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table des matières d'Athénée de Naucratis

introduction à athénée de naucratis

ATHÉNÉE DE NAUCRATIS

LIVRE I : ÉPITOME.

Éloge de Larentius, le plus libéral de tous les hommes – Les auteurs qui ont écrit sur les banquets – Épicure – Éloge du vin – Les noms de certains mets – Danses – Jeux – Bains – Partialité des Grecs quant aux divertissements – Danse et danseurs – De l'usage de certains mots – Exercices – Différents mets – Différents vins – Des productions locales variées – Vins divers

Le Livre I des Deipnosophistes

texte grec

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer 

 

  

 

trADUCTION

LE BANQUET DES SAVANTS D'ATHÉNÉE.

LIVRE PREMIER.

 

 

BANQUET

DES SAVANS,

PAR

ATHÉNÉE,

Traduit, tant sur les Textes imprimés, que sur plusieurs

Manuscrits,

Par M. LEFEBVRE DE VILLEBRUNE.

TOME PREMIER.

  


 

Pour nous, qui ne pouvons plus consulter qu'une très petite partie des Auteurs allégués par Athénée, et qui ne trouvons que dans son livre cent particularités curieuses dont, il parle, nous regardons sa compilation comme un trésor très précieux.

Bayle, Dict.

 

A PARIS,

Chez Lamy, Libraire, quai des Augustins, n°. 26.

DE L'IMPRIMERIE DE MONSIEUR.

M. DCC. LXXXIX.

AVEC APPROBATION, ET PRIVILÈGE DU ROI.


 

A MONSEIGNEUR

 

DE BARENTIN,

GARDE DES SCEAUX DE FRANCE.

 

Monseigneur,

 

La France venait de voir ses Tribunaux sans exercice, la Justice réclamait au nom de la Nation les droits d'un Peuple né pour être libre sous l’autorité de la loi; les avenues du trône étaient fermées : le Roi jette les yeux sur vous; il vous fait le dépositaire de ses secrets les plus importons; aussitôt un cri de ralliement se fait entendre d'une extrémité de la France à l’autre. Qu'il est glorieux, MONSEIGNEUR de présider, pour ainsi dire, à tous les rapports de l’Etat, dans des circonstances où le Souverain et le Peuple ne se disputent que l’avantage du plus sincère amour ! L’intégrité que vous avez montrée à la tête d'un des premiers Tribunaux du royaume, répond à la Patrie de ce que vous ferez pour sa gloire. Vous serez aussi par goût, comme par votre rang, le protecteur et l’ami des lettres et des sciences ; vous les accueillerez avec cette affabilité qui fait votre caractère ; ce sont les Mécène qui illustrent les siècles des Auguste. Votre Grandeur donne une preuve de son inclination, en me permettant de lui offrir publiquement l’hommage de mon travail. L’importance et la difficulté de l'entreprise ne me permettaient pas de le produire sous vos auspices avant d'avoir réuni quelques-uns des suffrages qui devaient me rassurer. Guidé par la voix publique, j’ose aujourd'hui vous le consacrer, et je redoublerai d'efforts pour arriver promptement au terme de cette pénible carrière, si j'ai le bonheur de mériter complètement votre suffrage.

Je suis, avec un profond respect,

MONSEIGNEUR,

de VOTRE GRANDEUR,

 

Le très humble et très obéissant serviteur,

Lefebvre de Villebrune.


 

AVERTISSEMENT.

 

Athénée, regardé à juste titre comme un des écrivains les plus importants de la Grèce, cité tous les jours par les savants, et presque sur toutes sortes de matières, n'a encore paru en français que dans une traduction faite par un[1] littérateur qui, de son propre aveu, n'entendait pas la langue de l'auteur. Guidé dans son travail par la seule manie d'écrire, ignorant d'ailleurs le fond de presque toutes les choses dont parle Athénée, il ne pouvait que s'égarer à chaque pas. Les deux interprètes qu'il traduit, avaient un texte à peine intelligible de leur temps. Ils trouvèrent en outre les sciences trop peu avancées, pour parvenir, toujours avec succès, à saisir les choses par le moyen des connaissances littéraires.

Le premier est Noël le Comte,[2] ou de Conti, qui traduisit sur un texte châtié, d'après un grand nombre de manuscrits. Très souvent il s'égare, soit faute de bien entendre son texte, soit faute de l'avoir pu lire, soit par le vice même des manuscrits ; car il n'en est pas d'aussi altérés que ceux de notre auteur. Néanmoins le Comte a fait en général un travail précieux, en ce qu'il s'astreint à la lettre, et nous présente ses textes aussi exactement qu'il a pu, même lorsqu'il n'y comprend rien. Les manuscrits qu'il avait ne sont plus connus aujourd'hui. M. du Teil m'a assuré qu'il l'en avait pas découvert un seul[3] dans ses voyages d'Italie. Il y en a cependant un à Venise, que M. d'Ansse de Villoison croit assez bon. Je n'ai pu en profiter.

Le second interprète latin est Daléchamp, médecin, qui a joui et jouit encore d'une réputation bien méritée. Travailleur infatigable, ne quittant le lit des malades que pour s'occuper du progrès des sciences, surtout de celles qui sont le plus directement utiles à l'humanité, il rapportait tout à ce but. Sa chirurgie est encore un ouvrage recherché des maîtres de l'art, malgré les progrès étonnants que cet art a faits depuis. Son grand ouvrage de botanique fait même la base de tout ce qu'on a publié de plus intéressant sur cette science. Les travaux d'Hardouin et de M. Brotier, quelque précieux qu'ils soient, ne feront jamais oublier le Pline de Daléchamp.

Athénée ne lui a pas moins d'obligation, quelque fautive que soit la version latine qu'il en a publiée, après s'en être occupé nombre d'années, pendant les intervalles que lui laissaient, et la pratique de la médecine, et d'autres travaux ; mais il n'avait que de mauvais textes imprimés. Je présume cependant qu'il avait un manuscrit, car j'ai retrouvé dans sa version des leçons qu'il lui était impossible de deviner, et que j'ai vues dans les deux manuscrits de la bibliothèque du roi. Malgré ces titres qu'il aura toujours à l'estime publique, Casaubon se comporte à son égard comme un crocheteur des ports; l'appelle vesanum, insanum Tiresiam, etc.[4] mais on était grand du temps de Casaubon, lorsque, comme lui et Jules Scaliger, on avait chargé d'invectives ceux qu'on voulait rabaisser pour s'élever, ou paraître moins petit. Voilà au moins ce que j'ai trouvé de plus grand dans le grand Casaubon ; mais c'était le ton de son siècle.

Mais nous, qui ne sommes pas captivés par l'amour d'une vaine gloriole, rendons à le Comte et à Daléchamp la justice qui leur est due. Louons les efforts de ceux sur les épaules desquels nous nous élevons aujourd'hui. Ce sont eux qui nous ont frayé la route : il n'est encore que trop facile de s'y égarer. Que serions-nous aujourd'hui, si Pétrarque, Boccace, Pomponius, le Poge, Erasme, Budée, Ramus, Joseph Scaliger, Saumaise, Bochart, n'eussent secoué la poussière de tous les anciens auteurs qui restaient, pour nous instruire, et nous indiquer le but auquel le temps ne leur permit pas d'arriver ? Que la postérité, qui sera sans doute plus éclairée que nous, apprenne, par les fastes de notre temps, que. si nous n'avons pas élevé de statues à ces maîtres du genre humain, nous ne sommes au moins pas ingrats, et que nous avons su jouir avec là plus juste reconnaissance.

Casaubon, qui réunissait une érudition fort étendue, quoique très mal digérée, convient lui-même qu'il s'est quelquefois endormi dans la longue carrière qu'il a parcourue avec Athénée, liv. i, ch. 8. Les savants de nos jours, qui veulent, avec raison, des choses et non des mots, ont avoué que cet infatigable compilateur n'avait que trop souvent dormi. Jaloux de paraître avoir parcouru toutes les parties des connaissances humaines, il cite à tort et à travers, sans examiner s'il entend bien ce qu'il écrit, et s'il en fait une juste application. Quelquefois même il ne s'aperçoit pas que les passages qu'il cite sont altérés, et qu'il fait dire aux auteurs ce qu'ils n'ont jamais pensé. Outre les preuves que j'en ai, je pourrais citer deux hommes des plus érudits de l'Europe, Tibère Hemsterhuys et Pearson. Souvent aussi Casaubon passe sur les plus grandes difficultés sans en rien dire, ou il se sauve à la faveur du nom de tel ou tel auteur auquel il renvoie, et dans lequel il n'y a rien qui jette de jour sur la difficulté. N'est-il pas plus louable d'avouer qu'on n'entend pas ce dont il s'agit ?

D'un autre côté, les érudits auxquels Casaubon renvoie, n'en savaient pas plus que lui ; et sans sa morgue[5] je le trouverais excusable d'avoir écrit trois fois plus de notes que l'ouvrage d'Athénée ne contient de texte. Saumaise, Bochart n'avaient pas encore montré quel est le vrai but des connaissances littéraires. Un gros volume était un grand ouvrage. Des masses énormes de doctes rêveries, surtout celles de Casaubon, faisaient gémir les presses en pure perte pour la postérité. En effet, si l'on ôte environ trente pages de bonnes choses, à quoi l'on peut réduire le volume qu'il a écrit, le reste de son ouvrage mérite à peine d'être ouvert. C'est même l'homme dont on doit le plus se défier sur les citations de manuscrits. Ceux que j'ai d'Athénée, et cinq de Strabon que j'ai collationnés totalement, me l'ont assez prouvé.

La connaissance des choses a donc heureusement succédé à celle des mots ; et l'on a cessé d'admirer avec stupeur ces érudits qui avaient tant abusé de leur temps. C'est à Saumaise, cet homme étonnant, que les sciences en seront à jamais redevables. Malgré ses fréquentes erreurs, c'est lui qui a déchiré le voile, et qui, le premier, a montré le vrai but de l'érudition. Depuis ses travaux, on a vu dans les anciens les choses que la science des mots n'y avait pas présentées ; et il est actuellement des hommes du premier mérite, qui ne balancent pas à mettre les anciens au rang élevé qui leur est dû. Je citerais à cet égard MM. de Buffon, Adanson, etc. D'autres, qui veulent que notre siècle soit le plus éclairé qu'on ait jamais vu, rampent tacitement, j'oserais dire honteusement, à côté des anciens, les mettent à contribution, s'approprient leurs dépouilles, et les traitent avec mépris. Quoiqu'une longue lecture, et surtout la réflexion, ne m'aient encore démontré qu'un petit nombre de vérités dans les sciences, si l'on excepte celles de sentiment, j'en ai cependant entrevu une avec assez de probabilité : c'est que les anciens ont été infiniment plus[6] loin que nous, à beaucoup d'égards. Plus on les lit, plus ils étonnent ; mais il faut être très instruit pour les entendre, et démêler nos théories dans les leur.

Athénée, nommé avec raison le Varron et le Pline des Grecs, est une de ces mines riches, où l'on fouillera toujours avec avantage, quoique son ouvrage ne soit composé que de fragments d'auteurs que nous avons perdus en grande partie. Histoire, usages anciens, civils ou religieux ; cultes, fêtes, pompes publiques ; philosophie, éloquence, poésie ; physique, botanique, médecine; animaux terrestres, aquatiques, volatiles; coquillages, insectes; repas; parties de plaisirs; musique, danse, instruments; armes ; vases; marine, architecture, monuments; femmes galantes : voilà en bref les principaux objets que présente son volume ; quelque difficile qu'il soit encore à comprendre en plusieurs endroits : c'est la faute du temps, et non la nôtre.

Les abréviateurs, qui nous ont fait perdre plusieurs grands ouvrages des anciens, en travaillant pour leur propre utilité, nous font aussi regretter les deux premiers livres de notre auteur. Il est vrai que les extraits en sont fort étendus; mais, mutilés en nombre d'endroits, sans ordre et sans suite, ces deux livres perdent beaucoup de leur intérêt. Néanmoins il s'y trouve de très beaux morceaux : on en sentirait encore mieux le prix, si le texte était entier ; aucun des manuscrits ne nous le présente tel. Le texte n'est pas non plus sans désordre dans les livres suivants, outre les vices même de la lettre, si fréquemment altérée par des copistes qui n'entendaient ni la langue, ni les choses. Saumaise observe sensément que les Grecs des derniers temps de Constantinople, si Ton en excepte un très petit nombre, entendaient à peine les anciens : quelques-uns s'occupaient même à traduire des auteurs latins en grec, au lieu d'étudier leurs grands modèles.

Un homme de mérite,[7] né de pauvres parents, quoique honnêtes, ignoré jusqu'ici du grand nombre des savants, avait consacré une partie de son temps à la gloire de notre auteur, et entrepris d'en donner une traduction française faite sur le texte même, qu'il voulait aussi publier avec de nombreuses corrections, mais il ne consulta aucun manuscrit. Cette version, ébauchée en totalité, et portée, dans les deux premiers livres, au degré de perfection dont elle était susceptible sous la plume de cet écrivain, me fut remise par M. Desaunays, garde des livres de la bibliothèque du roi. Comme il l'avait achetée pour lui-même, il lui était libre d'en disposer envers qui lui semblerait bon. Je lui avais parlé, il y a plusieurs années, du projet que j’avais de continuer une version française d'Athénée, dont l'étude de la médecine m'avait engagé à faire des extraits. Ce fut à cette occasion qu'il me remit quelque temps après son manuscrit, par le seul désir de m'être utile, et d'obliger même les littérateurs qui s'occupent de choses vraiment solides. J'appris alors par d'autres personnes, que le traducteur avait achevé tout son travail, et fait un recueil de plusieurs milliers de corrections. Sur cet avis, je fis toutes les recherches nécessaires, mais sans succès ; et depuis, un avocat de Paris, faisant l’année dernière un voyage à Vendôme, n'y a rien découvert chez le seul parent qui reste de la famille du traducteur. Une lettre originale d'Adam me fit voir que les bruits relatifs à ces milliers de corrections n'étaient pas mal fondés ; car Adam le disait lui-même aux savants d'Angleterre à qui il écrivait cette lettre, consignée parmi les manuscrits du roi. Elle m'a été communiquée par M. Caussin, garde des manuscrits.

Mais je ne tardai pas à voir combien ces assertions, réitérées par feu d'Alembert,[8] étaient mal fondées. Je ne vois çà et là que quelques conjectures hasardées, assez rarement heureuses, et une version qui, dans le cahier que l'auteur appelle sa bonne copie des deux premiers livres, avait besoin d'être généralement retouchée. En rendant justice au talent du traducteur, je la dois autant à l'original qu'il ne saisissait pas bien, moins par ignorance de la langue grecque, que par celle des matières dont s'occupe Athénée, surtout lorsqu'il s'agit d'histoire naturelle et de physique ou de médecine. Adam n'y comprenait rien.

Je n'ai donc que trop senti qu'il était impossible de publier les deux premiers livres tels qu'ils se trouvaient mis au net. Ainsi, voulant que la mémoire d'Adam fût intéressée à cette version, je l'ai beaucoup corrigée, ayant des ressources qu'il ne pouvait avoir de son temps ; et je publie cette partie comme étant à lui, malgré les nombreux changements que j'y ai faits. Cette seule réforme m'a coûté plus de quatre mois de travail. Je vis bientôt qu'il n'était plus possible que je le suivisse ; ainsi le reste de la traduction, depuis le troisième livre, est tout[9] entier de mon travail. Néanmoins je saisirai[10] toujours avec plaisir l'occasion de citer Adam dans mes notes, lorsqu'elle se présentera. Pium est profiteri per quos profeceris. Il paraît, par plusieurs de ses notes, qu'il a encore été plus choqué que moi de la morgue de Casaubon. Cependant je supprime ce qu'il a écrit contre ce savant, dont le nom fait encore loi, mais pour les seuls érudits qui ne cherchent que des mots.

Voici les secours que j'ai eus pour mon travail :

1°. Deux manuscrits de la bibliothèque du roi, l’un n° 3056, écrit, dit-on, de la main d'Hermolaus Barbarus, excepté les deux premiers livres qui sont d'une autre main, mais très ignorante, ou qui a copié sur un volume très fautif; cependant ce texte n'est pas à mépriser: le reste ne va que jusqu'à la fin du livre ix; en général, le texte, copié par Hermolaus Barbarus, est précieux. Le second manuscrit est le n° 1853, très bien écrit, mais moins sûr que l'autre. Les deux premiers livres manquent ; le reste ne va pas plus loin que l'autre. Je désigne le premier par A, le second par B.

2°. Un exemplaire imprimé des premières éditions, dont presque toutes les marges sont remplies de corrections de la main d'un nommé Antoine Pursan. Un dictionnaire allemand m'apprend qu'on a de lui des miscellanea theologica. Au reste, cet homme a lu Athénée avec le plus grand soin, et de temps en temps il est très heureux dans ses conjectures.

3°. L'exemplaire même de Casaubon, et sur les marges duquel il a jeté toutes les variantes et les passages non imprimés alors, et qu'il devait au travail d'Ægius de Spolète : cet exemplaire présente nombre de remarques, d'une et même de deux autres mains, dont Casaubon a profité,[11] sans dire d'où il les tenait.

4°. Un exemplaire où Saumaise avait écrit toutes les corrections de Casaubon, bonnes ou mauvaises, et quelques autres, mais peu importantes.

5°. Enfin, les commentaires de Casaubon, qui m'ont donné mille fois plus de peine que le texte même de l'auteur.

Je suivrai cet ordre-ci dans l'édition de ma version. Le texte sera traduit avec autant de fidélité, et aussi littéralement qu'il sera possible. Je néglige toute affectation d'élégance, pourvu que je fasse comprendre l'auteur, qui certainement n'est pas facile à saisir à une première lecture ; c'est même beaucoup si on le comprend à une troisième dans son texte.

J'y joins quelques notes, parce que je n'ai absolument pas pu m'en dispenser:[12] elles ne concernent que l'intelligence du texte même, ou de la lettre. J'évite avec le plus grand soin la moindre apparence d'érudition, content de citer en général les auteurs lorsque les choses le permettent, et indiquant les chapitres, même les pages, s'il le faut. L'ouvrage présentera à la fin un index général sur toutes les choses qui auraient exigé des notes, mais trop souvent répétées ; par ce moyen, je suppléerai à un commentaire fastidieux, et je ne rougirai pas d’avouer ce que je ne sais pas.

Je fais même imprimer le grec avec nos caractères ordinaires, écrivant les voyelles longues eta, oomega, par deux ee, deux oo; le thêta, par th; le chi, par ch; l'esprit rude par h. Les littérateurs savent qu'on peut se passer de l’iota ou i souscrit.

Il ne tiendra pas à moi, dans l’ordre naturel des choses, que cette version ne paraisse d'ici à douze ou quinze mois.

Paris, 15 avril 1788.

 

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ŒUVRES D'ATHÉNÉE,

ou

BANQUET DES SAVANTS.

 

ARGUMENT

DE L’ABRÉVIATEUR

DES DEUX PREMIERS LIVRES.

[1a] Athénée est l'auteur de cet ouvrage, intitulé Banquet des savants.[13] C'est à un ami, nommé Timocrate, qu'il adresse la parole. Celui qui donne lieu à tous les discours de ce Banquet est, selon la supposition de l'auteur, un romain nommé Larensius, homme d'une grande fortune, qui admettait à sa table ce qu'il y avait alors de gens les plus instruits dans toutes les sciences : c'est pourquoi il n'y a rien de beau et d'intéressant dont il n'ait été fait mention à ce repas.

L'auteur a fait entrer dans son ouvrage les poissons, ce que les écrivains ont dit de chacun en particulier, les explications relatives aux différents sens des dénominations, les diverses espèces de légumes et d'animaux. [1b] — Il a cité les historiens, les poètes, et en général tous les savants : il a parlé des instruments de musique, rapporté une infinité de traits de plaisanterie, raconté quelles étaient les différentes sortes de vases, la richesse des rois, la grandeur des divers bâtiments en usage dans la marine : en un mot, il a dit tant de choses que j'aurais de la peine à les rappeler ici ; un jour entier ne me suffirait même pas pour les détailler. L'ordre des discours est le même que celui de l'appareil somptueux du Banquet, et la suite de chaque livre, la même que celle des discours. Attentif à faire régner un ordre admirable dans les détails charmants de ce Banquet, Athénée s'élève comme au-dessus de lui-même dans sa narration, à l'exemple des orateurs d'Athènes, [1c] et ennoblit de plus en plus toutes les matières de son ouvrage.

2. Les personnages qui assistèrent à ce festin, furent Masurius, fameux jurisconsulte, très versé d'ailleurs en toute sorte de sciences ; le poète Mordus, homme qui ne le cédait en savoir à personne. Dès sa première jeunesse, il s'était appliqué avec succès à l'étude de tous les arts libéraux;[14] il y avait fait de si grands progrès, que sur quelque matière qu'il parlât, il semblait qu'il n'en eût jamais étudié d'autres. Il faisait outre cela des vers ïambes, et il ne cédait à cet égard à aucun de ceux qui s'étaient exercés en ce genre depuis Archiloque. Plutarque, Léonide d'Elide, Emilien [1d] de Mauritanie, Zoïle, grammairien des plus célèbres, furent aussi de la compagnie. Les philosophes qui s'y trouvèrent, furent Pontien et Démocrite, l’un et l'autre de Nicomédie, et tous deux hommes du savoir le plus étendu ; Philadelphe de Ptolémaïde, personnage qui joignait à la philosophie spéculative, une pratique exacte de tous les devoirs de la vie civile.

Parmi les Cyniques qui y assistèrent, il s'en trouvait un nommé Cynulque,[15] qui, loin d'imiter Télémaque, content de mener avec lui deux chiens blancs en allant aux assemblées d'Ithaque, en avait plus à sa suite qu'Actéon. Il y vint même une troupe de Rhéteurs aussi nombreuse que celle des Cyniques.

Les convives, mais surtout ces Cyniques, ne pouvaient ouvrir la bouche sans être aussitôt interrompus par certain Ulpien de Tyr, surnommé keitoukeitos[16] à cause des questions continuelles dont il fatiguait le monde, à toute heure, dans les rues, au bain, à la promenade, [1e] et dans les boutiques de libraires : il était même plus connu par ce sobriquet, que sous son vrai nom. Jamais il ne mangeait de rien qu'il ne demandât, le nom de ceci,[17] se trouve-t-il ? ne se trouve-t-il pas ? Par exemple, le mot heure, hora, se trouve-t-il chez les Grecs pour signifier une partie du jour? Le mot méthysos,[18] ivre, se dit-il de l'homme et de la femme ? Le mot metrat ou vulve des animaux femelles, se lit-il quelque part de chose qu'on peut manger? Le mot syagros,[19] ou porc sauvage, se trouve-t-il comme composé pour désigner un sanglier?

Il y eut de plus à ce Banquet trois médecins, savoir, Daphnus d'Éphèse, homme divin dans son art, et dont les mœurs prouvaient qu'il avait bien étudié les préceptes de l'académie ; Galien de Pergame, cet homme qui a tant écrit sur la médecine [1f] et la philosophie, qu'on peut le mettre au-dessus de tous ceux qui l'ont précédé : aucun des anciens ne l'emporte même sur lui dans l'art d'interpréter les auteurs : Rufin de Nicée faisait le troisième. Il ne s'y trouva de musicien qu'Alcide d'Alexandrie. Enfin la liste totale ressemblerait plutôt à celle d'une troupe de soldats, qu'à celle d'une assemblée de convives, pour parler comme un des personnages d'Athénée.

3. Notre auteur se propose donc Platon pour modèle dans cet ouvrage, où il met tout en action par le moyen du dialogue ; et il débute ainsi :[20]

 


 

LE BANQUET DES SAVANTS

D'ATHÉNÉE.

 

ABRÉGÉ DU LIVRE PREMIER.

[2a]Timocrate,  Dites-moi, je vous prie, Athénée, étiez-vous de la belle assemblée qui a fait tant de bruit dans cette ville, et à laquelle on a donné le nom de Banquet des Savants ? ou est-ce sur le rapport d'autrui que vous en avez fait le récit à vos amis ? Athénée. Oui, Timocrate, j'en étais.

Chap. II. Timocrate. Voudriez-vous bien me faire part des discours intéressants qui se sont tenus à ce Banquet?

« Les dieux, dit le poète de Cyrène, sont toujours très favorables à ceux qui se purifient trois fois. »

[2b] ou bien faudra-t-il que j'en apprenne les détails d'un autre ?

4. Après ce court préambule, Athénée se mit à faire l'éloge de Larensius : il dit que ce Romain se faisait un honneur de rassembler chez lui nombre de savants, qu'il régalait autant par les charmes de la conversation, que par tout ce qu'il leur présentait : qu'il leur proposait des questions très curieuses, dont quelques-unes étaient même de son invention ; que ce n'était pas sans choix et au hasard qu'il les proposait, mais qu'il s'appliquait surtout à suivre la méthode et la subtilité de Socrate : ce qui lui attirait l'admiration de tout le monde ; tant il faisait paraître de finesse dans ses demandes. [2c] Il ajoute que Larensius avait été nommé par l'excellent prince Marc-Aurèle, pour diriger tout ce qui regardait la religion et les sacrifices; qu'il ne connaissait pas moins les cérémonies des Grecs que celles des Romains ; et qu'il parlait si bien les deux langues qu'on lui avait donné le nom d’Astéropée.[21]

Il était d'ailleurs très instruit de tout ce qui concernait les rites religieux, établis à Rome par Romulus, dont cette ville prit le nom, et par Numa Pompilius. Outre la connaissance qu'il avait des lois civiles, il avait acquis ces lumières en examinant avec soin les décrets [2d] et les édits anciens, et en réunissant en un corps les lois qu'on enseigne encore à présent :[3a]  lois que l'insouciance des bonnes choses avait fait oublier, comme le poète comique Eupolis le dit des poésies de Pindare.

Larensius avait un si grand nombre d'anciens livres grecs, qu'on ne peut mettre en parallèle avec lui aucun de ceux qui ont pris tant de peine pour former les plus fameuses bibliothèques de l'antiquité, tels que Polycrate de Samos, Pisistrate, tyran d'Athènes, Euclyde l'Athénien, Nicocrate de Chypre, les rois de Pergame, le poète Euripide, le philosophe Aristote, Théophraste,[22] Nélée, [3b] qui devint possesseur des bibliothèques de ces deux derniers, et dont les descendants les vendirent à Ptolémée Philadelphe, roi de ma patrie, dit Athénée. Ce prince les fît transporter dans sa belle bibliothèque d'Alexandrie, avec les livres qu'il acheta à Rhodes et à Athènes. Ainsi nous pouvons appliquer à Larensius ces deux vers d'Antiphane :

« Il est sans cesse avec les Muses et les livres ; car c'est-là qu'on doit chercher le vrai but de la sagesse. »

Ou l’on dirait de lui avec Pindare :

« Il goûtait autant de plaisir dans le parterre des Muses, que nous à nous divertir souvent à une bonne table avec nos amis. »

[3c] La maison de Larensius et sa table, dit Athénée, faisaient regarder Rome comme la patrie commune du genre humain. En effet, que peut-on désirer de chez soi, quand on est chez un homme dont la maison est toujours ouverte à ses amis, et à qui l'on peut appliquer ce passage du poète comique Apollodore :

« Quand vous allez chez un ami, ô Nicophon! la bienveillance de l'ami se manifeste dès la porte ; le portier vous reçoit avec un air de gaieté ; le chien remue la queue pour vous flatter ; un domestique vient au-devant de vous, [3d] vous présente un siège : et tout cela se fait sans que le maître dise un mot? »

5. Chap. III. Voilà comme devraient se comporter tous ceux qui ont du bien;[23] autrement on est en droit de leur dire avec un poète :

« Pourquoi cette épargne sordide? tandis que vos celliers regorgent de vin, invitez des gens (vieillards) expérimentés à votre table: c'est ainsi qu'il faut se comporter. »

C’est aussi de cette manière qu'Alexandre faisait connaître sa grande âme ; et que Conon, après avoir gagné une bataille navale contre les Lacédémoniens, près de Cnide, et bâti le Pirée, offrit une hécatombe réelle de cent bœufs, et traita toute la ville d'Athènes. [3e] Alcibiade remporte à Olympie la première, la seconde et la troisième palme des chars (comme nous l’apprend Euripide, qui a célébré ces victoires) ; il fait de même un sacrifice à Jupiter Olympien, et donne un repas à toute l'assemblée d'Olympie. Léophron, dont Simonide a chanté la victoire, ne se comporta pas autrement. Mais Empédocle, qui était pythagoricien, et ainsi ne mangeait de rien qui eût eu vie, fit avec de la myrrhe,[24] de l'encens et d'autres aromates précieux, un bœuf qu'il distribua à toute l'assemblée des jeux olympiques. [3f] Ion de Chio ayant remporté à Athènes le prix de la tragédie , donna à chaque Athénien un flacon de vin de Chio.

Antiphane a dit :

« Par les dieux! pourquoi désirer être riche et dans l'abondance. »

[4a] Mais Tellias d'Agrigente,[25] qui exerçait avec tant de plaisir l'hospitalité, et se tenait, pour ainsi dire, à la porte pour recevoir le premier qui se présentait, ne reçut-il pas un jour cinq cents cavaliers de Gela, qui vinrent chez lui au milieu de l'hiver, donnant même à chacun une tunique et un manteau ?....

6. Chap. IV. Le sophiste[26] qui courait les festins avec avidité, dit alors : Cléarque raconte que Charmus de Syracuse faisait, à chaque espèce de mets qu'on présentait dans les plats, des applications ingénieuses, soit de proverbes, soit de vers anciens. Par exemple, si l'on servait un poisson, il rappelait ce vers d'Euripide :

« Je viens ici après avoir quitté les gouffres salés de la mer Egée. »

Si l'on servait des coquillages, appelés buccins, il leur adressait ce vers d'Homère :

« Je vous salue, hérauts, messagers de Jupiter. »

Servait-on des intestins ? il appliquait ce vers d'Euripide :

[4b] « Tripes entortillées, et rien de bon ! »

Si c'était un petit calmar bien arrosé d'huile et de vinaigre, il lui disait :

« Que tu montres d'intelligence ! «

Quant à la sauce piquante qui accompagnait la blanchaille, il disait d'un ton grondeur :

« Tu ne m'ôteras pas ce fretin?[27] «

A une anguille écorchée, il adressait ces mots (pris d'Euripide) :

« Elle n'a plus la boucle ronde[28] qui la couvrait... »

Athénée dit qu'il y avait à la table de Larensius plusieurs convives qui apportaient pour leur écot de semblables passages, mis en réserve dans leurs portefeuilles : qu'au reste ce Charmus [4c] était regardé chez les Messinois comme un homme instruit, parce qu'à chaque chose que l’on servait, il avait un passage tout prêt à y appliquer. Calliphane, fils de Parabrycon en faisait autant : il mettait dans son portefeuille les trois ou quatre premiers vers de plusieurs poèmes, et les récitait, pour faire accroire qu'il en savait beaucoup.

La plupart des convives vantaient extrêmement les murènes et les anguilles du détroit de Sicile, les ventres des thons du cap Pachino, les chevreaux de l'île de Mélos, les muges de Scyathe; et entre les mets moins renommés, les huîtres du cap Pélore, les mendoles de Lipara, les raves de Mantinée, [4d] les navets de Thèbes, et la bette ou poirée d'Ascra....

Cléanthe de Tarente, dit Cléarque, parlait toujours en vers lorsqu'il était à table, de même que Pamphile de Sicile : comme,

« Verse-moi à boire : qu'on me donne une cuisse de perdrix, l'urinal,[29] une galette....»

Aristophane dit:

« Ceux-là sont assurés d'un bien-être constant qui, au lieu de gagner leur vie en mercenaires, ne portent que des sacs de procès. »

7. Archestrate de Syracuse ou de Gela, fameux gourmand, a fait un poème épique sur la bonne chère. Chrysippe l'appelle la Gastronomie; [4e] Lyncée et Callimaque, l’Hédypathie; Cléarque, la Deipnologie ; d'autres, l’Opsopée. En voici le commencement :

« C'est pour toute la Grèce que j'écris ces préceptes, afin qu'on mange ensemble à une même table délicate, et qu'on ne soit pas plus de trois ou quatre, ou tout au plus cinq ; autrement c'est une tente de soldats maraudeurs. »

 

Chap. V. Il ignorait sans doute qu'il y avait vingt-huit convives au festin de Platon.... Antiphane a dit :

« Il y a des gens qui ont des yeux de lynx, pour découvrir où il y a quelque repas, et ils y volent fort à propos, sans être invités. »

[4f] Le même ajoute :

« Il serait bon que [5a] l'état nourrît ces gens-là, ou que l'on fît partout, pour eux, ce qui se pratique à Olympie pour les mouches, c'est-à-dire, que l'on tuât exprès un bœuf, sans les inviter.... »

8. Il y a des choses qui viennent en été, d'autres en hiver, dit le poète de Syracuse.

On ne peut donc avoir de tout en même temps, mais on peut au moins en parler....

Nombre d'auteurs ont écrit sur la bonne chère : tels sont Timachidas de Rhodes, qui l’a fait en vers et en onze livres, ou même davantage; Numenius d'Héraclée, élève du médecin Dieuchus; [5b] Metreas de Pitane, poète parodique ; Egémon de Thase, surnommé la lentille, et que quelques écrivains mettent au nombre des poètes de l'ancienne comédie; Philoxène[30] de Leucade, comme on le voit par ce passage de Platon le comique :

« A. Voilà un livre que je veux lire en mon particulier, et dans ma solitude. B. Quel est donc ce livre, je te prie ? A. C'est la nouvelle cuisine de Philoxène. [5c] B. Montre-moi vite ce livre. » A. Ecoute donc. Philox. Je commencerai par la truffe, et je finirai par le thon. B. Par le thon ! quoi, garder pour la fin le meilleur, tandis qu'il en doit être le plus éloigné ! Philox. Mange beaucoup de truffes cuites sous la cendre, et bien imprégnées de sauce ; rien de meilleur pour les ébats amoureux. Mais en voilà assez là-dessus ; je passe aux enfants de la mer... »

Peu après il dit :

« La marmite n'est pas mauvaise ; mais je crois que la poêle à frire vaut mieux... »

Quelques vers plus loin il dit :

« Il y a des poissons que vous ne devez pas servir par parties, comme l'orphe, l’aïoli ou spare[31] variée, le dentale et le requin ; autrement Némésis vous fera sentir le souffle de la vengeance divine. [5d] Servez-les donc rôtis et entiers, cela vaut beaucoup mieux. S'il vous arrive de prendre un polype dans le temps le plus favorable, et qu'il soit gros, il sera beaucoup meilleur bouilli que rôti ; cependant j'en aimerais mieux deux rôtis qu'un bouilli. Le barbeau n'est pas favorable à l'amour; il détend son arc : aussi est-il consacré à la chaste Diane. Quant au scorpion de mer appliqué en pessaire,[32] il calme aussi les sens... »

9. C’est du nom de ce Philoxène que certains gâteaux ont été nommés Philoxéniens. [5e] Chrysippe parlait de cet homme lorsqu'il disait:

« J'ai connu certain gourmand, si impudent, et qui avait si peu d'égards pour les autres convives, qu'étant au bain, il s'habituait ouvertement à tenir les mains dans l'eau très chaude, et même à s'en gargariser la bouche, afin de ne sentir que très peu l'impression [5f] des mets les plus chauds. »

On dit même qu'il gagnait secrètement les cuisiniers, et les engageait à servir tous leurs mets, le plus chaud qu'il fût possible, afin qu'il mangeât ce qu'il voudrait avant qu'aucun autre pût y toucher. On en a dit autant de Philoxène de Cythère, d'Archytas et de beaucoup d'autres. Un semblable glouton parle ainsi dans le comique Crobyle:

« J'ai au suprême degré les doigts à l'épreuve du feu, comme les Dactyles[33] du mont Ida : quel plaisir pour moi que de me fomenter le gosier avec des tronçons brûlants de poissons ! Je suis un four, et non un homme....»

Cléarque dit que ce Philoxène allait[34] toujours au bain avant les autres; qu'ensuite il rôdait autour des maisons [6a] suivi de quelques esclaves qui portaient de l'huile, du vinaigre, du vin et autres assaisonnements : entrant alors chez l'un ou chez l'autre, il assaisonnait ce qu'on y avait fait bouillir, mettant tout ce qu'il fallait, et s'en régalait en glouton. S'étant un jour embarqué pour Ephèse, il ne fut pas plutôt arrivé qu'il se rendit à la poissonnerie : n'y ayant rien trouvé, il en demanda la raison. Tout, lui dit-on, a été enlevé pour une noce. Sur le champ il se baigne, va trouver le nouveau marié sans être prié ; et après le souper, il chanta l'Épithalame qui commence ainsi :

« Hymen ! le plus brillant des dieux, etc. »

Tout le monde fut enchanté, [6b] car il était poète dithyrambique. L'époux lui dit : Philoxène, viendrez-vous demain ? Oui, si l'on ne vend pas de poisson....

10. Il ne faut pas, dit Théophile, imiter Philoxène, fils d'Erynis, qui, mécontent de la nature, souhaitait avoir un cou de grue, pour goûter plus longtemps le plaisir d'avaler : il aurait mieux fait de souhaiter d'être bœuf, chameau, cheval, éléphant. Les jouissances augmentant à proportion des forces, ces animaux doivent en avoir de beaucoup plus grandes[35] et beaucoup plus vives....

Voici un souhait de Melanthius : c'est Cléarque qui le rapporte en ces termes :

[6c] « Melanthius parut beaucoup plus sage que Tithon dans ses désirs; car Tithon ayant demandé d'être immortel, se trouve actuellement suspendu en l'air dans un nid,[36] où sa vieillesse le prive de tous les plaisirs de la vie ; au Heu que Melanthius, qui aimait à jouir, ne souhaita que le gosier d'un oiseau à long cou, afin de savourer les aliments le plus qu'il était possible. »

 

Chap. VI. Ce même auteur rapporte que certain Pithylle, surnommé le friand, non content de la membrane qui tapisse la langue, mettait par-dessus un enduit muqueux pour y faire adhérer davantage la saveur de ce qu'il mangeait, et qu'ensuite il ôtait cet enduit en se ratissant la langue avec un poisson. [6d] De tous les gourmands, ce triple goinfre est le seul qui se soit servi de doigtiers pour porter les morceaux plus chauds à sa bouche....

Il y a des auteurs qui ont écrit que le mets favori de Philoxène était le poisson. Aristote a simplement dit qu'il aimait la table. Le même dit ailleurs que ces orateurs[37] d'Athènes, qui gouvernaient le peuple, passaient quelquefois toute la journée à voir des baladins, ou des Prestigiateurs, ou à parler à ceux qui revenaient des pays qu'arrose le Phase, ou le Borysthène; et qu'ils n'avaient jamais rien lu, si ce n'est peut-être le souper de Philoxène, encore pas tout entier....

11. [6e] Phanias raconte que Philoxène de Cythère, poète fort friand de bons morceaux, soupant un jour chez Denys, tyran de Sicile, et ayant vu servir un gros barbeau devant le prince, mais un fort petit devant lui, prit ce petit dans sa main et l'approcha de son oreille. Denys lui demanda pourquoi il faisait cela ; c'est, dit-il, qu'occupé de ma Galathée, je le questionne sur ce que je voudrais savoir à l'égard de Nérée; mais il ne répond pas à mes demandes.[38] [6f] On l’a sans doute pris trop jeune; ainsi il ne m'entend pas. Je suis persuadé que ce vieux, qu'on a servi devant vous, sait parfaitement ce que je voudrais connaître. Denys rit de la plaisanterie, et lui fit porter ce gros barbeau.

Ce prince s'enivrait volontiers avec Philoxène; mais celui-ci ayant été surpris en commerce illicite avec certaine Galathée, maîtresse du tyran, Denys l'envoya aux carrières. [7a] C’est-là que notre poète a fait son Cyclope, adaptant sa pièce à ce qui venait de lui arriver. Le Cyclope était Denys, Galathée la joueuse de flûte, dont le tyran était amoureux ; et Philoxène avait pris pour lui le personnage d'Ulysse.....

12. Il y avait à Rome, sous l’empereur Tibère, un homme voluptueux et très riche, nommé Apicius. C'est de son nom que plusieurs sortes de gâteaux ont été appelés apiciens. Son ventre lui coûtait par an des sommes immenses. Il demeurait ordinairement à Minturne, ville de Campanie, où il mangeait des squilles qu'il payait fort cher. [7b] On en pèche là de si grosses, que ni celles de Smyrne, ni les écrevisses d'Alexandrie n'en approchent pas. On lui dit un jour qu'on pêchait des squilles monstrueuses en Afrique : il s'embarque sans tarder d'un seul jour. Après avoir essuyé une furieuse tempête, il arrive à la côte, où le bruit de son voyage l'avait déjà devancé. Avant qu'il ait mis pied à terre, les pécheurs viennent à son bord, lui apportent ce qu'ils ont de plus beau. — N'en avez-vous pas de plus grosses, leur dit-il ? — Non : il ne s'en pêche pas de plus belles que ce que nous apportons. Se rappelant aussitôt les squilles de Minturne, [7c] il ordonne à son pilote de retourner en Italie, sans approcher davantage de la côte où ils étaient....

 

Chap. VII. Aristoxène de Cyrène, qui suivit réellement les maximes de la secte de sa patrie, était un philosophe extrêmement voluptueux. C'est de lui qu'est venu le nom d'Aristoxéniens pour désigner certains jambons qu'on assaisonne d'une manière particulière. Le soir il allait arroser de vin. et de miel les laitues de son jardin; et les cueillant le lendemain de grand matin, il disait que c'était des gâteaux verts que la terre lui envoyait....

13. [7d] Trajan étant dans le pays des Parthes, et à plusieurs journées de la mer, un autre Apicius trouva le moyen de conserver des huîtres fraîches, et de les lui porter jusque-là. Mais ce ne fut point par le stratagème avec lequel on satisfit Nicomède, roi de Bithynie. Ce prince était alors très éloigné de la mer, et avait grande envie de manger d'un petit poisson qu'on appelle aphye. Son cuisinier ne pouvant en avoir, contrefit si bien ce poisson, que Nicomède y fut trompé. Voici comment Euphron fait parler un cuisinier à ce sujet dans une de ses pièces.

« Je suis élève du fameux Sotéride, cuisinier du roi Nicomède. Ce prince étant à douze journées de la mer, [7e] désira de manger de l'aphye : Sotéride, au milieu de l'hiver, lui en servit, pour la première fois,[39] une si délicate, que tout le monde en publia la bonté. Mais comment cela fut-il possible ? Sotéride prit une longue rave, la coupa en très petits morceaux, imitant de son mieux la forme de l'aphye : la faisant alors frire dans l'huile, il y mit le sel convenable, la saupoudra avec la graine de douze pavots noirs, et parvint ainsi à contenter le désir du roi, qui était sur les confins de la Scythie. [7f] Au reste, Nicomède, après avoir mangé sa rave, vanta beaucoup à ses amis l'excellence de l'aphye. Un poète et un cuisinier se ressemblent bien : c'est le génie qui fait l’âme de leur art particulier.....»

14. Archiloque de Paros parlant d'un certain Périclès, dit qu'il allait comme un Myconien, s'introduire dans tous les festins sans y être invité. Comme le terroir de l'île de Mycone est très mauvais, et que les habitants en sont pauvres, on les a toujours accusés d'une avarice sordide. [8a] Voilà pourquoi Cratinus appelle Myconien Ischomachus, qui était extrêmement avare.

« Comment serais-tu libéral, toi qui es fils d'Ischomachus le Myconien? B. Mais je suis honnête homme, et en cette qualité je suis venu manger chez d'honnêtes gens : entre amis, tout est commun. A. Oui, en buvant bien, et t'enivrant de vin pur, mais sans payer l'écot.[40] Tu viens sans être prié; en ami, certainement ! [8b] c'est ton ventre qui porte ton esprit et ta raison à cet excès d'impudence !.... »

Selon Archiloque, Eubule le comique disait d'un semblable personnage :

« Nous avons à souper deux terribles acteurs, Philocrate et Philocrate. Ce n'est qu'un homme qui en vaut bien deux, et deux bons, ou plutôt trois. En effet, on raconte que cet homme étant invité à souper par un ami, qui lui dit de venir quand l'ombre[41] du cadran aurait [8c] vingt pieds, il s'y rendit du matin, avant que le soleil fût au point dont on était convenu, et l'ombre étant plus longue de deux pieds qu'on ne l'avait dit ; encore s'excusât-il d'être venu un peu tard. J'ai eu, dit-il, des affaires qui ne m'ont pas permis de venir à la pointe du jour; car, dans le fait, un homme qui vient tard à un repas où l’on ne paie pas, est un soldat qui manque de se trouver à son poste, dit Amphis...»

Mais Chrysippe donne cet avis :

[8d] « Ne manquez pas un de ces banquets ou l’on ne paie rien : une partie de débauche ne doit pas se négliger; il faut au contraire la chercher avec empressement.....»

On lit dans Antiphane :

« C'est mener une vie de dieux, que de souper aux dépens d'autrui, sans assister au compte.... »

Il dit ailleurs :

« Que je vais vivre heureux ! je ne serai plus sans cesse aux expédients pour avoir de quoi mettre sous la dent.... Voilà ce que j'apporte de chez moi, en venant à ce repas. Je n'ai pas voulu y assister sans payer ma réception : c'est ce que j'ai médité auparavant; [8e] car nous autres poètes nous sacrifions toujours sans fumée...»

 

Chap. VIII. Le terme monophagein ou manger seul, était en usage chez les anciens. On lit dans Antiphane :

« Quoi, tu manges seul, et tu m'outrages ? »

Ameipsias a dit :

« Retire-toi, dit-il, monophage ! perceur de murs! «

15. Homère, persuadé que la première vertu des jeunes gens, celle qui leur convient le plus, et dont ils peuvent tirer le plus d'avantages, est la tempérance, n'oublie rien pour leur en inspirer l'amour, [8f] afin qu'ils s'exercent aux belles actions, qu'ils s'y portent avec ardeur, qu'ils soient bienfaisants, et qu'ils se communiquent réciproquement ce qu'ils ont de bon. C'est donc dans ces vues qu'il ne leur propose que des mets communs, et d'un apprêt très facile, sachant bien que la bonne table est la mère de la volupté, et ne fait qu'allumer les passions : qu'au contraire la frugalité est la source du bon ordre et de la modération dans toutes les circonstances de la vie. [9a] Voilà pourquoi il ne propose à tous les hommes qu'une manière de vivre très simple, qui est la même pour les rois et pour les particuliers, pour la jeunesse et pour la vieillesse : toujours du rôti, toujours du bœuf : fêtes, noces, festins, tout est égal chez lui.

Homère ne met sur la table de ses héros ni thrions, ni candyles, ni ametes,[42] ni aucune sorte de pâtisserie fine, ou melipectes. Il ne leur donne que des viandes propres à tenir le corps et l'esprit en bon état. Lorsqu'Ajax eut combattu seul contre Hector, Agamemnon lui donna, par honneur, un filet de bœuf: au vieux Nestor et à Phénix, il donna des viandes rôties.

Quoiqu'Alcinoüs menât une vie voluptueuse, Homère ne lui donne pas non plus d'autres mets. Le but de ce poète était sans doute d'éloigner les hommes de tout ce qui peut porter au dérèglement. [9b] Ménélas en use de même aux noces de ses enfants : il présente à Télémaque un filet de bœuf,

« Qu'on lui avait servi rôti à lui-même, par honneur.»

Nestor, quoique roi, et ayant beaucoup de sujets, n'immole que des bœufs à Neptune sur le bord de la mer, pour ses enfants qu'il aimait extrêmement, et l'on peut dire qu'il n'y a pas de sacrifices plus agréables aux dieux que ceux qu'on fait pour ses proches et pour ses amis. [9c] Les amants de Pénélope, tout insolents et tout déréglés qu'ils sont, ne mangent dans Homère, ni poisson, ni volaille, ni pâtisserie délicate. Ce poète retranche, autant qu'il peut, tous ces ragoûts recherchés et ces mets qui, comme dit Ménandre, sont de nature à allumer le feu de la concupiscence. On ne voit pas chez lui ces plats de débauchés, que le vulgaire et Chrysippe appellent lastaurocacabes, et dont l'apprêt était si recherché.

16. Priam reproche même à ses enfants d'user de choses défendues par la loi, et les traite

« De brigands qui volaient publiquement des agneaux et des chevreaux. «

Philochore rapporte que les agneaux ayant manqué certain temps en Attique, [9d] les magistrats d'Athènes défendirent d'en manger aucun avant qu'il eût été tondu une fois....

Homère appelle l'Hellespont poissonneux. Il nous peint les Phéaciens comme de grands marins ; nous apprend qu'il y avait plusieurs ports à Ithaque, et plusieurs îles voisines où les poissons et les volatiles étaient en abondance : il compte même la mer pleine de poissons entre les avantages particuliers de ces îles ; et cependant il ne nous dit pas qu'on y ait jamais rien servi de semblable sur les tables. Il ne fait même pas servir de fruits, quoiqu'il y en eût beaucoup, [9e] et qu'il en parle avec un plaisir particulier. Ces fruits, selon lui, y étaient comme perpétuels, puisque les arbres en étaient chargés en toute saison :

« La poire y succède à la poire, etc. »

On ne voit ses convives ni couronnés, ni oints de baumes, ni faire de fumigations aromatiques ; mais, débarrassant les hommes de tout ce superflu, il apprend surtout aux princes à être libres et à se contenter de peu.

A l'égard des dieux, on ne peut même leur supposer une nourriture plus simple que celle qu'il leur donne : c'est du nectar et de l’ambrosie. Les hommes ne leur présentent pour hommage, que les prémices de leurs propres repas : [9f] il n'y a ni encens, ni parfum, ni couronne ; en un mot, rien de somptueux, rien de recherché. Il ne veut même pas que les hommes usent de ces vivres si simples jusqu'à pleine satiété ; mais, à l'exemple des médecins les plus éclairés, il défend de se remplir d'aliments, comme le donne à entendre ce vers :

« Après qu'ils eurent pris ce qui leur était nécessaire du boire et du manger. »

Dès qu'ils avaient contenté la faim, les uns sortaient sur le champ pour aller s'exercer à la lutte, au palet, au javelot, [10a] et faisaient de ces divertissements une préparation à des travaux plus sérieux : les autres entendaient des citharèdes, qui, joignant les accents de la cithare au chant, célébraient les actions des héros.

17.  Il n'est pas étonnant que des hommes élevés de cette manière, eussent toujours le corps et l'esprit libres des effets de l'humeur[43]......

Mais pour montrer combien une vie régulière est salubre, utile, et combien elle fournit de ressources, Homère fait venir Nestor au secours de Machaon, médecin des Grecs, blessé à l'épaule droite : et que lui fait-il donner ? Du vin, substance la plus contraire aux amas d'humeurs ; que dis-je, du vin de Pramne, que nous savons être épais, et capable de bien soutenir les forces : [10b] ce n'est pas pour le désaltérer, mais pour lui servir comme d'aliment ; aussi lui recommande-t-ii d'en continuer l'usage. « Assieds-toi, bois, gratte du fromage de chèvre dans ce vin ; et après avoir bu, mange de l'oignon, afin de t'exciter encore à boire. » Homère dit néanmoins[44] ailleurs que le vin détruit les forces et abat totalement.....

Hécube, dans le même poète, s'imaginant qu'Hector va demeurer toute la journée à Troie, lui conseille de boire après qu'il aura fait des libations» l'exhortant ainsi à se réjouir. Mais Hector remet li partie à un autre temps, et sort pour aller combattre. [10c] Hécube ne continue pas moins de faire l'éloge du vin. Hector, qui revient tout hors d'haleine, rejette son conseil. Elle insiste encore sur ce qu'il boive après les libations d'usage; mais lui, tout souillé de sang, il croit qu'il y aurait de l'impiété à le faire dans l'état où il se trouve alors....

Homère ne connaît pas seulement les avantages du vin, il sait aussi qu’il faut en prendre avec mesure, et dit qu'il fait du mal à ceux qui en boivent à grands coups. Il n'ignorait pas non plus les diverses manières de le mêler avec l'eau. En effet, Achille n'aurait pas dit en certaine circonstance, qu'il fallait le boire plus spiritueux, s'il n'y avait pas eu certaine règle pour le mélange ordinaire de chaque jour. Peut-être ignorait-il que le vin transpire aisément lorsqu'on n'y joint pas une dose d'aliments solides ; mais les médecins en ont été instruits par leur art. [10d] Voilà pourquoi ils donnent à ceux qui éprouvent quelque douleur à l'orifice[45] supérieur de l'estomac, du pain trempé dans du vin, pour soutenir et fortifier ces sujets. Quant à Homère, il donne à Machaon du pain, du vin et du fromage. Dans un autre endroit de ce poète, Ulysse réunit les avantages du boire et du manger:

« Celui qui a pris assez de boire et de manger, etc. »

Mais quand il s'agit de quelque partie de plaisir, où l'on boit plus qu'à l'ordinaire, Homère donne au vin l'épithète de mœlleux :

« Il y avait des tonneaux de vin vieux mœlleux. »

18. Ce sont dans Homère, les femmes et de jeunes filles même, qui lavent les hôtes; [10e] ce qui suppose qu'elles ne touchaient qu'avec décence des gens d'une vie réglée, et qui ne connaissaient ni le feu, ni les écarts des passions : tel était l'usage de l'antiquité. Ce fut ainsi que les filles de Cocale lavèrent Minos,[46] lorsqu'il arriva en Sicile. L'usage le leur permettait. Homère voulant censurer l'ivrognerie, nous représente un cyclope monstrueux, vaincu dans son ivresse par un homme bien petit en comparaison. Ailleurs il rapporte l'histoire du centaure Eurytion. Dans un autre endroit les compagnons d'Ulysse sont changés en lions et en loups par Circé, parce qu'ils s'étaient abandonnés à des plaisirs voluptueux. [10f] Ulysse est préservé, selon lui, parce qu'il a écouté les conseils de Mercure ; mais Elpénor, ivre et voluptueux, se précipite et se tue. Antinoüs, qui dit à Ulysse :

« Ce vin délicieux te blesse la tête. »

n'ayant pas su en user avec mesure, se blesse lui-même, et meurt ayant le verre à la main.

Lorsque les Grecs se rembarquent, Homère nous les représente comme ivres, et par cela même séditieux: ce qui cause aussi leur perte. [11a] Il nous, dit ailleurs qu’Enée, le plus sensé des Troyens pour le conseil, s'étant oublié dans le vin jusqu'à vanter sa bravoure, et à menacer les Grecs, voulut soutenir ces bravades, en osant s'exposer à l'impétuosité d'Achille; mais qu'il s'en fallut peu qu'il ne pérît....

 

Chap. IX. Agamemnon dit quelque part, au sujet de l'ivresse :

« Je me suis attiré ces maux en suivant de malheureuses pensées; ou parce que j’étais ivre, ou parce que les dieux m'avaient troublé la cervelle. »

Mettant ainsi dans la même balance l'ivrognerie, et la fureur que lui avaient inspirée les dieux : car c'est ainsi que Dioscoride, disciple d'Isocrate, avait lu ce passage.

[11b] Entre les reproches qu'Achille fait à Agamemnon, il l'appelle ivrogne, et impudent comme un chien. Telle était la manière de s'exprimer de ce sophiste thessalien, selon le proverbe qui dit : un sophisme thessalien, pour une injure grossière; et c'est sur ce jeu de mots que s'arrête sans doute ici Athénée...

19. Homère nous apprend les différents repas que faisaient ses héros. Le premier était l’acratisme ou déjeuner, qu'il appelle ariste. Il en fait une fois mention dans l'Odyssée :

« Ulysse et le divin Porcher ayant allumé du feu et préparé l’ariste. »

[11c] Et une fois dans l’Iliade :

« Ils se mirent promptement à préparer l’ariste. »

Or, on voit dans ces vers qu'il parle d'un repas qu'on faisait du matin, et que nous appelons acratisme, parce que ce ne sont que quelques morceaux de pain qu'on prend trempés dans de l’acrate ou vin pur; c'est ce que désigne Antiphane :

« Pendant que le cuisinier préparera le dîner ;[47] puis il ajoute : Tu peux faire l’acratisme avec moi. »

Cantharus a dit acratisometha dans le même sens :

« A. Est-ce que nous ne déjeunerons pas ici ? B. Non, car nous devons dîner à l'isthme. »

Aristomène a dit, acratioumai.

[11d] « Je vais prendre un petit déjeuner, et je reviens après avoir mangé deux ou trois bouchées de pain. »

Philémon dit que les anciens faisaient quatre repas, l’acratisme, ou le déjeuner ; l’ariste ou le dîner ; l’hes-périsme ou le goûter ; et le deipne ou le souper. Ils appelaient aussi l'acratisme dianestisme, l'ariste dorpiste ; et le deipne epidorpide.

Voici comme Eschyle rapporte l'ordre des repas.

« J'ai, dit Talamède, assigné le rang aux Taxiarques, aux Stratarques et aux Hecatontarques : [11e] quant à la nourriture, j'ai réglé qu'on ferait trois repas, l’ariste, le deipne et le dorpe. »

 

Chap. X. Homère fait mention d'un quatrième repas en ces termes :

« Mais toi, viens après avoir goûté ; deielieesas. »

Ce repas, qu'on faisait entre le dîner et le souper, s'appelle, selon quelques-uns, deilinon.

On voit, par le passage d'Eschyle, que l’ariste se prenait du matin, le deipne à midi, et le dorpe au soir. Mais on pourrait présumer que les mots ariste ou déjeuner, et deipne, ont été synonymes : car Homère dit, en parlant d'un repas du matin :

« Ils prirent donc le deipne, et s'armèrent après. «

[11f] Or, on sait que ces guerriers prenaient de la nourriture dès que le soleil était levé, et qu'ils marchaient aussitôt au combat.

20. Dans Homère on mange assis. Il y a des gens qui pensent que chaque convive avait sa table particulière. Ils se fondent sur ce que l'on dressa une table bien polie pour Mentes, lorsqu'il arriva chez Télémaque, toutes les tables étant déjà dressées ; mais cela ne prouve pas clairement ce qu'on veut en conclure. En effet, ces termes peuvent signifier que Mentes (ou Minerve) mangea à la table de Télémaque. Au reste, les tables de ces assemblées étaient pleines ou, selon l'expression d'Anacréon, entièrement couvertes de toutes sortes de biens, [12a] comme on le pratique encore chez les Barbares en général. Dès qu'on avait quitté la table les servantes l'ôtaient, emportant aussi les vases et le pain qui restait.

Homère nous présente une singularité dans le repas que Ménélas donne à Télémaque. Il les fait converser ensemble après qu'ils ont soupe ; ensuite ils se lavent, et se remettent à table pour souper : enfin ils pleurent, et rappellent encore le souper : dorpe.

Un passage de l'Iliade semblerait contraire à ce que l'on vient de dire, savoir, qu'après le repas on ôtait les tables,[48]

[12b] « Il venait de finir de boire et de manger, et la table était encore dressée ; »

mais il faut ponctuer autrement, et lire :

« Il mangeait et buvait encore, et la table était dressée ; »

ou bien il faut dire que c'est dans ce passage une censure de ce qui se faisait en ce moment-là chez Achille. En effet, il semble contre la bienséance qu'il soit tout en larmes, et que la table se trouve dressée, comme elle l'est devant une compagnie de convives, pendant toute la durée d'un repas.

On servait le pain dans des corbeilles ; mais on ne servait à souper que du rôti: car, selon Antiphane,

« Quand Homère immole des bœufs, il ne fait point de ragoûts ; il ne fait bouillir ni viande, ni cervelle :[12c]  il rôtit jusqu'aux intestins, tant il tient aux anciens usages. »

21. On faisait des viandes autant de parts qu'il y avait de convives. Voilà sans doute pourquoi les repas ont l’épithète de eïsas, égaux, ou égalité des portions.

Ces repas sont en outre appelés daitai, du mot dateisthai, qui signifie partager. En effet, tout s'y distribuons par portions, même jusqu'au vin.

« Nous sommes enfin rassasiés de mets; de mets, dis je, partagés également. »

On lit dans un autre endroit:

« Sois content, Achille : tu ne seras pas privé d'une portion égale. »

Ces passages ont fait croire à Zénodote que repas égal signifiait ici bon repas, parce que la bonne nourriture était nécessairement[49] [12d] toujours en certaine proportion ; et que le poète, au lieu de dire simplement iseen, égale ou proportionnée, avait allongé ce mot par l'addition d'une syllabe, et avait dit eïseen. (D'ailleurs le rapport de bonté et d'égalité se fait encore sentir, selon lui, par ce qui arrivait chez les premiers hommes : comme ils étaient sujets à manquer du nécessaire, dès qu'il y avait des vivres en quelque endroit, ils y couraient par bandes, les ravissaient avec violence, en privaient ceux qui les avaient, et devenaient même meurtriers, en blessant tous les rapports d'égalité ; c'est ce qui a fait appeler ces actions atasthalies, ou proprement injures faites dans les repas, des mots atee, outrage, et thalia, festin; parce que c'est, dit-il, dans les repas que les hommes ont commencé à s'offenser les uns les autres. Mais Cérès leur ayant procuré une nourriture abondante, [12e] ils se la partagèrent également, et le bon ordre régna aussitôt dans leurs repas. C'est de-là qu'est venue l'idée de partager le pain et les mets par égales portions, et de donner aux convives ces vases nommés aleisa, parce qu'ils étaient de même mesure. Les aliments ont donc ensuite été nommés dais, partage ou portion, du mot daiesthai, partager, distribuer. Le cuisinier a été nommé daitros, parce qu'après avoir fait rôtir les viandes, il les servait par égales portions à chacun.

Homère n'emploie non plus le mot dais, comme aliment, qu'en parlant des hommes, et non des animaux. [12f] Zénodote, ne sentant pas la vraie signification de ce mot, a mis dans son édition d'Homère :

« Il donna leur corps en proie aux chiens, et les fit servir de nourriture (daita) aux oiseaux carnassiers. »

appelant ainsi (daite, partage égal) la nourriture des vautours, et autres semblables oiseaux ; tandis qu'il n'y a que l'homme qui soit susceptible d'admettre l'égalité,[50] en renonçant à une violence volontaire. [13a] Ainsi il est le seul dont la nourriture puisse être appelée dais, parce qu'elle se distribue à chacun avec égalité.

Les convives d'Homère n'emportent jamais chez eux ce qui reste du festin : cela est laissé chez celui qui donne le repas ; et la femme de charge le serre, afin qu'on ait de quoi servir sur le champ au premier hôte qui pourra se présenter.

22. Homère fait manger du poisson et des oiseaux aux personnages de son temps. Les compagnons d'Ulysse étant en Sicile, vont à la chasse des oiseaux, et tâchent de prendre avec leurs hameçons crochus des poissons,-et tout ce qui leur tombe sous la main. Ils n'avaient pas fait ces hameçons en Sicile, mais ils les avaient apportés dans leurs vaisseaux : [13b] ce qui montre qu'ils savaient l'art de la pêche, et qu'ils s'en occupaient. Ce poète compare les compagnons d'Ulysse, ravis par Scylla, à des poissons pris avec une longue ligne, et tirés hors de l'eau. Il nous présente même l'art de la pêche beaucoup mieux que nombre d'auteurs qui ont écrit des poèmes et des traités sur ce sujet : tels sont Cæclus d'Argos, Numenius d’Héraclée, Pancratius d'Arcadie, Posidonius de Corinthe, et Oppien[51] de Cilicie, qui a presque été de notre temps. [13c] Voilà tout ce que je connais de poèmes sur l'art de la pêche. Ceux qui l'ont traité en prose, sont Seleucus de Tarse, et Léonide de Byzance.

 

Chap. XI. Nous ne voyons pas qu'Homère fasse servir dans les repas de semblables aliments, ni de jeunes animaux. Une telle nourriture ne convenait pas à des gens aussi distingués. Depuis, on a mangé des poissons et des huîtres, quoique cet aliment-ci soit peu salubre et peu agréable, [13d] et qu'il faille même aller le chercher dans les gouffres de la mer, si on veut en avoir:

« Vraiment cet homme est bien leste, et plonge habilement. »

Le même poète ajoute que cet homme a rassasié bien des gens,

« En péchant des calmars. »

23. On voit dans Homère que chaque convive[52] a plusieurs choses devant lui. Ainsi ils ont tous leur corbeille, leur table et leur coupe,

« Pour boire quand il leur plaît. »

Les cratères étaient couronnés de la liqueur qu'on buvait. Pour cet effet le bord[53] était surmonté d'un cercle plus évasé, afin qu'on pût les remplir jusqu'au vrai bord, et les couronner ainsi sans répandre : [13e] ils prenaient cette précaution pour éviter un mauvais présage.

« Les serviteurs, dit le poète, commencèrent à verser à boire à tous les convives, dans leurs vases. »

Le mot tous[54] de ce vers ne se rapporte pas aux vases, mais aux convives. C'est aussi de même qu'Antinoüs s'exprime, en parlant à Pontonous :

« Verse du vin pur à tous ceux de la salle. »

Il ajoute :

« Il versa ensuite à boire à tous les convives, dans leurs coupes... »

Il y avait dans les repas des honneurs particuliers pour les personnages de distinction. Diomède a, par honneur, plus de viandes et plus de coupes à boire que les autres. [13f] Ajax a un filet entier de bœuf, morceau réservé aux rois. Télémaque et Pisistrate ont chez Ménélas,

« Un filet de bœuf qu'on lui avait servi par honneur. »

Homère fait aussi donner à Agamemnon et à Idoménée plus de coupes à vider. Les Lydients honorent de même Sarpédon, tant par les morceaux distingués qu'on lui sert, que par la place qu'on lui donne. Il y avait aussi une manière de se saluer réciproquement, par les santés qu'on se portait :

« Les dieux se saluaient les uns les autres avec des coupes d'or. »

[14a] c'est-à-dire, qu'ils les tenaient de la main droite, et se les présentaient réciproquement. Quelqu'un salua ainsi Achille. Le poète se sert ici du mot deidecto, au lieu d'edexioulo ; c'est-à-dire qu'Ulysse porta la santé à Achille en lui présentant la coupe de la main droite. Mais il était permis dans les repas de donner de sa portion ce qu'on voulait. Ce fut ainsi qu'Ulysse coupa un morceau d'un filet de bœuf qu'on lui avait servi, et le donna à Demodocus.

24. Dans les grands repas on avait des citharèdes et des danseurs, comme on le voit par les amants de Pénélope chez Ménélas :

« Un divin musicien chantait, et deux cubistétères, commençant leurs jeux en suivant ses accents, se mirent à pirouetter. »

Le mot molpee, relatif aux cubistétères, est ici pour paidia, jeu.

 

Chap. XII. [14b] Ces musiciens étaient ordinairement des gens circonspects, et même une espèce de philosophes. Agamemnon en laissa un à sa femme Clytemnestre pour la garder, et l'aider de ses avis. Cet homme l'entretenant surtout des vertus des femmes, lui inspirait l'amour du bien. Comme il avait d'ailleurs le talent de la divertir, il la détournait du mal sans même qu'elle s'aperçût de la ruse. C'est ainsi qu'Egiste n'a pu la corrompre, qu'après qu'il eut tué ce gardien dans une île déserte.

Tel était encore ce musicien que les amants de Pénélope forçaient de chanter à leurs repas, malgré les imprécations qu'il faisait contre eux, vu les embûches qu'ils tendaient à cette reine. [14c] C’est ce qui fait dire à Homère qu'en général ces chantres étaient des gens respectables ou circonspects.

« Voilà pourquoi, dit-il, les muses leur ont donné le talent de la musique, et aiment tous les chantres. «

Il est vrai que Démodocus chante chez les Phéaciens les amours de Mars et de Vénus ; mais il est évident que l'intention du poète n'est pas d'approuver cette passion : au contraire, sachant qu'ils étaient élevés dans une vie voluptueuse, il veut les détourner des désirs déréglés, en leur présentant des choses toutes semblables à ce qui se passait chez eux, tandis qu'il paraît ne vouloir que les amuser. [14d] Phémius chante aux amants de Pénélope le retour des Grecs, comme ils le lui ordonnent; mais les sirènes chantent à Ulysse ce qui peut lui faire le plus de plaisir, et flatter davantage son amour pour la gloire, et sa grande expérience.

« Outre les autres choses qui nous sont connues, nous savons tout ce que la terre fertile renferme dans son sein. »

25. Les danses que l'on remarque dans Homère, sont celles de ces cubistétères, et celle qui s'exécutait en jetant une balle. Agallis, grammairienne de Corcyre, en donne l'invention à Nausicaa, voulant en faire honneur à une princesse de son pays. Dicæarque l'attribue aux Sicyoniens, [14e] Hippase aux Lacédémoniens, qui, certes, ont toujours excellé dans cette danse, et dans tous les autres exercices du corps. Nausicaa est la seule des héroïnes qu'Homère fasse jouer à ce jeu de balle. On vit par la suite Démotèle, frère de Théognis, sophiste de l'île de Chio, et certain Chéréphane se rendre fameux à ce même exercice.

C’est ce Chéréphane qui suivait partout un jeune débauché, et qui, sans lui parler, l'empêchait, par sa présence, de faire aucun mal. Le jeune homme, fatigué de sa compagnie, lui dit enfin: Chéréphane, si vous voulez cesser de me suivre, vous obtiendrez tout de moi. Croirais-tu, répond Chéréphane, que je voulusse m'entretenir un instant avec toi ? [14f] — Pourquoi donc me suivez-vous ainsi ? — C’est que j'ai beaucoup de plaisir à te voir, quoique je désapprouve ta conduite.....

Cette balle, qu'on appelait autrefois Phœninde, s'appelle actuellement Harpaste.

26. C'est de tous les jeux celui que je préfère, parce qu'étant pénible, il demande beaucoup d'agilité pour ne pas manquer la balle, et beaucoup d'efforts dans les mouvements de la colonne. [15a] Antiphane nous rapporte ainsi le jeu de la Phæninde.

« Lorsqu'il a pris la balle, il se plaît à l'envoyer à celui-ci, à éviter celui-là ; à la faire manquer à l'un, à la relever pour l'autre,[55] et avec de grands cris. »

Cette balle s'appelait encore Aphélinde, le mot aphesis, qui signifie renvoi. A l'égard du mot Phæninde, Juba, roi de Mauritanie, prétend qu'elle fut ainsi nommée de Phænestius, qui tenait une académie pour la jeunesse, et qui en fut l'inventeur, Antiphane dit:

« Vous alliez chez Phænestius jouer à la Phæninde. »

[15b] Ceux qui jouaient à la balle, s'appliquaient à faire tous leurs mouvements avec grâce, comme on le voit dans ce passage de Damoxène :

« Un jeune homme d'environ dix-sept ans, jouait à la balle; il était de Coos : or, cette île semble ne produire que des dieux. Dès qu'il eut jeté un regard sur ceux qui étaient assis, il commença à jouer; et soit qu'il prît la balle, soit qu'il la jetât à un autre, nous l'accompagnions de cris de joie. Quelque chose qu'il dît ou qu'il fît, sa bonne grâce, sa politesse, son maintien frappaient encore plus, messieurs, que sa beauté. [15c] Pour moi, je n'ai jamais vu tant de charmes réunis, et je n'en ai pas non plus entendu parler. Le trait qui me perça, m'eût encore été bien plus sensible, si j'eusse demeuré là davantage ; et il me semble que je ne suis pas encore bien guéri. »

Ctésibius de Chalcide, quoique philosophe, jouait aussi avec grâce à la balle : plusieurs seigneurs de la cour d'Antigonus se faisaient même un plaisir de s'y exercer avec ce philosophe. Un auteur Lacédémonien nommé Timocrate, a fait un traité sur cette matière.

 

27. Chap. XIII. Les Phéaciens, dans Homère, dansent aussi sans balle:[56] ils dansent même seuls alternativement et en se succédant souvent. C'est ce qu'indique le poète par ces mots : changeant fréquemment. [15d] Les spectateurs applaudissaient pendant ce temps-là, faisant retentir leurs premiers doigts ; ce qu'Homère exprime par le mot leekein, ou faire du bruit, éclater.

Il a aussi connu les danses qui s'exécutaient au chant : car pendant que Démodocus chante, de jeunes garçons dansent ensemble. On voit dans l’oplopée[57] un jeune garçon jouer de la cithare, et d'autres chanter, danser de concert au son de cet instrument. Or, ceci nous indique la danse hyporchematique, qui fut fort en vogue du temps de Xénodème et de Pindare.

Cette danse consiste à représenter, par des gestes appropriés, ce que désignent les paroles que l'on chante. [15e] L'élégant Xénophon nous présente l'exécution de cette danse, en décrivant dans son anabasis le repas que lui donna Seuthès, roi de Thrace. Il dit donc :

« Après les libations et les hymnes sacrés, les Thraces, se levant de table les premiers, se mirent à danser en armes au son des flûtes. Ils sautaient fort haut, et avec beaucoup de légèreté, en s'escrimant avec leurs épées : enfin, l'un d'eux frappa son adversaire, de manière qu'on crut qu'il l'avait blessé. Celui-ci se laissa tomber avec adresse, et toute l'assemblée jeta un cri. Le vainqueur le dépouilla de ses armes, et s'en alla en chantant les louanges de Sitalce. [15f] Les autres Thraces emportèrent le vaincu, comme s'il eût été mort; mais il n'avait aucun mal. »

« Après lui parurent les Œnianes et les Magnésiens, et ils dansèrent en armes la karpœe ou les semailles : voici comment cette danse s'exécute. L'un des acteurs, ayant ses armes auprès de soi, sème et fait avancer deux bœufs accouplés, se retournant souvent comme ayant peur. [16a] Un voleur s'approche, l'autre l'aperçoit, prend les armes, et combat devant le joug, en suivant le son de la flûte. Le voleur, à la fin, le lie et emmène l'attelage : quelquefois c'est le conducteur des bœufs qui lie et emmène le voleur attaché à l'attelage, les mains liées par derrière. »

« Un autre dansa la Persique, frappant deux petits boucliers l'un contre l'autre, tombant à genoux en cadence, pour se relever de même, et cela au son de la flûte : ensuite les Arcadiens se levèrent après s'être armés de toutes pièces ; ils s'avancèrent en cadence au son de la flûte, qui jouait l'air de la danse armée,[58] chantèrent des hymnes, et dansèrent.... »

28. Les héros d'Homère s'amusaient des flûtes simples, ou même des flûtes composées (syrinx). Agamemnon entend avec plaisir le son bruyant de l'une et l'autre de ces flûtes. Cependant Homère ne les introduit pas dans les festins, [16b] quoiqu'il en fasse mention au XVIIIe livre de l'Iliade (l’oplopée), à l'occasion d'une noce ; mais il laisse les flûtes aux Barbares. Voilà pourquoi il fait entendre chez les Troyens le son bruyant des flûtes, tant simples que composées....

 

Chap. XIV. Après le souper on faisait des libations ; mais c'était à Mercure, et non à Jupiter[59] teleios, comme on l'a fait par la suite. On rendait cet honneur à Mercure, parce qu'il semble que ce soit lui qui préside au sommeil. [16c] On lui faisait aussi des libations sur les langues que l'on brûlait en son honneur en sortant de table. Les langues lui sont consacrées à titre d'interprète des dieux.

Homère n'ignorait pas qu'il y eût diverses espèces de mets puisqu'il le dit formellement : pantoiee edoodee. Il dit encore des mets tels qu'en mangent les rois que Jupiter place sur le trône. Il connaissait aussi la magnificence de nos jours. La maison de Ménélas était la plus brillante de son temps. Polybe nous représente de même la maison pompeuse et brillante d'un roi d'Ibérie, qui, selon lui, avait imité la volupté des Phéaciens ; outre qu'on voyait au milieu de son palais des pratères d'or et d'argent pleins d'une espèce de vin[60] fait avec de l'orge. [16d] Homère décrivant la maison de Calypso, nous représente Mercure tout étonné de sa magnificence. Il nous peint en un seul vers les délices et les jouissances des Phéaciens :

« Les plaisirs de la table et la musique ne cessent pas chez nous, etc. »

Ératosthène lit ainsi un passage d'Homère :

« Pour moi, je dis qu'il n'y a pas de moment plus flatteur qu'une joie sage et sans écart, lorsque des convives entendent un chantre dans l'appartement. »

[16e] Il y a dans son texte kakoteetos apousees,[61] toute méchanceté à l’écart. Mais le mot méchanceté s'entend ici de folie, extravagance. En effet, les Phéaciens, très chéris des dieux, comme le dit Nausicrate, devaient nécessairement être des gens fort réservés....

29. Les amants de Pénélope jouaient[62] à la peltie devant la porte, selon le même poète. Ils ne l'avaient certainement pas appris de Diodore Mégalopolitain, ni de Léon de Mitylène, originaire d'Athènes, et qui, selon Phanias, était invincible à ce jeu. [16f] Appion d'Alexandrie, dit que Ctéson d'Ithaque, lui avait appris ce que c'était que la pettie des amants de Pénélope :

« Comme ils étaient cent huit, ils posaient le même nombre de pièces, mais en opposition, cinquante quatre d'un côté, et autant de l'autre, laissant un petit intervalle libre entre les deux lignes. Dans cet intervalle ils plaçaient la pièce qu'ils appelaient Pénélope : c'était là le but qu'ils tâchaient de frapper, après avoir tiré au sort à qui viserait le premier. [17a] Si quelqu'un frappait la pièce Pénélope avec une autre pièce, et la faisait sauter de » sa place, il mettait la sienne à la place où se trouvait d'abord Pénélope : relevant ensuite celle-ci à l'endroit où elle avait été jetée, il lançait une autre pièce, et s'il l'atteignait encore sans toucher aucune des autres, il avait gagné, et concevait le plus grand espoir d'épouser la reine. »

[17b] Eurymachus, qui avait souvent vaincu ses rivaux à ce jeu, se flattait beaucoup de ce mariage. Mais tous ces amants ont, dans le poète, les mains si faibles et si délicates, qu'ils ne peuvent tendre l'arc d'Ulysse. Ceux qui les servent sont aussi esclaves d'un luxe voluptueux....

L'odeur des parfums est singulièrement vaporante dans Homère :[63]

« Ce parfum ayant été remué dans la maison d'airain du maître des dieux, l'odeur s'en répandit par toute la terre et dans les cieux....»

Ce poète connaissait aussi la mollesse des bons lits. Arète[64] en fait couvrir [17c] un très bon pour Ulysse; et Nestor, parlant à Télémaque, se vante d'en avoir un grand nombre de semblables....

30. Il y a des poètes qui ont prêté aux temps de Troie, le luxe et les bassesses de leur âge. C'est donc avec indécence qu'Eschyle représente les. Grecs ivres, et se cassant mutuellement des pots de chambre sur la figure.

« Voici, dit-il, l'homme qui m'a lancé un trait : c'est, vous allez en rire, un puant pot-de-chambre ; et il n'a pas manqué son coup. Le pot s'est brisé en mille pièces autour de ma tête, [17d] et ce fut pour moi une odeur bien différente de vos flacons d'essences !... »

Sophocle dit aussi dans son banquet des Grecs:

« Mais dans sa colère il me jeta un puant pot-de-chambre, et il ne me manqua point. Le vase se brisa autour de ma tête: il puait ! il puait si fort, que j'en frissonnai !

Eupolis fait blâmer ainsi celui qui a introduit le nom de pots-de-chambre :

« A. Je n'aime pas à laconiser ; mais tageniser (ou faire de la friture), je donnerais de l'argent pour le faire. Je pense que nombre de femmes s'en sont actuellement bien donné. Celui qui a le premier conseillé de boire sur nouveaux frais, a certainement donné lieu aux infamies les plus grossières. [17e] B. Soit. « Mais qui a le premier introduit l'usage des pots-de-chambre ? L'invention est belle, sans doute, et digne de Palamède![65]..... »

Les chefs qui, dans Homère, mangent chez Agamemnon, ne font rien d'indécent ; et si Achille et Ulysse se querellent, au grand plaisir de ce roi, leur dispute a quelque chose d'utile pour but, puisqu'il s'agit de savoir si l'on doit prendre Ilion par embûches[66] ou par force.[17f]  Les amants de Pénélope, lors même que le poète nous les représente ivres, ne font rien qui approche de l'indécence qu'Eschyle et Sophocle ont supposée. Ils se contentent de jeter un pied de bœuf à la tête d'Ulysse....

31. Les héros étaient assis à table, et non couchés: ce qui se pratiquait quelquefois chez Alexandre le grand, comme l'a dit Douris. Ce prince donnant un repas à quatre cents officiers de son armée, les fit tous asseoir sur des chaises et des sièges d'argent garnis de coussins de pourpre. [18a] Hégésandre dit qu'il était d'usage en Macédoine de ne jamais être couché à table, à moins qu'on n'eût tué un sanglier hors des filets. Jusque-là on mangeait assis. Cassandre, quoiqu'âgé de trente-cinq ans, ne mangeait qu'assis à la table de son père, parce qu'il n'avait pas encore pu exécuter cette tâche, malgré sa force et son habileté à la chasse....

Homère, attentif aux bienséances, ne met sur la table de ses héros que les viandes mêmes qu'ils ont apprêtées pour eux. Loin de trouver quelque chose de ridicule et de bas à faire cuire et assaisonner leur souper, ils se faisaient un plaisir de se servir eux-mêmes : [18b] ils attachaient certain honneur, dit Chrysippe, à montrer en cela beaucoup d'adresse. Ulysse, si l'on en croit Homère, n'a jamais eu d'égal pour bien découper les viandes, et pour arranger un feu de cuisine. Patrocle et Achille mettent la main à tout dans le neuvième livre de l'Iliade, intitulé les lites (ou supplications). A la noce que fait Ménélas pour son fils Mégapenthès, c'est le jeune marié qui verse à boire. Mais nous sommes si déchus de cette simplicité, que nous nous couchons à table...

Autrefois il n'était pas permis d'avoir des bains dans l'enceinte d'une ville ; mais depuis peu on les y a introduits. [18c] Antiphane avait montré le danger de cet usage :

« Peste soit du bain qui m'a si mal arrangé ! il m'a tout échaudé. On ne saurait plus me toucher qu'on ne m'écorche, tant l'eau chaude est mordante ! »

Hermippe parle de même :

« Par Jupiter ! il ne faut pas qu'un homme de bien s'enivre, ni qu'il prenne de bains chauds : c'est néanmoins ce que vous faites.»

Mais de nos jours on a poussé le raffinement de la cuisine et des parfums à l'excès: un homme se plongerait tout entier dans un bassin de parfums, [18d] qu'il ne serait pas content, dit Alexis. Les confiseurs épuisent tout leur art pour les friandises.

 

Chap. XV. On a même imaginé de se coucher sur des éponges, pour augmenter les plaisirs des jouissances de l'amour. On connaissait déjà, du temps de Théophraste,[67] des substances si efficaces pour ces plaisirs, qu'elles procurent, dit-il, jusqu'à soixante-dix extases, mais causent enfin une hémorragie.

Phylarque rapporte que Sandiocotte, roi des Indes, envoya [18e] à Seleucus des présents, parmi lesquels il y avait des aphrodisiaques d'une telle vertu que, mis sous la plante des pieds dans les délires de l'amour, ils rendaient les uns aussi chauds que des coqs, et calmaient les feux des autres....

A l'égard de la musique, elle est devenue d'une licence extrême; mais le luxe des habits et des chaussures est des plus somptueux....

33. Homère, qui connaissait la nature des parfums, ne nous présente aucun de ses héros parfumé, si l'on excepte Pâris, qu'il nous peint

« Tout brillant de parfum. »

Un autre poète s'est aussi servi de la même expression :

« Il se rend le visage brillant, en le frottant avec le cosmétique de Vénus.»

Homère ne donne pas non plus de couronne à ses héros, [18f] quoiqu'il ait connu ce que c'était qu'une couronne. En effet, il emploie figurément le mot couronner[68] dans ce passage :

« Une île qu'une vaste mer couronnait. »

Il dit dans un autre endroit :

« La couronne de la guerre étendait partout ses ravages....»

Il faut encore remarquer que dans l'Odyssée Ulysse se lave les mains avant de manger, ce que les héros de l'Iliade ne font jamais, au moins ne voit-on pas qu'ils le fassent. C'est sans doute parce que l'Odyssée est la peinture de la vie de gens oisifs, et que la paix a accoutumés à la mollesse. [19a] Dans ce genre de vie on a grand soin de son corps; on se baigne, on se lave, on danse, on joue aux osselets, à la paume : (ceci montre qu'Hérodote a dit mal à propos que ce fut sous Atys[69] qu'on inventa les jeux pendant un temps de famine, afin qu'en jouant on oubliât qu'on avait faim : or, ces temps héroïques sont bien plus anciens qu'Atys.) Mais pendant la guerre de Troie, tous les peuples ne font presque que crier:

« Ecoute-nous, Alala, fille de la guerre, toi qui préludes aux jets des lances....»

34. Les Athéniens ont accordé le droit de bourgeoisie à Aristonicus de Caryste, joueur de balle d'Alexandre le grand, en considération de son habileté à ce jeu, et lui ont érigé une statue : [19b] car les Grecs ont fait par la suite beaucoup plus de cas des arts mécaniques, que des inventions dues au génie et à la culture de l'esprit

 

Chap. XVI. C'est aussi pour la même raison que les Istiéens ou Orites dressèrent sur leur théâtre, en l'honneur d'un joueur de gobelets, nommé Théodore, une statue d'airain qui tenait une petite boule. Les Milésiens firent le même honneur à Archélaüs, cithariste. Pindare n'eut pas de statue à Thèbes, tandis que le musicien Cléon en eut une avec cette inscription :

« Tel fut Cléon, chantre de Thèbes, fils de Pythéas. De tous les mortels, c'est lui qui se ceignit la tête de plus de couronnes. [19c] Sa gloire s'étendit jusqu'au ciel. Nous te saluons, Cléon, toi qui illustras Thèbes, ta patrie.... »

Polémon raconte que lorsqu'Alexandre rasa la ville de Thèbes, un des habitants cacha son or dans la cavité du manteau de cette statue, et se déroba en fuyant. La ville ayant été rebâtie et repeuplée, il y revint et retrouva son or trente (vingt) ans après. Un Logomime nommé Hérodote,[70] et un danseur nommé Archélaüs, furent au nombre des amis les plus honorés du roi Antiochus, dit Hégésandre. [19d] Antiochus, père de ce prince, avait confié la garde de sa personne aux fils d'un joueur de flûte, nommé Sostrate.

35. Matreas, le[71] plane (d'Alexandrie), fit l'admiration des Grecs et des Romains. Il disait: « Je nourris une bête qui se mange elle-même ; » et l'on demande encore aujourd'hui ce que c'était que la bête de Matreas.

Il composa des équivoques dans la forme des problèmes d'Aristote, et les lut publiquement. En voici quelques-unes : « Pourquoi le soleil se couche-t-il dans la mer sans s'y plonger ? Pourquoi les éponges[72] s'abreuvent-elles totalement sans s'enivrer ensemble? « Pourquoi les pièces de monnaie[73] sont-elles hors d'elles-mêmes sans être fâchées ? »

 

[19e] Chap. XVII. Les Athéniens accordèrent à un joueur de marionnettes, nommé Pothin, la scène qu'Euripide avait animée de tout son enthousiasme. Ils érigèrent même une statue à Euryclide, à côté de celle d'Eschyle, sur leur théâtre. Le prestigiateur Xénophon s'attira une admiration générale. Cet homme, qui eut pour élève Cratistène de Phlionte, savait préparer la matière d'un feu[74] qui s'allumait de lui-même, et faisait nombre d'autres choses étonnantes qui déconcertaient les spectateurs. [19f] Tel fut encore un autre prestigiateur nommé Nymphiodore, qui, selon Douris, berna les Rhégiens par quelque tour de sa façon, et osa, le premier, les railler sur leur pusillanimité.

Aristoxène nous apprend qu'un bouffon nommé Eudicus, se rendit fameux par son adresse à contrefaire les lutteurs et les pugiles. Straton de Tarente fut aussi admiré dans ses imitations des Dithyrambes. Œnonas, qui était Italien, [20a] n'eut pas moins de renom pour ses parodies des Citharèdes. C'est lui, dit le même auteur, qui a représenté Polyphème chantant d'un ton langoureux, et Ulysse parlant le langage du bas peuple, lorsqu'il paraît après son naufrage.

Diophite de Locres vint un jour à Thèbes, dit Phanodème, ayant en forme de ceinture des vessies pleines de vin et de lait, qu'il faisait jaillir en les pressant, et disait qu'il tirait ces fluides de sa bouche. Trois de ces escamoteurs furent en grande considération auprès d'Alexandre, savoir, Skymnus de Tarente, Philistide de Syracuse, et Héraclite de Mitilène. Il y eut aussi des planes célèbres, tels que Céphisodore et Pantaléon. [20b] Xénophon parle dans quelque passage d'un farceur nommé Philippide.[75]...

36. Athénée dit que Rome[76] présente un peuple réuni de toutes les parties du globe. On pourrait même, selon lui, appeler cette ville l'abrégé de l'univers, et sans risquer de se tromper. En effet, on y voit toutes les villes du monde y former des établissements, et un grand nombre s'y retrouvent d'une manière plus particulière : comme la riche Alexandrie, la belle Antioche, la brillante Nicomédie; mais surtout la plus éclatante des villes que Jupiter montre du haut des cieux, [20c] je veux dire Athènes. Un jour ne suffirait pas, que dis-je un jour ! tous les jours de l’année pris en somme? ne seraient pas un temps assez long pour compter les villes qui se trouvent dans cette céleste Rome, tant le nombre en est grand. On y voit des peuples entiers établis, de la Cappadoce, du Pont, de la Scythie, et beaucoup d'autres, qui tous réunis font ainsi un peuple composé de toutes les nations de la terre....

[20d] On a nommé, dit Athénée, Memphis un danseur philosophe de nos jours, sans doute pour caractériser sa danse grave et composée, en comparant les mouvements de son corps à cette capitale royale, très ancienne, dont Bacchylide a dit :

« Memphis exempte de tempête, et le Nil plein de joncs. »

Il nous montre ce que c'est que la philosophie de Pythagore, en nous exposant tout, sans parler, beaucoup plus clairement que ces gens qui font profession d'enseigner l'art de la parole.

37. Selon lui, c'est Bathylle d'Alexandrie qui a été l'inventeur de la danse appelée Tragique. Seleucus assure que ce Bathylle dansait avec beaucoup de mesure ; mais Aristonicus, qui a écrit sur la danse, nous apprend que Bathylle et Pylade ont composé [20e] la danse italique de la comique, qu'on appelait Cordax, de la tragique ou emmêlée, et de la satyrique ou sicinnis. Il y a des auteurs qui le font Crétois. Quoi qu'il en sait, c'est de la danse sicinnis qu'on a donné aux satyres le nom de Sicinnistes, La danse de Pylade était majestueuse, pathétique et convenable à la tristesse. Celle de Bathylle avait pour caractère la gaieté, et était hyporchématique à certain point...

Sophocle, qui était d'une fort belle figure, joignit à cet avantage [20f] celui de la musique et de la danse, qu'il apprit de Lamprus dans sa tendre jeunesse. Après la victoire de Salamine, il dansa avec une lyre auprès du trophée élevé par les vainqueurs. Les uns disent qu'il était tout nu, et oint d'huile; les autres, qu'il dansa habillé. Lorsqu'il donna sa tragédie de Thamyris, il y joua de la cithare; et lorsqu'on représenta sa Nausicaa, il y montra la plus grande adresse à jouer de la balle....

Le sage Socrate aimait la danse appelée Memphis. Ses amis l'ayant souvent surpris dans le temps qu'il dansait, il leur dit que la danse [21a] était l'exercice de tous les membres : aussi le mot orcheisthai, que l'on rend par danser, signifiait simplement, à son origine, s’agiter, se mouvoir avec précipitation, selon même ce vers d'Anacréon :

« Les filles de Jupiter, parées de leurs beaux cheveux, s'agitèrent (oorcheesanto) avec beaucoup de légèreté. »

Et selon le passage d'Ion :

« Il s'agita (oorchese) beaucoup l'esprit pour des choses inattendues.....»

Hermippus dit que Théophraste se frottait d'huile, et s'exerçait lorsqu'il était près d'aller à son école ; que, lorsqu'il s'était assis et avait commencé à parler, il adaptait à ses discours tous ses mouvements, tous ses gestes, [21b] au point même que, voulant contrefaire un gourmand, il tira la langue, et s'en lécha tout le tour de la bouche...

 

Chap. XVIII. On avait alors le plus grand soin de s'habiller avec décence; et ceux qui se négligeaient sur ce point avaient bien des railleries à essuyer. Platon, dans son Théétète, fait peu de cas d'un homme qui, fort adroit à toutes les fonctions domestiques, ne sait ni s'habiller comme doit le faire un homme libre, ni choisir les termes propres pour chanter la félicité des dieux et des hommes. Sapho se moque aussi pour cette raison d'Andromède :

[21c] « Cette personne qui vous charme est grossière et mal élevée : elle ne sait pas faire tomber une robe sur les talons. »

Amphis, ou Philétère, a dit quelque part :

« Couvrez-vous la poitrine de votre robe : ne la ferez-vous pas descendre plus bas, grossier que vous êtes? voulez-vous porter comme un rustre, un habillement qui ne vous va pas aux genoux? »

Hermippus dit que Théocrite de Chio traitait Anaximène d'homme grossier et sans éducation, parce qu'il s'habillait mal. Callistrate, disciple d'Aristophane, a fait un livre, dans lequel il traite assez mal Aristarque, sur ce qu'il ne s'habillait pas avec goût ; supposant, avec raison, que la manière de se mettre fait preuve de l'éducation qu'on a reçue, selon ces vers d'Alexis :

[21d] « Je regarde comme le fait d'une âme basse de marcher dans les rues sans s'observer soigneusement, lorsqu'il est possible d'avoir une démarche décente. Il n'y a pas d'impôt à payer pour cela, ni rien à donner en échange. Cette démarche décente fait honneur a ceux qui l'ont, et plaît en même temps à ceux qui la remarquent. C'est un beau vernis sur toute la vie. Peut-on avoir du bon sens, et négliger un pareil avantage? »

39. Eschyle a été l'inventeur de ces robes si séantes et si majestueuses, [21e] qui ont été adoptées par les prêtres, et par ceux qui portent des flambeaux aux sacrifices. Il le fut aussi de la plupart des attitudes et des figures qui ont été depuis en usage dans les chœurs. Ce fut lui, dit Chaméléon, qui y forma ses chœurs, sans s'être jamais servi de maîtres de danses. Lui-même il leur traçait tout l'ensemble des figures : en un mot, il prit sur lui toute l'économie de ses pièces, et il en faisait parfaitement tous les rôles. [21f] Comme le témoignage d'un poète comique en faveur d'un tragique ne saurait être suspect, voici ce qu'Aristophane fait dire à Eschyle:

« C'est moi qui ai fait toutes les figures de mes chœurs. »

Il dit ailleurs :

« Vous souvient-il d'avoir vu ces Phrygiens qui vinrent chez Achille avec Priam pour racheter le corps d'Hector ? Combien de figures diverses ils ont faites?... »

 

[22a] Chap. XIX. Télésis ou Téleste, maître de danses, inventa des gestes si expressifs et si variés, que ses mains semblaient personnifier ses expressions. Ce danseur d'Eschyle, dit Aristoclès, possédait cet art, au point que, lorsqu'il représenta, en dansant, les Sept devant Thèbes, on crut voir leurs actions mêmes....

On dit qu'on appelait orchestriques les anciens poètes, comme Thespias, Phryniques, Pratinas, Cratinus; et cela, non seulement parce qu'ils adaptaient les sujets de leurs pièces aux danses des chœurs, mais encore parce que hors du théâtre ils enseignaient aussi ces sortes de danses à ceux qui voulaient les apprendre....

Chaméléon dit qu'Eschyle avait toujours une pointe de vin quand il travaillait à ses pièces, et que Sophocle lui reprochait, [22b] pour cette raison, de faire bien sans le savoir....

Il y avait des danses particulières à certains peuples, comme les Lacédémoniennes, les Trézéniennes, les Epizéphyriennes, les Crétoises, les Ioniennes, les Mantinéennes. Aristoxène préférait les dernières à toutes les autres, parce qu'on y faisait agir les mains avec prestesse. On regardait alors la danse comme quelque chose de si noble et de si sage, que Pindare appelle Apollon Danseur:

« Apollon danseur, roi des chœurs, toi qui portes un large carquois! «

Homère, ou un imitateur d'Homère, a dit dans un hymne à l'honneur de ce dieu :

« Apollon, prends ta lyre, et joue-nous un air agréable, [22c] en marchant avec grâce sur la pointe du pied. »

On a fait danser jusqu'à Jupiter, comme Eumèle ou Aretinus de Corinthe nous le représente dans ce vers :

« Au milieu d'eux dansait le Père des dieux et des hommes. »

Théophraste assure qu'Andron de Catane, joueur de flûte, est le premier qui ait joint les mouvements mesurés du corps au son de cet instrument; et que c'est de là qu'est venu le mot siciliser pour danser, chez les anciens. Cléophane de Thèbes fit ensuite la même chose....

Les plus célèbres danseurs ont été Balbus, dont parlent Cratinus et Callias; Zénon de Crète, [22d] fort aimé d'Artaxerxès, selon Ctésias; Théodore et Chrysippe, dont il est fait mention dans une lettre d'Alexandre à Philoxène.......

41. Timon de Phlionte, le sillographe, a dit que le musée[77] était une cage : se moquant ainsi des philosophes qu'on y nourrissait, comme on nourrit certains oiseaux de prix dans une ménagerie.

« Dans l'Egypte, où il y a nombre de peuples, on nourrit aussi nombre de griffonneurs qui se battent sans cesse dans la cage des muses; et Dieu sait quand ils seront guéris de ce flux de bouche. »

[22e] Mais vous qui dissertez à table, il me semble que la même démangeaison de parler vous a fait oublier l'oracle de la Pythie, rapporté par Chaméléon.

« Vingt jours avant la canicule et vingt jours après, prends Bacchus[78] pour médecin, en te tenant à l'ombre dans ta maison... »

Mnésithée d'Athènes dit que la Pythie ordonna aux Athéniens d'honorer Bacchus médecin. Alcée de Mitylène, poète lyrique, dit :

« Arrose ton poumon[79] de vin, car la canicule fait sa révolution. [22f] C'est un temps pénible, et tout a soif pendant cette chaleur. »

Il dit encore ailleurs :

« Buvons pendant que cet astre parcourt sa période. «

Eupolis dit que Protagoras obligeait Callias de boire avant la canicule, afin qu'il eût le jeu des poumons bien libre;[80] mais nous, nous avons non seulement le poumon desséché, notre cœur l'est presque aussi : or, Antiphane a écrit :

« Dis-moi ce que c'est que vivre ? C'est boire, sans doute. [23a] Tu vois la grandeur et la beauté de ces arbres plantés sur les bords des eaux, où ils sont arrosés jours et nuits, tandis que ceux qui sont dans un local tout contraire, semblent languir de soif et de sécheresse, et près de périr jusqu'à la racine. »

Enfin, dit Athénée, après qu'ils eurent ainsi discouru sur la canicule, on versa à boire aux convives.

(Remarques du texte sur quelques mots.)

Le mot brechein, arroser, signifie aussi boire. Antiphane dit :

« Il faut que ceux qui mangent arrosent largement, ou il faut que ceux qui mangent beaucoup arrosent. »

On lit dans l'Ion d'Eubule :

« A. Me voici bien arrosé et bien plein. [23b] B. Oui,.... tu n'as pas mal bu. A. Et de bon vin de Mende, n'en doute pas. »

42. Le mot anapiptein se dit de l'âme dans le sens de se décourager, s'abattre ; Thucydide l'emploie ainsi dans son premier livre :

« Les vaincus se découragent bientôt, anapiptousi. »

Cratinus l'a employé dans le sens littéral :

« Rame avec vigueur, et renverse-toi : anapipte. »

Xénophon dit dans son économique : « Pourquoi les rameurs ne s'incommodent-ils pas ? C'est qu'ils font tout en ordre : ils s'assoient, ils se courbent, ils se renversent en ordre ; anapiptousi.

[23c] Ce mot se prend encore dans le sens de se coucher pour manger, ou de se mettre à table. Euripide dit dans son Cyclope :

« Il se mit à table, anepese, et nous lâcha des bordées vineuses qui n'embaumaient pas. »

Alexis s'en sert dans la même acception :

« Après cela, j'engageai cette femme à se mettre à table, anapesein, près de moi.... »

Le mot anakeisthai se dit d'une statue qu'on érigé. Voilà pourquoi l'on s'est moqué de quelques Écrivains, qui l'ont employé dans le sens de katakeisthai, se coucher, se mettre à table, comme dans Diphile :

« Jusque-là, j’étais à table ; anekeimeen. »

L'ami qui était à côté, lui répartit avec humeur, anakeiso, c'est-à-dire, puisses-tu être planté comme une statue ! On lit aussi dans Philippide :

« A. A souper, il était toujours couché à côté de lui : anakeimenos. B. Est-ce qu'il donne à manger à une statue ? «

Les mots katakeislhal et katakeklisthai, sont ceux que l’on emploie pour signifier être à table, comme on le voit dans les Banquets de Platon et de Xénophon. Alexis parle de même :

« Qu'il est désagréable d'être à table katakeisthai, avant que l'on serve! Dormir, il n'y a pas moyen. [23d] Si quelqu'un parle, c'est en pure perte ; car l'esprit n'est occupé que de la table qu'on a sous les yeux. »

On trouve néanmoins, quoique rarement, ce mot anakeisthai dans le même sens. Un satyre dit dans Sophocle :

« Si le feu m'attaquait, je sauterais même sur le cou d'Hercule, fût-il à table ; anakeimenoo. »

Aristote dit aussi dans ses lois des Tyrrhéniens :

« Les Tyrrhéniens soupent avec leurs femmes, couchés sous la même couverture ; anakeimenoi. »

[23e] Théopompe emploie katakeisthai :

« Nous bûmes après cela chez Télamon, couchés, katakeimenoi, mollement sur un lit à trois, nous chantant tour à tour des airs lugubres.»

Philonide dit aussi :

« Il y a dix heures, comme vous voyez, que je suis à table ; katakeimai. »

43. Le mot pasasthai s'emploie dans le sens de goûter, simplement. C'est ainsi que Phénix dit à Achille :

[23f] « Tu n'aurais pas voulu goûter, pasasthai, de la moindre chose avec tout autre que moi. »

Le poète dit encore ailleurs:

« Ils goûtèrent des intestins; epasanto. »

En effet, ils ne font ici que goûter de ces entrailles, qui étaient un plat bien mince pour un si grand nombre de convives. Priam dit aussi à Achille :

« Je viens de prendre une bouchée de pain ; pasameen. »

Dans l'état affligeant où il se trouvait, il ne pouvait guère que goûter des aliments : la douleur ne lui permettait pas de se rassasier ; ainsi, celui qui, dans Homère, n'a absolument goûté de rien, est asitos, apastos. Mais au lieu d'employer ce mot pasasthai, goûter, pour manger assez, ce poète se sert de ceux qui désignent certaine satiété, koros. (C'est dans ce sens qu'il dit :)

« Lorsqu'ils se furent réjouis à table ; »

ou bien,

« Lorsqu'ils eurent bu et mangé selon leur appétit. »

Mais les poètes des âges postérieurs ont employé le mot pasasthai, pour se remplir, se repaître, comme parle Callimaque :

[24b] « Je me repaîtrais volontiers de ce discours pasaimeen. »

On lit dans Eratosthène :

« Ils se rassasièrent, epasanto, de viandes grillées sur la braise, et qu'ils avaient prises à la chasse. »

44. Mais pour coller bois sur bois, comme dit Pindare, (c'est-à-dire, pour ne rien omettre ici) je dirai que Seleucus prétend que daita thaleian, on repas splendide, est dans Homère la même chose que diaita ; car il ne faut que transposer deux lettres. Or, selon lui, tirer diaita de daio, diviser, c'est une dérivation bien forcée....

Les femmes jouent, dans Homère, à la balle comme les hommes. L'exercice du javelot ou du palet est réservé à ceux-ci, et ils le font avec des mouvements combinés :

[24c] « Ils se divertissaient au disque et aux javelots, en les lançant. »

car le plaisir adoucit les chagrins. La jeunesse allait chasser avec des chiens. C'est ainsi qu'elle se préparait alors à braver les dangers de la guerre. En poursuivant les bêtes féroces, ces gens se faisaient un corps plus robuste et plus sain : s'il se présentait, quelque animal, ils se plantaient là comme des tours, et l'accablaient de javelots sans jamais lâcher pied.

Ils savaient que le bain est un remède pour la fatigue, quelle qu'en soit la cause; c'est pourquoi on les voit dissiper leur lassitude dans l'eau de mer, qui est amie des nerfs. [24d] Ils relâchaient dans leurs baignoires les muscles qui avaient été trop longtemps tendus, ensuite ils se frottaient de quelque substance onctueuse, pour empêcher que la peau ne se desséchât[81] après avoir été essuyée. C'est ainsi que les espions, de retour,

« Vont déterger leur sueur dans la mer, en se frottant les jambes, les cuisses et le sommet de la tête. »

Après s'être ainsi rafraîchis, ils se mettaient dans leurs baignoires, s'y lavaient, s'oignaient d'huile, et s'asseyaient à table.

Il y a une autre manière de dissiper la fatigue, c'est de verser de l'eau sur le corps :

« Elle lui versa, dit Homère, une liqueur bienfaisante sur la tête et sur les épaules. »

[24e] L'eau, appliquée dans ces baignoires sur toute la circonférence du corps, empêchait la sueur de continuer à transpirer. En effet, c'est comme si l'on mettait un crible dans l'eau; il ne sort rien par ce crible, à moins qu'on ne l'élève au-dessus de l'eau, et qu'on ne laisse une libre issue par les trous dont il est percé. C'est ainsi qu'Aristote explique dans ses problèmes de physique, pourquoi les gens qui suent, cessent de suer dès qu'ils entrent dans l'eau chaude ou froide, et recommencent à suer lorsqu'ils sont hors du bain.

45. On servait des légumes à la table des Héros, et l'on ne saurait douter qu'ils ne connussent la culture des plantes légumineuses : ces planches si bien arrangées au bout de la vigne d'Alcinoüs le prouvent. Ils mangeaient même des oignons, légume[82] d'un très mauvais suc.

« Après avoir bu, dit-il, mange de l'oignon. »

Ils cultivaient aussi, selon Homère, les arbres à fruits :

[25a] « La poire mûrit sans cesse après la poire, la figue après la figue. »

Il distingue par l'épithète de beaux, les arbres fruitiers :

« Là, croissaient de beaux arbres, des grenadiers, des pommiers.»

Quant à ceux qui ne sont utiles que par leur bois, il leur donne l'épithète de grands :

« Là, croissaient de grands arbres, l'aune, le peuplier, le sapin qui s'élève jusqu'aux cieux. »

L'usage de manger des fruits est plus ancien que le siège de Troie ; car Tantale, après sa mort, veut encore en manger : [25b] en effet, le dieu qui le punit, l'attirant avec de semblables fruits, comme on fait venir à soi des animaux avec des rameaux feuillus, le berne bientôt en le privant[83] d'en jouir lorsqu'il se croit au comble de ses vœux. Ulysse rappelle aussi à Laërte qu'il eut de lui en présent, dans sa jeunesse, treize poiriers, etc. ...

46. On mangeait aussi du poisson ; c'est ce qu'indique la comparaison que Sarpédon fait de la prise de Troie avec un filet que l'on retire plein de poisson. Cependant Eubule dit avec le ton badin de la comédie :

[25c] « En quel endroit Homère présente-t-il un Grec mangeant du poisson ? Ils faisaient seulement rôtir des viandes. Jamais il ne leur en fait bouillir. Il n'y en a pas un qui ait eu une maîtresse en second pendant dix ans. Mais taisons-nous sur ce qu'ils faisaient entre eux. Enfin, après une guerre si funeste, ils ont pris une ville, et s'en sont retournés, laissant l'enceinte de Troie moins large que la leur. (Lisez l’original.) »

Ces Héros ne laissaient pas les oiseaux traverser les airs impunément : [25d] ils tendaient des pièges et des filets aux grives et aux pigeons ; ils s'exerçaient à la chasse des oiseaux en liant un pigeon au haut d'un mât, et de loin ils le tiraient avec des flèches. On en a la preuve dans les jeux funéraires.

Cependant Homère ne parle, dans ses repas ni de légumes, ni d'oiseaux, ni de poissons, parce qu'il a regardé ces sortes de mets comme autant de friandises, et que d'ailleurs il en trouvait l'apprêt peu décent, et au-dessous des hauts faits de ses Héros. Il a cependant parlé de viande bouillie, lorsqu'il a dit :

« Comme la marmite bout  tandis que le tendre cochon[84] y fond dans son suc. »

[25e] Le pied de bœuf qu'on jette à la tête d'Ulysse le prouve encore : car personne ne fait rôtir un pied de bœuf.

Voici un autre endroit qui semble appuyer cet usage :

« Il servit des plats garnis de toutes sortes de viandes. »

Or, ceci n'indique pas seulement qu'un plat de différente espèce succéda à l'autre, comme de la volaille, du cochon, du chevreau, du bœuf; mais que ces viandes étaient apprêtées très différemment, et même de la manière la plus recherchée : de sorte qu'en remontant à cette époque, on y trouve l'origine des tables de Sicile, de Sybaris, de[85] l'Italie et de Chio; [25f] car l'on assure que les habitants de Chio ne l'ont cédé en rien à ceux de ces autres contrées, dans l'apprêt des aliments. Timoclès nous dit: « Les habitants de Chio ont inventé d'excellentes choses dans l'art d'assaisonner les aliments. »

La jeunesse, et même les vieillards, se livrent à de douces rêveries avec les femmes, dans Homère : Phénix et Nestor le prouvent. Ménélas est le seul qui n'a point de maîtresse; il fait la guerre pour recouvrer sa femme qu'on lui a ravie.....

47. Pindare loue le vin vieux, et les charmes des chansons nouvelles. Eubule dit:

« Il est absurde que les courtisanes préfèrent toujours le vin vieux, tandis que ce n'est pas un vieillard, mais un jeune homme qui peut leur plaire. »

[26a] Alexis a dit la même chose, sinon qu'il écrit beaucoup au lieu de toujours.

 

Chap. XX. Mais c'est avec raison qu'on préfère le vin vieux au nouveau, tant pour le plaisir que pour la santé : il fait mieux digérer les aliments. Comme les principes en sont plus atténués, il passe plus aisément. D'ailleurs, c'est un bon restaurant, qui fait un sang d'un rouge brillant,[86] bien fluide, et procure un sommeil paisible.

Homère vante le vin qui porte bien l'eau, tel que celui de Maronée. [26b] Or, le vin vieux porte beaucoup mieux l'eau, parce qu'en vieillissant il devient plus spiritueux.

Quelques écrivains ont dit que la fable de Bacchus qui s'enfuit et se jette dans la mer, dénotait une ancienne manière de faire le vin, savoir, d'y mêler de l'eau de mer, parce que cette eau[87] combinée, le rendait plus agréable......

Homère, préconisant le vin noir,[88] melana oinon, l'appelle souvent aithopa, ou de couleur fauve foncée. Or, ce vin a beaucoup de sève, et soutient plus longtemps les forces.....

Théopompe dit que les habitants de Chio ont les premiers planté et cultivé la vigne, et fait du vin noir : selon lui, ils l'apprirent d'un fils de Bacchus, nommé Enopion, [26c] qui peupla cette île. Il ajoute que ce furent ces insulaires qui en communiquèrent la culture aux autres hommes. Le vin blanc est faible et léger, le paillet est dessicatif, et cuit mieux la masse alimentaire.

 

48. Chap. XXI. Voici ce que Galien dit des vins d'Italie, dans le récit de notre sophiste. Il faut dix ans au Falerne pour être en boite, et il est dans sa bonté depuis dix ans jusqu'à vingt; plus vieux, il porte à la tête et attaque les nerfs. Il y en a de deux sortes, l'austère et la douceâtre : [26d] si l’on en fait la récolte lorsque les vents du midi commencent à souffler, il devient douceâtre, et outre cela noir ; autrement il est austère et paillet.

Il y a aussi deux espèces de vin d'Albe, l'un est doux, l'autre acerbe ; ils ne commencent à être en boite qu'à quinze ans. Le Sorrento n'est pas potable avant vingt-cinq ans. Comme il n'a que très peu ou point de principes huileux, et qu'il est ainsi fort vert, il ne mûrit qu'avec peine ; mais quand il est bien vieux, c'est le meilleur vin dont on puisse faire ordinaire. [26e] Le Rhegio a quelque chose de plus onctueux que le Sorrento, et est ainsi bon à prendre à quinze ans. Le Priverne a les principes plus déliés que le Rhegio, et ne porte point à la tête : on peut le boire en sûreté au même âge. Le Formie lui ressemble assez, quoique plus onctueux et plus tôt fait.

Le Trifoli n'est pas sitôt en baite : il a des principes plus grossiers que le Sorrento. Le Setia est un des premiers vins, semblable au Falerne, quoique plus léger, et ne porte pas à la tête. Le Tivoli a peu de corps, passe aisément, et peut se prendre à dix ans ; mais sa qualité augmente avec le temps.

[26f] Le Labique est agréable, huileux sur la langue, et tient le milieu entre le Falerne et l'Albe : on le boit à dix ans.

Il ne vient pas beaucoup de vin sur le Gaurus, mais il a le plus bel œil, de la force, du corps, et est plus mœlleux que le Tivoli et le Préneste. Le Massique est très austère, quoique stomacal. Il vient aussi près de Cumes, dans la Campanie, un vin qu'on appelle Urbain;[89] il est léger, et peut se prendre à cinq ans. L'Ancône est bon, mais un peu gras ; [27a] le Vicenze tient de la saveur acerbe d'un de ceux d'Albe : c'est un vin qui a de la force, et fait un bon stomachique. Le ouetère[90] est agréable, et flatte l’estomac; il a ceci de particulier, qu'il ne paraît pas naturel : on dirait qu'il y a toujours un mélange d'autre vin. Le Cales est un vin léger, et plus stomacal que le Falerne. Le Cécube est un excellent tonique, mais donne sur les nerfs : il lui faut beaucoup d'années pour se faire.

Le Fondi donne aussi du ton aux solides, nourrit bien, mais il affecte la tête et l'estomac ; c'est pourquoi l'on en boit peu dans les festins. [27b] Le Sabin est plus léger que tous ces vins; il est bon à prendre depuis sept ans jusqu'à quinze. Le Signie se boit lorsqu'il a six feuilles, mais le temps ne fait qu'augmenter sa bonté. Le Nomente n'est pas longtemps à se faire : il est potable à cinq ans ; cependant on lui trouve toujours quelque chose de désagréable et d'épais.

Le Spolète flatte autant par sa couleur tirant sur l'or, que par son agréable saveur. Les vins de Capoue rappellent, à beaucoup d'égards, ceux de Sorrento. On trouve d'abord une saveur fort austère au Barbin;[91] mais il s'améliore avec le temps. [27c] Le Caulon est un vin généreux, qui va de pair avec celui de Falerne. Le Venafre est léger, stomacal. Le Trebelli, au territoire de Naples, a une qualité bien tempérée, flatte l'estomac et le palais.

L’Herbulos[92] est d'abord noirâtre, et devient blanc quelques années après ; c'est un vin fort léger et délicieux. Le vin du territoire de Marseille est bon, mais outre qu'il y en a peu, il est épais, et de couleur de chair. Ceux de Tarente, et en général de tout ce climat, sont délicats, agréables, et bons pour l'estomac : on ne les trouve ni violents, ni capiteux. [27d] Les Mamertins ont aussi en Sicile leur vin, qui ne doit pas être regardé comme du crû de l'Italie : on l'appelle potalin:[93] il est agréable, léger, et ne manque pas de force.....

Charès de Mitylène nous dit qu'on adore aux Indes un Démon nommé Soroadeios, ce qui en grec s'interprèterait par oinopoios, ou faiseur de vin..,.,

49. Antiphane, ce charmant poète, nous raconte ainsi ce qui est particulier à chaque ville :

« Cuisiniers d'Élide, chaudron d'Argos, vin de Phlionte, tapis de Corinthe, poisson de Sicyone, joueuses de flûte d'Egium, [27e] fromage de Sicile, cochons de Syracuse, parfums d'Athènes, anguilles de Bœotie. »

Hermippus nous donne à ce sujet le détail suivant :

« Muses, qui habitez l'Olympe, racontez-moi tous les biens que Bacchus a procurés aux humains depuis les voyages qu'il a faits, par mer, sur un vaisseau noir. Il a apporté de Cyrène le selfion, et des cuirs de bœufs ; de l'Hellespont, des maquereaux et toutes sortes de poissons salés ; d'Italie, du gruau et des côtes de bœuf; du pays de Sitalce, la gale pour les Lacédémoniens ; de celui de Perdiccas, une flotte chargée de fausses promesses pour les Athéniens ; [27f] de Syracuse, du fromage et du cochon que fournit cette ville : pour les Corcyréens, puisse Neptune les abymer dans leurs vaisseaux, parce qu'ils gardent leurs oignons pour eux ! Voilà donc ce qu'il a rapporté de ces pays-là. Maïs de l'Egypte,[94] il a procuré des voiles de vaisseau et du papier; de Syrie, l'encens; de la charmante Crête, le cyprès pour les dieux; de la Lybie,[95] l'ivoire, dont on y fait commerce ; de Rhodes, les raisins secs, les figues sèches qui procurent des rêves agréables; de l'Eubée, des poires et des pommes excellentes ; de la Phrygie, des valets; de l'Arcadie, des troupes auxiliaires (ou des alliés); de Pagase, des esclaves marqués sur le front ; [28a] de la Paphlagonie,[96] les glands de Jupiter, et les amandes brillantes qui font l'ornement des repas; de la Phénicie, des dattes et de la semoule ; de Carthage, des tapis et des coussins de diverses couleurs....»

50. Pindare, célébrant la victoire remportée par Hiéron aux jeux pythiens, fait l'éloge des chiens de Laconie en ces termes :

« L'animal le plus rapide qu'il y ait à la poursuite des bêtes fauves, est le chien de Laconie, élevé sur le mont Taygète. »

 

Chap. XXII. Le même, parlant du lait, dit:

« Il n'y en a pas qui approche de celui des chèvres de Scyros. »

Il ajoute:

« Il faut avoir des armes d'Argos; des chariots de Thèbes, ce pays si fertile en beaux fruits ; et des chars de Sicile : ils sont faits avec le plus grand art... »

[28b] Critias, le poète, parle ainsi :

« Le cottabe[97] vient de Sicile (c'est quelque chose de merveilleux); et le but où nous visons avec nos latages.[98] Le char de Sicile est ensuite le plus beau et le plus richement orné....[99] Les sièges les plus mollets, pour reposer avec volupté, sont ceux de Thessalie ; mais Milct et Chio, la ville maritime d'Œnopion, font les lits les plus commodes. Les vases dorés, [28c] les ouvrages en bronze, qui servent d'ornement et aux besoins d'une maison, rendent la Toscane célèbre.[100] Les Phéniciens ont inventé les lettres qui conservent nos paroles. Thèbes a imaginé les chaises pour voyager. On doit les bâtiments de transport aux Cariens, ces habiles navigateurs. La ville qui a élevé le trophée de Marathon, a aussi inventé les vaisseaux de terre, enfants de la roue et du four : or, rien de plus utile pour le ménage ; »

Et c'est avec raison qu'on vante la poterie d'Athènes. Eubule a cependant dit :

« Des céramies (ou amphores) de Cnide, des plats de Sicile, et des cruches de Mégare. »

[28d] Antiphane vantait

« La moutarde de Chypre et la résine de Scammonée ; le cresson de Milet ; l'oignon de Samothrace; le selfion de Carthage, et son suc; le thym du mont Hymette, et l'origan de Ténédos....»

51. Le roi de Perse ne buvait que du vin de Chalybon. Posidonius rapporte que les Perses ayant transplanté de leurs vignes à Damas, on fît aussi de ce même vin en Syrie. Agatharcide nous apprend qu'on faisait dans Issa, île de la mer adriatique, un vin qui, comparé avec tous les autres, les surpassait en qualité. Eubule fait mention du vin de Chio et de Thase.

[28e] « Du vin de Chio et de Thase filtré. »

Clarque parle ainsi de celui de Lesbos :

« Un vin de Lesbos, qui me semble fait de la main même de Maron. »

Alexis dit :

« Il n'y a pas de vin plus agréable à boire que celui de Lesbos. »

Et ailleurs,

« Il arrose tout le reste du jour avec du vin de Lesbos et de Thase, et s'en régale à l'aise. »

Le même dit:

« Oui, Bacchus est aimable ! il a exempté de tribut les Lesbiens qui portent là (à Athènes) leur vin, [28f] et a ordonné qu'on saisît à son profit, les biens de celui qu'on surprendrait à faire passer de ce vin dans une autre ville, quand ce n'en serait qu'un Terre. »

Ephippus dit :

« A. Pour moi, j'aime le vin de Pramne et de Lesbos. B. On vide ici bien des flacons de ce vin de Lesbos. »

On lit dans Antiphane,

« Rien ne fait trouver les mets si bons, et ne rappelle mieux le buveur que le vin de Thase, les parfums et les couronnes de fleurs. Vénus se trouve volontiers où tout abonde, mais jamais parmi des gens qui ne vivent qu'avec peine. »

Et dans Eubule,

« Après avoir pris du Thase, ou du Chio, ou du Lesbos, dont les gouttes sont autant de gouttes de nectar. »

Il parle aussi d'un vin appelé Psythien:[101]

« Après m'avoir fait goûter seulement d'un Psythien charmant, il me donna, pour calmer ma soif du vinaigre qui me déchira la poitrine… »

On lit dans Anaxandride,

« Un congé de Psythien étendu d'eau.... »

 

52. [29a] Chap. XXIII. Athénée dit que Démétrius de Trézène appelle Thesmophoriasasai,[102] les secondes Thesmophoriazousai d'Aristophane; or, le poète parle dans cette pièce d'un vin nommé Péparéthien:

« Non, je ne souffrirai pas qu'on boive du vin de Pramne, de Chio, de Thase, de Péparèthe, ni d'aucun autre qui éveille l’amour endormi. .. »

Eubule a dit,

« Je n'ai que du petit vin de Leucade et de Milet, et même encore bien vert.... »

Voici un passage d'Archestrate, qui a écrit sur les festins :

[29b] « Quand vous aurez bu la rasade de Jupiter Sauveur, c'est alors que, la tête parfumée d'onguent et couronnée de fleurs éclatantes, il faudra boire le vin délicieux qui vient dans l'île de Lesbos, battue de tous côtés par les flots; mais pour être tel, ce vin doit aussi être tout blanc de vieillesse. Je fais grand cas du vin de Byblos en Phénicie, contrée admirable ; cependant je ne l’égalerai pas à celui de Lesbos. Il est vrai que, quand on en boit pour la première fois, il semble présenter un bouquet plus agréable que le Lesbos, [29c] parce qu'on le boit d'ordinaire fort vieux ; mais si l'on continue d'en boire, il est bientôt beaucoup moins flatteur. Le Lesbos, au contraire, paraîtra toujours plutôt de l'ambrosie que du vin. Si quelques impertinents railleurs prétendent me berner, et soutiennent qu'il n'y a pas de meilleur vin que celui de Phénicie, je ne daignerai pas même les écouter. C'est encore un bon vin que celui de Thase, lorsqu'il s'est rendu recommandable par la maturité de la vieillesse. Je pourrais citer et vanter les productions vineuses de plusieurs autres villes : je n'en ai pas oublié le nom ; mais, pour le dire en deux mots, rien n'égale le vin de Lesbos. [29d] Au reste, certains écrivains, je le sais, se plaisent à louer ce qui vient chez eux. »

Éphippus fait aussi mention du vin de Phénicie

« Des noix,[103] des grenades et autres friandises de Phénicie, et quelques flacons de vin de la même contrée. »

Il dit encore :

« On mit en perce un baril de vin de Phénicie. »

Xénophon en fait aussi mention dans son anabasis. Cratinus parle du vin de Mende en ces termes :

« S'il aperçoit du petit vin de Mende qui commence à prendre du corps, il le suit, il ne le quitte plus, et s'écrie : ah ! qu'il est délicat et blanc ! Certes, il porterait trois parties d'eau. »

[29e] Hermippus fait ainsi parler Bacchus dans le passage suivant :

« Le vin de Mende fait pisser les dieux même sur leurs tapis mollets. J'aime la douce saveur du vin de Magnésie : quant à celui de Thase, il répand une légère odeur de pomme ; mais je le regarde comme le meilleur de tous les vins, après le vin parfait et innocent de Chio. Il est une autre espèce de vin qu'on nomme Saprias, et qui, lorsqu'on débouche le vaisseau où il est, répand par l'ouverture une odeur ravissante de violette, de rose et de jacinthe, [29f] qui parfume toute la vaste maison. Ce vin est l'ambrosie et le nectar réunis : c'est, dis-je, le nectar même des dieux. Voilà le vin qu'il faut donner à mes amis, dans une partie de plaisir, et laissons le Péparèthe à nos ennemis. »

Phanias d'Érèse, dit que les Mendéens arrosaient leurs raisins pendants au sep, avec de l’elaterium[104] ce qui leur donnait une vertu laxative.....

54. Le roi de Perse donna cinq villes à Thémistocle ; Lampsaque, pour son vin ; Magnésie, pour son pain ; Myonte, pour son poisson ; Percope et Palæscepsis, pour ses tapis et ses habits ; mais il voulut qu'il fût habillé comme les Perses; ce qu'il avait aussi exigé de Demaratus, [30a] lorsqu'il lui donna ces mêmes possessions, dont jouit ensuite Thémistocle; mais le roi de Perse[105] ajouta en faveur de celui-ci, l'habit particulier aux Princes nés du sang royal, afin qu'il ne fût plus tenté de s'habiller à la grecque....

Agathocle de Babylone rapporte que Cyrus le grand, donna sept villes à Phytharque de Cyzique, qu'il avait affectionné : ces villes étaient Pédase, Olympe, Acamantion, Tion, Sceptre, Artypse[106] et Tortyre. Mais Phytharque poussant la violence et la folie jusqu'à rassembler une armée pour subjuguer sa patrie, les Cyzicéniens marchèrent au-devant de lui, sans perdre de temps, pour se défendre, et le chargèrent sans quartier, en bravant tous les dangers.....

[30b] Priape est adoré à Lampsaque : c'est le même que Bacchus, surnommé Priape, comme il est aussi appelé Thryambe, et Dithyrambe....

 

Chap. XXIV. Les Mytiléniens appelaient leurs vins doux, Prodromes ; d'autres l'appellent indifféremment Protrope[107] ou Prodrome.....

55. On fait grand cas du vin d'Icare, selon Amphis :

« L'huile des Thuriens, les lentilles de Gela, le vin d'Icare, et les figues sèches de Cimole....»

Selon Eparchide, le vin de Pramne vient dans l'île d'Icare ; c'est une des espèces de vin de cette île, [30c] mais il n'a ni douceur ni corps ; il est austère, sec, et d'une violence singulière. Aristophane dit que les Athéniens ne l'aimaient pas ; voici ses termes :

« Ce peuple n'aime ni les poètes secs et durs, ni le vin de Pramne, vu sa dureté : il fait froncer le sourcil, et resserre le ventre. Mais vive l'Anthosmie,[108] et celui qui, très mûr, semble distiller le nectar....»

Semus dit qu'il y a dans l'île d'Icare, un rocher qu'on appelle Pramne, et près de là une haute montagne, d'où l'on tire le vin de Pramne, que quelques-uns nomment Pharmacite. [30d] L'île d'Icare avait eu le nom Ichtyoyesse,[109] à cause de la quantité de poissons qu'on y pêche. C'est ainsi que les Echinades prirent leur nom des oursins, echinoi; le cap sepias eut le sien des sèches, sepiais, qui se trouvent autour ; les Lagouses eurent le leur du grand nombre de lièvres, lagoi. Ce fut des circonstances que les Phykouses et les Lépadouses eurent leur dénomination.[110]

Eparchide nous apprend encore que la vigne qui produit le Pramne de l'île d'Icare, est appelée sacrée par les étrangers, et Dionysios, c'est-à-dire de Bacchus, par les habitants d'Œnée, ville de cette île.

Didyme prétend que le Pramne a eu ce nom de la vigne appelée Pramnia, d'autres appellent ainsi particulièrement tous les vins d'un rouge foncé tirant sur le noir; d'autres, tous les vins qui sont de garde ; et que le mot pramnion s'est dit pour parameneion, c'est-à-dire, qui subsiste longtemps ; [30e] enfin l'on a dit aussi que pramnion signifiait praunon to menosy qui calme les vivacités  parce que ceux qui boivent de ce vin, sont en général d'un caractère doux et social....

56. Amphis loue aussi le vin de la ville d'Acanthe, en ces termes :

« A. De quel pays es-tu, dis-moi ? B. D'Acanthe. A. Par tous les dieux ! tu es compatriote d'un excellent vin, et tu as un air si revêche?... Toutes tes manières sont bien d'accord avec le nom de ta patrie, mais tu ne tiens guère du caractère de tes concitoyens!...»

[30f] Alexis fait mention du vin de Corinthe, comme d'un vin dur:

« Nous avions du vin étranger; car pour celui de Corinthe, il est bon pour donner la question. »

Il rappelle aussi le vin d'Eubée :

« Après avoir beaucoup, bu de vin d'Eubée.... »

Archiloque met le vin de Naxe en parallèle avec le nectar. Le même dit aussi quelque part:

« Ma lance me fournit du pain ; ma lance me fournit du vin d’Ismare ; et c'est sur ma lance que je me soutiens quand je le bois....»

Strattis vante le vin de Sciathe:

« Le vin noir de Sciathe, dit-il, mêlé avec égale quantité d'eau, invite le voyageur à boire....»

[31a] Achæus parle avantageusement du vin Biblin :

« Il me régala d'une rasade de vin Biblin. »

Ce vin a pris ce nom du lieu où on le recueille. Philinus dit:

« Je vous donnerai du Lesbos, du Chio; que dis-je[111] du Thase, du Mende et du Biblin : or, ces vins ne portent pas à la tête. »

Mais Épicharme dit que ce vin tire son nom de certaines montagnes appelées Biblines. Arménidas avance que Biblie est un canton de Thrace, que l'on nomme aussi Tisare, ou Antisare, et Œsyme. En effet, la Thrace a été assez renommée pour ses vins agréables, [31b] de même que les pays d'alentour.....

« Il arriva de Lemnos, dit Homère, des vaisseaux chargés de vin....»

Cependant Hippias de Rhegio, prétend que le Biblin a pris son nom d'une espèce de vigne appelée eileos,[112] et que l'on nomme aussi biblia; que Pollis[113] d'Argos, qui régna à Syracuse, y transporta ce plant d'Italie. Ainsi le vin doux que les Siciliens appellent pollien, serait le vrai biblin.... Oracle :

[31c] « Bois le vin[114] avec sa lie ; car tu n'es pas d'Anthédon, ni de la sacrée Hypère, où tu le boirais sans lie (ou soutiré)... »

Aristote nous apprend dans sa république de Trézène, qu'on appelait anthedonias et hyperias, certaine vigne plantée par Anthus et Hyperus; comme on avait nommé althephias, une autre espèce de vigne plantée par Althephius,[115] un des descendants d'Alphée.....

57. Alcman fait quelque part mention d'un vin nommé apyre, et qui avait une odeur de fleurs : il se recueillait sur cinq collines ; ce lieu n'était éloigné de Sparte que de sept stades. Il parle aussi des vins d'une forteresse des Denthiades, d'Œnonte, des Œnogles et des Stathmes, [31d] cantons qui sont dans le voisinage de Pitane. Il nomme ces vins œnontiade, denthis, karistien, œnoglite et stathmite. Quant au karistien, il prend ce nom de Kariste, lieu près de l'Arcadie. Le vin qu'il nomme apyre, est celui qu'on faisait sans coction, car on usait de vins cuits.....

Polybe dit qu'il vient dans le territoire de Capoue, un excellent vin, nommé anadendrite, et auquel on ne peut comparer aucun autre.....

Alciphron, qui était des environs du Méandre, dit que le vin de Pramne venait sur une côte près d'Éphèse, dans le territoire d'un village appelé d'abord Latois,[116] et ensuite Latorie, du nom de l'amazone Latorie.

[31e] Timachidas de Rhode appelle hypochyte,[117] certain vin de cette île, presque semblable au vin doux.

On appelle glyxis celui dans lequel on a jeté du vin cuit.....

Polyzèle appelle autite[118] une autre espèce de vin de Rhodes.....

Platon le comique, parle d'un vin nommé capnias,[119] et dont la meilleure espèce se faisait à Bénévent, ville d'Italie.....

Sosicrate appelle amphis[120] le vin plat.....

Les anciens avaient une boisson faite avec des ingrédients aromatiques ; ils l'appelaient trimma, ou mélange trituré.....

Théophraste dit dans son histoire des plantes, [31f] que dans le territoire d'Hérée, en Arcadie, on faisait un vin qui rendait les hommes fous, et les femmes fécondes;[121] que dans les environs de Cerynie, en Achaïe, il y avait une espèce de vigne dont le vin faisait avorter les femmes : le raisin produisait même cet effet. Selon lui, ceux qui boivent du vin de Trézène n'ont point d'enfants ; il ajoute que l'on fait à Thase deux sortes de vins, dont l'un est soporifique, et l'autre produit un effet tout contraire.....

58. Quant au vin[122] anthosmias, voici comme on le fait, selon Phanias d'Erèse.

[32a] « Versez une partie d'eau de mer sur environ cinquante de vin doux, et il devient anthosmias. »

Il ajoute que l'anthosmias est beaucoup plus fort avec du vin de jeune plant. Selon lui, on faisait aussi de l'anthosmias en écrasant du raisin qui commençait à peine à tourner, et en le tenant dans des vaisseaux bouchés.....

Théophraste dit que le vin que les Thasiens font servir dans leur Prytanée, est d'une saveur des plus agréables ; mais c'est un vin composé. On jette dans le vaisseau où est le vin pur, de la fleur de farine pétrie avec du miel, de sorte que le miel lui donne certaine odeur, et la farine de la douceur. [32b] Il ajoute ensuite que si l'on mêle un vin dur et sans odeur, avec un vin mœlleux et odorant, par exemple, du vin d'Héraclée avec celui d'Erythrée, il en résulte une liqueur mixte, qui tiendra de l'un sa qualité lubrifiante, et de l'autre sa vertu stomachique....

Posidippe parle d'un vin myrtite, ou myrrhin.[123]

« Le vin qui altère est nuisible ; mais faites cas du Myrrhin.... »

 

Chap. XXV. Hermès ou Mercure est le nom de certain verre de vin dans Strattis......

Chæreas dit qu'on faisait à Babylone un vin qu'on y appelait Nectar.....

« On a dit, avec vérité, le vin demande les agréments de la conversation, [32c] outre certaine quantité d'eau... »

Le poète de Cée a dit:

« Il ne faut rien jeter de la liqueur de Bacchus, pas même le marc... »

59. Il y a en général du vin de trois couleurs ; le blanc, le paillet et le rouge très chargé. Le blanc est léger de sa nature, diurétique, chaud, digestif; mais il porte des fumées à la tête, vu la volatilité de ses principes. Le rouge foncé, et non douceâtre, est très nourrissant; mais il a un peu d'astringence. Le vin douceâtre est le plus nourrissant des vins blancs et des paillets ; [32d] car, outre qu'il lubrifie dans son passage, il donne de la consistance aux humeurs ; d'ailleurs, il affecte moins la tête. En effet, le vin doux est de nature à séjourner dans les hypo-chondres:[124] il sollicite l'excrétion de la salive, si l'on en croit Dioclès et Praxagoras.

Mnésithée d'Athènes, dit que le vin d'un rouge très chargé est le plus nourrissant; le vin blanc, très diurétique et le plus léger; le paillet, sec, mais plus favorable à la digestion des aliments....

Les vins que l’on combine[125] par parties bien proportionnées avec de l'eau de mer, n'enivrent pas: ils lâchent le ventre, [32e] pincent l'estomac, causent quelques flatuosités ; cependant on les trouve très propres à dissoudre les aliments : tels sont les vins de Mynde et d'Halicarnasse. C'est sans doute à cause de ces vins marinés que le cynique Ménippe donne à la ville de Mynde l'épithète d'almopotis (qui boit de la saumure).

Les vins de Coo portent beaucoup d'eau de mer. Il en faut moins à celui du terroir même de Rhodes; mais en général ce vin a peu de valeur. Les autres vins de cette île sont bons à boire en partie de plaisir, et même pour en faire ordinaire. Celui de Cnide fait beaucoup de sang, nourrit bien, et tient le ventre libre ; [32f] mais il affaiblit l'estomac quand on en boit trop.

Le vin de Lesbos a quelque légère astringence, et sollicite plus les urines. Ceux de Chio ont cependant quelque chose de plus flatteur, mais surtout celui d'Ariuse.[126] Il y a trois espèces de ce vin ; l'une austère, l'autre douceâtre ; la troisième tient le milieu entre ces deux-ci pour la saveur : on l'appelle autocrate.[127] L'austère flatte assez le palais : il est nourrissant et plus diurétique ; le douceâtre nourrit, donne même de l'embonpoint, quoiqu'il tienne le ventre à l'aise. L'autocrate a des qualités moyennes. En général, le vin de Chio est digestif, nourrissant ; [33a] il fait un bon sang, engraisse, et est des plus favorables à la santé, vu les excellents principes dont il est formé.

Quant aux vins d'Italie les plus flatteurs, ce sont certainement le Falerne et l'Albe ; mais quand ils sont très vieux, ils causent un assoupissement assez prompt, parce qu'on ne les garde si vieux qu'en les mixtionnant. Celui qu'on appelle Adrian a un charmant bouquet, et passe aisément : [33b] c'est un vin très innocent; mais il faut faire ces vins de bonne heure, et les mettre dans un lieu bien aéré, afin que ce qu'ils ont de trop vif et de trop volatil[128] puisse s'évaporer.

Le vin de Corcyre devient très flatteur avec la vieillesse. Ceux de Zacynthe et de Leucade sont imprégnés de gypse:[129] voilà pourquoi ils sont capiteux. L’abate,[130] vin de Cilicie, n'a d'autre vertu que de tenir le ventre à l’aise. Les eaux dures, telles que celles de sources et de pluie, filtrées et laissées longtemps en résidence, vont bien avec les vins de Coo, de Mynde, d'Halicarnasse, et en général avec tous ceux qui sont mêlés de beaucoup d'eau de mer. Voilà pourquoi ces vins sont d'un grand débit à Athènes, à Sicyone, [33c] où les eaux ont beaucoup de crudité. A l'égard des vins non marines,[131] et de ceux qui ont une astringence assez sensible, tels que ceux de Lesbos et de Chio, il faut de l'eau qui ne contienne aucun principe hétérogène......

60. « O langue ! dit Sophocle, qui as si longtemps gardé le silence, comment as-tu osé commettre une pareille faute ? Mais il n'y a rien de si accablant que la nécessité : elle force même à découvrir le secret des Souverains....»

[33d] Le vin maréotique, ou d'Alexandrie, a pris son nom du lac Marée, qui est dans le territoire d'Alexandrie, ou de la ville de Marée, voisine de ce lac. Elle était autrefois très grande, mais actuellement elle se trouve réduite à un village:[132] elle avait été ainsi nommée de Maron, son fondateur, qui accompagna Bacchus dans ses expéditions militaires. Il y a beaucoup de vignes dans tout ce canton; les raisins ont un goût délicieux, et l’on en fait un vin exquis : il est blanc, friand, présente un bouquet charmant ; sa légèreté le fait passer aisément : il facilite les urines, et jamais ne porte à la tête. [33e] Le tœniotique est la meilleure sorte de ces vins ; il a pris ce nom d'une éminence sablonneuse (tœnia), qui s'étend en longueur dans ces cantons-là : les vins qui y viennent sont d'abord d'un blanc un peu jaunâtre, et décèlent certaine onctuosité ; mais mêlés avec de l'eau, ils s'étendent promptement, et prennent la teinte du miel attique délayé dans l'eau : outre sa saveur agréable, le vin tœniotique a quelque chose d'aromatique et d'astringent.

On voit aussi beaucoup de vignes sur les bords du Nil, tout le long du cours de ce fleuve ; [33f] mais les vins qu'on y fait sont fort différents, tant pour la couleur que pour l'usage : le meilleur de tous est celui du territoire d'Antylle, ville non éloignée d'Alexandrie, et dont les anciens rois d'Egypte, et ceux de Perse après eux, donnaient les revenus à leurs épouses pour leur ceinture.

Le vin de la Thébaïde, surtout celui des environs de Copte, se donne même à ceux qui ont la fièvre, car c'est un vin très léger, prompt à passer, et qui digère on ne peut plus facilement.....

« Femme,[133] vous vous louez vous-même, comme Astydamas. »

[34a] Astydamas était un poète tragique.....

61. Théopompe de Chio, dit que la vigne a été trouvée à Olympie,[134] sur les bords de l'Alphée, et qu'il y a un endroit dans l'Élide, à un mille d'Olympie, où, pendant les fêtes de Bacchus, les habitants ferment trois chaudrons d'airain, et les scellent en présence des étrangers:[135] le lendemain on ôte les sceaux, et l'on trouve les chaudrons pleins de vin.

Mais Hellanicus prétend que c'est au territoire de Plinthine, ville d'Egypte, que l'on a trouvé la première vigne : [34b] aussi Dion, philosophe académique, reproche-t-il aux Egyptiens d'aimer le vin, et d'être grands buveurs. Selon lui, c'est en Egypte qu'on a inventé le moyen d'y suppléer, en faveur de ceux que la pauvreté empêchait d'avoir du vin : c'était une boisson faite avec de l'orge. Il ajoute que ceux qui en usaient, y trouvaient tant de charmes, qu'ils chantaient, dansaient, et faisaient les mêmes choses que ceux qui se trouvaient pris de vin.....

Aristote dit que ceux qui sont ivres de vin tombent en devant, au lieu que ceux qui le sont de cette boisson d'orge, tombent à la renverse, parce que le vin appesantit la tête, et la boisson d'orge produit le carus,[136] ou une stupeur.....

62. [34c] Les Égyptiens ont toujours aimé le vin ; ce qui le prouve, c'est qu'il n'y a que chez eux où ce soit comme une loi de manger, avant tout autre aliment, des choux bouillis : or, la même coutume s'observe encore actuellement chez eux ; c'est d'après cet usage que bien des gens commencent par avaler de la graine de chou, pour se garantir de l'ivresse.[137]

On a aussi remarqué que le vin des vignobles où l’on plante des choux est moins liquoreux ; c'était aussi pour se garantir de l'ivresse, que les Sybarites mangeaient des choux avant de boire, selon le rapport de Timée.....

Alexis a dit:

« Tu en avalas bien hier ! aujourd'hui tu as mal à la tête : [34d] va faire un somme, cela se passera ; et qu'on te donne ensuite un chou[138] bouilli.... »

Eubule dit quelque part :

« Femme, sers-moi un chou (raphanos) il me semble que tu me feras passer ainsi mon mal de tête... »

Apollodore de Cariste, nous fait voir que les anciens appelaient le chou raphanos.

« Je sais que nous appelons raphanos[139] ce que vous autres étrangers appelez chou, crambe, mais, dites-moi, qu'est-ce que cela fait à nos femmes?... »

Anaxandride a dit :

« Si vous vous baignez maintenant, [34e] et mangez beaucoup de chou, vous ferez cesser cette pesanteur de tête, et vous dissiperez ce nuage qui vous offusque. »

Nicocharis dit aussi:

« Demain, au lieu de faire bouillir des choux, nous ferons bouillir le bain, afin que cela nous ôte les fumées du vin.... »

On lit dans Amphis :

« Il n'y a pas, à mon avis, de remède si bon pour l’ivresse qu'un accident fâcheux. L'effet en est si prompt, que celui des choux n'est qu'un conte en comparaison... »

Théophraste[140] a parlé de cette vertu qu'a le chou. L'odeur seule du chou, dit-il, fait même détourner la vigne lorsqu'elle est dans sa végétation.....

 

 

FIN DU LIVRE PREMIER.

 


 

[1] J'ai longtemps cru, comme Fabricius le dit, qu'il n'y avait que sept livres d'imprimés de la version de Marolles, d'autant plus que j’avais eu dans ma jeunesse un exemplaire petit in-4° très mince, caractère cicéro, où il ne se trouvait que ce nombre de livres. L'exemplaire de la bibliothèque du roi m'a désabusé ; mais Fabricius n'était pas dans l'erreur, quoique plusieurs personnes le pensent.

[2] Cet écrivain est plus connu par sa mythologie. L'ouvrage latin qu'il a publié sur les révolutions de son temps, lui a fait beaucoup d'honneur, et devient aujourd'hui un monument précieux pour l'histoire.

[3] On est réellement étonné de ne plus retrouver de manuscrits d'Athénée, en Italie, lorsqu'on lit dans Noël le Comte qu'il traduisit, aidé de plusieurs personnes distinguées, après avoir corrigé son texte grec, Non sine magna antiquorum exemplarium copia. Epist. dedicat.

[4] Quelquefois, ce qui est rare, il semble lui faire sa cour, mais c'est lorsque Daléchamp l'a devancé dans une conjecture heureuse.

[5] Qui ne rirait de voir Casaubon s'écrier, ingens facinus! quand il croit avoir fait une belle correction, qui justement se trouve des plus absurdes. Ces exclamations ne sont pas rares chez lui, et presque toujours sans fondement.

[6] J'ai prouvé de la manière la plus évidente que les anciens connaissaient l'électricité. Voyez les additions aux lettres de M. le comte Carli. Qu'est-ce en outre que ce feu (ou ce phosphore) qui s'allumait spontanément, et qu'un Xénophon savait préparer, selon notre auteur? etc. etc.

[7] Adam, né à Vendôme, d'abord précepteur du feu prince de Conti, ensuite chef de son conseil, membre de l'académie française, reçu le 2 décembre 1723, mort le 12 novembre 1735. Il n'y a plus à Vendôme qu'un marchand de sa famille, et même d'une fortune assez médiocre.

[8] D'Alembert a fait l'éloge d'Adam. M. le marquis de Condorcet, secrétaire de l'académie des sciences, et dépositaire des manuscrits de d'Alembert, m'a communiqué ce discours manuscrit, et imprimé, parmi les éloges des académiciens, chez Moutard. Il n'avait pas encore paru, lorsqu'il eut l'honnêteté de m'en faire part.

[9] Ceux qui en douteraient, pourront consulter le manuscrit d'Adam, que je remettrai à M. Desaunays.

[10] La nomenclature historique des personnages dont parle l’auteur, et que je publierai, appartiendra même à Adam, sauf quelques additions.

[11] Casaubon dit dans son avis au lecteur (vidimus), qu'il a vu l'exemplaire d'Ægius de Spolète, dans la bibliothèque de Pierre Galès, Espagnol. Cela ne nous apprend pas s'il en a tiré quelque avantage : on voit qu'il veut le cacher; mais voici le témoignage écrit de sa propre main sur son exemplaire, et qui prouve combien Ægius lui a été utile, quoiqu'il ne soit pas un des acteurs dans les notes de Casaubon. In margine annotavimus quam plurima quæ non erant edita. Habuimus illa e codice quam olim Benedictus Ægius Spoletinus diligentissime cum manuscripto Farnesianæ bibliothecæ contulerat. Eo codice et notis Ægii manuscriptis usi sumus, Petri Galesii Hispani beneficio. Casaubon dit dans son avis qu'il en doit la collation à Henri Etienne, et se garde bien de faire l'aveu qu'on lit ici : c'est donc un plagiaire.

[12] Je présente seulement les leçons que je suis. Si j’avais eu à publier une édition grecque, je serais entré dans les discussions les plus détaillées ; mais elles sont étrangères à mon but.

[13] Banquet des savants : je rends ainsi le mot grec Deipnosophistes. Le mot sophiste se prend souvent, chez les Grecs, pour un homme érudit, savant en général Clément d'Alexandrie, que j’ai souvent sous la main, m'en présente différentes preuves. Quant à Larensius je l'écris comme les textes. Cette famille, dit-on, venait d’Acca, que les anciens textes de Plutarque, Macrobe, Aulu-Gelle, surnomment Larentia, et non Laurentia, qui ne se lit que par l'erreur des copistes»

[14] Texte, enkyklion. L'auteur indique par ce terme l’érudition dans le sens le plus général, ou le cercle des connaissances humaines le plus généralement connues.

[15] Cynulque : mot qui signifie celui qui mène des chiens en laisse. L'auteur donne ce nom au chef des Cyniques qui parurent à ce Banquet.

[16] Keitoukeitos : mot formé de keitai? ou keitai ? Cela. se trouve-t-il? ne se trouve-t-il pas? comme on le voit dans l'auteur.

[17] Telle est la vraie leçon qu'il faut suivre. Keitai ? ou keitai? C'est aussi celle des manuscrits de Noël le Comte, dont la version est infiniment plus précieuse que ne le dit Casaubon, avec sa jactance et son air méprisant. Cette version présente à la lettre les leçons des textes écrits ; et dans plus de mille passages, je l'ai trouvée préférable au fatras ennuyeux de Casaubon.

[18] Le mot methysos, ivre, sed. i. d. l. e. d. l. f. Cette restitution du texte est de Pursan, guidé en partie par Léopard, ch. 20, qui cite Suidas. J'ai cru pouvoir l'admettre : elle m'a paru heureuse. Pollux distingue les genres.

[19] Syagros. On trouvera aussi ce mot comme nom propre, dans notre auteur, dans Élien, et dans d'autres.

[20] Je préviens le Lecteur de n'avoir aucun égard à la division des chapitres, qui souvent coupe le sens. Je l'ai admise pour ne pas interrompre l’ordre que Casaubon a suivi dans ses observations. C'est aussi selon cet ordre que je le cite.

[21] C'est à-dire, qu'il se servait de l’une et l'autre langues, comme Astéropée des deux mains, étant ambidextre. V. Homère, II. 21.

[22] Théophraste. Adam rend très à propos ce mot au texte, guidé par le pronom toutoon, qui est dans tous les textes. Il est évident que Nélée eut les bibliothèques d'Aristote et de Théophraste. V. Strabon, I. 13. L'inadvertance de Casaubon est ici bien étonnante. Il devait se rappeler que selon ce géographe, la bibliothèque de Théophraste était en partie formée de celle d'Aristote. Ce pronom toutoon ne doit pas être changé, puisqu'il se rapporte à ces deux philosophes.

[23] C'est-à-dire, les riches ptousions, comme lit très bien Adam, au lieu de pleious. Casaubon estropie ce passage.

[24] Avec du miel et de la ferme, selon Diogène de Laërte, si ce n'est pour être en état de soulager ses amis, et de répandre le fruit de la faveur la plus agréable des dieux ? car pour le plaisir de boire et de manger, nous le sentons tous également : il ne faut pas de repas splendides pour contenter la faim. »

[25] Voy. Diodore de Sic. Val. Maxime sur ce Gellias, ou Burmann, Thesaur. Hist. Sicul. Tom. V.

[26] Le sophiste ; c'est Cynulque, sans doute.

[27] Il s'agit là de tous ces petits poissons dont parle Aristote, Hist. anim., liv. 6, ch. xv ; on les salait pour les faire entrer dans les sauces.

[28] C'est le sens qu'a ici ce vers des Phénisses d'Euripide, vers 1493, tronqué à dessein. C'est à tort que Casaubon veut qu'on rétablisse le vers ; on peut prendre ce sens : « Cette anguille coupée n'a plus la forme de boucle ronde qu'elle avait dans la peau qui la couvrait. »

[29] Voy. sur cet usage Pignorius, de Servis, p. 134, 136 : Edit. 1674.

[30] Un autre Philoxène de Cythère, également ami de la table, a écrit en vers hexamètres. Il ne faut pas les confondre. Adam.

[31] Sparus varius capite refuscente, macula nigra ad caudam in extremo aequalem. Linn. Regn. Anim. § 141, n. 8.

[32] C'est en vain qu'on veut trouver ici une allusion à la peine de l'adultère dont Aristophane, Catulle et Juvénal ont parlé. Il faut prendre le sens littéral. V. Pline, l. 32, ch. 9. Le scorpion marin a réellement passé pour avoir une vertu calmante, appliqué en cataplasme. L’exactitude exige qu’on traduise le mot grec skorpios par scorpène et le mot grec skorpaina par rascasse.

[33] Mot équivoque qui signifie les doigts: c'est aussi le nom des forgerons qui, les premiers, tirèrent du fer du mont Ida en Crète. D'autres l'entendent des prêtres chargés d'attiser continuellement le feu sacré qui brûlait en l'honneur du soleil. Ce sentiment est assez probable. Ces prêtres dansant aussi autour du feu, leur danse fut appelée danse pyrique, et ensuite pyrrhique. Telle est la vraie origine de cette fameuse danse.

[34] C'est-à-dire, qu'il allait au bain un des premiers ; car l'heure du bain était marquée. V. Stuck. C'est ainsi qu'Epictète a dit : Un tel va au bain de très bonne heure, etc.

[35] Cela est mal vu. Les jouissances des sens ne sont qu'en proportion de l'irritabilité du genre nerveux. Un passereau jouit autant avec sa femelle, qu'un éléphant avec la sienne.

[36] Nid. Adam lit ici talaroo, d'après Eustathe ; corbeille ou cage d'osier. Cette leçon est vraie.

[37] Les Démagogues.

[38] C'est à tort que Casaubon veut changer ici la négation en pronom.

[39] Je conserve prooton, que Casaubon veut changer de la manière la plus absurde. L'auteur veut dire que jamais on ne s’était avisé d'un pareil stratagème. Adam lisait prootos; mais gardons le texte.

[40] Casaubon lit eiseenegkas au second vers; ce qui fait un spondée au quatrième pied, contre toutes les règles de la poésie, qui veut trois brèves ou un ïambe à ce pied ; mais il fallait ôter l’augment du parfait, selon la liberté qu'ont les poètes. En général, Casaubon est pitoyable lorsqu'il veut toucher aux vers grecs. Il en ignorait absolument les rythmes : il en donne preuve sur preuve. Adam n'a pas laissé passer cette erreur. J'abandonne donc les prétendus rétablissements que fait Casaubon dans les vers; j'aurais une note à écrire presqu'à chaque passage.

[41] Voy. Pollux, l. 6, p. 588, note 37.

[42] Ces mots, qui désignent différents aliments, seront expliqués plus loin. Il faudra chercher aussi à l'index tous les mots que je conserverai dans leur langue originale. Autrement, je devrais répéter nombre de fois les mêmes choses.

[43] Je rends le mot aphlegmantous dans le sens le plus général. Mais il est faux qu'Athénée entende ce mot simplement de maladie. Athénée veut dire que ces héros ne prenant pas ces aliments incendiaires des cuisines recherchées, tenaient toujours leurs passions en bride, et qu'ils n'avaient pas les humeurs enflammées, ni susceptibles de violents orgasmes. Casaubon cite à tort et à travers les médecins, peu inquiet de les entendre, et d'en faire une juste application. Nous le verrons encore.

[44] Oui, pris sans mesure.

[45] J'explique le terme cardiaques en traduisant.

[46] Il est douteux, selon une autre tradition fabuleuse, que Minos ait poursuivi Dédale jusqu'en Sicile. Voy. Val. Flac.

[47] Antiphane prend ici le mot ariste ou dîner dans le sens général des âges postérieurs à Homère; mais la citation n'est relative qu'au mot acratisme. Conférez Plutarque, sympos. et Pollux, sur tous ces mots.

[48] Il faut lire men et non mee. Adam l’a bien vu ; autrement on rend l'auteur absurde. L'abréviateur rend le passage encore plus obscur, en retranchant du vers précédent, il venait de cesser de boire et de manger, etc. ; ainsi l'on ne doit pas changer la ponctuation. Voy. Ili. l. 24, v. 475. Mais en examinant bien ce passage, il n'est pas favorable à ce que veut dire Athénée, selon l'abréviateur. Le sens est : « Il venait de cesser de boire et de manger; la table n'était même pas encore ôtée. » On ne peut pas conclure de là qu'on n'ôtait point la table après les repas ; car il s'agit du moment même où Achille vient de la quitter : l'abréviateur l'a bien senti.

[49] Casaubon et Adam se sont mis mal à propos à la torture pour expliquer cet endroit, où il faut lire anagkaion een isee,ep. etc., ou hee isee, etc. ; ce que j'ajoute ensuite en parenthèse n'est pas du texte, mais pour faire sentir le but des détails suivants. Il est certain que l'abréviateur a mutilé ici le texte, sans trop l'entendre.

[50] Adam, comme tous les autres, manque le sens de ce passage, qui est cependant bien clair.

[51] Poète peu important, boursouflé, qui, çà et là, présente quelques heureux vers; du reste, peu instructif, et souvent dans l'erreur. On doit cependant savoir gré au dernier éditeur du soin qu'il prend pour nous l'éclaircir. Ses notes font tout le prix de l'édition.

[52] Je lis polla, avec les débris de mon manuscrit, où je trouve distinctement pol. Casaubon aura lu pot, dont il a fait poteeria ; mais ce mot est inutile ici.

[53] On a interprété le vina coronant bien différemment. Voy. l'article de la table, dans le traité des vins de Baccius. L'auteur en parlera encore. Paschal mérite d'être comparé avec Baccius. V. de coronis, p. 68 et p. 12.

[54] La phrase grecque souffre l'équivoque dans le mot tous ; mais elle ne peut avoir lieu en français.

[55] Je lis too d'an, dans ce troisième vers, où ton est absurde. — Du reste, voyez Meurs, sur les jeux de la Grèce, et Burette, Acad. inscript.

[56] Casaubon ajoute, avec une balle, ce qui est inutile après les détails précédera. Au reste, cela n'est pas dans les textes.

[57] Nom du liv. 18 de l'Iliade.

[58] Voyez le Lexique de Baduelle, pour le rythme de cette danse, et de Cahusac, t. i, p. 93, Traité de la danse.

[59] Jupiter et Junon avaient cette épithète, comme présidant aux mariages, selon Plutarque. Mais voyez ici Pollux, p. 572, et la note 30.

[60] De la bière.

[61] C'est ce qui fait la différence de son texte. Odyss. l. 9, v. 6.

[62] V. Meursius, livre cité, et Bianchini, Hist. Univers.

[63] Iliade, liv. 14.

[64] Odyssée, l. 7.

[65] Palamède s'acquit une gloire immortelle par l'invention des lettres, en observant le vol des oiseaux, comme elles furent, dit-on, inventées chez les Chinois. C'est une allusion au grand génie de ce guerrier, car certainement il n'imagina par les pots-de-chambre.

[66] Lisez Lochoo.

[67] Voy. Theoph. Hist. Plantar. l. 9, c. 20, et Bod a Stapel, p. 1169, seq.

[68] Voy. Paschal, de coronis : il mérite d'être lu, l. I, c. 5, et c. 2, 3.

[69] C'est Athénée qui se trompe. Selon l'histoire obscure de ces anciens temps, Atys eut pour fils Lydus, chef des Lydiens, à qui l'on attribue l'invention des jeux. Adam entre ici dans de grands détails pour justifier Hérodote ; ils sont inutiles.

[70] Adam lit Hérode : il a probablement raison.

[71] Plane. Je conserve ce mot, que Cicéron a aussi latinisé, pour désigner un homme adroit, qui en impose par ses ruses et ses prestiges, ou par des équivoques

[72] Ou, se gorgent-elles sans s'enivrer ? Ineptie.

[73] Plat jeu de mots sur les divers sens du mot katallatestkai, se changer, être échangé, ou hors de soi par colère.

[74] Cet endroit mérite d'être remarqué.

[75] Ms. A, porte Philippe. Tous ces farceurs sont inconnus.

[76] Ce manuscrit porte ici, horos oikoumenees, pour hoti, etc.; mais j'ignore ce qu'il veut indiquer. Est-ce le reste d'une phrase qui a disparu ? Je le crois. Au reste, Athénée semble parler ici d'après Pline, l. 3, c. 6.

[77] D'Alexandrie. Voy. un discours latin prononcé à Deux-Ponts, Biponti, par Jean-Philippe Crollius en 1721. Ma mémoire assez heureuse, et sur laquelle je me fie quelquefois, m’a manqué ici. J’ai retrouvé ce discours dans mes cartons, où je l’avais laissé depuis longtemps. Je l’indique précisément, parce que c’est le seul morceau intéressant que nous ayons sur le musée d’Alexandrie.

[78] Bacchus Médecin. Voy. Vink., Amœnit. philolog.

[79] Ceci est pris de Plutarque : Sympos. comme beaucoup d'autres passages dont Athénée n'avait probablement pas les originaux. Macrobe y a puisé aussi une grande partie de ses Saturnales.

[80] Je lis eulyton. Les leçons de Casaubon sont de pures inepties. Il est certain que l'acide du vin soutient le ton et le jeu des poumons, et rend ainsi la chaleur plus supportable. On a donné un sage avis aux moissonneurs, en leur disant de jeter un peu de vinaigre dans l'eau dont souvent ils se gorgent.

[81] Voyez ce que j'ai dit dans un assez long chapitre sur les bains, Traité des maladies des enfants, de M. Underwood; et Stuck, antiquit. conviv.

[82] Ceux de l'Egypte et de Provence sont excellents.

[83] Plusieurs anciens suivent cette tradition. La véritable est que Tantale n'osait ni boire ni manger, de peur d'être écrasé par la roche qui le menaçait.

[84] Je lis ici meldomenou. Il est étonnant que cette erreur ait échappé à Clarke, comme aux autres. Casaubon n'y pense pas non plus.

[85] Rhodigin me ferait croire qu'il faut ici attalikas. Voyez ses détails, l. 7, c. 9 et 10; l. 11, c. 1.

[86] Rouge brillant, non chargé. Texte enereuthes, qu'il faut distinguer d’exertuthes, rouge chargé, sombre.

[87] Voy. Baccius, Traité des vins ; les Géoponiques, Dioscoride, Plin. l. 14, c. 8, sur ce mélange.

[88] Le Lexique de Gorrée, au mot oinos, et surtout Baccius, me dispensent de tout commentaire sur cet article des vins.

[89] Urbain ou urban. Texte, oulbanos, changeant r en l, comme plus bas, barbinos pour balbinos. Casaubon se garde bien de rien dire de cet endroit obscur. Je crois qu'il s'agit de l’urbana colonia de Pline, l. 14, c. 6. Voy. Hardouin, l. 1, p. 715, not. 15. Daléchamp traduit faustianum; c'est au moins dire quelque chose de vraisemblable.

[90] Je conserve la leçon du texte, toute fautive qu'elle paroisse. Comme ce long passage ne se trouve plus dans les écrits que nous avons de Galien, et que d'ailleurs l'auteur compte parmi les vins d'Italie, selon l'abréviateur, des vins qui n'en sont pas, ne peut-on pas présumer que ce vin ouetère serait celui que Pline, l. 14, c. 6, n° 5, nomme le vin de bœterre, ou le muscat de Béziers. Voy. Hard. et M. Brotier. La ressemblance des mots me conduit à cette conjecture ; car on sait que les Grecs rendaient le B latin par la diphtongue OU.

Casaubon dit qu'il a trouvé ouestinos. Je n'en crois rien : c'est ici un mot de sa forge, comme bien d'autres ailleurs ; ce dont j'ai les preuves suffisantes. Il dit vrai quand il présente ouenteros. Je lis dans mon manuscrit ouenternos, d'où Daléchamp a pu faire, avec probabilité, veliternos, vin de velitre, selon son manuscrit.

[91] Barbin pour Balbin, ou vin de Babie. Voy. Pline, ib.

[92] Je n'ai osé changer ce mot en helvolos ou helvolus latin. Le raisin helvolus, ainsi appelé de sa couleur, comme dit M. Brotier, d'après Columelle, ab helvo colore, c'est-à-dire, selon Pline, l. 14, c. 2, medio inter purpureas nigrasque (uvas), donnait un vin paillet. Mais ne s'agirait-il pas du vin de ce raisin que Pline appelle albuelis? Ib. p. 710, Hard. Je pencherais pour ce sentiment : autrement ce sera un vin de Sicile, si l'on conserve le mot grec à la lettre.

[93] Ou Potulan.

[94] Ou du blé.

[95] Texte, la Libye fournit, etc.

[96] Texte, fournit des, etc.

[97] L'auteur parlera de ce jeu. Voy. Meursius, livre cité.

[98] Vin jeté en jouant au cottabe, de sorte qu'il fit du bruit.

[99] Lacune dans ce morceau.

[100] Un homme très instruit, m'a assuré avoir tenu d'anciens fragments de vases étrusques, où il y avait de l'or très épais incrusté. Mais j'en ai vu un où il y avait du mica qui était encore fort brillant.

[101] Voy. Pline, t. i, l. 14, c. 9, passi genus ;et notes 5, 2, p. 719.

[102] Ce mot signifie celles qui ont célébré les Thesmophores, ou les fêtes de Cérès législatrice : titre que donnait ce Démétrius à la pièce retouchée d'Aristophane. Le titre de la première est, celles qui célèbrent, etc. Casaubon a beaucoup disserté dans son énorme commentaire sur ces pièces retirées du théâtre, et remises après avoir été corrigées; mais Aristophane instruit mieux lui-même ceux que Casaubon croit plus ignorants que lui, et qu'il a la charité de vouloir enseigner

[103] Ce passage est un peu plus étendu ailleurs. Je suis mon manuscrit et les imprimés.

[104] Pulpe du concombre sauvage, qu'ils faisaient bouillir dans l’eau pour cet arrosement. Cette pulpe, ou son extrait, est une drogue qui cause des tranchées horribles.

[105] Voy. Brisson, de Regn. Pers. Plutarq. Thémistocle.

[106] Villes inconnues ailleurs.

[107] Vin de Mère-goutte.

[108] Qui a une odeur de fleurs. Ce vin est décrit un peu plus loin. Voyez Gorrée, aux mots oinos saprias.

[109] Ou poissonneuse. C'est aussi ce que signifie le mot Phénicien Icar. Voy. Bochart, Géogr. Sacr.

[110] C'est-à-dire, l’une de la quantité du fucus, l'autre de celle des coquillages nommés Lepas. Mon manuscrit porte Lepadousai.

[111] Daléchamp a sans doute vu pax ! exclamation, dans son manuscrit, comme je le trouve dans le mien. La correction de Casaubon suppose ici Péparèthe. Qu'il le garde, en attendant qu'on le prouve.

[112] Espèce de vigne, qui, selon son nom, doit être de celles dont Pline dit, t. i, l. 14, c. 1, herbarum modo vagantur per arva ; ce qui la distingue de l’orthampelos ou droite, et de l’anadendrite qui grimpe sur les arbres.

[113] Polas et Polis Pollis dans Pollux. Adam indique cet écrivain, pour faire voir la méprise de notre abréviateur. Retenez pollios dans le texte, et conférez Pollux, l. 6, n° 16, et les notes.

[114] Plutarque, dit Adam, veut expliquer ce proverbe ; mais ses détails sont insuffisants. Voy. Quœst. Græc.

[115] Adam se trompe en rappelant ici althepus, de Pausanias.

[116] Lectous dans mon manuscrit.

[117] Hardouin interprète par ce mot le diachyte de Pline, t. II, l. 14, c. 9, p. 719. Pline explique au long comment se fait ce vin.

[118] C'est-à-dire, selon ce que je présume, vin qui doit se boire la même année, entos tou autou etou. D'autres disent pur, sans mélange, ou du pays.

[119] Vin des coteaux de Thurium. Le raisin ne se recueillait qu'après les premières gelées. Voy. Pline, t. I, l. 14, c. 3, p. 711.

[120] Est-ce une raillerie contre le poète Amphis?

[121] Théophraste dit ateknousas. Voyez Théophr. Bod a St. l. 9, c. 20, Pline favorise notre texte, l. 14, c. 18. Théophr. paraît plus vrai.

[122] Voy. Gorrèe, Lexic.

[123] Il ne faut pas confondre le myrtite avec le myrrhin. On met infuser dans l'un des baies de myrte, pour en calmer la violence : voilà pourquoi la fable dit que Faune, le même que Bacchus, fouetta Fatua, sa femme, avec une poignée de myrte, jusqu'à la faire expirer, parce qu'il l'avait trouvée ivre; l'autre était aromatisé avec de la myrrhe. Voy. Baccius et Gorrée sur ces vins. Cependant Jules Scaliger, ibid., prétend que par myrrhin il faut aussi entendre le vin de myrte. Ses raisons paraissent sensées, et autorisées par ce passage, quoique Dioscoride, l. 5, c. 6, et ailleurs, Pline, l. 14, c. 13, m'empêchent d'être de son avis. Ce vin myrrhin a pris son nom de la petite quantité de myrrhe qu'on y jetait, comme principal aromate. Voy. cependant Saumaise Solin. et Junius index.

[124] C'est-à-dire, qu'il se développe un gaz qui réside quelque temps dans le colon, et se fait ainsi sentir par des borborygmes dans les deux hypochondres, pour sortir ensuite par des vents. Il faut un peu aider les anciens dans leurs interprétations sur l'économie animale.

[125] Voy. Baccius, Pline, Dioscoride, Géoponic.

[126] Lisez donc dans Virgile ariusia, et non arvisia.

[127] Voy. Stuck, antiq. conviv. Autocrates, à la lettre, est le vin qui tient toute sa qualité de lui-même, sans mélange, ou un vin qui n'est pas détrempé : Isocrates est celui qui est mêlé avec quantité d'eau. Isos, isoo pinomenos, dit Hippocrate.

[128] Le gaz.

[129] Voyez sur ce mélange, Baccius, Pline, Dioscoride, Géoponic.

[130] Galien écrit albate. Gorrée dit que ce nom est corrompu dans différents auteurs, et qu'on le trouve désigné par sybate, abate, anabate; ce qu'il est bon d'observer.

[131] Je lis ici athalassiois, terme dont se sert Dioscoride. Adam avait senti cette correction : Pursan prenait le sens de Daléchamp, et il est très soutenable. Deux lignes au-dessous, dans le texte, je lis too men chioo 3 etc.

[132] Ou circonscrite. Casaubon lisait mal perieleiphthee ; mais mon manuscrit est plus exact, perieileephthee.

[133] Athénée étant Egyptien, citait peut-être ce passage pour éviter le reproche d'avoir loué les vins de sa patrie.

[134] Depuis les milliers d'années que la terre existe, il y a eu de la vigne dans plusieurs des pays chauds du globe. On en a trouvé en Amérique dont le tronc égalait celui de très gros arbres : ainsi elle était extrêmement vieille. Voyez, sur de très vieilles vignes, M. Brotier, Pline, l. 14, c. 1, not. 1.

[135] Ce trait est rapporté par plusieurs écrivains, qui n'en sont pas plus croyables.

[136] Assoupissement qui, vu la stupeur, tient à certains égards de la léthargie. Mais l'observation d'Aristote est fausse.

[137] Casaubon appelle quelque part Daléchamp Tirésias ; mais il aurait pu ici s'appliquer cette épithète, en laissant passer cet endroit corrompu malgré tout le gâchis qu'il fait. Je lis donc, comme tous les gens instruits liront : kai polloi heautous katakheuasomenoi amethystous, prolambanousi. Le sens est clair, évident. Casaubon, selon Dioscoride, devait prendre du chou pour s'en frotter les yeux, l. 2, c. 146.

[138] C'est aussi le conseil de Dioscoride, ibid.

[139] Je lis hjmeisde ; mais vous autres étrangers, etc.

[140] Voy. Théophr. Hist. l. 4, ch. 20.

 

FIN DU LIVRE QUATRIÈME.