INTRODUCTION
Ce
traité n'a été admis que fort tard dans la collection hippocratique ; ni Érotien,
ni Galien ne le mentionnent ; Gruner (Censura, p. 82-4) le rejette comme
apocryphe, et son origine reste pour moi fort obscure. Pierer (Bibl. iatr., t. 1er,
p. 42) va sans doute trop loin quand il prétend que le traité du Médecin
a été rédigé après la division de l'art en médecine et en chirurgie,
c'est-à-dire é l'époque où florissait l'école médicale d'Alexandrie, ainsi
que Celse le témoigne. On peut répondre é cette assertion que la division de
l'art est bien admise en fait dans le Médecin, mais qu'elle n'y est pas
formulée en principe ; que les connaissances. chirurgicales dont l'auteur fait
preuve ne sont pas assez éloignées de l'école hippocratique pour qu'on puisse
admettre pour le traité qui nous occupe une époque comparativement aussi récente;
enfin que l'ionisme est trop pur pour qu'il ait pu être imité par quelque
faussaire, ainsi qu'il a été fait pour les Lettres.
Le titre ne répond pas au contenu de cet opuscule, qui serait mieux intitulé
du Chirurgien que du Médecin, mais il faut savoir que le mot Þatrñw
est demeuré chez les Grecs avec sa signification primitive, qui était de
qualifier tous ceux qui traitaient les maladies avec ou sans le secours de la
main. De même, jusqu'à l'école d'Alexandrie, le mot
Þatrik®
fut
exclusivement employé pour désigner tout ce qui concernait l'art dé guérir.
Le Médecin a été rédigé en faveur des commençants ; il ne contient
que les éléments de la science; car « les notions plus élevées exigent pour
les comprendre une connaissance approfondie de la médecine, et ne sont à la
portée que des individus déjà fort avancés dans cet art. » Mais l'auteur
prend soin de renvoyer fréquemment à d'autres écrits où il a parlé plus
amplement des matières chirurgicales : le traité qui nous reste n'est donc
qu'un faible débris d'un grand travail assurément très regrettable pour
l'histoire et peut-être pour la pratique de l'art. Ce fragment, que les âges
ont respecté, n'en offre pas moins un grand intérêt pour les amateurs de
l'antiquité.
Après avoir rappelé les qualités extérieures que doit posséder e médecin,
et s'être arrêté sur la disposition de son Officine, l'auteur enseigne
comment il faut appliquer les bandages et faire les incisions ; puis il indique
les deux espèces de ventouses en usage de son temps, et explique la manière
dont elles agissent ; vient ensuite une description de la saignée; description
assez obscure et incomplète, mais fort précieuse à cause de son ancienneté.
Je signalerai encore ce qui est dit de la chirurgie des abcès, de la
classification des ulcères et de leur mode de pansement. Cette chirurgie
antique s'éloigne en beaucoup de points de la nôtre, néanmoins elle a consacré
bien des principes et des procédés qui n'ont pas vieilli. Le traité du Médecin
est terminé par quelques réflexions sur les plaies par armes de guerre, et sur
l'importance qu'il y a à bien reconnaître les symptômes propres aux blessures
faites par chaque espèce d'armes en usage.
DU
MÉDECIN
1.
CET écrit est la règle de conduite du médecin et lui enseigne la manière de
disposer son officine. Il est de règle pour un médecin de conserver, autant
que sa nature le lui permet, le teint frais et de l'embonpoint ; car le vulgaire
s'imagine qu'un médecin qui n'a pas ainsi une bonne apparence ne doit pas bien
soigner les autres. Il faut qu'il soit propre sur sa personne, qu'il ait un vêtement
décent et des parfums suaves dont l'odeur ne soit désagréable pour personne;
car cela plaît beaucoup aux malades ; il doit rechercher cet esprit de modération
qui ne consiste pas seulement dans le silence, mais encore dans une vie
parfaitement réglée ; en effet, rien ne contribue autant à la bonne réputation.
Il doit joindre de belles manières à des mœurs douces ; et s'il se montre
tel, il passera aux yeux de tous pour un homme respectable, pour un philanthrope
et pour un observateur des convenances. Les malades ne font aucun cas de trop
d'empressement et de trop de promptitude à agir (bien que ce soit tout à fait
dans leur intérêt) ; le médecin doit donc veiller à son autorité, car les mêmes
offices rendus aux mêmes personnes, gagnent du prix en raison de leur rareté.
Quant à son extérieur, le médecin doit avoir le visage grave sans dureté ;
autrement il paraîtrait arrogant et misanthrope. D'un autre côté , celui qui
s'abandonne à un rire immodéré et à une gaîté excessive devient
insupportable ; aussi doit-il grandement éviter ce défaut. Que la justice
accompagne le médecin dans toutes ses relations ; la justice doit, en beaucoup
de circonstances, lui offrir un ferme appui, car il a de nombreuses et étroites
relations avec ses malades : en effet ils s'abandonnent sans réserve entre ses
mains ; à toute heure il est en rapport avec les femmes., les jeunes filles, en
contact avec les objets les plus précieux. Au milieu de tout cela, il doit
rester maître de lui-même. Tel doit être le médecin et pour l'âme et pour
le corps. Quant aux préceptes qui concernent l'exercice de l'art médical, préceptes
à l'aide desquels il est possible de devenir artiste, il convient de présenter
d'abord dans leur ensemble ceux par lesquels le médecin devrait commencer son
instruction ; or , tout ce qui se fait dans l'officine est à peu près du
ressort des étudiants.
2. Il faut d'abord que le médecin choisisse pour son habitation un lieu
[convenable], et il le sera s'il n'y souffle aucun vent incommode, si le soleil
ou une lumière vive ne s'y fait pas sentir d'une manière fâcheuse ; une lumière
éclatante n'est pas nuisible pour les médecins, mais il n'en est pas de même
pour les malades; on doit absolument éviter la lumière éclatante, laquelle
cause les maladies des yeux. Il est donc de précepte qu'il en soit ainsi, afin
qu'elle ne vienne jamais frapper directement sur les yeux ; car cela nuit
beaucoup à ceux qui ont la vue faible, et la moindre cause suffit pour troubler
les yeux faibles ; telle est la manière de ménager la lumière. - Que les sièges
soient autant que possible d'une hauteur égale, afin qu'ils soient commodes
pour les malades. - Que le médecin ne se serve d'airain que pour ses
instruments, car il me semble que c'est d'une coquetterie insupportable que de
se servir d'ustensiles de ce métal. - Qu'il donne à ceux qu'il traite de l'eau
bonne à boire et pure. - Que les linges à absterger soient propres et mollets
; qu'il ait pour les yeux , des compresses ; pour les blessures, des éponges);
car toutes ces choses sont par elles-mêmes d'un grand secours. - Tous ses
instruments doivent être appropriés à leur usage, et pour la grandeur, et
pour le poids, et pour leur délicatesse. Il veillera à ce que tout ce dont il
se sert soit parfaitement convenable, et particulièrement ce qui doit être en
contact avec les parties malades : tels sont les bandages, les drogues, les
compresses qu'on met autour des plaies et les cataplasmes ; car toutes ces
choses séjournent longtemps sur les parties malades. D'un autre côté, lever
l'appareil, rafraîchir, nettoyer les plaies, faire des fomentations, tout cela
doit être exécuté en peu de temps. Quand il s'agit de faire quelque chose, il
faut considérer le plus ou le moins, car le bon emploi de ces deux choses est
propice ; mais, si on les néglige, il en résulte de grands dommages.
3. Il y a en médecine une espèce particulière de bandage dont le médecin
peut se servir avec utilité ; car ce bandage présente deux grands avantages
dont il faut savoir user, c'est de pouvoir comprimer ou serrer plus légèrement
suivant qu'il est nécessaire. - C'est d'après les différentes époques de
l'année qu'il faut se régler pour couvrir ou découvrir la partie malade ;
cependant on doit faire en sorte de ne pas se laisser tromper par la faiblesse
de la partie et de ne pas rester embarrassé sur ce que l'on doit faire. Il faut
faire peu de cas des bandages recherchés, qui, sans avoir en eux-mêmes aucune
utilité, ne sont bons que pour l'ostentation. Tout cela est insipide, sent le
charlatanisme, et souvent même nuit à celui qui est en traitement ; en effet,
le malade ne demande pas d'ornement, mais du soulagement.
4. Pour les opérations chirurgicales qui se font par le fer et par le feu, la
vitesse et la lenteur sont également recommandables [suivant les cas], car on a
besoin de l'une et de l'autre. Toutes les fois que l'opération ne consiste que
dans une seule incision, on doit faire cette incision promptement, car ceux que
l'on opère ressentent de la douleur, et il faut que cette douleur dure le moins
de temps possible ; c'est ce qui arrivera si l'incision est rapide ; mais quand
il est nécessaire de faire plusieurs incisions, l'opération doit se pratiquer
avec des temps d'arrêt, parce qu'une opération faite d'un seul coup cause une
douleur vive et continue : au contraire , si on laisse des intervalles , on
donne quelque relâche aux malades.
5. Voici ce qu'il faut dire au sujet des instruments : nous recommandons de ne
pas se servir indifféremment pour toutes les parties du corps de lancettes aiguës
ou de lancettes larges ; car il y a telle partie dans le corps d'où le sang s'échappe
si vite qu'il est difficile de l'arrêter : telles sont, par exemple, les
varices et certaines autres veines, sur lesquelles on ne doit pratiquer que de
petites incisions, car il est alors impossible que le sang coule trop
abondamment ; et il est quelquefois utile de tirer du sang de ces veines ; mais
pour les autres parties où il n'y a point de danger, et où le sang n'est pas
trop subtil, il faut se servir do larges lancettes. De cette manière le sang
coulera ; autrement il ne sortirait point du tout ; or il est très honteux de
ne point obtenir dans une opération ce que l'on veut.
6. Nous disons qu'il y a deux sortes de ventouses en usage ; lorsque la fluxion
est rassemblée en un point fort éloigné de la superficie des chairs, il faut
que la ventouse ait le col étroit, mais qu'elle ait un large ventre, qu'elle ne
soit pas allongée du côté que la main saisit, et qu'elle ne soit pas pesante.
Les ventouses de cette espèce attirent en droite ligne et amènent parfaitement
vers la superficie des chairs les humeurs éloignées. Lorsque le mal est répandu
à travers les chairs, la ventouse, semblable du reste à celle qui vient d'être
décrite, doit avoir le col large. Avec cette forme elle attirera de tous côtés
les humeurs nuisibles au point convenable. On ne regarde pas le col d'une
ventouse comme large, s'il ne peut embrasser une grande étendue de chairs ;
quand elle est pesante, elle abaisse les parties superficielles et attire trop
puissamment des parties profondes, et de cette manière on laisse souvent
subsister le mal. Donc, dans les fluxions profondes et éloignées des parties
superficielles, des ventouses à large col attirent beaucoup du reste des chairs
; il en résulte que l'humidité attirée de ces parties s'oppose à la sortie
de l'ichor qui vient de plus bas, en sorte que l'humeur malsaine reste, et que
celle qui n'est pas nuisible est enlevée. Quant à la grandeur des ventouses,
on la déterminera d'après les parties du corps sur lesquelles on veut les
appliquer. Lorsqu'il est nécessaire de scarifier, il faut le faire profondément,
car le sang doit sortir des parties sur lesquelles on opère. Autrement [si on
ne veut pas extraire de sang], on ne touchera pas au rond que la ventouse a élevé,
car la chair de la partie malade est trop tendue [ pour qu'en la touchant on
n'en fasse pas sortir le sang]. On se servira de lancettes convexes qui ne
soient pas trop étroites de la pointe, car il vient quelquefois des humeurs
gluantes et épaisses, et il est à craindre qu'elles ne s'arrêtent au passage
quand l'ouverture est trop petite.
7. Quant aux veines des bras, il convient de les maintenir par des ligatures.
Souvent, en effet, la chair qui couvre la veine n'est pas bien unie avec elle,
en sorte que la chair venant à glisser, les deux ouvertures [celle de la peau
et celle de la veine] ne répondent plus l'une à l'autre, et il arrive alors
que le vaisseau se gonfle sous les chairs dont il est recouvert, que le sang ne
peut plus s'écouler au dehors, que, par suite, dans beaucoup de cas, il se
forme du pus. Aussi une telle opération produit évidemment deux inconvénients;
de la souffrance pour celui qui est opéré, et un grand discrédit pour l'opérateur.
Le même précepte s'applique à toutes les veines. Tels sont les instruments
qui doivent nécessairement trouver place dans l'officine, et que l'élève doit
s'habituer à manier habilement. Tout le monde peut se servir des instruments à
arracher les dents et à inciser la luette, car l'emploi paraît en être très
simple.
8. Quant aux abcès et aux ulcères, ce sont de graves maladies. Il faut
beaucoup d'art pour reconnaître les abcès dès leur début, pour les dissoudre
et pour les empêcher de se former en collection. Mais quand ils sont arrivés
à ce point, on doit les faire aboutir à un endroit visible et de peu d'étendue,
et amener la collection à un degré égal de maturité dans tout l'abcès. Car
s'il n'est pas également mûr, il est à craindre qu'il ne crève et qu'il ne
se forme un ulcère très difficile à guérir. Il faut. donc rendre la matière
homogène par une coction uniforme, et ne pas ouvrir l'abcès avant le temps, ni
le laisser s'ouvrir spontanément. Nous avons indiqué ailleurs ce qui procure
une coction égale.
9. Les ulcères semblent avoir quatre directions différentes : les uns se
portent vers la profondeur des parties ; ce sont les ulcères fistuleux, et tous
ceux qui, recouverts d'une cicatrice, sont creux au dedans ; les autres se
montrent à la surface des chairs : ce sont les ulcères avec carnosités. Une
troisième espèce s'étend en largeur : ce sont les ulcères serpigineux ; il
en est une quatrième espèce, et c'est la seule dont la marche paraisse
conforme à la nature. Tels sont les accidents qui arrivent aux chairs. Le même
mode de traitement convient à tous. Ailleurs nous avons exposé leurs signes et
la manière de les traiter. Les moyens de dissoudre tout abcès, qu'il soit
plein, vide ou étendu en largeur, ont été indiqués dans d'autres ouvrages.
10. Voici ce qui en est des cataplasmes. Apportez beaucoup de soin pour les
compresses quand il est besoin de les appliquer sur les parties malades.
Proportionnez la compresse à l'ulcère ; appliquez le cataplasme tout autour de
l'ulcère ; celte manière d'employer le cataplasme est conforme aux règles de
l'art et d'une très grande efficacité. La vertu des substances médicamenteuses
placées autour de l'ulcère paraît être de favoriser sa guérison et de
maintenir la compresse ; quant au cataplasme, il soulage les parties extérieures
de l'ulcère. Telle est la manière de se servir de ces remèdes. Quant à
l'opportunité pour l'emploi de chacun, quant à la connaissance de leurs propriétés,
nous devons abandonner toutes ces considérations comme exigeant [pour les
comprendre] une connaissance approfondie de la médecine, et comme n'étant à
la portée que des individus déjà fort avancés dans cet art.
11. A ce que nous venons de dire se rattache la chirurgie des blessures reçues
à la guerre, et ce qui regarde l'extraction des traits. On a fort peu
d'occasions de s'en occuper dans l'intérieur de nos villes ; car, à toutes les
époques, il est rare qu'il y ait au sein des villes de véritables guerres ;
mais ces accidents [les blessures par armes de guerre] arrivent souvent,
continuellement même dans les expéditions contre les ennemis du dehors. Aussi
celui qui veut devenir bon chirurgien doit s'enrôler et suivre les armées qui
vont faire la guerre contre les ennemis : c'est ainsi qu'il deviendra très
exercé dans cette branche de l'art. - Je vais indiquer sur cette matière ce
qui me paraît réclamer le plus d'art : bien reconnaître les symptômes
propres [aux blessures] faites par chaque espèce d'arme en usage est la partie
la plus importante de l'art et en particulier de cette partie de la chirurgie.
Avec ces connaissances, on ne laissera jamais, faute de connaître son mal, un
blessé qui n'aurait pas d'abord été pansé convenablement. Celui-là seul qui
se sera exercé à apprécier la valeur des symptômes le traitera suivant les règles
de l'art. - Mais toutes ces choses ont été exposées dans nos autres ouvrages.