Ariri

Ibn al-Qounfoud ou Qunfud

 

LA FARÉSIADE : extrait 2

 

extrait 1 - extrait 3

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 extraits du Journal Asiatique de 1848 à 1852

 

 


 

ABOU'L-ABBAS AHMED EL-KHATIB AL-QUSTANTINI

dit

IBN AL-KONFOUD.

 

DEUXIEME EXTRAIT DE

LA FARÉSIADE,

TRADUIT EN FRANÇAIS ET ACCOMPAGNÉ D'UN COMMENTAIRE,

PAR M. A. CHERBONNEAU,

PROFESSEUR D'ARABE À LA CHAIRE DE CONSTANTINE.

 

INTRODUCTION.

Le livre de Mohammed-el-Kaïrouâni, que M. Pellissier a fait connaître par une excellente traduction, a jeté un certain jour sur l'époque si confuse de la domination des Arabes en Afrique. Il y a peu de temps, cette histoire n'aurait en de mérite que pour le monde savant ; mais, depuis la conquête de l'Algérie, un intérêt général s'attache aux événements dont cette contrée a été le théâtre. Malheureusement, la curiosité publique n'est pas toujours satisfaite. El-Kaïrouâni donne peu de détails. Son ouvrage, traité à un point de vue philosophique assez élevé, chose rare chez les écrivains musulmans, ne présente le plus souvent qu'une courte analyse des faits. Il l'avoue lui-même, les matériaux lui manquaient ; et il reproche à Ibn Chemma', qu'il avait pris pour guide, sa sécheresse et la rapidité avec laquelle il glisse sur les événements les plus importants. D'où il résulte que El-Kaïrouâni ne connaissait pas l'ouvrage d'El-Khatib ; car La Farésiade lui aurait fourni une foule de documents qu'il n'aurait certainement pas négligés.

El-Khatib a traité de l'histoire des Beni-Hafes, depuis la naissance de l'imam El-Mohdi (461 de l'hégire, 1069 de J. C.) jusqu'au milieu du règne illustre de l'émir Abou-Farès Abd-el-Aziz-el-Merini (804 de l'hégire, i4oi de J. G.). Il écrivait son livre sous le gouvernement de ce prince, et il le lui dédia, comme l'indique le passage suivant de son avant-propos, fol. 1 v° :

« Je rends mon livre illustre en le dédiant à la famille royale et en l'intitulant La Farésiade ou Commencements de la dynastie des Hafsites, par considération pour l'époque où je l'ai composé. »

Dans un précédent numéro du Journal asiatique, j'ai publié l'épisode du faux El-Fadhel, avec les plus grands détails. Avant de mettre la dernière main à la traduction complète de l'ouvrage, j'en détache quelques renseignements qui concernent surtout la ville de Constantine. Il n'est pas inutile, en effet, de fixer l'époque de la reconstruction de la Casbah, dont l'enceinte va bientôt disparaître, de la restauration de la mosquée qu'on y voit encore, et de la destruction des ponts.

Le lecteur remarquera que El-Khatib se complaît à tracer la monographie de Constantine, sa patrie, au moment où cette ville fut la capitale d'un royaume indépendant, tandis que Ibn Chemma' et El-Kaïrouâni rédigent l'histoire des Beni-Hafes au point de vue de Tunis.

Constantine et Bougie, deux cités devenues françaises, et dont l'histoire se noyait dans celle de Tunis et du Maroc, ont retrouvé leur originalité, leur physionomie particulière, sous le calam d'El-Khatib.

C'est à l'obligeance de Si Mohammed, fils du cheikh El-Abbassi, que je dois la découverte de La Farésiade.

Un autre livre, sans titre et sans nom d'auteur, m'a été également communiqué par ce jeune thaleb. Comme j'ai eu plus d'une fois l'occasion de le citer dans mon ouvrage, je l'ai désigné sous le nom d'Anonyme de Constantine. Ce volume contient quatre lettres d'une Biographie très étendue du monde musulman, disposée par ordre alphabétique.


 

TRADUCTION.

 

 

GOUVERNEMENT D'ABOU-HAFES-OMAR.

Après l'usurpation dont nous venons de parler, la dynastie des Hafsites (que Dieu la protège !) remonta sur le trône de ses pères. Son avènement fut salué par tout le monde. L'émir Abou Hafes Omar, fils de l'émir Abou-Zakaria, fils du roi Abou Mohammed-Abd-el-Ouahed, fils du champion de l'islamisme Abou-Hafes, fut choisi de Dieu pour exercer l'autorité souveraine.

Il fut proclamé le mercredi, 26 rebi-el-akhar 683 (de J. C. 1284), dans la ville de Tunis, où il était né le vendredi dernier jour de dhil-kaada, après la prière publique, en l'année 642 (de J. C. 1244). C'était un prince d'un esprit fin et pénétrant. Il avait des sentiments élevés et du discernement. Il était généreux et indulgent : en un mot, c'était un homme accompli. L'histoire n'a pu rapporter de lui aucun acte de rigueur, après son entrée à Tunis, pour s'emparer de l'usurpateur.

Le célèbre jurisconsulte Aboul-Kasem ben-ech cheikh, chambellan du prétendu El-Fadhel, avait émigré à son arrivée : un des personnages les plus vénérables de l'époque intercéda en sa faveur auprès du prince qui, loin de se fâcher, s'écria : « Nous avons plus besoin d'un homme tel que lui, qu'il n'a besoin de nous ; et ce serait s'exposer au repentir que de le laisser dans l'exil ou de s'en faire un ennemi. »

Aboul-Kassem reparut à la cour. L'émir calma ses craintes ; il lui accorda l'aman, l'attacha à sa personne et utilisa ses services pendant environ dix ans. Il fut enterré dans le cimetière des marabouts, au port du vénérable sidi Djerrah, où il avait été assidu à la prière.

« Je le vis en songe, rapporte un des saints hommes du temps, et je lui dis : Qu'a fait Dieu en ta faveur ? — Il m'a pardonné, répondit Aboul Kassem, la prière du vendredi que j'avais faite à côté du prétendant. » Puis j'éternuai et je rendis grâce à Dieu. Il me répondit : « Que Dieu te reçoive clans sa sainte miséricorde ! »

Pendant son règne, qui vit fleurir la paix et la justice, l'émir Abou-Hafes traita avec beaucoup de considération les jurisconsultes et les marabouts ; il leur fit du bien et daigna même s'intéresser à leurs affaires avec un zèle tout particulier. On vit l'homme de loi Abou-Mohammed-el-Atraouéli exercer à sa cour les fonctions de khatib (chargé de la prière du vendredi) et être admis dans son intimité. Ce même El-Atraouéli était parvenu à lire dans l'avenir. Lorsque l'émir assiégeait le prétendant et désespérait de le prendre, ce fut lui qui rassura lé prince en lui disant : « Prends courage ; il est écrit que tu dois entrer dans la ville, t'emparer de ton ennemi, le garrotter et le promener sur un âne gris à travers les rues commerçantes un certain nombre de fois. » II lui précisa le nombre de fois, et la chose arriva comme il l'avait annoncé. Louanges en soient rendues au suprême ordonnateur des événements de ce monde !

Pendant cette guerre, l'émir Abou-Zakaria, fils de l'émir Abou-Isahak, revint de Tlemcen (1). Il profita des désordres qui désolaient l'Ifrikia pour s'emparer de Bougie et de Constantine. Il fit admirer sa conduite, son intelligence, sa fermeté, sa retenue et son éloignement pour le vice. Ennemi du luxe, et sévère pour sa personne, on le vit une fois rapiécer ses habits de sa main. Lui offrait-on des présents, il les refusait.

Abou-Zakaria, fils de l'émir Abou-Isahak agrandit la mosquée (2) de la Casba de Constantine, la répara et la restaura complètement. Il acheta aux gens de la ville des maisons ; avec des matériaux, il élargit la Casba (3), en reconstruisit les murailles et les rues, et y établit sa résidence royale vers la fin de l'année 683 (de J. C. 1284).

L'émir partageait son année entre les villes de Bougie et de Constantine. Cependant, il avait une préférence marquée pour les habitants de cette dernière ville, et il leur accordait toujours ses premières faveurs.

Un des éudoul (assesseurs) de notre ville rapporte qu'à la suite d'une maladie de l'émir Abou-Zakaria, des gens de Bougie vinrent à Constantine pour le féliciter de sa guérison. Une assemblée des notables de la ville se porta au-devant d'eux. Les deux sociétés se réunirent dans la mosquée de la Casbah. Pendant qu'elles envoyaient solliciter l'honneur d'être présentées à l'émir, le hâdjeb (chambellan), qui se trouvait là, sortit. C'était, je crois, Aboul-Kassem ben-Ibrahim-ben-Abou-Haïi.

Ali-ben-Hasan-ben-El-Konfoud, mon grand-père, alors khatib de la mosquée de la Casbah, siégeait aussi parmi les notables de notre ville. Il s'adressa à eux de la part du prince et leur dit : « Chacun de vous sait parfaitement quel est le rang qu'il occupe auprès de notre personne. Mais ces docteurs de Bougie sont nos hôtes, ils sont aussi les vôtres ; nous espérons que vous voudrez bien leur céder le pas lorsque vous paraîtrez devant nous. » Cette proposition fut accueillie avec empressement.

A cette époque, le cadi de Bougie était le jurisconsulte Aboul Abbas el-R'abrini, docteur en hadis et auteur du livre intitulé E'unouân-ed-dirâya (le spécimen de la science) (4), et le cadi de Constantine était Abou-Mohammed-Abd-Allah-ben-er-rim, ne dans cette ville.

L'introduction eut lieu suivant l'ordre indiqué ; le premier des Constantinois n'entra qu'après le dernier des Bougiotes. Ceux-ci, par déférence et par considération pour leur cadi, lui firent l'hommage de la première place, tandis que les autres entrèrent pêle-mêle ; et leur cadi se trouva confondu au milieu d'eux, tant chacun mettait d'empressement à se rapprocher du trône.

Lorsque les deux cadis se retrouvèrent, le docteur El-R'abrini dit au savant Ibn er-rim : « As-tu remarqué l'aimable procédé de mes compatriotes vis-à-vis de moi, tandis que les tiens n'ont pas eu pour toi les mêmes égards ? — La raison est bien simple, répondit le cadi Ibn er-rim ; le séjour de vos docteurs à Bougie n'est que de fraîche date, tandis que, parmi nos savants, chaque maison a la prétention d'être la plus illustre et la plus ancienne dans le pays. »

Le cadi El-R'abrini ne trouva plus rien à dire et se tut.

L'an 686 (de J. C. 1287), l'émir Abou-Zakaria, fils de l'émir Abou-Isahak, sortit de Constantine et marcha sur Tunis où régnait son oncle l'émir Abou Hafes ; mais il ne put même pas asseoir son camp sous les murs de la ville. Il traînait avec lui une armée considérable avec laquelle il parcourut le Belèd-el-Djerid, y leva l'impôt, et arriva jusqu'à Tripoli. Puis il campa sous les murs de Gabès, l'assiégea, le détruisit entièrement et retourna vers ses deux villes Constantine et Bougie. Son entreprise contre son oncle avait échoué.

Dans le courant de l'année où l'émir Abou-Hafes monta sur le trône, les chrétiens s'emparèrent de l'île de Djerba (5) ; ils emmenèrent huit mille prisonniers tant hommes que jeunes filles, massacrèrent les enfants, et firent main basse sur les objets précieux, sur les trésors et sur les provisions d'huile et de raisins secs. Leurs vaisseaux, au nombre d'environ soixante et dix, ne pouvant suffire à emporter tout le butin, ils chargèrent encore les vaisseaux de l'île au nombre de trente environ.

Pendant la même année 683 (de J. C. 1284), les chrétiens firent encore une descente à Mohdia ; ils y perdirent à peu près cent hommes, et il ne mourut que trois hommes dans la ville. Après cinq jours de siège les chrétiens se retirèrent. Sous le règne de l'émir Abou-Hafes, Ben-Mekki avait défendu la ville de Gabès (6).

Alors disparurent jusqu'au dernier tous les personnages qui avaient contribué à illustrer le règne d'Abou-Hafes (7). La mort frappa d'abord Abou Zeïd-Aïça-el-Fezari (8), dont la famille avait fourni de grands dignitaires à l'état, et des hommes distingués, soit dans le commandement, soit dans les sciences.

El-Fezari mourut l'an 693 (de J. C. 1293). Le cheikh hadjeb (chambellan) du prétendant mourut l'année d'après. Il fut remplacé dans sa charge auprès de l'émir Abou-Hafes (que Dieu le prenne dans sa sainte miséricorde !) par le docteur Abou Mohammed Abd-Allah ben Ali ben Abou A'mer, qui avait connu l'émir avant son arrivée au trône, et avait fait ouvertement des vœux pour lui. L'émir le nomma son chancelier. Ibn Abou A'mer fut comblé de faveurs ; sa position s'améliora à tous les changements de règne. Il était né l'an 641 (de J. C. 1243), à Béjà (9), où son père remplissait alors les fonctions de cadi.

L'émir Abou-Hafes (que Dieu le protège !) mourut de maladie dans les derniers jours de dhoul-hidja, à la fin de l'année 694 (de J. C. 1294), à l'âge de cinquante-deux ans, après avoir régné environ onze ans.

GOUVERNEMENT D'ABOU-OCEIDA.

Après le règne d'Abou-Hafes-Omar, l'émir Abou-Oceida-Abou-Abd-allah-el-ouâceq-Abou-becr-ben-Zakaria-Yahia-ben-el-émir-Abou-Abd-allah-el-Mountaser-ben-el-émir-Abou-Hafes-ben-ech-cheikh-Abou-Mohammed, fils du cheikh Abou-Hafes le Saint, fut investi du souverain pouvoir. Il fut reconnu à Tunis le 27 de rebi' ets-tsani de l'année 6g4 (de J. G. 129/1). H avait été reconnu précédemment à Constantin e et à Bougie.

Il eut pour cheikh ed-daula (10), le cheikh Abou Mohammed-Abd-Allah-ben-Abd-el-haqq-ben-Soliman, pour hadjeb (chambellan), l'honorable Abou Abd-er-Rahman ben Yakoub ben R'amer, et pour garde des sceaux, Abou Zeïd Abd er-Rahman ben el-R'azi de Constantine, qui avait été secrétaire de son père.

Personne ne songea plus à rappeler le passé.

Ibn R'amer était orgueilleux, avide de richesses', fourbe et intrigant. Le jour de l'entrée de l'émir Khaled, le hadjeb (chambellan) Abou-Abd-Allah Mohammed-ben-ed-debbar' se réfugia dans la maison des Zobeïdites (11). A force de ruses, Ibn R'amer parvint à lui faire volontairement quitter cette retraite. Par ses manœuvres, il vint à bout de lui faire payer cinquante mille dinars ; et, malgré les autres sacrifices qu'il exigea de lui, il le laissa malade dans une prison, où il mourut pendant le mois de redjeb de l'année 709 (de J. C. 1309).

L'émir Khaled possédait à Bougie et à Constantine une fortune considérable que lui avait laissée son père Abou-Zakaria (que la miséricorde de Dieu s'abaisse sur lui !). Et pour donner une idée de son opulence, j'ai entendu raconter par un témoin oculaire que, dans les camps, il faisait étendre des tapis et donnait à manger à ses hôtes dans une vaisselle magnifique, comme jusqu'alors les khalifes seuls avaient eu l'usage de le faire dans leurs palais. Il portait sur sa tête la couronne royale. Ce fait m'a été affirmé par une personne qui l'a vu le jour où il entra dans les murs de Constantine. Il triomphait alors de Ben-el-émir, qui s'appelait Mohammed-ben Yousef-el-Hamdani l'Andalou. Celui-ci avait commencé sa carrière en devenant le gendre du hadjeb (chambellan) de l'émir Abou-Zakaria, qui était (comme on l'a vu plus haut) Aboul-Kasem ben Aboul-Haï.

Auparavant, Ben-el-émir avait travaillé aux aqueducs de Bougie. Par suite de son alliance, il fut élevé au caïdat de Constantine. On lui doit des institutions auxquelles ses devanciers n'avaient pas songé. Par exemple, il créa un corps de cavalerie régulière, il disposa en derbs les rues qui avoisinaient son quartier (12), il établit un atelier auprès de sa maison et fit graver son nom sur les armes et autres objets qu'on y fabriquait.

Ensuite il se déclara indépendant, et prêcha la révolte en démontrant qu'il était plus avantageux de se soustraire à l'autorité du maître. L'émir Khaled, informé de l'ingratitude et de la révolte de son caïd, sortit de Bougie à la tête d'une armée formidable et marcha sur Constantine. A son approche, Ben-el-émir détruisit les ponts de la ville (13) ; puis il rangea en bataille ses hommes d'armes et les archers de sa garde particulière, qui étaient au nombre de plus de cent.

L'émir Khaled assiégea Constantine durant plusieurs mois : enfin, on entama des pourparlers à une des portes de la ville, dite porte d'El-Kantara.

Ce fut Ibn…, propriétaire des ruches à miel (14) établies près de la porte d'El-Kantara, qui fit entrer des hommes par cette porte. Alors Ben-el-émir, quittant Bab-el-oued (15), se porta vers la porte d'El-Kantara, afin de voir par lui-même ce qui se passait. Sa présence jeta l'effroi parmi les assistants ; mais, pendant ce temps-là, on ouvrait la porte dite Bab-el-oued, et le sultan faisait son entrée sur une grande mule et la couronne sur la tête, aux applaudissements de la population. Cet événement se passait en l'an 704 (de J. C. 1304).

Lorsque l'émir Khaled eut réuni à la casbah son medjlès, où siégèrent à ses côtés les grands de la ville, il leur reprocha leur conduite, leur représenta les fâcheux résultats de leur ingratitude. Aboul Abbas Ahmed-el-R'abrini, docteur en foqh (jurisprudence) et en hadis (traditions saintes), et cadi el-djema'a (juge suprême) à Bougie, assistait à la séance.

Mon grand-père (que la miséricorde de Dieu s'étende sur lui !) prit la parole, et continuant la pensée du prince, dit à l'assemblée : « Permettez-moi de vous dire que vous avez livré sans réflexion votre ville à un homme. Vous lui avez laissé la faculté de lever des troupes, de fabriquer des armes, d'entasser des richesses, de faire des provisions de bouche, sans que votre attention se soit éveillée. Et lorsque cet homme, poussé par un fol orgueil et livré aux suggestions de satan, qui lui représentait ses actes sous des couleurs trompeuses, a volontairement préparé sa perte, vous avez reconnu le peu d'influence qu'il avait sur la population et combien il était incapable de résister à un maître tel que le nôtre. »

Le souverain applaudit à ce discours, et le medjlès se sépara avec son assentiment.

Ben-el-émir fut fait prisonnier et Ibn Mérouan fut banni. Quant à l'émir Khaled, il fixa sa résidence tantôt à Bougie, tantôt à Constantine ; mais Bougie fut son séjour de prédilection. Enfin, l'an 709 (de J. C. 1309), il se rendit à Tunis et y resta jusqu'au moment où il périt victime d'un assassinat, l'an 711 (de J. C. 1311). Il avait régné à Tunis deux ans et deux mois.


 

NOTES.

(1El-Khatib ne dit pas pourquoi Abou-Zakaria avait choisi Tlemcen pour refuge. Le passage suivant, tiré de l’Anonyme de Constantine, fol. 176 r. fig. 5, vient éclairer le fait.

« L'émir Abou-Isahak quitta Bougie et s'enfuit dans la direction de Tlemcen, emmenant avec lui son fils, l'émir Abou-Zakaria. La population de Bougie se mit à sa poursuite et l'atteignit dans la montagne des Beni-R'abrin (voyez la note 4), où il s'était cassé la cuisse en tombant de cheval. Quant à l'émir Abou-Zakaria, il arriva à Tlemcen, où se trouvait une de ses sœurs. Elle vivait sous la tutelle du wâli de Tlemcen, Otmân-ben-Yer-meracen-ben-Zian, qui accueillit favorablement l'émir.

(2) Cette mosquée a été transformée en magasin après la prise de Constantine. Elle est située à soixante pas de l'arsenal, dans la rue qui longe les casernes. Des arcades transversales et longitudinales, supportées par des piliers larges de soixante centimètres, lui donnent l'aspect d'un damier.

(3) La Casbah ou citadelle est séparée de la ville par une muraille construite en pierres romaines avec une irrégularité qui confirme l'assertion d'El-Khatib. Elle occupe la partie la plus élevée de Constantine. Sa forme générale ressemble à un rectangle, et sa superficie est d'un peu plus de cinq hectares. C'est à l'entrée de la Casbah que se trouvent les citernes romaines.

(4Le titre complet est « Spécimen de la science ou Histoire des docteurs de Bougie. » C'est à l'obligeance de Si-Hamouda que je dois la communication de ce livre rare. J'en donnerai bientôt une notice détaillée.

L'auteur était issu de la tribu des Beni-R'abrin ou Beni-Grobry, qui font partie de la grande confédération du Sebaou supérieur et occupent la montagne appelée djebel R'abry, en face de Djema'a Sahridje. Les études historiques, que nous possédons sur la région qui embrasse toute la superficie du vaste quadrilatère compris entre Dellys, Aumale, Sétif et Bougie, ont fait tomber le voile du mystère. Il est reconnu aujourd'hui que la confédération du Sebaou supérieur renferme 125 villages et 11.550 fusils. Nous avons les noms des plus fortes tribus qui entrent dans sa composition, telle que les Beni-Raten, les Beni-Ferraousen, les Beni-bou-Chaïb, les Beni-Grobry, les Beni-Hidjer. (Voir La grande Kabylie, p. 187, par M. le colonel Damnas et M. le capitaine Fabar.)

On lit dans l'Anonyme de Constantine, fol. 175 v., l. 6. « C'est dans la montagne des Beni-R'abrin que l'émir Abou-Isahak fut arrêté pendant sa fuite par une chute de cheval. » El-Khatib nous indique, il est vrai, un autre endroit, qu'il appelle les Beni-Meuhtarass, et que je trouve marqué sur la même carte sous le nom de Materkas, près de l'oued Qseb, affluent de l'oued Sebaou. Mais la distance entre les deux points cités n'est que de six lieues.

(5) « L'île de Djerba, ayant secoué la domination du roi de Tunis, était devenue un repaire de pirates. L'humeur aventureuse et inquiète de ces insulaires était connue depuis longtemps. Une légende populaire cherchait à l'expliquer en leur donnant une origine infernale : on disait que leurs ancêtres étaient nés de l'accouplement impur des démons avec des femmes de Sicile.

« En 1284, Roger de Loria, amiral de Pierre, roi d'Aragon et de Sicile, se trouvant en mer avec sa (lotte, proposa à ses officiers la conquête de l'île de Djerba, en leur offrant la perspective d'un grand butin. La proposition fut accueillie avec transport, et le 12 septembre les Siciliens attaquèrent les Djerbiotes, dont quatre raille furent tués et plus de six raille prisonniers. Le roi Pierre assura a Roger de Loria la possession de l'île, qui se transmit à ses descendants.

« Cette conquête ne brouilla pas, pour le moment, la Sicile avec Tunis ; car, l'année suivante, c'est-à-dire en 1285, le traité de 1270 étant expiré, les deux puissances en conclurent un nouveau pour vingt-cinq ans.» (Exploration scientifique de l’Algérie, mémoires historiques et géographiques, par E. Pellissier, t. VI, p. 210.)

(6« Gales ou Kabès est située au fond de la petite Syrie, où elle fait face à l'île de Djerba. Cette ville est le marché le plus important du Sahara Tunisien. On cite les Beni-Zid comme la principale tribu de son territoire.» (Exploration scientifique de l'Algérie, Recherches sur la géographie elle commerce de l'Algérie méridionale, par E. Carette.)

(7Dans l'énumération des personnages qui ont jeté quelque éclat sur le règne d'Abou-Hafes-Omar, El-Khatib a oublié deux personnages que je trouve mentionnés dans l’Anonyme de Constantine, fol. 176 r. 1. 34. Voici le texte :

 « Le jurisconsulte, le mufti, le chérif Ahmed Elr arnâthi (de Grenade), auteur du Mecharq, mourut dans le mois de doul hidja de l’année 692 (1392 de J. C.). »

Ahmed ben Mohammed ibn Hasan el-R'ammaz el-Ansari, l'un des cadis les plus distingués, et versé dans les études religieuses, mourut le jeudi 10 de moharrem de Tannée 693 (1293 de J. C.). Il était né à Valence le jour de l'achoura en 609 (1212 de J. C.), et il mourut le jour de l'achoura. On peut faire remarquer le rapprochement singulier qui existe entre le jour de sa naissance et celui de sa mort. Son corps fut déposé dans la maqbara (caveaux funéraires) du vénérable marabout Sidi-Abd-er-Rahman-el-Menatqui à Tunis. C'était un cadi et un mufti instruit dans la jurisprudence, qu'il avait étudiée en Andalousie. Etant venu à Bougie, il travailla dans cette ville, auprès du cadi, en qualité de adel (assesseur). Enfin, il arriva à Tunis, et fut successivement cadi dans plusieurs villes de la province, jusqu'à l'époque où il devint cadi de Tunis. Lors de sa mort, il était encore investi de cette charge, dans laquelle il avait été confirmé plusieurs fois. »

Ces deux illustres docteurs occupent une place importante dans l'ouvrage d'El-R'abrini, fol. 37 v. l. 1 et fol. 107 r. l. 3.

(8) En 681 (1282 de J. C.), avant la déroute de l'émir Abou Isahak à Kala'at-es-Senan, le cheikh Abou-Zéïd-el Fezari était à Bougie auprès du prince Abou-Zakaria. (Voir l'Anonyme de Constantine, fol. 175 r. 1. 4.)

(9Béja, l'ancienne Vacca, est située dans la régence de Tunis, sur la route qui conduit de celte ville à Bône.

(10) La dignité de cheikh ed-daula répond à peu près à celle de président du conseil des ministres, et est expliquée en arabe par les mots modebber ed-daula, conseiller suprême du gouvernement.

(11) L'Anonyme de Constantine porte fol. 176 r. l. 19, la zaouïa des Zobeïdites. Un des membres de cette famille, marabout très vénéré, fut traité avec beaucoup de considération par le faux El-Fadhel. (Voir El-Khatib, fol. 16 v. l. 3.)

Pour l'explication du motzaoïtia, je renvoie le lecteur à l'excellent travail de mon ami le capitaine de Neveu sur les confréries religieuses de l'Algérie, p. 16, note i.

(12) Derb. M. Silv. de Sacy a expliqué ce mot dans la Relation de l'Egypte, par Abdallatif, p. 385, et dans sa Chrestomathie, t. II, p. 130 ; mais sa définition ne répond pas tout à fait au sens que les Arabes de Constantine lui attribuent aujourd'hui. Le derb désigne une cour intérieure qui communique avec la rue par une allée ou ruelle fermée à ses deux bouts, et sur laquelle ouvrent trois, quatre ou cinq maisons d'une même famille : c'est ce qu'on appelle à Paris cité et à Londres square.

Le palais bâti en 1833 par Achmet-Bey, à Constantine, et habité aujourd'hui par le commandant supérieur de la province, contient plusieurs corps de bâtiments formant un quartier distinct et séparé du reste de la ville, avec laquelle il ne communique que par une seule avenue fermée a ses deux extrémités ; aussi les indigènes l'ont-ils appelé derb.

(13) Il détruisit les ponts de la ville. On a beaucoup parlé des ruines de Constantine. Nombre de voyageurs ont décrit longuement tout ce qui, dans cette ville, rappelait le passé. Plusieurs d'entre eux se sont appuyés sur les relations d'écrivains qui n'avaient pas vu les lieux, et une foule d'erreurs ont été accréditées sur la foi d'auteurs peu scrupuleux.

J'ai consulté le chef du génie de Constantine. Il a bien voulu me communiquer le résultat des recherches consciencieuses faites par ses soins. Sans sortir des limites de mon travail, je dirai seulement quels sont les vestiges qu'un voyageur peut apercevoir dans le gouffre qui borde la partie orientale de Constantine, si toutefois il est assez hardi pour s'exposer aux chances d'une pareille exploration.

Pont dit El-kantara. Ce pont est le seul qui soit encore utilisé de nos jours. Il est construit sur le ravin et facilite les communications avec la campagne. On sait que, dans sa partie orientale, le ravin possède trois voûtes naturelles. C'est sur l'extrémité de la plus large et à l'endroit ou la rivière disparaît pour la première fois dans un gouffre de trente-cinq à quarante mètres de profondeur, que repose le pont d'El-Kantara.

Ce bâtiment, tel qu'on le voit aujourd'hui, a été relevé par Salah Bey, en l'année 1798 (de J. C.). Il est à deux étages. L'étage inférieur compte deux arches, dont l'une, celle du côté de la ville, a été murée, on ne sait à quelle époque. Ces deux arches sont soutenues par trois piliers, dont la construction est évidemment romaine, depuis la base jusqu'à la corniche. C'est au-dessus du pilier du milieu que l'on aperçoit la sculpture exactement décrite par le docteur Schaw et accompagnée d'un dessin.

Seulement, dans l'intervalle compris entre cette sculpture et le sommet du pilier, qui est lui-même écorné, se trouvent des replâtrages modernes, ce qui pourrait faire croire que la sculpture a été replacée postérieurement.

Pour relier ce pont inférieur au rocher, il existe, du côté de la campagne, une arche qui se trouve interrompue, vers son milieu par le rocher lui-même. Du côté de la ville, une légère amorce de voûte, qui n'est pas en harmonie avec l'ensemble de l'ouvrage, supporte la partie supérieure de l'édifice. Au-dessus du pilier extérieur, on remarque un fragment de construction romaine qui se termine à une petite corniche. J'ai compté quinze assises entre cette petite corniche et celle du pilier.

Le second étage, qui est à seize mètres environ de l'étage inférieur, se compose de quatre arches. Les deux du milieu correspondent aux deux arches du bas, et leurs voûtes sont en ogives. Quant aux deux arches latérales, elles sont à plein cintre et se trouvent sensiblement plus larges que celles du milieu. L'arche tournée vers la campagne repose sur un pilier romain, qui, lui-même, a été établi sur le roc et n'a que treize assises, y compris la corniche. On voit encore au-dessus une dizaine d'assises qui s'encadrent irrégulièrement dans la maçonnerie moderne. Du côté de la ville, quatre assises romaines soutiennent la voûte de la quatrième arche. Enfin, l'édifice, au temps des Romains, devait avoir, du côté de la campagne, une arche de plus, car on distingue encore une partie de la voûte et le pilier d'où s'élance l'arceau. Cette arcade et ce pilier sont aujourd'hui réunis par une bâtisse continue. La hauteur totale du pont ne dépasse pas soixante-cinq mètres. N'oublions pas que ses fondations sont encore à environ quarante mètres au-dessus du lit du Roumel. La longueur du tablier est de soixante mètres.

Vestiges Du Deuxième Pont. A cinquante mètres en amont, et à la hauteur des fondations du monument qui précède, on distingue, sur les deux rives, les traces d'un pont large de huit mètres. Les culées ne sont séparées que par une distance de vingt mètres, et c'est la plus petite largeur du ravin.

Troisième Pont (pont-aqueduc). Plus loin, à trois cent vingt mètres d'El-Kantara, s'élève, sur la rive gauche du Rummel, un pilier en pierres rougeâtres haut de treize mètres et large d'un mètre quatre vingt centimètres. Cette construction doit appartenir à un aqueduc qui amenait jusqu'aux citernes de la ville les eaux du djebel Ouahache. En 1847, lenie a retrouvé, dans le cimetière français, sur le versant nord du Mansourah, des bassins ou filtres dont la relation avec le pont est facile à reconnaître.

Quatrième Pont. Toujours en amont d'El-Kantara, et à une distance de cinq cents mètres, se trouvent deux culées parfaitement conservées et séparées par un intervalle de dix mètres cinquante centimètres.

Cinquième Pont. La ville de Constantine a la forme d'un losange dont la mosquée de Sidi-Râched occupe la pointe sud. C'est au-dessous de cette mosquée que la rivière commence à entrer dans le ravin. A la hauteur du promontoire, et sur le bord de la rive droite, existent encore trois masses de béton dont on peut suivre la trace jusque dans le lit du Rummel. La première de ces masses adhère au rocher sur une largeur de dix mètres, et une hauteur moyenne de cinq mètres. 11 est évident que ces vestiges appartiennent à la culée d'un pont qui reliait la rive droite avec la partie la plus basse de la ville. Je mentionnerai seulement pour mémoire un restant de construction situé sur l'extrémité du promontoire et les débris de deux ponts, remplacés, l'un par le pont d'Aumale et l'autre par le pont Valée.

(14En visitant les lieux qui furent le théâtre de ces événements, j'ai vu, dans une maison arabe qui touche à l'extrémité du pont dit El-Kantara, près de la porte, soixante ruches établies dans des écorces de liège tout entières. Il existe le long du ravin sept ou huit maisons où les indigènes élèvent des abeilles.

Sous le rapport lexigraphique, les mots, menhala, et mendjara, sont formés sur le même paradigme. Ils manquent dans le dictionnaire de Freytag.

(15 Bab-el-oued, « la porte de la rivière, » a été remplacée par la porte Valée, que le génie a bâtie près de la brèche.