Saint Jérôme

SAINT JERÔME

 

LETTRES

A TRANQUILLIN.

EPISTOLA LXII AD TRANQUILLINUM.

Eusèbe       Augustin

 

 

 

 

 

 

SÉRIE VI. LETTRES.

A TRANQUILLIN.

Qu'il faut lire avec prudence Origène, Tertullien, Novatius, Arnobe et Apollinaire. — Que l'ignorance est préférable à une science mauvaise et impie.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 397.

EPISTOLA LXII AD TRANQUILLINUM.

 

 

1. Majora spiritus vincula esse quam corporum, si olim ambigebamus, nunc probavimus: dum et mihi sanctitas tua haeret animo, et ego tibi Christi amore conjungor. Vere enim et simpliciter candidissimo pectori tuoloquor, ipsa schedula et muti apices litterarum inspirant in nos tuae mentis affectum.

2. Quod dicis, Origenis multos errore deceptos, et sanctum filium meum Oceanum illorum insaniae repugnare, et doleo simul et gaudeo: dum aut supplantati sunt simplices: aut ab erudito viro errantibus subvenitur.

Et quia meae parvitatis quaeris sententiam: utrum secundum fratrem Faustinum penitus respuendus sit, an secundum quosdam legendus ex parte: ego Origenem propter eruditionem sic interdum legendum arbitror, quomodo Tertullianum, Novatum, Arnobium, Apollinarium, et nonnullos Ecclesiasticos Scriptores Graecos pariter et Latinos: ut bona eorum eligamus, vitemusque contraria, juxta Apostolum dicentem: «Omnia probate, quod bonum est, tenete» (1 Thess. 5).

Caeterum qui vel in amorem ejus nimium, vel in odium stomachi sui pravitate ducuntur, videntur mihi illi maledicto Prophetico subjacere: «Vae his, qui dicunt bonum malum, et malum bonum: qui faciunt amarum dulce, et dulce amarum (Isai. 5). Nec enim propter doctrinam ejus, prava suscipienda sunt dogmata: nec propter dogmatum pravitatem, si quos Commentarios in Scripturas sanctas utiles edidit, penitus respuendi sunt. Quod si contentiosum inter se amatores ejus et obtrectatores funem duxerint: ut nihil medium appetant, nec servent modum: sed totum aut probent, aut improbent; libentius piam rusticitatem, quam doctam blasphemiam eligam. Sanctus frater Tatianus Diaconus te impendio resalutat.

 

1 Si j'ai autrefois douté que les liens qui unissent les esprits fussent plus forts que ceux qui unissent les corps, j'en suis convaincu présentement par la liaison étroite que la charité de Jésus-Christ a formée entre vous et moi; car votre lettre (je vous le dis avec toute la sincérité possible), toute muette qu'elle est, exprime d'une manière vive et touchante les sentiments d'amitié que vous avez pour moi.

2 La nouvelle que plusieurs personnes sont tombées dans les erreurs d'Origène, et que mon fils Océanus travaille avec zèle à les détromper, m'afflige et me réjouit tout à la fois : m'afflige de ce que des personnes simples se sont laissé séduire, et me réjouit de ce que ce savant homme veut bien chercher à les retirer de leurs égarements.

Puisque vous voulez que je vous dise mon opinion sur la lecture des ouvrages d'Origène, savoir si l'on doit s'abstenir de les lire, comme le voudrait notre cher frère Faustinus, ou si, comme le veulent quelques autres, on peut les lire en partie; je vous dirai que je crois qu'on peut lire quelquefois Origène à cause de son érudition, comme on lit Tertullien, Novatius, Arnobe, Apollinaire et quelques autres écrivains ecclésiastiques, tant grecs que latins, mais avec cette précaution qu'on n'en prenne que ce qui est bon et qu'on laisse ce qu'il y a de mauvais, d'après l'Apôtre : « Eprouvez tout, et attachez-vous à ce qui est bon. »

Mais quant à ceux, ou qui témoignent trop d'attachement pour lui, ou qui n'en ont de l'éloignement qu'à cause de leurs injustes préventions, je crois qu'on peut leur appliquer ce que dit le prophète : « Malheur à ceux qui appellent mal ce qui est bien et bien ce qui est mal, et qui font doux ce qui est amer et amer ce qui est doux ; » car son érudition ne doit point faire embrasser ce qu'il y a d'impie dans ses dogmes, ni l'impiété de ses dogmes faire rejeter entièrement la lecture de ses Commentaires sur l'Ecriture sainte, qui peuvent avoir 551 quelque chose de bon et d'utile. Que si ses ennemis et ses partisans ne veulent garder aucune mesure et prétendent qu'on doit, sans distinction, ou tout approuver ou tout condamner dans ses ouvrages, je crois, moi, qu'on doit toujours préférer une pieuse ignorance à une science impie et pleine de blasphèmes. Notre saint frère Tatien, diacre, vous salue de tout son coeur.