Anonyme

Mouyin ed-din el-Esfizâri

 

CHRONIQUE PERSANE DE HERAT

 

 partie I - partie II - partie III

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

CHRONIQUE PERSANE DE HERAT

DE

 

Mouyin ed-din el-Esfizâri

 

TRADUCTION ET NOTES PAR M. BARBIER DE MEYNARD.

 

INTRODUCTION.

 

§ I.

S’il est peu de villes en Asie qui aient eu, plus que Herat, le privilège d’attirer l’attention de l’Europe dans ces dernières années, il est juste d’ajouter qu’il y en a peu dont l’histoire particulière nous soit moins connue. Théâtre de la lutte de deux grandes puissances rivales, lutte à peine commencée, et dont l’issue doit décider du sort de l’Orient, Herat, ou pour mieux dire le Khorasan oriental, a vivement préoccupé la diplomatie et l’art militaire. En dehors de ces travaux d’une nature toute spéciale. On a dû se contenter, jusqu’à ce jour, des relations récentes de quelques voyageurs anglais, ou des renseignements peu précis qui se trouvent dans les estimables ouvrages de de Guignes et de Mouradjea d’Ohsson. Il est vrai que, considérée superficiellement, l’histoire de Herat est à peu près celle de toutes les villes célèbres du monde musulman, d’incessantes révolutions, de nombreuses alternatives de despotisme et d’anarchie, des scènes de carnage, et, de loin en loin, une résurrection éphémère, une splendeur momentanée : ainsi pourrait se résumer à grands traits l’historique de cette contrée, depuis sa conversion à l’islamisme jusqu’à la chute de la famille Dourâni. J’aurais donc renoncé à reproduire ce sombre tableau, si l’étude attentive des documents originaux ne m’avait laissé la conviction que la publication, même partielle, de ces documents pourrait jeter quelques clartés sur les ténèbres qui enveloppent les annales du Khorasan au xve et au xvie siècle. Sans parler des petites principautés, comme celles des Ghourides et des rois Kurt, la brillante dynastie des Timourides, dont Herat fut la capitale, attend encore un historien. J’ose espérer que les fragments que je présente aux lecteurs de ce recueil pourront sinon combler cette lacune, au moins préparer d’utiles matériaux pour l’avenir. Dans ce but, j’ai cru pouvoir user d’une certaine indépendance dans la mise en œuvre et la traduction de ces extraits.

L’auteur de la chronique de Herat ne paraît pas avoir adopté un plan méthodique ; l’enchaînement rigoureux et la logique des faits le préoccupent médiocrement. Mouyin ed-din est avant tout un écrivain élégant, un poète qui travaille sous les auspices d’une cour raffinée, et dont Ali Schir avait fait presque une académie. Comme prosateur, on peut lui reprocher l’affectation et la recherche de Mirkhond ou de Vassaf, mais il rachète ces défauts, si communs à son siècle, par la nouveauté des détails et le caractère véridique de ses assertions.

J’ai peu de choses à dire sur cet auteur, dont les tezkereh persans et le Habib es-sier ne font aucune mention ; sa préface seule nous fait connaître son nom. Mouyin ed-din Mohammed, surnommé ez-Zemdji, était originaire d’Esfizâr, petite ville aujourd’hui détruite, à peu de distance de Herat. Disciple et ami du célèbre auteur et dévot Abd er-Rahman Djâmi, dont il partageait les goûts austères et les travaux, depuis longtemps il se proposait de rédiger l’histoire de Herat, en profitant des documents plus anciens dus à l’imam Abou Ishak Ahmed, fils de Yasin ; à Thiqet ed-din Abd er-Rahman Fâmi, auteur de la plus ancienne chronique de Herat ; au poète Rébi’, de Fouschendj, auteur du Kurt-Nameh, et enfin à Seïfi Héravi, qui a laissé d’utiles documents sur les rois Kurt. Cette résolution ayant reçu les encouragements de Kawam ed-din Nizam el-Mulk, qui était alors le ministre favori de Sultan Hussein Mirza, notre auteur, voulant laisser un souvenir de plus de ce règne glorieux, termina, en 897 (1491-1492), son ouvrage, qu’il intitula : « Les Jardins célestes ou description de la ville de Herat. »

On sait que Khondémir, dans son abrégé d’histoire intitulé Khoulaçat el-Akhbar, décrit avec complaisance toutes les splendeurs de Herat, nomme tous les personnages marquants de son temps, sans oublier même les calligraphes et les artisans les plus renommés ; cependant il ne cite Mouyin ed-din qu’une seule fois, et en passant, lorsque l’émir Ali Schir, après avoir réparé la grande mosquée, mit au concours parmi ses poètes favoris le chronogramme qui devait consacrer cette date. « Par un heureux hasard, dit l’historien, le mot proposé par le ministre s’était offert à l’esprit du mollah plein de mérite Mouyin ed-din oul millet, el-Esfîzâri, qui composa un quatrain de circonstance. » (Ms. persan, fonds St Germain, 104.) Plus loin, il est vrai, le même Khondémir parle en ces termes, d’un Mouyin ed-din, le prédicateur : « Ce personnage d’une piété et d’une modestie rares prêche ordinairement dans la grande mosquée, après l’office du vendredi. Il s’est toujours tenu éloigné du commerce des grands, et refuse les présents que sa réputation lui attire. Il ne fait d’exception à cet égard que pour notre illustre maître l’émir (Ali Schir), dont il se montre un des partisans les plus dévoués. Après la mort de son frère Nizam ed-din, en 900 de l’hégire, il le remplaça, mais pendant peu de temps, en qualité de juge, et resta sourd aux sollicitations de ses amis, qui le pressaient de ne pas abandonner ces importantes fonctions. » (Ibid. fol. 344 verso.) Ce portrait peut être celui de notre auteur, dont la préface nous révèle à la fois la vie retirée et le vif empressement à plaire aux ministres en faveur. On peut, d’ailleurs, donner une explication assez naturelle du silence gardé par les contemporains sur la chronique de Herat. Nous savons, de l’aveu de l’auteur, qu’elle fut rédigée à la demande de Nizam el-Mulk, et dédiée à ce ministre, qu’un caprice du souverain fit périr six ans plus tard (1497). Il est naturel de croire que Mouyin ed-din ne voulut, ni commettre une bassesse, en déchirant les pages de sa pompeuse dédicace, ni s’attirer une disgrâce en multipliant les copies de son livre, et qu’il chercha dès lors, dans les contemplations béates du soufisme, un dédommagement à la réputation littéraire qu’il sacrifiait. Nous avons cependant la preuve que son œuvre fut mise à contribution par plusieurs de ses compatriotes. La description de Herat, qu’on trouvera plus loin, a été insérée par Mirkhond dans le complément (Khatimeh) de son histoire universelle. Un écrivain qui jouit d’une certaine réputation comme homme de lettres et comme astronome, Nizam ed-din Abd el Ali, originaire de Berdjend, bourgade entre Thabès et Ferrah, a reproduit intégralement le même morceau dans une fade compilation qui porte le titre de Merveilles des Pays. (Bibl. Bodléienne. fonds Ouseley, n° 38, fol. 163 et suiv.). Enfin Khondémir, s’autorisant de l’exemple de son père, s’est rendu coupable du même plagiat ; mais il a su du moins, dans le Khoulaçat, ajouter à la notice de Mouyin ed-din concernant Herat un certain nombre de détails omis par son prédécesseur.

La chronique de Herat est divisée en vingt-cinq chapitres ou jardins, subdivisés en plusieurs sections (parterres). Les six premiers chapitres, qui forment l’introduction du livre, renferment, outre les éloges officiels et la description de Herat, une notice détaillée sur le Khorasan, ses localités les plus remarquables, les hommes éminents qui y sont nés, etc. Quoique cette introduction présente des détails intéressants pour la géographie et l’histoire littéraire, j’ai dû me borner à en extraire ce qui appartenait strictement à mon sujet ; mais plusieurs de ces détails trouveront place à l’occasion dans les notes qui accompagnent ma traduction.

On remarquera quelques inexactitudes dans le rapide résumé, tracé par l’auteur, des événements antérieurs à la dynastie ghouride. Elles ont été rectifiées, autant que possible, à l’aide des précieux documents arabes et persans qui nous sont parvenus. Ce contrôle ne fera d’ailleurs jamais défaut à la suite de ce récit, car j’estime que c’est par là, surtout, que la tâche modeste et peu pénible de traducteur peut acquérir quelque titre à l’attention du public savant.

La Bibliothèque impériale possède trois copies de cet ouvrage. Le numéro 32, fonds Gentil, copié en 1634, est d’une belle écriture neskhi, et il offre en général les leçons les plus correctes ; les cinquante premiers feuillets sont piqués et présentent de nombreuses lacunes. J’ai pu les combler à l’aide du manuscrit n°10, même fonds, d’une date plus ancienne, mais beaucoup moins correct. Je ne mentionne ici que pour mémoire le numéro 105 de l’ancien fonds, que Pétis de la Croix attribue à Mohiedin al-Ramahi. Cette copie, par suite d’un long séjour dans un lieu humide, est presque complètement illisible.

§ II.

OBSERVATIONS SUR L'ORIGINE D'HERAT.

La topographie de Herat est précédée, dans le texte persan, d'une série de traditions tirées, pour la plupart, de l'ancienne chronique de Cheikh Fâmi. On sait combien il est difficile de prendre au sérieux les assertions archéologiques des écrivains persans. Les plus graves, parmi eux, ont quelques formules toutes faites, qui leur permettent de résoudre les problèmes les plus délicats. S'agit-il d'une ville dont l'antiquité est incontestable, c'est à Thahomers ou à Djemschid qu'ils s'empressent d'en faire honneur ; de même, Schapour est, à leurs yeux, le fondateur de toutes celles que la dynastie sassanide avait relevées de leurs cendres. Mouyin ed-din aurait cru manquer à tous ses devoirs d'historien s'il avait dérogé à cet usage, en recherchant l'origine de sa ville de prédilection. Je craindrais d'abuser de la patience du lecteur en donnant une traduction ou un simple résumé de ces rêveries, qui n'ont même pas l'attrait de la fiction. Mais, au milieu de cet amas de contes puérils, j'ai cru discerner quelques indices précieux, qui peuvent s'ajouter aux données classiques sur la limite orientale du Khorasan. C'est le résultat de cet examen que je demande la permission de présenter ici, aussi brièvement que possible.

Il y a tout lieu de croire que l’Aria fut peuplée par une colonie d'origine indienne, qui sortit de l'Himalaya. « Pour éviter la tyrannie de Thahomers, raconte la première de ces traditions, cinq mille familles, parmi celles qui habitaient le Kandahar et le Kaboul, émigrèrent dans le Ghour, et finirent par s'établir sur le territoire où se trouve aujourd'hui Obeh. » L'ancien nom Aria ou Ariana ne peut que confirmer cette hypothèse ; mais il importe de remarquer que ce nom, désignant aussi chez les anciens le pays des Parthes, la Médie, le Fars, etc. introduit une perpétuelle confusion dans les renseignements que nous devons à l'antiquité sur les limites de l'Arie proprement dite. Ainsi, lorsqu’Hérodote (vii, 65) parle des Ariens de l'armée de Xerxès, ce nom doit être sans doute pris dans le sens le plus étendu. Au contraire, dans le second chapitre du même livre, où les Ariens sont, avec les Sogdiens, les Chorasmiens, etc. classés dans la seizième satrapie, il ne peut être question que des habitants de la province d'Hari (Herat). Strabon donne à l'Aria deux mille stades de long sur trois cents stades de large, c'est-à-dire à peu près la distance de Herat au lac Zareh. Cette évaluation, qui ne paraît nullement au-dessous de la vérité, doit comprendre les deux divisions principales dont parle Isidore de Charax, l'Aria et l'Anabon. Le même auteur cite dans l'Anabon, ou région comprise entre la rivière Arius et le lac Zareh, quatre villes, à savoir : Phra, dans laquelle je serais porté à voir la moderne Ferrah, Bis ou Bitaxa ( ?), Gari (Gouriân) et Nisi. Sainte-Croix veut sans preuves identifier Nisi avec Nisibis. Ne serait-il pas plus simple, pour rester dans les limites décrites par Strabon, de chercher cette ville dans le petit canton de Nisek ou Nischek, situé, selon Yaqout, sur les frontières du Sedjestan ?

Grâce à sa position géographique, Herat devint de bonne heure le point de transit le plus important du commerce entre l'Inde et la Perse. On lit dans la chronique de Fâmi : « Dans les temps les plus reculés, lorsque le bourg d'Obeh existait seul au milieu de ces solitudes, les caravanes campaient au bord du fleuve qui passait sur remplacement de Herat. » Les rois achéménides durent sentir bientôt la nécessité de développer ces relations de commerce par rétablissement d'une ville ou tout au moins d'un entrepôt, et telle est, je n'en doute pas, la cause première de la fondation de Herat. Les vers suivants, qui sont encore populaires dans le pays, me semblent offrir une hypothèse assez vraisemblable, et je les cite d'autant plus volontiers, qu'ils ont été insérés avec inexactitude dans ce même recueil. (Cf. Journal asiatique, t. IV, année 1837.)

Lohrasp jeta les fondements de Herat. Guschtasp y ajouta d'autres édifices. Après lui, Behmen bâtit une ville nouvelle, dont la ruine totale fut l'œuvre d'Alexandre le Grec.

Si ce dicton populaire paraît digne de foi, il faut faire remonter l'origine de la primitive Herat vers l'an 530 ou 520 avant J. C. On pourrait, de la sorte, expliquer le passage si vague d'Hellanicus, où il est dit que Persée et Andromède bâtirent un certain nombre de villes dans l'Artœa. (Fragmenta, édition Sturz, p. 97.) On sait que la capitale de l'Aria est diversement nommée par les anciens. Dans Arrien (Anab. iii, 25), on lit Artacoana ; dans Ptolémée, Αρτακάνα ou Αρτικαύδνα (vi, 4) ou bien encore Articabene, dans Pline (vi, 23). Il y a lieu de penser que ces différentes dénominations s'appliquaient à une seule et même ville, située sur les bords de l'Arius (Hari-roud), c'est-à-dire à la cité des Héros, des Arta. (Cf. Rawlinson, Asiat. journ. xi, p. 35.) Je dois cependant mentionner une conjecture ingénieuse de M. Ferrier (Caravan Journeys, p. 165), qui, pour éviter de confondre Aria la métropole avec Artacoana, pense que cette dernière était une ville ou un domaine de plaisance où les Satrapes passaient l'été. A l'appui de cette opinion, ce voyageur cite l'exemple des rois de Perse, qui avaient une résidence d'été à Mourghâb, près de Persépolis. Arrien (loc. laud.) affirme, en outre, que, lors de l'invasion grecque, Artacoana avait un château royal. M. Ferrier est moins heureux lorsqu'il essaye de prouver que la Sousia d'Arrien est l'ancienne ville persane de Thous, près de la moderne Mesched ; en effet, il faudrait, pour adopter cette opinion, reculer avec exagération les limites de l'Aria vers le nord-ouest, et nier le témoignage si positif de Strabon. L'opinion, plus répandue, qui reconnaît Sousia dans Zouzen (Zevzen) a pour elle, outre la conformité des noms, l'appui des géographes orientaux, qui font remonter l'origine de cette ville à l'époque où les mages passèrent de la Médie dans le Seistân. La ville de Candace (Κανδάνη), placée par Isidore de Charax dans l'Aria, et non loin d'Artacoana, a dérouté jusqu'ici toutes les tentatives de la critique. Aussi n'est-ce qu'avec hésitation que je propose de mettre cette ville à quelques kilomètres au nord de Herat, à l'endroit même où, selon les chroniques locales, fut bâtie, dès une époque reculée, la citadelle de Kohendiz. Ce dernier nom pourrait bien n'être qu'une corruption de la forme primitive mentionnée par Isidore. En outre, le cheikh Fâmi assure que la forteresse de Schemirân, qui fut plus tard désignée sous le nom de Kohendiz, servait d'asile aux tribus groupées autour d'Obeh, toutes les fois que le pays était menacé d'une invasion des Huns (Heiatileh). « Plus tard, ajoute-t-il, lorsque l'enceinte de cette place forte devint insuffisante pour une population qui s'accroissait de jour en jour, le gouverneur obtint de Behmen, fils d'Isfendiar, la permission de construire Hari. »

On interrogerait vainement les souvenirs indigènes sur l'histoire intérieure de la province de Herat durant la domination des Achéménides. Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est que ce pays dut accepter, sans contestation, l'autorité du grand roi et obéir à des délégués de son choix. Les mêmes traditions disent, à plusieurs reprises, que tel gouverneur (satrape), avant de diminuer les impôts ou de fortifier une ville, devait obtenir l'agrément du roi de Perse. Le même silence règne sur l'invasion d'Alexandre et sur les colonies laissées par le vainqueur.

Une légende, inventée sans doute pour ménager l'amour-propre national, rapporte que le conquérant macédonien ne trouva, quand il envahit le pays, que la citadelle de Kohendiz, et que, la jugeant insuffisante, il jeta les fondations d'une ville nouvelle, entourée de fortifications formidables. Berdjendi raconte avec étonnement que les habitants firent la plus vive opposition aux projets d'Alexandre, et Khondémir (loc. laud.) cherche à expliquer cette résistance, en disant qu'elle était motivée par la crainte de subir une domination plus lourde et de payer des impôts plus onéreux. La position exacte de l'Aria d'Alexandre ou Alexandria Ariana (Αλεξάνδρια ἡ ἐν Αριοις) a soulevé quelques doutes. Barbié du Bocage (Historiens d'Alexandre, append. p. 193) croit la retrouver dans Fouschendj, ancienne bourgade à une journée de Herat. Le général Court adopte l'emplacement d'Obeh, contrairement à l'opinion de Pline, qui dit positivement qu'Alexandrie fut bâtie sur les bords de l'Arius. M. Court, habitué à trancher militairement les difficultés, achève de porter la confusion dans cette question, en supposant qu'Artacoana peut être retrouvée dans Ardekoun, bourgade entre Ispahan et Yezd. (Journal asiatique, 1837, t. IV.) Enfin d'Anville, égaré par une méprise de Ptolémée, qui recule l'Aria d’Alexandre jusqu'aux rives du lac Zareh, cherche cette ville sur l'emplacement de Ferrah, dans le Seistân. Au milieu de ce conflit d'opinions, je suis, pour ma part, disposé à me ranger du côté d'Heeren, qui considère Alexandria Ariana et Artacoana comme ne formant qu'une seule ville. Sans vouloir invoquer les souvenirs locaux cités plus haut, ni le témoignage des habitants, qui montrent encore avec orgueil les ruines des tours bâties par Alexandre, n'est il pas légitime de croire que l'admirable position de Herat, son importance à la fois commerciale et stratégique, la fertilité qu'elle doit à ses nombreuses rivières, que tous ces avantages, en un mot, durent déterminer le conquérant en faveur de cet emplacement déjà si apprécié par la monarchie dépossédée ? Quant aux prétendus descendants d'Alexandre ou Kafirs, que certains voyageurs ont cru reconnaître dans les tribus nomades disséminées au nord de, Kaboul et de Kandahar, il me semble difficile de prendre une telle origine au sérieux. Cette opinion a commencé à circuler sous le patronage de deux écrivains, dont l'autorité en matière d'ethnologie est plus que contestable, je veux parler de Sultan Baber et d'Aboul Fazl. Burnes, sans nier cette origine, ne l'admet qu'avec réserve et seulement pour quelques nomades de l'Hindokousch. Les observations si précises de Molla Nedjib, l'élément persan qui domine dans leur dialecte, la physionomie farsi de plusieurs de leurs noms, tels que Caumodji, Kistodji, Pérou ni, etc. leur conformation physique, tout permet de croire que ces Kafirs sont sans doute des aborigènes, mais d'une souche ariane, que les invasions musulmanes ont refoulés au milieu de ces montagnes. (Cf. Description du Kaboul, par Elphinstone, t. II, p. 375 et suiv.).

Le culte du feu, introduit dans le Khorasan vers le ive siècle avant notre ère, dut être longtemps la religion dominante de l'Aria. Khondémir et Hamd Allah Mustôfi parlent d'un célèbre pyrée nommé Sirischk, construit sur une colline près de Herat. (Taleh Bengui, d'après Ferrier.) Ce temple résista à toutes les commotions politiques et religieuses qui bouleversèrent le Khorasan, et ce ne fut que sous le règne d'Abd Allah, prince Thahéride, qu'il fut démoli, à l'instigation d'un prédicateur fanatique. (Voyez d'Herbelot au mot Herat.) On est d'ailleurs autorisé à penser que, dans cette ville, comme dans tous les grands centres commerciaux, la tolérance dut régner longtemps, et aujourd'hui encore les ombrages politiques, plus que la différence de religion, rendent ce séjour dangereux pour les Européens. Mentionnons, en unissant, la bizarre assertion d'un des historiens de Herat qui prétend que, peu de temps après la venue du Messie, le prince qui régnait alors dans cette ville était chrétien, et que quatre croix s'élevaient sur les principaux bastions de l’enceinte fortifiée.

Tels sont, en résumé, les renseignements dignes de quelque attention épars dans le début emphatique de l'ouvrage de Mouyin ed-din. En les rapprochant des données assez vagues de l'antiquité, mon but a été, non d’arriver à des résultats positifs, mais de fournir à une autorité plus compétente de nouveaux éléments de certitude. Ces réserves faites, je laisse la parole à mon auteur.

 

 


 

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER.

§ I. TOPOGRAPHIE DE LA VILLE ET DE SES ENVIRONS.

L'enceinte moderne de Herat est au sud de la citadelle (kohendiz) et du fort de Schemirân, situés l'un et l'autre au dehors de la ville ; elle est renfermée dans l'ancien mur, maintenant ruiné, qui fut construit par le roi Mo'ezz ed-din Hussein Kurt, et comprend, par conséquent, la célèbre forteresse d'Ikhtiar ed-din, dont il sera fait souvent mention dans cette histoire, et qui s’élève vers le nord de la ville.[1] C'est à la portion de Herat comprise dans ces limites que s'applique en particulier la dénomination de Coupole de l’islamisme, et, par une heureuse conformité avec l'axiome religieux « l’islamisme repose sur cinq bases, » cette enceinte possède cinq entrées principales : 1° la porte Royale au nord ; 2° la porte d'Iraq à l'ouest ; 3° l'avenue de Firouz-Abad au sud ; 4° l'avenue de Khosch à l’est ; 5° la porte de Qiptchaq vers le nord-est.[2] Chacune de ces entrées a trois portes, à l'exception de l'avenue Royale, qui n'en a que deux. La forteresse d’Ikhtiar ed-din a également deux portes : l’une est au nord, donnant sur le marché aux Chevaux, l'autre au sud, du côté de la plaine. Chacune de ces avenues donne son nom à un marché, qui, partant de l'extrémité de la ville, va aboutir au marché central ou Tchehar-sou ; il faut en excepter pourtant le quartier de Qyptchaq, qui ne renferme pas de bazar. Le plus important est le marché Royal, [3] qui, depuis le pied de la citadelle jusqu'au Tchehar-sou, présente une ligne non interrompue de belles boutiques bâties en briques cuites et plusieurs entrepôts aussi vastes qu'un marché. On voit, en outre, hors des murs de la ville, des bazars qui s'étendent jusqu'à l'extrémité des faubourgs, c'est-à-dire sur environ un farsakh (5 kilomètres) ; et presque toutes les grandes rues ou places de la ville ont aussi leur marché, remarquable par l'ordre et l'animation qui y règnent. Le mur d’enceinte est entouré de deux retranchements séparés par un intervalle de dix guez.[4]

L’humble auteur de ce livre, à l’époque où il le rédigeait (1492 de J.-C.), chargea quelques-uns de ses élèves de mesurer avec soin l’étendue de la ville. Il résulte de leur examen, que la muraille qui entoure Herat est défendue par cent quarante-neuf tourelles et qu’elle a 7.300 pas de circonférence.[5] Quant à son diamètre, de la porte Royale à Firouz-Abad, et de l’avenue Khosch à la porte d’Iraq, il est de 1.900 pas. Le fossé principal qui entoure le rempart a vingt guèz (19 mètres 40 centimètres) de large. La mosquée-cathédrale s’élève entre les portes de Khosch et de Qiptchaq ; j’ai entendu dire que cet emplacement fut choisi comme le plus sain et le mieux arrosé de la ville.[6] On rapporte même que, pour s’en assurer, on exposa en plein air dans les différents quartiers quelques têtes de mouton ; celle qui fut laissée sur le terrain de la mosquée ne se corrompit que quatre jours après les autres. Sans ces avantages naturels, il eût été plus convenable de placer la mosquée au centre de la ville ; il faut ajouter aussi que ce quartier est le seul qui soit arrosé par des eaux vives.

Parmi les embellissements que Herat doit à la munificence éclairée de feu notre illustre souverain, l’ornement du trône et de la religion, Ahmed Mirza, nous ne devons pas omettre le beau kiosque élevé sur la tour d’Ali-Açed, entre les portes Khosch et Qiptchaq. De ce pavillon, aussi remarquable par son élévation que par la hardiesse et l’élégance de son architecture, on domine la ville et les environs jusqu’à une grande distance ; nous aurons occasion de citer bientôt d’autres constructions élevées par l’ordre de ce généreux souverain. L’enceinte primitive, due, comme nous l’avons dit, au roi Mo’ezz ed-din Kurt, était très vaste, puisqu’elle n’avait pas moins d’un farsakh carré du pont d’Endjil au passage de Scheikh-Khorrem, et de Melasiân au bout du pont des Fabricants de tentes. Ce fut le glorieux émir Timour Kourekân (Tamerlan) qui la fit abattre, après avoir conquis Herat, en disant qu'une place d'une telle étendue pouvait être difficilement protégée contre une invasion ou un coup de main. Cependant l'importance de Herat s'est accrue depuis cette époque, puisque sa banlieue s'étend aujourd'hui du vallon des Deux Frères au pont de Malân[7] sur dix farsakhs de parcours ; ou, pour mieux dire, ses bourgs et ses villages, si rapprochés les uns des autres, qu'ils ne semblent former qu'une seule ville autour de la capitale, ont une étendue de quatre farsakhs (20 km.), depuis le même vallon jusqu'aux monts Iskeledjeh et Kelivkhân, et de trente farsakhs (150 km.), depuis Obeh jusqu'à Kousouyeh. Un personnage digne de foi, Aboul Fath Mohammed Sultan, plus connu sous le nom du Petit Mirza, qui visita deux fois l'Egypte en se rendant à la Mecque, m'a assuré que le Caire, dont on vante tant l'étendue, n'a que le quart de Herat, mais qu'il l'emporte sur notre ville par le nombre et l'importance de ses dépendances.

La rivière de Herat est nommée Roudé-Malân ; [8] elle arrose une grande partie des champs et des campagnes de la banlieue ; au printemps elle est grossie par deux ou trois mille torrents, qui souvent déterminent des inondations ; son cours ne s'étend pas au delà de Sérakhs. Parmi les bourgs qui environnent Herat, plusieurs pourraient soutenir la comparaison avec une ville. Tel est le célèbre lieu de pèlerinage surnommé Maison de la dévotion (Dar el-Ybadeh), séjour des plus vertueux et des plus doctes musulmans. Bien qu'il possède environ mille boutiques, bien approvisionnées de toutes sortes de marchandises, il est cependant habité par une population qui fait du Coran et de l'étude des lois sa principale occupation. On assure qu'on y lit plus de sept cents fois le Coran en vingt-quatre heures. Telle était l'affluence que ce saint lieu attirait, en particulier le vendredi, que la foule, ne pouvant tenir dans la mosquée, était obligée de se mettre en rangs sur la place, pour réciter la prière ; notre souverain, dont la sollicitude s'étend à tous les besoins de ses sujets, a remédié à cet inconvénient en y faisant bâtir une mosquée plus vaste et plus élégante.[9] Citons aussi le bourg de Siavouschân, qui dans les bonnes années donne jusqu'à trente mille kharvar ou charges de raisin, sans parler de ses autres productions, qui ne sont pas moins abondantes.

Le territoire de Herat est divisé en neuf cantons :

1° Touran et Touniân

Qourvân et Paschtân

3° Kemboraq

Sebqar ou Sebqareh

5° Khiabân ou les Allées

6° Guxareh

7° Endjil, aujourd'hui Indjir.

8° Alendjân

9° Edvân et Tizân[10]

L'ombre et la végétation sont rares dans Herat, car cette ville n'est traversée que par un faible cours d'eau ; mais les riants jardins, les prairies, les bois qui l'entourent font de ses environs un paradis éternel. C'est surtout du côté de Kazurgâh[11] que le pays prend un aspect riant et fertile, grâce aux travaux que notre prince y a fait exécuter. Avant son avènement, on ne rencontrait au nord de la rivière d'Endjil, près du pont de ce nom, que quelques chétives habitations, tandis qu'aujourd'hui, depuis le mont Zendjirgâh et le vallon des Deux Frères, ce ne sont que campagnes couvertes de moissons, que vergers chargés de fleurs et de fruits.

Enfin le Sultan martyr de la foi, Sultan Abou Saïd, en tirant de la rivière de Paschtân un canal qui tourne le mont Kazurgâh, et les travaux exécutés sous le règne actuel, ont fertilisé l'espace compris entre ce mont et la fontaine de Mahiân, [12] ou, pour mieux dire, les six farsakhs de plaine qui s'étendent entre la gorge de Paschtân et le village de Saqlamân.

Mais, parmi tous ces sites que la beauté du climat et la richesse du sol rendent l'objet de la jalousie du ciel, il faut citer avant tout les Allées (Khiabân) de Herat. On peut sans exagération appliquer à ce lieu enchanteur les paroles du saint livre « un jardin parmi les jardins célestes, » et cette autre : « un jardin arrosé par les sources de la vie. » Au milieu des bosquets et des parterres qui l'embellissent reposent plusieurs imams, cheikhs et dévots célèbres par leur science ou leur piété.

Même dans les âges d'erreur, le Khiabân était considéré comme un endroit privilégié et favorable aux prières ; l'islamisme a consacré et accru ces nobles prérogatives, et ce bourg est aujourd'hui l'oratoire de la ville et le rendez-vous de la foule pieuse, les jours de fête. On lui donnait autrefois le nom de rue des Rois, car le mot Khodaïegân avait dans l'ancien persan la signification du mot Padischâh. Une des tombes les plus vénérées dans ce saint lieu de pèlerinage est celle du noble initié dans la voie spirituelle, le guide des génies et des hommes, l’hôte des jardins de la sainteté, l'imam honneur de la religion et du siècle, Fakhr ed-din, fils d'Omar Razi, ce prodigieux savant, qui dans les sciences métaphysiques et traditionnaires, n'a pas eu d'égal au monde. Puisque ma plume a tracé le nom de cet homme immortel, je veux rapporter ici une anecdote qui me revient en mémoire et dont il est le héros.

La forteresse de Roudbâr, ainsi que plusieurs places importantes du Kouhistân, etc. était à cette époque au pouvoir de Mohammed, fils d'Ali, [13] chef des ismaéliens, secte dont les opinions religieuses sont, comme on le sait, en opposition formelle avec l'orthodoxie musulmane.

L'imam Fakhr ed-din Razi illustrait par son enseignement la chaire de droit de Rey, où sa réputation attirait un concours nombreux d'auditeurs. Quelques-uns de ses élèves l'avertirent un jour, qu'on l'accusait dans le public de montrer de l'inclination pour la secte Ismaélienne. Le docteur, vivement impressionné par ce reproche, voulut en démontrer la fausseté aux yeux de tous, et le jour suivant, en montant en chaire, il couvrit de malédictions et d'opprobres le nom des hérétiques impies (mélahideh). Mohammed ben Ali ne tarda pas à en être informé, et il s'en émut. La grande réputation de l’imam, la popularité qui protégeait son nom, ne lui permettant pas de se défaire de ce nouvel ennemi par un meurtre, il voulut du moins lui infliger une leçon qui fit impression sur son esprit et mit fin à ses audacieuses attaques. Il chargea donc de cette délicate mission un de ses fédaïs les plus dévoués.

Celui-ci se rendit d'Alamout à Rey, où il se mêla aux auditeurs de l'imam et affecta de suivre ses leçons avec une assiduité édifiante. Pendant huit mois, il chercha vainement l'occasion de se trouver seul avec lui ; elle se présenta enfin. Il rencontra, un jour, un serviteur de l'imam qui sortait de chez son maître, et lui demanda si Fakhr ed-din était seul. L'esclave ayant répondu affirmativement, l'assassin lui demanda alors où il allait : — « Je vais au bazar, répondit-il, acheter les provisions nécessaires à son repas. — Eh bien ! reprit l'autre, ne te hâte pas de revenir, j'ai deux ou trois questions scientifiques à soumettre au docteur et qui me retiendront près de lui pendant un certain temps. » L'esclave, sans défiance, y consentît et s'éloigna. Le fédaï entra dans l'appartement du savant théologien, et en barricada la porte avec soin ; puis il se précipita sur lui, le renversa par terre, et s'assit sur sa poitrine, le poignard à la main. Fakhr ed-din, épouvanté et à demi mort, eut à peine la force de lui demander quel était son dessein. — « Je veux, lui dit l'ismaélien d'une voix terrible, t'ouvrir le corps depuis le nombril jusqu'à la gorge. — Quel est donc mon crime ? demanda l'imam. —Ton crime, le voici : tu as proféré des malédictions et des injures contre notre Mevla (tel est le nom que les ismaéliens donnent à leur chef). Grâce, s'écria l'imam, je reconnais ma faute, je m'en repens humblement et je jure par la sainte Kaaba de ne plus prononcer ces paroles coupables. » Et, d'une voix étranglée par la peur, le malheureux accumulait les formules de serment les plus solennelles. « Et, que m'importent tes promesses, dit le fédaï ; n'avez-vous pas dans votre loi religieuse mille moyens de relever des engagements les plus formels ? » Ce ne fut qu'après que Fakhr ed-din eut engagé sa parole et prononcé un serment sans restriction, que son agresseur le laissa respirer en liberté ; puis il s'assit par terre à côté de lui, et continua en ces termes : « Je n'avais pas reçu l'ordre de te tuer, sinon tu ne serais plus du nombre des vivants. Je suis chargé de te transmettre les salutations de mon seigneur et les vœux qu'il fait pour ta félicité ; en outre, il m'a enjoint de te dire ceci : « Fakhr ed-din Razi, je ne me soucie nullement des propos d'une foule lâche et ignorante à laquelle on peut appliquer le verset, « Ce sont des bêtes brutes, ou des êtres plus ignorants encore[14] » ; mais les paroles d’un homme tel que toi pénètrent dans les cœurs, comme le ciseau d'acier dans la pierre. Je te prie donc de t'abstenir désormais de toute expression offensante pour nous, et je t'engage à ne pas t’exposer de nouveau à notre mécontentement. Si tu veux bien agréer notre invitation, et venir nous trouver à Alamout, ce sera une véritable fête pour nous tous. « Non, non, s'écria le savant, que la pensée d'une pareille visite épouvantait, ce voyage est impossible maintenant, et je ne puis y songer de longtemps. — Fort bien, reprit l'envoyé, persuadé que Fakhr ed-din enviait aux pôles du monde leur immobilité ; mais vous ne refuserez pas du moins cette somme, qui représente vos appointements de l'année. » Et ce disant, il tira de sa ceinture et déposa sur le tapis un sac de « 360 dinars d'or. » Chaque année à la même époque, pareille somme vous sera comptée de la part du maître.[15] J'ai, en outre, dans ma chambre, deux robes du Yémen d'un grand prix ; c'est également un présent que notre seigneur vous envoie, et je vous les remettrai en partant. » Puis l'assassin se leva, salua respectueusement son hôte et s'éloigna. Fakhr ed-din Razi avait eu jusque-là l'habitude, lorsqu'il réfutait dans son cours une des doctrines des ismaéliens, de dire : « Contrairement à l'avis des impies, que Dieu les maudisse et les couvre d'humiliation ! mais cette aventure le rendit prudent et il se borna désormais à dire du ton le plus modéré : « Telle n'est pas la façon de voir des ismaéliens. » Un de ses élèves, étonné de ce changement de langage, lui demanda un jour pourquoi il n'accompagnait plus le nom des ismaéliens des malédictions ordinaires. « La chose n'est plus possible, s'écria l'imam en soupirant, ces gens-là ont à leur service des arguments trop tranchants. » Quelques auteurs vont jusqu'à affirmer que le grand train de vie et le faste dont s'entourait l'illustre docteur de Rey n'étaient alimentés que par l'or du mystérieux souverain d'Alamout. (Dieu seul connaît la vérité !)

Parmi les localités qui avoisinent Herat, le district de Herat-roud et d'Obeh se distingue par sa fertilité, sa richesse et la nombreuse population qu'il renferme. C’est au pied d'une montagne située dans ce district que se trouve une source thermale nommée Tcheschmeh-Kouyân, dont l'efficacité pour un grand nombre de maladies ou d'infirmités est reconnue ; aussi attire-t-elle un nombreux concours de malades. La température de son eau est si élevée, qu'on ne peut y entrer que peu à peu et avec précaution. Près de cette source jaillit une fontaine d'une fraîcheur délicieuse. Sultan Abou Saïd, le roi martyr, avait construit auprès de ce lieu un pavillon assez exigu ; notre glorieux souverain l’a fait agrandir, et il y a ajouté un parc et des jardins qui font de ce site un des plus agréables de la contrée. La même montagne renferme une carrière de pierres blanches qui, par leur beauté et leur solidité, ont une grande analogie avec le marbre. On fait avec cette pierre des colonnes, des tables, des fauteuils et des monuments funéraires. Un des plus curieux objets de ce genre se trouve près de Herat, dans le mausolée du bienheureux cheikh Abou Ismaïl Khadjeh Abd Allah Ansari ; c'est une tablette surmontée d'une aiguille d'un seul morceau, et taillée avec un art merveilleux.[16] Tout le reste de ce district est également fertile et riant ; plusieurs bourgs ou villages, et notamment celui de Djescht, [17] possèdent un grand nombre de tombeaux où reposent des dévots morts en odeur de sainteté ; nous les citerions tous ici, si l'espace nous le permettait. Presque tous les fruits qui alimentent le marché de Herat proviennent de ce district, qui les produit pendant la plus grande partie de l’année.

Nous devons encore nommer dans le voisinage de la capitale le canton de Schafilân, situé au pied des montagnes ; c'est un vaste pays, riche en toute sorte de productions. Son chef-lieu est la petite ville de Keroudjeh, bâtie sur le sommet d'un rocher ; [18] elle est dans un état prospère, et possède une population nombreuse et plusieurs riches bazars. Ce même canton renferme des mines de plomb et de fer ; ces dernières surtout sont d'un beau produit et alimentent les fabriques de Herat. On estime aussi ses fruits, entre autres ses pommes, ses abricots, ses poires et ses pêches.[19] On vante également une source thermale nommée fontaine du Mont Blanc, très recommandée pour différentes maladies. Le souverain actuel (que Dieu bénisse son règne !) y a fait construire un palais qui laisse bien loin derrière lui les merveilles du Khavarnaq et du Sédir ; aussi l’on y voit en toute saison, et surtout au printemps, une foule nombreuse, venue souvent de fort loin pour se récréer au milieu de ses jardins, et pour demander à ses eaux un soulagement aux maux qui affligent l'espèce humaine.

§ II. DESCRIPTION DE QUELQUES LOCALITES IMPORTANTES DE KHORASAN SITUEES DANS LE VOISINAGE D’HERAT.

La ville d'Esfizâr, qui est la patrie et le séjour de l'humble auteur de ce livre, mériterait à elle seule une longue description ; mais, les éloges que nous lui donnerions pouvant être attribués à un amour exagéré du sol natal, nous dirons en peu de mots ce qu'il y a de remarquable dans cette contrée. Elle a joui précédemment d'une grande prospérité, à tel point qu'on l'appelait le Jardin de Herat ; mais les révolutions humaines et le temps lui ont enlevé une partie de sa splendeur ; toutefois elle en a conservé d'assez beaux vestiges pour qu'on puisse juger de ce qu'elle était jadis. C’est dans les environs d’Esfizâr qu'est la célèbre place forte si souvent citée dans l'histoire sous le nom de château de Mozaffer-Kouh. Elle s'élève sur un rocher à pic ; ses murs sont en briques cuites et en mortier ; ils n'ont pas moins d'un farsakh (5 km) de circuit. Une de ses portes donne sur la rivière d’Esfizâr, au pied du rocher ; le fort principal ou Ark est construit sur le sommet même de ce rocher. Dans l'enceinte fortifiée, on voyait jadis une mosquée pour l'office du vendredi, un bazar, des bains et plusieurs maisons, vastes et élégantes. Ses murs sont assez larges pour que sept cavaliers puissent y passer de front. Dans l'intérieur de la forteresse, jaillissait autrefois une source d'eau douce qui se jetait dans la rivière qui coule au pied de la montagne : cette fontaine est maintenant tarie. Le fort renfermait, en outre, plusieurs belles citernes, destinées à recueillir les eaux pluviales. La place n'était accessible que d'un seul côté, c'est-à-dire par la porte située aux bords de la rivière ; le terrain est d'ailleurs très accidenté : en quelques endroits les piétons peuvent arriver jusqu'au fossé ; dans d'autres, au contraire, il semble que l'accès en soit interdit même à l'oiseau. Des portes de la place jusqu'à l’ark on compte un mille, ou un peu plus, et l'on peut parcourir à cheval la moitié de cette distance ; les murs, comme nous l'avons déjà dit, ont assez de largeur pour rendre possibles les évolutions de plusieurs cavaliers. Les carrières qui ont fourni les matériaux sont à près d'un farsakh de là. On attribue la fondation de cette place importante à Sultan Alp Arslan Ghazi, et plusieurs de ses habitants m'ont assuré qu'on a trouvé dans une fente du mur un parchemin où il est dit que cette construction a été faite aux frais de la ville de Bagdad. C'est le manque d'eau qui a entraîné l'abandon et la décadence de cette belle forteresse.

En face du Mozaffer-Kouh, dans la plaine, était une autre citadelle importante nommée Scharistân ; on en voit encore de nombreuses ruines. Elle était séparée de la première par la rivière d'Esfizâr, et située dans un lieu excessivement fertile et pittoresque. Bâtie sur des blocs de pierres d'une dureté extrême, le sol qui l'environnait dans toute l'étendue de cette plaine était tellement mou, qu'on y trouvait l'eau à un guez de profondeur. Grâce à ces avantages naturels, elle n'avait rien à craindre de la sape et de la mine. Elle était d'ailleurs fortifiée avec beaucoup d'art. Une tradition fort accréditée dans le pays fait remonter l'origine de cette place à la reine Bilqis ; voilà pourquoi elle est nommée quelquefois Scharistâné-Bilqis. Elle était située dans un lieu très salubre, et le vent d'est, qui y souffle ordinairement, y attirait les personnes affligées de paralysie ou de rhumatismes aigus. Le canton d'Esfizâr renferme encore plusieurs forteresses plus ou moins importantes, que nous nous dispenserons de nommer pour ne pas donner trop d'étendue à cette description. Ce canton, enclavé, sur trois côtés par la rivière de Sourghayân, qui reçoit les eaux de la petite rivière d'Adraskan est remarquable par la pureté de l’air, la fertilité du sol, la riche végétation et le nombre des canaux et aqueducs qui l'arrosent ; aussi le poète Pour-béhay Djâmi a-t-il pu dire sans être taxé d'exagération :

Apprécie les douceurs du climat d'Esbézar (Esfizâr) et l'eau limpide de l'Adraskan[20] car un site aussi délicieux ne se retrouve sans doute que dans le paradis.

Je me souviens d'avoir vu dans mon enfance encore plus de douze cents boutiques dans la ville d'Esfizâr, sans parler des faubourgs et des bourgades voisines. Parmi ces dernières, la plus importante est Zéval, qui, sur un parcours de trois farsakhs, renferme quatre-vingts canaux d'eau vive, qui alimentent chacun un moulin.[21] L'eau est tellement abondante dans quelques-uns de ces canaux, qu'on ne peut boucher l'orifice de l'un d'eux sans déterminer des inondations partielles. Cependant leur cours est si bien réglé, qu'ils ne se font aucun tort les uns aux autres, malgré leur proximité, et qu'ils portent la fertilité au milieu des villages et des places fortifiées situées sur leur parcours. Parmi ces forteresses, les unes sont complètement ruinées, les autres sont encore florissantes. L'eau est si abondante dans le canton d'Esfizâr, qu'on raconte que le célèbre hydroscope Thaher, surnommé Âb-schinas, à cause de la perspicacité avec laquelle il reconnaissait les sources souterraines, voyageant un jour, à cheval dans ce pays, disait à mesure qu'il avançait, en faisant allusion aux amas d'eau sur lesquels il passait : « Ici mon cheval a de l'eau jusqu'au poitrail ; ici il nage au milieu d'un lac. « On cite de ce même Thaher un fait qui prouve jusqu'où allait son habileté dans cet art. Pour mettre son talent à l'épreuve, on enfouit dans une plaine aride et desséchée une carafe d'eau, puis on le pria de voir si cet endroit renfermait un dépôt d'eau cachée, afin d'y creuser un puits. Le devin, après un examen attentif du terrain, dit de l'air le plus convaincu : « Il n'y a ici qu'une carafe d'eau, et elle se trouve à telle profondeur.[22] »

Les fruits d'Esfizâr jouissent d'une juste célébrité dans la province. Les plus estimés sont les poires Khosrèvâni, qui se conservent jusqu'au printemps ; une espèce de raisin sans pépins, qui ne vient que dans un village nommé Berzin-Abâd en l'honneur du sage Bérzin, auquel il doit, dit-on, son origine ; et une autre qualité de raisin nommé Sahibi, si fin et si délicat, qu'un grain qui se détache d'une grappe et tombe par terre se partage en plusieurs morceaux. Outre le chef-lieu, plusieurs bourgs du canton possèdent des mosquées cathédrales où se célèbre la prière du vendredi, tels sont Aqbel, Djenbèrân, Fermèkân, etc.[23]

Enfin, s'il faut en croire l'assertion des physiciens, qui assurent que les meilleures eaux sont celles qui coulent de l’est à l'ouest, à cause de l'influence salutaire que le vent d'est et le soleil exercent sur elles, il faut reconnaître que le canton d'Esfizâr a été favorisé de la nature, puisque tous ses cours d'eau, ses rivières, sources et canaux suivent cette direction. D'après l'opinion des gens du pays, la ville d'Esfizâr est plus ancienne que Herat, et on lui assigne trois mille ans d'existence.

§ III.-CANTON DE FOUSCHENDJ ET DEPENDANCES.

Nous avons dit au commencement de ce livre que Fouschendj est la plus ancienne ville du Khorasan, et nous avons rapporté les traditions qui en font remonter l'origine à Pousçheng, fils d'Afrasiâb. Le canton de ce nom est vaste, bien cultivé et d'une grande fertilité. Parmi ses antiquités les plus vénérables, on remarque une mosquée et un Khan bâtis, dit-on, par le prophète Abraham, l’ami de Dieu. Tous les ans, et surtout au printemps, une foule nombreuse, composée des gens étrangers au gouvernement qui habitent Herat ou les environs, s'y rend en pèlerinage ; mais on n'y rencontre que cette catégorie de visiteurs, parce qu'une légende fort accréditée dans le pays dit que tout fonctionnaire ou agent public qui met le pied dans cette mosquée ou ce caravansérail est infailliblement destitué dans l'année ; il paraît que de si nombreux exemples sont venus donner raison à ce dicton, que nul employé ne se soucie d'en faire l'expérience. Dans le voisinage est une montagne où l'on remarque des empreintes de pas profondément gravées dans le roc et des fragments de roche (volcanique) qui ont la forme d'oiseaux. On cite encore, parmi les endroits les plus agréables du même canton, les bords de la petite rivière qui sort du pied de la montagne Dou-schakk, auprès de Fouschendj. Ses belles prairies émaillées de fleurs, ses ombrages touffus et la pureté de l'air y attirent pendant la belle saison une affluence considérable de promeneurs.

La petite ville de Kousouyeh, située au milieu de la plaine et défendue encore par une enceinte en briques cuites, mérite une mention particulière, à cause de son héroïque résistance lors de l'invasion mongole. Voici l'historique de cet événement :

Un des petits-fils de Djenghiz Khan, Déva, fils de Boraq, ayant envahi ce pays, en 695 (1295-96), avec une armée de quatre-vingt-dix mille hommes, l'élite des tribus mongoles, envoya quelques cavaliers informer les habitants de Kousouyeh de son arrivée, et les sommer de venir à sa rencontre avec des présents. Schehâb ed-Dîn Zirèk, qui était chargé de l'administration civile et militaire de la ville (Ketkhoda ô Kelonter), réunit les notables et leur représenta qu'il n'y avait pas de pitié à espérer d'un barbare qui avait couvert le Khorasan de ruines, et inondé cette belle province du sang de plus de cent mille femmes et enfants. Il parvint à faire passer son énergique résolution dans leurs cœurs, et les députés de Déva furent renvoyés au camp, où ils allumèrent la colère du chef par le récit exagéré qu'ils lui firent de l'audace et de la présomption de cette petite population. Déva s'informa de la force de cette place, et quand on lui apprit qu'elle n'était défendue que par ses quatre murailles, et qu'il rassemblait plutôt à un vieux caravansérail à moitié abandonné, il sourit de pitié et ajouta : « Lors même qu'ils seraient protégés par des remparts de pierre et de bronze, que pourraient-ils contre nos armes invincibles ? » Dès le lendemain, il se mit en marche avec toute son armée et vint camper à un demi-farsakh de Kousouyeh. La il choisit douze mille soldats aguerris, leur adjoignit cent artificiers et doute machines de siège, et confia le commandement de cette troupe à quatre de ses principaux officiers, qui étaient tous fils de prince. Il leur recommanda de la façon la plus formelle de s'emparer de la ville dès le premier assaut et de la détruire de fond en comble. Mais, dès que les Mogols eurent investi Kousouyeh, ils comprirent de quels adversaires redoutables ils devaient triompher. Ils furent mis en déroute dans la première sortie opérée par Schéhab ed-din à la tête des plus braves habitants. Déva, irrité de cet échec, fit entourer la place par vingt mille cavaliers, et, pendant douze jours, la lutte dura avec acharnement ; sept cents soldats et quatre émirs infidèles perdirent la vie dans ces rencontres, tandis que les pertes des assiégés furent insignifiantes. Le prince mogol, que cette résistance inattendue désespérait, accablait ses soldats et ses officiers des reproches les plus vifs, lorsque trois d'entre eux, Khadjeh-Behadour, Djeleh-Behadour et Thoghay-Behadour s'engagèrent à réduire la ville, s'il voulait leur donner dix mille hommes et cinquante béliers de siège. Leur demande fut accueillie, et dès le lendemain ils livrèrent un assaut à la ville, sur laquelle ils faisaient pleuvoir continuellement du naphte. A la suite d'un combat des plus meurtriers, qui dura pendant toute cette journée et le lendemain jusqu'à la prière du soir, Khadjeh-Behadour et Djeleh-Behadour furent tués, et leur mort répandit le découragement dans les rangs. Déva s'étant informé du nombre des assiégés, et apprenant qu'il ne dépassait pas deux cents, craignit de ne pas en venir a bout avant d'avoir deux mille soldats tués et autant de blessés. Il résolut donc de lever le siège, lorsque les habitants, qui étaient loin de prévoir cette détermination, lui envoyèrent Schéhab ed-din avec deux autres délégués, pour lui offrir leur soumission et la reddition de la ville, s'il consentait à oublier le passé et à accepter les conditions d'une paix honorable. Cette proposition fut, comme on le pense, accueillie avec enthousiasme par Déva, qui chargea aussitôt un de ses officiers nommé Yetlaq d'accompagner Schehâb ed-Dîn avec cinquante cavaliers, et de proclamer en son nom, au milieu de la ville, la paix et une amnistie générale. Mais lorsque cette petite troupe se présenta devant Kousouyeh, on refusa de la recevoir. En effet, ses courageux défenseurs, revenant subitement sur la mission pacifique qu'ils avaient confiée à Schéhab ed-din, s'étaient donné pour chef un de leurs principaux concitoyens nommé Schems ed-din Mohezzib, et s'étaient engagés par les serments les plus solennels à verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang avant de recevoir les infidèles dans leurs murs. Ce fut en vain que leur ancien chef, secondé par Yetlaq, les engagea à faire la paix en se portant garant de la bonne foi et des intentions bienveillantes du général mogol ; ils répondirent qu'ils ne pouvaient compter sur la modération de l'ennemi, après que ses meilleurs soldats étaient tombés sous leurs coups, et ils refusèrent obstinément d'ouvrir leurs portes. Cette courageuse résolution mit le comble à la fureur de Déva, qui eut recours à un nouveau stratagème pour réduire la place. Par son ordre, toute l’année fut occupée, pendant trois jours, à couper les arbres, les roseaux et les broussailles à cinq farsakhs à la ronde ; tous ces matériaux, entassés et réunis par une sorte de ciment, formèrent bientôt une éminence qui dépassait de dix guez les remparts de Kousouyeh. Mais les assiégés, inspirés par le ciel, lancèrent contre cette formidable machine une pluie de flèches trempées dans des matières résineuses, et l'incendie détruisit bientôt cette forêt de solives ensevelissant cinquante Mogols sous ses débris enflammés. On prétend que les infidèles eurent recours alors à la magie, qu'ils amoncelèrent sur la ville les tempêtes et les horreurs de l'hiver ; mais en vertu du saint verset, « Les ruses du sorcier sont partout déjouées, » ces coupables conjurations n'eurent aucun résultat. Enfin l'émir Déva, désespérant du succès, fit décapiter Schéhab ed-din et son frère sous les murs de Kousouyeh, et leva ensuite le siège, pour marcher sur Fouschendj.

Nous devons encore signaler, parmi les endroits remarquables du même pays, la plaine de Qalen-bèdàn, sur laquelle le ciel s'est plu à répandre tous les bienfaits. Les pastèques qu'elle produit y sont assez abondantes pour suffire à la consommation de tout le Khorasan pendant l'année presque entière ; elles pèsent ordinairement dix mèn, et l’on y récolte des melons (kindovaneh) qui atteignent le poids de vingt mèn.

§ IV. DISTRICT DE BADEGHIS.

La Providence a voulu sans doute donner à Herat une preuve manifeste de sa faveur en plaçant dans son voisinage et sous sa dépendance le riche district de Badeghis, qui fournit à la capitale la majeure partie de son approvisionnement et son bois de construction. En effet, à part un petit nombre de maisons bâties en briques cuites, tous les édifices publics et particuliers de Herat sont en bois de platane environs de Badeghis produisent en abondance. Ce bois, d'une solidité à toute épreuve, résiste à l'action de l'humidité et aux piqûres d'insectes, et, malgré l'extension que Herat à prise depuis un certain nombre d'années, ces matériaux de construction ne lui ont jamais fait défaut. On emploie également le bois de pistachier, qui sert, en outre, au chauffage des habitants pendant l'hiver. Badeghis produit aussi beaucoup de chevaux, de bêtes de somme et de troupeaux. Partout, dans la plaine comme dans la région élevée, la terre est couverte de si abondantes récoltes, que l'estimation faite par les agents du trésor ne peut être qu'approximative. La redevance en nature, calculée d'après une année moyenne, est de quarante mille kharvar ou charges de blé, a raison de cent mèn par charge. Le rendement ordinaire est évalué à cent pour un, sans qu'il soit nécessaire de labourer et d'arroser les champs avec beaucoup de soin. Le climat de Badeghis est pur et salubre ; la longueur de ce district est de quarante farsakhs (deux cents kilomètres), et sa largeur de trente farsakhs (cent cinquante kilomètres) ; il renferme trois localités principales : 1° la ville nommée Lengueré émir Ghyas, à cause d'un couvent fondé par ce pieux personnage, sous le règne de Timour. C'est une ville bien bâtie, qui possède plusieurs bazars, deux marchés principaux (tchehar-sou) et environ trois cents boutiques. Ses jardins produisent d’excellents fruits, entre autres, la savoureuse pastèque connue sous le nom de Baba-Scheikki. La ville de Tchehl Dokhtéran, plus petite, mais non moins peuplée et commerçante ; on y remarque un beau couvent (ribatk) en briques cuites, dû à la munificence du noble vizir, l'émir Nizam ed-din Ali Schir. Le nom de Tchehl-Dokhtéran, ou « les quarante filles, » appartient en propre à un lieu de pèlerinage situé dans les environs et fréquenté par les dévots. Non loin de la passe, une rivière qu'une foule de torrents alimentent au printemps. Située sur le passage des voyageurs, elle coûtait la vie, tous les ans à un grand nombre de ceux qui tentaient de la traverser pendant cette saison. Un pont y a été, construit récemment par ordre du même ministre, dont la bienfaisante sollicitude a couvert le pays d'un grand nombre de monuments utiles. 3° Le bourg de Djoulan doit surtout son importance aux saints tombeaux qu'il renferme et à la célèbre citadelle de Nerrètou, l’une des places les plus fortes du Khorasan, instruite en larges briques et située sur un rocher à pic, elle n'est accessible que d'un seul côté par un étroit sentier où ne peut passer qu'un seul homme à la fois. La distance de la porte de cette forteresse au pied de la montagne est à peu près d'un demi-farsakh, et elle est entourée de tous les autres côtés par un rocher lisse qui n'a pas moins de mille guez de hauteur. Ces avantages naturels la rendent imprenable, et l'on raconte qu'un chef du pays, ayant voulu s'en emparer, la bloqua pendant sept ans avant d'oser s'engager dans le défilé, bien que la maladie ou la famine eussent détruit toute la garnison, et qu'il ne restât plus qu'un coq, qui venait de temps à autre chanter sur les créneaux de la citadelle. Les maîtres du Khorasan, comprenant l'importance de la place de Nerretou, n'ont rien négligé pour la rendre plus redoutable. Un de ses derniers gouverneurs, Baba-Khizr, a fait porter dans son enceinte de la terre végétale ; il y a planté des arbres et des bosquets de sorte que maintenant, au cœur de l'été, on y récolte des roses, qui vont parer les salles du divan de Herat. Ce n'est qu'au mois de juillet que ce lieu, très froid par suite de son élévation, produit ses fleurs et ses fruits. Parmi les sites les plus agréables du district, de Badeghis, nous devons mentionner ennuie beau vallon de Baba-Khaki, où les sultans de Herat viennent résider au printemps ; la vallée du Trône Royal, située au milieu de montagnes couvertes de neige et où la salubrité de l'air attire les malades pendant la belle saison ; le campement des Mille Brebis, dont les restes plaines, couvertes de tulipes, d'iris et d'anémones, offrent un coup d’œil enchanteur.

Citons, en terminant la nomenclature des localités voisines de Herat, les bourgs fortifiés de Korkh et de Paschtân, situés sous un beau ciel, arrosés par une foule d'eaux courantes et couverts de vergers et de moissons. C’est dans le bourg de Korkh que se trouve la grotte de Khadjeh Mohammed Abbas, qui jouit d'une grande réputation de sainteté dans toute la province.

CHAPITRE II.

§ I. — LISTE DES CHEFS QUI ONT GOUVERNE HERAT, ET RÉSUMÉ DES ÉVÉNEMENTS QUI SE SONT PASSÉS DANS CETTE VILLE, DEPUIS LA CONQUÊTE MUSULMANE JUSQU'À L'AVÈNEMENT DES ROIS KURT.

Le cheikh Abd er-Rahman el-Fâmi, que nous avons surtout mis à contribution pour ce chapitre, [24] affirme avoir trouvé dans plusieurs chroniques la preuve que, à une époque reculée, Herat était déjà une résidence royale, et que de cette ville partaient les gouverneurs chargés d'administrer, les différents districts du Khorasan. D'après le témoignage de Zoul-Qarneïn, juge de Badeghis, de Guendj-Khauneh, etc. témoignage cité par l’historien Abou Ishaq Ahmed ben Mohammed ben Ydsin, ce fut l’an 29 de l'hégire (649-650 de J. C.), qu'eut lieu la conquête de Merv et de Herat par le corps d'expédition que commandait Abd Allah, fils de Amir. La ville fut prise par capitulation. Lorsque Saïd, fils du khalife Osman, abandonna le commandement de cette armée, le même Abd Allah revint dans le Khorasan. Ceux qui, après lui, exercèrent l'autorité furent, dans l'ordre chronologique

El-Hakem, fils d'Amr el-Ghaffari ;

Obeïd Allah, fils de Ziad ;

Abd er-Rahman el Salem, également fils de Ziad.

A l'époque de Qotaïbah ben Moslem, le Khorasan obéit, pendant neuf ans, à Abd Allah ben Hazim es-Selami.

Omayah, fils d’Abd Allah le Qoréïschiste, lui succéda pendant quatre ans, et transmit le pouvoir à son fils Yétid.

Puis vint Qotaïbah, fils de Moslem, qui régna deux ans. Après le meurtre de ce prince (96 de l’hégire, 714-15 de J. C.), le Khorasan eut pour chefs :

Veki, fils de Sawd, pendant un mois ;

Mohalleb, fils de Yézid, six mois ;

Akabah, fils d'el-Hawadj el-Harethi, un an et quarante-cinq jours. Celui-ci, en se rendant auprès de Omar, fils de Abd el-Aziz, désigna pour son lieutenant Abd er-Rahman, fils de Na'm el-Eyiadi.

Au bout d’un an et sept mois, Saïd ben Abd el-Aziz le Qoréïschite envahit la province, qu'il gouverna pendant un an.

Açed ben Abd Allah el-Bedjeli, gouverna trois ans.

Hakem Ywaneh, lieutenant de ce dernier, ne garda le pouvoir que six mois ;

Açed ben Abd Allah es-Selami, cinq mois ;

Djoneïa, fils de Abd er-Rahman el-Mouri, trois ans et demi, et, après lui, Amarah ben Harim el-Mouri, vice gouverneur, pendant deux mois ;

Assem ben Abd Allah el-Amiri, trois mois ;

Açed ben Abd Allah el-Bedjeli, quatre ans ;

Djafer ben Hinzalah ;

Nasr ben Seyar[25] el-Leïthi, six mois ;

Ibrahim, fils d'el-Farett, fils de Hasredj el-Hanefi, et, après celui-ci, Nehar, fils de Abd er-Rahman el-Amiri. Ce furent les deux derniers agents des Omeyyades dans le Khorasan.

Après la chute de cette famille, qui fournit quatorze khalifes pendant une période de soixante et douze ans, Abou Moslem, Abd er-Rahman, fils de Moslem el-Merwazi se révolta, s'empara de Khorasan au nom des Abbasides, et prescrivit les vêtements de couleur noire (128 de l'hégire, 745-746 de J. C.).

Le premier gouverneur de Herat envoyé par Abou Moslem fut Osman el-Kermâni, en 130 de l'hégire ;

Puis Abou Mansour ben Thalha ben Réziq el-Khoz'ayi,

Et Davoud ben Kezzaz el-Babili.

L'an 146 (763) eut lieu l'invasion des Laghirians, dont nous parlerons dans le chapitre des faits divers.[26] A la suite de tous ces désastres, Herat eut pour gouverneurs : Meschmerekh ben Schemr en-Nasbi, en 164 (780-81 de J. C) ;

Hayan ben No'man ;

Haroun ben Hamid el-Eyiadi ;

Qouthr ben Mohareb ez Zehli, Yézid ben Djerir ; Ismaïl ben Ghazvan, le premier agent envoyé par la famille de Barmek. Ce fut sous ce gouverneur que se déclara la disette qui désola cette province l'an 178 (794-95 de J. C.).

Meschmerekh ben Schemr reprit le pouvoir après ce dernier.

Ce fut, comme on le sait, en 191 (806-7 de J. C.) que le nom de Rafé, fils de Leïs, commença à devenir redoutable. Le khalife Haroun er-Reschid, qui vint deux ans plut tard pour pacifier le Khorasan, mourut à Thous et y fut enterré.

Le premier gouverneur de Herat dont l’histoire fait ensuite mention est Mohammed ben Seddad, l’an 200 (815-16) ; il administra le pays pendant six mois et eut pour successeurs :

Haroun, fils de Huçeïn, de Fouschendj, pendant trois ans et un mois : c'est à cette époque qu'eut lieu l'affaire de Kazurgâh ; [27]

Ibrahim ben Mohammed, délégué à Herat par le précédent ;

Yaqoub ben Abd Allah, chambellan d'el-Hafez ; Elyas ben Açed, le Samanide ;

Aziz ben Noub ;

Abd Allah ben Mohammed el-Mouidi (une famine désastreuse ravage la province) ; [28]

Ibrahim, fils d’el-Huçeïn.[29] L'année 122 fut signalée par l'apparition d’une comète qui se montra du côté de l'orient, et qui, par sa grosseur, dépassait toutes celles qu'on avait remarquées jusque-là.

En 230 (844-45 de J. C.), au moment de la mort de Abd Allah (ben) Thaher, le souverain de Herat était Djebraïl ben Abd Allah. On cite après lui :

Abbas ben Abd Allah et son délégué, Hussein, ben Ali ;

Aziz, fils d’es-Seri ben Mo'az Scheibani ;

Mohammed, fils de Nouh ;

Hussein ben Abd Allah.

Lorsque Ya'qoub, fils de Leïs, sortit du Seistân et envahit le Khorasan (256 hég. 869-70 de J. C), Daoudhen Mansour el-Adil gouverna, au nom de l'usurpateur, la province de Herat ; mais il mourut pendant cette même année et laissa ses fonctions à son frère Abbas. Aziz, fils d'es-Seri, reprit en un instant le pouvoir et le transmit à Adhram, fils de Seïf.

Thaher ben Hafs, qui s’empara ensuite de Herat, fut tué dans ce combat qu'il livra à Mohammed ben Moslem. Ce dernier lui donna alors pour successeur, dans cette ville, Haroun, petit-fils de Abd Allah ben Thaher. Mohammed ben Açed lui succéda.

Amr ben Leïs, qui succéda en 260[30] à son frère Ya'qoub, mort dans l’Ahvaz, envoya à Herat Ali ben Haçan Dirhèmi et rentra, quelques années plus tard, dans le Seïstân (267 hégire, 880-81 de J. C).

Bahr, fils d'el-Ahnef, vint ensuite exercer le pouvoir au nom d'Ahmed ben Abd Allah el-Khodjestâni.

Amr ben Amarah et Youssef ben Moubed lui succédèrent. Quand Rafé, fils d'Arthamah, sortant de Merv, prit Herat par surprise, [31] Youssef devint son prisonnier et fut remplacé par Abou Djafer ben Ahmed ben Mohammed. Après lui, Schadèn s'établit à Nischapour et gouverna tout le Khorasan au nom d’Amr, fils de Leïs. En 287 (900), ce prince se dirigea contre Balkh, et fut tué par Ismaïl, [32] fils d’Ahmed le Samanide. Le Khorasan tout entier obéit dès lors aux princes de la famille de Samân.

§ II. DU RÔLE QUE JOUA HERAT SOUS CES PRINCES SAMANIDES.

Le premier fonctionnaire envoyé à Herat par la cour de Boukhara fut Abou 'Ali Haçan, [33] fils de Ali el-Mervaroudi. En 187, Simdjour, venu pour prélever l'impôt dans la contrée, nomma Ismaïl ben Mohammed Dehistâni son délégué à Herat, jusqu'à l'époque de l'expédition de Mohammed ben Harthamah, frère de Rafé. Ahmed ben Sehl ben Haschem, nommé gouverneur du Khorasan par Nasr ben Ahmed le Samanide, s'empara de la ville par capitulation, après un blocus de vingt jours (306 de l'hégire 918-919 de J.-C.). Lorsque Bogra-Kébir, surnommé Aboul-Févaris, après avoir occupé Herat se dirigea vers Nischapour, les Heratiens se donnèrent pour chef Abd er-Rahman, fils de Mohammed Schah, qui gouverna pendant un an et cinquante jours. Son successeur, Abou Mansour Djihani, mourut au bout d'un an, et laissa ses fonctions à son frère, Haçan Djihani. Herat retomba de nouveau entre les mains de Simdjour, et fut occupée ensuite par Abou Ali Qoummi, lieutenant d'Abou Dafèr Sa'louk. Peu de temps après, les habitants proclamèrent un des leurs, Abou Amr Saïd ben Abd Allah Mohammed ben Assim Dhabi. Abou Bekr Thoghan « le chambellan, » affranchi d'Abou Ibrahim, le renversa ; mais il fut bientôt obligé de fuir devant un chef de partisans envoyé contre lui par Abou Zakaria Yahia ben Ismail, [34] lorsque ce prince s’échappa des prisons de Boukhara avec ses deux frères Mansour et Ibrahim (318). Ce partisan, épuisé d'abord par Abou Bekr Mansour ben Ali, qui soutenait la cause de Nasr ben Ahmed le Samanide, revint encore à Herat, et il occupa la ville jusqu'à ce que Abou Zakaria y vint en personne en donner l'investiture à Karatéguin ; mais cette combinaison excita un soulèvement général, qui fut rapidement réprimé. Quatorze des principaux meneurs payèrent de leur sang cette tentative. Les portes de la ville et de la citadelle furent incendiées et une partie des murailles démolie. La ville était à peine rentrée dans le devoir et Abou Zakaria venait de s'en éloigner, lorsque le roi Nasr ben Ahmed y fit son entrée le lendemain même ; mais il ne fit qu'y passer, et, laissant le gouvernement à Simdjour, il se mit à la poursuite de son frère vers Korkh. Celui-ci, se dérobant à ses armes, vint en toute hâte de Samarcande à Herat, et, à son départ, Karatéguin sortit de Fouschendj et bloqua la ville ; mais il fut obligé de lever le siège à l'approche de l'armée commandée par Abou Bekr Mohammed ben Mozaffer, qui était accompagné de Thoghan « le chambellan, » d'Abou Mansour Mohammed, fils d'Abd er-Rezzaq et d'autres personnages influents ; ils choisirent, en 320 (932), Abou Ishaq Ibrahim ben Farès Iskenderi pour gouverner Herat, et le remplacèrent bientôt par Mansour ben Ali. Après l'administration éphémère d'Aboul Abbas ben Mohammed Djerrah, de Mulkatéguin et d'Abou Djafer Aziz ben Mehl, Ibrahim, fils de Simdjour, entra dans Herat, dont il répara les murailles. A son départ pour Nischapour (338 de l’hégire), un certain Abd er-Rahim Mareki détruisit la partie méridionale du pont de Pulé-Malân. L'an 341 (951-953) Ibn el-Djerrah enleva les principaux habitants et se fortifia sur la montagne qui avoisine Herat, après avoir laissé une garnison dans Schémirân, mais l'émir Abou Yahia Açad ben Mohammed le Samanide, après s'être emparé de la citadelle, qu'il bloqua pendant trois jours, envahit le bourg de Schémirân et massacra les troupes qui le défendaient. La même année, Abou Ali Touléki prit la petite ville de Kohab, égorgea les habitants et brûla les mosquées. Herat fut ensuite gouvernée par Aboul Haçan Mohammed, [35] petit-fils de Simdjour. Ce chef, nommé au commandement de l'armée, laissa à sa place Abou Mansour ben Abd er-Rezzaq. Le départ de ce dernier pour Thous fut le signal de la guerre civile. Un nommé Nasrèk Schehrâni, gouverneur de Fouschendj, voulut en profiter pour s'emparer de Herat ; mais il trouva une résistance énergique et renonça à prendre la citadelle après plusieurs rencontres sanglantes. Les désordres continuèrent lorsqu’Abou Ishak le Tahéride fut envoyé par Alp Téguin, qui exerçait l'autorité dans le Khorasan. Aboul Haçan le Simdjourien, qui occupa la ville avant d’aller à Nischapour, et Aboul Haçan Fariàbi, son délégué, ne purent rétablir l'ordre. Enfin, après quatre mois de dissensions, Thalha ben Mohammed Nesfi occupa Herat au nom du général en chef et fit rentrer les habitants dans le devoir. En 354 (965), lorsqu’Aboul Haçan Daoudi, chef des Qarmathes, fut tué, le gouverneur de Herat était Aboul Haçan Mouzni. Abou Ali Simdjouri, qui s'était emparé de la province en 361 (971-72), en fut chassé par son frère Aboul Qassem, fils d'Aboul Haçan le Simdjouride, et se réfugia dans le Séistan ; l'autorité de Faîq fut alors reconnue dans tout le Khorasan. En 371, l'émir Aboul Haçan vint occuper lui-même le siège de son gouvernement. Quelques années plus tard, son successeur, Tasch le chambellan[36] en fut dépossédé par le même Abou Ali Simdjouri ; mais celui-ci fut repoussé par les forces combinées de Nouh ben Mansour, le Sultan Samanide, et de Sébuktéguin. Ce dernier fut récompensé de sa coopération par l'investiture du Khorasan.

En 388 (998), Herat fut gouvernée par Bektou-zoun. Les Turcs Khani l'envahirent en 396 (1005-1006), et y commirent d'affreux désordres ; mais Sultan Mahmoud, avant de retourner dans l'Inde, les repoussa, avec l'aide de Dieu, en 398.[37]

Le ve siècle de l'hégire s'ouvrit par une famine terrible qui désola le Khorasan.[38]

Ici se termine le résumé chronologique emprunté par le cheikh Abd er-Rahman Fâmi à Abou Obeïdah le littérateur. Le même historien donne ensuite, d'après l'ouvrage d'Abou Ishaq Haddad, une autre série d'événements qui présente d'assez nombreuses différences avec le premier ; mais je me dispense de les signaler, parce que cette période n'est qu'un accessoire dans le plan de mon livre.

Après le règne brillant de Mahmoud, qui tint tout l'Orient assujetti sous son sceptre, et après l’avènement de Sultan Meç'oud, les Seldjoukides, [39] dont la puissance commençait à s'étendre, vinrent assiéger Herat en 428 (1036-1037) ; mais les habitants, qui, à cette époque, habitaient surtout la citadelle et le faubourg fortifié, leur opposèrent une résistance énergique. Les troupes seldjoukides se retirèrent, et ce ne fut qu'à la suite d'une capitulation honorable que Herat tomba en leur pouvoir l'année suivante. La khotba y fut alors récitée en leur nom ; mais à la suite d'une émeute suscitée par une femme, ainsi que nous le raconterons ailleurs, [40] ils furent expulsés, et l’on proclama de nouveau Sultan Meç'oud. Ce prince vint lui-même à Herat, et confisqua les biens de ceux qui avaient trahi sa cause ; mais, poursuivi de près par l'armée des Seldjoukides, il fut défait près de Merv, [41] et se réfugia à Ghiznin.

A sa mort (432=1040), Herat resta sans maître et livrée à la merci des fauteurs de désordre. Un homme hardi, le cheikh Abou Mohammed ben Assim ben Aboul Abbas, se déclara de son chef, et sans avoir reçu de diplôme, maître de la ville, qu'il commença à régir à sa guise ; mais, ayant voulu affermir son pouvoir en dispersant la petite garnison que Maç’oud avait laissée à Schémirân ; il périt dans une de ces rencontres d'un coup de flèche. Son frère, le cheikh Rafé, lui succéda, et exerça le pouvoir avec le même despotisme ; mais il fut bientôt assassiné par son lieutenant Mansour ben Achats, qui usurpa le pouvoir à son tour. Ce fut une période désastreuse pour Herat. A la famine et aux maladies se joignait le fléau de la guerre ; car les Seldjoukides venaient tous les ans, quoique sans succès, mettre le siège devant la ville, et ne se retiraient qu'après avoir endommagé la forteresse et le faubourg d'enceinte. Lorsque Mo'ezz ed-Dôoleh Bighou Moussa[42] reçut en partage le Khorasan, il fit périr Abou Mansour ben Achats, et ce meurtre lui assura la possession de Herat.

Sous le règne d'Abou Schudja Alp Arslan, Herat reconnut la suprématie de la famille de Seldjouq et participa, comme les autres grandes villes de l'empire, à la bienfaisante sollicitude du célèbre vizir Nizam el-Mulk Abou Ali Haçan Thoussi, dont tout l'Orient a célébré, à juste titre, les vertus et le talent. Thoghan Schah, [43] fils du monarque, investi du gouvernement de Herat, en laissa l'administration à Zéhir el-Mulk Abou Nasr Saïd ben Mohammed ben el-Moumel de Nischapour.

Mélik Schah, en succédant à son père, conserva son habile vizir Nizam el-Mulk, et laissa entre les mains de Thoghan Schah la province qui lui avait été confiée. Mais ce dernier n'usa de cette haute position que pour donner un libre cours à ses vices ; il fit périr les cheikhs les plus respectables, et s'entoura d'hommes corrompus, qui mirent le désordre dans son gouvernement. Ses excès obligèrent enfin Mélik Schah à le destituer de ses fonctions et à l'enfermer dans la forteresse d'Ispahan. Un courtisan, l'émir Saqqa, fut son successeur ; mais il fut bientôt exilé ; et céda sa place à Moueyid el-Mulk Abou Bekr Abd Allah, fils de Nizam el-Mulk. La décadence prochaine de la dynastie seldjoukide parut être annoncée par deux catastrophes qui se succédèrent dans l'espace de deux mois, le meurtre de Nizam el-Mulc par les Ismaéliens maudits (10 de ramadan 485 = octobre 1092), la mort de Sultan Mélik Schah (16 schewal de la même année).

Le roi Arghoun Arslan, qui s'était hâté de conquérir Herat, en fut presque aussitôt dépossédé par les armes de l'émir Qizil-Sarigh.[44] Sultan Arghoun, qui s'était emparé de la couronne par la victoire qu'il remporta sur son frère, fut, comme on le sait, assassiné par un de ses serviteurs. Sultan Barkiaroc, fils de Mélik Schah, profita de cet événement pour s'emparer de Herat, qu'il fit gouverner par l'émir Habeschi, fils d'Altousaq.[45] Sous le règne de Ghyas ed-din Mohammed, son frère cadet, le glorieux Sultan Sindjar, qui ne portait alors que le titre de Mélik Nasir ed-din, délivra les Heratiens de ce déplorable maître et des scélérats qui l'entouraient ; mais cet Habeschi, qui appartenait à la secte ismaélienne, ne se laissa pas déposséder sans lutte. Allié à Barkiaroc, que des revers avaient chassé de l'Iraq, il réunit une nombreuse armée dans la plaine de Poujkanân, sise entre Herat et Esfizâr, et livra bataille au roi Sindjar, le dimanche 13 scha'bân 493 (juin 1100). Grâce à la protection divine, les vrais musulmans furent vainqueurs, Habeschi périt dans la mêlée, et Barkiaroc, désespéré, rentra dans l'Iraq. Enfin en 512 (1118), la mort de Ghyas ed-din fit passer la couronne sur la tête de son frère Sultan Sindjar. Cet illustre monarque, comme chacun le sait, étendit ses victoires plus loin que ne l'avaient fait son père et son aïeul ; tous les rois de l'Orient reconnurent son autorité, et toutes les chaires du monde musulman retentirent de son nom.

En résumé, les différentes dynasties qui ont successivement étendu leur autorité sur Herat jusqu'à l'époque de la conquête mongole sont : 1° les Mo'aziens, issus de Mo'az, fils de Moslem ; 2° les Tahérides ; 3° les Bénou-Leïs ; 4° les Samanides ; 5° les Simdjouriens ; 6° les Mahmoudites ou Ghaznévides ; 7° les Seldjouqides ; 8° les rois ou Sultans du Khârezm. Mais les Sultans ghourides et les rois kurt, qui, dans cette dernière période, se sont emparés de la province de Herat, sont liés d'une manière si intime avec l’histoire de cette ville, que nous croyons devoir leur consacrer un chapitre spécial

suite

 


 

 


 

[1] Le Château d'Ikhtiar ed-din existe encore dans l'enceinte nord, et passe pour le plus puissant des travaux de défense qui protègent Hérat. C'est un fort carré avec des tours massives aux angles, et construit en briques cuites; il est entouré, comme le rempart extérieur, d'un fossé large et profond, qui peut être inondé à volonté, et que traverse un pont-levis. Ce château commande à la fois la ville et la route de Mesched. (Caravan Journeys, p. 170.)

[2] Cette description s'accorde assez bien avec la relation moderne du capitaine Christie. (Cf. Fraser, A journey into Khorasan, append. B, p. 30.) Au lieu de porte Khosch, quelques auteurs orientaux, et notamment Yaqout, écrivent Derë-Khoschk ou la porte Sèche, et cette dénomination paraît ancienne, puisque le même auteur nous apprend que le premier musulman qui pénétra par cette issue dans la ville reçut le surnom de Khoschki. (Voyez Dict. géogr. de la Perse, p. 213.] Le cheikh Fâmi, dans ses Origines de Herat, fait remonter cette dénomination a Alexandre, et cite à l'appui une légende puérile. Enfin Mouyin ed-din assure que ce nom lui a été donné par euphémisme. « C'est ainsi qu'on nomme un désert mefazek, ou un aveugle bassir (clairvoyant). » Comme c'est par là que sortent les caravanes qui se dirigent vers Kaboul, à travers les dangereux défilés des Eimaks, cette explication peut être admise.

[3] Nommé actuellement Gôung-bazarou le marché au bétail. (Cap. Christie, Relat.) Le rond-point ou Tchekar-souq, que les Afghans prononcent Kartckou, est décrit en détail par Conolly (Narrat. of an overland journ. t. II, p. 2) et par Ferrier, ibid. p. 173. (Voyez aussi Fraser, appendice, p. 30.) D'après une vieille tradition, lorsqu'un lac immense couvrait la plaine de Herat, l’emplacement du bazar central était alors un gouffre terrible, dans lequel s'engloutissaient les navires dirigés par un pilote inexpérimenté. Khondémir, en rapportant cette croyance, ajoute que ce lieu semble avoir été destiné par la Providence au châtiment des hommes, puisque c'est là qu'on exécute les criminels. (Edit. de Téhéran, p. 405.) Forster, pendant son séjour à Herat en 1788, vit, en effet, pendre en cet endroit deux malfaiteurs. (Traduct. de Langlès, t. II, p. 153.)

[4] C’est-à-dire de mètres 70 centimètres, en calculant le gué royal, dont il est question ici, à 0,97, ce qui est l’approximation la plus exacte.

[5] M. Ferrier donne à Herat une étendue égale à 5 kilomètres carrés; mais cette évaluation ne peut être admise que si elle comprend les ouvrages extérieurs. En effet, Fraser, Conolly et en dernier lieu, sir J. Login, ne donnent pas à la ville moderne plus d’un mille anglais (1.609). Le plan de Herat et de ses fortifications s été levé récemment par le colonel E. Sanders; mais il est peu probable que la Compagnie en ait permis la publication.

[6]  L’auteur dit, dans sa préface que la grande mosquée fut bâtie par le sultan Gouride Ghyas ed-din Mohammed, en 597 (1200-1), ainsi que l’atteste une inscription en caractères coufiques placée sur le portail de la Maqsoureh. Elle reçut divers embellissements jusqu’au règne de Sulthan Huçein-Mirza; l’émir Schibli la rebâtit sur un nouveau plan. Pendant le règne glorieux de Schah Rokh, une princesse turque. Geuber-Schad Begum, fit construire dans les faubourgs extérieurs une autre mosquée, que sa mort laissa inachevée. Dans un passage du Khoulaçat al- Akhbar (ms. persan, fonds Saint-Germain, 104, fol. 333 à 335). Khondémir fait de la mosquée de Herat une pompeuse description, que Price a traduite dans son Histoire du Mahométisme. D’après Fraser (appendice B, p. 31). La Mesdidjé Djumah ou mosquée-cathédrale, qui n’offre plus aujourd’hui que des ruines, devait s’étendre sur un espace de 728 mètres environ (800 yards).

[7] Pulé-Malân: c'est un pont de vingt-six arches situé à une heure de marche au sud de Herat. Il a été réparé, il y a une vingtaine d'années, par Yar Mohammed, chef de la principauté de Herat. (Cf. Ferrier, ibid. p. 261.) Du vivant de Khondémir, ce pont avait vingt-huit arches. et le peuple en attribuait l’origine a une pauvre veuve. Forster a entendu faire le même récit. (T. II, p. 145, trad. de Langlès.)

[8] Telle est la dénomination locale de cette rivière, qui est plus souvent nommée Héri-roud, dans les traités orientaux et dans les relations les plus récentes. Il résulte des travaux exécutés par les ingénieurs anglais dans l’Afghanistan que le Héri-roud, dont la source est dans les monts Paropamisiens, traverse le bourg d'Obeh, passe devant Herat et Koussân, puis se partage en deux branches: la première se dirige vers Mesched, et l'autre se perd dans les sables aux environs de Sérakhs. S'il est facile de reconnaître dans le Héri-roud, l'Arius mentionné par Pline (l. VI, c. xxi), on ne peut, en revanche, l'identifier avec l'Arius, qui, selon Ptolémée, se jetterait dans le lac Zéré (Zarek). En effet, les montagnes qui enclavent le lit de la rivière de Herat, et la nature du terrain qui sépare cette province du Sedjestan ôtent toute vraisemblance à cette assertion. N’est-il pas plus naturel de croire que Ptolémée a voulu désigner la rivière nommée Harout-roud, puisqu'elle soit, par Obeh et Sebzevar, c'est-à-dire vers le sud-ouest, une pente naturelle qui la porte vers le lac du Sedjestan? Faute de faire cette distinction, Sainte-Croix (Mém. de l’Acad. des Inscript. t. L) a tenté un rapprochement mal fondé entre les deux témoignages que l'antiquité nous a transmis sur les cours d'eau de l'Aria. (Voyez aussi Ferrier. Carav. Journey, p. 139). — Le Harout-roud est plus connu aujourd'hui sous le nom de rivière d’Adraskan. (Voyez plus bas; xvi.)

[9] Il me semble incontestable que Mouyin ed-din veut parler ici de la splendide mosquée élevée par Sultan Hossein pour y transporter les restes vénérés de l'imam Riza, qui ont sanctifié Mesched. C’est le Mosalla que M. Ferrier proclame un des plus importants édifices qu'il ait admirés en Asie. Selon Conolly, qui en fait une description minutieuse, il est situé à un mille au nord de la ville près des ruines de l'ancien mur d'Héri (sic). (Narrative, etc. t. II, p. 4; voyez aussi le plan archéologique des alentours de Herat, par M. Khanikoff, dans le Journ. asiatique, juin 1860, et intéressante, mais trop courte notice qui l'accompagne, ibid. p. 538.)

[10] Plusieurs de ces noms sont défigurés dans les auteurs persans qui les ont reproduits, et surtout dans l'édition du Rouzet es-sefa de Bombay. J'ai adopté la leçon du ms. 32, F. Gentil, qui est confirmée par la division territoriale mentionnée dans la narration de Conolly (Narrat., p. 6). Cet exact voyageur dit que le district d'Hérat est partagé en huit cantons (buluk); il nomme le second Gourivân au lieu de Qourvàn, et le quatrième Sebekker. Quatre cent quarante-six villages sont disséminés sur ce territoire, dont l'apport total est de 68.600 charges de grains.

[11] Le ms. 32 écrit clairement Kazurgâh; mais la prononciation moderne est Gazer-gak, ou plus exactement Gauzer-yauk (Conolly, t. II, p. 24 et suiv.) L’origine de ce nom est expliquée par l'auteur même, plus bas, p. 506. Ce lieu est en odeur de sainteté dans le pays, parce qu'il renferme le mausolée du célèbre imam Abdallah el-Ansari (dans la traduction anglaise du voyage de Ferrier on a imprimé à tort Abdulkak Insak). (Cf. Carav. Journ. p. 176, le Voyage de Conolly, loc. laud., et la notice de M. Khanikoff, Journ. Asiatique, ibid.)

[12] Ou la fontaine des Poissons, dans le voisinage de Baleng-Daghi, à 5 km de la ville. Nulle part le merveilleux n'est plus goûté qu'à Herat, et chaque localité du voisinage a sa légende miraculeuse. La fontaine en question doit son nom à la croyance, très enracinée chez les Heratiens, qu'elle renferme on poisson d'une forme étrange et qui ne se montre que rarement; mais l’homme qui a le bonheur de le voir est sûr de réussir dans tout ce qu'il entreprend. (Voyez Habib es-sier, p. 406.)

[13] La véritable leçon, que la négligence du copiste a fait disparaître, est fils d'Haçan, surnommé Ala zikrihï-sselam (bénédiction sur son nom!). Nous savons, en effet, par le témoignage de Djoueïni (Histoire des Ismaéliens de la Perse, trad. Par M. Defrémery, Journal asiatique, février - mars 1860, p. 208), que ce Haçan, troisième successeur d'Haçan Sabbah, prit cette qualification quand il se proclama imam. Son fils Mohammed, dont il est question ici, régna dans les murs d'Alamout pendant quarante-six ans (de 561 à 607), et périt assassiné par un de ses enfants. Tel est du moins le récit de Khondémir (édition de Téhéran, IIe partie, p. 171). Cet historien rapporte, à peu près dans les mêmes termes que notre auteur, cette anecdote, qui parait avoir été longtemps populaire en Orient. Malcolm la donne aussi en l'abrégeant un peu dans son Histoire de Perse, t. II p. 133.

[14] Coran, ch. vii v. 178.

[15] Le ms. d'Oxford porte l'expression assez singulière de César; mais une main orientale a corrigé ce mot, et lui a substitué en marge le terme de reïs, leçon qui est plus vraisemblable. Les chefs de cette mystérieuse et sanglante doctrine se donnaient aussi le titre de Moukteschim et de Seïd. Les prétendus mémoires d’Haçan ben Sabbah, trouvés à Alamout, sous le règne d'Houlagou, étaient intitulés Serguzescht-Seïdna, «Histoire de Notre Seigneur. » (Hist. des Ismaéliens, p. 160.)

[16] Ce monument a une si grande réputation de beauté, que le peuple croit qu'il a été taillé dans le ciel par la main des anges. (Ferrier, p. 177.) La pierre qui a servi à sa construction a été tirée des carrières d'Obeh.

[17] Dans la Chronique de Ferischta, t. II, p. 712, on lit Tchescht; mais l’auteur du Tahrik el-Yrab (Biblioth. Bodléienne, fonds Ouseley) confirme l'orthographe donnée par notre auteur.

[18] Ibn Haukal la considère comme la ville la plus importante parmi les dépendances de Herat; elle est entourée, selon le même auteur, de riches bourgades, de champs et de vergers, à vingt farsakhs à la ronde. Dans presque tous les traités arabes, elle est nommée, Keroukk. D'après l'auteur, anonyme du Merâcid, on récolte aux environs une qualité de raisin à petits grains et sans pépins, nommée kischmisck.

[19] Mohammed Medjdi (Zinet el Medjalis, IXe partie), qui visita Herat, parle avec tout l'enthousiasme d'un gourmet persan des délicieux melons musqués que produisent les environs. Abd el-Kerim, le favori de Nadir Schah, partage son admiration à cet égard. (Voyage de l’Inde à la Mekke, 2e édit. p. 31.)

[20] La rivière d'Adraskan, ainsi nommée à cause d’une bourgade à quatorze farsakhs (70 km) de Herat, prend sa source dans les montagnes qui dominent Obeh, se joint au Roudé-guez (rivière du Tamara), traverse les districts de Sebzevar et de Kaleïka, où elle a conservé son ancien nom Harout-roud, et se jette dans le lac du Seïstân ou Zareh. La cours supérieur de la rivière d'Adraskan a une importance stratégique qui n'a pas échappé aux deux grandes puissances rivales dans l'Afghanistan. (Cf. Ferrier, p. 264.)

[21] Ce renseignement a été reproduit littéralement par l’auteur persan du Mubarek-schahi qui écrit cependant Zavèl au lieu de Zéval. (Cf. Ahmed Razi, Heft Iqlim, au mot Esfizâr.)

[22] Avant de sourire de la crédulité orientale, le lecteur fera bien de se rappeler qu'il y a une trentaine d'années la moitié de la France accueillit avec une confiance enthousiaste les prétendues découvertes de l'abbé Paramelle et de sa baguette divinatoire. Le père Kircher, dans un curieux traité, le Mundus subterraneus, Rome, 1650, in-folio a cherché à démontrer la possibilité de faits d'une nature aussi merveilleuse. (Voyez aussi le récent ouvrage sur L’Art de découvrir les Sources par P. Tournier.)

[23] Ces noms désignent sans doute trois des quatre petites villes qu'Ibn Haukal dit être situées à une journée de marche d'Esfizâr, mais qu'il ne mentionne pas. (Voyez aussi mon Dictionnaire géographique de la Perse, p. 35.)

[24] Notre auteur, négligent de mettre de l’ordre dans son récit en suivant l’ordre chronologique, a consigné dans un paragraphe particulier, qui fait suite à la conquête de Tamerlan, les détails des faits empruntés à la chronique de Fâmi. Nous avons cru devoir les rétablir ici sous forme de notes.

[25] Le ms. 10 porte Saïd.

[26] On lit dans la chronique d'Abd er-Rahman Fâmi: « Les Laghirians, qui étaient partisans d’Asasis, formaient une armée d'environ trois cent mille hommes. L'an 150 de l'hégire, ils mirent le siège devant Herat, dont le gouverneur, nommé par le khalife Mansour était Davoud, fils de Kezzaz el-Bahili. Le blocus dura depuis le mois de chaban jusqu'au mois de zou'l-qa'deh. Dès que cette nouvelle parvint au khalife el-Mehdi, il envoya un messager, accompagné de Hammad, fils de Amarah, à Mo'az ben Moslem, gouverneur, de Nischapour. Ce dernier fit parvenir aux défenseurs de Herat des renforts commandés par Hazim, fils de Hozaïmah. Asasis fut défait et mis en fuite dans une sanglante bataille, l'an 151, laissant trente mille morts et onze mille prisonniers, que Hazim fit passer au fil de l’épée. » Ibn el Athir nomme ce chef de partisans Ustadis ou Ustad-séïs. Cet imposteur, dit-il, voulut se faire passer pour prophète; il gagna à sa cause quelques hommes perdus de crimes, et à leur tête il commença par dévaliser les caravanes. » (Voyez pour les détails de ces événements, Kamil, t. IV, fol. 140 r°)

[27] « L'an 206 (821-822) Abd er-Rahman, fils d’Abd Allah Ammar, sortit de Nischapour et se dirigea vers Herat, pour s'opposer aux progrès des hérétiques, commandés par Hamzah. De nombreux auxiliaires se joignirent aux troupes d'Abd er-Rahman et une sanglante bataille fut livrée dans la plaine de Karezâr Gah, que le peuple nomme aujourd'hui par corruption Kazurgâh. Les deux parties firent des pertes sérieuses, et les morts furent déposés en sept endroits différents. Peu à peu la population de Herat fit de ce lieu un but de pèlerinage; on y bâtit des maisons, on y creusait des canaux et un bourg s'éleva sur cet emplacement. La vénération que le cheikh el-Islam Abd Allah Ansari manifestait pour cette nécropole, ou il voulut être enterré, lui donna un caractère encore plus sacré aux yeux de la foule. Son fils Cheikh Abd el-Hadi, qui périt à Schémirân sous le fer des Ismaéliens maudits, y fut aussi enterré ainsi que Abou’l Attin Djabèr Ansari et d'autres pieux docteurs. Depuis ce temps la ferveur des pèlerinages à Kazurgâh a sans cesse augmenté, et plusieurs personnages d’un rang élevé ont tenu à l’honneur d’y avoir leur tombeau. ». (Chronique d’Abd er-Rahman Fâmi.) (Sur la vie et le tombeau de Cheikh Ansari, voyez le plan et la notice de M. Khanikoff, Journal Asiatique, n° cité).

[28] « La disette fut telle pendant l'année 218 (833), qu'un sac de blé ne coûtait pas moins de 310 dirhams. » (Chronique d’Abd er-Rahman Fâmi.)

[29] Zemdji a oublié de mentionner, parmi les gouverneurs de la même époque, Ahmed, fils de Hammad er-Remli, au sujet duquel le cheikh Fâmi rapporte l’anecdote suivante « Sous l'administration d’Abd Allah ben Thaher, Hérat avait pour juge Mohammed, fils de Saïd, qui chercha constamment à augmenter le respect de la loi et à protéger le peuple contre l'oppression. Cette conduite déplut aux Arabes qui composaient la garde d'Ahmed, fils de Hammad, gouverneur de la ville, et ils exigèrent qu'on mît le pieux magistrat à la torture. Le gouverneur s'y refusa d'abord; mais les Arabes lui demandèrent de faire comparaître le juge en présence des huissiers du palais, et de se retirer. Ahmed eut la faiblesse d'y consentir; ses soldats furieux se précipitèrent alors sur Mohammed, fils de Saïd, le tramèrent par les pieds et le déchirèrent à coups de fouet. »

[30] Cette date est inexacte; il faut lire 265 (878 de l'ère chrétienne), avec Hamd Allah Mustaufi, Khondémir, etc.

[31] Voyez sur ces événements, Mirkhond, Hist. priorum regum Persarum et les Annales d’Hamzah d’Ispahan, publiées par Gotwaldt, texte, p. 235 et suiv.

[32] Cette assertion est une simple conjecture, car on sait que les historiens musulmans ne s'accordent pas sur le genre de mort qui fut infligé à Amr; l'opinion la plus probable est qu'il mourut de faim après une longue captivité. Mirkhond (Hist. des Samanides, trad. par M. Defrémery, p. 110) rapporte avec complaisance les circonstances merveilleuses de la découverte d'un trésor par Ismail aux environs de Herat. Le silence des chroniques locales à cet égard semble prouver que ce récit est un conte inventé par Nizam el-Mulk Thoussi, pour égayer quelque axiome de morale.

[33] Ou Hussein, suivant Ibn Khaldoun, qui nous apprend que cet officier « commandait l'armée dirigée contre Seïstân par l'émir Ahmed l'an 298. » (Ms. arabe 2402, fol. 152 v°.) Cf. Hist. des Samanides, par M. Defrémery, p. 133 et 134.

[34] Il faut lire Yahia ben Ahmed ben Ismail, puisqu'il s'agit du frère de l'émir Nasr. Le traducteur de l'histoire des Samanides (notes, p. 245) a donné un long extrait de la chronique d'Ibn Khaldoun, où se trouve le récit le plus circonstancié de cette querelle de famille. Herat ne joua qu'un rôle trop secondaire pendant cette période pour qu'il soit nécessaire de signaler les différences qui règnent entre le récit de l'historien arabe et le nôtre.

[35] Voyez sur ce personnage, nommé par plusieurs historiens Abou'l Haçan et sur les descendants de Simdjour Devati, Mirkhond, même ouvrage, p. 360.

[36] Il faut sans aucun doute, au lieu de Tasch, lire Faïq, puisque le célèbre chambellan s'était à cette époque retiré à Djordjân, auprès d'un prince de la famille de Boueïh.

[37] La date exacte est 397 (1006), si, comme il y a lieu de le croire. ce passage fait allusion a l'invasion d'Ilek Khan et à la sanglante bataille qu'il perdit sous les murs de Balkh.

[38] C'est sans doute à cet événement que se rapporte le passage suivant de la Chronique de Fâmi: « Pendant les quatre années que le Khorasan fut gouverné par Djoneïd, fils d'Abd er-Rahman, il ne tomba pas une seule goutté de pluie, et la disette désola toute la province. Un jour ce gouverneur entendit une grande rumeur près de son palais et il en demanda la cause. Quand il apprit qu'elle était provoquée par la misère publique, il jeta avec colère un dirham; on lui rapporta un pain. « Quoi! dit-il, un pain entier ne coûte qu'un dirham (75 cent.) et le peuple crie famine ! Que je sois gouverneur « pendant un an encore, et je veux que chaque guendum de blé (environ cinq centigr.) se vende au poids de l’or. » Il mourut quelques jours après avoir tenu ce propos impie. Au moment où les cris des pleureuses remplissaient sa maison, survint une pluie torrentielle dont la violence fut telle que, pendant plusieurs jours, les cérémonies funèbres ne purent être accomplies. »

[39] L'auteur, à force de vouloir être concis, néglige ici de mentionner les démêlés survenus entre Siaschi, agent de Maç’oud et Tchaghir Beg, frère de Sultan Thogrul, bien que Herat et Merv aient cruellement souffert de ces démêlés, qui se prolongèrent pendant dix années. (Voyez Ibn el Athir, t. V, fol. 70 à 73; L’Historia Selschukidarum de Vullers, p. 98 et suiv. et le résumé assez exact que donne Khondémir, dans le Habib es-Sier, IIe partie, p. 174, éd. de Téhéran.)

[40] « Tandis que les troupes entraient dans la ville, un soldat de l'armée étrangère voulut faire violence à une femme. Un de ses voisins s'élança hors de sa maison un couteau à la main, et se précipita sur le ravisseur. Il en résulta une mêlée terrible qui coûta la vie à plus de mille Turcomans et soldats; les magistrats furent forcés de quitter précipitamment Herat. » (Chron. de Fâmi.)

[41] La bataille perdue par Meç'oud près du bourg de Dendaneqân, dans la province de Merv, eut lieu, selon Khondémir (loc. laud.) en 431 (1039-40). D'après le même auteur, cité par d'Herbelot, le prince ghaznévide mourut en 433. On peut consulter sur Dendaneqân, dont le nom est écrit de la manière la plus confuse dans les historiens, notre Dictionn. géogr. de la Perse, p. 239.

[42] Hamd Allah, dans son Histoire choisie, assure que ce chef avait aussi dans ses attributions Bost, la principauté de Ghazna et toutes les possessions de l'Inde enlevées aux Ghaznévides. (Cf. Hist. des Seldjoukides, publiée, dans le Journal asiatique, par M. Defrémery en 1848.)

[43] Bien que les deux manuscrits donnent cette leçon, la suite du récit prouve que l'auteur a voulu parler de l'émir Takasch, qui essaya de se rendre indépendant dans le Khorasan et se révolta, en 473, contre son frère Mélik Schah. (Cf. Mirkhond, ibid. p. 28 du tirage à part, et le Kamil, t. V, fol. 101.)

[44] Ces événements sont racontés d'une manière un peu différente dans les chroniques arabes. Au lieu de Qizil-Sarigh, le premier adversaire d'Arghoun dans le Khorasan est son oncle Bouri-Bers. (Cf. Weil, Gesch. Der Chal. t. III, p. 144, et les Recherches sur le règne de Barkiarok, par M. Defrémery, p. 47 et suiv. du tirage à part.)

[45] Ibn el Athir (t V. fol. 116) le nomme Dadz, fils d'Altountak, et le fait périr, non pas dans la bataille de Poujkanân, mais de la main de Bargousch, à la suite de cette défaite. L'extrait suivant de la chronique de Fâmi sur la domination éphémère des ismaéliens à Herat ne peut que confirmer l'exactitude des recherches que M. Defrémery a publiées dans ce même recueil: « Lorsque Sultan Barkiarok entra dans Herat, l’an 491, Medjd el-Mulk de Qoum, qui jouissait de la confiance absolue de ce prince, donna le gouvernement de la ville à l’émir Habeschi Altousaq. Amid ed-Dôoleh Mansour Djerba-deqàni eut la ferme des impôts de la province, et Amid, fils d'Ahmed, fut nommé intendant militaire de la citadelle de Schémirân. Habeschi, en s'éloignant à la suite du Sultan, laissa un de ses frères à Herat. Ce dernier, et les deux agents que nous venons de nommer, avaient adopté les croyances perverses des ismaéliens et ils formèrent ensemble une étroite alliance, ils firent défense aux habitants d'enlever leurs récoltes avant le payement intégral de la taxe territoriale et des impôts supplémentaires, voulant ainsi acquérir le monopole des grains au profit de la garnison de Schémirân. Mais le cheikh el-Islam Khadjeh Abd el-Hadi, fils du célèbre Abd Allah Ansari, qui exerçait alors les fonctions de maire de Herat, devina leur inique complot et fit tout pour le déjouer. Le peuple se porta en tumulte chez Mansour, le chassa de Kieuchk-Firouzi, où il demeurait, et le força à se réfugier dans les murs de Schémirân. Le lendemain, l'insurrection grandit; on se dirigea vers Kohendiz, avec l’intention de s'emparer de la forteresse, Les notables vinrent supplier le cheikh Abd el-Hadi d'engager le peuple à abandonner ce projet. Le cheikh réussit en effet à se faire écouter; mais tandis que les insurgés quittaient Kohendiz, une foule considérable, attirée par la curiosité, y pénétrait, et il en résulta un encombrement tel que plus de cent musulmans furent étouffés. Les désordres continuèrent dans la ville; les deux factions se livraient chaque jour de sanglants combats et les denrées devinrent hors de prix. Au mois de zou'l-qa'deh 492, l'émir Habeschi rentra dans Herat, et y fit faire de minutieuses perquisitions jusqu'à ce qu'on trouvât Abd el-Hadi et ses amis, qui se tenaient cachés. A cette occasion, plusieurs quartiers furent livrés au pillage et l'on pendit cent jeunes gens des plus nobles familles, sans compter ceux qui périrent dans la citadelle. On y emprisonna le courageux docteur, et l’on s'empara de sa famille et de ses biens. Habeschi, voulant lui faire embrasser les doctrines Ismaéliennes, chercha à le capter par les plus séduisantes promesses; mais, courroucé par ses refus, il le fit étrangler avec une corde d'arc, la nuit du dimanche 4 du mois de moharrem 493. Le corps fut enterré à Kohendiz et les partisans de la victime subirent une étroite captivité. Enfin, au mois de redjeb de la même année, Sultan Abou'l Hareth Sindjar, après s'être emparé de Balkh, entra dans Herat sans aucune résistance, délivra ces infortunés et les combla de bienfaits; puis il se mit à la poursuite d'Habeschi, le rencontra dans la plaine de Poujkanân. A la suite d'un combat acharné, le rebelle et ses partisans furent exterminés, et la terre fut purgée de cette honteuse hérésie. » — Le chapitre de la chronique dont nous avons extrait la partie anecdotique des événements qui ont ensanglanté Herat se termine par le récit d'une dernière catastrophe: « L'an 495 une forte secousse se fit sentir dans le sol du nord au sud, et renversa plusieurs maisons et édifices. Cependant, ajoute Fâmi, grâce à la protection divine, cet accident arriva pendant la nuit. S'il avait eu lieu le jour, le nombre des victimes eût été bien plus considérable. La mosquée, qui avait notablement souffert, fut rapidement réparée aux frais d'un homme riche et bienfaisant.