (l’eau), répartit Corydus.
Mais Chéréphon s'étant tout découvert à table, et ayant jambe deçà, jambe delà, Corydus lui dit: Chéréphon, je prends plaisir à te regarder, comme on regarde une bouteille, pour savoir jusqu'où tu es plein.
Lorsque Démosthène reçut d'Harpalus un gobelet d'or, Corydus dit : [246a] Cet homme traite les autres acratokothous,[92] tandis que lui-même vient d'en vider un de la plus grande taille.
Corydus avait coutume de porter aux repas du pain assez bis ; mais quelqu'un en apportant de plus noir: Tu n'apportes pas du pain, lui dit-il, mais l'ombre du pain.
48. Philoxène le Parasite, surnommé Tranche-jambon, dînait un jour chez Python. Il parut sur la table un plat d'olives, mais peu après on servit un plat de poissons. Alors il frappa le plat d'olives, en disant ces paroles d'Homère, mastixen d'elaan, c'est-à-dire, Il les fouetta pour les faire avancer.[93]
Un homme qui l'avait invité à souper, ne faisant servir que du pain noir: [246b] N'en fais pas servir davantage, lui dit-il, de peur de nous ensevelir dans les ténèbres.
Pausimachus, apprenant qu'un Parasite était nourri par une vieille dont il était aussi le galant, dit : « Cet homme est dans un état contraire à celui de cette femme; car on le voit toujours gros.[94] » Machon a dit au sujet du même :
« On rapporte que Moschion, appelé le Buveur d'eau, voyant au Lycée un Parasite avec quelques personnes, nourri par une vieille riche, dit (en l’apostrophant") : Un tel,[95] il est bien singulier que cette vieille t'entretienne toujours gros. »
[246c] Le même, apprenant qu'une vieille nourrissait un Parasite qui couchait avec elle tous les jours, dit:
« Il n'y a plus rien d'impossible aujourd'hui ; car ce n'est pas cette femme qui devient grosse, c'est cet homme qui l'est tous les jours. »
Ptolémée, fils d'Agésarque, originaire de Mégalopolis, rapporte, au second livre de son histoire de Philopator, qu'on rassemblait de toute la ville des gens pour boire avec ce prince, et qu'on les appelait Géloiastes.[96]
49. Posidonius d'Apamée dit, dans le livre 23 de ses histoires : « Les Celtes mènent toujours avec eux à la guerre des gens qu'ils nourrissent et qu'ils appellent Parasites.[97] [246d] Ces compagnons de table célèbrent leurs louanges, soit devant la foule qui se réunit, soit devant chaque particulier que ces éloges intéressent. Or, leurs chantres sont ceux qu'ils appellent Bardes, c'est-à-dire, des poètes qui publient leurs louanges dans des chansons.[98] »
Le même fait mention, dans son livre 34, d'un Apollonius qui fut Parasite d'Antiochus, surnommé Grypus, roi de Syrie.
Aristodème parle [246e] d'un Bithys, Parasite du roi Lysimaque. Ce roi lui ayant jeté un scorpion de bois sur son habit, il sauta de sa place tout effrayé; mais s'apercevant que ce n'était qu'un badinage, il dit à Lysimaque : « Prince, je vais aussi vous effrayer : donnez-moi un talent. » Or, Lysimaque était fort avare.
Agatharcide de Cnide rapporte, dans le livre 22 de ses: histoires d'Europe, que le pancratiaste Antémocrite était Parasite d'Aristomaque, tyran d'Argos.
50. [246f] Plusieurs ont parlé en général des Parasites, comme Timoclès, dans son Pugile, où il les nomme Épisities. Voici ce qu'il dit :
« Vous rencontrerez quelques-uns de ces épisites, qui se bourrent[99] bien en soupant aux dépens d'autrui, et qui semblent se présenter comme autant de ballons à des athlètes. »
Phérécrate dit, dans ses Vieilles:
« A. Et toi Smicythion, épisite,[100] ne vas pas trop vite. B. Quel homme avez-vous encore là? A. C'est un avaleur de franches lippées, un étranger que je mène partout à mes gages. »
On appelait Épisites ceux qui servaient pour leur nourriture. [247a] Platon dit à ce sujet, dans le liv. 4 de sa République : « Et les Episites ; d'ailleurs, ces gens n'ont pas d'autre salaire que leur nourriture, ce en quoi ils diffèrent des autres. » Aristophane écrit, dans ses Pélasges :
« Si vous traduisez un homme injuste devant les tribunaux, douze Episites viendront opposer leur témoignage à celui des autres. »
51. Diphile, dans sa pièce intitulée Synooris, du nom d'une courtisane, fait mention d'Euripide, disant qu'il y a un coup de dés qui s'appelle Euripide; [247b] puis plaisantant sur le nom de ce poète, et sur les Parasites, il dit ce qui suit :
« A. Tu as été bien heureux sur ce coup de dés là! B. Tu es toujours railleur. Eh bien, mets une dragme au jeu. B. Elle y est déjà. A. Mais comment jeter pour avoir l'Euripide? car jamais Euripide ne fera grâce à une femme. Ne vois-tu pas dans ses tragédies combien il les hait, et combien il aime les Parasites! [247c] En effet, il dit que tout homme riche, qui ne nourrit pas gratis au moins trois personnes, périsse à jamais, et ne reparaisse de sa vie dans la patrie. B. Bons dieux! où as-tu pris ce passage? A. Que t'importe? laissons la pièce, et ne considérons que la pensée. »
Mais voici un passage concernant un Parasite irrité, pris de la même pièce retouchée :
« A. Quoi! un Parasite s'irrite? B. Non, il ne s'irrite pas ; mais c'est son patron qui a répandu son fiel sur toute la table, pour le sevrer[101] comme on le fait pour les enfants. »
[247d] Il dit plus loin :
« A. Parasite, contente-toi de manger. B. Voyez comment il persifle cet art! A. Ignores-tu que le Parasite est mis après le Citharède? »
On lit, dans son Parasite :
« Il ne faut pas qu'un Parasite s'avise d'être trop morose. »
52. Ménandre, dans son Orgée (colère), parlant d'un ami qui s'excuse de venir à un repas de noces, dit:
[247e] « C'est vraiment un ami. Il ne demande pas à quelle heure on soupera, comme disent tous les autres : qu'est-ce qui empêche ceux qui sont arrivés de se mettre à table? Ce n'est pas un homme qui s'occupe du souper qu'il pourra trouver trois jours après, et qui revient encore à parler de souper. »
Alexis, dans son Oreste; Nicostrate, dans son Plutus; Ménandre, dans son Ivresse, et son Législateur; Philonide, dans ses Cothurnes, ont dit:
« Tout Parasite que je suis, je n'endurerais pas cela. »
Les noms Episites (dont je viens de parler), Oikosite, Oligosite, sont formés d'une manière analogue à Parasite. Anaxandride présente le mot Oikosite dans ses Chasseurs :
[247f] « C'est un objet bien agréable qu'un fils nourri au logis (Oikosite).
On appelle aussi Oikosite[102] celui qui sert la république, non pour un salaire quelconque, mais gratis. Antiphane écrit, dans son Scythe :
« Un Oikosite devient bientôt Ecclésiaste.[103] »
Ménandre dit, dans son Anneau :
« Nous avons trouvé un prétendu Oikosite, qui ne demande pas de dot (pour notre fille). »
Et, dans son Cithariste :
« Tu n'as pas d'auditeurs Oikosites.[104] »
Cratès fait mention d’Episites, dans sa pièce intitulée Tolmai, ou Actions téméraires.
« Il nourrit un Épisite; mais transis de froid chez Métabyze,[105] il n'aura que du pain pour salaire. »
I[248a] l donne au mot oikosite une acception particulière, dans ses Femmes à table pour dîner,
« Il est de la décence de ne pas rassembler des femmes, et de ne pas manger en cohue, mais de faire des noces (oikosites) en famille. »
Alexis rappelle le mot Sitokouros, dans sa Veillée ou ses Fileuses :
« Tu deviendras sitokure en courant de côté et d'autre. »
Ménandre, dans son Trasyleon, appelle Sitocure un homme inutile, et qu'on nourrit sans pouvoir en tirer de service. Voici ses termes:
[248b] « C'est un lâche sitocure, qui remet toujours au lendemain; un malheureux qui convient qu'il n'est nourri que pour charger la terre. »
Il dit, dans ses Vendus :
« Malheureux, te voilà arrêté devant la porte, après avoir mis bas ton fardeau! ... Ah, nous avons pris là un misérable sitocure chez nous! »
On trouve le mot Autosite dans le Pendu de Krobyle.
« Il nourrit chez lui un parasite, mais autosite,[106] et qui paie le plus souvent à son patron sa part des repas. »
Eubule fait mention de Kakosite dans son Ganymède :
[248c] « Comme il peut à peine manger sans être incommodé, il se nourrit de sommeil. »
Phrynique parle d’Oligosite dans son Monotrope:
« Mais cet Hercule oligosite, que fait-il là? »
On lit dans les Bons de Phérécrate ou de Strattis :
« Te voila maintenant oligosite,[107] après avoir avalé, dans l'espace d'un jour, la provision qui aurait chargé un vaisseau long. »
53. Lorsque Plutarque eut rapporté tous ces passages sur les Parasites, Démocrite prit la parole, et dit: « Je vais aussi coller bois sur bois,[108] pour parler avec le poète de Thèbes, et vous dire quelque chose des Flatteurs. » Ménandre, ce poète charmant, dit que
[248d] « Le flatteur est de tous les hommes celui qui fait le mieux ses affaires (ou est le plus heureux des hommes). »
En effet, qui dit Flatteur, dit à peu près Parasite.
Lyncée de Samos rappelle, dans ses Bons mots, sous le nom de Parasite, Clisophus, que tout le monde nommait le flatteur de Philippe, roi de Macédoine. Ce Clisophus était originaire d'Athènes, comme le dit Satyrus le Péripatéticien, dans sa vie de Philippe. Or, voici ce que dit Lyncée : « Clisophus, Parasite de Philippe, recevant un jour des reproches de ce qu'il demandait sans cesse, répondit : Prince, c'est que je n'ai pas de mémoire. [248e] Philippe lui ayant donné un cheval blessé, il le vendit. Quelque temps après, le roi lui demanda: où est ton cheval? Eh, c'en est fait,[109] répondit-il, vous saviez combien il était malade! Philippe le raillait un jour, et même de manière à se faire applaudir : Quoi, dit Clisophus, ce ne sera pas à moi à vous nourrir?[110] »
Voici ce qu'Hégésandre de Delphes raconte dans Ses mémoires concernant ce Clisophus : « Philippe disait qu'il venait de recevoir des lettres du roi Cotys. Clisophus étant présent, dit : Fort bien, par tous les dieux! Que sais-tu de la teneur[111] de ces lettres, lui demande Philippe? [248f] Par Jupiter, répartit Clisophus, vous avez un ton bien grondeur!
54. Philippe ayant perdu un œil, selon le rapport de Satyrus, Clisophus parut devant lui, marchant avec un emplâtre sur le même œil. Dans une autre circonstance, Philippe fut blessé à une jambe, aussitôt Clisophus l'accompagna, faisant le boiteux en marchant devant lui. Si Philippe touchait de quelque aliment d'une saveur acre ou poignante, ce flatteur faisait des grimaces [249a] comme s'il en eût pris sa part. »
Mais, au pays des Arabes, on est habitué à cela, non seulement par flatterie, mais par obéissance à certaine loi ; de sorte quand parfois le roi a des douleurs, les courtisans prétendent souffrir de la même douleur : car on pense qu’il est ridicule de se faire enterrer avec lui à sa mort, mais pas de lui rendre le compliment d’apparaître comme sujet aux mêmes souffrances que lui tant qu’il est en vie, s’il supporte quelque blessure. Mais Nicolas de Damas, de l’école Péripatéticienne, dans sa considérable histoire (elle contenait cent quarante quatre volumes), dit au cent-onzième livre qu’Adiatomus, roi des Sotiani, [249b] (c’était une tribu celte) avait six cents hommes sélectionnés autour de lui, appelés par les Gaulois, dans leur langage national, Siloduri, mot qui en grec signifie « lié par serment. » Et ce roi les avait comme compagnons, pour vivre et mourir avec lui, car c’était le vœu qu’ils faisaient tous. En retour ils partageaient son pouvoir, portaient les mêmes habits et mangeaient la même nourriture ; et ils mouraient quand il mourait, comme une forme d’absolue nécessité, si le roi mourait de quelque maladie ou à la guerre, ou de toute autre façon. Et personne n’a jamais pu dire que l’un d’eux ait montré un signe de peur de la mort ou ait au moins tenté de s’échapper quand le roi mourut.
55. [249c] Mais Théopompe dit, au quarante-quatrième livre de ses Histoires, que Philippe nomma Thrasydreus, tyran de Thessalie sur toute cette nation, bien qu’homme de peu d’intelligence, mais flatteur éhonté. Mais Arcadion l’Achéen, mentionné par le même Théopompe et aussi par Douris dans son cinquième livre de l’Histoire des Affaires macédoniennes, n’était pas un flatteur. Arcadion haïssait Philippe, et à cause de cette haine, il se bannit volontairement de son pays. C’était un homme doté d’admirables qualités naturelles, et nombre de ses propos adroits sont relatés. Un jour Philippe séjournait à Delphes et Arcadion s’y trouvait aussi ; [249d] le Macédonien se le fit amener et lui dit : « Jusqu’où, Arcadion, comptes-tu t’éloigner par ton bannissement? » Ce dernier répondit :
« Jusqu’à ce que je rencontre des gens qui ne te connaissent pas. »
Mais Philarque, dans le vingt et unième livre de son Histoire, dit que Philippe prit cette réponse en riant et invita Arcadion à souper, afin qu’ils se débarrassent de leur inimitié. Mais de Nicesias, flatteur auprès d’Alexandre, Hégésandre donne le compte rendu suivant : « Alexandre disait que les mouches le piquaient, et s'agitait pour les chasser. [249e] Un flatteur, nommé Nicias, se trouvant là, lui dit : « Ces mouches auront l'empire sur toutes les autres, puisqu'elles ont goûté de votre sang. » Selon le même écrivain, Denys avait un flatteur nommé Chirisophe, qui, le voyant rire avec plusieurs de ses amis, se mit à rire aussi, quoiqu'il fût trop éloigné pour entendre ce qu'on venait de dire. Denys lui demanda pourquoi il riait, n'ayant pas pu entendre ce qu'on disait: « C'est, dit-il, que ce que vous venez de dire me semble vraiment risible. »
56. Denys, fils de ce tyran, avait plusieurs flatteurs [249f] que l'on appelait généralement Dionysiocolaques. Ce Denys étant myope, ses flatteurs faisaient aussi semblant de ne voir que de près étant à table, et palpaient même les mets qu'on leur servait, comme s'ils les voyaient à peine, jusqu'à ce que Denys eût porté les mains aux plats.[112] Denys crachait souvent, et ces flatteurs lui présentaient le visage, [250a] afin qu'il y crachât, et léchaient ensuite sa salive, sans même excepter ce qu'il vomissait, disant que cela était plus doux que le miel.
Voici ce que Timée rapporte, dans le liv. 22 de ses histoires, concernant Damoclès, un des flatteurs de Denys le jeune. Il était d'usage en Sicile que chacun fît chez soi des sacrifices aux nymphes, de passer la nuit auprès de leurs statues en s'enivrant, et de danser autour de ces déesses. Damoclès quitta les nymphes, et, disant qu'il ne fallait faire aucune attention à des divinités inanimées, il vint danser devant Denys.
Denys l'ayant ensuite envoyé en députation vers Dion[113] avec plusieurs autres, [250b] sur une même galère, ceux-ci l'accusèrent d'avoir été séditieux pendant le voyage, et d'avoir essentiellement nui aux intérêts de Denys. Celui-ci en fut très irrité; mais Damoclès fit cette réponse : « Denys, voici le sujet du différend qui s'est élevé entre les autres députés et moi. Après le souper, ils chantaient des péans de Phrynicus, de Stésichore, ou même de Pindare, et quelques-uns chantèrent aussi de ceux qu'ils avaient composés; mais moi, je chantai tout entiers, avec ceux qui le voulurent, les péans que vous avez faits. [250c] Or, je puis vous en donner une preuve bien évidente. Ceux qui m'accusent ignorent même le nombre de vos chansons, et moi je suis prêt à vous les chanter toutes de suite. » Denys calma sa colère, et Damoclès ajouta : « Je vous demande actuellement une grâce ; c'est d'ordonner à l'un de ceux qui savent le péan que vous avez fait en l'honneur d'Esculape, de me l'apprendre, car j'ai ouï dire que vous vous étiez occupé de ce sujet. »
Denys invita un jour ses amis à souper, [250d] et dit, en entrant dans la salle du repas : « Mes amis, les Généraux que j'ai envoyés à Néapolis[114] m'ont fait tenir des lettres. » Damoclès prend la parole, et dit : « Oh! ils ont bien fait, Denys. » Celui-ci le regarda en dessous, et lui dit : « Que sais-tu[115] si ce qu'ils m'écrivent est tel que je le désire, ou non? Bien! bien! répond Damoclès : voilà ce qui s'appelle faire une réprimande à propos! »
Timée fait mention d'un nommé Satyrus, flatteur des deux Denys.
57. Hégésandre dit que le tyran Hiéron ne voyait que de très près, [250e] et que ceux de ses amis qui soupaient avec lui, affectaient de se tromper en touchant aux plats, afin qu'ils y fussent conduits[116] par les mains d'Hiéron, et que ce prince parût avoir meilleure vue qu'eux. Selon le même Hégésandre, Euclide, celui qui avait Seutlos (la poirée) pour surnom, était Parasite de profession. Quelqu'un lui servant un jour à table beaucoup de laiteron, il dit : « Le Capanée qu'Euripide introduit dans ses Suppliantes, n'avait pas si mauvais goût:
[250f] « Haïssant les tables auxquelles on se remplissent[117] trop. »
Il rapporte aussi que les Démagogues qui flattaient les Athéniens, disaient, entre autres, à Athènes, pendant la guerre Chrémonide,[118] que tout était commun entre les Grecs, et qu'il n'y avait que les Athéniens qui connussent le chemin qui menait au ciel.
Satyrus, dans ses Vies, met au nombre des flatteurs d'Alexandre, Anaxarque, philosophe eudœmonique.[119] Voyageant avec ce prince, il se fit entendre un coup de tonnerre des plus violents, qui effraya tout le monde. Aussitôt il dit : Alexandre, fils de Jupiter, n'est-ce pas toi qui as tonné? — [251a] Non, je ne Veux pas être aussi redoutable que tu m'enseignes à l'être, toi, qui me conseilles de me faire servir, en soupant, des têtes de satrapes et de rois.
Selon le rapport d'Aristobule de Cassandrie, Dioxippus le Pancratiaste, natif d'Athènes, voyant Alexandre blessé, et le sang couler de la plaie, lui dit :
« C'est de l’ichor,[120] tel que celui qui coule des dieux. »
58. Epicrate d'Athènes, envoyé en députation au roi, comme le dit Hégésandre, reçut de lui beaucoup de présents, [251b] et ne rougit pas de dire, en le flattant hardiment et publiquement, qu'il fallait tous les ans, non élire neuf archontes, mais nommer neuf ambassadeurs qui seraient envoyés au roi. Je suis vraiment étonné que les Athéniens ne l'aient pas condamné dans les formes, tandis qu'ils ont imposé une amende de dix talents à Démade, qui voulait qu'on reconnût Alexandre pour un dieu ; et condamné Evagoras[121] à mort, parce qu'étant en ambassade, il avait adoré le roi à la manière des Perses.
Timon de Phlionte rapporte, dans le liv. 3 de ses Silles, [251c] qu'Ariston de Chio, et disciple de Zénon de Citium, fut flatteur du philosophe Persée,[122] lorsqu'il était favori du roi Antigonus.
Si l'on en croit ce que dit Phylarque, dans le liv. 6 de ses histoires, Nicesias, un des flatteurs d'Alexandre, le voyant très agité par un médicament qu'il avait pris, lui dit : « O roi! que faut-il que nous fassions lorsque vous autres dieux vous êtes dans cet état de souffrances? » Alexandre levant à peine les yeux pour le regarder, lui répondît : « Quels dieux veux-tu dire? je crains plutôt d'être un objet de haine pour les dieux. »
[251d] Selon le même historien, Antigone, surnommé l’Epitrope, s'étant rendu maître de Lacédémone, il y eut un flatteur nommé Appollophane, qui dit: « La fortune d'Antigone est la même[123] que celle d'Alexandre.
59. Euphantus rapporte, dans le liv. 4 de ses histoires, qu'il y eut à la cour de Ptolémée III, roi d'Egypte, un flatteur nommé Callicrate, personnage si impudent, que non seulement il avait le portrait d'Ulysse à son cachet, mais même qu'il nomma ses enfants, l'un Télégon, l'autre Anticlée.
[251e] Polybe nous apprend, dans son liv. 13, que Philippe,[124] qui fut vaincu par les Romains, eut pour flatteur Proclide de Tarente, qui renversa le royaume de ce prince. Le même nomme, dans son liv. 14, Philon, comme flatteur d'Agathocle, fils d'Œnanthe, et favori de Ptolémée Philopator : il ajoute que Thrason, surnommé Carcare, fut celui d'Hiéronyme, tyran de Syracuse. Caton de Sinope[125] nous apprend, dans son histoire de la Tyrannie d'Hiéronyme, que ce prince buvait toujours beaucoup de vin pur chaque fois, [251f] et que ce fut un autre flatteur nommé Osis qui le fit assassiner par un autre Hiéronyme, persuadant à celui-ci de prendre le diadème, la pourpre, et tout le reste de l'appareil qu'avait Denys le tyran.
Agatharcide nous présente, dans le liv. 30 de ses histoires, le nommé Airésippe de Sparte, comme un homme extrêmement pervers, et qui était généralement connu pour tel, mais flatteur d'un ton persuasif, et toujours attentif à faire sa cour aux gens riches, tant qu'ils étaient dans une brillante fortune. [252a] Tel était aussi Héraclide de Maronée, flatteur de Seuthès, roi des Thraces, dont parle Xénophon, dans le liv. 7 de son Anabasis.
60. Théopompe faisant mention d'un Nicostrate d'Argos, qui jouait le rôle de flatteur auprès du roi de Perse, s'exprime ainsi à son sujet, dans le liv. 18 de ses histoires : « Comment ne pas croire que Nicostrate d'Argos était un homme pervers, lui qui étant à la tête de la ville d'Argos, favorisé tant du côté de la naissance que de la fortune, ayant eu de grands biens de ses ancêtres, l'emporta par sa flatterie sur tous les militaires qui portaient les armes avec lui, [252b] et même sur tous ses prédécesseurs? D'abord, il fut si jaloux d'être honoré du roi barbare,[126] que pour lui plaire davantage, et en mériter la confiance, il lui fît passer son fils, ce qu'on n'avait vu faire à personne avant lui. Ensuite, il faisait tous les jours dresser à souper une table, consacrée particulièrement au génie du roi, et on la couvrait de mets et de tout l'appareil requis; parce qu'il avait appris que ceux qui étaient devant la porte du palais du roi de Perse faisaient la même chose ; [252c] mais son intention était d'obtenir du roi de grandes sommes d'argent avec plus de facilité : en effet, c'était un homme qui recevait de l'argent de toute main, et qui en était le plus avide qu'on ait jamais vu.
Le roi Attalus (I) eut pour maître et flatteur Lysimachus,[127] que Callimaque indique comme partisan de l'opinion de Théodore;[128] mais Hermippus le range parmi les disciples de Théophraste. Ce Lysimaque écrivit, sur l'éducation d'Attalus, plusieurs livres qui montrent évidemment toute sa flatterie.
[252d] Selon le liv. 8 de Polybe, Kanare, le Galate, était, du reste, honnête homme, mais il fut perverti par le flatteur Socrate, originaire de Chalcédoine.
61. Nicolas (de Damas) dit, dans son liv. 114, que Licinius Crassus, marchant contre les Parthes, avait auprès de lui un flatteur nommé Andromaque, natif de Carre, auquel il communiquait tous ses desseins ; mais que Crassus périt, ayant été livré aux armes des Parthes par ce flatteur. La divinité ne laissa pas Andromaque impuni ; car ayant reçu pour récompense la souveraine autorité dans [252e] Carre, sa patrie, il y fut brûlé avec toute sa maison, à cause de sa violence et de sa cruauté.
Posidonius d'Apamée, mais qui s'appela ensuite le Rhodien, parle, dans le liv. 4 de ses histoires, de certain Hiérax d'Antioche, qui, d'abord, avait été joueur de flûte en seconde partie, parmi des Lysiodes, et ensuite ardent flatteur de Ptolémée, septième roi de ce nom, autrement Evergète. Après avoir eu la plus grande autorité auprès de lui, de même qu'auprès de Philométor, il fut mis à mort par son ordre.
[252f] Nicolas le péripatéticien, indique aussi comme flatteur de Mithridate, certain Sosipatre, habile à faire nombre de tours. Selon le liv. 9 de l'histoire grecque de Théopompe, certain Athénée d'Érétrie fut flatteur, et domestique de Sisyphe de Pharsale.[129]
62. Chap. XIV. Le peuple d'Athènes fut aussi mal noté pour sa flatterie : aussi voyons-nous dans Démocharès avec quelle flatterie les Athéniens se comportèrent [253a] envers Démétrius Poliorcète, faisant même des choses auxquelles il se refusait lui-même. C'est ce que rapporte en ces termes cet historien, et cousin de l'orateur Démosthène, dans le liv. 20 de ses histoires : « Quelques-unes de ces choses parurent même choquer Démétrius, sans parler d'autres vraiment honteuses, et qui tenaient de la dernière bassesse. Par exemple, ils voulurent que les maîtresses de Démétrius, Leæna et Lamie, eussent chacune un temple consacré à Vénus-Leæna et à Vénus-Lamie ; que Burique, Adimas, Oxythemis, ses flatteurs, eussent des autels, des chapelles comme les héros et des libations. On leur chanta leur péan à chacun en particulier ; de sorte que ce prince fut dans le plus grand étonnement de ce qu'il voyait faire, et ne put s'empêcher de dire [253b] qu'aucun Athénien, de son temps, n’avait ni sentiments nobles, ni grandeur d'âme. Polémon rapporte, dans son ouvrage sur le Pœcile, portique de Sicyone, que les Thébains, par flatterie pour Démétrius, bâtirent un temple à Vénus Lamie, maîtresse de ce prince, aussi bien que Leæna. Quelle ne fut pas, ajoute-t-il, l'extravagance des Athéniens, qui, devenus les flatteurs des flatteurs, chantèrent des péans et des prosodies[130] en l'honneur de Démétrius?
Chap. XV. Voici donc ce que Démocharès écrit à ce sujet, dans son liv. 21: « Démétrius, revenant de Leucade et de Corfou [253c] à Athènes, le peuple de cette ville-ci le reçut, non seulement avec des parfums brûlants sur des autels,[131] lui présentant des couronnes, et faisant des libations; on alla même au-devant de lui avec des prosodies, des chœurs, des ithyphalles qui dansaient en suivant les chants. Ils s'arrêtaient par intervalles, au milieu de la foule, dansaient, répondaient aux chants, en faisant leur partie, publiant que Démétrius était seul vrai dieu; que les autres divinités dormaient, ou étaient en voyage, ou n'existaient réellement pas. On faisait Démétrius fils de Neptune et de Vénus ; on lui donnait la plus éclatante beauté : [253d] il était le bienfaiteur général des hommes : on lui adressait des prières, des supplications et des vœux.
63. Voilà ce que Démocharès dit de la flatterie des Athéniens; et Djuris a rapporté[132] l'hymne ithyphallique, dans le liv. 22 de ses histoires. Le voici.
Hymne ithyphallique.
« Oui, les plus grands des dieux et les plus favorables se présentent à cette ville-ci. L'instant propice y montre ensemble et Cérès[133] et Démétrius. Quant à Cérès, elle y vient pour célébrer les redoutables mystères de Proserpine ; mais la joie qui convient aux dieux, la beauté, brillent sur le visage de Démétrius, et il s'avance avec un doux sourire, au milieu du cercle que forment ses amis, d'un air grave[134] et respectueux, [253e] et semblables à des astres qui se rangent autour de lui avec affection, comme autour du soleil dont il est ici l'image. O fils du puissant Neptune et de Vénus,[135] salut à toi! les autres dieux, ou sont éloignés de nous, ou n'entendent rien,[136] ou ne sont pas, ou ne font aucune attention à nous. Mais toi, nous te contemplons, présent parmi nous, non comme un dieu de pierre, ni de bois, mais comme la véritable divinité! Nous te présentons nos vœux. D'abord, toi que nous chérissons, procure-nous la paix! cela dépend de ta puissance ; ensuite arrête surtout[137] ce Sphinx qui maîtrise impérieusement, non Thèbes, mais toute la Grèce ; [253f] cet Étolien, dis-je, qui, retranché sur sa roche, comme l'ancien Sphinx, fond impétueusement sur nos corps, et les emporte sans que nous puissions le combattre. L'Étolien, accoutumé à piller ses voisins, se jette actuellement sur les provinces éloignées. Si donc tu ne l'arrêtes pas, trouve au moins un Œdipe qui l'oblige à se précipiter, ou le réduise[138] à mourir de faim. »
64. Chap. XVI. Voilà donc ce que les guerriers de Marathon chantaient, et en public, et en particulier chez eux, après avoir condamné à mort Evagoras, qui avait adoré le roi des Perses, dont ils avaient autrefois égorgé tant de milliers.
C'est dans ces mêmes vues qu'Alexis introduit, [254a] dans son Pharmacopole ou son Cratevas, un personnage qui tient ce discours à un convive, en le saluant d'un verre de vin :
« Esclave, donne la grande coupe, et verse quatre cyathes à l’amitié de la compagnie, ensuite tu verseras les trois de l'amour ; l'un pour la victoire éclatante d'Antigone;[139] l'autre pour saluer le jeune Démétrius, et le troisième pour [254b] l’aimable Vénus. Salut à vous, chers convives : que de biens je vais boire dans ce verre! »
Tels furent les Athéniens, lorsque leur ville, que l'oracle avait appelée le foyer commun de la Grèce, eut été remplie de la rage de la flatterie. Théopompe, qui en était le plus grand ennemi, l'appelait cependant le Prytanée de la Grèce, quoiqu'en même temps il écrivît que la ville d'Athènes fourmillait de dionysiocolaques, de matelots, de filous, de faux témoins, [254c] de calomniateurs, de fourbes huissiers. Pour moi, je suis persuadé que toute cette flatterie se répandit dans cette ville comme un orage, ou quelque calamité qu'envoyèrent les dieux, et que Diogène disait très bien à cet égard: il vaut mieux aller aux coraques[140] qu'aux colaques, qui dévorent tout vifs les meilleurs citoyens. Aussi Anaxilas a-t-il dit :
« Nombre de flatteurs sont les charançons des riches. Dès qu'ils se sont insinués dans l'esprit d'un homme candide, ils y rongent sans lâcher prise, jusqu'à ce qu'ils l'aient absolument vidé, comme un grain de bled où il ne reste plus rien ; [254d] alors cet homme n'est plus que du son, et l'insecte en va ronger un autre.[141] »
Platon écrit, dans son Phèdre : « La nature a su réunir dans le flatteur, animal redoutable, certains charmes à son caractère pernicieux. »
On lit, dans le traité que Théophraste a écrit sur la flatterie, que Myrtis, président des initiations à Argos, voyant plusieurs fois s’asseoir à côté de lui et des autres juges assemblés, Cléonyme le danseur, et en même temps flatteur, qui voulait être remarqué parmi les premiers personnages de la ville, le prit par l'oreille, [254e] et le tirant hors du parquet, lui dit devant l'assemblée : « Non, tu ne danseras pas ici, ni tu ne nous entendras pas. »
Diphile dit, dans sa Noce :
« Un flatteur, en effet, précipite un général d'armée, un souverain, des amis et des villes entières, en plaisant un peu de temps par ses discours pernicieux. — Maintenant cette maladie a gagné tout le peuple : nos tribunaux en sont attaqués, et presque tout s'y décide par faveur. »
[254f] Les Thessaliens ont donc eu raison de ruiner de fond en comble la ville de Colacée, habitée par les Méliens, comme le rapporte Théopompe, dans son liv. 30.
66. Le liv. 13 de Phylarque nous apprend que ceux des Athéniens qui s'étaient fixés à Lemnos étaient des flatteurs. En effet, voulant marquer leur reconnaissance à Seleucus et à Antiochus, [255a] ils bâtirent un temple sous le nom de Séleucus, et un autre sous celui de son fils Antiochus. Le premier les avait délivrés de la dure domination de Lysimaque, et leur avait même abandonné les deux villes qu'ils habitaient à Lemnos. Ils appellent encore aujourd'hui Séleucus-Sauveur,[142] certain verre de vin qu'ils prennent dans leurs festins.
Quelques-uns voulant éviter le nom de flatterie, se servent de celui de complaisance, comme on le voit dans la Samienne d'Alexandride.
[255b] « Flatter, s'appelle aujourd'hui avoir de la complaisance. »
Mais ceux qui s'abandonnent à cette basse adulation, ne réfléchissent pas que ce métier ne peut durer longtemps. C'est ce qu'on lit dans le Menteur d'Alexis :
« La vie du flatteur n’est pas longtemps heureuse, car un vieillard à cheveux blancs n'aime plus à nourrir de Parasite. »
67. Cléarque de Soli observe, dans le premier liv. de ses Érotiques, qu'un flatteur ne peut être longtemps ami, [255c] parce que le temps lève le masque dont il se couvre.[143] Quant à l'amant, c'est un flatteur qui n'encense que les charmes ou la beauté.
Adimas de Lampsaque, un des flatteurs du roi Démétrius, fit bâtir un temple, et dresser des statues dans Thria, et le nomma le temple de Vénus Phila. Denys, fils de Thryphon, dit, dans son liv. 10 des Noms, que cet endroit fut appelé Philée, du nom de la mère[144] de Démétrius.
Cléarque de Soli raconte d'où est venu le nom de flatteurs. Voici ce qu'il dit à ce sujet, dans son ouvrage intitulé Gergithius : il prend ce titre de son ouvrage, du nom d'un Gergithius, qu'il présente comme un des flatteurs d'Alexandre, [255d] et s'exprime ainsi : « La flatterie donne des sentiments bas aux flatteurs, qui ordinairement regardent avec mépris[145] ceux avec qui ils se trouvent. On a la preuve de cette suffisance dans la hardiesse[146] avec laquelle ils se portent à tout ce qu'ils osent entreprendre; mais d'un autre côté, ceux qui sont enflés par cette adulation, deviennent assez vains et arrogants pour s'imaginer être élevés au-dessus de tout. « Il parle ensuite d'un jeune homme originaire de Paphos, et revêtu de la dignité royale ; mais il n'en dit pas le nom. »
[255e] « Ce jeune homme portait son excessive délicatesse jusqu'à coucher sur un lit à pieds d'argent, garni d'un tapis en petit point de Sardes, des plus riches; dessus était étendu une couverture qui présentait un velours de chaque côté, mais recouvert d'une garniture en filet de couleur pourpre d'amorgos.[147]
Il avait sous la tête trois oreillers de fin lin (tirant par sa teinte sur la pourpre marine), et tout, autour desquels[148] régnait une garniture de filet correspondante. Sous les pieds étaient deux coussins de couleur[149] de glaïeul, ouvrage des Doriens. C’est là sur quoi il se couchait, enveloppé d'une robe blanche. »
68. [255f] « Tous les monarques de Chypre ont auprès d'eux des flatteurs d'une naissance distinguée, comme un accessoire fort important : en effet, leur souveraineté est absolument tyrannique;[150] mais il en est de ces flatteurs comme des juges de l'Aréopage; on n'en connaît ni le nombre, ni la figure, si l’on excepte les plus distingués. »
« Les flatteurs de Salamine sont partagés en deux familles, desquelles descendent ceux des autres parties de file de Chypre. [256a] On les appelle Gerginiens et Promalangues. Les Gerginiens se mêlent dans la ville parmi les autres citoyens, soit dans les lieux de travail, soit dans les places publiques, écoutant tout ce qu'on dit, et faisant l'espionnage. Tous les jours ils rendent compte aux Anactes[151] de ce qu'ils entendent dire. Quant aux Promalangues, ils examinent si ce que les Gerginiens ont rapporté, mérite quelque information : ce sont comme les inspecteurs de ces espions. Ils abordent tout le monde avec tant d'artifice, et d'un ton si persuasif, que je crois volontiers, comme ils le disent eux-mêmes, [256b] que tous les flatteurs les plus renommés sont sortis de leur pépinière. Les honneurs qu'ils reçoivent des rois, les rendent extrêmement fiers de leur profession.
Ces gens disent même qu'un Gerginien, issu de ces Troyens prisonniers que Teucer eut en partage, et alla établir en Chypre, partit peu de temps après pour se rendre par mer dans l'Eolie, en suivant les côtes, ayant ouï dire que ses ancêtres s'étaient établis dans cette province : ils ajoutent même qu'il bâtit une ville près du mont Ida, en Troade, après avoir rassemblé certain nombre de Mysiens, [256c] et qu'elle fut d'abord nommé Gergine, du nom de la famille de son fondateur : on l'appelle à présent Gergithe. Il paraît que plusieurs, ayant été séparés du reste de la flotte, s'arrêtèrent dans le pays de Cumes ; mais ils étaient de Chypre, et non de Tricca en Thessalie, comme quelques-uns l'ont prétendu, et par une ignorance de fait dont il n'est, je crois, pas possible de les tirer. »
« Du temps de Glous[152] le Carien, il y eut aussi chez nous des femmes nommées Colacides, ou Flatteuses, au service des dames de la famille royale. [256d] Il en restait encore quelques-unes qui étaient passées à l'autre extrémité de l'île, mais qu’on faisait venir pour le service des femmes d'Artabaze et de Mentor. On changea leur nom en celui de Climacide, et en voici la raison. Voulant plaire à celles qui les demandaient, elles se courbaient en forme de marchepied ou de gradin, de manière que les dames montaient sur leur dos pour entrer dans leurs voitures, et y descendaient de même. [256e] C’est à cet excès qu'elles avaient porté la mollesse, ou plutôt la malheureuse condition de ces princesses insensées, par cette invention abjecte et méprisable; mais ces Climacides, après avoir vécu dans la mollesse par ce raffinement, n'eurent plus qu'une vie dure et pénible dans leur vieillesse : ainsi, celles qui leur succédèrent chez nous, n'ayant plus obtenu le même crédit, passèrent en Macédoine. La décence ne me permet pas de raconter ici à quel degré de libertinage elles y portèrent les princesses et les dames du plus haut rang : je dirai seulement, que faisant pratiquer sur elles, et pratiquant sur d'autres les sortilèges d'usage aux mystères de Diane Tauropole,[153] elles devinrent enfin de vrais égouts uniquement remplis d'immondices. [256f] Tels sont les maux considérables que la flatterie a causés à ceux qui se sont laissés abuser par de vils adulateurs. »
70. Cléarque continue sa narration,[154] et s'exprime ainsi : « On blâmera sans doute ce jeune homme de l'usage qu'il faisait des choses dont j'ai parlé. Outre cela, il y avait des esclaves qui se tenaient debout à certaine distance de son lit, vêtus de courtes tuniques. Trois hommes qui ont donné lieu à tous ces détails, et gens notables parmi nous, s'y trouvaient aussi. »
L'un s'était assis au pied du lit, tenant sur ses genoux les pieds du jeune homme,[155] couverts d'une étoffe légère. [257a] On voit assez clairement ce qu'il faisait sans qu'on le dise. On appelle, dans ce pays, cette espèce d'hommes Parabystes,[156] parce que ces gens flattent avec tant de souplesse et d'art, qu'ils parviennent à former des liaisons, même avec ceux qui leur refusaient l'entrée de leur maison.
Le second était sur un siège à deux, placé près du lit, penché sur la main que le jeune homme laissait pendre nonchalamment, en la lui cédant ; il la caressait, en prenait les doigts, les tirait les uns après les autres, de sorte que le premier le nomma Ventouse,[157] et il ne pouvait rien dire de plus à propos.
[257b] Le troisième se nommait Ther ; c'était le plus distingué : à ce titre, ayant les fonctions les plus honorables du service, il se tenait debout à la tête, et, appuyé de l'air de la plus tendre amitié sur les coussins de fin lin, il les partageait avec lui. De la main gauche, il rangeait la chevelure du jeune homme; et de la droite, il le rafraîchissait en faisant aller et venir un éventail phocaïque, mais avec une oscillation douce et voluptueuse, non en l'agitant avec vitesse : on eût dit le mouvement d'une escarpolette.[158] Voilà pourquoi un dieu qui n'eut aucun égard, indigné de ce jeune homme, lui envoya cette même mouche [257c] dont Minerve porta toute la hardiesse dans le cœur de Ménélas, si nous en croyons Homère,[159] tant elle avait de vigueur et l’âme intrépide. À peine le jeune homme fut-il piqué, que cet homme jeta un tel cri, entra dans une telle colère, par pitié pour lui, qu'il chassa toutes les autres mouches de la maison, tant il était devenu furieux contre celle-là seule. On vit ainsi que ce délicat l'avait consacré à ce ministère particulier.
71. Leucon, tyran du Pont, pensait bien différemment. S'étant aperçu que nombre de ses amis avaient été dépouillés par ses flatteurs, et voyant en outre un de ces hommes vils calomnier quelqu'un de ses favoris : Je te tuerais, [257d] lui dit-il, si un tyran[160] n'avait besoin de scélérats.
Antiphane le comique présente de semblables détails dans son Soldat, sur la mollesse des rois de Chypre, et fait ainsi interroger un soldat :
« A. Dis-moi, avez-vous été longtemps en Chypre? B. Tant qu'il y a eu guerre. A. Mais, dis-moi, en quel endroit? B. A Paphos : [257e] il y règne une mollesse, une volupté si recherchée, qu'elle est vraiment incroyable. A. Quelle volupté donc? B. Quand le roi est à table, ce sont des colombes qui l'éventent, et personne ne s'aviserait de le faire. A. Comment donc? eh bien, laissons-là mes affaires, et dis-moi comment cela se fait. B. Le roi était oint d'un parfum qui lui vient de Syrie, et qu'on tire d'un fruit dont les pigeons mangent beaucoup. Venant au vol à l'odeur de ce parfum, [257f] ils osaient même se poser sur la tête du roi : les valets qui étaient à côté les chassaient; ils s'élevaient un peu, mais sans s'écarter aucunement, ni d'un côté, ni de l'autre, et c'est ainsi qu'ils l'éventaient, agitant doucement l'air, loin de lui faire sentir un vent trop fort. »
72. [258a] Chap. XVII. Le flatteur du jeune homme dont j'ai parlé, était donc, comme le dit Cléarque, un Malacocolax;[161] car, outre qu'il flattait un tel homme, il nous est représenté dans cet écrivain avec toute l'attitude d'un adulateur qui étend les coudes pour écarter le monde de son prince, et s'enveloppant de bandes au besoin.[162] C'est pourquoi, dit Cléarque, les uns l'appelaient Paranconiste,[163] d'autres Schematothèque.
En effet, un flatteur semble être un autre Protée : c'est pourquoi il se transforme de mille manières, et change aussi souvent de langage ; tant il est rempli d'astuce.
[258b] Le médecin Androcide disait que le mot kolakeiat ou flatterie, venait du verbe kollasthai, en ce que le flatteur (se collait) s'agglutinait à ceux qu'il fréquentait ; mais il me semble que cette dénomination est due à la facilité avec laquelle le flatteur se résigne à tout, prêt à tendre le dos par la bassesse de son caractère, pour se charger de ce qu'il y a de honteux, et sans se refuser à rien.
On ne se tromperait donc pas en appelant (hygros)[164] dissolue, la vie du jeune prince de Chypre. Alexis nous apprend, dans son Pyraune, qu'on trouvait dans Athènes, nombre de maîtres qui montraient à vivre de cette manière.
[258c] « Je veux aussi essayer de cette autre vie, que tout le monde appelle actuellement hygros (relâchée, dissolue, molle, efféminée). Je me suis promené pendant trois jours dans le Céramique, et j'y ai trouvé peut-être trente maîtres dans-un seul atelier, pour m'apprendre à mener cette vie. »
Crobule dit aussi, dans son Apolipuse :
« La mollesse et la dissolution de ta vie m’étonnent,[165] tant tu vis avec dérèglement. Je dis mollesse (hygroteeta), car c'est le terme dont plusieurs se servent à présent. »
73. Antiphane, dans ses Lemniènes, suppose [258d] que la flatterie est un art, et s'exprime ainsi :
« Y a-t-il, ou peut-il se trouver un art plus agréable, un revenu plus sûr que de flatter avec adresse? Le peintre travaille avec la plus grande peine, et a souvent bien des contrastes à essuyer : quels risques le laboureur n'a-t-il pas à courir? En un met, tout le monde a ses peines et ses soucis : mais nous, nous passons la vie à rire et dans les plaisirs. En effet, quand le plus grand ouvrage d'un homme est de jouer, [258e] de rire, de persifler, de bien boire, n'est-ce pas le plaisir même? Pour moi, je ne connais rien de mieux, si ce n'est d'être riche. »
Ménandre, dans son Homonyme, a singulièrement bien caractérisé le flatteur, et Diphile, le Parasite, dans sa Télésie. Alexis, dans son Faux Accusateur, introduit sur la scène un flatteur qui tient ce discours:
« Pas Jupiter-Olympien! par Minerve! [258f] que je suis heureux! non pas, Messieurs, parce que je vais être bien traité à la noce, mais parce que je vais y crever de manger, s'il plaît à Dieu. Quel mort heureuse, si je pouvais mourir ainsi! »
Je pense, mes amis, que ce charmant goinfre aurait volontiers dit ce qui se trouve dans l’Omphale d'Ion le tragique:
« Pour moi,[166] je dois vous dire que mes fêtes annuelles sont celles que je fais tous les jours. »
74. Hippius d'Érythre[167] rapporte, au second livre de l'histoire de sa patrie, comment les flatteurs de Knopus furent la ruine de son royaume. Voici ce qu'il dit :
[259a] « Cnopus ayant envoyé consulter l'oracle concernant sa conservation, le dieu lui répondit de sacrifier à Mercure le Rusé.[168] Quelque temps après il s'embarqua pour aller consulter lui-même l'oracle de Delphes. Ortygès, Irus et Écharus, connus sous les noms de Complaisants et de Flatteurs, parce qu'ils étaient du nombre de ses courtisans les plus distingués, avaient formé le dessein d'anéantir l'autorité royale, et d'établir l'oligarchie. Étant partis avec Knopus, dès qu'ils eurent pris le large, ils le lièrent et le jetèrent à la mer. [259b] Faisant aussitôt voile vers Chio, ils y prirent des troupes que leur donnèrent Amphiclus et Polytecne, et arrivèrent de nuit à Érythre. Le flot venait de jeter le corps de Knopus sur la côte d'Érythre, près du rivage qu'on appelle à présent Léopode, et Cléonice, femme de Knopus, rendait à son mari les devoirs funèbres, tandis que d'un autre côté on était assemblé pour célébrer la fête de Diane Strophée.[169] Tout à coup on entend le son de la trompette : Ortygès et ses compagnons surprennent la ville, égorgent la plupart des amis de Knopus : Cléonice en est instruite, et se sauve à Colophone. »
75. [259c] « Le tyran Ortygès et son parti soutenus des troupes de Chio, tuent tous ceux qui s'opposent à leur intérêt, abolissent les lois, règlent à huis-clos les affaires de la ville, sans admettre aucun citoyen à leurs délibérations. Ils établissent, hors de la ville et devant les portes, un tribunal, et y jugent les affaires, vêtus de robes de couleur pourpre marine, sur des tuniques bordées de même couleur. En été, ils portaient des sandales découpées; [259d] en hiver, ils marchaient de tous côtés avec des chaussures de femme. Ils laissaient croître leurs cheveux, et les faisaient friser en boucles, se couvrant la tête d'un diadème jaune et pourpre. Ils avaient une parure toute d'or, telle que celle des femmes, et obligeaient les citoyens, les uns à les porter dans des chaises, les autres à porter la verge devant eux, et quelques-uns à nettoyer les rues. »
« Ils contraignaient aussi les uns à leur envoyer leurs enfants aux assemblées particulières qu'ils tenaient ; ordonnaient aux femmes et aux filles des autres de s'y trouver, et punissaient très sévèrement ceux qui le refusaient. »
[259e] « Si quelqu'un de leurs associés venait à mourir, ils faisaient assembler les citoyens avec leurs femmes et leurs enfants, les obligeaient de pleurer, de se frapper la poitrine en jetant des cris aigus, et il y avait un homme, l'escourgée à la main, pour les forcer de se lamenter et de répandre ces clameurs. »
Enfin, Hippotes, frère de Knopus, survint inopinément, un jour de fête, à Erythre, avec des troupes. Aidé des habitants, il fondit sur les tyrans, fit périr la plupart dans les supplices y perça de sa lance Ortygès [259f] qui fuyait, et ceux de sa suite, traita ignominieusement les femmes et les enfants, et délivra sa patrie.
76. Vous voyez donc, mes amis, par tous ces détails, de combien de maux la flatterie peut devenir la Cause dans la société. Voici encore de que Théopompe dit, dans la neuvième de ses Philippiques : « Agathocle, qui avait été esclave et un de ces Pénestes de Thessalie, parvint à mériter une grande considération auprès du roi Philippe, [260a] tant par sa flatterie, que parce qu'il dansait, faisait beaucoup rire ce prince lorsqu'il était à table avec lui. Ce fut cet homme qu'il envoya pour ravager le pays des Perrébeens, et conduire toute cette entreprise. Philippe avait toujours de semblables personnages autour de lui, passant beaucoup de temps à boire et à faire des bouffonneries avec eux, leur communiquant même les projets les plus importants pour avoir leur avis. »
Hégésandre de Delphes rapporte ce qui suit au sujet du même Philippe : « Il envoya, dit-il, une somme d'argent assez considérable aux Athéniens qui s'assemblent dans le temple d'Hercule, [260b] appartenant aux Diomes,[170] pour y dire tout ce qu'il y a de plus capable de faire rire, ordonnant à quelques personnes de lui communiquer par écrit tout ce qu'on y dit à ce sujet. »
Théopompe en parle ainsi dans le liv. 26 de ses histoires : « Philippe sachant que les Thessaliens vivaient sans règle et sans mesure, en forma ses sociétés ; et cherchait à leur plaire en tout, dansant, s'enivrant, et ne gardant aucune mesure dans ses débauches. Il était naturellement bouffon, [260c] pris de vin tous les jours, ne se fixant que sur tout ce qui tendait à ces plaisirs, et recherchant les hommes toujours prêts à placer une raillerie, un bon mot avec finesse, et à faire rire, soit par leurs discours, soit par leurs gesticulations.[171] C'est plus dans ces coteries, que par des présents, qu'il s'est attaché la plupart des Thessaliens qui approchaient de sa personne avec cette familiarité.
Denys de Sicile se comportait de même, comme le donne à entendre Eubule le comique, dans sa pièce intitulée le Tyran, surnom de Denys :
« Il est haut et dur pour les gens d'honneur, [260d] mais, au contraire, toujours traitable pour les flatteurs et ceux qui s'entendent au persiflage; il regarde même ceux-ci comme des gens libres, quand ce serait un esclave. »
77. Mais Denys n'était pas le seul qui reçût favorablement ceux qui avaient dissipé leur bien à boire, à jouer, et à d'autres excès : Philippe se comportait de même. Voici ce que Théopompe écrit de l'un et de l'autre dans son liv. 49 :
« Philippe éloignait de lui les gens réservés et honnêtes, qui tenaient leurs affaires en bon ordre. Il honorait, [260e] vantait même les gens somptueux qui passaient leur vie à des jeux de hasard, et à boire, non seulement il leur en procurait les moyens, il les autorisait encore à commettre toutes sortes d'injustices et d'infamies. En effet, de quelle action honteuse, de quelle violence n'étaient-ils pas coupables? quelle qualité, quel mérite eût-on trouvé chez eux? n'étaient-ce pas des gens qui se faisaient raser, épiler, tout hommes qu'ils étaient? Ceux même de ses amis qui avaient de la barbe osaient se constuprer les uns les autres.[172] [260f] Tous ces gens menaient partout avec eux deux ou trois mignons, et leur rendaient le même service à leur tour ; de sorte qu'on peut dire que Philippe n'avait pas pris des amis, mais des amies, et personne ne les eût appelés des soldats, mais des paillasses.[173] Portés, par leur scélératesse naturelle, aux assassinats, ils étaient les femmes de leurs compagnons; bien loin de connaître la sobriété, ils n'aimaient qu'à s'enivrer ; au lieu de vivre honnêtement, ils ne songeaient qu'à piller et à tuer. Respecter la vérité, tenir leurs engagements, c'est ce qui leur paraissait ne pas les concerner; [261a] mais se parjurer, tromper, était une grande[174] action pour eux. Insouciants sur ce qu'ils avaient, ils cherchaient avec cupidité ce qu'ils n'avaient pas, tandis qu'ils avaient à leur discrétion une partie de l'Europe ; car je pense que ces amis, dont le nombre ne passait pas huit cents, jouissaient de revenus fonciers aussi grands que pouvaient en percevoir dix mille Grecs possédant le terrain le meilleur et le plus étendu ».
Théopompe dit à peu près la même chose de Denys, tyran de Sicile, [261b] dans son liv. 21 ; Denys aimait et recevait favorablement ceux qui avaient dissipé leur bien au jeu, à la table, et à d'autres, débauches; car il voulait que tous les hommes fussent vicieux et pervers. »
78. Démétrius Poliorcète aimait aussi à rire, selon le rapport de Phylarque, liv. 10 de ses histoires; mais voici ce qu'il écrit, liv. 14 : « Démétrius voyait avec beaucoup de plaisir[175] ceux qui le flattaient à sa table, et qui faisaient leurs libations[176] à Démétrius, seul roi; à Ptolémée, seul amiral; à Lysimaque, le trésorier ; à Seleucus, commandant des éléphants ; mais ces choses le firent beaucoup haïr. »
[261c] Hérodote nous apprend que le roi Amasis, plaisant de son naturel, aimait à railler ses convives; et que lors même qu'il n'était que particulier, il se plaisait à boire et à badiner aux dépens d'autrui ; que du reste il était sans ambition.
Selon Nicolas de Damas, liv. 37, Sylla, général Romain, et qui aimait pareillement à rire, eut tant de passion pour les mimes et les bouffons, qu'il leur assigna des terres très étendues qui appartenaient à l'Etat. Les comédies satiriques qu'il a écrites dans sa langue, prouvent combien il prenait de plaisir à ces amusements.
79. [261d] Théophraste rapporte, dans son ouvrage sur la Comédie, que les Tirynthiens aimaient passionnément à rire, et qu'étant incapables de s'occuper d'affaires sérieuses, ils eurent recours à l'oracle de Delphes, y demandant d'être délivrés de ce penchant. L'oracle leur répondit qu'ils en seraient réellement guéris s'ils parvenaient â sacrifier, sans rire, un taureau à Neptune, et à le jeter à la mer. Dans la crainte de manquer à la condition prescrite par l'oracle, ils défendirent de laisser venir les enfants au sacrifice. [261e] Un enfant l'ayant appris, se mêla dans la foule. On voulut le chasser en criant après lui: Quoi! dit-il, craignez-vous que je ne renverse le vase[177] qui va recevoir le sang de la victime! Éclatant tous aussitôt de rire, ils virent par expérience que le dieu leur avait voulu indiquer qu'il est impossible de faire cesser une vieille habitude.
Sosicrate, livre premier de son histoire de Crète, rapporte quelque chose de particulier concernant les habitants de Phæste : c'est que dès leur enfance ils passent pour s'exercer à la plaisanterie ; et que pour cette raison il leur arrive souvent de dire des choses fort spirituelles, y étant accoutumés depuis leurs premières années. C’est pourquoi tous les Crétois leur accordent l'avantage de la plaisanterie.
80. [261f] Chap. XVIII. Anaxandride[178] le comique place la jactance après la flatterie. Voici ce qu'il dit, dans son Pharmakomantis:
« Quoi, tu me blâmes d'avoir quelque jactance! Eh! bien,[179] la jactance l'emporte sur tous les talents, après la flatterie cependant; car ce métier-ci est le métier par excellence! »
Aristophane, dans sa Gérytade, fait mention d'un flatteur gourmand :
« Tu t'appelais[180] psithyre, colax, sannyrion? mais, flatteurs gourmands, scélérats, où allez-vous vous débaucher? »
[262a] Philémon dit, dans son Ananeoumenee (Renouvelée) :
« Celui-ci est un flatteur affamé. »
Philippide, dans son Renouvellement (Ananeoosis):
« Toujours flattant en affamé, et s'insinuant. »
C’est proprement là ce qui constitue le caractère du flatteur (kolax); car kolon signifie nourriture, mot dont on a formé boukolos, celui qui mène paître les bœufs; dyskolos, dégoûté du manger, qui en a de l'aversion ; sans excepter koitia,[181] le ventre, qui reçoit le manger.
Diphile s'est servi du mot Psoomokolaphos :
« On te nomme[182] Psornokolaphe, fugitif. »
81. Démocrite ayant fini cette dissertation, demanda à boire dans le biberon [262b] de Sambrias. Aussitôt Ulpien dit : « Quel est donc ce Sambrias? » Comme il allait entamer un discours qui n'aurait pas fini, on vit entrer une foule de domestiques qui apportaient à manger.
Démocrite reprit la parole, et dit à ce sujet : « J'ai toujours vu avec étonnement, Messieurs, que la gente esclave soit si retenue, se trouvant au milieu de tant de friandises. Ils les regardent avec indifférence, non par la crainte seulement, mais aussi par la discipline à laquelle on les accoutume; car je n'entends pas ici cette discipline du Doulodidascale[183] de Phérécrate, ni un ordre qui les empêche d'en approcher, [262c] comme on défend aux esclaves de l'île de Coo, d'être présents aux sacrifices qu'on fait à Junon.
C'est en effet ce que nous lisons dans l'histoire de Coo par Macarée, liv. 3 : « Lorsque les habitants de Coo, dit-il, font des sacrifices à Junon, aucun esclave n'entre dans le temple, ni ne goûte rien de ce qu'on y apprête. »
Antiphane dit, dans son Dysprate:[184]
« On voyait des amètes à demi-mangées, de petits oiseaux : or, il n'était permis à aucun esclave de toucher à ces restes, comme l'assurent les femmes. »
[262d] Epicrates introduit aussi sur la scène un valet fort mécontent, à qui il fait tenir ce discours, dans son Dysprate :
« Qu'y a-t-il de plus fâcheux que d'entendre appeler deux ou trois fois de suite un esclave, tandis que les convives s'en donnent à leur aise, et de présenter le pot-de-chambre à un jeune égrillard sans barbe; de voir laisser, des amètes à demi-rongées ; de petits oiseaux, sans qu'il soit permis à un pauvre esclave de toucher à ces restes, car c'est ce que nous disent les femmes! Qu'un de nous autres s'avise d'avaler un verre de vin, de gruger un morceau, sur le champ c'est un gourmand, un goinfre! »
[262e] En comparant ces vers, il est évident qu'Epicrates a pris les siens d'Antiphane.
82. Dieuchidas nous apprend, dans son histoire de Mégare, pourquoi les îles qui sont entre le rivage du territoire de Cnide et Symée, ont été appelées Araiai : Il survint, dit-il, après la mort de Triopas, un différend entre ceux qui l'avaient accompagné dans son expédition. Les uns se retirèrent chez eux, les autres demeurèrent avec Phorbas, et le suivirent à Ialise : un autre parti s'empara de Camire et de ses dépendances avec Periergue. Or, Phorbas fit alors des imprécations[185] contre eux, si l'on en croit le bruit commun, [262f] et ce fut pour cette raison que ces îles eurent le nom d'Araiai, Phorbas ayant fait naufrage, sa sœur (et qui l'était aussi de Periergue) se sauva à la nage dans l'endroit appelé Schedia. Thamnée, qui chassait vers ce lieu-là, se trouvant à leur rencontre, les mena chez lui pour leur donner l'hospitalité; mais avant d'y arriver, il envoya un domestique à sa femme, pour lui dire de préparer tout ce qui était nécessaire, parce qu'il amenait des étrangers (hôtes).
[263a] Thamnée arrive au logis, ne trouve rien de prêt; aussitôt il jette du bled dans le moulin, fait les autres préparatifs en conséquence, et après avoir moulu il traite ses hôtes. Phorbas fut si flatté de cet accueil, qu'il voulut qu'après sa mort ses amis ne lui fissent rendre les devoirs funèbres que par des gens libres : or, c'est cet usage qu'on observe encore lorsqu'on sacrifie aux mânes de Phorbas. Le service ne s'y fait que par des gens libres, et il est défendu à tout esclave d'en approcher.
83. Mais les esclaves étant un des sujets qu'Ulpien a proposé de discuter, [263b] disons-en quelque chose, en rappelant ici par ordre[186] ce que nous pouvons en avoir lu autrefois. Phérécrate dit, dans ses Campagnards :
« Il n'y avait alors ni de Manès, ni de Sacès, esclave de personne: c'étaient elles[187] (les femmes) qui étaient chargées de tout le travail du ménage. En outre, levées dès la pointe du jour, elles s'occupaient à moudre les grains ; de sorte-que le hameau retentissait du chant[188] de celles qui faisaient tourner la meule. »
Anaxandride écrit, dans son Anchise :
[263c] « Mon ami, jamais il n'y eut de corps civil[189] composé d'esclaves: c'est la fortune qui change la condition des individus. Nombre de gens sont aujourd'hui esclaves, qui demain seront Suniens,[190] et après demain vendus sur la place comme esclaves. C'est le sort[191] qui manie le gouvernail de chacun de nous. »
84. Posidonius le Stoïcien dit, dans le livre XI de ses histoires, que plusieurs étant incapables de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins, faute d'avoir assez d'esprit, s'abandonnent en propriété à des gens plus intelligents, [263d] afin que, trouvant sous leur direction ce qui leur est nécessaire, ils leur rendent, par leurs personnes mêmes, certain équivalent en les servant de tout leur pouvoir. C'est ainsi que les Mariandyniens se sont assujettis aux citoyens d'Héraclée, promettant de les servir à jamais comme serfs, à condition que ces citoyens leur procureraient le nécessaire à tous égards, et qu'on ne pourrait vendre aucun d'eux pour sortir du territoire d'Héraclée, mais seulement dans les dépendances de cette ville. C'est peut-être pour cette raison qu'Euphorion, le poète épique, donne aux Mariandyniens le nom de Dorophores :
[263e] « On les appelle Dorophores, gens tremblants devant leurs maîtres. »
Callistrate, disciple d'Aristophane,[192] dit qu'on les nomma Dorophores, pour éviter ce qu'aurait eu de trop sensible la dénomination d’esclaves. C'est ainsi que les Spartiates en ont usé envers les Ilotes ; les Thessaliens, envers les Pénestes, les Crétois, envers les Clarotes : or, les Crétois appellent Chrysonètes, ceux qui servent dans les villes ; [263f] Amphamiotes, ceux qui servent à la campagne ; et Clarotes, ceux qui sont du pays même, mais qui ont été tirés au sort après avoir été pris à la guerre. Éphore dit, dans le liv. 3 de ses histoires, que les Crétois appellent leurs esclaves Clarotes, parce qu'ils sont tirés au sort. Ces valets ont, à Cydon, certaines fêtes réglées,[193] pendant lesquelles aucun homme libre n'entre dans la ville; mais ils sont maîtres de tout, et peuvent même battre de verges des gens libres. Sosicrate nous apprend, dans le second liv. de son histoire de Crète, qu'on y appelle Mnoia (la servitude publique) les esclaves publics ; Aphamiotes, les esclaves particuliers, et Hypeekooi, les Perioikou.
[264a] Dosiadas dit à peu près la même chose dans le liv. 4 de son histoire de Crète.
85. Les Thessaliens appelant Pénestes, non ceux qui sont nés esclaves, mais ceux qui ont été pris à la guerre, Théopompe le comique a fait un abus du mot Péneste, lorsqu'il a dit :
« D'un maître Péneste,[194] le sénat (la maison) est toujours sale et sans ordre. »
Les Pénestes s'appelaient aussi Thessaloikètes, selon ce que dit Philocrate, dans le second livre de l'histoire de Thessalie, si cependant cet ouvrage est vraiment de lui.
Archémachus dit, dans son histoire d’Eubée, liv. 3 : « Des Béotiens qui avaient habité Arnaia, quelques-uns ne retournèrent pas en Béotie, [264b] mais arrêtés, par les attraits du pays d'Arna, ils se donnèrent aux Thessaliens pour en être les serfs, à condition qu'on ne les vendrait pas pour sortir de cette contrée, et qu'on n'aurait pas droit de vie et de mort sur eux;; que de leur côté, ils cultiveraient la terre, et rendraient un tribut annuel des productions. S'étant donc fixés là, moyennant ces conditions) après avoir donné la propriété de leurs personnes, ils furent alors appelés Ménestes,[195] maintenant Pénestes, et plusieurs d'entre eux sont actuellement plus riches que leurs maîtres. Euripide les appelle Latris dans [264c] son Phrixus :
« Le Péneste, qui est mon Latris (serviteur) est d'ancienne famille. »
86. On lit, dans, le neuvième livre des histoires de Timée de Taormine, qu'anciennement les Grecs ne se faisaient pas servir par des esclaves qu'on achetât à prix, d'argent. Voici ce qu'il dit : « On reprocha généralement à Aristote de s'être trompé au sujet des usages de Locres; car il n'était pas d'usage chez les Locriens, ni chez les Phocéens, d'avoir des serviteurs, hommes ou femmes ; ceci n'eut lieu que dans des temps modernes. La femme de Philomèle, celui qui prit Delphes, est la première qui ait été suivie de deux servantes. [264d] Mnason, ami d'Aristote, fut aussi dénoncé aux Magistrats par les Phocéens, pour avoir acheté mille esclaves, et avoir ainsi privé un pareil nombre de citoyens de ce qui leur était nécessaire pour vivre; car il était d'usage que dans chaque famille les plus jeunes servissent les gens âgés.
87. Platon remarque, dans le sixième livre, de ses Lois, que l'état de l'esclavage[196] présente mille difficultés. De tous les esclaves de la Grèce, les Ilotes de Lacédémone sont ceux sur qui il est le plus difficile de prononcer; [264e] les uns soutenant que la forme et la nature de cet esclavage sont avantageuses à cette république, et les autres les trouvant mauvaises. Il est moins difficile de se décider sur la servitude des Mariandyniens, esclaves des habitants d'Héraclée, et sur celle des Pénestes chez les Thessaliens. Si donc nous considérons bien le fort et le faible, quel parti prendrons-nous sur l'esclavage? car il n'y a généralement rien de bon dans l'âme d'un esclave, et l'on ne peut lui rien confier d'important. Voilà pourquoi le plus sage des poètes a dit : »
[264f] « Jupiter, aux regards[197] duquel rien n'échappe, ôte la moitié de leur âme aux hommes que le jour de la servitude surprend. »
Ces hommes qui sont en la possession d'autrui, ont prouvé par expérience combien ils sont dangereux. On a vu, par les défections fréquentes[198] des Messéniens, par ce qui est arrivé aux villes qui possédaient un grand nombre d'esclaves de la même nation, ou qui parlaient la même langue, combien il peut en résulter de maux. Ajoutons à cela les déprédations et les brigandages de toute espèce, à quoi se sont portés les esclaves marrons devenus pirates sur les, côtes de l'Italie. On est réellement embarrassé du parti qu'on doit prendre lorsqu'on réfléchit mûrement à toutes ces circonstances.
[265a] Il n'y a donc plus que deux partis à prendre, 1° c'est de ne pas avoir d'esclaves du même pays si l'on veut en tirer un meilleur service, et, autant qu'il est possible, d'éviter qu'ils parlent la même langue; 2° de les bien nourrir, encore plus par rapport à soi-même, que par considération pour eux ; de ne pas être violent, ni injuste à leur égard; de les faire punir avec équité;[199] de ne point leur faire de représentations amicales, comme à des gens libres : ce ton ne servirait qu'à les amollir. En parlant à des esclaves, il faut que ce soit toujours sur le ton du commandement; ne jamais badiner avec eux, soit mâles, soit femelles : [265b] plusieurs ont ainsi gâté leurs esclaves, sans réflexion, en plaisantant avec eux, et les ont rendus plus difficiles à s'acquitter de leur service, en se privant de l'autorité nécessaire pour commander.
88. Je sais, par le livre 17 de Théopompe, que les habitants de Chio sont, parmi les Grecs, les premiers qui aient eu des esclaves, après les Thessaliens [265a] et les Lacédémoniens; mais ils n'en acquirent pas la propriété au même titre que ceux-ci. On voit que les Lacédémoniens et les Thessaliens réduisirent en esclavage les premiers des Achéens qui habitaient[200] le pays dont ils s'emparèrent ; les seconds, les Perrhébéens et les Magnésiens. Après les avoir assujettis, ils nommèrent les uns Ilotes, les autres Pénestes; mais les habitants de Chio n'eurent pour esclaves que des barbares qu'ils achetaient à prix d'argent.
Voilà ce que rapporte Théopompe ; pour moi, je pense que ce fut la raison pour laquelle le ciel s'irrita contre les habitants de Chio, car ils furent ensuite assujettis par leurs esclaves.
Nymphiodore parle des habitants de Chio en ces termes, dans son Voyage maritime de l’Asie : [265d] « Les esclaves de Chio s'étant enfuis, et rassemblés en grand nombre dans les montagnes où ils se retirèrent, se mirent à ravager les métairies des habitants ; car l'île n'est qu'un terrain pierreux et couvert de beaucoup d'arbres. On raconte même ce qui suit à Chio. Un esclave fugitif s'étant retiré dans les montagnes, s'y fixa. C'était un homme courageux, ayant une âme vraiment martiale, et qui marchait à la tête des autres esclaves comme le roi de leur armée. La ville de Chio envoya souvent des troupes réglées contre lui, mais sans aucun succès. Drimacus, c'était le nom de cet esclave fugitif, voyant donc qu'ils ne l'attaquaient que pour périr sous ses coups, leur fit ces propositions : [265e] « Habitants de Chio, nos anciens maîtres, jamais vos esclaves ne se désisteront de cette entreprise ; et comment le feraient-ils? puisque c'est par l'ordre de l'oracle même; mais si vous acceptez mon avis, et nous laissez vivre tranquilles, je vous procurerai de nombreux avantages. »
89. Ils firent donc un traité avec lui, et l'on convint de part et d'autre d'une suspension d'armes pour un temps. Drimacus se fit faire des mesures, des poids, et graver un cachet particulier. Montrant tout cela aux députés de Chio, il leur dit : [265f] « Si je prends à l'avenir quelque chose de vous autres, je ne le ferai qu'à ces poids et à ces mesures; et lorsque j'aurai ce qu'il me faudra, je cachèterai vos magasins[201] après en être sorti. A l'égard de ceux de vos esclaves qui se réfugieront vers moi, j'examinerai leur cause. S'il me paraît qu'ils se soient sauvés pour avoir essuyé quelque traitement trop sévère, je les garderai auprès de moi; mais s'ils n'ont pas eu de juste raison pour fuir, je les renverrai à leurs maîtres. »
[266a] Les autres esclaves, voyant donc que la ville de Chio avait adhéré très volontiers à ces conditions, ne s'enfuirent plus en si grand nombre, redoutant le jugement de Drimacus. Quant aux esclaves qui étaient avec lui, ils le craignaient plus qu'ils n'avaient fait leurs anciens maîtres ; ils étaient dévoués à faire tout ce dont il avait besoin, et lui obéissaient, sans réserve, comme à leur général. En effet, il faisait punir ceux qui manquaient au bon ordre, ne permettant à personne de piller la campagne, ni de commettre aucune autre injustice, pas même en une seule circonstance, à moins que ce ne fût de son avis. [266b] C’était les jours de fêtes qu'il faisait ses excursions dans les campagnes, pour y recevoir, des propriétaires, du via, des bestiaux ; les plus beaux qu'on avait sacrifiés : ce qu'on lui donnait volontiers. S'il découvrait que quelqu'un lui eût tendu des embûches, ou tramât un complot contre lui, il s'en vengeait aussitôt.
90. Enfin, la ville de Chio fit publier qu'elle donnerait une somme d'argent considérable à celui qui apporterait la tête de cet homme, ou l'amènerait prisonnier. Alors Drimacus, devenu vieux, appela séparément un jeune homme qu'il aimait, et lui dit :
« Je n'ai aimé personne autant que toi ; tu es mon confident, [266c] mon fils, et tout ce que tu peux être pour moi. Je sens que j'ai assez vécu ; tu es jeune, à la fleur de ton âge. Que nous reste-t-il donc à faire à présent? il faut ici que tu te montres homme aussi honnête à mon égard que courageux. La ville de Chio vient d'offrir beaucoup d'argent et la liberté à celui qui me tuera ; ainsi il faut que tu me tranches la tête, et que tu la portes à Chio, pour y recevoir la somme promise, et vivre ensuite heureux. »
Le jeune homme se refusa d'abord à cette action; [266d] mais Drimacus vint à bout de le persuader. Il lui tranche donc la tête, va recevoir l'argent, et se retire dans sa patrie, après avoir enseveli cet esclave marron. La ville de Chio, troublée de nouveau par ses esclaves, qui la pillaient, se rappela Drimacus mort, et sa modération : elle lui fît en conséquence bâtir un héroon[202] dans son territoire, et lui donna le nom du héros propice. Les esclaves marrons y apportent même encore les prémices de tout ce qu'ils volent. On ajoute que l'ombre de Drimacus apparaît en songe à nombre d'habitants de Chio, et les avertit des trames de leurs esclaves. [266e] C'est pourquoi ceux à qui elle apparaît vont à l'endroit où est sa chapelle, lui offrir un sacrifice.[203]
91. Tels sont les détails de Nymphiodore; quoique dans plusieurs exemplaires je n'aie pas trouvé Drimacus désigné par son nom.
Je pense que personne de vous n'ignore ce que le charmant Hérodote a raconté de Panionius de Chio ; quels maux[204] il a justement soufferts pour avoir fait des enfants castrats, et les avoir ainsi vendus,
Nicolas le Péripatéticien et Posidonius disent, [266f] dans leurs histoires, que les citoyens de Chio, réduits en servitude par Mithridate de Cappadoce, furent livrés dans les fers à leurs propres esclaves, pour être transportés en Colchide. Sans doute que la vengeance céleste les poursuivit, pour s'être fait servir les premiers par des esclaves achetés à prix d'argent, tandis qu'il y avait nombre de mercenaires prêts à leur rendre les services dont ils avaient besoin.
Chap. XIX. Ne serait-ce pas de là qu'est venu le proverbe qu'a employé Eupolis dans ses Amis?
« Le peuple de Chio s'est acheté un maître. »
92. Les Athéniens, attentifs au sort des esclaves, publièrent une loi, en vertu de laquelle un esclave pourrait appeler son maître en justice pour cause de mauvais traitement.[205] C'est pourquoi l'orateur Hypéride dit, dans son discours contre Mantithée : [267a] « Nos lois ont accordé non seulement aux hommes libres la plainte contre l'injure, elles ont même autorisé les esclaves à citer leurs maîtres en justice, si quelqu'un voulait abuser d'eux avec violence. Lycurgue parle de même dans son premier plaidoyer contre Lycophron, et Démosthène le confirme dans le sien contre Midias. »
Malacus rapporte, dans son ouvrage sur les Limites des habitons de Siphne, que ce furent mille esclaves des Samiens qui fondèrent la ville d'Éphèse. [267b] D'abord ils s'étaient retirés sur une montagne après avoir quitté, leurs maîtres, et leur firent beaucoup de mal. A la sixième année, les Samiens ayant consulté l'oracle, firent des arrangements avec eux ; ces esclaves sortirent alors impunément de l'île, et allèrent par mer fonder Ephèse : c'est d'eux que descendent les Éphésiens.
93. Selon Chrysippe, il faut distinguer entre doulos et oiketees:[206] il donne cette distinction dans le second livre de la Concordance, et il se fonde sur ce que les affranchis sont encore douloi, au lieu que celui qui est oiketees n'est pas encore mis hors de la possession de son maître, puisqu'il est un doulos que l'on compte dans la propriété de celui à qui il appartient.
[267c] Clitarque présente, dans son Glossaire, plusieurs dénominations d'esclave : comme azoi, therapontes, akolouthoi, diakonoi, hypeeretai ; et en outre palmones, lalreis. Amerie dit qu'on appelait herkites les esclaves qui travaillaient à la campagne. Selon le Glossaire Crétois d'Hermon, les esclaves nés de parents libres se nommaient mnootes. Seleucus appelle azoi les serviteurs, tant hommes que femmes ; mais la femme esclave il la nomme apophrase et bolize, en particulier; et l'homme esclave, né d'esclave, sindron; la servante qui est toujours autour de sa maîtresse, est chez lui l’amphipole celle qui marche devant elle est la propole. [267d] Proxène dit, dans son liv. 2 de la République de Lacédémone, que les servantes se nomment chalkides chez les Lacédémoniens. Ion, dans son Laërte, a mis oiketees pour doulos (esclave), en disant :
« Hélas! valet (oiketa) vole, ferme la maison, de peur que quelqu'un ne vienne. »
Achée, parlant de Satyrus, dans son Omphale, dit qu'il était :
« Eudoulos kai euoikos. »
Voulant exprimer proprement par ces termes la bonté dont il usait envers ses esclaves et ses serviteurs. [267e] On appelle généralement oiketees celui qui sert dans une maison, soit homme libre, soit esclave.
94. Les poètes de l'ancienne comédie, parlant de la vie des premiers âges, observent qu'on ne connaissait pas alors le service d'homme esclave. Voici ce qu'ils en disent : Cratinus, dans ses Riches :
« Eux sur qui régnait autrefois Saturne, lorsqu'on jouait aux osselets pour gagner un pain, et qu'on déposait, pour ceux qui étaient vainqueurs à la lutte, des mazes d'Égine, accompagnées d'olives drupepes,[207] et d'intestins qui en faisaient l'ornement. »
Cratès dit, dans ses Brutes (Theeriois) :
« A. En outre, personne ne possédera aucun esclave, homme ou femme. B. Ainsi un vieillard devra se servir lui-même. [267f] A. Point du tout; je ferai marcher tout le service sans qu'on y touche. B. Eh bien, après? A. Chaque vaisseau approchera de lui-même lorsqu'on l'appellera : (il n'y aura qu'à dire) table, dresse-toi ; couvre-toi; huche, pétris; gobelet, remplis-toi; coupe, ou es-tu? rince-toi bien ; maze, viens sur la table ; marmite, retire ces bêtes de ton ventre ; poisson, avance ; mais (dira-t-il) je ne suis pas encore rôti des deux côtés : eh! bien, retourne-toi, et, te saupoudrant de sel,[208] frotte-toi ensuite de graisse. »
[268a] Celui qui parle ensuite, et répond en opposant autre chose, dit :
«. Eh! bien, mets en parallèle ce qui suit. D'abord, j'amènerai l’eau chaude des bains dans le mien, sur des. colonnes telles que celles de l'aqueduc pæonien, qui est près de la mer, de sorte que l'eau viendra se verser par un long trajet dans ma chaudière, et s'en retournera d'elle-même : après cela viendra le pot de parfum, sans qu'on l'apporte, et l'éponge et les sandales se présenteront de même. »
95. Mais Téléclide dit encore mieux que tout cela, dans ses Amphictyons :
[268b] « Je vais raconter la vie que je procurais aux hommes des premiers âges. D'abord, la paix régnait partout, et était aussi commune que l'eau qu'on verse sur les mains. La terre ne produisait rien de dangereux, ni des maladies; mais tout ce dont on avait besoin croissait de soi-même. Il ne coulait que du vin dans tous les torrents. Les mazes disputaient avec les pains autour de la bouche des hommes, suppliant qu'on les avalât, si l'on voulait manger tout ce qu'il y avait de plus blanc en ce genre. Les poissons venaient dans chaque demeure [268c] pour se rôtir eux-mêmes, et se présentaient aussitôt sur les tables. Un fleuve de sauce coulait devant les lits, roulant des tranches de viandes, et des ruisseaux de ragoûts étaient là tout prêts pour ceux qui en voulaient ; de sorte qu'ils avaient abondamment[209] dans leurs plats de quoi manger une bouchée bien tendre, en l'arrosant (trempant). I! y avait à foison[210] des grenades, pour en répandre dans les assaisonnements. Les grives, accompagnées de petits pâtés, volaient toutes rôties dans le gosier. [268d] On entendait le vacarme des galettes qui se poussaient et repoussaient autour des mâchoires, pour entrer. Les enfants jouaient aux osselets à qui gagnerait un morceau de vulve, ou quelque autre friandise à gruger. Les hommes étaient alors gras, et de vastes corps gigantesques. »
96. Par Cérès! mes amis, s'il en était ainsi pour lors, quel besoin aurions-nous donc aujourd'hui de nos esclaves? en effet, les anciens nous apprenaient, par les récits enjoués de leurs repas, à nous accoutumer à nous servir nous-mêmes. Pour moi, puisque j'ai suivi l'ordre des représentations des pièces dont je vous ai cité des vers, en commençant par l'admirable [268e] Cratinus, qui précéda les autres comme la torche à la main, et vous faisant voir comment[211] ceux qui le suivirent l'imitèrent en travaillant sur son fonds, si je ne vous suis pas à charge, (car pour cette tourbe de Cyniques, je m'en inquiète fort peu) je vais aussi vous rapporter, suivant l'ordre des temps, ce que les autres poètes ont dit. Phérécrate, l'écrivain le plus attique, est de ce nombre : or, voici ce qu'il dit dans ses Mineurs :
« A. Toutes ces choses là étaient en confusion chez Plutus, et dans cette abondance on voyait les choses apprêtées de toutes manières. Plusieurs fleuves de purée, de sauce noire, et des morceaux de gros pain coulaient avec un bruit sonore [268f] dans les rues étroites, roulant aussi des cuillers;[212] de sorte que la bouchée[213] arrivait d'elle-même, toute grasse de sauce, au gosier des morts. Les andouilles et les morceaux de boudin étaient répandus encore tout brûlants le long des fleuves, au lieu de coquillages. Il y avait aussi des tronçons de salines, rôtis et assaisonnés de toute manière ; des anguilles[214] cuites dans des feuilles de poirée. [269a] Tout près on voyait des jambons avec leur pied, très succulents, servis sur des plats; des issues, dont la vapeur parfumait ; de gros intestins de bœufs; des carrés de porcs bien gras,[215] et des plus appétissants, se présentaient là, servis sur un coulis de grains broyés dans du jus. Il y avait du gruau bien imprégné de lait, dans des bassines, et des tranches de premier lait[216] épaissi sur le feu. B. Oh! tu m'assommes! quoi! tu demeures encore ici, tandis que tu peux te plonger à l'aise dans le Tartare? [269b] A. Que vas-tu donc dire lorsque tu entendras le reste? — Des grives rôties, brûlantes et assaisonnées, répandues sur des myrtes et des anémones, volaient à la bouche, demandant qu'on les avalât. Des pommes des plus belles pendaient sur la tête,[217] sans tenir à rien. De jeunes filles, enveloppées de mantes d'un tissu aussi fin que les cheveux, parvenues tout nouvellement à l'âge de puberté, et qui avaient tondu[218] leur rosier, puisaient avec un entonnoir, et remplissaient des coupes de vin Anthosmias, [269c] pour ceux qui voulaient boire : dès que quelqu'un avait bu et mangé, il en revenait aussitôt[219] le double. »
97. Le même dit, dans ses Perses:
« Qu'avons-nous besoin davantage de tes laboureurs, de tes charrons, de taillandiers, de chaudronniers, de semences, d'échalas, puisqu'il va couler spontanément dans les carrefours, des fleuves [269d] de sauce noire, saupoudrés[220] de grasses farines, roulant avec fracas, et en bouillonnant, par-dessus leurs bords, des mazes d'Achille,[221] les fleuves, dis-je, qui sortiront des sources de Plutus, et où il ne s'agira plus que de puiser. Jupiter faisant pleuvoir le capnias (vin), en baignera les tuiles des maisons, et des ruisseaux de vin couleront des toits avec de petits gâteaux, des tartelettes au fromage, de la purée de pois[222] toute chaude, et du vermicelle[223] assaisonné de lis et d'anémone. Les arbres qui sont sur les montagnes porteront, au lieu de feuilles, [269e] des tripes de chevreaux, des calmars des plus tendres, et des grives cuites comme entre deux plats. »
98. Il n'est sans doute pas nécessaire de rapporter ici ce que dit le charmant Aristophane, dans ses Tagénistes : vous êtes tous pareillement remplis de ce qu'on lit dans ses Acharniens. Je vais finir sur cette matière en citant un passage des Thurioperses de Métagène, car pour Nicophon, j'envoie promener ses Sirènes, où il écrit :
« Qu'il neige de la farine, qu'il tombe une rosée de pains, qu'il pleuve de la purée, que la sauce roule la viande dans les rues ; que les galettes se présentent pour être mangées, etc. »
Mais voici ce que dit Métagène :
[269f] « Le fleuve Cratis nous apporte sur ses eaux de très grandes mazes, qui se sont pétries d'elles-mêmes. Le Sybaris, autre fleuve ainsi nommé, roule des flots de nastes[224] et de viandes, d'anges cuits au bouillon, et qui viennent du même endroit.[225] Il y a aussi d'autres petits fleuves dont l'un apporte, d'un côté, dans ses flots, des calmars rôtis, des phagres, des langoustes; de l'autre, des boudins et du miroton : [270a] l'autre charie, d'un côté, des aphyles[226] de l'autre, des pâtes frites. Des tronçons de saline, cuits entre deux plats, s'élèvent pour couler dans la bouche ; d'autres roulent aux pieds, et noua somme» tout entourés d'amyles, ou de petites galettes de bled non moulu. »
Je sais que les Thurioperses de Métagène, et les Sirènes de Nicophon n'ont pas été jouées ; voilà pourquoi j'en ai parlé en dernier lieu.
99. Démocrite ayant ainsi parlé, avec autant de savoir que de clarté, tous les convives l'applaudirent. Cynulque prit la parole, et, leur dit : [270b] « Messieurs nos convives, Démocrite vient de contenter ma faim, d'une manière même assez agréable, en traversant des fleuves de nectar et d'ambrosie. J'avoue cependant que je me sens encore plus d'appétit depuis qu'il m'a ainsi arrosé l'âme, car je n'ai rien avalé que des paroles : ainsi ces sons tous ces longs discours qui ne servent de rien, et prenons, selon l'avis de l'orateur Pæanien,[227] quelque chose qui, sans rendre toute la vigueur, empêche au moins de mourir de faim, » car avec le ventre vide on ne se porte pas aux grandes choses. Achée dit même, dans son Æthon satirique :
[270c] « Vénus se fâche contre ceux qui sont affamés. »
C'est d'après lui que le sage Euripide a dit :
« Cypris se trouve où règne l'abondance, et point avec un homme affamé. »
Ulpien, qui lui cherchait toujours querelle, lui dit:
« Le marché[228] est plein de légumes, et pareillement plein de pains. »
Mais toi, Cynique, tu as toujours faim, et tu ne nous permets pas de prendre notre part de quelques beaux discours, s'ils sont un peu longs, ou, pour mieux dire, de nous en repaître à volonté, car les discours intéressants sont la nourriture de l'âme.
Se tournant alors vers le valet : [270d] Leucé, lui dit-il, si tu as quelques vieilles croûtes de pain de reste,[229] donne-les à ces chiens. Cynulque lui répond : Si j'avais été invité à venir entendre un discours, je n'aurais pas été étonné de voir la place pleine en arrivant; car un sage a dit place pleine, pour désigner l'heure de ces déclamations : voilà pourquoi on l'a surnommé Pléthagore;[230] mais si nous ne nous sommes lavés que pour nous repaître de jolis discours, oh! je paierai facilement mon écot en écoutant bien, comme dit Ménandre. Ainsi, je te permets de te remplir de cette nourriture, toi qui en es si avide.
[270e] « Mais une maze est préférable à l'or et à l'ivoire pour un homme qui a faim. »
selon la pièce d'Achée d'Érétrie, intitulée le Cygne.
100. En disant cela, il paraissait près de se lever de table ; mais ayant tourné la tête, et voyant des plats copieux de poissons, et d'autres mets qui formaient un cercle appétissant sur la table, il frappe de la main sur son oreiller, et s'écrie :
« Pauvreté! endure patiemment, et souffre tous ces sots parleurs ; [270f] car est-il possible de tenir contre ces mets copieux, avec une faim cruelle? »
Car, messieurs, je ne réciterai pas de dithyrambes, pressé par la faim, comme dit Socrate, mais des vers épiques. Les rapsodies[231] sont vraiment faites pour mourir de faim, selon Ameipsias. C'est même de vous, Larensius, que ce poète, animé d'un esprit prophétique, semble avoir parlé, lorsqu'il a dit dans sa Fronde :
« Non, par Vulcain, aucun riche ne vit comme vous, n'a une table aussi splendide, [271a] et ne se plaît à faire servir des sauces aussi succulentes. »
« En effet, je vois, chose prodigieuse! nombre d'espèces différentes de poissons qui jouent sur le rivage; des goujons, des spares, des plies, des pagels, des muges, des perches » des ânes de mer, des thons, des oblades, des sèches, des aulopies,[232] des surmulets, des hélédanes,[233] des scorpènes,
dit Héniochus, dans son Curieux.
Il me faut donc endurer, selon ce qu’ajoute le comique Métagène ; car
« C'est déjà un fort bon augure que de disputer pour le souper. »
101. [271b] Cynulque cessant de parler, Masurius dit : Puisqu'il reste encore quelque chose de ce qu'on avait à dire sur les domestiques, j'ajouterai aussi
« Quelques vers[234] pour l'amour que je porte au sage et aimable Démocrite. »
Philippe de Théangèle, après avoir parlé, dans son ouvrage sur les Caritus et les Lélèges, des Ilotes de Lacédémone, des Pénestes Thessaliens, dit que les Cariens se sont servis et se servent encore des Lélèges pour domestiques.
Phylarque nous apprend, dans le sixième livre de ses histoires, [271c] que les Byzantins sont les maîtres des Bithyniens, comme les Lacédémoniens le sont des Ilotes.
Quant aux Épeunactes, espèce d'esclaves des Lacédémoniens, Théopompe en parle clairement dans le livre 32 de ses histoires. Voici ce qu'il dit:
« Les Lacédémoniens ayant perdu beaucoup de monde dans la guerre qu'ils eurent à soutenir contre les Messéniens, ceux qui restèrent craignirent que les ennemis ne s'aperçussent de ce vide. Ils firent donc coucher certain nombre d'Ilotes dans le lit de ceux qui étaient morts, [271d] et leur donnèrent quelque temps après le droit de cité, les nommant Épeunactes,[235] parce qu'ils avaient été substitués dans les lits à ceux qui étaient péris.
Le même rapporte, dans son liv. 23, qu'il y a chez les Sicyoniens des esclaves nommés Catanacophores,[236] qui sont à peu près les mêmes que les Épeunactes. Menæchme dit aussi, dans son histoire de Sicyone, qu'il y a certains esclaves nommés Catanacophores, semblables aux Epeunactes. »
Théopompe [271e] ajoute, dans sa seconde Philippique, que les Arcadiens possèdent trente myriades de Prospélates,[237] qui sont chez eux comme les. Ilotes de Lacédémone.
102. A l'égard des Mothaces de Lacédémone, ce sont, il est vrai, des gens libres, mais qui ne sont pas Lacédémoniens. Voici ce qu'en raconte Phylarque, dans son liv. 25: « On appelle mothaces ceux qui ont été élevés avec l'un ou l'autre Lacédémonien. Chaque citoyen adopte en quelque manière, celui-ci un enfant, celui-là deux, quelques-uns davantage, et ils les élèvent avec leurs enfants: les mothaces sont donc des personnes libres, [271f] mais non des Lacédémoniens. Ils participent à tous les avantages de l'éducation des enfants de citoyens. Lysandre, dit-on, fut un de ces mothaces. Après avoir vaincu les Athéniens par mer, il obtint le droit de cité à Lacédémone, pour récompense de sa valeur. Myron de Priène dit, dans le second liv. de son histoire de Messène, que les Lacédémoniens ont souvent affranchi des esclaves, les appelant alors, les uns, aphètes, ou renvoyés ; les autres, adespotes, ou sans maîtres, ceux-ci, érykteeres, ou gardes; ceux-là, desposionautes,[238] qu'ils rangeaient dans les classes de la marine; d'autres, neodamodes, ou nouveaux citoyens, et en cela différents des Ilotes.
[272a] Théopompe, dans le liv. 7 de son histoire de la Grèce, parlant des Ilotes, dit qu'ils s'appelaient aussi éléates. Voici ses termes : « Les Ilotes sont à tous égards traités cruellement, et sans pitié. Ces gens sont asservis depuis longtemps aux Spartiates. Les uns sont Messéniens d'origine ; les autres ont le nom d'Éléates, ayant autrefois habité ce qu'on appelle les lagunes de Laconie. »
103. Timée de Taormine, oubliant ce qu'il avait avancé, ce dont Polybe [272b] le convainquit dans son liv. 12, dit qu'il n'était pas d'usage chez les Grecs d'avoir des esclaves. En disant cela, Timée est véritablement Épitimée,[239] et c'est ainsi que le nomme Istrus, disciple de Callimaque, dans l'ouvrage qu'il à écrit pour le réfuter. En effet, cet Épitimée dit que Mnason de Phocide possédait plus de mille esclaves ; et dans son liv. 3, il avance que la ville de Corinthe était d'une si grande opulence, qu'elle possédait quarante-six myriades[240] d'esclaves, et que l'oracle de Delphes nomma, pour cette raison, les Corinthiens, Chœnicomètres.[241]
[272c] Ktésidès rapporte, dans le liv. 3 de ses Chroniques, qu'à la cent dixième[242] olympiade on fit en Attique, sous Démétrius de Phalère, le dénombrement des habitants de l'Attique, et qu'il s'y trouva vingt-un mille Athéniens, dix mille étrangers, et quarante myriades d'esclaves.
On lit, dans le Traité des Impôts de l'élégant Xénophon, que Nicias, fils de Nicérate, ayant mille serviteurs, les loua pour les travaux des mines d'argent, à Sosia, Thrace de nation, au prix d'une obole par jour pour chacun.[243]
[272d] Aristote rapporte, dans sa République d'Egine, qu'il y a quarante-sept myriades d'esclaves. Selon ce que dit Agatharcide de Cnide, dans le liv. 38 de son histoire d'Europe, les Dardaniens avaient, les uns, mille esclaves ; les autres, davantage. Pendant la paix, chacun d'eux cultivait la terre ; en guerre, ils formaient différents corps de troupes réglées, prenant leurs maîtres particuliers pour commandants.
104. Larensius, interrompant ici ces détails, dit : « Mais chaque Romain, comme tu le sais, mon cher Masurius, [272e] possède infiniment plus d'esclaves. Nombre de citoyens en ont jusqu'à dix et vingt mille, et même davantage, non pour en tirer un revenu comme Nicias, ce riche grec, mais la plupart des Romains n'en ont un très grand nombre que pour s'en faire un cortège lorsqu'ils sortent. D'ailleurs, ces myriades nombreuses d'esclaves des Athéniens ne travaillaient aux métaux que dans les fers. Aussi le philosophe Posidonius, que tu cites toujours, rapporte que s'étant révoltés, [272f] ils égorgèrent les officiers préposés à la sûreté des mines ; en outre, qu'ils s'emparèrent de la forteresse de Sunium, et fourragèrent longtemps l'Attique. Ce fut alors qu'arriva aussi en Sicile la seconde révolte des esclaves: car il y en eut plusieurs, et il périt plus d'un million de ces rebelles.
Dans le texte du traducteur, il n’existe pas de chapitre XX entre XIX et XXI.(erreur de l'imprimeur ou du traducteur)
Chap. XXI. L'orateur Cæcilius, natif de Calacte,[244] a publié un ouvrage sur les guerres serviles. Spartacus, esclave, Thrace de nation, fut ensuite gladiateur, et se sauva de Capoue, ville d'Italie, du temps de la guerre de Mithridate. Ayant soulevé une foule considérable d'esclaves, il mit l'Italie à contribution pendant un assez longtemps, [273a] et vit tous les jours son parti grossir par les nombreux esclaves qui s'y jetaient : s'il n'avait pas été tué dans le combat qu'il soutint contre Licinius Crassus, il eût autant fatigué mes compatriotes qu'Eunus la Sicile.
105. A l'égard des anciens Romains, c'étaient des hommes très réservés et respectables en tout. Tel fut Scipion, surnommé l'Africain. Envoyé de la part du Sénat, pour rétablir l'ordre dans différents royaumes,[245] et les faire rendre à ceux qui devaient les avoir légitimement, il ne prit avec lui que cinq domestiques, selon Polybe et Posidonius. [273b] Un de ces gens étant mort en route, il écrivit à sa famille de lui en acheter un autre, et de le lui envoyer pour le remplacer. Jules César, le plus grand homme de la terre, étant passé en Angleterre avec mille vaisseaux, ne se fît accompagner que de trois esclaves en tout. C'est ce que rapporte Cotta, un de ses lieutenants, dans l'ouvrage qu'il a écrit en latin sur la république romaine.
O Grecs! Smindyride, le Sybarite, était bien différent, lui qui, venant avec empressement aux noces d'Agoraste,[246] fille de Clisthène, [273c] se fit accompagner d'un train de mille esclaves, pêcheurs, oiseleurs et cuisiniers. Cet homme, voulant montrer dans quel bonheur il vivait, dit que pendant vingt ans il n'avait vu le soleil ni se lever, ni se coucher. C'est ce que raconte Chamæléon du Pont, dans son Traité de la Volupté ; ouvrage qu'on attribue aussi à Théophraste. Or, Smindyride, regardant cela comme quelque chose de grand et d'admirable, y voyait aussi le souverain bonheur; mais cet homme, qui se couchait avec le point du jour, et se levait à nuit tombante, était à ces deux égards doublement malheureux. [273d] Estiæus du Pont se vantait, mais pour en tirer une véritable gloire, de n'avoir pas vu, pendant 20 ans, le soleil se lever, ni se coucher, parce qu'il était sans cesse livré à l'étude, comme le raconte Nicias de Nicée, dans son ouvrage sur les Successions.[247]
106. Quoi! Scipion et César n'avaient-ils pas de domestiques? Ils en avaient assurément ; mais ils observaient les lois de la patrie, et vivaient avec la plus stricte régularité, se conformant aux usages de la république. C'est le propre de gens réfléchis de s'en tenir aux anciennes pratiques, moyennant lesquelles ils ont abattu la puissance des étrangers, et de prendre avec les captifs ce qu'il y a de bon et d'honnête chez eux, pour l'imiter : or, c'est ce que firent les Romains dans les anciens temps. Sans violer les usages de la patrie, [273e] ils y transportèrent des pays vaincus ce qui pouvait s'y trouver de bon à imiter, leur laissant ce qui n'était d'aucune utilité, afin qu'ils ne pussent jamais recouvrer ce que les Romains leur avaient ôté. Ceux-ci apprirent des Grecs l'usage des machines et des instruments poliorcétiques, et les ont vaincus par ces mêmes moyens. Les Phéniciens inventèrent l'art de la marine, et les Romains s'en sont servis pour les combattre sur mer avec succès. [273f] Ils ont eu des Toscans, qui s'avançaient en ordre de phalange,[248] la tactique requise pour se battre de pied ferme, et ne pas se laisser entamer. Les Samnites leur ont servi de modèle dans l'usage du bouclier, et ils ont appris des Ibériens à manier le gœse;[249] et s'ils ont encore appris d'autres choses de différents peuples, ils ont tout perfectionné. Ils ont imité la discipline sévère de Lacédémone, et ils l'ont mieux conservée que les Spartiates ; mais actuellement s'ils font chez les ennemis un choix[250] de quelques bonnes choses, ils en rapportent en même temps les mauvais usages.
107. [274a] Les anciens Romains, dit Posidonius, tenaient de leurs aïeux des lois qui les accoutumaient à la patience et à une vie très frugale : en général, ils n'usaient de tout ce qu'ils possédaient que de la manière la plus simple, et l'on n'y voyait rien de recherché. Ils avaient une piété singulière pour les dieux, observant la justice, la plus rigoureuse, craignant de manquer à qui que ce fût, et s'occupant des travaux de l'agriculture. C'est ce qu'on peut voir par les sacrifices que nous offrons selon les usages de la patrie.
Les routes que nous devons suivre dans nos marches publiques sont réglées et déterminées. [274b] Tout ce que nous portons, ce que nous-disons dans les prières, ce que nous faisons dans les sacrifices est fixé, et présente l'appareil le plus simple et le moins coûteux. Nous ne portons d'habits que ceux que la nature demande, lorsque nous offrons les prémices. Nous avons des vêtements, des chaussures les plus simples, et la tête couverte de bonnets faits de peaux de brebis, où le poil est encore. Les vaisseaux dans lesquels nous portons le service, sont de terre ou de cuivre. Voilà dans quoi nous mettons le boire et le manger,[251] sans recherche, sans affectation d'opulence. En effet, nous pensons qu'il serait absurde de présenter nos offrandes aux dieux selon l'usage de la patrie, et de nous servir nous-mêmes conformément à des pratiques étrangères. C'est toujours le besoin seul qui est la mesure de ce que nous employons pour nous. [274c] A l'égard de ce que nous destinons aux dieux, cela se borne à quelques prémices.
108. Mucius Scævola fut à Rome le troisième qui observa la loi Fania,[252] avec Q. Cæcilius Tubéron, et Rutilius Rufus, qui a écrit l'histoire de la patrie. Cette loi défendait de recevoir criez soi plus de trois personnes du dehors, et cinq les jours de marché, qui se tenait trois fois par mois. Elle ne permettait pas non plus de dépenser à chaque repas plus de deux dragmes et demie; mais elle laissait la liberté de consommer par an quinze talents pesant de viande enfumée, sans borner les herbages qui croissent spontanément,[253] et les aliments cuits [274d] qu'on pouvait préparer des plantes potagères.
Cette dépense se bornait à bien peu de chose; mais ces trois Romains, voyant que plusieurs manquaient à la loi, et faisaient renchérir les denrées en dépensant davantage, prirent le parti de vivre avec plus d'appareil et sans violer la loi. Ainsi Tubéron achetait de ses fermiers des, volailles une dragme la pièce. Rutilius se faisait fournir, par ses esclaves pêcheurs, du poisson à raison de trois oboles la mine (livre), et surtout de celui qu'on appelle thurien:[254] c'est une partie du chien de mer, laquelle a ce nom. [274e] Quant à Mutius, il achetait de ceux à qui il faisait du bien, et payait le prix en se réglant sur la même conduite. Ce furent donc les seuls qui, de tant de milliers d'hommes, observèrent la loi selon la teneur de leur serment, et ne reçurent jamais le moindre présent.[255] Ils en firent, au contraire, à d'autres, et à ceux de leurs amis qui, dès leur enfance, se portaient à de grandes choses; car-ils étaient attachés aux principes de la philosophie stoïcienne.
109. Ce fut Lucullus qui introduisit cette magnificence actuelle, après avoir vaincu Mithridate par mer, comme le rapporte Nicolas le péripatéticien. [274f] De retour à Rome après là défaite de Mithridate et de Tigrane, roi d'Arménie, il y obtint l'honneur du triomphe, rendit compte de ce qui s'était fait dans cette guerre, et passa de cette ancienne manière de vivre sobre et modérée, à la magnificence des repas les plus splendides. Il fit donc goûter le premier, ces délices aux Romains, ayant recueilli pour fruits de ses victoires les richesses de deux rois.
Caton s'indigna, comme le dit Polybe, dans son livre 31, déclama[256] contre ces délices étrangères [275a] que plusieurs introduisaient à Rome, payant trois cents dragmes des pots de saline du Pont, et un beau serviteur plus qu'on aurait donné pour des pièces de terre.
Autrefois les anciens habitants de l'Italie étaient si sobres que, de notre temps même, dit Posidonius, ceux qui avaient beaucoup d'aisance élevaient leurs enfants à ne boire en général que de l'eau, à ne manger que ce qui se trouvait ; et souvent le père ou la mère, ajoute-t-il, demandait à son fils s'il voulait des poires ou des noix pour souper. Content d'en avoir mangé, il allait au lit; [275b] mais si l'on en croit ce que raconte Théopompe, dans sa première Philippique, il n'y avait de son temps aucune personne riche qui ne fût servie splendidement à table, qui n'eût plusieurs cuisiniers, un nombre d'autres domestiques proportionné, et qui ne dépensât plus journellement qu'on ne faisait anciennement les jours de fêtes et de sacrifices. Mais en voilà assez de toutes ces citations; je finis ici mon discours.
FIN DU LIVRE SIXIÈME.
[1] Adam lit ici gymnosophiste : c'est sans, doute une erreur, de sa plume. Casaubon croit apercevoir que les discours de ce livre sont supposés tenus inter gustationem et légitimant cœnam ; mais plusieurs, convives se sont déjà retirés, bene madidi et bene pasti : en effet, on a servi jusqu'ici tout ce qui peut paraître sur une table : ils avaient donc soupe. Athénée est plus occupé de rédiger ses matériaux avec tout l'ordre qu'il peut y mettre, que de suivre l'ordre des services: d'un repas, qu'il suppose pour publier ses lectures : ainsi je laisse à Casaubon sa vaine subtilité y quoique l'auteur du prologue semble l'autoriser; mais cet Abréviateur s'est trompé.
[2] Je suis le manuscrit A, auquel se rapporte l'abrégé ; c'est une allusion à ce que fit Adraste : il alla assiéger Thèbes, et s’en retourna sans succès.
[3] Je traduis la lettre, pour faire mieux entendre l'auteur. C'est une allusion aux athlètes Grecs, qui s'avouaient vaincus en levant le doigt. Ceux de Rome avaient un autre usage. Le vaincu saisissait de l'herbe, l'arrachait, et la présentait à son adversaire qu'il reconnaissait pour vainqueur : de là, l'expression herbam porrigere. C’est ainsi dit le texte, que les tragiques se sauvent en (levant) faisant paraître au ciel du théâtre une machine sur laquelle est une divinité, pour trouver le dénouement de leurs pièces; ce qui a donné lieu au proverbe : Deus ex machina ressource sur laquelle Horace a dit:
Nec Deus intersit, ni dignus vindice hodus. (Art. poét.)
Je suis forcé d'écrire pour tous les lecteurs.
[4] Potter a rappelé ces Hélénéphores dans ses antiquités, d'après le dernier chapitre de Pollux, mais on ignore les mystères de cette cérémonie sacrée. Hemsterhuys renvoie à la Grœe. feriat. de Meursius., où je ne vois pas qu'il les explique ; mais on y verra les détails nécessaires sur Brauron.
[5] La tragédie.
[6] Cf. ici le discours de Démosthène sur Halonnèse, p. 30, et la lettre de Philippe, p. 63, où ces expressions se trouvent : ce Cothocide est Eschine.
[7] Palœstras y dans tous les textes : mot dont on ne voit pas le sens dans ce passage isolé. Casaubon lit palathas, comme s'il s'agissait de figues. Daléchamp corrigeait paleutrias: ce sont des pigeons qu'on avait aveuglés, et dont on se servait pour en attirer d'autres, comme le dit Aristote, Hist. anim., mais gardons le texte; la chose est trop peu importante.
[8] Nous disons, dans un sens analogue : « C'est un avaleur de charrettes ferrées. »
[9] C'est le nom de Neptune en grec. Les Latins disent Neptunus. C'est un badinage par lequel l'auteur veut dire que le Neptune grec envoyait des poissons au Neptune romain, ou à Larensius.
[10] Il y avait deux îles de ce nom, l'une dans le golfe de Formie, l'autre vis-à-vis de Vélie. Le nom actuel est Ponza.
[11] Pour tettaroon, quatre. Le kestra, autrement sphyrœna, se nomme encore en Italie spirena, sfirena, ou luzzo marino. Artedi le rapporte aux maquereaux. Il y en a deux espèces. Quelques-uns les nomment brochets de mer ; c'est le spet, en latin sudis, nom pris de la forme de son corps.
[12] Pour oktoo oboloon, huit oboles.
[13] Etre puni de manière à s'en souvenir longtemps.
[14] Texte, katheemenoi. Il était nécessaire de rendre la lettre. Ce n'est pas demeurer, faire sa résidence, mais être assis à l'aise. N’étant pas fatigués à rester debout, ils se relâchaient moins facilement du prix qu'ils demandaient d'abord. — Casaubon ajoute heemoon dans le vers précédent pour le compléter. On peut l'admettre, quoiqu'il ne soit pas dans les manuscrits connus.
[15] Jeu de mots sur kremamenous, qui signifie aussi pendus.
[16] Avec un texte aussi altéré, je ne puis me livrer à aucune conjecture; il manque environ un vers. Mais le faire pour suppléer à la pensée de l’auteur, ce n'est plus rétablir un texte : ainsi je laisse les idées de Casaubon, d'Adam et d'autres, ne cherchant qu'à approcher du sens, en attendant qu'on découvre de meilleurs textes.
[17] Neoon est ici nageant : ainsi je conserve le texte que Casaubon n'entend pas. Adam a bien vu le sens : ensuite je conserve kataapepookasi, qui est dans mes manuscrits comme dans d'autres.
[18] Epiclère, riche héritière orpheline, sans frère, et que le plus proche parent devait épouser.
[19] Je rends soomata par complaisons, dans l'idée de l'auteur. Si l'on fait bien attention au texte, on verra qu'il s'agit de gens attirés eis symphysin: je ne puis en dire davantage. Rhodigin a beaucoup disserté sur ces complaisons : on le lira si l'on veut. Je laisse Casaubon de côté, il est pitoyable ici. Je lis, avec Adam, gynee pour hee au vers 15. Il a fait quelques légers changements que j'ai suivis en traduisant.
[20] On en couronnait les vainqueurs.
[21] Inspecteurs des vivres, ou particulièrement du poisson.
[22] C'est-à-dire qu'il voulait tout à bas prix.
[23] Mendères est la leçon des manuscrits et des imprimés. Casaubon lisait ici en leerois, dans ses badinages : ce qui peut être très vrai. Cette pièce est citée ailleurs.
[24] Plante de la famille des gramen. Voyez M. Adanson, t. 2, p. 31.
[25] Orthane ou le priape, mentula tentigine lumens. On retrouvera ce terme en ce sens, dans mon édition de Silius Italicus.
[26] Le mot lopas est susceptible de plusieurs sens. Je le prends ici pour ce que nous appelons huguenotte.
[27] A la lettre, poêle sèche, ou pour faire rôtir.
[28] Grebe: texte, kolymboo à l'ablatif, par l'erreur des copistes, qui l'ont fait accorder avec opseeteeri, adjectif qui ne se rapporte qu'à teeganoo: Je lis donc kolymbon, oiseau sur lequel on verra ce que dit M. Camus, Arist., Hist. anim., t. 2, p. 239. Adam voulait changer tout ce vers mal à propos. Casaubon aime mieux s'arrêter aux titres de comédies perdues, que de répandre quelque jour sur la chose dont il s'agit. Il a tout dit, quand il a cité ses grammairiens, pour ne nous rien apprendre.
[29] Casaubon lit ici Thiaron avec ses manuscrits. Je trouve Thibron écrit distinctement dans les miens, et je le garde avec les imprimés.
[30] C'est-à-dire, dont la laine était d'or. Simonide disait qu'elle était seulement de couleur pourpre. Voyez Bachet, sur la lettre d'Hypsipyle à Jason. Héroïd. Ovid., t. 2, p. 33 ; mais ce ne fut pas cette toison qui causa les malheurs dont l'auteur veut parler.
[31] La quantité d'or et d'argent qui sortit alors de ce temple est presque incroyable. Voyez le docte Taylor, sur les marbres grecs de Sandwich.
[32] Dont il vient d'être parlé. Par or apephthon, entendez l'or natif, pur, autrement apyre, ou qui n'a pas été extrait d'une gangue quelconque, par le moyen du feu. Casaubon l'a confondu plusieurs fois avec l’obryze, or extrait et purifié par le feu. Voyez Bochart, Géogr. liv. 2, ch. 27.
[33] Je suis tous les textes, perittoon, que Daléchamp a mal rendu, et que Casaubon veut changer mal à propos. Zénon voulait qu'on usât de choses simples, mais il ne défendait pas ce qu'on appelle superflu en lui-même, si celui qui voulait en user ne le faisait qu'après la réflexion convenable, de manière à ne pas s'apprêter de repentir. L'or et l'argent étaient des superfluités, dans son système ; cependant il n'en excluait pas l'usage, parce que ces choses ne sont ni honnêtes, ni malhonnêtes par elles-mêmes. C'est donc mal-à-propos que Casaubon veut lire ici aperittoon, contre tous les textes, en nous disant qu'il faut être bien instruit des dogmes stoïciens, pour comprendre ici l'auteur. Epictète, Antonin, me fourniraient plus de preuves qu'il n'en faut pour appuyer le sens que je conserve.
[34] Casaubon suit ici Daléchamp, et se trompe avec lui, en disant que la nature ne présente pas ces métaux à la superficie du globe. Je sais qu'Horace a dit : aurum irrepertum et melius situm quum terra celqt quam cogere humanos in usus, etc. ; et Silius, liv. I : scelerum causas operit deus, etc.; mais il faut d'abord considérer la suite du discours, et ce que l'auteur a dû dire. Ensuite il est faux que les anciens n'aient pas connu de métaux précieux à la superficie du sol. On peut consulter Goguet, Origine des lois. Adam avait bien saisi le texte.
[35] Casaubon, qui cite à propos Hérodote, croit qu'il manque ici quelque chose : il y a plutôt du trop. Mettez une parenthèse, et lisez en ge tais, pour eig' en tais, et tout est clair. J'écris donc, deigmatos m. o. ch. (epeipere. a. e.) en g. t. e. genos, etc. Ensuite kai est dans un sens affirmatif pour meen. J'ai rendu le texte presqu'à la lettre, et l'on voit que le sens est très suivi.
[36] Les Grecs connaissant peu les Gaules et l'Allemagne avant Auguste, on ne soit ce que peut indiquer ici Posidonius. Veut-il parler des Pyrénées, proprement dits, ou du Pyrenæus que Pline place dans la Germanie, et que Rhenanus prend avec raison pour le Brenner? Il paraît qu'il confond des monts très éloignés les uns des autres. Ce Posidonius est celui d'Alexandrie. Voyez Suidas : il faut lire ici Lloyd. lexic.
[37] On verra dans les Mémoires de D. Ulloa sur l’Amérique, dont j'ai publié une traduction française, des réflexions analogues à celles-ci, et qui méritent d'être connues, t. i, p. 276.
[38] Je trouve dans le manuscrit A, dee ga ba athanatios, mais dee ga sont rayés dans le manuscrit B. Bathanate parait être le vrai nom. Voyez Lloyd. Il s'agit de la Pannonie.
[39] En Cilicie : voyez Stéphan. Mopsou, etc.
[40] Stelocope, qui s'occupe des inscriptions posées sur des colonnes. Il avait fait un recueil de ces inscriptions.
[41] Kynosargès, un des Gymnases d'Athènes. Voyez Harpocration.
[42] Keerykes, ou Héraults, ils étaient anciennement les ministres de la religion, et immolaient les victimes, comme on le voit dans Homère. Une famille conserva cette prérogative à Athènes, et en retint le nom. Voyez Athénée, liv. 14, ch. 23 ; et Potter, Antiq. Grœc.
[43] Je lis ici eti de, non epi de. Ensuite Léostrate avec Adam. Pitthea était dans le Péloponnèse. Voyez Lloyd.
[44] De posis, mari, et protos, premier. Ce sont donc les femmes qui sont à leur premier mari.
[45] Temple de Castor et de Pollux.
[46] J'ai déjà cité l’onomastic. de Pollux à ce sujet.
[47] Mot expliqué précédemment.
[48] Je lis ici gatheun, dorique ou colique, pour gatheen que je trouve dans mes manuscrits. Ensuite je lis tu toi, pour to, avec les mêmes, et bikon pour bion, avec Adam. Mais je ne suis ces leçons que pour avoir un sens, et ne pas laisser ce passage sans le traduire. Du reste, je ne tiens pas au sens que j'ai pris; le texte est trop altéré. Il faut de meilleurs textes pour le rétablir.
[49] Adam voulait ici eraze, mais ermos, mot vicieux, constant dans les manuscrits, prouve heramos, dorique, pour hereemos, seul, solitaire, et je le conserve. Adam lit bien le vers suivant que Casaubon laisse imparfait
Tois men agathon epilegoo ti, kai theois, hoti, etc.
[50] Iliade, 17, v. 575, où le texte porte eske d'eni, pour een de tis en, qu'on lit dans Athénée.
[51] Ces mots en italique ne sont qu'une conjecture que je suis pour ne pas laisser de lacune. Le texte est trop altéré pour en fixer le sens, les copistes ayant d'ailleurs confondu tous les vers. Je suppose donc mihron de ti eka- mon péri autou. La conjecture de Casaubon s'éloigne trop du texte; au reste on la suivra si l'on veut.
[52] Je suis le texte qui est exact, sans le changement de Casaubon.
[53] Casaubon prend ici un Sens que ne présente pas le texte. Adam le suivait sans raison. Si jamais le savoir à été mal à propos employé, on peut dire que c'est ici celui de Casaubon ; ainsi je ne m'y arrête pas.
[54] C'est-à-dire la sauce.
[55] Les Grecs disaient comme nous: « La fumée cherche les beaux. »
[56] Je lis echontas t’ousias avec la marge du manuscrit B.
[57] Je lis tines avec le manuscrit A, qui présenté aussi tinas comme le manuscrit B.
[58] Espèce d'assemblée académique établis par l'empereur Claude, sur le modèle du musée d'Alexandrie : son but était de faire lire, dans ce musée, les histoires qu'il avait composées, l'une de la Toscane, l'autre de Carthage.
Voyez Suétone, Claud. § 42.
[59] Je lis katepiueto, quoique tous les textes portent katapinetoo, faute introduite par les copistes, qui n'ont pas fait attention au sens, indéterminé d'empesoi. Il est facile de voir que le sens de tout ce passage est coupé depuis, si l'on venait, etc.
[60] Tous les textes connus portent ici Omythiois, pour Olynthiois, pièce déjà citée d'Alexis.
[61] Petit poisson que les anciens faisaient naître de l'aphye phalérique : Artedi croit-que ce sont des harengs de la petite espèce. Cf. Aristote, Hist. anim., liv. 6, ch. 15 : on les voit désignés sous les noms de bebrades et bembrades dans Athénée, liv. 7, ch. 9, p. 287, texte grec.
[62] Je lis chalkotypos, l'accent sur ko, avec le manuscrit A.
[63] Je lis soi en grec, pour toi ou te français, avec le manuscrit A.
[64] Je lis ici sapras avec les manuscrits, non, saproos.
[65] Il y a ici un jeu de mot sur Coryde, qui signifie aussi une alouette, c'est-à-dire, que Coryde était complaisant pour une seule obole, prix que coûtait alors l’alouette, si l’on prend ce mot à la lettre.
[66] Texte, il naquit une plante vive, pénétrante, parmi les muses : expression qui ne peut se soutenir que dans l'original.
[67] Le texte porte genos, ce qui indique, non qu'il y fût né, comme on l'a mal rendu, mais qu'il en tirât son origine : d'ailleurs, Athénée vient de dire qu'il était de Corinthe, ou de Sicyone.
[68] Je lis ici Eucratee à l'accusatif, car c'est le même que Coryde. Il est étonnant qu'on ait laissé subsister Eukratees au nominatif.
[69] Texte, ounontoon, faute palpable de quelques manuscrits : lisez syzontoon avec Casaubon. Mes manuscrits portent ouzontoon : oy pour sy.
[70] De para, près, auprès; et masaomai, mâcher, manger : c'est le même sens que celui de parasite.
[71] Il a déjà été fait mention de ce Callimédon, surnommé la Langouste. Les mots suivants signifient, alouette, goujon, cosse de fève, maquereau, fleur de farine.
[72] Paré comme pour célébrer les noces de Jupiter et de Junon.
[73] Ololygmos, synonyme d'ialemos et d'ololygee, se dit des chants lugubres qu'une troupe de femmes, parées pour un jour de fête, font entendre au loin, en priant la divinité à laquelle elles s'adressent. Voyez Théocrite, Idylle II, ou la fête d'Adonis.
[74] Je lis too dans le sens de tini, avec les manuscrits; et lembos, avec-le manuscrit A.
[75] Cœnée fut homme et femme : ce nom se prend pour celui d'un homme efféminé.
[76] Allusion à l'agneau d'Atrée, dont il a été parlé précédemment.
[77] J'ai déjà cité Pollux, et la note qui explique l'auteur.
[78] De Jupiter et de Junon. Voyez Hésychius.
[79] Le texte porte une interjection dans les mss. : lisez oœth' oo ! talantatos, le vers y sera. La leçon écrite est cependant vicieuse, en ce qu'elle porte : Oœtho oo t., etc.
[80] Ou fourche. L'auteur veut dire : Un parasite est supposé, 1° résigné à souffrir (comme on l'a vu) tout ce qui plaît au patron ; 2° n'avoir rien. Or, celui-ci n'était pas homme à se laisser berner ; ensuite il avait de la fortune. Ce n'était donc pas l'homme qu'il fallait.
[81] Apodidonai n'est pas ici rendre ou payer un repas, mais faire un festin, ou donner un festin, un repas.
[82] Les manuscrits portent aleethinoon comme les imprimés, non lithinoon que lit Daléchamp.
[83] Kyrtos, nasse. On a mal saisi ce mot, qui indique combien Archéphon était avide de poisson
[84] Le texte porte echonta pseephon, qui a droit de suffrage. C'est une allusion aux citoyens distingués qui avaient droit de voter.
[85] Je lis ici, à tout hasard, prophasis pour prophasin pour avoir un sens littéral dans ce passage isolé. Le sens de Casaubon est insoutenable. Adam me présente une version contradictoire avec le texte. Il veut qu'on fasse une débauche de vin quand on n'en a pas, et paraphrase, à son ordinaire, ce qu'il n'entend qu'à demi.
[86] Je ne vois pas dans mes manuscrits le différent texte de ce passage tel qu'il est dans l'abrégé. Je présume cependant que c'était en partie l'ancien texte. Axiagnathe signifie fameuse mâchoire.
[87] Hekaston : texte des manuscrits.
[88] Gnomée signifie sentence. L'auteur fait entendre que cette courtisane paierait de sa personne, si on l'exigeait d'elle.
[89] Casaubon lit ce vers contre toutes les règles du rythme grec. Quoique la mesure soit ici peu intéressante pour le sens, je lis avec Adam : Teen oikian melloon pot' oikodomein, philon, etc.
Ensuite il y a une lacune, dans laquelle il faut supposer la réponse de l'ami; après quoi vient la réplique de Polyctor. Les manuscrits ne présentent rien de plus que les imprimés.
[90] Jeu de mot fort spirituel sur Omphalee auprès de laquelle Hercule fila, et omphalos nombril ; ensuite Hébé désigne celle qui versait le nectar à Jupiter, et le pénil. La vraie réponse est donc ab umbilico ad porcum mulieris.
[91] Tout homme devait faire preuve du talent qu'il disait pouvoir exercer, autrement il était condamné à une amende. Nos corps de métiers, comme les académies, exigent le chef-d'œuvre, ou le morceau de réception.
[92] Des kothons pleins de vin pur : ces vaisseaux ont été expliqués. Quant au mot qui signifie vider, il signifie aussi escroquer : espake, dit le texte. C'est une équivoque. —Voyez, sur ce gobelet ou cette coupe qui fit tant de déshonneur à Démosthène, Rollin, Hist. Anc. t. 6, p. 564.
[93] Ce sont des termes dont se sert Homère, pour désigner l'action d'un cocher qui fouette ses chevaux.
[94] Équivoque sur les termes en gastri lambanein, qui se disent d'une femme grosse, et ici de ce Parasite qui était toujours bien rond de la nourriture que lui donnait cette vieille. Le texte seul permet ce jeu de mot.
[95] Texte: tu fais une chose bien étrange, poiei, de forme attique, pour poice, a la seconde personne : au reste, c'est la même équivoque.
[96] Plaisants qui font rire : farceurs.
[97] C'est-à-dire, qu'ils leur donnent un nom qui répond à Parasite.
[98] On en a vu un exemple dans un des livres précédents.
[99] Toute conjecture doit disparaître ici, surtout celle de Casaubon, qui s'éloigne le plus du texte. Mrs manuscrits portent la vraie leçon, esphydouienoi, du simple sphydoo, dont le sens est pleerees tygchanein, ensoomatein, dans Hésychius; voyez-le au mot sphydoon et diasphrigan: quant à legeint il faut écrire hoos devant, avec Adam. Ensuite je lis parechontas, régi par heureesies.
[100] Mes manuscrits portent episitiei : alors il faut traduire : « Et toi, Simicythion, n'auras-tu pas bientôt mangé? »
[101] Ou le chasser de la maison. On soit qu'on déshabitue les enfants du sein, en oignant le mamelon avec quelque chose d'amer, ou d'acre. Le manuscrit B porte hoon, génitif pluriel, pour oon, dans ce passage. Je lis all’ hooleipsas, pour all’ ho aleipsas, etc.
[102] Je lis kai avant oikosite, autrement il n'y a plus de sens.
[103] C'est à-dire, qu'après avoir servi gratis, il obtient bientôt un honoraire de trois oboles, en assistant aux assemblées qu'on nommait Eccleesiai.
[104] Qui t'écoutent gratis.
[105] Metabyzou est la leçon du manuscrit B. Casaubon indique Megabyze, nom connu. Le sens que prend ici Daléchamp est très soutenable : opilio est pour pastum ducit ; il mène paître. Il a lu Episitios. C'est donc, il mène paître les troupeaux pour sa nourriture seule. Les copistes auraient alors mis l'accusatif dans nos textes, pour le nominatif, comme ils ont écrit ensuite le nominatif sitos, pour l'accusatif siton. Les erreurs viennent des finales abrégées dans les manuscrits.
[106] L'auteur a déjà dit Parasite-autosite pour celui qui va dîner chez autrui, en y portant ce qu'il doit manger.
[107] Qui mange peu, ou réduit à vivre de peu.
[108] Nous avons déjà vu ce proverbe, sur lequel on peut consulter Érasme, Adag. p. 799, au mot linum lino nectis.
[109] Le texte porte un mot équivoque qu'on ne peut faire valoir en français de la même manière. Pepraktai signifie, il est vendu, et c'en est fait. Quant à il était malade, le texte porte ek tou traumatos, à cause de sa blessure. Ceux qui entendent l'original n'ont pas besoin de commentaire.
[110] C'était dire adroitement à Philippe, vous jouez actuellement mon rôle. Daléchamp saisit mal le sens.
[111] Le même trait est rapporté plus bas, chap. suiv., mais il s'agit-là de Denys de Sicile et de Damoclès. Les Grecs se sont souvent copiés les uns les autres, comme l'observe, avec raison, Saumaise sur Solin, changeant seulement quelques circonstances.
[112] Mes manuscrits portent lekaria ; les imprimés lekania : l'un et l'autre sont bons. Voyez Pollux, liv. 6, n° 85; Hésychius. Je ne vois pas ici la leçon que porte l'épitomé autoon tas cheiras, leurs mains. Ce texte paraît cependant prouvé par ce même trait rapporté d'Hiéron, un peu plus loin. Ce seraient donc les mains des flatteurs que Denys conduisait aux plats.
[113] Adam lit ici Dion, il le faut. Denys avait épousé sa nièce.
[114] Néapolis de Sicile. Voyez Lloyd, Lexic.
[115] Autre plagiat calqué sur ce qui a été dit de Philippe.
[116] Je suis le manuscrit A. hin' hyp' autou — et dokee. Casaubon avait aussi vu cette leçon dans ses manuscrits. — Je traduis à la lettre, pour faire voir le texte. On sent que c'est sur ce passage-ci qu'il faut corriger ce qui est dit plus haut de Denys.
[117] Je lis dans ce vers, hais tis, pour hos tis ; et il le faut, mais sans autre changement. Quant au mot remplir, le terme grec est une équivoque, exogkoito, qui se prononce exsogkoito faisant allusion au mot sogkos, du laiteron: ainsi le vers est réellement cité dans l'intention de dire, auxquelles on se remplit trop de laiteron, pour remplir trop simplement. Casaubon se contente de renvoyer au mot ogkos, qu'il a très mal expliqué ailleurs, comme je l'ai observé. Ce mot signifierait ici, à la lettre, surcharge de manger.
[118] J'ignore, comme les autres interprètes, ce que peut indiquer ici ce mot chremonide. Est-ce, dit Adam, Chrémon l'un des trente tyrans? ou Chremon, celui qui servit de guide aux troupes d'Athènes contre les Étoliens? ou doit-on lire orchomenide, comme rappelant la guerre dans laquelle presque toute la Grèce se réunit contre Philippe, et fut vaincue à Chéronée, non loin d'Orchomène? On verrait pourquoi l'auteur dit que tout était alors commun en Grèce. J'avoue, avec Casaubon, que je ne vois rien ici sur cette dénomination.
[119] Qui cherchait en quoi consiste le bonheur, et sectateur de Démocrite. Presque tous les anciens ont parlé de son supplice. C'était un fou qui ne méritait que d'être entre quatre murs.
[120] C'est ainsi qu'Homère appelle le sang qu'il suppose couler des blessures des dieux. Nous appelons, en chirurgie, matière ichoreuse, une humeur délayée, séreuse, bénigne, ou acrimonieuse, qui coule des plaies : quelquefois elle est teinte de sang, ou mêlée d'un peu de pus ; mais voyez, sur les différentes acceptions de ce mot, Castell. lexic. medic., édit. 1746, in-quarto.
[121] Je ne sais où Adam a pu trouver ici Anaxagore : c'est sans doute une inadvertance. A l'égard d’Evagoras, il était plus coupable que les autres : Athénée devait réfléchir qu'un ambassadeur représentant ses maîtres, les déshonorait en adorant le roi.
[122] Surnommé Dorothée. Voyez Suidas, Persaios.
[123] Texte, Alexandrise.
[124] Le fils de Démétrius, roi de Macédoine, du temps de la seconde guerre panique. Adam.
[125] Il paraît qu'il faut lire ici Batton, et que c'est le même qui a écrit l'histoire des tyrans d'Ephèse. Athénée rappelle celui-ci, liv. 7, ch. 10.
[126] De Perse.
[127] Je lis ainsi avec le manuscrit A; non Simachus.
[128] C'est-à-dire, athée. Voyez Suidas, t. 2, p. 174.
[129] Daléchamp indiquait Pharsale : c'est la leçon du manuscrit A. Les autres textes portent mal Barsale.
[130] Hymnes sacrées qu'on chantait étant accompagnées d'une cithare. Pollux, liv. 4, n° 64.
[131] Portatifs, tels que ceux dont il a été parlé dans la fête de Ptolémée.
[132] Casaubon suppose ici paretetho echonta houloos, ce qui n'appartient pas au texte. Voyez cet hymne dans les notes de Casaubon.
[133] Cérès se dit en grec Deemeeteer, et Deemeetra au nominatif. Il faut prendre la première forme à l'accusatif, pour rétablir la mesure du vers iambique : E. g. Deemeetra kai Demeetrion.
C'est ainsi qu'Adam lit ce vers. Il lit aussi mieux que Casaubon au vers suivant : Hama paristh' ho kairos.
La mesure est exacte.
[134] Je lis semnon dans, un sens adverbe, avec les manuscrits.
[135] Casaubon retranche mal-à-propos chaire, qui est dans tous les textes; sans cela il n'y a plus de sens. Je lis donc : Chaire k'aphroditees.
Le theas de Casaubon est une mauvaise cheville, et inconnu dans les textes.
[136] Je conserve partout ee, qui coule en chantant sur les voyelles suiv.; Adam voulait mal-à-propos hai avec quelques changements.
[137] Il faut, pour construire, aller prendre vers la fin le mot scholason, ensuite conserver Aitoolon avec tous les textes, que Casaubon quitte mal à propos. On peut le prendre comme adjectif commun aux deux genres, sous une seule forme, selon les Attiques, ou comme substantif; ainsi aitoolida est inutile. J'ai admis perikratousan avec Casaubon, à cause du régime Theboon etc. Cependant peripatousan, qui est dans tous les textes, peut très bien s'expliquer, patousan peri Theeboon, qui rôde en ennemi contre Thèbes, etc. Je tiendrais pour ce sens, puisque tous les textes s'accordent sur la leçon.
[138] Pourrait-on lire ici poieeson, comme scholason? Le sens serait: « Ou fais-le cesser de force, ou au moins prends de si sages mesures qu'il boit réduit à n'avoir plus de vivres. »
Casaubon présente ensuite un appareil d'érudition capable d'en imposer à l'homme le plus instruit sur le temps où Démétrius se fit initier aux mystères, sur la différence de ces cérémonies, etc. ; mais malheureusement il ne suit que tes erreurs du célèbre Scaliger, qui s’est abusé a ce sujet. Casaubon gâte ici presque tout ce qu'il touche. On en verra la preuve dans les remarques de Pétau, qui le réfute solidement : Notes sur le discours xii de Thémistius.
[139] Je ne crois pas me tromper, en disant qu'il s'agit ici d'Antigonus Gonatas, de Démétrius son fils, différent du Démétrius Poliorcète, fils d'un autre Antigonus, général d'Alexandre; enfin, de Phila, femme d'Antigonus Gonatas. Ainsi, au lieu de traduire l’aimable Vénus, il faut dire Vénus Phila, comme nous avons vu Vénus Lamia, Vénus Leœna. Voyez Stephanus, au mot Phila.
[140] Je conserve ces mots grecs, dont l'un signifie corbeau, l'autre flatteur. L'auteur veut dire que les corbeaux ne dévorent que les morts, tandis que les flatteurs dévorent les vivants.
[141] Heteron daknei, comme lit bien Casaubon.
[142] Ce qui répondait au verre de Jupiter-Sauveur. Voyez Pollux, liv. 6, n° 100. Ce Jupiter-Sauveur était Priape.
[143] Je lis autou pseudos.
[144] Ce passage confirme ce que j'ai dit plus haut.
[145] Texte, kataphroneetikoon. Les flatteurs, dit plus loin Athénée, se sentant autorisés par leurs protecteurs, regardent avec indifférence ou mépris ceux qui les approchent. Cette leçon est constante, et ne doit pas être changée en kataphroneetoon, méprisables. Ce n'est pas ici l'idée de l'auteur.
[146] On avait mal saisi l'idée du texte.
[147] Une des Cyclades. On y faisait une espèce de teinture pourpre avec une plante qui prit son nom de l'île, et ce fut celui de la couleur. Voy. Bochart, Hieroz. t. 2, liv. 5, ch. 14, col. 737. Les anciens teignaient en pourpre, ou plutôt faisaient diverses teintes, depuis le rouge clair jusqu'au violet foncé, avec différentes plantes sur lesquelles ils ne nous ont pas transmis leurs théories. Vigénère, aussi profond littérateur qu'habile chimiste, en a examiné plusieurs dans ses notes sur les Tableaux de Philostrate : il mérite d'être lu. La pourpre faite des coquillages désignés par le nom de pourpre, Se distinguait de toutes les autres par le mot halourgees.
Quant au mot kalymma, il signifie proprement un réseau fait de filet, tel que celui dont nos femmes font des robes, des bourses, des manchettes, etc. C'était ce qui recouvrait ce tapis.
[148] Je conserve ici kalymma avec tous les textes, et je lis ti pour to. Casaubon veut kauma, chaleur, et traduit, avec lesquels trois oreillers il se garantissait de la chaleur; mais il ajoute qu'il ne s'en servait pas en même temps. Je voudrais savoir par quelle autorité il avance ce que le texte ne permet absolument pas de supposer. Il devait faire attention au vrai sens qu'a ici la préposition dia, qui, à la lettre, indique que ce filet était entre les oreillers, ou autour, ensuite amynomai indique que cette garniture correspondait, par sa beauté, à celle du tapis de velours. Casaubon, en supposant kauma, aurait dit, avec plus de vraisemblance, que ce voluptueux n'était pas couché, étendu dans ce lit, mais assis, ayant le dos appuyé sur ces trois oreillers, pour avoir moins chaud ; alors cette leçon serait probable, quoiqu'inconnue dans tous les textes; et l'on pourrait l'admettre, si le sens que j'ai pris, en suivant la lettre, paraissait peu naturel ; ce que je ne crois pas.
[149] Texte, hysginobaphee, d'hysgee, latin gladiolus, ou vaccinium, dans Vitruve, selon Philandre, liv. 7, ch. 14. Conférez Pline, liv. 9, ch. 41, liv. 21, ch. 26; Bochart, ibid. supra, liv. 5, ch. 10, col. 729.
[150] Voyez Meursius, Insula Cyprus, liv. 2, ch. 7.
[151] Nom commun aux fils et aux frères des rois. Les filles se nommaient anassai. Voyez, Meursius, ibid.
[152] Correction heureuse de Casaubon.
[153] Il faut se rappeler ici que Diane est appelée Tauropole dans l’Ajax de Sophocle, et que la Macédoine, voisine de la Thessalie, était remplie de femmes initiées aux mystères ténébreux de Diane, connue sous le nom d’Hécate, comme la divinité qu'on y invoquait ; mais Diane avait aussi un culte secret, semblable à celui de Priape, ce qui lui fit donner le nom d'Artémis Priapinée. Elle était tantôt invoquée sous ce dernier rapport, comme principe créateur; tantôt sous le premier, comme l'être destructeur, ainsi qu'Apollon, Bacchus, et la plupart des autres divinités. L'abus étant de toutes les religions, le libertinage y devint bientôt général. Mais je ne puis entrer ici dans des détails sur lesquels on sera pleinement satisfait en lisant l'excellent ouvrage de M. Knight, sur les restes du culte de Priape, Lond. 1787, in-4°, en anglais, p. 133, 144, et alibi. Je voudrais qu'il y eût une traduction française de cet ouvrage.
[154] L'auteur revient au jeune délicat dont il a été parlé.
[155] Le texte, syneemphiakoos, indique que les genoux de cet homme étaient couverts avec les pieds du jeune homme qu'il soutenait.
[156] Ceux qui s'introduisent comme forcément
[157] On connaît l'effet des ventouses; mais je ne vois rien de bien spirituel dans cette dénomination.
[158] Je lis aiooraian avec le manuscrit B et celui de Casaubon; mais aiooroon des autres textes est également bon, comme en le balançant.
[159] Iliade, 17, v. 570.
[160] Réflexion remarquable, que l'auteur de l’Anacharsis a notée.
[161] Flatteur d'un efféminé.
[162] Si son patron en avait pour tenir un emplâtre, il s'en mettait aussi.
[163] Coudoyeur — Schem. est celui qui contrefait la figure et les attitudes d'une personne. Ce nom eût bien convenu au célèbre Anglais Garrick, mais dans un sens non injurieux.
[164] Ce mot hygros pouvant faire quelque difficulté à certains lecteurs, voici son vrai sens. Il désigne à la lettre une substance dont les parties ne forment pas entre elles une forte adhérence. Voila pourquoi Homère donne à l'eau l’épithète de hygron, qu'on a critiqué mal à propos, parce qu'on l'interprétait par humide. Pindare dit que l’aigle, en dormant, a le dos hygros, et avec raison. Lorsque les oiseaux dorment, toutes leurs plumes semblent être pendantes, par le relâchement que cause le sommeil. Hygron elaion ne signifie pas de l'huile humide, mais dont les molécules sont très peu cohérentes; elles le sont même beaucoup moins que celles de l'eau, puisqu'elles pénètrent le bois à travers lequel l'eau ne passe pas. C'est d'après ces notions qu'on peut sentir ce que peut signifier hygros bios, une vie dissolue, molle, et dans laquelle on prend toutes ses aises. Le contraire d'hygros est hygies, qui signifie dense, compacte, et, par une idée secondaire, sain, en bon état.
[165] Je trouve aussi tethaiphe dans mes manuscrits. On peut suivre Casaubon dans un passage si peu important; mais mettez un point après son.
[166] Et selon l'idée de l'acteur : « C'est tous les jours fête annuelle pour moi. »
[167] Il s'agit de celle d'Ionie, qui est aussi nommée la ville Knopus. Il y en avait plusieurs de ce nom, sans excepter Paphos. Voyez Stéphan.
[168] Mercure prend lui-même cette épithète dans le Plutus d'Aristophane.
[169] Strophœa ; dans l'épitomé, Strophea : les autres textes portent Stophea. Phea, dans l'épitomé, rappelle une faute fréquente dans presque tous les manuscrits grecs, où ai, e sont confondus. On ne sait pas ce que peut indiquer Stophea. Casaubon proposait Stobaia, parce que Stobaios a été un des surnoms d'Apollon. Ce mot signifie téméraire, et c'est l'épithète que donne à ce dieu (en le nommant Atasthalos) l'auteur de l'hymne en l'honneur d'Apollon, à la fin d'Homère; mais je proposerai une conjecture autorisée par Strophea (Strophaia) de l'épitomé. Mercure était adoré comme présidant aux chemins, de même qu'Apollon et Diane qui en avaient, l'un, le nom d'Agyieus, l'autre, celui d'Énodia. Mercure et Apollon avaient leurs statues ou colonnes devant les portes des maisons, et y présidaient comme gardiens. Mercure en était appelé Strophaios. Voy. le Plutus d'Aristophane, p. 110; et le Schol. Diane, comme l'observe Brodeau sur l'Anthologie, liv. I, p. 17, avait aussi ses statues devant les portes, qu'elle était censée garder la nuit, comme Mercure les gardait de jour. Ne peut-elle pas en avoir été nommée Strophaia, comme lui Strophaios? au moins, je ne m'écarte en rien de nos textes. Les savants prononceront ici.
[170] Cf. ce que dit Athénée, liv. 14, ch. 1, p. 614 du grec ; Hésychius, aux mots Diomeis et Kynosargès, Aristophane, dans ses Grenouilles, I, p. 243 ; Pausanias, Attic., p. 17, édit. 1583, Sylburg.
[171] Je mets un point après poiousi, et je supprime ensuite kai, indiqué comme surabondant et transposé, dans le manuscrit A que je suis. La correction de Casaubon est en pure perte ici.
[172] Saint Paul a peint chaudement ces désordres dans son Épître aux Romains.
[173] C'est à la lettre le sens du grec, et je n'ai que ce mot français pour le rendre.
[174] Je garde avec tous mes testes, en too semnotatoo, expression très grecque mais qui déplaisait à Casaubon, Nombre d’exemples prouveraient cet idiotisme oriental chez les Grecs.
[175] Je lis heedeoos per heoora, etc. Casaubon a tort de retrancher per ; il n'y avait que heede à rendre au texte.
[176] Pour entendre ce que l'auteur veut dire par libations, il faut se rappeler un usage que n'a pas omis Silius Italicus. Voyez mon édition latine, liv. 7, v. 750; liv. ii, v. 300, et ma note, liv. ii.
[177] C'était la mer même.
[178] C'est la leçon de mes manuscrits et de l'épi tome. Adam lisait de même après Vossius et Meursius. Pharmakomantis signifie apothicaire prophète.
[179] Alla ti? Nika, etc. C'est la leçon d'Ægius, ou du manuscrit Farnèse.
[180] Je suis la conjecture d'Adam, qui lisait ekalou pour kalou, afin de trouver un sens dans ce passage altéré.
[181] Koilia, ventre, n'appartient pas au mot kolon. L'auteur donnait plus haut au mot colax une autre étymologie; mais laissons-le s'amuser de ses théories.
[182] Jeu de mot bien appliqué à un flatteur affamé qu'on soufflette.
[183] Celui qui instruit les esclaves.
[184] Esclave vicieux qu'on a de la peine à vendre.
[185] Il faut savoir ici que le mot arai signifie imprécations.
[186] Anapempazein, à la lettre, compter par cinq, ou par le nombre des doigts de chaque main. Taylor a fait quelques bannes remarques sur cet usage primitif, dans ses marbres grecs de Sandwich. M. Bailly a voulu en parler dans son Atlantide mais on peut le laisser de côté sans regret.
[187] Les Romains parlent de même de leurs femmes, aux premiers temps de leur république.
[188] J'ajoute du chant, parce qu'on s'est trompé en interprétant ceci du bruit des meules. Athénée rappelle, liv. 14, chap. 3, l’épimylion, ou la chanson de la meule dont plusieurs anciens ont aussi fait mention.
[189] Je rends ainsi le mot polis. Les Latins distinguaient entre urbs et civitas. Urbs se disait de l'enceinte ou des murs de la ville. Urbs ab orbe, parce que les anciennes villes étaient rondes; mais civitas se disait du corps des citoyens.
[190] Sunium, promontoire près d'Athènes, appartenant à la tribu Léontide ; ainsi tous les habitants propriétaires y étaient libres et citoyens. Voyez Stephanus. Adam.
[191] La nature ne fait pas d'esclaves, dit Aristote, Politiq., liv. I, ch. 2, etc.
[192] Le grammairien. A l'égard des noms suivants d'esclaves, et de tout ce qui les concerne, le lecteur voudra bien me dispenser de commentaires, et consulter Aristote, Politiq. liv. 2, ch. 9 ; Rhodigin, liv. 18, ch. 26, liv. 25, ch. 19 ; Meursii Creta, liv. 3, ch. 14. Il verra tout ce qu'il peut désirer sur le sens des mots, etc. etc.
[193] De Mercure; Meursii Creta, liv. 3, ch. 14.
[194] C'est-à-dire, qui de valet est devenu maître.
[195] De menoo, je demeure : il est vrai que les lettres labiales, m, b, p, sont souvent mises l'une pour l'autre; mais Peneste est mieux pris de penoo, penomai, je suis dans l'indigence, ou la peine.
[196] Aristote a discuté cet article en habile homme, Politiq. liv. 2, ch. 9; c'est un des plus beaux morceaux de ce grand ouvrage, qui n'est presque plus lu.
[197] Nos textes d'Homère sont ici fort différents de celui qui est dans Athénée, quant a la lettre, quoique la pensée soit analogue ; Odyssée 17, 322.
[198] Cf. ici Aristote, liv. cité.
[199] Ne doit-on pas traduire « par le magistrat même? Ce sens me plaît beaucoup, en ce que c'est le moyen d'éviter l'odieux des punitions. On devrait bien profiter de ces avis en faveur des Nègres qui appartiennent aux Européens
[200] C'étaient des Grecs mêmes ; mais cf. ici Rhodigin, liv. 25, chap. 19.
[201] Je lis ici tamieia, indiqué par le manuscrit A, où je vois timieia, qui ne fait aucun sens.
[202] Chapelle consacrée à ceux qui s'étaient distingués par leur valeur et leur bienfaisance.
[203] Le peuple chrétien fait dire des messes pour ces prétendues apparitions : la religion, toujours bonne en elle-même, devient détestable lorsqu'elle n'est plus que superstition. Doit-on être surpris qu'on ait offert des sacrifices à ces ombres, lorsqu'on voit les plus respectables pères de l'église ordonner de prier Dieu à midi et au soir, pour n'être pas emporté par le démon du midi, ou étouffé la nuit par celui qui causait le cauchemar? C'est cependant ce que disait St. Basile; mais cette théorie, qui se retrouve dans le nord comme l'observe M. Mallet, dans sa Mythologie du nord, p. 41, est beaucoup plus ancienne. Elle était connue des Hébreux ; on le voit par les psaumes : Non timebis a timore nocturno, nec a dœmonio meridiano. Si je disais que l’angélus qu'on dit à midi et au soir, doit son origine à cette théorie, on ne le croirait pas; c'est cependant une pure vérité. Le lecteur me passera cette digression. Il est toujours utile de connaître la source de nos erreurs. Voyez aussi les dissertations de Van-Dale sur l’Origine des Superstitions. Amsterd. 1696, in-4°.
[204] Hermotime, que Panionius avait fait eunuque, obligea les fils de celui-ci de châtrer leur père. Voyez Hérodote, liv. 8, ch. 106.
[205] La loi permettait de les faire punir justement ; cependant les esclaves étaient en général traités beaucoup plus favorablement chez les Grecs que chez les Romains, qui réduisaient souvent les leurs au désespoir. Voyez la dissertation 1ère d'Hanneken, De cura domestica Romanorum, ch. i-iii, dans le Sallengre. Quant au mot hybrizein du texte, il indique aussi la violence qu'on voulait faire à quelqu'un pour satisfaire une passion brutale, tel que celle du neveu de Marius. Ce grand capitaine couronna de sa main le soldat qui tua ce jeune infâme. Voyez Rhodigin, liv. 15, ch. 9.
[206] Athénée fait bien de ne pas s'arrêter aux vaines subtilités de Chrysippe. Cicéron reprochait, avec raison, aux Stoïciens de n'avoir inventé que des mots vides de sens, de finib. b. et m. ; mais je dois expliquer les termes reçus. Doulos est, selon l'acception générale, un esclave qui a perdu la propriété de sa personne, mais qui ne peut plus avoir ce nom lorsqu'il est aphète, ou affranchi. Il est vrai que l'affranchi, chez les Romains, pouvait retomber dans l'esclavage pour cause d'ingratitude ; mais ce cas n'est plus compris dans la définition de Chrysippe. Oiketees est celui qui habite la maison du maître, en fait partie comme instrument, s'il est encore doulos selon Aristote ; mais l'affranchi avait aussi le nom d'oiketees, s'il restait dans cette maison, quoique son patron n'eût plus droit de le vendre, ou de le donner, comme on le voit plus bas. A l'égard des autres noms qui suivent dans le texte, et aux différentes fonctions des esclaves, on sera amplement satisfait en lisant Rhodigin, liv. 25, ch. 17-24. Pignorius, Popma et Hanneken. Je ne puis qu'indiquer ici.
[207] Ou noires de maturité je lis drypepesi, en suivant le manuscrit A, qui porte drypepeis : après ce mot, je lis koolois, intestins, avec l'épitomé; ce qui est analogue aux vulves de truies qu'on jouait de même, comme le dit plus bas l'auteur. Les autres textes portent boolois, dont je ne vois pas trop le sens ici, à moins qu'on ne lise booliais ou boolisi, espèce de gâteaux. Voyez Hésychius ; ce qui, d'un autre côté, s'accorderait assez avec les mazes d’Égine, et me plaît beaucoup.
[208] Mes manuscrits sont ici altérés comme les imprimés. Casaubon a assez bien vu ce passage pour le sens, dans lequel il n'y a rien d'obscur. Je ne m'arrêterais cependant pas à la lettre de ce critique, s'il fallait rétablir les vers.
[209] Je lis een ; licebat. Le manuscrit A porte cette leçon, et indique heen ; quam: leçon moderne et vicieuse. Ensuite il porte apaleen et ardonth' ; ce qui est exact.
[210] Je suppose ici sidi' an apausta, pour ne pas m'écarter du texte autant que Casaubon. Tous les textes sont vicieux.
[211] En entrant dans l'idée de l'auteur, on voit qu'il n'y a rien à changer ici. Les manuscrits s'opposent à la correction de Casaubon, et ils sont exacts. L'expression, la torche à la main, ou, selon le texte, agitant sa torche, est prise de ce qui se passait à la fête des torches.
[212] Ou des bouchées de pain creusées, pour suppléer aux cuillers, et prendre la sauce. J'observe que le mot tonthorygontes (qui se trouve dans le même fragment que Pollux a conservé, liv. 6, n° 58) est écrit lontholygontes dans le manuscrit A. Celui-ci présente en outre pompholygontes. Le sens de ce dernier mot est rappelé par epiblyx, du fragment qui suit celui-ci.
[213] Les critiques sont arrêtés sur ce vers. Je suis la correction d'Adam, qui m'a paru la mieux fondée : Hoost’ eumaree kai automateen teen enthesin.
[214] Je rends ici ce vers qui nous manque, et que Pollux a conservé. Voyez ibid. note 15.
[215] Il faut séparer par une virgule après bien gras, ou epoxanthismena, de couleur fleurie.
[216] Je suis obligé de périphraser. Nous n'avons pas de terme propre pour exprimer le premier lait qui coule du sein d'une femelle qui vient d'accoucher. Les Latins disent colostrum, synonyme de pyos dans le manuscrit A, et du mot vicieux pou, dans le manuscrit B, pour pyou: lisez donc pyou tomoi. Nous avons déjà vu, d'après le Schol. d'Aristophane, que les Grecs faisaient épaissir ce premier lait sur le feu, jusqu'à lui donner une consistance assez ferme. La leçon de Pollux est fausse, puisqu'on vient de parler d’Amylon. Casaubon et Adam qui le suit, l'admettent mal à propos.
[217] Allusion à Tantale. Il faut dans ce passage mala, adverbe, pour kala.
[218] La partie sexuelle de la femme se nommait, chez les Grecs, rose, jardin, etc. L'auteur fait allusion à l'usage d'épiler cette partie, voulant indiquer que celle de ces jeunes filles l'avaient déjà été, pour dire qu'elles étaient nubiles. On employait, pour cet effet, des sucs de plantes que Théophraste, Dioscoride et autres ont indiquées, ou des emplâtres faits de résine ou de poix. C'est ce qu'ils appelaient psilothres, ou épispastiques.
[219] On voit que l'auteur fait allusion au tonneau des Danaïdes.
[220] Voyez le Schol. d'Aristophane. Chevaliers, p. 294; Pollux, l. 6, n° 61.
[221] Ou faites de la plus belle orge nommée d'Achille ; d'autres l'entendent de tourtes à la cervelle, parce qu'Achille ne fut élevé qu'avec de la cervelle d'animaux ; ce qui le rendit si fort.
[222] Il faut lire ici thermoo, rapporté à etnei, non thermoi, rapporté à ochetoi.
[223] Je traduis vermicelle, pour donner seulement l'idée de cette pâte, qui était faite de bled non encore mûr, et d'orge mondée. Voyez Pollux, liv. 6, n°. 61, note 43, p. 601 : les Grecs en faisaient des espèces de bandes, ou des boulettes, qu'ils laissaient sécher, au lieu de les faire cuire, et en jetaient dans les herbages qu'ils mangeaient.
[224] On a déjà vu que ce mot est synonyme de synkomiste, ou gros pain. Il désigne aussi une espèce de pain, ou de gâteau, fait de miel et de raisins secs qu'on jetait dans la pâte. D'autres le prennent simplement pour pain chaud, et massif.
[225] Le manuscrit A porte autosse, pour autose; il faudrait dire roule au même endroit.
[226] Aphyloisi, ce qui ne fait aucun sens. Mes manuscrits portent aphylisi ; mais a et l en grec étant absolument semblables dans le manuscrit A, on pourrait croire qu'il faut ici aphyaisi. Adam lisait amyloisi, mais ce terme paraît trois vers plus bas. Casaubon corrige ephthaleois ; c'est trop s'écarter du texte. Je suis sûr que l'auteur avait écrit osmyloisi, espèce de polypes, qu'il nomme liv. 7, p. 318 : ainsi lisez des polypes osmyles.
[227] Démosthène.
[228] Texte, agora, marché ; et place publique, où les poètes, les sophistes, les orateurs venaient se faire entendre. Ulpien parle dans le premier sens, et Cynulque dans le second. Adam.
[229] Texte, reste qu'on retire de l'auge. Par chiens, entendez les cyniques.
[230] De plethos, plénitude; et agora, place publique.
[231] Ou parties de poèmes épiques que l’on chantait. Ce mot a été particulièrement appliqué aux poésies d'Homère.
[232] Autrement dit anthios, poisson encore indéterminé chez les Modernes.
[233] Espèce de polype, liv. 7, ubi supra.
[234] Ceci est, un iambe depuis, melos jusqu'à philtatoo, mais par vers entendez seulement ce que l'auteur veut ajouter au récit de Démocrite.
[235] Celui qui couche en place d'un autre dans un lit : de epi, et eunee.
[236] Ceux qui portaient une peau velue pour lit : on soit que les anciens couchaient sur des peaux d'animaux ; ils n'avaient même pas d'autres habits. Voilà pourquoi les sénateurs des premiers temps connus de Rome, sont appelés pelliti patres, dans un poète latin.
[237] Trois cents mille. Prospélate, est celui qui se tient près de quelqu'un.
[238] Ou mariniers, matelots servant sur les vaisseaux de leurs maîtres.
[239] C'est-à-dire, selon le grec, que d'honorable (Timée) il est devenu blâmable (épitimée).
[240] Quatre cent soixante mille, y compris sans doute ceux de la campagne.
[241] C'est-à-dire, occupés à mesurer les rations d'un si grand nombre d'esclaves. Le chœnix était la mesure de farine qu'on leur donnait tous les jours; environ deux livres et demie.
[242] Je suis à la lettre la leçon qu'indique le manuscrit B, kai dekatee, lisez (ekkaidek) pros tais hek, ce qui autorise la leçon que Casaubon avait vue dans d'autres textes : ainsi écrivez la 116e Olympiade.
[243] Le texte de Xénophon est plus exact. Opuscul. édit. Zeunii, Lips. 1778, in 8°., p. 85: eph' hoo obolon men atelee, kekastou tees heemeras, apodidonai : à condition qu'il lui rendrait tous les jours une obole, sans retenue, pour chacun.
[244] Très ancienne ville de Sicile, au nord. Hérodote est le premier, des écrivains connus, qui en fasse mention.
[245] Le texte ajoute kata teen oikoumeneen, per orbem terrarum : expression hyperbolique, commune aux écrivains sacrés et profanes, et que Théophraste, d'un autre côté, restreint à une seule maison, disant oikoumenee, pour oikos.
[246] Ou épouser Agoraste.
[247] Des philosophes et de leurs écoles.
[248] Voyez Rhodigin, liv. 21, ch. 18, sur l'origine de cet ordre de bataille.
[249] Espèce de javelot en usage chez d'autres peuples, tels que les Gaulois, etc. Il était tout de fer, dit Pollux, liv. 7, chap. 33. Le pilum des Romains répondait à cette arme. Ce nom est germanique, et se reconnaît dans le mot allemand, pfeil, ou pil des Scythes qui adoraient, comme leur divinité, leur grande lance fichée en terre, ou pilstor, non plistor, comme les anciens l'ont mal écrit. On saoit que les Romains ou les ancêtres des Romains (peuple Celto-Scythe) adoraient leur quiris, ou curis, lance.
[250] Je lis ici teen eklogeen tinoon chreesimoon, pour t. e. toon chr. Casaubon brouille tout ce passage, en voulant insérer la négation ou qui ne doit pas y être. Syn, dans le composé synapopherontai, indique clairement que l'auteur a voulu dire syn tisi chreesimois ta mochtheera synapopherontai. Un copiste a pu se tromper facilement de tinoon à toon, dans l'écriture originale; d'ailleurs, tous les textes s'opposent à la négation, et l'on voit qu'élu serait absurde.
[251] Entendez ceci de ce que les prêtres buvaient et mangeaient après les offrandes.
[252] On lira ici avec plaisir et utilité ce que Macrobe écrit à ce sujet dans ses Saturnales, liv. 2, ch. 9 et 10 : on y verra que dans l'ancienne Rome même, ce sont les prêtres qui ont donné l'exemple d'une volupté ruineuse.
[253] Je garde ici le texte qui est exact. Lachana se dit, dans ce passage, des plantes sauvages qui croissent spontanément çà et là ; et ospria, des plantes potagères cultivées ; ainsi je laisse à Casaubon sa mauvaise correction.
[254] Il semble que ce poisson de Thurium soit le canis carcharias, ou le requin ; voyez liv. 7, ch. 17. Daléchamp y lisait thurianos, pour thursion. Je vois cette correction confirmée par la marge du manuscrit A, ibid. Il y a thursioon ee thourioon. Or, Athénée dit que ce poisson est le carcharias, autrement lamia. Hardouin sur Pline, liv. 32, chap. 11, s'est donc trompé en citant ce passage de notre liv. 6, comme indiquant le xiphias, ou l’espadon ; mais c'est la note de Daléchamp sur Pline qui a induit Hardouin en erreur, et c'est Hermol. qui a inséré dans Pline, tomus thurianus, pour thynnus, thranis, etc., peut-être d'après notre passage d'Athénée : ainsi l'on a entendu de l’espadon ; ce que celui-ci avait dit du requin. Je suis surpris que Brotier ait gardé le silence sur le passage de Pline, liv. 32.
[255] En substances alimentaires, de sorte qu'ils pussent dire: Ce que nous avons sur la table excède, il est vrai, par sa valeur, la dépense que fixe la loi ; nous ne l'ayons pas acheté ; c'est un présent, mais dans les termes de la loi. Tel est le sens qui peut se trouver dans ce passage.
[256] Mais ce fut en pure perte : « En vain parlé-je, dit-il, à un ventre qui n'a pas d'oreilles. » Voyez Plutarque.