Saint Jérôme

SAINT JERÔME

 

LETTRES

 

A MARCELLA, SUR LES BLASPHÈMES CONTRE LE SAINT-ESPRIT.

EPISTOLA XLII. AD MARCELLAM. Contra Novatianos Haereticos.

à Asella       à Marcella

 

 

 

 

SÉRIE VI. LETTRES.

A MARCELLA, SUR LES BLASPHÈMES CONTRE LE SAINT-ESPRIT.

En 385.

EPISTOLA XLII. AD MARCELLAM. Contra Novatianos Haereticos.

 

1. Brevis  est quaestiuncula, quam misisti, et aperta responsio est. Si enim de eo quod in Evangelio scribitur: «Quicumque dixerit verbum contra Filium hominis, remittetur ei: qui autem dixerit contra Spiritum Sanctum non remittetur ei, neque in hoc saeculo, neque in futuro» (Matth. 12. 32; et Marc. 3. 29), Novatianus affimat non posse peccare in Spiritum Sanctum, nisi eum qui Christianus sit, et postea negaverit; manifestum est Judaeos qui eo tempore blasphemabant, peccato blasphemiae non teneri: quippe, qui impii coloni, interfectis Prophetis, de nece Domini cogitabant, et in tantum erant perditi, ut ad salvandos eos, se Dei Filius venisse responderit. Unde de toto ipsius Scripturae ordine convincendus est, non his irremissibilem esse dictam blasphemiam, qui tormentis compulsi, et variis eviscerati cruciatibus, Dominum denegassent; sed his qui cum in virtutibus videant opera Dei, calumnientur et clamitent, daemonis esse virtutem, et omnia signa quae facta sunt, non ad divinam magnificentiam, sed ad diabolum pertinere (Matth. 12; Marc. 3; et Luc. 11). Unde et Salvator noster toto responsionis suae hoc agit argumento, ut doceat, non posse Satanam ejici a Satana, et regnum ejus inter se non esse divisum. Cum enim diaboli studium sit, Dei laedere creaturam, quomodo ejusdem poterit esse voluntatis sanare languentes, et seipsum de obsessis fugare corporibus? Probet itaque Novatianus, aliquem de his, qui sacrificare compulsi sunt ante tribunal judicis, respondisse omnia quae in Evangelio scripta sunt, non a Filio Dei, sed a Beelzebub principe daemoniorum fuisse perfecta, et tunc poterit approbare irremissibilem in Spiritum Sanctum esse blasphemiam.

2. Ut autem et acutius aliquid interrogemus, respondeat, quid sit contra Filium hominis dicere, et in Spiritum Sanctum blasphemare. Ego quippe assero juxta sensum illius, eos qui Christum in persecutione negaverint, contra Filium hominis dixisse, et non in Spiritum Sanctum blasphemasse. Qui enim interrogatur, an Christianus sit, et Christianum se non esse responderit; utique negando Christum, hoc est, Filium hominis, Spiritui Sancto non facit injuriam. Si autem Christum negando, negavit et Spiritum; edisserat Haereticus, quomodo non peccet in Spiritum, qui Filium hominis denegaverit. Aut si Spiritum Sanctum hoc loco intelligendum Patrem putat, Patris nulla est a negatore mentio facta cum negaret. Petrus Apostolus eo tempore, quo ancillae interrogatione perterritus, Dominum negavit, in Filium hominis, an in Spiritum Sanctum videtur commisisse peccatum? Si id quod ait, nescio hominem, ridicule voluerit interpretari, non Christum cum negasse, sed hominem; mendacem faciet Salvatorem, qui se, hoc est, Filium Dei, negandum esse praedixerat (Matth. 26; et Joan. 13). Si autem negavit Filium Dei, unde et amare flevit, et trinam negationem, trina postea confessione delevit, manifestum est, peccatum in Spiritum Sanctum, ideo non posse dimitti, quod habeat blasphemiam: ut cum videas in virtutibus Deum, Beelzebub calumnieris in factis, Doceat igitur aliquem negatorem, Beelzebub vocasse Christum, et ultro referam gradum, negatorem non posse veniam consequi post ruinam. Aliud est tormentis cedere, et se Christianum negare: aliud Christum, diabolum dicere, sicut tibi ipsa Scriptura, atque contextus, lecta attentius poterunt [al. potuerunt] demonstrare.

3. Fuerat quidem prolixius disserendum: sed quoniam amicis, et qui ad nostrum hospitiolum convenerunt, praesentiam nostram negare non possumus, et tibi non statim respondere, admodum visum est arrogantis, latam disputationem brevi sermone comprehendimus, ut non tam Epistolam, quam Commentariolum dictaremus.

1 La question que vous me proposez est fort courte, et il est très facile d'y répondre. Si c'est par ce passage de l'Évangile : « Quiconque aura parlé contre le Fils de l'Homme, il lui sera pardonné; mais si quelqu'un a parlé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni en ce siècle ni dans le siècle futur; » si, dis-je, c'est par ce passage que Novatien conclut qu'il n'y a que les chrétiens seuls qui, en renonçant Jésus-Christ, puissent pécher contre le Saint-Esprit; il est certain que les Juifs, qui blasphémaient le Sauveur, n'étaient point coupables de blasphème. Jésus-Christ les avait comparés à ces vignerons impies qui, après avoir tué les Prophètes, avaient formé le dessein de faire aussi mourir leur maître; et leur salut était tellement désespéré qu'il annonçait n'être venu au monde que pour eux. Il faut donc démontrer par l'ensemble de ce passage, que le blasphème qui ne mérite point de pardon ne concerne pas ceux qui, vaincus par la violence des supplices, renoncent Jésus-Christ; mais ceux qui, découvrant visiblement le doigt de Dieu dans les miracles du Sauveur, ne laissaient pas de les calomnier en les attribuant à la puissance du démon. Aussi la réponse du Fils de Dieu aux pharisiens tend à prouver que le démon ne peut chasser le démon, et que le royaume de ce prince des ténèbres n'est point divisé. En effet, comme le démon est sans cesse appliqué à nuire aux hommes, est-il possible qu'il voulût guérir 490 les maladies et se bannir lui-même des corps qu'il possède? Que Novatien prouve donc que quelqu'un de ceux qui ont été contraints par la violence des tourments de sacrifier aux idoles, ait attribué à Béelzébut prince des démons, et non pas au Fils de Dieu, tous les prodiges dont parle l'Evangile; et alors il pourra soutenir que l'aveu de ce chrétien devant les tribunaux est un blasphème contre le Saint-Esprit, et un blasphème qui jamais ne pourra lui être pardonné.

2 Mais pressons-le un peu plus, et demandons-lui ce que c'est que « parler contre le Fils de l'Homme et blasphémer contre le Saint-Esprit. » Car je soutiens que, selon son opinion, renier Jésus-Christ dans la persécution, c'est parler contre le Fils de l'homme et non pas blasphémer contre le Saint-Esprit. Lorsqu'un fidèle à qui l'on demande s'il est chrétien, répond qu'il ne l'est pas, il renie Jésus-Christ, c'est-à-dire le Fils de l'Homme, sans offenser le Saint-Esprit. Mais si en renonçant Jésus-Christ on renie en même temps le Saint-Esprit, que cet hérétique nous dise comment, en renonçant le Fils de l'Homme, on ne pèche point contre le Saint-Esprit; ou s'il prétend que par le Saint-Esprit on doit entendre le Père, alors il est certain que celui qui renonce Jésus-Christ ne parle point du Père. Lorsque saint Pierre, étourdi et effrayé par la demande que lui fit une simple servante renia son divin maître, pécha-t-il contre le Fils de l'Homme ou contre le Saint-Esprit ? Si cet hérétique, par une interprétation ridicule, prétend que cet apôtre en disant : « Je ne connais point cet homme, » ne renonça pas Jésus-Christ, mais qu'il nia seulement qu'il fût un simple mortel, c'est faire passer le Sauveur pour un menteur, puisqu'il avait formellement prédit que saint Pierre le renierait, lui Fils de Dieu. Or, si cet apôtre renonça le Fils de Dieu (péché qui lui coûta tant de larmes, et qu'il effaça ensuite en confessant trois fois la Divinité de celui qu'il avait renoncé par trois fois), il est évident que la raison pour laquelle le péché contre le Saint-Esprit ne peut être remis, c'est qu'il renferme un horrible blasphème, en attribuant à la puissance de Béelzébut des miracles où l'on découvre visiblement la vertu de Dieu. Que Novatien donc nous montre un seul chrétien qui, en renonçant Jésus-Christ, fait appelé Béelzébut; et alors je tomberai d'accord avec lui que ce chrétien ne peut obtenir le pardon d'un crime si énorme. Car autre chose est de céder à la violence des tourments et de nier au milieu des supplices qu'on soit chrétien, et autre chose de dire que Jésus-Christ est un démon. Vous pouvez vous en convaincre vous-même, en lisant un peu attentivement toute la suite du passage sur lequel vous m'avez consulté.

3 J'aurais désiré traiter cette question avec plus d'étendue; mais comme la charité ne me permet pas de quitter quelques-uns de nos amis qui sont venus nous voir, et comme d'ailleurs je ne pouvais me dispenser de vous répondre de suite, j'ai été obligé de faire, au lieu d'une longue dissertation, une réponse fort courte qui ressemble moins à une lettre qu'à un petit commentaire.