INTRODUCTION.
"CET
ouvrage, dit P. Martian, me semble surpasser par la fécondité de la doctrine,
par l'érudition et par l'éloquence, tous les autres écrits d'Hippocrate. En
effet, les connaissances qu'il renferme ne sont pas seulement nécessaires à
ceux qui pratiquent la médecine ; elles sont encore très utiles à ceux qui
cultivent l'histoire, la cosmographie et la politique. L'auteur a établi dans
ce traité des principes si solides pour l'étude de toutes ces sciences, qu'il
semble avoir jeté leurs premiers fondements. La gravité ordinaire du langage
d'Hippocrate prend une grâce et un charme inaccoutumés. Il ne faut donc pas
s'étonner que tant d'illustres savants aient consacré leurs veilles à
l'étude de cet admirable traité."
De longs et importants commentaires ont été faits sur cet écrit. Je ne parle
point de celui de Galien, que nous avons perdu, et dont nous n'avons plus que
des fragments reproduits par lui dans ses autres ouvrages. (Voir la Notice
bibliographique en tête du volume.) Je ne parle point non plus du commentaire
de L. Septalius, rempli d'excellentes explications et de précieux
renseignements ; et j'arrive à la grande édition de Coray. La réputation de
ce travail est faite et je n'ai garde de la diminuer en rien. Coray était un
philologue consommé ; et c'est peut-être dans cette édition qu'il a montré
le plus de sagacité et de prudence pour la correction du texte. Ses notes
purement philologiques, sont des modèles de critique littéraire et méritent
des éloges sans réserve ; mais Coray n'étant pas versé dans les sciences
physiques et naturelles n'a pu rapprocher d’une manière satisfaisante les
connaissances scientifiques d'Hippocrate de celles des anciens et des modernes ;
aussi, sous ce point de vue, n'a-t-il pas mis dans tout son jour le traité
des Airs, des Eaux et des Lieux, et n'en a-t-il pas éclairci toutes les
parties. Il reste donc encore à faire pour notre époque ce que Coray a fait
pour la sienne. Un excellent modèle vient de nous être offert dans les Études
scientifiques et philosophiques récemment publiées par M. Th.- H. Martin, sur
le Timée de Platon. Celui qui pourrait le mieux suivre ce modèle est
assurément celui qui l'a créé ; et je ne saurais trop engager M. Martin à
mettre son talent au service d'Hippocrate comme il l'a mis à celui de Platon,
et à faire du traité des Airs, des Eaux et des Lieux comme un centre
des connaissances scientifiques de l'école de Cos, qui résume en elle celle
des âges antérieurs, et qui contient en germe, sinon par l'explication, du
moins par l'observation des faits, presque toutes celles des temps qui la
suivirent. Quant à moi, il n'entre pas dans mon plan, et il serait absolument
au-dessus de mes forces, de combler cette lacune, d'approfondir toutes les
matières traitées dans l'immortel ouvrage qui nous occupe ; qu'il me suffise,
dans cette Introduction, d'indiquer les traits principaux du système médical
et du système de géographie politique qui constituent le fond de ce traité,
et, dans les notes, de faire ressortir quelques-uns des points les plus
intéressants, ou les plus obscurs, d'astronomie, de météorologie, de
physique, de chimie même et de géographie descriptive, qui forment en quelque
sorte les premiers éléments et comme la base de ce double système.
Le traité des Airs, des Eaux et des Lieux se divise en deux grandes
sections : la première est consacrée à l'étude des influences extérieures
sur l'organisme ; la seconde, à l'étude de ces mêmes influences sur les
facultés morales de l'homme, sur les institutions des peuples et le caractère
des nations. Hippocrate a mis en tête de son ouvrage une introduction dans
laquelle il établit la nécessité et l'importance des topographies médicales,
et indique en quoi elles doivent consister. Le médecin considérera : 1°. les
saisons dans leurs révolutions régulières et dans les vicissitudes ou
intempéries que chacune d'elles peut éprouver pendant son cours ; 2° les
vents partagés en ceux qui sont communs à tous les pays, et ceux qui règnent
plus particulièrement dans une contrée ; 3°. les qualités des eaux ; 4°. la
situation de la ville dans laquelle il vient exercer pour la première fois ;
5°. enfin il s'informera du régime des individus qu'il aura à soigner ; et,
par régime, il ne faut pas seulement comprendre les aliments solides et les
boissons, mais, comme l'auteur l'explique lui-même en partie, § Ier, in fine,
le genre de vie tout entier.
Toute l'étiologie hippocratique est donc résumée dans ces premières lignes
de l'introduction ; on la trouve encore plus explicitement formulée dans le
passage suivant, du traité de la Nature de l'homme : "Les maladies
naissent les unes du régime, les autres de l'air que nous introduisons en nous
et qui nous fait vivre. On reconnaîtra, de la manière suivante, l'une et
l'autre espèce de maladies : quand plusieurs individus sont attaqués en même
temps par une même maladie, il faut penser que la cause est commune, et qu'elle
tient à quelque chose dont tout le monde use ; et, ce quelque chose, c'est
l'air que nous respirons. Car il est évident que le régime particulier de
chacun ne saurait être la cause d'une maladie qui s'étend sur les jeunes, sur
les vieux, sur les hommes et sur les femmes, sur ceux qui boivent du vin, sur
ceux qui boivent de l'eau, sur ceux qui mangent du gâteau d'orge, sur ceux qui
mangent du pain de froment, sur ceux qui se fatiguent beaucoup, sur ceux qui se
fatiguent peu. On ne saurait donc s'en prendre au régime puisque tant
d'individus qui en suivent de tout à fait opposés sont atteints de la même
maladie. Au contraire, lorsque, dans le même temps, il naît des maladies de
toute espèce, il est bien évident que le régime est la cause individuelle de
chacune d'elles, et qu'il faut instituer un traitement opposé à la cause
apparente de la maladie, comme je l'ai dit ailleurs, et changer le régime (1)."
Hippocrate, ne s'occupant dans le traité des Airs, des Eaux et des Lieux que
des maladies produites par les influences extérieures, les a divisées en
maladies endémiques (¤pixÅria,
vernaculi morbi) et en maladies communes à tous (générales) (p‹gkoina
simplement koin‹)
; ces dernières répondent assez bien à celles que nous appelons
épidémiques, que le mot ¤pidhmeÝn
ne représente pas dans ce traité, car il est appliqué aux maladies
endémiques. Il n'a pas manqué de présenter le côté pratique de ces études
météorologiques et climatologiques : elles apprennent suivant lui à prévoir
quelles maladies doivent régner pendant chaque saison et pendant l'année tout
entière, et par conséquent à se préparer contre elles ; elles servent aussi
à guider le médecin dans le traitement des maladies présentes ; et, comme si
l'auteur craignait encore de n'être pas suffisamment compris, il résume toutes
les conséquences pratiques des études de météorologie et d'astronomie
médicales dans cette phrase qui termine son introduction : "L'état des
cavités change chez les hommes avec les saisons" Cette phrase et beaucoup
d'autres qui n'en sont que le développement, montrent encore qu'Hippocrate ne
s'est pas seulement arrêté à constater d'une manière tout empirique
l'influence des agents extérieurs pour la production des maladies, mais qu'il
s'est efforcé d'expliquer, avec les connaissances physiologiques et anatomiques
de son temps, la manière dont ces causes agissent pour faire naître tel ou tel
état morbide.
Le traité des Airs, des Eaux et des Lieux n'est pas un fait isolé dans
la collection hippocratique ; il représente tout un côté de l'étiologie
générale de l'école de Cos, dont l'autre se trouve développé dans le
traité de l'Ancienne médecine. Nous y voyons tout ensemble comment
cette école envisageait l'homme physique et moral dans ses rapports avec les
influences extérieures, et quelle tendance invincible elle avait à s'attacher,
dans l'étude de la nature et de l'homme ; bien plus aux ensembles qu'aux
détails dans lesquels l'école moderne a concentré toutes ses forces, et dont
elle a voulu tirer tous ses principes.
Hippocrate considère tout d'abord l'influence de la situation des villes sur
leurs habitants. Ne voulant parler que des conditions les plus tranchées, il a
pris pour exemple les quatre positions diamétralement opposées, celles du
midi, du nord, de l'est, de l'ouest. Pour lui, l'étude d'une localité comprend
l'examen de la surface du sol qui est nu et sec ; boisé et humide ; enfoncé et
brûlé par le soleil, ou élevé et froid ; la considération de l'air, celle
des eaux dont il rattache vaguement, et d'une manière presque entièrement
spéculative, les qualités à la nature des terrains où elles prennent leurs
sources ; mais surtout celle des vents dont il fait, en dernière analyse, la
base unique de sa classification des localités, et qu'il regarde aussi comme la
cause première des influences physiologiques et pathologiques que ces mêmes
localités exercent sur l'organisme.
C'est ici le lieu d'analyser les réflexions si judicieuses que Malte-Brun (2)
a faites sur cette partie du traité des Airs, des Eaux et des Lieux : -
Hippocrate commence son écrit par l'exposé du but qu'il se propose :
"Lorsqu'un médecin, dit-il, arrive dans une ville dont il n'a pas encore
l'expérience, il doit examiner sa position et ses rapports avec les vents et le
lever du soleil, etc." N’est-il pas clair, d'après cette phrase, que
l'intention d'Hippocrate n'était point de composer un traité sur les climats
physiques, traité dont les matériaux n'étaient pas encore rassemblés de son
temps, mais qu'il voulait seulement, par l'exposé de ses observations propres
et locales, indiquer à ses successeurs la route à suivre pour en faire de
nouvelles ? Ce but a été méconnu, ou tout au plus faiblement indiqué par des
commentateurs peu pénétrés de son esprit, et qui ont voulu étendre son
système au delà des limites dans lesquelles lui-mère se renfermait. Ainsi,
ses observations très intéressantes, mais bornées exclusivement aux contrées
qui s'étendent depuis la mer d'Azof jusqu'aux bouches du Nil, et des bords de
l'Euphrate aux rives de la Sicile, ont été changées en généralités fausses
et dangereuses. En voici la preuve : ce qu'Hippocrate dit de l'exposition aux
vents chauds ne peut s'appliquer qu'aux côtes méridionales de la Grèce et de
l'Asie-Mineure, où les vents du midi règnent habituellement, où les eaux sont
saumâtres et malsaines, comme le témoignent les géographes anciens et
modernes ; mais si l'on applique ces mêmes observations aux côtes
septentrionales de l'Afrique, on les trouvera tout à fait fausses ; car, ainsi
qu'Aristote lui-même l'avait déjà remarqué (3),
les vents du midi y sont froids, et ils le sont parce qu'ils viennent de l'Atlas
; de même à Paris, en Souabe et en Bavière les vents du sud sont souvent
froids, parce qu'ils viennent chargés de la froide atmosphère des montagnes
d'Auvergne et des Alpes. - Il en est de même de l'exposition septentrionale,
qui est loin d'être toujours sèche, comme le dit Hippocrate ; on n'a qu'à
prendre pour exemple les Asturies : ce pays est exposé au nord, mais son climat
est très humide, et il y règne les maladies qu'Hippocrate attribue à
l'exposition méridionale. - Il ne faut pas non plus généraliser la
ressemblance établie par Hippocrate entre l'exposition du midi et celle
d'orient ; en effet, pour ne citer qu'un exemple, elle est fausse si on
l'applique à l'Europe occidentale, où les vents du midi ressemblent à ceux
d'occident, tandis que les vents d'est sont plus froids que ceux du nord,
puisqu'ils arrivent, par la Russie centrale des monts Ourals et des confins de
la Sibérie. - Il n'est pas plus possible d'admettre sa théorie des climats
occidentaux : en effet, pour ne prendre que deux exemples opposés : d'un côté
les Portugais n'ont pas la voix rauque, au contraire, leur langage est
infiniment plus doux que celui des Espagnols, et l'air qu'on respire en Portugal
n'est ni épais ni malsain ; d'un autre les Irlandais, continuellement
tourmentés par les tempêtes venues de l'ouest, bien loin d'avoir le teint
pâle, se reconnaissent au milieu des Anglais, à leur teint vermeil.
"Hippocrate a-t-il donc avancé des choses fausses ? A Dieu ne plaise que
je l'en accuse ! s'écrie Malte-Brun ; mais il a voulu parler uniquement de
certaines contrées de la Grèce ; expliquées dans ce sens local, ces
observations sont justes et profondes. Toutes les cotes occidentales de
l'lllyrie, de l'Épire et du Péloponnèse ont en effet le climat inconstant
qu'Hippocrate compare à l'automne." Ainsi, toutes les observations
consignées dans le traité des Airs, des Eaux et des Lieux, parfaitement justes
et véritablement utiles quand on les interprète dans leur sens propre,
c'est-à-dire bornées à des localités restreintes, deviennent puériles et
même absurdes lorsqu'on veut les étendre, non seulement aux expositions
considérées d'une manière générale, mais à des climats tout entiers.
Voici encore quelques réflexions que Malte-Brun a consignées ailleurs (page
530) sur la comparaison établie par Hippocrate entre les localités et les
saisons : "Si l'on ne considérait, dit-il, les expositions que par
elles-mêmes, en faisant abstraction des autres circonstances, on pourrait, avec
Hippocrate, comparer celles orientales au printemps ; celles du midi à l'été
; celles de l'occident à l’automne ; celles du nord à l'hiver ; car il est
vrai que la constitution la plus commune des climats, sous ces expositions,
répond à celle des saisons auxquelles on les rapporte. Cependant une
comparaison plus exacte et plus significative serait celle avec les points du
jour. Le plus grand froid se fait sentir au grand matin ; ce point correspond à
l'exposition nord-est, qui est la plus froide ; la chaleur augmente jusqu'à
trois heures après midi ; de même les expositions deviennent toujours plus
favorables à la chaleur jusqu'à celle de sud-ouest ; viennent ensuite le soir
et a minuit, points correspondants aux expositions occidentales et
boréales."
Après Hippocrate, l'influence des localités sur la production ou sur le
traitement des maladies a été prise en très grande considération par ses
successeurs immédiats, comme on le voit dans plusieurs traités de la
collection, et notamment au commencement du second livre du traité du Régime,
en trois livres ; tous les médecins anciens s'y sont également arrêtés.
Celse dit, dans la préface de son premier livre, que la médecine doit se
modifier, suivant les pays, et qu'elle ne saurait être la même à Rome, en
Égypte et eu Gaule. Asclépiade avait, reconnu que la saignée était nuisible
dans les pleurésies à Rome et à Athènes, parce que le vent du midi régnait
habituellement dans ces localités, tandis qu'elle était très efficace à
Parium et dans l'Hellespont exposés aux vents du nord (4).
Antyllus, dans le premier livre de son traité de Auxiliis (5)
a consacré un chapitre à l'étude des petites localités considérées en
elles-mêmes. Sabinus (6) a envisagé cette question
sous presque tous les points de vue. On trouve également dans Athénée (7)
des considérations étendues et utiles sur les diverses localités. Galien dit
(8) que la considération des lieux n'est pas moins
importante pour la prognose des maladies que celle de la nature de chaque
individu, de l'âge du genre de vie, de la nourriture, et il invoque à l'appui
quelques exemples généraux. Avicenne (9) a résumé
toutes les observations de ses devanciers, et en a ajouté quelques-unes qui lui
sont propres. Depuis la fin du XVIe jusqu'au commencement du XIXe siècle, les
médecins ont consacré ces doctrines et par leurs écrits et par leur pratique.
Cette observation si vraie et si large de la nature, qui ne demandait qu'à
être de plus en plus éclairée et de mieux en mieux dirigée par les
découvertes et à l'aide des instruments dont la science s'enrichissait tous
les jours, a été violemment combattue par l'école physiologiste, qui n'a plus
voulu voir dans les maladies que le point matériellement lésé, et dans
l'action générale du monde que des éléments isolés. La tendance de l'école
actuelle a notablement modifié cette fatale impulsion imprimée à la médecine
; et l'on commence à comprendre qu'il faut, avec les anciens, observer la
nature et l'homme tels qu'ils sont, et ne pas réduire l'un et l'autre aux
mesquines proportions d'un système exclusif. Déjà les faits se rassemblent de
tous côtés, déjà quelques principes généraux sont posés, déjà quelques
travaux réguliers ont été tentés, et l'on peut espérer que notre époque
arrivera à une démonstration satisfaisante, et à une application
véritablement pratique de la proposition suivante, dans laquelle M. Boudin a
résumé toute la géographie médicale : "De même, dit-il (10),
que chaque pays possède son règne végétal et son règne animal
caractéristiques ; de même il possède aussi son règne pathologique à lui :
il a ses maladies propres et exclusives de certaines autres."
Eaux
de pluie, de neige et de glace ; eaux de grands fleuves, d'étangs.
Cette
classification, plus vraie au point de vue de l'hygiène qu'à celui de la
chimie, est consacrée par les médecins anciens et par la plupart des modernes.
On la retrouve, à de très légères modifications près, dans Celse (12),
Rufus (13), Galien (passim), Athénée (14),
Oribase, Aëtius (15), Paul d'Égine (16),
Actuarius (17), Avicenne (18),
Ambroise Paré (19), Tourtelle (20),
Nysten (21), Guérard (22),
Rostan (23), Londe (24).
Je n'ai point cru devoir accumuler ici les citations, il m'a suffi de renvoyer
aux auteurs qui sont en quelque sorte la personnification des grandes époques
de la médecine, ou qui du moins en résument-le mieux les connaissances.
Revenons maintenant sur quelques particularités relatives aux diverses classes
d'eaux qu'Hippocrate a établies d'après leur origine. Il déclare absolument
mauvaises les eaux de marais, de citernes et d'étangs, et il leur
attribue toutes sortes de propriétés funestes. Les médecins qui ont suivi
Hippocrate ne sont pas aussi explicites que lui sur ce point. Ainsi Galien (25)
commence par excepter de l'interdiction générale les eaux des marais
d'Égypte, affirmant qu'elles sont débarrassées de leurs propriétés
nuisibles par les débordements du Nil ; et il indique ensuite l'ébullition, le
filtrage et la déposition comme moyen de purifier complètement, ou du moins en
partie, les autres eaux limoneuses et marécageuses. Hippocrate ne connaissait
que l'ébullition et la déposition ; encore n'appliquait-il ce procédé qu'aux
eaux de pluie. ( Voir la note 33.) - Quand Hippocrate parle des maladies propres
aux habitants des bords des marais, il ne paraît tenir aucun compte des
effluves qui s'en échappent, et qui contribuent, plus encore que les eaux
ingérées en nature, à produire les maladies et les cachexies, dont il a
tracé le tableau en observateur attentif et éclairé, tableau dont
l'exactitude a été confirmée par tous les médecins modernes (26).
Pour Hippocrate et pour son école presque tout entière, l'impureté de l'air
ne se traduit que parles caractères les plus apparents, c'est-à-dire par les
qualités sensibles : ainsi dans le traité qui nous occupe, il parle de l'air
troublé par le brouillard, de l'air épaissi ; ainsi dans le traité des Humeurs,
il est dit que les odeurs dégagées de la fange et des marais produisent
certaines maladies (27). Ce n'est que dans le traité des Vents que l'on
trouve sur les miasmes (mi‹smata) des idées
purement théoriques il est vrai, mais qui se rapprochent un peu des opinions
modernes. Du reste, tout ce que la science actuelle possède sur la grande et
importante question des miasmes en général et des effluves marécageuses en
particulier, est encore à l'état d'étude, et, sur plusieurs points, elle
manque absolument de données, comme on peut le voir en consultant les articles Désinfection,
Infection et Marais, publiés par M. Rochoux dans le Dictionnaire
de Médecine (tomes X, XVI et XIX).
Je renvoie aux notes 4 et 29 pour les détails sur les eaux de sources et sur
celles qu'on peut rapporter à nos eaux minérales. Je ferai remarquer
seulement ici qu'Hippocrate n'interdit pas complètement ces dernières, il les
conseille même comme agent thérapeutique, et il explique leurs propriétés
par une théorie tout humorale. - Il regarde les eaux de pluie comme
excellentes (28), mais il reconnaît à bon droit
qu'elles se corrompent vite ; il en donne deux raisons : la première, c'est que
les eaux de pluie sont fournies par toutes sortes d'eaux ; la seconde c'est
qu'elles se mélangent [en tombant] à beaucoup de substances étrangères. La
seconde raison est très bonne, car la pluie, dans sa chute, balaye en quelque
sorte les impuretés de l'air ; la première, qui est tout au moins inutile ne
peut soutenir l'examen (29) ; car la vaporisation
est une véritable distillation qui purifie l'eau. Du reste, Hippocrate semble
n'être pas resté d'accord avec lui-même, puisqu'il dit que c'est la partie la
plus subtile et par conséquent la plus pure, et en quelque sorte la
quintessence des eaux qui est enlevée par le soleil. Dans ce traité il n'est
pas parlé des qualités des eaux de pluie suivant les circonstances qui les
accompagnent, ou suivant les saisons dans lesquelles elles tombent. Au sixième
livre des Epidémies, p. 1150, éd. de Foës, il y a bien un texte qui a trait
à ces distinctions, mais il est trop incertain et trop obscur pour que je m'y
arrête, et je renvoie au commentaire de Galien (Com. IV in Epid. VI, t.
XVII, 2e partie, p. 181) et aussi au § 4 de la Meteorologia veterum
d'Ideler ( p. 32 et suiv.).
Je n'ai pas besoin de m'arrêter sur la théorie qu'Hippocrate a donnée de la
formation de la pluie ; elle repose sur l'observation des phénomènes apparents
; elle les comprend tous, mais ne renferme pas leur explication physique ; elle
ne tient surtout aucun compte du rôle que joue l'abaissement de température
dans la condensation des vapeurs. Aristote, au contraire, a très bien saisi ce
point, seulement, comme le remarque Ideler, il n'a pas reconnu que c'est à
l'action des vents qu'est dû cet abaissement de température (30).
Hippocrate tenait compte de l'action des vents, mais il la regardait comme
purement mécanique.
Depuis Hippocrate, les eaux de neige et de glace ont été presque
généralement proscrites par les médecins, qui leur attribuent une grande
influence dans la production de certaines maladies, et particulièrement du
goitre. L'explication qu'Hippocrate donne de ces mauvaises qualités repose sur
un fait physiquement mal interprété, ou plutôt mal observé. "Les eaux
de neige et de glace, dit-il ( p. 203) sont toutes mauvaises. L'eau une fois
entièrement glacée ne revient plus à son ancienne nature, mais toute la
partie limpide, légère et douce est enlevée ; la partie la plus trouble et la
plus pesante demeure ; vous pouvez vous en convaincre de la manière suivante :
pendant l'hiver, versez dans un vase une quantité déterminée d'eau ; exposez
ce vase le matin à l'air libre, afin que la congélation soit aussi complète
que possible, transportez-le ensuite dans un endroit chaud où la glace puisse
se fondre entièrement ; quand elle le sera, mesurez l'eau de nouveau, vous la
trouverez de beaucoup diminuée ; c'est une preuve que la congélation a enlevé
et évaporé ce que l’eau avait de subtil et de léger, et non les parties les
plus pesantes et les plus grossières, ce qui serait impossible. Je regarde donc
ces eaux de neige et de glace, et celles qui s'en rapprochent, comme très
mauvaises pour tous les usages."
"Il me semble évident, dit fort judicieusement M. Gérard (31),
que l'erreur renfermée dans ce passage tient à ce que le vase qui servait à
l'expérience était sans doute entièrement rempli de liquide, dont une partie
se répandait au dehors par suite de l'augmentation de volume qui précède la
congélation ; le glaçon formé remplissait à la vérité le vase, mais il ne
représentait qu'une portion de l'eau employée. - L'eau de glace ne diffère de
toute autre espèce d'eau que parce qu'elle ne renferme pas d'air au montent de
sa liquéfaction ; mais si on a soin de la tenir exposée au contact de ce
fluide elle ne tarde pas à en dissoudre une proportion convenable".
L'explication d'Hippocrate a été adoptée par les anciens, et Aristote l'a
reproduite presque mot pour mot dans un de ses problèmes qu'on ne retrouve pas
dans les éditions ordinaires, mais qui nous a été conservé par Aulu-Gelle (32).
L'influence des eaux mélangées, c'est-à-dire des grands neuves et des lacs
où se déchargent beaucoup de rivières, a été justement appréciée ; elle
est confirmée par les Anciens (33) et par les
Modernes (34) ; Rufus (35)
et Gallien (36) comme Hippocrate, leur
reconnaissent la propriété d'engendrer les calculs vésicaux.
En abordant l'étude de l'influence pathogénique des saisons, Hippocrate
ne s'est pas occupé des maladies dépendant de leur cours régulier, mais
seulement de leurs intempéries (il ne le fait pas non plus dans les Epidémies),
et il donne une attention toute particulière aux changements qui surviennent à
l'époque des solstices, des équinoxes et de la Canicule ; si donc il commence
par indiquer les qualités normales des saisons, c'est pour en faire un point de
départ qui lui permette de connaître et d'apprécier leurs irrégularités.
Toute sa doctrine se réduit à ce principe, savoir que les constitutions
médicales saisonnières ne dépendent pas uniquement des conditions
atmosphériques au milieu desquelles elles se développent, mais encore des
saisons précédentes ; en sorte que la maladie peut être, en quelque sorte,
considérée comme un germe déposé et développé dans l'organisme par une
saison, et amené par une autre à sa période d'évolution. On retrouve ce
principe, mais exprimé d'une manière un peu plus obscure, dans le traité des Humeurs
(éd. de Kacha , t. Ier, p. 131), où il est dit :
"Il faut considérer comment sont les corps quand on entre dans une saison
(37)."
L'explication qu'Hippocrate donne de l'influence des saisons antérieures sur
les maladies des saisons présentes est tout humorale ; elle a été
développée outre mesure par Galien dans ses commentaires et dans ses ouvrages
originaux ; elle a donné naissance à la théorie des constitutions catarrhale
et pituiteuse en hiver, inflammatoire au printemps, bilieuse en été et
atrabilaire en automne. Ces idées spéculatives ont, comme le remarquent très
bien les auteurs du Compendium de médecine pratique (t. III, p. 387),
servi de base à toutes les observations faites dans le moyen âge ; elles ont
été adoptées par la plupart des médecins qui ont écrit sur les épidémies
jusqu'au commencement de ce siècle.
Je ne terminerai pas ce qui est relatif aux saisons sans faire deux remarques :
la première, c'est qu'Hippocrate semble attribuer à la constitution fixe et
climatologique le pouvoir de modifier la constitution saisonnière ; la seconde,
c'est qu'outre les quatre constitutions médicales correspondantes aux quatre
saisons de l'année, il reconnaissait encore dans les maladies un caractère
semestral, de façon que la constitution estive ou de la saison chaude,
renfermait une partie des maladies du printemps et de J'automne, et toutes
celles de l'été ; et que la constitution hyémale comprenait le reste de
l'automne, tout l'hiver et le commencement du printemps.
Dans la deuxième partie, Hippocrate aborde des questions de la plus haute
portée. Dans son parallèle entre l'Europe et l'Asie, il étudie d'abord les
rapports qui existent entre la nature du sol et les saisons, ensuite l'influence
du sol et des saisons sur les plantes et sur les animaux (38)
; sur la détermination des caractères physiologiques et psychologiques, enfin
sur certains états morbides de l'homme. C'est ici qu'il s'agit
véritablement de climats et non plus de simples localités circonscrites, comme
aux paragraphes 3 à 7. Toutefois, il est à remarquer qu'Hippocrate a saisi et
fait ressortir, entre ces deux ordres de choses, des rapprochements ingénieux
que je n'ai pas besoin de présenter ici, parce que chacun peut les retrouver en
lisant comparativement les deux parties du traité (39).
Mais ce qui, dans cette seconde partie, a surtout fixé les regards, à
l'exclusion même des autres points qui y sont examinés, c'est la grande
théorie de l'action exercée sur les moeurs et les constitutions des hommes,
par les conditions atmosphériques et climatologiques au milieu desquelles ils
vivent ; théorie qui emprunte ses données à la philosophie, à la
physiologie, à l'histoire naturelle générale, à la physique, enfin à
l'histoire proprement dite, chargée de juger en dernier ressort. Ce vaste
problème, qui divise encore les savants, et qui, en dernière analyse, se
réduit à celui des rapports du physique et du moral, comme Hippocrate
lui-même parait l'avoir bien compris, renferme d'une part la théorie des
rapports qui unissent, dans l'univers, l’homme au monde, et dans l'homme, le
principe spirituel au principe matériel, et d'une autre part la théorie des
lois qui régissent ces rapports et qui déterminent la puissance de réaction
mutuelle de l'homme et du monde, du principe spirituel et du principe matériel.
Hippocrate s'est renfermé dans des limites plus étroites, il s'est contenté
d'apprécier l'influence des saisons d'abord, et ensuite du sol, posant en
principe général que plus les intempéries des saisons sont multipliées et
intenses, que plus les accidents du sol sont variés, plus aussi les moeurs et
les habitudes des hommes sont profondément et diversement modifiées ; c'est à
ce propos qu'il établit un très beau parallèle entre les caractères
physiologiques et psychologiques de l'homme et le climat qu'il habite.
Mais Hippocrate n'en est pas resté à ce point de vue purement matériel, comme
l'ont fait quelques-uns de ses successeurs, égarés par l'esprit de système.
Ainsi, d'un côté, il accorde aux constitutions une grande puissance pour
modifier le moral des peuples, et soutient que les nations asiatiques,
gouvernées par des despotes, sont moins belliqueuses que les nations
européennes, gouvernées par leurs propres lois ; ce qu'il prouve par l'exemple
même des Grecs d'Asie, vivant libres et valeureux sur le sol de l'esclavage et
de la mollesse. D'un autre, il ne méconnaît pas absolument l'influence de la
race sur le caractère national et individuel. Cette double théorie des climats
et des races me semble se rattacher à la croyance des philosophes anciens,
évidemment partagée par Hippocrate, que les peuples étaient nés du sol
(autochtones) (voy. p. 198, I, 34 ; p. 208, I, 28, p. 221, I, 3), et à leurs
idées sur les rapports de l'homme avec l'univers, du microcosme avec le
macrocosme.
Ces quelques pages placent Hippocrate au premier rang parmi les philosophes ;
elles renferment, comme eu un germe fécond, toutes les idées de l'antiquité
et des temps modernes sur la philosophie de l'histoire ; elles ont été
résumées en quelques lignes par Platon et par Aristote ; elles ont inspiré à
Galien son admirable traité : Que le caractère de l'homme est lié à sa
constitution ; et, dans des temps plus rapprochés de nous, elles ont fourni
à Bodin, à Montesquieu et à Herder, le fond même de leurs systèmes
politiques et historiques.
Je rapporte ici les passages de Platon et d'Aristote : ils complètent avec ce
qu'Hippocrate a enseigné, les données de la philosophie antique sur ces hautes
questions : "Vous ne devez pas ignorer, dit Platon (40),
pour ce qui regarde les lieux, qu'ils semblent (41)
différer les uns des autres pour rendre les hommes meilleurs ou pires et qu'il
ne faut pas que les lois soient en opposition avec eux. [Parmi les hommes] les
uns sont bizarres et emportés (42) à cause de la
diversité des vents et de l'élévation de la température (43),
les autres à cause des eaux, les autres enfin à cause de la nourriture que la
terre leur fournit, et qui n'influe pas seulement sur le corps pour le rendre
meilleur ou pire, mais qui n'a pas moins de puissance sur l'âme pour produire
tous ces effets." Ce texte n'est pas le seul où Platon ait tenu compte des
influences extérieures sur le caractère des hommes. Galien (44)
en a rassemblé un certain nombre empruntés surtout au Timée, et au
second livre des Lois.
Voici maintenant le passage d'Aristote ; il semble, plus évidemment encore que
celui de Platon, résumer la théorie hippocratique : "Les peuples qui
habitent les climats froids, les peuples d'Europe sont en général pleins de
courage ; mais ils sont certainement inférieurs en intelligence et en industrie
; et s'ils conservent leur liberté, ils sont politiquement indisciplinables, et
n'ont jamais pu conquérir leurs voisins. En Asie, au contraire, les peuples ont
plus d'intelligence, d'aptitude pour les arts, mais ils manquent de coeur, et
ils restent sous le joug d'un esclavage perpétuel. La race grecque, qui
topographiquement est intermédiaire, réunit toutes les qualités des deux
autres Dans le sein même de la Grèce, les divers peuples présentent entre eux
des dissemblances analogues à celles dont nous venons de parler : ici, c'est
une seule qualité naturelle qui prédomine, là elles s'harmonisent toutes dans
un heureux mélange (45)."
Nous venons de voir Hippocrate poser les premiers fondements de la géographie
historique et de la philosophie de l'histoire. Jetons maintenant un coup d'oeil
sur ses connaissances en géographie descriptive. "En faisant l'histoire de
la géographie, dit Forbiger (46), on ne peut
passer sous silence le nom d'un homme qui, sans avoir été un philosophe
proprement dit, montre dans tous ses écrits une direction philosophique
pratique ; qui fut le créateur de la médecine scientifique et qui nous sommes
redevables du premier ouvrage connu sur la géographie physique : nous voulons
parler d'Hippocrate de Cos."
Hippocrate divisait le monde connu seulement en deux parties, rattachant à
l'Asie l'Egypte et la Libye, et l'Europe la partie nord de l'Asie. Cette
division ressort évidemment de l'étude attentive de toute la seconde partie du
traité des Airs, des Eaux et des Lieux ; je n'ai pas besoin de m'y
arrêter ici ; mais ce qui mérite quelque discussion, c'est le rapprochement
qu'on a voulu faire de ce système géographique avec celui d'Hérodote.
Malte-Brun (ouv. cit., t. 1, p. 31) dit que le père de l'histoire semble encore
regarder l'Europe et l'Asie comme les deux seules parties du monde. Forbiger,
dans l'ouvrage que je viens de citer (p. 172), termine ce qu'il dit sur
Hippocrate par ces paroles : "Il paraît avoir partagé l'opinion des
anciens et d'Hérodote que la terre était divisée en deux parties seulement,
l'Europe et l'Asie ;" à l’article consacré à Hérodote (p. 69), il
soutient la même proposition. Il m'a semblé qu'elle ne pouvait subsister
devant l'examen du texte même d'Hérodote ; en effet, dans toute sa description
de la terre (IV, 36 et suiv.), il parle sans cesse de trois parties : de
l'Europe, qui est la plus longue et la moins large, de l'Asie à laquelle il
rattache l'Egypte, et de la Libye ou Afrique. Il me suffira du reste, pour
établir une démonstration péremptoire, de citer quelques phrases qui ne
laissent aucun doute sur le système d'Hérodote. En terminant l'énumération
des peuples de l'Asie, il dit (IV, 40-41) : "Tels sont les pays que
comprend l'Asie et telle est son étendue ; quant à la Libye, elle a est dans
l'autre presqu'île." - Un peu plus loin (IV, 45), il rappelle "qu'on
a assigné pour limites à l'Asie, d'une part, le Phase ,et de l'autre le Nil,
fleuve de l'Égypte," - plus loin encore (IV, 198), on lit : "Il me
semble que le sol de la Libye ne saurait être comparé pour la fertilité à
celui de l'Asie et de l'Europe ; etc." Ailleurs (II, 16), en parlant du
sentiment des Ioniens sur l'Égypte, ce n'est pas de ce qu'ils admettent trois
parties du monde qu'il les blâme, mais de ce que, en conservant ce sentiment,
ils sont conduits à en admettre une quatrième. Ce qui peut avoir égaré les
historiens de la géographie, c'est en premier lieu qu'Hérodote regarde la
Libye, ainsi que l'Asie-Mineure, comme une presqu'île de l'Asie proprement dite
; mais ils auraient dû remarquer qu'il assigne à la Libye des caractères
particuliers et bien tranchés (IV, 198), tandis qu'il ne distingue en aucune
façon l'Asie-Mineure du reste de l'Asie ; c'est en second lieu qu'il s'étonne
de voir distinguer en trois parties la terre qui lui semble une ; mais cette
dernière réflexion établit au moins positivement qu'il acceptait en fait la
division consacrée de son temps s'il ne l'admettait pas en principe ; elle
montre en même temps que s'il s'était écarté de la division commune, ce
n'eût pas été pour en faire une autre, mais pour n'en point faire du tout. Du
reste tous les auteurs ne sont pas de l'opinion de Malte-Brun et de Forbiger, et
j'ai été heureux de trouver que la mienne était en concordance avec celle de
Baehr (47) et de H. Schlichthorst (48).
Hippocrate regarde les Palus Méotides comme la limite de l'Europe et de l'Asie
; en se rapprochant ainsi de notre division moderne, il se montre plus
géographe et moins amateur de fables que les auteurs qui, prenant comme ligne
de démarcation le Phasis, assignent à ce fleuve un cours tout a fait
imaginaire et le font joindre l'Océan oriental au Pont-Euxin. Il parle d'abord
de l'Asie centrale, mais sans désignation spéciale de peuples ; il étudie
ensuite les deux points opposés, l'Égypte et la Libye au sud (voir la note 43
à la fin du volume) ; les Macrocéphales et au-dessus d'eux, les Phasiens au
nord. Je réserve pour les notes quelques détails particuliers sur ces peuples
et sur les autres dont Hippocrate s'occupe : ils seraient déplacés dans cette
introduction, qu'ils allongeraient outre mesure.
Après quelques réflexions générales sur l'Asie, Hippocrate passe en Europe
et s'arrête spécialement à la race scythe dont il étudie tout d'abord une
branche, les Sauromates. Il s'est contenté de décrire les moeurs de ces
peuples, nés, comme nous l'apprend Hérodote (IV, 110), du mariage des fils des
Scythes avec les Amazones, ces femmes étranges, tour à tour repoussées par
l'histoire et par la fable, et dont l'existence est encore un problème pour
quelques-uns, malgré les témoignages irrécusables qui déposent en sa faveur.
Hippocrate s'est longtemps arrêté sur les moeurs des peuples scythes en
général ; il s'est plu à nous peindre leurs moeurs sauvages, leurs coutumes
singulières ; à nous décrire ce désert de la Scythie qui se prolonge jusque
sous l'Ourse et auquel il n'assigne d'autres limites que les monts Riphées, ces
monts imaginaires, fuyant incessamment devant les voyageurs géographes à
mesure que la terre s'agrandissait sous leurs pas, jusqu'à ce qu'enfin ils les
aient fixés en conservant ce nom à de véritables montagnes, celles qui
séparent la Russie d'Europe de la Sibérie (monts Ourals). Il s'est plu à nous
montrer les Scythes parcourant sur leurs chariots recouverts de feutre et
traînés par des boeufs sans cornes, ces plaines immenses couvertes d'un
brouillard épais et éternel où les animaux et les plantes ne peuvent
atteindre leur développement normal. Les observations du père de la médecine
sont en tous points confirmées par celles du père de l'histoire : elles se
complètent mutuellement et forment les éléments les plus certains d'une
histoire physique et politique de la race scythe.
La question de l'origine du traité des Airs , des Eaux et des Lieux ne
m'arrêtera pas longtemps; tous les témoignages des anciens et des modernes
déposent en faveur de son authenticité, et je ne recueillerai ici que les plus
décisifs.
Epiclès de l'école médicale d'Alexandrie, qui vivait peu après Bacchius de
Tanagre, c'est-à-dire vers l'an 200 avant J.- C., paraît s'être occupé de ce
traité. Erotien (49) a conservé une explication
que ce médecin avait donnée d'un des mots obscurs qui s'y trouvent.
Erotien (loc. cit., p. 22) le range parmi les livres étiologiques, et en cela
il fait ressortir le côté lé plus saillant de cet ouvrage.
Galien complète l'idée qu'on doit se faire de tout son ensemble en le mettant
au nombre des livres hygiéniques (50). Il le cite
en plus de vingt endroits, toujours avec la plus grande déférence et sans
jamais élever de doutes sur sa légitimité (51).
Il recommande de le lire comme une introduction indispensable aux livres I et
III des Epidémies (52) et c'est encore à
ce traité qu'il fait allusion quand il appelle Hippocrate le prince des
philosophes (53).
Quant aux témoignages qui se réduisent à de simples citations je renvoie à
la note a, p.194 ; j'ai indiqué dans cette note les passages où les
divers auteurs parlent de cet ouvrage, qu'ils mettent tous sous le nom
d'Hippocrate. Les témoignages intrinsèques, c'est-à-dire ceux tirés de
l'examen même du traité des Airs, des Eaux et des Lieux, ne sont pas
moins favorables à son authenticité. La pureté du dialecte ionien, la
gravité et l'harmonie du langage, la force et l'étendue des raisonnements le
rendent digne en tous points des autres écrits légitimes d'Hippocrate ; et
comme le remarque Gruner (Censura, p. 51) les quelques passages qui
déparent ce bel ensemble sont peut-être dus à la main téméraire ou
maladroite de quelque éditeur ou commentateur ancien. Par le fond de la
doctrine, il se rattache positivement à quelques-uns des traités écrits par
les prédécesseurs ou les successeurs immédiats d'Hippocrate, par exemple au
traité De la Nature de l'homme et à celui des Humeurs et d'une
manière plus indirecte, il est vrai, mais qui n'est pas moins certaine, au Pronostic
, aux livres I et III des Epidémies et aux Aphorismes (54),
qui sont unanimement attribués à Hippocrate lui-même.
Il est encore un autre ordre de considérations auquel il n'est pas moins
important de s'arrêter pour fixer la date sinon l'origine de cet ouvrage, je
veux parler du double rapport qui le rattache, d'une part à l'Histoire
d'Hérodote, et de l'autre aux Météorologiques et surtout aux Problèmes
d'Aristote, où les emprunts ne portent pas seulement sur les idées, mais sur
les phrases mêmes. Cette remarque me semble importante, et je ne sache pas
qu'elle ait été déjà faite. Entre Hérodote et Hippocrate il y a
véritablement un progrès ; dans Hippocrate, la géographie a quelque chose de
plus positif ; la description des peuples est faite à un point de vue plus
philosophique, leurs moeurs sont expliquées d'une manière plus large ; je ne
parle pas de la division générale de la terre, qui resta bien longtemps encore
un point de litige. Entre Hippocrate et Aristote, il y a aussi un progrès ; ce
dernier ne juge plus les phénomènes sur leurs apparences les plus grossières,
mais il les explique à l'aide de connaissances avancées en physique. Ainsi le
traité des Airs, des Eaux et des Lieux appartient par le côté
scientifique à une époque de transition, entre les écoles presque
entièrement spéculatives de la grande Grèce et de l'Asie-Mineure, et celle
véritablement positive fondée par Aristote ; par le fond des doctrines
médicales, il tient précisément à l'époque où florissait Hippocrate ; il
n'y a donc aucune raison de ne pas le lui attribuer positivement avec les
anciens et les modernes. Ce traité a joui de la plus brillante fortune. Les
doctrines qui y sont établies, les faits qui y sont exposés ont été suivies
avec respect, et acceptés aveuglément ; depuis son apparition jusqu'au
commencement du XIXe siècle, il a dominé la météorologie et la climatologie
médicales ; presque tous les médecins qui, pendant cette longue période, ont
abordé ces intéressantes questions, se sont contentés de l'abréger, de le
développer, de le copier même et souvent sans le nommer, comme cela est
arrivé à Avicenne, à B. Gordon, à Ambroise paré, etc., tandis que Huxam,
Ramazzini, Tourtelle, etc., le citent avec éloges.
NOTES
(1).
De Nat. hominis, Foes, sect. Ill, p..228. Cf. aussi le commentaire de Galien
sur ce passage, Com. II, in lib. de Nat. hom., texte 2 et suiv., t. XV,
p. 117 et suiv. - C'est dans ce livre de la Nature de l'homme qu'est
proclamé et défendu le principe de la guérison des maladies par leurs
contraires. - Cf. aussi Com.I, in Epid. I, in prooem. t. XVII, p.2 à 12,
édit. de Kuehn. - La division des maladies en deux classes semble avoir été
adoptée aussi par Platon, mais à un autre point de vue (de Republ.,
III.)
(2) Précis de la Géographie universelle,
éd. de Huot. Paris, 1832, t. II, p. 540 et suiv.
(3) Probl. XXVI, 51.
(4) Cf Moreau, de Missione sanguinis in
pleuritide, p. 4, et aussi Caelius Aurelianus, Morb. acut., II, 22,
p. 131, éd. Almel - La ville de Parium est nommée par Hippocrate (Epid.
III, 4e constit. premier malade, §. 28 de mon édit.) ; Galien, commentant ce
passage d'Hippocrate (t. XVII, p.739, rapporte également l'observation
d'Asclépiade.
(5) Dans Oribase, Collect. med., IX, 11, p.
368, éd. d'Estienne; et dans celle de De Matthaei, Moscou 1808, in-4°, p. 220.
Cette édition est d'une extrême rareté et fort précieuse.
(6) Oribase, Collect. med. IX, 15, p. 370 et
suiv. ; et dans l'éd, de De Matthaei p. 236 et suiv.
(7) Orib. lib. cit. IX, 12, p. 368 et dans
l'éd. de De Matthaei, p. 230 et suiv.
(8) Com. I in Epid.,I, texte 1, t. XVII,
p. 10. Com. III in lib. de Hum., texte 5 et 13, t. XVI. - Et dans
Oribase, Collect. med., IX, 10, p. 368, éd. d'Estienne.
(9) Canon medicinae, lib. I, fen. 2 , doct. t,
cap. 2, p. 107 ; éd. de Venise ; 1608, in-fol.
(10) Traité des Fièvres intermittentes,
etc, p. 69, in-8°, Paris, 1842.
(11) Essai de Géographie médicale, Paris,
1843, in-8°, p. 51 et suiv.
(12) De re medica, II, 18, p. 80, éd.
de Milligan. Édimbourg, 1831.
(13) Dans Aetius, Tebrab. I, serm.
III, 165, p. 151, éd. d'Estienne ; dans Oribase, Med, collect., V, 3, p.
260. Le texte grec du passage qu'Oribase emprunte à Rufus se trouve à la page
179 et suiv., dans l'édit. de De Matthaei. Moscou, 1806, in-8°. Cette édition
n'est ni moins rare ni moins précieuse que celle d'Oribase mentionnée plus
haut ; c'est cette édition que je cite quand je ne renvoie pas à celle
d'Estienne.
(14) Deipnosophistae, II p. 40 et suiv.,
éd. Casaub .- Athénée a consacré un long chapitre aux eaux ; il s'occupe
plus spécialement de celles qui présentent quelques particularités, toutefois
il parle aussi des caractères généraux des eaux.
(15) Aëtius, Oribase (loc. cit.).
(16) De Re medica (texte grec), I,50, f° 6,
v°. Venise, 1528, in-fol. éd. d'Estienne , p. 358.
(17) De Spirittu animali (texte grec), II, 5
; dans les Physici et Medicis graeci minores, éd. d'ldeler, t. 1, p.
370; dans l'éd. d'Estienne, p. 32.
(18) Lib. I, fen. II, doct. II, cap. XVI, t.
I, p. 114. Canon medicinae.
(19) Oeuvres, XXIVe livre, chap. XXIII, t.
III, p 403, éd. de Malgaigne.
(20) Éléments d'Hygiène, 3, édit., t. I,
sect. II, chap. VI, p. 347 et suiv. Paris, 1815.
(21) Dictionnaire en 60 vol., t. X, p.
450 et suiv.
(22) Dictionnaire de Médecine,
t. X, art. Eau.
(23) Nouveaux éléments d'Hygiène, t. XI,
p. 189 et suiv. ; Paris, 1838, 2e éd.
(24) Cours élémentaire d'Hygiène, t. 1,
p.307 et suiv, 2° édit. Paris, 1828.
(25)
Com. III in lib. de Hum., t. 3, tome XVI, p. 362.
(26) Cf Dict. de Méd., t. XIX,
art. Marais, par M. Rochoux.
(27) Galien fait sur ce texte de très bonnes
réflexions, qui prouvent une observation habile et des connaissances avancées
en physique.- Cf. Com. III, in lib. de Hum, texte 3, t. XVI, p. 357 et
suiv. Cf aussi de Sanit, tuend., I , 11, t. VI. p. 458. C'est dans ce
traité qu'il compare à l'air vicié par la respiration celui qui est enfermé
entre deux montagnes, et non celui des marais, comme le disent Coray (t. II, p.
91), et Ideler, dans son excellent ouvrage intitulé Meteorologia veterum
Graecorum et Romanorurn (Berlin, 1832, in-8°, p.25), ouvrage auquel je
renvoie, du reste, pour tout ce qui regarde l'eudiométrie chez les anciens.
(28) Praxagore [de Cos] cité par Athénée (Deipnos.
p.46, ed. Casaub.) louait par-dessus toutes les eaux de pluie. Tous les anciens
leur ont accordé les mêmes éloges, que les modernes ne leur ont pas déniés,
et qu'elles méritent justement quand elles sont recueillies comme il convient.
(29) (29) C'est du reste la seule raison qui
soit invoquée par Paul d'Égine, de Re medica, I, 50. Venise, 1528, p.
6, v°, lig. 40.
(30) Cf. Meteor., I, 9, 3, éd.
d'Ideler, et, pour de plus amples détails, la Meteorologia veterum, du
même auteur, cap. V, § 15, p. 96 et suiv. - Platon (Timée, p. 132, C,
éd. de Th. H. Martin) regardait la pluie comme résultant de l'extrême
condensation de l'air. Ailleurs (p. 160, E), il paraît avoir reconnu
l'influence de l'abaissement de température sur la formation de la pluie, de la
neige, de la grêle et des frimas. - Cf. aussi Septalius, Com. III, p. 242 et
suiv.
(31) Dictionnaire de Médecine, t. XI,
p. 5, art. Eau.
(32) Noct. attic., XIX, 5. - Cf. aussi
Ideler, loc.cit., p. 35.
(33) Cf., entre autres, Rufus dans Aëtius,
p. 152, éd. d'Estienne. Cet auteur observe en outre que les fleuves descendants
des pays malsains ont des eaux très mauvaises, mais que ceux qui sont
alimentés par des sources qui ne tarissent jamais, et qui ne reçoivent point
d'autres fleuves, ont des eaux très potables. Il attribue aussi aux eaux du Nil
les plus excellentes qualités. - Les eaux de fleuves sont très potables et
très salubres quand elles roulent rapidement sur un fond rocailleux, et surtout
quand elles sont prises au milieu du courant.
(34) Cf. Dict. de Méd., vol.
cité, p. 7.
(35) De Morb. vesicae et renum, p. 96,
éd. de De Matthaei.
(36) Com. III in lib. de Hum., texte 4, t.
XVI, p. 365. Galien reconnaît encore d'autres causes à la lithogenèse; j'y
reviens ailleurs.
(37) Celse de Re medica, I, in
prooem.) dit aussi : "Il n'importe pas seulement de savoir comment sont les
jours présents, mais comment ont été les jours passés."
(38) Cf. sur ces deux points Prichard, Histoire
naturelle de l'Homme, traduit de l'anglais parle docteur Roulin, 2 vol.
in-8°. Paris, 1843, t. 1, sect. VI, VII et VIII.
(39) Cf. du reste Coray, t. I, p. CXII, §
103.
(40) De Legibus, V, in fine.
(41) Tous les textes vulgaires, y compris
celui d'Orelli (Zurich, 1841), et le vieux et excellent manuscrit.1807, le seul
de la Bibliothèque royale qui renferme les Lois, ont tous ὡς οὐκ εἰσιν, ce qui est évidemment en
contradiction avec la pensée de Platon et avec le contexte. D'après cette
considération, et aussi sur l'autorité de Cornarius et de Ficin, Ast, dans sa
grande édition des Lois (Lipsiae, 1814, in-8°, t. II, p. 27-E), retranche oék.
Cette correction est très satisfaisante, mais il est probable qu'elle ne rend
pas le texte primitif. M. Dübner, à qui j'ai soumis cette difficulté, pense
que οὐκ εἰσιν
ont été substitués parle copiste à ἐοίκασιν.
Galien cite deux fois ce passage (Com. II in de Hum, texte 30, t. XVI, p.
319, et : Quod animi mores temp. seq., cap. 9, t. IV, p. 806) ; mais le
membre de phrase où se trouvent les mots en litige est précisément omis dans
les deux citations. Toutefois il est évident que Galien interprétait ce
passage sans négation. Grou et M. Cousin, qui le suit, ont retranché cette
négation sans avertir de la difficulté.
(42) Les variantes sont ici nombreuses et
discordantes; les plus importantes sont ἐναίσιοι
et ἀναίσιοι,
ou ἀπαίσιοι.
᾿Εναίσιοι
(convenable, de bon augure), donné par Orelli et par le ms. 1807, ne peut
subsister ; il faut absolument lire avec Galien (Quod animi, etc.) ἀπαίσιοι; ou bien
ἀναίσιοι,
emportés avec Galien (Com. in de Hum., dans le ms. suppl., n° 2
à la marge) et avec Estienne; ce sens est confirmé par Ruhnken (ad Timaeum, p.
97), par Schneider (Lexicon), et par Ast (loc. cit.), qui lit ἐξαίσιοι.
(43) Le
ms. 1807 et Gal., t. XVI, p. 319, sont διειλήσεις;
les éditeurs ont restituédi' εὶλήσεις,
dont Ast (loc. cit.) a très bien fixé le sens. Galien a lu ἡλιάσεις,
et lui donne à peu prés la même signification qu'εἱλήσεις,
bien que le premier mot soit pris ordinairement dans le sens d'insolation.
(44) Cf. Quod anim. mores corp. temper. sequantur, 9, t. IV, p. 804. et suiv.
(45) De
la Républ., II, 6, trad. de M. B. Saint-Hilaire, t. II, p. 41.
(46) Handbuch
der alten Geographie, u. s. w. (ou Manuel de Géographie ancienne tiré
des sources), par A. Forbiger, 1ère partie, in-8°. Leipzig, 1842, p. 171.
(47) Cf.
son édition critique d'Hérodote, 5 vol. in-8°. Leipzig, 1830 à 35 ;
t.1, p.513, note. Le sentiment de Baehr est étayé de celui de Niebuhr et de
Dahlmann.
(48) Cf. Geographia
Africae Herodotea, in-8°, Gottingue, 1788, p. 13.
(49 Gloss.,
éd. de Franz, p. 210, au mot Κακόνιαι,
ou mieux Κακονίαι.
(50)
Lib.ad Thrasybulum, cap. 29, t. V, p.881.
(51)
Cf. de Difficul.resp., III, 1, t. VII, p. 891, où il place le Traité
des Airs, etc., au nombre de ceux qu'on attribue avec raison à Hippocrate.
(52)
Cf. Com. I in Epid., I, in prooemio, t. XVII, p. 7. - Palladius (Schol.
in ib. Hipp. de Fract.in prooem.) fait la même recommandation.
(53)
Cf. Quod anim. mores temperam.sequantur, cap. VII, t. IV, p. 798.
(54)
Ainsi les Épidémies ne sont qu'une application pratique des théories du
traité des Airs, des Eaux et des Lieux. Ainsi on retrouve la première
partie de ce traité presque tout entière dans les Aphorismes ; ainsi,
dans le Pronostic, il est recommandé de tenir compte des conditions de
l'année en général, de celles des saisons, des constitutions atmosphériques
et médicales. Je sais bien que la comparaison même du Pronostic avec le
traité qui nous occupe soulève une grave difficulté : dans le premier,
Hippocrate admet une influence divine, un τὶ θεῖον dans les maladies ;dans le
second, il combat la croyance à ce τὶ θεῖον. En examinant les choses de
près, on trouve que la contradiction n'est pas aussi grande qu'on serait tenté
de le croire au premier aperçu ; car si, d'un coté, il admet un τὶ θεῖον, il n'exclut pas non plus la
nature, et de l'autre s'il semble mettre au premier rang la nature, il ne
rejette pas non plus toute espèce d'intervention divine. D'ailleurs cette
difficulté pourrait se résoudre indirectement en admettant avec M. Littré (t.
II, p. 99 et 217) un long espace de temps entre la rédaction du Pronostic
et celle du traité des Airs, des Eaux et des Lieux et l'on sait qu'il ne
faut pas un très long intervalle pour modifier, pour changer même
complètement les idées d'un homme ! Enfin la difficulté subsisterait tout
entière, qu'elle ne me semblerait pas de nature à infirmer absolument les
graves témoignages que j'ai rassemblés ici, elle ne pourrait que jeter quelque
hésitation dans l'esprit.
Les paroles par lesquelles Gruner (Censura, p. 61 )termine ses remarques
sur le traité des Airs, des Eaux et des Lieux, s'adressent plutôt
encore aux médecins de notre temps, qu'à ceux de son époque; je les
rapporte en finissant : "Il est, dit-il, à souhaiter que les médecins
s'attachent aux pas du divin vieillard, et que, poussés par son exemple, ils
traitent [avec les connaissances de leur temps] cette partie de la science, si
nécessaire et si ardue; mais hélas! l'observation attentive qu'elle réclame
est entourée de tant d'ennuis et de difficultés, qu'on ne s'en occupe guère,
et qu'elle est à peu prés négligée."
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