Aux vierges de la montagne d'Hermon A Chromatius et à Héliodore
SÉRIE VI. LETTRES.
A FLORENTIUS, SUR SA CHARITÉ ENVERS LES PAUVRES, ET LES SERVICES QU'IL A RENDUS A HÉLIODORE.
Lettre écrite du désert, en 373.
EPISTOLA IV. AD FLORENTIUM.
1. Quantus Beatitudinis tuae rumor diversa populorum ora compleverit, hinc poteris aestimare, quod ego te ante incipio amare, quam nosse. Ut enim ait Apostolus, quorumdam hominum peccata manifesta sunt, praecedentia ad judicium (I. Tim. 5): ita e contrario tuae dilectionis fama dispergitur, ut non tam laudandus sit ille qui te amat, quam scelus putetur facere ille qui non amat. Praetermitto innumerabiles, in quibus Christum sustentasti, pavisti, vestisti, visitasti. Heliodori fratris a te adjuta necessitas mutorum etiam potest ora laxare, quibus gratiis, quo ille praeconio peregrinationis incommoda a te fota referebat? Ita ut ego ille tardissimus, quem intolerabilis languor exedit, pennatis, ut aiunt, pedibus, gestu caritatis et voto te salutaverim, et etiam complexus sim. Gratulor itaque tibi, et nascentem amicitiam, ut Dominus confoederare dignetur, precor.
2. Et quia frater
Ruffinus, qui cum sancta Melania ab Aegypto Jerosolymam venisse narratur,
individua mihi germanitatis caritate connexus est, quaeso ut Epistolam meam huic
Epistolae tuae copulatam, ei reddere non graveris. Noli nos ejus aestimare
virtutibus; in illo conspicies expressa sanctitatis insignia: et ego cinis et
vilissima pars luti, et jam favilla dum vertor (Clun. Cod. dum vegetor),
satis habeo, si splendorem morum illius imbecillitas oculorum meorum ferre
sustineat. Ille modo se lavit, et mundus est, et tanquam nix dealbatus: ego
cunctis peccatorum sordibus inquinatus, diebus ac noctibus opperior cum tremore
reddere novissimum quadrantem. Sed tamen quia Dominus solvit compeditos (Psal.
45. Isai. 66), et super humilem et trementem verba sua requiescit,
forsitan et mihi in sepulcro scelerum jacenti, dicat; Hieronyme, veni foras.
Sanctus Presbyter Evagrius plurimum te salutat: et Martinianum fratrem juncto
salutamus obsequio, quem ego videre desiderans, catena languoris innector. Vale
in Christo. |
1 Vous pouvez juger de la réputation que vous avez dans le monde par l'amitié que j'ai conçue pour vous, avant même de vous avoir connu. Il y a des personnes, selon l'apôtre saint Paul, dont les péchés sont connus avant l'examen que l'on en peut faire: pour vous, votre mérite au contraire est si universellement admis, que l'on se rendrait plus criminel en refusant de vous aimer, que cligne de louanges en vous aimant. Je ne dis rien de cette charité si étendue qui vous a porté à soulager, nourrir, visiter et revêtir Jésus-Christ en la personne d'une infinité de pauvres. Les secours que notre frère Héliodore a reçus de vous seraient seuls capables de délier la langue même des muets. Avec quels éloges et quelle reconnaissance ne m'a-t-il pas fait le récit des services que vous lui avez rendus dans son voyage? C'est pour cela que, malgré les cruelles douleurs qui me tourmentent et qui me rendent tout pesant, je me suis empressé de vous saluer et de vous embrasser, du moins de coeur et d'affection. Je vous remercie donc de toutes vos bontés, et je prie le Seigneur de vouloir bien serrer les noeuds d'une amitié qui ne fait que de naître. 2. J'ai appris que notre frère Rufin, avec qui je suis uni par les liens les plus étroits de la charité, est arrivé avec la vertueuse Mélania d'Egypte à Jérusalem; je vous prie de lui remettre la lettre que j'ai jointe à celle que je vous écris. Ne jugez pas, mon cher Florentius, de mon mérite par le sien. Vous verrez briller en sa personne des caractères de sainteté; mais pour moi, je ne suis que poussière, et qu'une très vile portion de boue; et même pour peu que je brûle, je deviens cendre aussitôt. C'est assez pour moi de pouvoir soutenir avec mes faibles yeux l'éclat de ses vertus. Il vient de se laver et de se purifier, et il est maintenant plus 466 blanc que la neige; tandis que, souillé de toutes sortes de péchés, je tremble jour et nuit dans l'attente du moment fatal où l'on doit me faire payer jusqu'à la dernière obole. Cependant, puisque le Seigneur brise les chaînes des âmes captives, et qu'il se repose sur les humbles et sur ceux qui écoutent sa parole avec une sainte frayeur, j'espère qu'il pourra venir sur le tombeau où mes crimes me tiennent enseveli, et me dire : « Jérôme, venez dehors. » Le saint prêtre Evagre vous salue de tout son coeur, et nous saluons conjointement lui et moi notre frère Martinien. Je souhaite avec passion de le voir; mais l’accablement où je suis s'y oppose. Adieu dans le Christ. |