SÉRIE VI. LETTRES.
465 AUX VIERGES DE LA MONTAGNE D'HERMON.
Lettre écrite du désert, en 375.
EPISTOLA XI . AD VIRGINES AEMONENSES.
Chartae exiguitas indicium solitudinis est; et idcirco longum sermonem brevi spatio coarctavi; quia et vobiscum volebam prolixius loqui, et angustia schedulae cogebat tacere. Nunc igitur ingenio est victa pauperies. Minutae quidem litterae, sed confabulatio longa est. Et tamen in hoc necessitatis articulo animadvertite caritatem, cum me nec penuria scriptionis valuerit prohibere, ne scriberem.
Vos autem, ignoscite, obsecro, dolenti; dico enim
laesus, dico lacrymans et irascens: ne unum quidem apicem, toties vobis
tribuenti officium, praestitistis. Scio quia nulla communio luci et tenebris
est: nulla cum ancillis Dei, peccatori societas. Attamen et meretrix Domino
pedes lacrymis lavit (Luc. 7), et de dominorum micis canes edunt (Matth.
15). Et ipse Salvator non venit justos vocare, sed peccatores. Non enim egent
sani medico (Ibid. 5. 31). Et magis vult poenitentiam peccatoris,
quam mortem. Et errantem oviculam suis humeris refert. Et prodigum filium
revertentem, excipit laetus pater (Luc. 15). Quin potius Apostolus ait:
Nolite judicare ante tempus (1. Cor. 4. 5). Tu enim quis es, qui
alienum servum judices? Suo Domino stat, aut cadit (Rom. 14. 4).
Et, qui stat, videat ne cadat. Et, invicem onera vestra portate (Galat.
6. 2). Aliter, sorores carissimae, hominum livor, aliter Christus judicat. Non
eadem sententia est tribunalis ejus, et anguli susurronum. Multae hominibus viae
videntur justae (Prov. 14. 12), quae postea reperiuntur pravae. Et in
testaceis vasculis thesaurus saepe reconditur. Petrum ter negantem (Matth.
26), amarae in suum locum restituere lacrymae. Cui plus dimittitur, plus amat (Luc.
7. 47). De toto grege siletur, et ob unius morbidae pecudis salutem Angeli
laetantur in coelo. Quod si cui videtur indignum, audiat a Domino: Amice, si
ego bonus sum, quare oculus tuus nequam est (Matth. 20. 15)? |
La brièveté de ma lettre est une preuve de ma solitude, et c'est pourquoi j'ai resserré beaucoup de choses en un court espace; car je voulais m'entretenir plus longuement avec vous; mais le manque de papier me réduisait au silence. J'ai trouvé ainsi le secret de vaincre ma pauvreté, et de vous dire bien des choses dans une petite lettre. Jugez par là de l'affection que j'ai pour vous, puisque n'ayant pas de quoi vous écrire, je n'ai pas laissé que de le faire. Au reste, je vous prie de pardonner à ma douleur. Je vous le dis, les larmes aux yeux, j'en suis véritablement touché. Après vous avoir écrit tant de fois, vous n'avez pas seulement daigné me répondre un seul mot. Je sais que « les ténèbres ne peuvent s'allier avec la lumière, » et qu'un pécheur comme moi est indigne d'avoir part à l'amitié des servantes de Dieu; mais je sais aussi qu'une femme de mauvaise vie lava de ses larmes les pieds du Seigneur, que les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Le Sauveur est venu appeler les pécheurs et non pas les justes, parce que les hommes bien portants n'ont pas besoin de médecin; il cherche la conversion du pécheur, et non pas sa mort; il rapporte sur ses épaules une brebis égarée; comme un père plein de tendresse, il reçoit avec joie un enfant prodigue qui revient à lui. Je sais que l'apôtre saint Paul nous a dit : « Ne jugez point avant le temps. Qui êtes-vous pour oser condamner le serviteur d'autrui ? S'il tombe ou s'il demeure ferme, cela regarde son maître; que celui qui est debout prenne garde de tomber. Portez les fardeaux les uns des autres. » Jésus-Christ, mes très chères soeurs, juge d'une manière et la passion humaine d'une autre. On n'est pas condamné à son tribunal avec autant de rigueur que dans ces lieux écartés où la médisance fait le procès à tout le monde. On trouvera un jour de l’injustice dans plusieurs actions qui aujourd'hui paraissent justes aux yeux des hommes. On cache souvent des trésors dans des pots de terre. Saint Pierre, après avoir renié son divin Maître ,jusqu'à trois fois, mérita par l'amertume de ses larmes d'être rétabli dans son premier état. « Celui à qui on remet davantage, aime aussi davantage. » Les anges oubliant tout le troupeau, ne se réjouissent dans le ciel que du salut d'une brebis malade. Si quelqu'un veut condamner cette conduite, le Seigneur lui dira : « Mon ami, si je suis bon, pourquoi votre oeil est-il mauvais? » |