Anonyme

Mouyin ed-din el-Esfizâri

 

CHRONIQUE PERSANE DE HERAT

 

 partie I - partie II - partie III

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

CHRONIQUE PERSANE DE HERAT

DE

 

Mouyin ed-din el-Esfizâri

 

TRADUCTION ET NOTES PAR M. BARBIER DE MEYNARD.


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TROISIÈME PARTIE

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE.

Cette dernière partie de la Chronique de Mouyin ed-din Esfizâri, dont la publication a été retardée par des travaux plus urgents, comprend l’histoire du Khorasan sous les successeurs de Timour, jusqu’au meurtre de Sultan Abou Saïd. Les dernières pages, consacrées à l’avènement de Sultan Hussein, sont si pauvres de faits, si remplies d’une basse adulation et d’images fausses ou banales, que personne ne me reprochera de les avoir élaguées. D’ailleurs, la rédaction de cette seconde moitié du livre est bien moins satisfaisante que la première : les faits y sont présentés sans ordre, sans nul respect de la chronologie ; l’auteur revient sans cesse sur ses pas, et, dans sa marche désordonnée, il omet des détails qui ont leur importance. Il m’a donc fallu recourir à des auxiliaires plus méthodiques et c’est dans le Habib us-Sier, c’est dans l’histoire millénaire (Tarikh-é-elfi), précieux ouvrage, dont j’ai fait l’acquisition pendant mon séjour en Perse, que je puise les renseignements que je présente, dans ce dernier chapitre, sous une forme rapide et synthétique. Grâce aux documents de ce genre, il m’eût été facile de donner d’amples développements à cette triste phase de l’histoire musulmane, mais il m’aurait fallu dépasser de beaucoup les limites, dans lesquelles ce travail doit rester enfermé. On peut, en outre, se demander quelle utilité ressort du récit détaillé de ces révolutions confuses, de ces usurpations qui s’entrecroisent, de ces marches et contremarches d’armées indisciplinées, de ce tableau sinistre des plus horribles excès de la barbarie. L’histoire, telle qu’on la comprend de nos jours a d’autres exigences et un but plus élevé à atteindre. C’est, l’humanité même qu’elle étudie dans les manifestations premières de sa conscience, dans les phases multiples de sa vie religieuse, morale, intellectuelle. Les clartés que les documents musulmans jettent sur ces belles et ténébreuses questions sont si pâles, loin de déplorer avec un de nos savants confrères la prétendue concision et les lacunes de la Chronique de Khondémir, la meilleure traduction, selon moi, serait celle qui la contiendrait toute en deux cents pages. Si ces considérations ont quelque poids, le lecteur, je l’espère, ne me saura pas mauvais gré de l’extrême brièveté du présent travail.

 

CHAPITRE IV ET DERNIER.

HISTOIRE D’HERAT SOUS LES TIMOURIDES.

REGNE DE SCHAH ROKH.

L’an de l’hégire (1396-1397), Timour donna à son jeune fils Schah Rokh, [88] le gouvernement du Khorasan qui comprenait alors tous les pays situés entre les frontières du Mazandéran et l’Indus.

Il désigna lui-même les chefs qui devaient occuper auprès du prince les emplois les plus importants ; de ce nombre étaient Suleïman Schah, Mozrib-Tchakou, Seid-Khadjeh, fils d’Ali Behadour ; Hadji Seïf ed-din, Haçan-Djândâr et plusieurs autres émirs. Schah Rokh fit ses adieux à son père, aux environs de Koudj, et continua sa route. Dans le district de Tchichekto, [89] il fut reçu par une députation des chefs militaires du Khorasan, sous la conduite d’Ak Bogha, gouverneur de Herat. Après un court séjour à Herat, il y laissa son harem et prit le chemin du Mazandéran, dont le climat lui parut plus favorable à son campement d’hiver. Quelques mois après son départ, il apprit la naissance de son fils Baïsongho à Herat, et des réjouissances magnifiques furent célébrées, à cette occasion, dans les jardins de Zaghân.[90]

TENTATIVE DE MEURTRE CONTRE SCHAH ROKH DANS LA GRANDE MOSQUÉE D’HERAT.

Schah Rokh, parvenu au faîte des grandeurs, maître d’un vaste empire et d’une puissance sans bornes, conserva toujours les sentiments d’humilité et la ferveur religieuse de son enfance. Plein de dédain pour les biens passagers de ce monde, il demandait à la prière et aux plus strictes pratiques de la dévotion l’oubli des vanités qui l’accablaient. Ce fut dans un de ces moments de pieux recueillement qu’il faillit perdre la vie. Le vendredi 23 du mois de rébi second, 830 (mars 1427), il venait de réciter les prières hebdomadaires dans la grande mosquée de notre ville, et se disposait à sortir du Moçalla, lorsqu’un derviche, enveloppé d’un manteau de feutre, se présenta devant lui, un placet à la main. Tandis que l’empereur ordonnait à un de ses officiers de lire la requête et de lui en faire connaître le contenu, le derviche, tirant un poignard qu’il avait caché sous son manteau, se précipita sur Schah Rokh et le frappa. Mais la Providence veillait sur les jours de ce monarque bienfaisant, et elle détourna le coup qui devait lui arracher la vie ; le fer, mal dirigé, pénétra peu profondément dans les chairs. L’assassin fut mis en pièces sur le seuil même de la mosquée ; on le reconnut pour être un certain Ahmed Lor, disciple de Molla Fazl Allah Asterâbâdi. Cependant les timbaliers s’étaient déjà mis en marche au son de leur musique guerrière, et le peuple se pressait aux abords de la mosquée, avide de contempler le cortège impérial. Schah Rokh, affaibli par la perte de son sang, voulait se faire porter en litière ; mais les émirs Ala ed-din Alikeh-Geunultasch et Djélal ed-din Firouz Schah lui représentèrent que le bruit de sa mort se répandrait aussitôt dans la ville et pourrait faire naître de graves désordres. Schah Rokh, réunissant toutes ses forces, monta à cheval et traversa les bazars, précédé de sa fanfare ; il arriva ainsi jusqu’à Bâgh-é-Zaghân, où les chirurgiens pansèrent sa blessure et la déclarèrent sans gravité. On procéda aussitôt à l’enquête. Une clef avait été trouvée dans les vêtements de l’assassin ; les agents de la police reconnurent qu’elle ouvrait la porte d’une des chambres du petit caravansérail, où il avait demeuré. Ils apprirent aussi, par les dépositions des voisins, que le derviche faisait métier de coudre des bonnets et qu’il recevait de fréquentes visites. Les condamnations, basées sur de simples soupçons, furent nombreuses. Un célèbre calligraphe, Molla Mârouf Khattat, originaire de l’Irak, fut traîné plusieurs fois au pied du gibet, et ne dut la vie qu’au talent dont il avait donné tant de preuves. D’autres prévenus, plus sérieusement compromis, tels que Azd ed-din, neveu de Molla Fazl Allah Huroufi, furent suppliciés et leurs cendres jetées au vent. Un poète distingué. Emir Seïd Kassem de Tabriz, dont la complicité n’était rien moins qu’avérée fut exilé de Herat. C’est à cette circonstance qu’il fait allusion dans le passage suivant d’une de ses odes

Interromps tes chants, ô Kassem, et prépare-toi à partir.

Donne ton sucre aux perroquets (c’est-à-dire tes vers aux gens éloquents) et laisse les cadavres aux vautours.

MORT DE SULTAN BAÏSONGHOR ; PESTE À HERAT ;

MORT DE L’EMPEREUR SCHAH-ROKH.

L’an 837 (1433-1434), la mort de Baïsonghor Behadour, fils de Schah Rokh, plongea le Khorasan dans la consternation. Ce prince, doué de toutes les qualités de l’esprit et du cœur, ne se plaisait que dans la société des savants et des littérateurs ; il cultivait lui-même les lettres avec succès, [91] et sa douceur le faisait chérir de ses sujets. Mais un goût prononcé pour le vin et la débauche ruina de bonne heure sa santé ; les médecins ne purent arrêter les progrès de la maladie, et il succomba dans la matinée du samedi 1er djemazi el-evvel, âgé seulement de trente sept ans et quatre mois.[92] L’empereur fit, célébrer les cérémonies funèbres selon les prescriptions de la loi musulmane ; mais il ne prit pas le deuil et se borna à mettre sur sa tête le bonnet de poils de chameau en usage parmi le peuple et les derviches. Une foule immense suivit le convoi depuis le Bagh-é-Sefid, demeure du prince, jusqu’à la medréceh de Gueuher Schah Bégum, où il fut enterré.

Après quarante jours de deuil, la cour quitta les vêtements noirs et prit, selon l’usage mongol, le costume de cérémonie. Schah Rokh, frappé dans ses affections les plus chères, eut assez d’empire sur lui-même pour régler la succession du défunt, d’après la loi sur les partages au profit des trois fils qu’il laissait, à savoir : Rokn-es-Salthanet, Ala ed-dôoleh, Moez-es-Salthanet Sultan Mohammed, et Ghyas es-Salthanet Aboul Kassem Babour.

L’année suivante (mars 1435 de J. C.), la peste fit de terribles ravages dans Herat. Bien que les médecins aient cherché la cause de cette calamité dans les influences, malignes de l’air, les disciples de la vérité (soufis) n’hésitèrent pas à l’attribuer aux iniquités de l’homme.[93] Au lieu d’accuser un climat dont la douceur et la salubrité excitent la jalousie des jardins célestes, il eût été plus naturel, au moins, d’attribuer l’apparition du fléau à l’agglomération des habitants, Mais cette explication ne peut que confirmer celle des sectateurs de la religion intérieure ; car mille souillures, dans l’ordre physique et moral, sortent de la multitude, et planent sur elle, comme une vapeur empoisonnée. La peste dura depuis le 7 de redjeb jusqu’au 15 de zil-kaadeh, c’est-à-dire pendant quatre mois et huit jours ; sa période d’intensité coïncida avec les premiers jours de la lune de schavval. Ce mal, presque inconnu à Herat, inspira une terreur universelle ; on dit qu’en un seul jour quatre mille sept cents cercueils sortirent des portes de la ville. La banlieue fut encore plus cruellement décimée. Parmi les victimes les plus regrettables, on cite le vénérable cheikh Zeïn ed-din el-Khâli. Ce saint personnage, voyant que ses exhortations ne pouvaient rien sur le peuple, monta en chaire après l’office du vendredi, et s’écria : « O mon Dieu puisque nos prières ne peuvent vous fléchir, daignez accepter ma vie pour la rançon de vos serviteurs ! » Deux jours après (2 schawal), il mourait de la peste. Une autre perte aussi déplorable fut celle de Khadjeh Abd el-Kader, célèbre par son triple talent de peintre, de musicien et de poète. C’est surtout comme musicien qu’il est connu dans tout l’empire musulman, et l’anecdote suivante prouvera combien cette réputation était légitime. Sultan Ahmed avait auprès de lui à Bagdad un chanteur nommé Rizvân Schah qui avait composé un morceau en douze tous à six parties et vingt-quatre variations. Abd el-Kader, qui était, à cette époque dans toute la force de l’âge et du talent, vint à la cour de Bagdad et défia son rival. En effet, sur des paroles arabes et persanes que les poètes de la cour lui fournissaient, il composa chaque jour, pendant tout le mois de ramazân, un morceau différent, où toutes les difficultés de l’œuvre de Rizvân Schah se trouvaient réunies ; à la fête du beïram, il les exécuta successivement devant le roi, qui, émerveillé de la fécondité et de la science de cet artiste, lui décerna publiquement la palme.[94] Mais, hélas ! les doux sons de sa lyre (tchenk) ne purent arracher cet oiseau mélodieux aux griffes acérées (tcheng) de la mort. Schah Rokh était campé aux environs de Rey lorsqu’il fut informé des calamités qui désolaient notre pays, et il fit défense d’ouvrir les lettres venues du Khorasan, pour empêcher l’alarme de se répandre dans son camp. D’après le dénombrement qui fut dressé par ses ordres, le nombre des morts se serait élevé à 600.000 âmes dans la capitale, et à 400.000 dans les campagnes environnantes, sans compter ceux qui furent enterrés dans leurs maisons, ou jetés dans des fosses creusées à la hâte.

L’empereur Schah Rokh mourut l’an 850 (avril 1447), âgé de soixante et douze ans.[95] Il avait eu sept enfants : 1° Olough-Beig, le seul qui lui survécut ; 2° Ibrahim Sultan ; 3° Baïsonghor Mirza ; 4° Saourgoutmisch Mirza ; 5° Mohammed Djouki ; 6° Djân Oghlân ; 7° Yardi-Beig ; ces deux derniers moururent en bas âge ; les autres, à l’exception d’Olough-Beig, précédèrent leur père dans la tombe ; mais ils laissèrent des héritiers dont le nom reviendra souvent dans la suite de cette histoire. Ce sont : 1° Mirza Abd Allah, fils d’Ibrahim Mirza ; il régna dans le Fars ; 2° Ala ed-dôoleh, Sultan Mohammed et Babour Mirza, tous trois fils de Baïsonghor ; 3° Sultan Massoud et Karadjar Mirza, fils de Siourgoutmisch ; 4° Mohammed Kaçem Mirza et Sultan Abou Bekr, fils de Mohammed Djouki. En outre, l’empereur avait eu deux filles qui furent données en mariage à Mirza Yahia et à Mohammed Djihanguir, fils de Mohammed Sultan. Deux des femmes de Schah Rokh, Gueuher Shah Bégum et Agha Sultan Bégum, lui survécurent et prirent part aux luttes sanglantes que fit naître l’ambition de tous ces compétiteurs au trône. Nous allons raconter, si Dieu le permet, ce que devint la province de Herat, au milieu des désordres qui désolèrent, à cette époque, les plus belles contrées du monde soumis à l’islam.

TROUBLES QUI DECHIRERENT LE KHORASAN APRÈS LA MORT DE SCHAH ROKH.

Dès que Schah Rokh eut cessé de vivre, Gueuher Schah Bégum, sa veuve, se hâta d’en informer Abd el-Latif Mirza, et l’engagea à s’emparer du pouvoir au détriment d’Olough-Beig, qui résidait alors à Samarcande. Mais Abd el-Latif, dont l’esprit frivole se laissait facilement capter, au lieu de profiter des bonnes dispositions de la reine mère, prêta l’oreille aux suggestions de quelques conseillers déloyaux qui lui répétaient sans cesse que Gueuher Schah était entièrement dévouée à Ala ed-dôoleh Mira. Vers la fin du mois de zil-hiddjeh de l’année 850, Abd el-Latif surprit le camp où se trouvaient la reine et les tarkhâns, entre Khar-Rei et Sourkheh, et les emmena prisonniers à Semnân.

Dès lors l’ambition de tous ces princes rivaux se dévoila, et mille factions déchirèrent le vaste empire conquis par Timour. Du fond de la Transoxiane, Olough-Beig méditait la conquête de toutes les contrées soumises à l’islam. Ala ed-dôoleh s’emparait des trésors déposés dans la citadelle de Herat ; Sultan Abd Allah, fils d’Ibrahim Sultan, se rendait maître de la province de Chiraz. Mohammed Mirza, malgré le petit nombre de ses partisans, n’hésitait pas prendre part à la lutte, et Aboul Qaçem Babour faisait valoir hautement ses prétentions au trône. Enfin, les fils de Siourgoutmisch se rendaient indépendants dans le Kaboul et à Ghiznin, tandis que Mirza Abou Bekr, fils de Mohammed Djouki, occupait sans coup férir la province de Khottolàn.

Cependant Abd el-Latif Mirza, après le succès qu’il avait remporté sur la reine douairière, s’était avancé jusqu’à Bestham. Là on lui apprit que Babour Mirza était entré dans le Djordjan, y avait reçu l’hommage d’Émir Hindoukeh, et que son autorité était désormais reconnue dans cette province et dans le Mazandéran. Abd el-Latif, voyant qu’il ne réussirait pas contre son rival, retourna à Nischapour, suivi de la reine et de ses prisonniers. Ala ed-dôoleh, qui était maître de Herat, avait employé les richesses de cette ville à grossir le nombre de ses partisans, et à les équiper. Dès qu’il apprit qu’Abd el-Latif était arrivé à Nischapour, il fit marcher contre lui quelques régiments, commandés par Mirza Saleh et par l’émir Oveïs, avec ordre de surprendre l’ennemi, et de délivrer la reine et ses compagnons de captivité. Ces deux officiers se rendirent à Mesched, en toute hâte ; mais ayant été informés qu’Abd el-Latif irritait par ses violences les chefs placés sous ses ordres, et que la discorde régnait dans les rangs de son armée, ils résolurent de l’attaquer sans perdre de temps, et dans la nuit du samedi, 13 safer, ils se jetèrent sur son camp, plongé dans une sécurité profonde, pénétrèrent jusqu’au quartier général et s’emparèrent de Gueuher Schah et des autres prisonniers. Dès que l’alarme fut donnée, Abd el-Latif se précipita sur cette petite troupe, à la tête de toute son armée ; cependant les soldats hératiens, malgré leur infériorité numérique, remportèrent la victoire. Abd el-Latif chercha son salut dans la fuite ; mais son cheval s’étant abattu, il fut pris et conduit en présence de Ala ed-dôoleh, qui était venu à la rencontre de son armée victorieuse jusqu’à Saad Abad (bourg voisin de Djam). Ala ed-dôoleh se montra généreux ; loin de punir son rival, il lui donna un équipage digne de son rang, et le conduisit à Herat ; puis il fit venir le corps de l’empereur Schah Rokh et le fit inhumer dans la chapelle funéraire de Baïsonghor, située dans la medressèh de Gueuher Schah.

EXPEDITION D’OLOUGH-BEIG DANS LE KHORASAN.

La mort de Schah Rokh avait plongé son fils, Olough-Beig, dans un désespoir si profond que, pendant plusieurs mois, il négligea les affaires de son gouvernement et parut ne pas s’opposer aux tentatives ambitieuses de ses ennemis. Mais les conseils de ses ministres le tirèrent de sa torpeur ; on lui représenta qu’il était le seul fils survivant et l’héritier légitime de l’empereur, et qu’il devait assurer les droits que lui donnait sa naissance, avant que ses compétiteurs au trône eussent fait des progrès sérieux

Olough-Beig se décida donc à mener son armée dans le Khorasan. Arrivé sur les bords de l’Oxus, son premier soin fut d’attirer Abou Bekr Mirza dans son parti. Ce prince, fils de Mohammed Djouki, [96] non content de régner dans le Khottolân, à Erheng et à Sali-Sérai, avait étendu son autorité sur Balkh, Shoubroughân, Kondouz, Boqoullân, jusqu’aux frontières du Bedakhschân, et il cherchait à s’affranchir de toute domination étrangère. Olough-Beig l’attira dans son camp, le combla de présents et lui donna une de ses filles en mariage. Mais Abou Bekr était d’un caractère remuant et perfide, et il ourdit secrètement des intrigues contre son suzerain Olough-Beig fut instruit de ces menées par un officier qui remplissait auprès d’Abou Bekr les fonctions de chancelier ; il fit épier le schahzadeh, et voyant que la dénonciation était exacte, il le chargea de chaînes et le renvoya prisonnier à Samarcande.

Puis il passa l’Oxus et vint camper à Balkh, ou il reçut la nouvelle du coup de main de Nischapour et de la captivité de son fils, Abd el-Latif Mirza. La voix de la nature étouffa chez lui le ressentiment que lui avait inspiré la conduite insoumise de ce jeune homme, et il entama des négociations avec Ala ed-dôoleh pour obtenir la mise en liberté d’Abd el-Latif. Ce fut le premier ministre d’Olough-Beig, le mollah Nizam ed-din Mirek (fils de Mahmoud), qui fut chargé de cette mission. Il se rendit à Herat, où Ala ed-dôoleh organisait une défense formidable, et lui dit que son maître n’avait jamais songé à user de violence contre une ville dont l’empereur, son père, avait fait sa capitale et que si Ala ed-dôoleh consentait à rendre la liberté à son prisonnier, rien ne troublerait l’harmonie qui régnait entre les deux princes. Un événement fortuit hâta la conclusion de cette affaire. Babour Mirza, qui se croyait des droits sur le Khorasan, venait de sortir du Djordjan avec toute son armée et s’était avancé sans obstacle jusqu’à Mesched. La garnison que le souverain de Herat avait placée à Djam essaya vainement de s’opposer aux progrès de l’ennemi : elle fut mise en déroute, Mohammed Mirza qui la commandait fut fait prisonnier et Babour entra dans la province de Herat. Ala ed-dôoleh, pris entre deux ennemis, ne pouvait plus hésiter ; il conclut un traité de paix avec Olough-Beig et remit en liberté Abd el-Latif, à la condition que ce dernier lui rendrait les officiers qu’il avait faits prisonniers lors de l’affaire de Nischapour. Olough-Beig revit son fils avec une joie sincère, lui promit d’oublier le passé, et le nomma vice-roi de la province de Balkh ; puis il reprit le chemin de Samarcande.

Ala ed-dôoleh, libre de ce côté, se retourna contre Babour Mirza. Il établit son quartier général à Mesched et ordonna à ses émirs d’attaquer immédiatement Khabouschân où Babour s’était retranché.

Ses généraux obéirent ; mais, arrivés en présence de l’ennemi, ils tinrent conseil et déclarèrent qu’il était imprudent de s’affaiblir dans une lutte contre Babour, lorsque, d’un moment à l’autre, Olough-Beig pouvait revenir dans le Khorasan pour s’y faire reconnaître comme l’unique héritier de Schah Rokh. Ils forcèrent donc Ala ed-dôoleh à entrer en négociation avec le prince de Djordjân. On convint facilement des clauses de la paix : Khabouschân fut déclaré ligne frontière, entre les deux États, et Babour retourna dans le Mazandéran, tandis que Ala ed-dôoleh reprenait le chemin de Herat.

Cependant Abd el-Latif Mirza, fier de gouverner la Bactriane, ne tenait nul compte de la convention conclue avec Ala ed-dôoleh, et n’avait pas encore remis en liberté les prisonniers de. Nischapour. Un contingent de l’armée de Herat, commandé par Mirza Saleh, vint les réclamer et s’avança jusqu’à Tchichekto. Abd el-Latif attaqua à l’improviste cette faible armée, la dispersa, et Mirza Saleh ne dut la vie qu’à la rapidité de son cheval. Il regagna Herat, non sans péril, et raconta au prince ce qui s’était passé. Ala ed-dôoleh en fut extrêmement irrité ; il fit mettre à mort les otages qu’Abd el-Latif lui avait laissés ; et, malgré les rigueurs de l’hiver, il se dirigea avec toute son armée contre la Bactriane. Abd el-Latif se fortifia de son mieux et informa son père de sa situation dangereuse. Olough-Beig mit encore en œuvre les ressources de la diplomatie pour détourner le péril qui menaçait son fils. Mais le langage de ses envoyés prouvait qu’il ne reculerait pas devant l’emploi de la force « Il n’est pas digne d’un prince tel que vous, dirent-ils à Ala ed-dôoleh, de déchirer aujourd’hui les clauses du traité, lorsque tous vos efforts devraient tendre à le rendre plus solide. Si, en cette occasion, vous aviez à vous plaindre de la légèreté d’Abd el-Latif, c’était devant notre souverain que vous auriez dû porter vos griefs, et non vous faire justice les armes à la main. Quoi qu’il en soit, le parti le plus sage pour vous, c’est de revenir sur vos pas. » Les rigueurs de la saison, non moins que l’attitude ferme d’Olough-Beig, déterminèrent Ala ed-dôoleh à retourner à Herat, après avoir ravagé tout le pays autour de Tchichekto. Il construisit aussi dans ce district une forteresse avec des briques enlevées aux mausolées et aux fondations pieuses des environs. Comme les soldats n’avaient eu, dans ce campement, d’autre nourriture que de l’orge rôtie, ils donnèrent à cette forteresse le nom de Kour-Madj. En 852, Ala ed-dôoleh, délivré un moment des soucis de la guerre, fit célébrer en grande pompe la circoncision de son fils (aîné), Ibrahim Sultan ; mais les chants de fête retentissaient encore, lorsqu’une fatale nouvelle tomba au milieu de la joie publique : Olough-Beig venait de traverser une seconde fois l’Oxus et s’avançait rapidement dans la direction de Herat. L’ambition d’Olough-Beig ne manquait pas de prétextes pour légitimer cette nouvelle invasion. Indépendamment de ses droits de fils et d’unique héritier de Schah Rokh, ce prince invoquait la violation du traité conclu précédemment avec Ala ed-dôoleh, le meurtre des officiers d’Abd el-Latif Mirza, qui devaient être rendus avec de riches présents, enfin les scènes de carnage qui avaient accompagné la prise de Balkh. Abd el-Latif prit le commandement de tous les contingents qu’il put lever dans le Khottolân, Kondouz, etc. jusqu’aux rives du Mourghâb, et rejoignit l’armée de son père au passage de l’Oxus. De son côté, Ala ed-dôoleh ne négligea rien pour résister à l’orage qui le menaçait. Après avoir équipé, à force de sacrifices, une nombreuse armée, il laissa la défense du château d’Ikhtiar ed-din à Hadji Beig, avec 4.000 tomans (kebeki), et s’avança la rencontre de l’ennemi jusqu’à Terbâb. Ce fut dans cette vallée, à 12 farsakhs environ de Herat, qu’une sanglante bataille décida des destinées du Khorasan. La victoire tarda à se déclarer, et la brillante valeur d’Ala ed-dôoleh l’aurait sans doute fait pencher de son côté, si la défection d’Abd Allah Mirza (fils d’Ibrahim Sultan) n’était venue jeter la consternation dans l’armée de Herat. Abd el-Latif, profitant de cette circonstance, se porta sur le centre qui résistait encore, et la déroute devint générale. Ala ed-dôoleh, abandonné des siens, se réfugia à Meschhed ; après avoir prié sur le tombeau du saint imam, il se rendit à Emad, renforça la garnison qui défendait cette place, et arriva enfin à Khabouschân, où son frère, Babour Mirza, le reçut cordialement et lui promit de consacrer toutes ses ressources à lui rendre ses possessions. Afin de tromper le vainqueur sur ses projets, il négocia avec lui et consentit à ce que le nom d’Olough-Beig fût substitué au sien dans les prières publiques et sur la monnaie. Olough-Beig ne se laissa pas tromper par cette soumission apparente ; après avoir pris possession de Herat, où il confia les fonctions de grand juge à Molla Kotb ed-din Ahmed el-Imami, il s’empara des forts d’Ikhtiar ed-din et de Nerretou, et se porta aussitôt sur Esféraïn. Là, il divisa son armée en deux corps, donna le commandement du premier à Mirza Abd Allah Schirazi, avec mission d’assiéger la ville de Bestham, et fit marcher le second, sous les ordres d’Abd el-Latif, dans la direction d’Aster-Abad ; mais, au lieu d’encourager par sa présence les opérations de son fils, il ne dépassa pas le pont nommé Pulé Ebrischim et, peu de jours après, il revint en arrière. Abd el-Latif, en apprenant la retraite de son père, ramena son armée à Mesched avec une précipitation telle qu’il laissa ses cymbales et son étendard royal aux mains de l’ennemi. D’ailleurs, son ressentiment contre son père n’avait fait que s’accroître durant cette campagne. Malgré la part qu’il avait prise à la victoire de Terbâb, le nom de son frère Abd el-Aziz avait été substitué au sien dans le bulletin de victoire ; en outre, l’argent et les armes déposés dans le château d’Ikhtiar ed-din, à l’époque de l’invasion de Herat par Schah Rokh, étaient restés au pouvoir d’Olough-Beig, qui refusait de les lui restituer. Ces griefs et d’autres plus anciens entretenaient dans son cœur une haine criminelle qui le conduisit insensiblement tremper les mains dans le sang de son père.[97]

Herat devait ressentir le contrecoup des troubles qui bouleversaient le Khorasan, et la faiblesse de Bayézid-Pervanédji, qui gouvernait cette capitale au nom d’Olough-Beig, laissait la porte ouverte à toutes les tentatives. Un factieux, nommé Yâr Ali, fils d’Iskander Turkmân, avait été enfermé dans Nerretou par ordre d’Olough-Beig. Muni d’une lime qu’un complice lui fit passer dans un pieu de tente, il lima ses chaînes, s’évada pendant la nuit et rejoignit le gros de ses partisans. A leur tête, il s’empara de la banlieue de Herat, fit main basse sur les villages, força les paysans à s’enrôler sous ses drapeaux, et vint assiéger Herat. Après huit jours de siège, la ville allait lui ouvrir ses portes quand Olough-Beig arriva ; il dispersa la petite armée de Yâr Ali et entra dans Herat. Abusé par de perfides dénonciations, le fils de Schah Rokh crut que les habitants de la banlieue avaient pris volontairement parti pour Yâr Ali, et il permit à ses soldats d’exercer pendant trois jours de cruelles représailles. Le jour du kourbân-beïram, tandis que ce prince se rendait à la mosquée, des milliers de paysans, nus et affamés, se présentèrent devant lui en criant par dérision : « Vive la justice de notre roi ! quelle fête splendide nous devons à sa clémence ! » Il semble que le ciel entendit les imprécations de ces infortunés, car au moment même où Herat était le théâtre de ces violences, l’armée des Uzbeks envahissait le territoire de Samarcande, ravageait les environs de cette ville, ainsi que le palais d’été du souverain, et brisait cette fameuse tour de porcelaine qu’Olough-Beig avait fait venir de Chine à grands frais. Dès que ce prince fut instruit de cette invasion, il rappela son fils Abd el-Latif de Meched, lui laissa le gouvernement de Herat, et retourna rapidement dans la Transoxiane, en emportant le cercueil de Schah Rokh, et ce que Herat renfermait de plus précieux, entre autres deux portes de bronze d’un travail inimitable que Schah Rokh avait enlevées de Tabriz pour en orner le collège de Gueuher Schah. Sa retraite fut des plus périlleuses, Babour Mirza, à la faveur de ces désordres, s’étant avancé sans obstacle jusqu’à Sérakhs. Un de ses généraux, l’émir Hindoukeh, marcha aussitôt sur Merv, tomba sur les derrières d’Olough-Beig, et fit plusieurs prisonniers, parmi lesquels était l’émir Eïdegou Timour, qu’on envoya à Herat. A peine délivrée de ce danger, l’armée du Turkestan fut attaquée, au passage de l’Oxus, par des tribus d’Uzbeks qui s’emparèrent de ses bagages et lui tuèrent beaucoup de monde. Olough-Beig arriva enfin à Boukhara et déposa le corps de son père dans la chapelle de l’émir Buzurg. Douze jours seulement s’étaient écoulés depuis son départ de Herat, lorsqu’une autre portion de l’armée de Babour, sous les ordres d’Émir Fouschendji, d’Émir Khalil, etc. se présenta sous les murs de cette ville. Abd el-Latif n’essaya pas même de résister et partit furtivement sur les traces de son père. Mais Yâr Ali avait eu le temps de se créer de nouveaux partisans, surtout parmi les bandes de mercenaires de l’Irak persan ; il entra par surprise dans Herat, en délogea le contingent de Babour et s’établit dans le château d’Ikhtiar ed-din où ses troupes firent un simulacre de couronnement. Yâr Ali usa assez modérément de sa victoire ; il défendit que les habitants fussent maltraités et se livra à de continuelles orgies. Un seïd nommé Abd el-Ali Rikabdàr, gagné par Babour Mirza, jeta un soir une potion narcotique dans le vin servi à Yâr Ali. Tandis que ce dernier dormait dans le Jardin Blanc, l’armée de Babour pénétra dans Herat par la Porte royale, et s’empara des principaux quartiers sans coup férir. Le malheureux Yâr Ali, dont le règne avait duré vingt jours, fut exécuté dans le bazar, et sa tête fut exposée au milieu du Tchehar-sou. C’est ainsi que Babour Mirza se rendit maître du Khorasan (zil-hiddjeh 852).

REGNE D’ABOUL KAÇEM BABOUR MIRZA BEHADOUR.

La possession d’une province aussi importante que le Khorasan était trop précieuse pour que Babour songeât à la rendre à son frère Ala ed-dôoleh, ainsi qu’il le lui avait promis lors de l’entrevue de Khabouschân. Aussi, lorsqu’il eut reçu l’hommage des grands feudataires de cette contrée et imposé son nom dans les prières publiques et sur la monnaie, il chercha à dédommager Ala ed-dôoleh en lui confiant le gouvernement de Toun (Kouhistân). Ce prince, ne considérant pas cette dignité comme une compensation suffisante, y délégua son fils, Sultan Ibrahim, auquel il donna, à cette occasion, les trésors gardés dans la forteresse d’Emad et une maison militaire, choisie parmi les tribus les plus fidèles. Mais Sultan Ibrahim n’était pas encore arrivé au siège de son gouvernement, qu’un détachement, envoyé sur ses traces par l’empereur, le força à rebrousser chemin et le ramena prisonnier à Herat. En effet, quelques courtisans malintentionnés avaient réussi à convaincre Babour que son frère Ala ed-dôoleh tramait un complot contre sa vie, ou tout au moins contre son pouvoir. Une dure captivité fut infligée à ce prince, tandis qu’Ibrahim fut confié à la garde de l’émir Hindoukeh, à qui l’empereur accordait encore une confiance absolue.

Du côté du Turkestan, Babour n’avait alors à redouter aucune attaque. La mésintelligence qui régnait depuis si longtemps entre Olough-Beig et Abd el-Latif avait dégénéré en guerre ouverte. Abd el-Latif, maître de la Bactriane, la gouvernait en souverain absolu, et attirait à lui toutes les tribus turques toujours hostiles au prince de Samarcande.

Olough-Beig, voulant du même coup réduire ce fils insoumis et faire valoir ses droits sur le Khorasan, entreprit une troisième expédition de ce côté de l’Oxus. Mais, dès qu’il eut traversé le fleuve, il se trouva face à face avec l’armée d’Abd el-Latif, et pendant plusieurs mois il ne put forcer le passage. Babour en profita pour soumettre le chef du Seïstân, Mélik Hussein, qui tenait ce fief d’une longue suite d’aïeux, avait cru pouvoir utiliser à son profit les rivalités qui déchiraient la famille de Timour, et, depuis quelques années, il s’était abstenu d’envoyer à Herat le tribut ordinaire. La présence d’une armée commandée par les meilleurs généraux de Babour triompha facilement de sa résistance, et il vint faire hommage à l’empereur, qui eut la générosité de lui laisser la vie.

Peu de temps après arriva la chute de l’émir Hindoukeh. Cet officier qui, dès l’avènement de Babour, exerçait à la cour une autorité presque absolue, avait eu fréquemment à se plaindre des caprices et du despotisme de son maître. Babour, l’exemple de ses prédécesseurs, avait un penchant prononce pour la débauche et, sous l’empire de l’ivresse, son esprit était facile à capter. Hindoukeh, redoutant une disgrâce prochaine, prétexta l’affaiblissement de sa santé, et alla passer l’été aux environs de Badeghis, emmenant avec lui Sultan Ibrahim qui pouvait, au besoin, servir sa vengeance. Lorsque l’expédition du Séistan fut décidée, Hindoukeh refusa d’en prendre le commandement sous prétexte qu’il avait à surveiller, avec son corps d’armée, les mouvements d’Olough-Beig. En même temps, il envoya Eïdegou Timour à ce dernier, afin de lui proposer sa coopération s’il entrait dans le Khorasan. Mais Eïdegou fut pris par Abd el-Latif, près d’Endékhoud, et envoyé à Babour, à qui il révéla le complot. Hindoukeh, se doutant qu’il serait bientôt attaqué, entra dans la province d’Aster-Abad. En effet, une armée partit de Herat sous les ordres de Cheikh Ali Behadour et d’Abou Saïd Darogha, et rencontra celle d’Hindoukeh dans la plaine de Khabouschân. L’affaire fut chaude et le succès longtemps disputé. Hindoukeh combattit avec l’énergie du désespoir ; il tua de sa main Abou Saïd Darogha ; mais il fut provoqué en combat singulier par Scheik Ali et succomba après une lutte acharnée. Sa tête fut envoyée à Herat et exposée en public. La prise de la citadelle d’Emad termina cette campagne et mit le comble à la satisfaction de l’empereur, qui reprit, avec bonheur ses habitudes de débauche.

Mais sa joie fut de courte durée. Ala ed-dôoleh, trompant la surveillance de ses gardiens, venait de s’évader. Il erra quelque temps dans les montagnes du Ghour et dans le Séistan, où les troupes impériales le poursuivirent sans succès, et il entra ensuite dans le désert de Yezd. Là, son frère Mohammed Mirza lui fit dire qu’il se disposait à envahir le Khorasan, et lui ordonna de l’attendre.

INVASION DE MOHAMMED MIRZA ; REVERS DE BABOUR MIRZA ; SON SECOND AVENEMENT AU TRÔNE.

Sultan Mohammed Mirza, troisième fils de Baïsonghor, se croyait des droits aussi légitimes que ceux de ses frères à la possession du Khorasan, sa patrie. Tant qu’il fut occupé de la conquête du Fars et de l’Irak persan, il dissimula ses prétentions ; mais lorsque ces deux riches provinces furent entièrement soumises à son pouvoir, il se crut en mesure de réaliser ses projets. Il réunit donc à toutes les forces militaires de la Perse plusieurs corps de troupes irréguliers, pris parmi les tribus, et s’avança sans obstacle jusqu’à Bestham. De son côté, Babour Mirza avait enrôlé à la hâte tout ce qu’il avait pu trouver de troupes entre le Khârezm et le Seistân, et depuis Schoubroughân jusqu’au Mazandéran, et il marcha à sa rencontre. Les environs de Djâm furent le théâtre de cette lutte fratricide. Babour, quoique bien secondé par les soldats hératiens et les Afghâns, ne put tenir contre les forces ennemies mieux disciplinées, et il battit en retraite, laissant un immense butin entre les mains du vainqueur. Suivi de huit soldats dévoués, il se fraya un chemin à travers l’ennemi et se jeta dans la citadelle d’Emad, ce refuge ordinaire des souverains dépossédés. Rien ne s’opposait désormais à la marche de Mohammed Mirza, et il se rendit directement à Herat, où il prit possession du trône de ses ancêtres. Des mesures bienfaisantes signalèrent son triomphe, et il eut la générosité de renvoyer le jeune Schah Mahmoud (fils de Babour) à sa mère. Peu de jours après, il reçut la nouvelle de la défaite et de la mort d’Olough-Beig. Ce malheureux prince, trahi par Abou Saïd, qui avait abandonné sa cause pour assiéger Samarcande, ne put résister longtemps à Abd el-Latif, qui traversa l’Oxus et entra dans cette capitale. Abandonné par ses soldats et par ses plus anciens généraux, Olough-Beig vint avec son second fils, Abd el-Aziz, se mettre à la merci d’Abd el-Latif. Ce dernier, sourd à la voix de la nature, eut la barbarie de signer l’arrêt de mort de son père et de son frère, et réalisa par ce double meurtre la prédiction sinistre de Mollah Béha ed-din.

Cependant Babour Mirza, sûr de la fidélité de Mohammed Saleh, gouverneur de Kala’é-Emad, ne s’arrêta pas dans cette place et se rendit en toute hâte dans le district d’Aster-Abad, pour y prendre le commandement des troupes qui accouraient à son appel. Mohammed Mirza en fut informé, et résolut de l’attaquer aussitôt. Après s’être débarrassé d’Ala ed-dôoleh, son hôte, en l’envoyant dans le Guermsir avec le titre de gouverneur, il mit l’émir Hadji Mohammed (surnommé Féna-Schirin) à la tête de ses meilleurs régiments. Hadji Mohammed apprit, en arrivant à Niça, que Babour Mirza avait transporté son camp à Meched ; il s’y rendit à marches forcées, et lui livra bataille dès le lendemain La valeur de Babour suppléa à l’infériorité de ses troupes. Après une lutte de plusieurs heures, Hadji Mohammed fut tué avec ses meilleurs officiers, et ses soldats prirent la fuite. Mais le terme des disgrâces que le destin réservait à Babour n’était pas encore arrivé.

Mohammed Mirza, averti par les messages réitérés de Hadji Mohammed, s’empressa de quitter Thous avec le reste de son armée. Les fuyards qu’il rencontra sur sa route lui apprirent le désastre de ce général. Il précipita sa marche, et tomba à l’improviste sur les troupes exténuées de Babour. Ce dernier n’eut pas même le temps de les ranger en bataille ; entraîné dans la déroute des siens, il se réfugia dans les murs d’Emad. Mais Mohammed Mirza, craignant que cette retraite ne fût un piège pour l’attirer dans une embuscade, n’osa pas le poursuivre, et reprit le chemin de Thous.

Les désordres que la mort de Hadji Mohammed suscita dans la tribu turbulente à laquelle il appartenait, et la nouvelle de la rentrée d’Ala ed-dôoleh dans Herat inquiétèrent si vivement Mohammed Mirza, qu’il considéra un plus long séjour dans le Khorasan comme dangereux, et retourna en Irak avec les débris de son armée.

La facilité avec laquelle Ala ed-dôoleh était entré à Herat, les acclamations qui avaient salué son retour, lui inspirèrent une confiance profonde, et il songea aussitôt à s’emparer de Samarcande. Il laissa donc le commandement de la citadelle d’Ikhtiar ed-din à l’émir Ahmed (fils de) Yeçaoul, et conduisit son armée sur Balkh et Schoubroughân. Babour Mirza était trop habile pour ne pas tirer parti d’une circonstance aussi favorable. Sans laisser à ses soldats le temps de se reposer, il se présenta devant Herat, y entra sans coup férir, et fut salué roi, pour la seconde fois, par une population que tant de révolutions avaient rendue indifférente. L’émir Ahmed essaya, il est vrai de se défendre dans la citadelle ; mas, cerné de tous côtés et menacé de périr par la famine, il accepta une capitulation honorable, et fit sa soumission. Babour reçut alors la nouvelle de la défaite d’Ala ed-dôoleh devant Samarcande et de son retour à Balkh. Voulant profiter de l’affaiblissement de son rival pour lui donner le coup de grâce, il quitta Herat au milieu de l’hiver, courut sur les rives de l’Oxus, et s’empara de Balkh. Puis il marcha sur Thalékân, où Ala ed-dôoleh s’était renfermé, entra facilement dans cette ville, donna le commandement de la Bactriane, des frontières du Bedakhschên jusqu’au Mourghâb, à l’émir Dervisch et à Ali Hezaresfi, et reprit tranquillement le chemin de sa capitale. Ala ed-dôoleh, après avoir erré quelque temps dans les montagnes de Balkh, était revenu dans les environs de Herat, et se tenait caché dans le pavillon nommé Iskander Beig, au pied du mont Kazurgân. Il ne tarda pas à être découvert, et fut conduit en présence de Rahour, qui le condamna à une étroite captivité.[98]

Depuis que les vicissitudes de la guerre avaient forcé Mohammed Mirza à retourner en Perse, son unique préoccupation était de se venger de son rival en lui enlevant la souveraineté du Khorasan. D’Ispahan, où il avait établi son camp, il faisait avec activité tous les préparatifs d’une formidable expédition. Babour Mirza, qui était alors à Bestham, en fut bientôt informé, et entra en négociation avec son frère. Ce fut le cheikh ul-islam Khadjeh-Mollah que Babour chargea de cette affaire délicate. Après de longs pourparlers, un traité de paix fut signé, mais à des conditions très désavantageuses pour Babour, non seulement il cédait au souverain de l’Irak plusieurs districts du Khorasan, mais, en outre, le nom de Mohammed Mirza devait seul paraître dans le prône du vendredi et sur les monnaies. Quelque grands que fussent ces sacrifices, ils ne parurent pas suffisants à Mohammed Mirza, car, tandis que son frère passait l’hiver dans le Mazandéran, il envahit soudain le Khorasan, et s’avança jusqu’à Esféraïn. Babour, indigné d’un pareil manque de foi, voulut en finir avec un adversaire aussi remuant, et sortit d’Aster-Abad à la tête de son armée. Son frère, non moins impatient que lui, vint à sa rencontre, et ce fut à Djenarân que les deux armées se trouvèrent face à face. Elles firent l’une et l’autre des prodiges de valeur, et la victoire resta indécise pendant toute la journée. Mais vers le soir, Mohammed Mirza, emporté par son courage, se précipita avec une poignée d’hommes sur l’aile droite de l’ennemi ; il fut enveloppé avec les siens, et, malgré les efforts de ses compagnons pour le dégager, il reçut plusieurs blessures et fut fait prisonnier. Cette nouvelle répandit le découragement dans les rangs de son armée, qui battit en retraite dans le plus grand désordre. Babour se fit amener son frère, et lui reprocha amèrement la violation du traité et le sang que son ambition faisait couler Mohammed Mirza se contenta de lui répondre : « Mon frère, c’est à ce prix seulement qu’on achète une couronne. » Il fut aussitôt emmené et livré aux bourreaux. Babour permit que son corps fût porté à Herat et déposé dans le collège de Gueuher Schâd Bégum, à côté du tombeau de Baïsonghor, leur père. Mohammed Mirza, qui mourut, comme Alexandre le Grec, à l’âge de trente-quatre ans, avait régné dix ans, dont cinq ans comme vice-roi, et cinq comme souverain indépendant. Peu de jours après le meurtre de Mohammed, un autre frère du sultan, Ala ed-dôoleh, que son passé et ses intrigues rendaient redoutable fut condamné à perdre la vue au moyen d’un fer chaud. Par ce double crime, Babour Mirza, ordinairement humain, ternit l’état d’un règne que ses grandes qualités et ses talents devaient placer si haut dans le jugement de la postérité.

D’ailleurs, le caractère remuant d’Ala ed-dôoleh expliquait, sans la justifier, cette mesure rigoureuse. Dès l’année suivante (856=1452 de J.C.), tandis que Babour poursuivait le cours de ses conquêtes dans l’Irak, Ala ed-dôoleh sortit de Herat, se jeta dans la ville de Meïmeneh, puis dans Fariâb, y réunit les Erlat, tribu factieuse, toujours prête à seconder la révolte, en prit le commandement, et se dirigea vers Lenguer-e-Emir dans le dessein de s’emparer de Herat par surprise. Ce coup de main aurait sans doute réussi sans la vigilance de Dervisch-Hézaresfi. Cet officier se mit à la tête de la faible garnison laissée dans la citadelle, repoussa Ala ed-dôoleh, et le tint en échec jusqu’à ce que Babour fut averti du danger que courait sa capitale. Babour revint en grande hâte (12 chaban 836), mais son frère ne crut pas prudent de l’attendre ; il passa dans le Séistan, et se rendit de là à Rey, dans le camp de Djihan Schah Mirza, où il trouva un asile.

L’année suivante fut signalée par de plus graves événements. Après avoir passé l’été à Khabouschâri et à Schelmétân, Babour prenait ses quartiers d’hiver près d’Aster-Abad, dans le Mazandéran, lorsqu’il reçut une fâcheuse nouvelle. Sultan Abou Saïd venait de passer l’Oxus, et l’émir Dervisch avait été tué en essayant d’arrêter sa marche ; tout le pays compris entre le Bédakschân et le fleuve Mourghâb s’était soumis au vainqueur, qui, maître de Balkh, menaçait le cœur du royaume. Babour marcha aussitôt sur Samarcande, et, bien qu’à la nouvelle de son approche Abou Saïd eût quitté Balkh pour retourner dans sa capitale, Babour n’en poursuivit pas moins sa marche. Arrivé à Balkh, il fut reçu par le vénérable soufi Abou Nasr Parsa, qui mit tout en œuvre pour le faire renoncer à son expédition, mais sans succès. Le passage de l’Oxus offrit de grandes difficultés : on ne trouva qu’un bateau, qui servit Babour pour gagner la rive droite ; le. Reste de l’armée traversa le fleuve à la nage ; plusieurs soldats périrent dans les flots, et d’autres succombèrent aux privations qu’il fallut supporter dans les plaines arides qui bordent l’Oxus. Babour y campa pendant le mois de ramadân, tandis que, par son ordre, Ahmed Yeçaoul conduisait deux cents cavaliers à Kouhligah ou la Porte de Fer et détruisait les ouvrages qui défendaient ce défilé. Enfin le gros de l’armée se mit en marche, et arriva, le 11 schawal, un farsakh de Samarcande, sans rencontrer l’ennemi. En effet, Sultan Abou Saïd, persuadé que Babour ne pouvait pas traverser l’Oxus, avait congédié la plus grande partie de son armée : le salut de Samarcande ne dépendait plus que de l’énergie de sa nombreuse population. Afin d’exalter le courage de ses sujets, le Sultan se rendit, avec les notables et les principaux corps de métiers, dans la cellule de Khadjeh Nasir ed-din Obeïd Allah, que sa sagesse et sa vie austère faisaient considérer comme un saint inspiré de Dieu.[99] Le pieux cénobite ne se borna pas à exciter leur enthousiasme en leur promettant la coopération du Ciel, il organisa lui-même la défense. Tous les habitants valides de la ville et de la banlieue furent équipés et armés ; les femmes et les enfants se réfugièrent dans les montagnes voisines. Trois hommes, un Turc et deux Persans, furent postés derrière chaque créneau ; des chaudières destinées à répandre de l’huile bouillante sur les assaillants furent placées le long de la plate-forme des tours ; enfin ou établit chaque porte des postes formés des soldats les plus intrépides, qui devaient à tour de rôle opérer des sorties. Ces dispositions prises, on attendit l’armée du Khorasan. L’avant-garde ne tarda pas à se présenter, conduite par Emir Khalil et Ahmed Yeçaoul. Ces deux officiers, enhardis par l’inaction apparente de l’ennemi, s’avancèrent jusqu’au pied des murailles. Des flots d’huile bouillante et de matières enflammées mirent le désordre parmi leurs troupes ; une partie de la garnison, qui sortit au même moment, les enveloppa, leur coupa la retraite et en fit un affreux carnage. Khalil et Ahmed furent pris et conduits en présence du Sultan, qui leur accorda la vie sur la promesse qu’ils lui donnèrent de faire lever le siège. Babour, dissimulant le chagrin que lui causait cet échec, resta longtemps sourd toute proposition de paix ; pendant quarante jours consécutifs, il mena lui-même ses soldats au combat et paya bravement de sa personne. Il eût été difficile de prévoir le terme de cette lutte meurtrière, si l’hiver n’était venu la suspendre. La lassitude des deux partis, les pressantes sollicitations de son entourage, déterminèrent enfin Babour à lever le siège de Samarcande. Après de longs pourparlers, la paix fut signée, et il fut stipulé que le cours de l’Oxus servirait de ligne de démarcation entre les deux États ; puis les prisonniers furent renvoyés dans leur camp respectif avec des présents.[100] Les deux frères s’engagèrent par les serments les plus solennels à vivre désormais en bonne intelligence, et Babour reprit le chemin de Herat, où il rentra le 4 moharrem 857.

Les deux dernières années du règne de Babour s’écoulèrent dans une paix profonde. L’an 860 (1455-1456) peu de jours après la mort du célèbre mollah Saad el-hakk wed-din el-Kaschgari, une comète parut à l’orient de Herat ; elle brilla d’un éclat sinistre depuis le lever du soleil jusqu’à midi. Bientôt après elle reparut dans la direction du couchant. L’impression pénible que ce phénomène excita parmi le peuple fut partagée par le souverain. En vain les astrologues lui répétèrent-ils à l’envi que cette comète ne pouvait exercer aucune influence sur les destinée humaines, un pressentiment invincible portait Babour y voir un signe de sa mort prochaine.

A la fin de cette même année, il s’éloigna de Herat pour la dernière fois. Il vint habiter Meshed, dont le climat était plus favorable à sa santé, et s’établit dans le Tchehâr-Bâgh (les quatre jardins). Il ne quitta cette résidence charmante que pour aller célébrer les fêtes du ramadân et du beïram auprès du saint tombeau de l’imam Riza, et pour se livrer, dans les environs de Radèkân, au plaisir de la chasse, qu’il avait toujours aimée avec passion.

Au début du printemps suivant (864-1455 de J. C.), Babour qui, par esprit de dévotion, avait renoncé au vin, s’abandonna de nouveau à ce funeste penchant, achevant ainsi de ruiner sa santé, que la guerre et les plaisirs avaient depuis longtemps compromise. Le mardi matin, 25 du mois de rébi second, après avoir réalisé trop fidèlement le vœu exprimé dans le vers suivant, qui est de sa composition :

Nouvel an et printemps nouveaux, vin exquis et beautés aimables

Hâte-toi d’en jouir, ô Babour, on ne vit pas deux fois.

Il se fit transporter en litière du Tchehâr-Bâgh à Meshed pour assister au conseil. Pendant la séance, il se livra à un accès de colère, que l’ivresse rendait plus terrible, et tomba en syncope. Dès qu’il eut repris ses Sens, il comprit que la vie allait l’abandonner, et consacra ses derniers moments à obtenir, par une contrition sincère, le pardon du Dieu clément, dont il avait si souvent transgressé les préceptes. Il expira le même jour. Ses funérailles eurent lieu le lendemain, et son corps fut enterré sous la coupole du collège de Schah Rokh, près du vénérable mausolée de l’imam.

Babour Mirza avait régné pendant dix ans sur le Khorasan ; tout le vaste territoire compris entre le Mazandéran, Semnan et Dameghan jusqu’au Bedakhschân d’une part, et depuis l’Oxus, Merv et Makbân jusqu’aux frontières du Zaboulistan de l’autre, reconnut son autorité. La victoire ajouta à son empire l’Irak et la Perse. Doué de toutes les qualités qu’on exige d’un souverain il était surtout d’une générosité inépuisable. Ses croyances religieuses restèrent pures, et il écoutait avec empressent les conseils des plus humbles derviches. Quoiqu’il parût en quelques circonstances négliger les soins de son empire pour les plaisirs ou céder aux caprices de ses favoris, en réalité il dirigea les affaires d’une main ferme et apporta une rare prudence dans toutes ses entreprises.

REGNE DE SULTAN ABOU SAÏD.

La mort de Babour suscita dans le Khorasan des troubles plus sanglants que ceux dont la succession de Schah Rokh avait jadis été le prétexte. Schah Mahmoud, unique héritier de Babour, était un enfant de douze ans, incapable de réprimer les tentatives ambitieuses de tous les prétendants au trône. Parmi ces derniers, le plus redoutable, par sa naissance autant que par son énergie était son propre cousin, Ibrahim Mirza, fils d’Ala ed-dôoleh. Ibrahim, après s’être évadé de la citadelle de Herat, où le feu roi le retenait prisonnier, se dirigea vers le Mourghâb. Une armée d’aventuriers et d’officiers de fortune se rassembla sous ses ordres, et marcha sur Herat, avant, même que le fils de Babour eût le temps d’arriver dans cette ville. La plus affreuse anarchie la désolait alors. Un certain Abou Saïd, nommé en turc Kara Arslan, profitant de l’incertitude qui régnait sur tous les esprits, s’était constitué gouverneur de la ville, et inaugurait ses fonctions en prélevant une lourde taxe. Schah Mahmoud trouva un énergique défenseur en la personne d’un officier nommé Schir Hadji, qui, aidé de quelques citoyens intrépides, assaillit Kara Arslan et le tua. Ce libérateur allait chercher le jeune prince à Baghé-Moukhtâr et le placer sur le trône paternel, lorsqu’on reçut la nouvelle de l’approche d’Ibrahim Mirza. Ibrahim comptait de nombreux partisans parmi les émirs tarkhâns et dans le peuple. Afin d’éviter une collision nouvelle, on convint de choisir la princesse Gueuher Schàd Bégum comme médiatrice. Malheureusement des gens malintentionnés persuadèrent à Schir Hadji que cette princesse, qui avait toujours aimé Ala ed-dôoleh, ne pourrait déguiser sa sympathie pour son fils, et que la cause de Schah-Mahmoud était perdue. Le jour fixé pour terminer cette affaire étant arrivé, Schir Hadji se rendit dans le pavillon de Bâgh-Zaghân où les émirs tarkhâns étaient déjà réunis. A peine entré, il se précipita sur eux, assisté d’un misérable derviche, Hussein le Fou (divaneh), en tua plusieurs, entre autres l’émir Oveïs, et reçut lui-même une grave blessure. Il eut cependant le temps d’envoyer Gueuher Schâd dans le collège de Schah Rokh, et s’enferma lui-même avec le jeune Schah Mahmoud dans le château d’Ikhtiar ed-din (fin de djemazi second). Mais la nouvelle de l’arrivée prochaine d’Ibrahim Mirza se confirmant, il ne jugea pas prudent de rester dans Herat, et envoya Schah Mahmoud à Meschhed, tandis qu’il allait lui-même se réfugier derrière les solides remparts de Nerretou. Le mardi 7 de redjeb, Ibrahim arrivait dans les jardins de Moukhtar, d’où il dirigeait quelques troupes contre les fugitifs ; le lendemain, il fit son entrée à Herat et prit possession du trône paternel. Mais le destin ne lui permit pas de l’occuper longtemps. Dans le courant de chaban de la même année, Schah Mahmoud, qui avait réuni à Meched les émirs dévoués à son père, se mit à leur tête et sortit de cette ville, afin de chasser l’usurpateur. Arrivé à Kousouyeh, il rencontra l’armée d’Ibrahim, qui s’était hâté de marcher à sa rencontre. La plaine qui entoure le caravansérail nommé Emir Schah Mélik fut le théâtre d’un combat terrible dont le Khorasan était le prix. Le fils de Babour eut d’abord l’avantage : il culbuta les deux ailes de l’ennemi, et déjà son avant-garde se dirigeait sur Herat, lorsqu’Emir Ahmed Tarkhân, qui commandait le centre de l’armée d’Ibrahim, se jeta sur l’ennemi avec impétuosité et le força à rebrousser chemin. Les soldats d’Ibrahim se rallièrent sous ses ordres ; le combat recommença avec un nouvel acharnement et se termina par la déroute complète des troupes de Schah Mahmoud. Ce jeune prince put se réfugier à Meshed, mais ses principaux officiers et ses bagages restèrent au pouvoir d’Ibrahim.

Tandis que les nouvelles les plus contradictoires sur l’issue de la bataille répandaient l’alarme dans Herat, le cheikh ul-islam Kotb ed-din Yahia (Teftazâni), qu’Ibrahim avait envoyé en qualité d’ambassadeur à Samarcande, se présentait sous les murs de Herat et annonçait que, le lendemain (26 chaban), Sultan Abou Saïd y ferait son entrée. Ahmed Yeçaoul et Kara Behadour, qui avaient été chargés par Ibrahim de la défense de la capitale, essayèrent de démentir cette nouvelle et firent mine de résister mais l’arrivée de Djélal ed-din Seïl-Mézid avec l’avant-garde de l’armée de Samarcande fit cesser toute hésitation, et ce général occupa la ville sans coup férir. Le 25 du mois de chaban, Abou Saïd arriva avec le gros de l’armée dans le village de Sakselmân, où il fut reçu par une députation des principaux habitants de Herat. Le lendemain, il entra en grande pompe par la porte de Kyptchak, et choisit pour résidence les jardins de la ville.

Cependant la forteresse d’Ikhtiar ed-din était encore au pouvoir d’Ahmed Yeçaoul. Aux promesses séduisantes qu’on vint lui faire de la part du Sultan, ce brave officier opposa un refus énergique :

« La défense de cette place, dit-il aux envoyés d’Abou Saïd, m’a été confiée par mon maître, et je ne consentirai jamais à payer ses bienfaits par une noire trahison. Tant qu’Ibrahim Mirza vivra, tant que je conserverai une goutte de sang dans les veines, personne n’entrera dans ses murs. Le Sultan, instruit de cette réponse, transporta sa résidence à Bâgh-é-Zaghân, et dirigea lui-même les opérations du siège. Mais la place était si bien fortifiée et défendue si courageusement par Ahmed, qu’elle résista à toutes les attaques. Le Sultan dut demander un armistice. Dans l’irritation que lui causa cet échec, il fit périr la princesse Gueuher Schâd, que de perfides conseillers lui représentaient comme nouant des intrigues secrètes avec Ibrahim Mirza, pour le ramener à Herat (9 ramazân 861).[101] Peu de jours après, Abou Saïd reçut la visite de l’émir Schir Hadji, qui sortit de la forteresse de Nerretou pour faire sa soumission au Sultan. Tandis que cet officier était au camp, Nerretou lui fut enlevée par un coup de main d’une hardiesse extraordinaire. Un homme ayant l’apparence d’un berger[102] se présenta avec un troupeau de moutons et demanda la permission de les vendre dans l’intérieur de la place. On lui permit d’entrer et de vaquer à son commerce.

Le soir venu, comme il n’avait pas de gîte, il supplia qu’on le laissât dormir sur la plate-forme. Dès que la garnison fut endormie, cet homme tira de dessous sa robe une échelle de cordes, et l’attacha aux créneaux. Ses compagnons, qui n’attendaient que ce signal, pénétrèrent dans la place ; égorgèrent les sentinelles, surprirent la garnison avant que l’alarme fut donnée, firent main basse sur elle et devinrent en une heure, maîtres de cette importante forteresse.

Peu de jours après l’arrivée de cette fâcheuse nouvelle, Abou Saïd fut rappelé dans le Turkestan par la révolte des fils d’Abd el-Latif. Ces deux jeunes princes, nommés Mirza Ahmed et Mirza Djouki, avaient envahi la Bactriane, lorsqu’un des meilleurs généraux de l’armée impériale les attaqua vigoureusement. Mirza Ahmed fut tué, et son frère parvint à se soustraire aux poursuites du vainqueur.[103] Abou Saïd prit alors ses quartiers d’hiver aux environs de Balkh.

Sur ces entrefaites, Ibrahim Mirza, qui s’était tenu caché dans les districts de Khâf et de Bakherz, crut que le moment était venu de réaliser ses rêves ambitieux. Il sortit de sa retraite, envoya à Herat un de ses officiers, l’émir Ahmed, pour tenir cette ville en respect, et se dirigea avec le gros de ses partisans sur Djordân, occupé alors par Mirza Schah Mahmoud. Mais un ennemi plus redoutable l’y attendait : c’était Mirza Djihan Shah, que le gouverneur de Sari, mécontent des procédés de Schah Mahmoud, avait appelé dans cette province.

Ibrahim fut exactement informé de cette invasion et de la défaite de Schah Mahmoud ; mais il crut n’y voir qu’un stratagème inventé pour l’intimider ; il poursuivit donc sa marche et rencontra, non loin de Tabriz, l’armée de Djihan Schah, composée des troupes de l’Azerbaïdjan et de l’Irak. Sa valeur ne put suppléer à l’infériorité et au dénuement de ses troupes ; il fut battu et revint précipitamment à Herat avec un petit nombre de serviteurs (25 moharrem 862). Dans cette circonstance critique, il jugea prudent de se concilier la faveur d’Abou Saïd, et chargea de cette négociation trois personnages importants, parmi lesquels se trouvait l’émir Ghyas ed-din, père du célèbre Ali Schir.[104] Le Sultan les reçut avec bienveillance, et consentit à conclure un traité d’alliance aux conditions suivantes : 1° Ibrahim rendrait à la couronne la province de Herat, en échange de laquelle il recevrait un autre district du Khorasan, à son choix ; 2° il s’engagerait à prendre en toute occasion, les armes contre les Turcomans. Les députés s’éloignèrent de Samarcande en donnant au Sultan l’assurance que ces conditions seraient acceptées et fidèlement exécutées par leur maître. Mais de nouvelles complications entravèrent le succès de ces négociations.

Ala ed-dôoleh, que ni l’âge ni les revers ne pouvaient décourager après avoir erré longtemps dans les steppes de la Boukharie et chez les Uzbeks, avait reparu soudain à Herat, où son fils Ibrahim Mirza l’avait reçu, sinon avec une satisfaction sincère, du moins avec les apparences du plus grand respect (7 de djemazi second). Peu de jours après, on reçut la nouvelle que Mirza Mozaffer ed-din Djihan Schah s‘avançait à marches forcées avec des forces imposantes, et qu’il était déjà en vue de Kousouyeh. Ibrahim, ne croyant pas pouvoir compter sur la fidélité des Heratiens, sortit furtivement de la capitale, et se réfugia dans les montagnes inaccessibles du Ghour, où son père ne tarda pas à le rejoindre. Djihan Schah entra donc dans Herat sans rencontrer de résistance sérieuse, délogea Ahmed Yeçaoul du fort d’Ikhtiar ed-din, et reçut l’hommage des principaux chefs du Khorasan (chaban 862, juillet 1458). Le triomphe du prince turcoman fut de courte durée. Abou Saïd, ayant réuni toutes les forces dont il pouvait disposer, sortit de Balkh et vint camper sur les bords du Mourghâb, pour s’y reposer, avant de continuer sa marche sur Herat. Pir-Boudak, fils de Djihan Schah, qui poussa une reconnaissance jusque-là, fut délogé avec des pertes sérieuses, et vint répandre l’alarme dans le camp de son père. Cependant Djihan Schah aurait peut-être tenté le sort des armes, s’il n’eût reçu, au même moment, la nouvelle qu’un de ses fils, Mirza Hussein Ali, venait de sortir de la prison où son insubordination avait forcé son père à l’enfermer, et qu’il cherchait à soulever l’Azerbaïdjan.

En présence d’aussi grandes difficultés, le chef turcoman n’hésita plus à traiter avec le Sultan, et il choisit pour négociateur l’émir Aschour, dont l’habileté lui était connue. Abou Saïd ne pouvait trouver une meilleure occasion de se délivrer d’un compétiteur qui lui avait suscité tant d’embarras. Le plus simple bon sens lui conseillait de fermer l’oreille à toute proposition de paix, et de marcher droit sur Herat, où le rappelaient les sympathies mal déguisées des grands et du peuple. Cependant il n’en fut rien, et l’irrésolution de son caractère, qui devait bientôt lui coûter la vie, le porta entrer en arrangement avec le ministre du prince des Turcomans. Il ne put même obtenir la restitution de l’Irak ; après de longues conférences, il fut convenu que cette province, ainsi que l’Azerbaïdjan resterait soumise à Djihan Schah, et que la ville de Semnân servirait de ligne frontière entre les Etats des deux souverains. Djihan Schah, satisfait d’un succès sur lequel il ne lui était pas permis de compter, sortit de Herat dans les premiers jours de safer 863, et le départ des Turcomans fut signalé par d’horribles ravages dans tous les districts qu’ils traversèrent.

Le Sultan Abou Saïd, dont l’humanité et la modération sont attestées par tous les historiens, n’exerça aucunes représailles dans la capitale du Khorasan ; il s’appliqua, au contraire, à réparer les maux que tant d’invasions successives lui avaient fait souffrir. Le peuple fut dégrevé de plusieurs impôts onéreux, et, comme la disette, triste souvenir de l’occupation des Turcomans, faisait de grands ravages dans la ville et dans les campagnes, le Sultan se décida à renvoyer son armée dans la Transoxiane, ne gardant près de lui que deux ou trois mille hommes.

Cette mesure si louable faillit lui coûter cher. Ala ed-dôoleh et Mirza Ibrahim, son fils, du fond du Ghour, où ils avaient cherché un refuge, apprirent que le Sultan était sans défense. Aussitôt ils nouèrent des négociations avec Mirza Sandjar, enrôlèrent plusieurs milliers d’aventuriers, et se montrèrent aux environs de Sérakhs. Abou Saïd marcha contre eux avec le peu de soldats qui lui restaient, et, fort heureusement, il fut rejoint en route par deux escadrons de cavalerie, qui étaient revenus à toute bride de Samarcande. Les deux partis se rencontrèrent dans la plaine qui sépare Merv de Sérakhs. L’avant-garde du Sultan, s’étant engagée avec trop d’ardeur, fut bientôt dispersée et les fuyards répandirent dans le Khorasan la nouvelle de la défaite de leur souverain. Cependant la victoire resta en définitive aux troupes impériales ; les rebelles furent taillés en pièces et Mirza Sandjar fut pris et exécuté. Ala ed-dôoleh se déroba avec son fils aux poursuites de l’ennemi, et ils prirent la direction de Bestham[105] (djemazi premier, 863). La prise de deux citadelles importantes. Nerretou et Emad, suivit de près cette victoire. Quelques mois plus tard, la princesse Rakyah Sultan, fille d’Ala ed-dôoleh, qui avait épousé Abou Saïd, mit au monde un fils auquel on donna le nom de Mirza Schah Rokh.

L’année suivante fut inaugurée par un triomphe plus éclatant. Un prétendant, que sa naissance rendait redoutable, venait de surgir, et faisait valoir hautement ses droits c’était Sultan Hussein Behadour, arrière-petit-fils de Tamerlan. Sortant du Mazandéran, fief qu’il tenait de son père Sultan Mansour, Hussein avait étendu ses ravages jusqu’à Sebzavar. Abou Saïd marcha en personne contre ce nouvel ennemi, et le défit dans une bataille sanglante à la suite de laquelle il entra dans Aster-Abad et y fit reconnaître son autorité. Un événement imprévu le rappela à Herat. L’émir Khalil Hindoukeh, qui gouvernait depuis longtemps le Séistan, avait profité du départ du Sultan pour assiéger Herat ; mais il fut vigoureusement repoussé par les habitants, et sachant que le Sultan s’avançait pour le châtier, il leva le siège et regagna sa province. Sous un prince moins faible qu’Abou Saïd, le gouverneur du Séistan aurait payé de sa vie cette tentative téméraire ; mais le repentir dont il fit preuve et les amitiés qu’il avait su se créer parmi les ministres lui valurent une amnistie complète ; il fut même conservé dans ses fonctions, sous la juridiction de l’émir Yahia, issu d’une ancienne famille du pays.

L’an 865 (1461-1462), l’horizon s’assombrit autour d’Abou Saïd. Ce prince eut à réprimer une double tentative de révolte, l’une dans le Turkestan où Mirza Mohammed Djouki (fils d’Abd el-Latif, après avoir ravagé la Transoxiane, s’était retranché dans la ville forte de Schahrokhïeh ; l’autre dans le Djordjan où Hussein Behadour avait repris les armes. Le jeune Mirza Mahmoud, fils d’Abou Saïd, ne put tenir contre cet adversaire ; il fut chassé d’Aster-Abad, battu en pleine campagne, et obligé de reprendre en fugitif le chemin du Khorasan. Hussein Behadour crut le moment venu d’étendre son autorité dans cette province, et comptant bien qu’Abou Saïd, retenu sous les murs de Schahrokïeh, ne pourrait revenir en temps opportun, il confia la garde du Mazandéran à l’émir Arghoun et se dirigea sur Herat. Mais cette ville, dont il espérait voir les portes s’ouvrir à son approche, lui opposa la résistance la plus énergique. Des jardins de Zaghan où il campait, Hussein vit pendant vingt jours toutes les tentatives de son armée rester infructueuses, et apprenant qu’Abou Saïd marchait au secours de sa capitale, il leva le siège et occupa les rives du Mourghâb, pour s’opposer au passage de l’armée impériale. Cependant il n’attendit pas l’arrivée de l’ennemi, et reprit le chemin du Mazandéran, après une halte à Sérakhs. Abou Saïd, enhardi par cette retraite, le poursuivit l’épée dans les reins, entra dans Aster-Abad sans coup férir et y rétablit son fils Mirza Mahmoud (866). L’année suivante fut entièrement consacrée au siège de Schahrokïeh. Mohammed Djouki, avec lequel le Sultan avait conclu une trêve, quand l’invasion de Hussein le rappelait dans le Khorasan, avait recommencé ses incursions jusque sous les murs de Samarcande. Le Sultan voulut en finir il passa de nouveau l’Oxus, campa en personne devant la citadelle de Schahrokïeh, y établit un blocus rigoureux, au bout de dix mois, força le rebelle à capituler. En vain Nasir ed-din Obeïd Allah, de Thous, personnage que sa sainteté et sa haute sagesse faisaient respecter de tous les partis implora la générosité du Sultan ; Djouki fut conduit sous bonne escorte à Herat, et enfermé dans le donjon de la citadelle, où il resta jusqu’à sa mort.

En 868, une peste, dont les ravages rappelèrent la désastreuse apparition de ce fléau trente années auparavant, décima la population de Herat. L’année suivante, la guerre mit le comble à la misère de cette malheureuse contrée. Hussein Behadour reparut dans le Khorasan avec des troupes fraîches ; celles qu’Abou Saïd envoya contre lui ne purent lutter longtemps, et Hussein aurait sans doute marché sur Herat et mis son adversaire dans ne position critique, si la défection de ses meilleurs généraux ne l’avait obligé à retourner dans le Khârezm.

Abou Saïd, délivré d’un danger qui mettait sa couronne et sa vie en péril, fit célébrer avec une magnificence inouïe la circoncision de ses enfants. Les fêtes qui furent célébrées à Herat à cette occasion ne durèrent pas moins de cinq mois. Mais ce fut le dernier répit que la fortune laissa à un prince dont le règne ne fut qu’une longue suite de succès et de revers,

Mirza Djihan Schah venait de périr dans une bataille qu’il livra contre Haçan Beig, et léguait à son fils le soin de le venger. Celui-ci, trop faible pour tenir tête au meurtrier de son père, implora le secours du Sultan, en lui faisant entrevoir, pour prix de son assistance, la possession de la Perse et des côtes méridionales de la mer Caspienne. Abou Saïd, après avoir consulté Nasir ed-din, de Thous, dont les conseils passaient pour des oracles, se décida entreprendre cette expédition, et, au printemps de l’an 872, il quitta Merv et marcha contre Haçan Beig.

[106]Étant arrivé sur la frontière de cette dernière province, comme il avait une très grande armée, il en détacha plusieurs corps qui entrèrent dans l’Irak et dans le Fars, et se rendirent maîtres de tous les lieux par où ils passaient. Pendant qu’il demeura sur cette frontière, Hassan Beg lui envoya plusieurs ambassades pour lui demander la paix. Mais Abou Saïd, qui reçut toujours fort civilement les ambassadeurs de Hassan Beg et qui les chargea même de présents pour leur maître, répondit toujours qu’il voulait que Hassan Beg le vînt trouver en personne et qu’il lui déclarerait ses intentions. Il commanda en même temps qu’on levât le camp pour aller passer l’été à Carabag, lieu où Hassan Beg faisait ordinairement sa résidence. Mais ce Turcoman sut si bien lui couper les vivres et les fourrages, que son armée dépérit en fort peu de temps, de sorte que, craignant d’y être assiégé tout à fait, le désespoir lui fit prendre la fuite avec fort peu de gens ; car la plus grande partie de ses troupes était déjà dispersée, et le reste avait pris parti avec son ennemi. Deux des enfants de Hassan Beg le poursuivirent et, l’ayant fait prisonnier, l’amenèrent à leur camp.

« Hassan Beg le reçut fort humainement et voulait lui conserver la vie ; mais ayant délibéré dans son Conseil sur ce qu’il ferait de ce prince, tous ses officiers, et particulièrement le cadi de Schirvan, conclurent à sa mort, d’autant plus que Hassan Beg avait déjà reconnu Mirza Jadighiar, fils de Mohammed, fils de Baïsancor, pour légitime empereur et successeur de Tamerlan dans les provinces de deçà le Gihon. Ainsi ce puissant prince perdit la vie par sa faute, et pour n’avoir jamais voulu accorder la paix à Hassan Beg qui la lui demandait, l’an 873 de l’hégire, de J. C. 1468. »

 

 


 

[88] Nous n’avons emprunté au récit assez prolixe de Mouyin ed-din Esfizâri, sur le règne de Schah Rokh, que les faits qui concernent particulièrement l’histoire de Herat. L’intéressante biographie de ce souverain, tirée du Matla es-Saadeïn, a été publiée par E. Quatremère dans le Journal Asiatique, IIe série, t. II.

[89] Koudj, nommée aussi Kouk, est une petite ville du Khorasan, dans le voisinage de Néça. Elle était habitée par une tribu puissante qui, sous le nom de Koudji, combattait ordinairement dans les rangs de l’armée heratienne. Tchichekto forme, avec Meïmeneh, un district très fertile et riche en prairies, entre Balkh et Merv er-roud. (Heft-iklim, quatrième climat.) C’est la localité désignée dans la carte d’Arrowsmith sous le nom de Chechuk-Too. Ce pays a donné naissance à Zéhir ed-din Taher, poète célèbre (mort en 590) qu’on a voulu mettre sur la même ligne qu’Euveri. Ahmed Razi (ouvrage cité) et l’auteur de l’Atesch-Kedeh font justice de ce jugement tout en rendant hommage au talent de Zéhir ed-din. (Voyez aussi, sur cet auteur, le Béharistân de Djâmi, édition de M. de Schlechta, et le Séfineï-Schoara, édition de Constantinople)

[90] D’après Mirkhond et Khondémir et l’auteur du Tarikh-é-elfi, Baïsonghor naquit dans la nuit du jeudi 21 du mois il-hiddjeh 799. Cette assertion, que nous n’avons aucune raison de rejeter, nous permettra de fixer la date exacte de la mort du même prince, qui a donné lieu à quelque confusion.)

[91] Ali Schir en a fait mention dans sa Galerie des poètes et cite quelques vers qui ne peuvent nous donner une haute idée de la verve poétique de ce prince. (Voyez les curieux extraits du Médjalis, publiés par M. Belin, Journal asiatique, 1861, p. 289.)

[92] Khondémir place sa mort le 7 de djemazi premier; mais il s’accorde avec notre auteur et avec le Tarikh-é-elfi pour assigner à cet événement l’année 837 de l’hégire. Baïsonghor étant né dans les derniers jours de l’an 799, avait en effet trente-sept ans, quatre mois et quelques jours lorsqu’il mourut. En présence de témoignages aussi formels, il est difficile d’admettre comme exacte la date 6 djemazi el-evvel 836, que le savant M. de Khanikoff a recueillie dans la chapelle du Moussallah de Herat, et nous pensons que la pierre tumulaire doit porter le millésime 837. L’erreur s’est glissée, ou dans le carnet de voyage de M. de Khanikoff, ou dans le numéro du Journal asiatique qui renferme son intéressante lettre sur la topographie de Herat (Juin 1860, p. 51). Un chronogramme, composé peu de jours après la mort du Schahzadeh, et cité par Khondémir, confirme entièrement l’opinion que nous soutenons ici. On en trouvera la traduction dans d’Herbelot (au mot Baïsancor).

[93] La même pensée se trouve dans le Mesnévi de Djélal ed-din Roumi: « C’est l’adultère qui fait naître la peste sur la terre. — C’est le refus de l’aumône qui condamne le monde à la disette. » (Edition de Boulak)

[94] Abd el-Kader était aussi un calligraphe habile et un lecteur du Coran de premier ordre. C’est au talent avec lequel il récitait le livre saint qu’il dut la vie dans une circonstance qui nous a été rapportée par l’auteur du Medjalis an-néfaïs, le célèbre Ali Schir-Nevayi. (Voyez la notice et les extraits publiés par M. Belin, Journal asiatique, 1861 p. 383). Khondémir a cité cette anecdote dans sa notice sur Abd el-Kader (Habib us-Sier, III, 3, p. 212), mais avec une concision telle qu’il la rend à peu près inintelligible.

[95] Le chroniqueur de Herat rapporte ici les détails de la mort de Schah Rokh, d’après le Matla es-Saadeïn. (Voyez la traduction de ce passage dans les traits publiés par E. Quatremère, Journal asiatique, numéro cité).

[96] Mohammed Djouki-Behadour, fils de Schah Rokh, était mort au mois de zil-hiddjeh 848. (Voyez la lettre de M. de Khanikoff, Journ. Asiat. loc. laud.)

[97] On raconte que le cheikh Béha ed-din Omar avait deviné les coupables projets d’Abd el-Latif. Ce vénérable personnage, après avoir échoué dans les négociations qu’il entama au nom d’Ala ed-dôoleh, avant l’affaire de Terbâb, vit ses équipages pillés par les soldats d’Olough-Beig et, loin d’obtenir satisfaction de cet affront, il fut reçu par le prince de Samarcande avec un dédain à peine déguisé par les marques d’un respect apparent. « Le destin, dit-il à cette occasion, se chargera bientôt du soin de ma vengeance, et c’est Abd el-Latif qui en sera l’instrument. » (Tarikh-é-elfi, année 851. — Heft-iklirn, quatrième Climat.)

[98] Parmi les objets précieux qui tombèrent au pouvoir de Babour se trouvaient deux diamants d’une grosseur extraordinaire: l’un était nommé tiveh-guézi, l’autre, schah mansouri, en mémoire de Schah Mansour, fils de Mahmoud, le conquérant de l’Inde, auquel il avait appartenu.

[99] Mort à Samarcande en 896. Rien ne serait plus curieux pour faire connaître l’état de la civilisation musulmane, à cette époque d’anarchie, que la biographie de ce santon, dont le temps n’a pas fait pâlir l’auréole. Confident et ami intime d’Abou Saïd, arbitre de la querelle de Mirza Omar Cheikh avec ses deux frères, Nasir ed-din exerça une influence occulte, mais puissante, sur les grands événements politiques de son temps. Le Médjalis-ul-mouminin, ouvrage précieux publié à Téhéran il y quelque années, nous fournit sur ce moine diplomate des documents d’un véritable intérêt et que nous regrettons de ne pouvoir publier ici.

[100] Parmi ces prisonniers se trouvaient deux favoris d’Abou Saïd, l’émir Ahmed Afzal et Ahmed Yâr; ils furent échangés contre Khalil et Ahmed Yeçaoul, qui avaient pris une part active à la conclusion de la paix.

[101] Cette princesse fut inhumée dans la chapelle du collège qu’elle avait fondée dans le mossallah de Herat. (Voyez la lettre de M. de Khanikoff, déjà citée.)

[102] D’après l’auteur du Tarikh-é-elfi, il se nommait Yassaki Pirkeh.

[103] D’après les inscriptions funéraires relevées par M. de Khanikoff, (Sultan) Ahmed mourut dans le courant de zil-ka’deh 861, et son frère, Mirza Djouki, le 5 de zil-hiddjeh 868.

[104] Borhân ed-din Khond Schah, père de l’historien Mirkhond, remplissait les fonctions de secrétaire auprès de ces trois envoyés. Chron. de Khondémir.

[105] La mort délivra bientôt le Sultan de ces deux compétiteurs infatigables. Ibrahim avait réuni plusieurs tribus sur les côtes méridionales de la mer Caspienne et il marchait sur Meschhed, lorsqu’il périt de mort soudaine, le 10 ramazân 863. Quant à Ala ed-dôoleh, il mourut le 6 zil-hiddjeh de la même année, chez Mélik Djânsouz qui lui avait donné asile Son corps fut porté à Herat et enterré selon la coutume, dans la sépulture royale des princes de la famille de Tamerlan, c’est-à-dire dans le collège édifié par la princesse Gueuher Schad (Chron. de Khondémir. — Diction. de d’Herbelot. — Voyez aussi .Journ. Asiat. juin 1860, p. 542.)

[106] Je ne crois pas pouvoir mieux faire que de citer ici le pissat où D’Herbelot a résumé, avec une grande netteté, le récit diffus des historiens persans sur la défaite et le meurtre d’Abou Saïd.