Alathyr

IBN-ALATHYR

 

EXTRAIT DE L'HISTOIRE DES CROISADES

(partie 2 - partie 1)

 

Traduction française : Mr. ED. DULAURIER

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

RECUEIL

DES

HISTORIENS

DES CROISADES

PUBLIE PAR LES SOINS

DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES

HISTORIENS ORIENTAUX

TOME II

 

 

(PREMIÈRE PARTIE)

 

PARIS

IMPRIMERIE  NATIONALE

M DCCC LXXXVII


 

EXTRAIT DE LA CHRONIQUE

INTITULÉE

 

 

 

 

KAMEL-ALTEVARYKH

PAR

IBN-ALATHYR.

 

 

 

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ANNEE 590 DE L’HEGIRE (1194 DE J. C.)

Almélic Alaziz Othman, fils de Salah-eddyn Youssouf, prince d'Egypte arrivé près de Damas, où se trouvait son frère aîné Almélic Alafdhal Aly, et met le siège devant celle ville. J'étais alors à Damas. Alazyz campa dans le voisinage de l'hippodrome du gravier. Alafdhal envoya un message à son oncle Almélic Aladil Abou-Bekr, prince du Djézireh, afin de lui demander du secours. Il avait une extrême confiance en lui, ainsi qu'on l'a pu voir précédemment. Almélic Aladil, Addhâhir Ghazy, fils de Salah-eddyn, prince d'Alep; Nasir-eddyn Mohammed, fils de Taky-eddyn, prince de Hama; Açad-eddyn Chyrcouh, fils de Mohammed, fils de Chyrcouh, prince d'Emèse; l'armée de Mossoul et d'autres places, marchèrent, chacun de son côté, vers Damas, se réunirent près de cette ville et convinrent de la défendre, sachant bien que si Alazyz venait à bout de s'en emparer, il se rendrait aussi maître de leurs possessions. Lorsqu’Alazyz les vit ainsi réunis, il reconnut qu'il n'avait pas la puissance nécessaire pour conquérir la ville. Des ambassadeurs se mirent alors à aller et venir pour traiter de la paix. On convint que Jérusalem et les cantons de la Palestine situés dans son voisinage appartiendraient à Alazyz; que Damas, Tibériade et les districts du Ghaour (pays à l'est du Jourdain) demeureraient à Alafdhal; que celui-ci donnerait à son frère Almélic Addhâhir Djabala et Lâdhikiya, sur le littoral syrien, et qu'Aladil recevrait en Egypte le fief qu'il y avait jadis possédé. On tomba d'accord sur tout cela, Alazyz retourna en Egypte, et chacun des autres rois reprit la route de son pays.

ANNÉE 591 DE L’HEGIRE (1195 DE J. C.)

Au mois de chaban de cette année (11 juillet — 8 août 1195), Abou-Youssouf Yakoub, fils de Youssouf, fils d'Abd-Almoumen, prince du pays de Maghrib et de l’Andalous, fit une incursion sur le territoire possédé par les Francs dans l'Andalous.[48] Voici quel fut le motif de cette expédition : Alphonse, roi des Francs de ce pays-là et dont la capitale était Tolède, écrivit à Yakoub une lettre ainsi conçue:[49]

 « En ton nom, ô mon Dieu, créateur des cieux et de la terre. Mais maintenant venons au fait. O émir, il n'est ignoré d'aucun homme doué d'une sagesse solide, ou d'une prudence et d'une pénétration infaillibles, que tu es le chef de la religion orthodoxe[50] (musulmane), de même que je suis celui de la religion chrétienne. Tu connais très bien l'habitude où sont les chefs musulmans de l'Andalous de s'abandonner réciproquement, de se trahir les uns les autres, de négliger les intérêts des sujets et de n'avoir de propension que vers leur propre tranquillité. Mais je les contrains à subir un traitement ignominieux, je rends les maisons désertes, je réduis les enfants en captivité, je mutile les vieillards et je tue les jeunes gens. Tu es inexcusable de tarder à les secourir alors que la main de la puissance divine t'a donné le moyen d'agir ainsi. De plus, vous vous imaginiez que Dieu avait prescrit à chacun de vous de combattre dix d'entre nous; mais à présent Dieu a allégé le fardeau de vos obligations, sachant que vous étiez atteints de faiblesse; il a commandé à chacun de vous de combattre contre deux d'entre nous. Quant à nous, actuellement chacun de nous attaque un certain nombre d'entre vous; vous ne pouvez vous défendre et vous êtes incapables de résister. On m'a raconté à ton sujet que tu as commencé des préparatifs et que tu es monté sur la colline du combat[51] ; mais tu l'accordes un répit d'année en année, tu portes un pied en avant et tu recules l'autre. Je ne sais si la couardise te retarde, ou bien si c'est parce que tu accuses de mensonge les révélations que tu as reçues d'en haut. Ensuite on m'a rapporté à ton sujet que tu ne trouves pas le moyen de faire la guerre. Peut-être est-ce pour toi un morceau difficile à avaler que de t'y exposer témérairement. Or voici que je vais te dire au moyen de quoi tu trouveras le repos, et moi, de mon côté, je serai délivré de toi. Il te convient de t'acquitter envers moi de tes engagements, de tes promesses et de tes serments, en vertu desquels tu dois te mettre en marche dans des vaisseaux et des galères,[52] avec un certain nombre de tes guerriers; pour moi, je passerai avec ma troupe sur le rivage où tu te trouveras, et je te combattrai dans la plus difficile des positions que tu occuperas. Si la victoire se déclare en ta faveur, un grand butin sera venu se livrer à toi et une offrande se trouvera à ta portée. Mais si elle m'appartient, mon pouvoir l'emportera sur le tien, et j'aurai des droits à la souveraineté des deux religions et à la prééminence sur les deux partis. C'est Dieu qui facilite l'accomplissement des désirs et qui, par sa grâce, nous aide à obtenir la félicité. Il n'y a pas d'autre Dieu que lui, ni d'autre prospérité que celle qui vient de lui.[53] » Lorsque cette lettre parvint à Yakoub, et qu'il en eut pris lecture, il écrivit en tête de la missive : « Retourne vers eux; nous irons les trouver avec des troupes auxquelles ils ne pourront résister, et nous les expulserons de leur territoire, avilis et en proie à l'opprobre.[54] »

Yakoub renvoya cette lettre au roi chrétien, rassembla des armées considérables de Musulmans et passa le détroit pour entrer dans l'Andalous. On dit que le motif pour lequel ce sultan passa dans l'Andalous, ce fut que quand il eut combattu les Francs, dans l'année 586 (1190 de J. C.), et qu'il leur eut accordé la paix, il resta une troupe de Francs qui ne consentit pas à celle-ci, ainsi que nous l'avons raconté.[55] L'époque dont nous parlons actuellement étant arrivée, cette fraction rassembla un certain nombre de Francs et se mit en marche vers les contrées soumises à l'islamisme, tuant, faisant des prisonniers, du butin, et commettant des dégâts considérables. Ces nouvelles parvinrent à Yakoub, qui réunit des troupes et traversa le détroit pour entrer dans l'Andalous, accompagné d'une armée que la plaine, la plus vaste aurait été trop étroite pour contenir. Les Francs apprirent cela, ramassèrent toutes leurs forces[56] et s'avancèrent vers lui, afin de se hâter de le combattre, se tenant sûrs de la victoire à cause de leur grand nombre. Les deux partis se rencontrèrent le 9 de chaban (19 juillet 1195), au nord de Cordoue, près de Calatrabah (Calatrava), dans un endroit connu sous le nom de la prairie du fer (merdj alhadyd). Ils se livrèrent un combat acharné. Le sort fut d'abord contraire aux Musulmans, puis il se déclara contre les Francs, qui furent mis en déroute de la façon la plus honteuse. Les Musulmans remportèrent sur eux la victoire. Dieu donnant le dessous à la parole de ceux qui avaient été incrédules, tandis que la parole de Dieu obtenait la supériorité; or Dieu est puissant et sage. Le nombre des Francs qui furent tués s'éleva à cent quarante-six mille; treize mille autres furent faits prisonniers. Les Musulmans firent sur eux un butin considérable; ils prirent cent quarante-trois mille tentes, quarante-six mille chevaux, cent mille mulets et autant d'ânes. Yakoub avait fait proclamer dans son armée : « Si quelqu'un prend du butin, ce sera pour lui, à l'exception des armes. » Il fit faire le recensement de celles qui lui furent apportées ; elles dépassaient le nombre de soixante-dix mille cuirasses. Environ vingt mille Musulmans furent tués. Lorsque les Francs curent été mis en déroute, Abou-Youçouf les poursuivit. Il s'aperçut qu'ils avaient évacué Calatrava et s'en étaient éloignés, à cause de leur crainte et de leur terreur, il s'empara de cette place, y mit pour la garder un gouverneur nt un détachement, et retourna à Séville. Quant à Alphonse, lorsqu'il eut été mis en fuite, il se fit raser la tête, renversa sa croix, et prit pour monture un âne, jurant qu'il ne monterait ni cheval ni mulet tant que les Chrétiens ne seraient pas vainqueurs. Il rassembla des troupes nombreuses. Cette nouvelle parvint à l'émir Yakoub. Il envoya dans les régions du Gharb (nord-ouest de l'Afrique), Maroc et autres, pour faire une levée générale de la population[57] sans employer la contrainte. Un grand nombre de volontaires et de guerriers recevant une solde[58] vinrent le trouver. Les deux armées engagèrent le combat dans le mois de rebi Ier de l'année 592 (février 1196). Cette fois encore, les Francs essuyèrent la défaite la plus honteuse, et les Musulmans pillèrent leurs trésors, leurs armes, leurs bêles de somme, etc. Yakoub se dirigea vers la ville de Tolède, l'assiégea, l'attaqua avec une extrême vigueur. Faisant couper les arbres plantés aux environs et répandant la dévastation sur tout le territoire avoisinant. Il conquit dans celui-ci un certain nombre de forteresses, où il mit à mort les hommes, réduisit en captivité les femmes, démolit les maisons et renversa les murailles. Les Chrétiens furent alors fort affaiblis, et la puissance de l'islamisme devint considérable. Yakoub retourna à Séville, où il fixa sa résidence. L'année 593 (24 novembre 1196 12 novembre 1197) ayant commencé, il se mit en marche de cette ville vers le territoire des Francs, où il se comporta comme il l'avait fait les deux années précédentes. La terre devint alors trop étroite pour les Francs, et ils furent humiliés. Leurs rois se réunirent et envoyèrent demander la paix. Yakoub la leur accorda, quoiqu'il eût d'abord résolu de la leur refuser, voulant continuer la guerre sainte jusqu'à ce qu'il se fût débarrassé d'eux. Mais il reçut des nouvelles d'Aly, fils d'Ishak le Molatthem (c'est-à-dire l'Almoravide), le Mayorquin, et apprit qu'il avait commis dans l'Ifriqiya des actions honteuses que nous raconterons. En conséquence, il renonça à sa résolution, accorda aux Chrétiens une paix qui devait durer cinq ans et retourna à Maroc, vers la fin de l'année 593 (commencement de novembre 1197).

Lorsque Abou-Youçouf Yakoub, prince du Maghrib, eut passé dans l'Andalous, ainsi que nous l'avons raconté, et qu'il y eut séjourné durant trois années, occupé à faire la guerre sainte, on cessa de recevoir de ses nouvelles dans l'Ifriqiya. L'ambition d'Aly, fils d'Ishak l'Almoravide, le Mayorquin, qui se trouvait alors dans le désert, chez les Arabes, fut accrue; il réitéra ses tentatives contre l'Ifriqiya et envoya ses troupes dans toutes les directions. Ces détachements dévastèrent les provinces et y firent de grands dégâts. Les vestiges mêmes des villes furent effacés, de sorte qu'elles devinrent méconnaissables, furent abandonnées de leurs habitants et « demeurèrent renversées de fond en comble.[59] » Aly l’Almoravide voulut marcher vers Bougie pour l'assiéger, parce qu’Abou-Youssouf était occupé à faire la guerre sainte, et il annonça l'intention de se porter vers le Maghrib dès qu'il se serait emparé de Bougie. Cette nouvelle étant parvenue à Abou-Youssouf, il fit la paix avec les Francs, comme nous l'avons raconté, et retourna à Maroc, dans la résolution de marcher contre l'Almoravide et de l'expulser de la province, ainsi qu'il l'avait déjà fait l'année 581 (1185 de J. C.), ce qui a été aussi rapporté plus haut.

ANNÉE 593 DE L’HEGIRE (24 NOVEMBRE 1196 — 12 NOVEMBRE 1197 DE J. C.)

Un puissant émir d'entre ceux de l'Egypte, qui avait nom Abou'l Heydja et était connu par le surnom d'Assémyn (le Gros), à cause de son grand embonpoint, arriva à Bagdad. Il était au nombre des principaux émirs de l'Egypte, et tout dernièrement encore il avait dans son fief Jérusalem et d'autres places avoisinantes. Lorsque Alazyz et Aladil eurent pris la ville de Damas à Alafdhal, Jérusalem fut enlevé à Abou'l Heydja. Cet émir abandonna la Syrie et passa l'Euphrate pour se rendre à Mossoul.

Au mois de chewâl (17 août 14 septembre 1197), Aladil Abou-Bekr, fils d'Ayoub, s'empara de la ville de Jaffa, sur le littoral syrien (Phénicie), qui se trouvait entre les mains des Francs. Voici quel fut le motif de cette conquête : Les Francs avaient été régis par le comte Henri, ainsi que nous l'avons raconté ci-dessus, et la paix avait été conclue entre eux et les Musulmans, du vivant de Salah-eddyn. Quand le sultan fut mort et que ses enfants lui curent succédé, Almélic Alazyz renouvela la trêve avec le comte Henri et on étendit même la durée. Cet état de choses se prolongea jusqu'à l'époque à laquelle nous sommes parvenus. Il y avait dans la ville de Beyrouth un émir qui était connu sous le nom d'Oçama, et qui avait affermé[60] le gouvernement de cette ville. Il faisait partir des galères qui interceptaient le passage aux Francs. Ceux-ci se plaignirent de cela plus d'une fois près d'Almélic Aladil, à Damas, et près d'Almélic Alazyz, au Caire. Mais les deux princes n'empêchèrent pas Oçama d'agir ainsi. En conséquence, les Francs envoyèrent des messages à leurs rois qui habitaient au delà de la mer, afin de porter plainte devant eux au sujet des maux que leur faisaient endurer les Musulmans. « Si vous ne nous secourez pas, leur disaient-ils, les Musulmans conquerront le pays. » Les Francs (d'outre-mer) assistèrent ceux de Palestine au moyen de troupes nombreuses, dont la plupart appartenaient au royaume d'Allemagne et avaient pouf chef un évêque connu par le titre de chancelier.[61] Aladil, ayant appris cette nouvelle, envoya demander des soldats à Alazyz, au Caire; il expédia pareille demande à Mossoul et dans le Djézireh. Il lui arriva des renforts, et toutes les forces musulmanes se virent réunies près d'Aïn-Djâlout, où elles passèrent le mois de ramadhan et une portion de celui de chewâl. Alors elles décampèrent dans la direction de Jaffa, et s'emparèrent de la ville proprement dite. Mais la population se défendit dans la citadelle. Les Musulmans démolirent la ville et assiégèrent la citadelle, qu'ils prirent de vive force, à la pointe de l'épée, le même jour, qui était un vendredi. Tout ce qu'elle renfermait devint la proie du vainqueur. Cependant les Francs arrivèrent d'Acre à Kaïçariya, dans le dessein de repousser de Jaffa les Musulmans. Mais ils y apprirent la nouvelle de la prise de Jaffa et s'en retournèrent. Leur retard avait été causé par la mort de leur roi, le comte Henri, qui s'était laissé tomber d'un endroit élevé, à Acre. Leurs affaires furent dans la confusion, et eux-mêmes sévirent retardés par ce motif. Les Musulmans retournèrent à Aïn-Djâlout, où ils reçurent l'avis que les Francs étaient dans l'intention de marcher contre Beyrouth. Aladil et l'armée décampèrent dans le mois de dsou’lkada (15 septembre 14 octobre 1197), pour se porter à Merdj-Aloyoun. Aladil résolut de dévaster Beyrouth. En conséquence, un détachement de l'année partit pour cette ville, en ruina les murailles, le 7 de dhou’lhiddjeh (21 octobre 1197), et entreprit de démolir les maisons de la citadelle. Mais Oçama les en empêcha, prenant à sa charge le soin de défendre la place. Les Francs partirent d'Acre pour Sayda, et l'armée des Musulmans revint de Beyrouth. Elle rencontra les Francs aux environs de Sayda, et un combat s'engagea, dans lequel il périt de chaque côté un certain nombre d'hommes. La nuit sépara les combattants. Les Francs reprirent leur marche le 9 de dhou’lhiddjeh (23 octobre 1197) et arrivèrent près de Beyrouth. A leur approche, Oçama s'enfuit de la ville, ainsi que tous les Musulmans qui se trouvaient avec lui. Les Francs s'emparèrent de la place très aisément, sans avoir à livrer de combat, et ce fut pour eux un butin des plus agréables. Aladil envoya à Sayda des gens chargés de démolir ce qui subsistait encore de cette ville, car Salah-eddyn en avait ruiné la majeure partie.

Les troupes musulmanes marchèrent vers Sour, coupèrent les arbres de son territoire, et détruisirent les bourgades et les châteaux forts qui en dépendaient. Lorsque les Francs apprirent cette nouvelle, ils décampèrent de Beyrouth dans la direction de Sour et s'arrêtèrent près de cette ville. Les Musulmans campèrent près du château de Houneïn. Aladil permit aux troupes de la Mésopotamie de s'en retourner, s'imaginant que les Francs resteraient dans leur pays. Il voulait aussi donner aux troupes égyptiennes l'autorisation de partir. Mais au milieu de moharrem (17 novembre 1197) il reçut la nouvelle que les Francs voulaient assiéger la forteresse de Tibnîn, et il expédia vers cette place, un corps de troupes chargé de la défendre et d'en repousser l'ennemi. Les Francs quittèrent Sour et assiégèrent Tibnîn, le Ier de safer de l'année 594 (23 décembre 1197). Ils en assaillirent la garnison, employant pour cela tous leurs efforts, et minèrent la forteresse de divers côtés. Lorsqu’Aladil eut connaissance de cela, il envoya demander à Alazyz, qui se trouvait alors au Caire, de venir en personne à son secours. « Si tu viens en personne, lui disait-il, rien de mieux; dans le cas contraire, il sera impossible de garder cette place frontière. » En conséquence, Alazyz partit en toute hâte avec les troupes qui étaient restées près de lui. Quant aux Musulmans qui se trouvaient dans le château fort de Tibnîn, lorsqu'ils virent que les mines avaient ruiné cette citadelle et qu'il ne restait plus aux Francs qu'à s'en emparer à la pointe de l'épée, quelques-uns de leurs chefs sortirent de la place et allèrent demander à l'ennemi d'accorder l’aman (la sécurité) aux habitants pour leur vie et pour leurs biens, afin qu'ils livrassent le château. C’était à l'évêque, le chancelier, un des officiers du roi des Allemands, qu'ils s'adressaient. Mais quelques-uns des Francs du rivage de la Syrie dirent à ces Musulmans : « Si vous livrez la citadelle, cet homme vous réduira en captivité et vous fera périr. Défendez donc votre vie. » Les députés s'en retournèrent, comme s'ils voulaient se consulter avec la garnison de la place pour la reddition de celle-ci. Mais lorsqu'ils y furent rentrés, ils persévérèrent dans la résistance et combattirent en hommes qui défendaient leurs jours. Ils résistèrent ainsi jusqu'à ce qu'Almélic Alazyz fût arrivé à Ascalon, au mois de rebi Ier.

Lorsque les Francs apprirent sa venue et la réunion des Musulmans (or ils n'avaient pas de roi qui les ralliât sous son autorité, et le commandement sur eux appartenait à une femme que l'on appelait la reine), ils se mirent d'accord, envoyèrent un message au roi de Chypre, nommé Amaury, et le firent venir. C'était le frère du roi qui avait été fait prisonnier à Heuttîn, ainsi que nous l'avons raconté. Ils le marièrent avec la reine, veuve du comte Henri. C'était un homme prudent, qui aimait sa sûreté et son bien-être. Lorsqu'il fut devenu roi des Francs, il ne renouvela pas l'assaut contre la citadelle et ne l'attaqua pas. Cependant l'arrivée d'Alazyz eut lieu le premier jour du mois de rebi 2e. Ce prince et les troupes décampèrent vers la montagne d'Alkhalyl, qui est aussi connue sous le nom de Djébel Amila. Ils s'arrêtèrent plusieurs jours, pendant lesquels les pluies tombèrent sans discontinuer, Alazyz, après avoir séjourné ainsi jusqu'au 13 du mois, partit et s'approcha des Francs. Il fit marcher en avant des archers qui lancèrent leurs traits contre les Francs pendant une heure et revinrent. Il rangea ses troupes afin de se porter contre l'ennemi et de le combattre de toutes ses forces. Les Francs décampèrent durant la nuit dans la direction de Sour (Tyr), le 15 du mois susmentionné, puis dans celle d'Acre. Les Musulmans se mirent en marche et campèrent à Leddjoun. Des deux côtés on s'envoya des messages pour traiter de la paix, et la chose traîna en longueur. Alazyz retourna ni Egypte, avant la décision de l'affaire. La cause de son départ, c'est qu'on lui rapporta que plusieurs émirs, savoir : Meymoun-Alkasry, Oçama, Sérasonkor, Aldjahhaf, Ibn-Almechthoub, etc., avaient résolu de le tuer, ainsi que Kakhr-eddyn Djerkès,[62] administrateur de son empire, Aladil les ayant apostés pour cela. Dès qu'il eut appris ce projet, il partit pour l'Egypte. Aladil continua d'échanger des messages avec les Francs. On fit la paix, à condition que Beyrouth resterait entre les mains des Francs. Le traité fut conclu au mois de chaban 594. Dés qu'il eut été terminé, Aladil retourna à Damas, d'où il partit pour Mardîn, dans le Djézireh.

ANNÉE 596 DE L’HEGIRE (23 OCTOBRE 1199 — 11 OCTOBRE 1200 DE J. C.)

Au mois de rebi 2e (20 janvier — 17 février 1200), mourut le Kadi Fâdhil Abd-Arrahym, fils d'Aly, Albeïçâny, le secrétaire.[63] Il n'y avait pas de son temps un homme qui écrivît mieux que lui. Il fut enseveli en dehors du Caire, à Karâfa. C'était un homme pieux, grand distributeur d'aumônes, accomplissant de nombreux actes de dévotion. Il fit beaucoup de fondations pieuses pour subvenir à ses aumônes et au rachat des captifs. Il avait souvent accompli le pèlerinage de la Mecque et s'y était établi pour un temps, quoiqu'il fût occupé du service du sultan. Salah-eddyn lui témoignait de la considération, le respectait, l'honorait et se conduisait d'après ses avis.

ANNÉE 597 DE L’HEGIRE (12 OCTOBRE 1200 — 30 SEPTEMBRE 1201 DE J. C.)

La disette redoubla en Egypte, à cause de l'absence de la crue du Nil. Les vivres manquèrent au point que la population se nourrit de cadavres, et que certains individus dévorèrent leurs semblables. La contagion survint ensuite et une grande mortalité anéantit les habitants.

Au mois de chaban (7 mai 4 juin 1201), il y eut un tremblement de terre à Mossoul, dans tout le Djézireh, en Syrie, en Egypte, etc. La commotion laissa en Syrie des traces affreuses, ruina beaucoup de maisons à Damas, à Emèse, à Hama. Une bourgade du territoire de Bosra fut engloutie dans les entrailles de la terre. Le sinistre se fit aussi beaucoup sentir le long du littoral syrien. La dévastation s'empara de Tripoli, de Tyr, d'Acre, de Naplouse et d'autres forteresses. Le tremblement de terre se fit sentir aussi dans le pays de Roum, mais il fut très léger dans l'Irak et ne ruina pas même une maison.

Cette année mourut Imad-eddyn Abou Abd-Allah Mohammed, fils de Mohammed, fils de Hamid, fils de Mohammed, fils d'Allah, c'est-à-dire Imad-eddyn, le câtib (secrétaire), Al-Isfahâny (originaire d'Ispahan). Il avait exercé les fonctions de secrétaire auprès de Nour-eddyn Mahmoud, fils de Zengui, et auprès de Salah-eddyn Youçouf, fils d'Ayoub. C'était un rédacteur excellent, un maître dans l'art de la rédaction.

ANNÉE 599 DE L’HEGIRE (20 SEPTEMBRE 1202 — 9 SEPTEMBRE 1203 DE J. C.)[64]

Les Géorgiens s'emparèrent de la ville de Dovin, dans l'Azerbaïdjan, la pillèrent et y firent un grand carnage. Cette place, ainsi que tout le reste de l'Azerbaïdjan, appartenait à l'émir Abou-Bekr, fils d'Albehléwâh.[65] Selon sa coutume, il était occupe à boire nuit et jour, sans discontinuer, et ne cessait d'être plongé dans l'ivresse; il ne donnait aucun soin à l'administration de son royaume et à ce qui intéressait ses sujets et ses troupes. Il avait écarté tout cela de son cœur, et suivait le chemin de ceux qui ne prennent intérêt à rien. Les habitants de ce pays avaient fréquemment eu recours à lui, et lui avaient annoncé les entreprises des Géorgiens contre leur territoire, qu'ils pillaient coup sur coup. C'était tout comme s'ils avaient appelé un rocher. Lorsque les Géorgiens eurent mis le siège cette année (599) devant la ville de Dovin, plusieurs de ses habitants allèrent trouver Abou-Bekr, afin d'implorer son secours. Mais il ne le leur accorda pas. Plusieurs de ses émirs voulurent lui faire craindre les suites de sa négligence, de ses lenteurs et de sa persévérance dans la conduite qu'il tenait, mais il ne les écouta pas. Lorsque le siège de Dovin eut duré longtemps, et que les habitants se virent dans l’impuissance de résister, les Géorgiens en firent un grand carnage et commirent les actes que nous avons rapportés. Mais dès que leur pouvoir fut affermi, ils traitèrent bien ceux des habitants qui avaient survécu.[66] Dieu très haut avait les yeux fixés sur les Musulmans, et préparait à leurs frontières un gardien et un défenseur; car elles étaient mises au pillage, surtout dans ce canton. Certes nous appartenons à Dieu et nous retournerons à lui. Nous avons appris, touchant la conduite des Géorgiens envers les habitants de Dovin, qu'ils tuèrent ou firent prisonniers, tant hommes que femmes, des choses qui font trembler d'horreur. Dieu sait le mieux ce qu'il en est.

ANNEE 600 DE L'HEGIRE (10 SEPTEMBRE 1203 — 28 AOÛT 1204 DE J. C.)

Au mois de chaban (4 avril 2 mai 1204), les Francs s'emparèrent de la ville de Constantinople sur les Grecs, et y mirent fin à la domination de ce peuple.[67] Voici quel fut le motif de ces événements : Le roi des Grecs de Constantinople épousa la sœur du roi des Français, qui est un des plus puissants souverains Francs; il eut de cette princesse un enfant mâle. Par la suite, un frère du roi se souleva contre celui-ci, se saisit de sa personne, lui enleva la ville, le priva de la vue, et l'emprisonna. Le fils du roi prit la fuite et alla trouver son oncle maternel, afin de lui demander assistance contre son oncle paternel. Or cela eut lieu au moment où un grand nombre de Francs s'étaient réunis pour marcher contre le territoire de l'islam, en vue de reprendre Jérusalem sur les Musulmans. Ils prirent avec eux le fils du roi et se dirigèrent par la route de Constantinople, et cela de propos délibéré, afin de rétablir la bonne harmonie entre le jeune prince et son oncle paternel. Car ils n'avaient aucun autre désir. Dès qu'ils furent arrivés près de la ville, l'oncle du jeune prince en sortit, et la tête des troupes grecques, pour les combattre. La bataille s'engagea entre eux dans le mois de dsou’lkada de l'année 599 (12 juillet 10 août 1203). Les Grecs furent mis en déroute et rentrèrent dans la place, où les Francs pénétrèrent avec eux. Le roi des Grecs s'enfuit vers les frontières. On dit aussi qu'il ne livra point bataille aux Francs près de sa capitale, mais qu'il y fut assiégé par eux. Or il y avait dans Constantinople des Grecs qui désiraient le (succès du) jeune prince. Ces gens-là mirent le feu à la ville, ce qui attira toute l'attention des habitants. Les individus dont il s’agit ouvrirent une des portes de la ville, par laquelle les Francs entrèrent. Le roi sortit en fugitif. Les Francs conférèrent la royauté à ce jeune homme, mais sans lui laisser la moindre autorité. Ils firent sortir son père de prison. Mais en réalité c'étaient eux qui exerçaient le pouvoir dans la ville, se rendant à charge à ses habitants et leur demandant des sommes qu'ils ne pouvaient payer. Ils s'emparèrent des trésors des églises et de ce qu'elles renfermaient en or, en argent, etc., n'épargnant pas même ce qui recouvrait les croix et l'i mage du Messie (que le salut soit sur lui !) et celle des apôtres, ou bien les Évangiles. Cela fut très pénible pour les Grecs, et leur fit supporter une extrême affliction. En conséquence, ils se dirigèrent vers ce jeune homme, leur roi, le tuèrent, firent sortir les Francs de la ville dont ils fermèrent les portes et se préparèrent à soutenir un siège. Cela se passait dans le mois de djoumada Ier de l'année 600 (février 1204).

Les Francs restèrent campés hors de la ville, assiégeant les Grecs, qu'ils attaquaient sans leur laisser de relâche ni jour ni nuit. Les Grecs avaient déjà été atteints d'une extrême faiblesse. Ils envoyèrent demander du secours au sultan Rocn-eddyn Soleïman, fils de Kilidj-Arslan, souverain de Konia et autres villes. Mais il ne trouva pas moyen de leur en accorder. Or il y avait dans la ville un grand nombre de Francs qui y faisaient leur résidence et dont le chiffre approchait de trente mille. A cause de l'étendue de la place on ne s'apercevait pas de leur puissance. Ces Francs conclurent un accord avec ceux qui étaient campés près de Constantinople, excitèrent du tumulte dans celle-ci et y mirent le feu une seconde fois. Environ le quart de la ville fut brûlé. On ouvrit les portes aux ennemis, qui entrèrent dans la place, s'y livrèrent au carnage pendant trois jours, et firent éprouver aux Grecs les horreurs du meurtre et du pillage. Aussi lorsqu'on fut au matin, tous ceux-ci étaient-ils ou tués ou réduits à l'indigence et ne possédant plus rien. Un certain nombre des principaux entrèrent dans la grande église, que l'on appelait Soufia (Sainte-Sophie). Les Francs s'approchèrent de cet édifice, et plusieurs évêques ou moines sortirent à leur rencontre, portant dans leurs mains l'évangile et la croix. Ils cherchaient par ce moyen à se rendre les Francs favorables, afin que ces étrangers les épargnassent. Mais les vainqueurs ne leur accordèrent aucune bienveillance, les tuèrent tous et pillèrent l'église. Ils étaient au nombre de trois rois : le duc (doukas — dux ou doge) des Vénitiens. C'était lui qui commandait les navires à bord desquels ils montèrent pour se rendre à Constantinople. Ce duc était un vieillard aveugle, et lorsqu'il montait à cheval, on conduisait son cheval par la bride. Le second s'appelait le marquis et était le chef des Français. Le troisième était nommé le comte de Flandre. C'était celui qui avait sous ses ordres la troupe la plus nombreuse.

Lorsque les Francs se furent emparés de Constantinople, ils tirèrent au sort afin de savoir qui en serait roi. Le sort tomba sur le comte de Flandre. On renouvela l'épreuve une seconde et une troisième fois, et le sort se déclara encore pour le comte. Mais les Francs le firent roi. « Dieu donne son royaume à qui il veut, et l'enlève à qui bon lui semble. » Quand le sort se prononça en faveur du comte, on le fit roi de Constantinople et des régions voisines. Les îles maritimes, telles que l'île de Crète, l'île de Rhodes, etc., devaient appartenir au duc des Vénitiens. Les pays situés à l'orient du détroit, tels que Iznik (Nicée), Ladhyk (Laodicée), etc., devaient être la part du marquis des Français. Mais aucun de ces chefs ne reçut rien, sauf celui-là seul qui prit Constantinople. Quant au reste, ceux des Grecs qui s'y trouvaient ne le livreront pas aux vainqueurs. Pour les villes qui appartenaient au roi de Constantinople, à l'orient du canal, et qui avoisinaient le pays de Rocn-eddyn Soleïman, fils de Kilidj-Arslan (or parmi elles se trouvaient Iznik et Ladhyk), un patrice puissant d'entre les patrices grecs, dont le nom était Lachcary (Lascaris),[68] s'en empara, et elles restèrent entre ses mains jusqu'à ce qu'il mourut.

Dans la même année, une nombreuse troupe de Francs partit par mer pour la Syrie, et cette entreprise leur fut facile, vu qu'ils venaient de s'emparer de Constantinople. Ils jetèrent l'ancre à Acca, et résolurent de marcher vers Jérusalem et de l'enlever aux Musulmans. Ils se mirent donc en mouvement, après s'être reposés à Acre, pillèrent un grand nombre de cantons musulmans, dans les environs du Jourdain, et firent des captifs et des victimes parmi les Musulmans. Almélic Aladil se trouvait alors à Damas, et il expédia l'ordre de rassembler les troupes en Syrie et en Egypte. Lui-même se mit en marche et campa près de Thour (le mont Thabor), dans le voisinage d'Acre, afin d'empêcher les Francs d'attaquer les régions de l'islam. Les Francs campèrent dans la plaine d'Acca, firent une incursion sur Cafr-canna, et purent tous ceux qui s'y trouvaient, ainsi que leurs richesses Les émirs excitaient Adil à se diriger contre leur pays et à le mettre au pillage. Mais il n'en fit rien. Les deux partis restèrent en cet état jusqu'à ce que l'année fût écoulée et que commençât l'année 601 (29 août 1204 — 17 août 1205). Adil et les Francs conclurent la paix en ce qui concernait la ville de Damas et ses dépendances et la portion de la Syrie que possédait le sultan. Celui-ci renonça en faveur des Francs à la moitié des revenus qu'il percevait sur Saïda, Ramla, etc., leur donna Nazareth et d'autres places, et se mit en route pour l'Egypte. Quant aux Francs, ils marchèrent vers la ville de Hama. Le prince de cette ville, Nasir-eddyn Mohammed, fils de Taky-eddyn Omar, fils de Schahinschah, fils d'Ayoub, se porta à leur rencontre et les combattit, avec un petit nombre de soldats. Ils le mirent en déroute et le poursuivirent jusqu'à la ville. La populace étant sortie au-devant de l'ennemi, les Francs en tuèrent un certain nombre; après quoi ils s'en retournèrent.

Dans cette même année, une (lotie de Francs mit à la voile vers l'Egypte, pilla la ville de Foua et s'arrêta pendant cinq jours, pillant et faisant des captifs. L'armée de l’Egypte était campée vis-à-vis de l'ennemi, dont elle était séparée par le Nil. Elle ne pouvait arriver jusqu'à lui, faute de vaisseaux.

Il y eut un grand tremblement de terre qui s'étendit à la plupart des provinces, Egypte, Syrie, Djézireh, Asie Mineure, Sicile, Chypre. Il arriva jusqu'à Mossoul, à l'Irak, etc., ruina le mur d'enceinte de la ville de Sour (Tyr) et laissa des traces dans une grande partie de la Syrie.

ANNEE 601 DE L'HEGIRE (29 AOÛT 1204 — 17 AOÛT 1205 DE J. C.)

Les Géorgiens fondirent sur les pays musulmans, c'est-à-dire l'Azerbaïdjan, y commirent de grands dégâts, les pillèrent et prirent un grand nombre de captifs; après quoi ils firent une incursion sur le territoire de Khélath en Arménie, s'avancèrent au loin dans le pays et parvinrent à El-Kerd.[69] Aucun Musulman ne sortit à leur rencontre pour les repousser, et ils parcoururent tout le pays en pillant et faisant des prisonniers. Chaque fois qu'ils s'avançaient, les troupes musulmanes se retiraient devant eux. Enfin, ils s'en retournèrent. Dieu très haut avait les yeux fixés sur l'islamisme et ses sectateurs, et préparait à leur pays un défenseur, à leurs frontières un gardien, et à leurs ennemis un adversaire.[70]

Dans cette même année, les Géorgiens revinrent dans le pays de Khélath, ils arrivèrent dans le territoire d’Ardjich, le pillèrent, y firent des captifs et marchèrent vers la forteresse d'Olty,[71] qui dépendait de Khélath, et qui avoisinait Arzen-Erroum. Le prince de Khélath rassembla son année, marcha vers Thogril-Chah,[72] fils de Kilidj-Arslan, prince d'Arzen-Erroum, et lui demanda du secours contre les Géorgiens. Le prince d'Arzen-Erroum envoya son armée tout entière avec le prince de Khélath. Les confédérés marchèrent contre les Géorgiens et en vinrent aux mains avec eux. Les Géorgiens furent mis en déroute, et Zacari le Petit, un des principaux de leurs chefs, et qui commandait alors leurs armées, fut tué. Les Musulmans pillèrent leurs richesses, leurs armes et leurs chevaux, etc., et leur tuèrent ou leur prirent beaucoup de monde, puis ils retournèrent dans leur pays.

ANNEE 602 DE L'HEGIRE (18 AOÛT 1205 — 7 AOÛT 1206 DE J. C.)

Dans cette année, les incursions d'Ibn-Lyoun (Livon ou Léon), l'Arménien, prince des défilés (c'est-à-dire de la Cilicie orientale, ou petite Cilicie), se succédèrent sans interruption sur le territoire d'Alep. Il y exerça le pillage, la dévastation et y fit des captifs. Almélic Addhâhir Ghâzy, fils de Salah-eddyn Youssouf, prince d'Alep, rassembla ses troupes et demanda du secours à d'autres souverains. Il réunit beaucoup de cavaliers et de fantassins, et marcha d'Alep vers le pays d'Ibn-Lyoun. Celui-ci avait établi son camp à une extrémité de son territoire, du côté qui avoisine le pays d'Alep. Il n'y avait pas de chemin par lequel on pût arrivera lui, car il n'y a d'autre route pour parvenir dans la totalité de ses Etats que des montagnes après et des défilés difficiles; aucun autre que lui ne pourrait y pénétrer, surtout du côté d'Alep, car le chemin dans cette direction est extrêmement pénible. Addhâhir campa à cinq parasanges d'Alep, mit à son avant-garde un détachement commandé par un puissant émir d'entre les anciens esclaves de son père, que l'on appelait Meymoun Alkasry (le palatin) en souvenir du palais des califes Alydes au Caire que son père avait enlevé à ces princes.[73] Addhâhir envoya des provisions et des armes dans une forteresse qui lui appartenait, qui avoisinait le pays d'Ibn-Lyoun et dont le nom était Derbéçak. Il dépêcha un message à Meymoun, lui prescrivant de faire partir un corps de troupes dans la direction de ces approvisionnements, afin qu'il les accompagnât jusqu'à Derbéçak. L’émir agit en conséquence, expédia une troupe nombreuse de son armée et resta lui-même avec peu de monde. La nouvelle de ce qu'ils prétendaient faire parvint à Ibn-Lyoun avant que le gros de l'armée eût quitté Meymoun. Aussi, dès que ce corps se fut éloigné de son général, Ibn-Lyoun marcha en toute hâte contre lui, l'atteignit au moment où il était accompagné de peu de troupes et l'attaqua. Le combat fut très violent. Meymoun envoya un message à Addhâhir pour lui faire connaître la situation, car il était éloigné de lui. La guerre se prolongea entre les deux partis. Meymoun défendit sa personne et ses bagages, malgré le petit nombre des Musulmans et la multitude des Arméniens. Les Musulmans furent mis en déroute. L'ennemi remporta sur eux un avantage signalé, tua et fit des prisonniers. Les Musulmans, de leur côté, tuèrent beaucoup de monde aux Arméniens. Mais ceux-ci s'emparèrent des bagages des Musulmans, les mirent au pillage et les emportèrent. Ils furent rencontrés par les Musulmans qui étaient partis pour Derbéçak avec des provisions, et n'avaient pas connaissance de ces événements. Ce détachement se vit inopinément assailli par l'ennemi, qui commença à le passer au fil de l'épée. Un combat très violent s'engagea, mais il se termina encore par la défaite des Musulmans. Les Arméniens retournèrent dans leur pays, avec ce qu'ils avaient pillé, et se fortifièrent dans leurs montagnes et leurs citadelles.

Dans cette même année[74] les Géorgiens se dirigèrent en grand nombre vers le pays de Khélath, en Arménie, le pillèrent, et tuèrent ou firent captifs beaucoup de ses habitants. Ils parcoururent toute cette contrée sans être inquiétés. Personne ne sortit de Khélath à leur rencontre, et ils restèrent occupés à faire des captifs et à piller. Le pays était ouvert et privé de défenseurs, parce que son prince était un enfant,[75] et que le personnage qui exerçait l'autorité en son nom dans ses Etats ne jouissait pas d'un grand pouvoir sur les troupes. Lorsque les calamités causées par les Géorgiens furent devenues pénibles pour les populations, elles s'irritèrent à l'envi et s'excitèrent à combattre l'ennemi. Toutes les troupes musulmanes qui se trouvaient dans cette contrée se réunirent, et beaucoup de volontaires se joignirent à elles. Ils marchèrent de concert vers les Géorgiens, quoiqu'ils les craignissent extrêmement. Un des meilleurs soufis (contemplatifs) vit en songe le cheikh Mohammed Albosty, homme, pieux, qui était mort quelque temps auparavant. Le soufi lui dit : « Eh quoi! je te vois en ce lieu. » Le cheikh répondit : « Je suis venu en cet endroit, afin d'assister les Musulmans contre leurs ennemis. » Le soufi se réveilla tout joyeux, à cause du rang distingué qu'occupait dans l'islamisme le feu cheikh Albosty. Il alla trouver le chef des troupes et lui raconta le songe qu'il avait eu. Le général en fut très content, et se vit confirmé par là dans le projet de combattre les Géorgiens. En conséquence, il marcha contre eux avec l'armée, et campa à quelque distance de l'ennemi. Les Géorgiens, ayant appris ces nouvelles, résolurent de fondre sur les Musulmans. Quand ces derniers eurent connaissance de leur dessein, ils quittèrent le campement qu'ils occupaient au fond de la vallée, et passèrent dans la partie la plus élevée de celle-ci. Les Géorgiens arrivèrent dans le vallon et y campèrent, afin de fondre sur les Musulmans lorsqu'il ferait nuit. Les Musulmans, ayant eu avis de ce projet, marchèrent vers les Géorgiens, et occupèrent la tête et le bas de la vallée. C'était un vallon qui n'avait pas d'autre issue que ces deux-là. Lorsque les Géorgiens aperçurent le mouvement des Musulmans, ils se crurent assurés de leur perte, et furent découragés. Les Musulmans, au contraire, conçurent l'espoir de les vaincre, les serrèrent de près et les combattirent. Ils en tuèrent ou en prirent un grand nombre, et il n'en échappa que très peu. Dieu préserva ainsi les vrais croyants de leurs attaques, après qu'ils eurent été sur le point de périr.

Ghiyâth-eddyn Khosrow-chah, prince du pays de Roum, fit des préparatifs contre la ville de Tarabézoun (Trébizonde), en assiégea le souverain et le serra de près pour le punir d'être sorti de l'obéissance qu'il lui devait. Les communications furent interrompues, à cause de cela, par terre et par mer, avec l'Asie Mineure, le pays des Russes, celui des Kifdjaks, etc. Aucun individu de ces diverses régions ne se rendit dans les Etats de Ghiyâth-eddyn. Pour ce motif, un grand dommage atteignit les populations musulmanes, car elles trafiquaient avec ces peuples (c'est-à-dire les Russes et les Kifdjaks) et elles voyageaient dans leur pays. Des marchands se dirigeaient vers eux, de la Syrie, de l'Irak, de Mossoul, du Djézireh, etc. Beaucoup de ces négociants se rassemblèrent dans la ville de Siwas (Sébaste). Comme les chemins n'étaient pas ouverts, ils soutinrent un grand dommage, et ceux qui rentrèrent dans leur capital furent fort heureux.[76]

Dans cette même année 602, Abou-Bekr, fils d'Albehlévân, prince de l’Azerbaïdjan et de l'Arran, épousa la fille du roi des Géorgiens. Voici quel fut le motif de ce mariage : Les Géorgiens faisaient des incursions continuelles sur le territoire d'Abou-Bekr, parce qu'ils avaient remarqué en lui de la faiblesse, de la passion pour le vin et pour le jeu et autres plaisirs analogues, et de la négligence dans l'administration de ses Etats et dans la défense de son royaume. Lorsque Abou-Bekr, de son côté, eut reconnu cela, qu'il eut vu qu'il n'y avait pas chez lui assez de courage et d'indignation contre ces malheurs[77] pour qu'il abandonnât sa conduite ordinaire, et qu'il ne pouvait repousser l'ennemi loin de ses possessions avec l'épée, il eut recours à sa verge pour les défendre. En conséquence, il demandait mariage la fille de leur roi et l'épousa. Les Géorgiens s'abstinrent de piller ses Etats et d'y commette des incursions ou des meurtres. Abou-Bekr agit comme dit le proverbe, il rengaina son épée et dégaina sa verge.

ANNEE 603 DE L'HEGIRE (8 AOÛT 1206 — 27 JUILLET 1207 DE J. C.)

Le 3 de chaban de cette année (5 mars 1207 après J. C), Ghiyâth-eddyn Keïkhosrew, prince de Konia et du pays de Roum, s'empara par capitulation de la ville d'Anthalia (Satalie), qui était située sur le rivage de la mer et appartenait aux Grecs. Voici quelle fut la cause de cette conquête : Avant l'époque, dont il s'agit, Keïkhosrew avait formé le siège d'Anthalia, avait campé longtemps près de cette place, et avait renversé plusieurs tours de son enceinte. Il ne lui restait plus qu'à l'enlever d'assaut. Ceux des Grecs qui se trouvaient dans la ville envoyèrent un message aux Francs qui habitaient l'île de Chypre, de voisine d'Anthalia, et implorèrent leur secours. En conséquence, un détachement de Francs arriva dans la ville. Ghiyâth-eddyn désespéra alors de s'en rendre maître et s'en éloigna, laissant un corps de troupes dans le voisinage, sur les montagnes situées entre la place et ses Etats. Il ordonna à ces soldats de couper les vivres à Anthalia. Cet état de choses se prolongea un certain temps, si bien que les habitants de la ville furent étroitement resserrés et que leur situation devint très pénible. Ils demandèrent aux Francs de faire une sortie afin d'empêcher les Musulmans de les tenir ainsi resserrés. Les Francs s'imaginèrent que les Grecs voulaient par ce moyen les faire sortir de la ville; la discorde éclata outre les deux partis, et ils en vinrent aux mains. Les Grecs envoyèrent un message aux Musulmans et les appelèrent pour leur livrer la ville. Les Musulmans arrivèrent à son appel et se réunirent avec eux, afin de combattre les Francs. Ceux-ci furent mis en déroute, rentrèrent dans la citadelle et s’y retranchèrent. Les Musulmans envoyèrent appeler Ghiyâth-eddyn, qui se trouvait dans la ville de Konia. Il se mit en marche au plus vite avec un détachement de son armée, et arriva dans Anthalia le deux de chaban (4 mars 1207). Une convention fut conclue entre lui et les Grecs, et il reçut la ville dès le lendemain. Il entreprit le siège de la citadelle, dans laquelle étaient renfermés les Francs, l'occupa en vertu d'une capitulation et fit prisonniers tous les Francs qui s'y trouvaient.

Dans cette même année les Géorgiens s'emparèrent de la forteresse de Cars, une des dépendances de Khélath.[78] Ils l'avaient assiégée durant longtemps, en avaient resserré les habitants et perçu les revenus de la contrée pendant plusieurs années. Tous ceux qui furent successivement investis de l'autorité à Khélath ne secouraient pas les habitants de Cars, et ne faisaient aucune tentative pour les soulager. Cependant des envoyés du Vali (gouverneur) arrivaient sans discontinuera Khélath, pour demander qu'on le secourût et qu'on éloignât les Géorgiens qui l'assaillaient. On ne lui répondait pas même par des vœux. Lorsque cette situation se fut prolongée pour le gouverneur de Cars et qu'il eut reconnu qu'il n'avait aucun secours à espérer, il fit la paix avec les Géorgiens, et convint de leur livrer le château, moyennant une somme d'argent considérable et la concision d'un fief. Cars devint donc le séjour du polythéisme et de l'idolâtrie, après avoir été celui de la foi (littéralement de la croyance à l'unité de Dieu). Nous appartenons à Dieu et nous retournerons à lui. Nous le prions de procurer à l'islamisme et à ses sectateurs un secours venant de lui, car les rois nos contemporains se sont occupés à jouer, à se divertir et à tyranniser leurs sujets, plutôt que de fortifier les frontières de l'islamisme et de défendre le pays. Mais Dieu a eu égard au petit nombre des défenseurs de l'islamisme, et il s'est chargé lui-même de le protéger. En conséquence, il a fait mourir la reine des Géorgiens.[79] Ceux-ci furent en désaccord, et Dieu préserva les Musulmans de leurs attaques jusqu'il la fin de cette année.

ANNEE 604 DE L'HEGIRE (28 JUILLET 1207 — 15 JUILLET 1208 DE J. C.)

Almélic Alaouhad Nedjm-eddyn Ayoub, fils d'Almélic Aladil Abou-Bekr, s'empare de la ville de Khélath, dont les habitants lui avaient envoyé un message, l’appelant dans leur ville afin de l'en rendre maître. Il répondit à leur invitation, conquit Khélath et ses dépendances, à l'exception d'un petit nombre. Les princes du voisinage furent mécontents de ce qu'il avait pris Khélath, car ils craignaient la puissance de son père. Les Géorgiens le redoutèrent et le haïrent également. En conséquence, ils firent des incursions continuelles sur le territoire de Khélath. Pendant ce temps Nedjm-eddyn restait à Khélath, ne pouvant la quitter dans une pareille circonstance. Les Musulmans souffrirent à cause de cela un dommage considérable. Un détachement de l'armée de Khélath fit défection, s'empara de la forteresse de Van, une des plus grandes et des plus fortes places de l'univers, et se révolta contre Nedjm-eddyn. Une troupe nombreuse se réunit à lui, et tous ensemble se rendirent maîtres de la ville d'Ardjich.

Les Francs qui se trouvaient à Tripoli et à Hisn-Alacrâd (le château fort des Kurdes) firent de nombreuses incursions sur le pays d'Hems (Emèse) et les cantons qui en dépendaient, et assiégèrent la ville elle-même. Ils étaient en grand nombre, et le prince d'Hems, Açad-eddyn Chyrcouh, fils de Mohammed, fils de Chyrcouh, n'avait pas la force de leur retirer, et ne pouvait les repousser ni s'opposer à eux. Il demanda du secours à Addhâhir Ghâzy, prince d'Alep, et à d'autres rois de la Syrie; Mais il n'y eut que Dhâhir qui le secourût. Ce prince lui envoya une armée qui séjourna près de lui, et empêcha les Francs d'attaquer son territoire. Dans la suite, Almélic Aladil sortit d'Egypte avec des troupes nombreuses et se dirigea vers la ville d'Acre. Le prince franc de cette ville fit la paix avec lui, moyennant un engagement qu'il prit de remettre en liberté des captifs musulmans et moyennant d'autres conventions. Aladil se porta ensuite vers la ville d’Hems, et assît son camp près du lac de Kadès. Les armées de l'Orient (c'est-à-dire des pays au delà de l'Euphrate) et du Djézireh vinrent le trouver. Il entra sur le territoire de Tripoli, assiégea une localité du nom d'Alkoléyât[80] (les petites forteresses), la prit par capitulation, en renvoya libre le gouverneur, mit au pillage les bêtes de charge et les armes qui s'y trouvaient, et la démolit. Il s'avança ensuite vers Tripoli, pillant, brûlant, faisant des captifs et du butin, après quoi il s'en retourna dans la direction du lac de Kadès. La durée de son séjour sur le territoire des Francs avait été de douze jours. Des envoyés allèrent et vinrent entre lui et les Francs pour traiter de la paix. Mais aucune convention ne fut conclue, l'hiver arriva, et les troupes des régions orientales (c'est-à-dire de la Mésopotamie) demandèrent à retourner dans leurs pays avant les grands froids. Le sultan laissa un détachement de son armée à Hems, près du prince de cette ville. Quant à lui, il retourna à Damas, et y prit ses quartiers d'hiver. Les troupes du Djézireh (Mésopotamie) se retirèrent dans leur pays. Aladil avait quitté l'Egypte avec ses troupes, parce que les Francs, habitants de l'île de Chypre, s'étaient emparés de plusieurs vaisseaux de la flotte égyptienne, et avaient fait prisonnier l'équipage. Le sultan avait envoyé un messager au prince d'Acca, pour traiter de la restitution de ce qui avait été pris. « Nous sommes en paix, lui faisait-il dire; pourquoi donc avez-vous usé de perfidie envers nos compagnons? » Le prince d'Acre s'excusa sur ce qu'il ne possédait aucune autorité sur les habitants de Chypre, qui dans leurs besoins avaient recours aux Francs établis à Constantinople. Dans la suite, les gens de Chypre se rendirent à Constantinople, à cause d'une disette qui les atteignit, et par suite de laquelle les vivres vinrent à leur manquer. L'autorité sur l'île de Chypre revint au prince d'Acca, et Aladil lui envoya un nouveau message; mais aucune décision ne fut prise à ce sujet. En conséquence, le sultan partit d'Egypte avec son année, et fit près d'Acca ce que nous avons raconté. Le prince de cette ville consentit alors à sa demande et relâcha les prisonniers.

La nuit du mardi au mercredi 26 de redjeb (16 février 1208), vers l'aurore, le sol fut ébranlé par un tremblement de terre. Je me trouvais alors à Mossoul, où la secousse ne fut pas très forte. On y reçut des nouvelles venant de beaucoup d'autres contrées, et d'après lesquelles celles-ci avaient aussi éprouvé un tremblement de terre, sans que la commotion fût bien violente.

ANNEE 605 DE L'HEGIRE (16 JUILLET 1208 — 5 JUILLET 1209 DE J. C.)

Les Géorgiens marchèrent en grand nombre contre le pays de Khélath, et se dirigèrent vers la ville d'Ardjich. Ils l'assiégèrent, la prirent de vive force, pillèrent toutes les richesses et toutes les marchandises qui s'y trouvaient, et réduisirent en captivité tous ses habitants, puis ils la brûlèrent et la démolirent entièrement. Il n'y resta aucun habitant, et elle demeura déserte et en ruines, comme si ce n'avait pas été, la veille encore, une ville riche et opulente. Nedjm-eddyn Ayoub, prince d'Arménie, se trouvait alors dans la ville de Khélath, et il avait près de lui une armée nombreuse. Mais il ne marcha pas contre les Géorgiens pour plusieurs motifs, entre lesquels il faut compter la multitude des ennemis et la crainte qu'il avait des habitants de Khélath, à cause des maux qu'il leur avait fait souffrir précédemment, à savoir, des vexations et des exécutions capitales. En effet, il craignait que s'il sortait de Khélath il ne fût pas maître d'y rentrer. Comme il ne marcha pas à la rencontre des Géorgiens, ils retournèrent dans leur pays sains et saufs et chargés de butin, et sans que personne les inquiétât. Quoique cela ait été pénible pour l'islamisme et ses sectateurs, certes, c'est peu de chose en comparaison de ce qui arriva ensuite,[81] et que nous raconterons depuis l'année 614 (1217) jusqu'à l'année 617 (1220).[82]

ANNEE 609 DE L'HEGIRE (3 JUIN 1212 — 22 MAI 1213 DE J. C.)

Almélic Aladil Abou-Bekr, fils d'Ayoub, prince d'Egypte et de Syrie, se saisit d'un émir appelé Oçâma, qui était en possession d'un fief considérable dont faisait partie Hisn Caoucab, dans le canton d'Al-Ordonn (le Jourdain), en Syrie. Il lui enleva Hisn Caoucab, qu'il démolit et dont il effaça les vestiges. Après quoi il fit construire une forteresse, dans le voisinage d'Acca, sur une montagne appelée Atthaour (le mont Thabor[83]), qui est bien connue dans ce pays; il remplit cette place d'hommes, de provisions et d'armes.

ANNEE 613 DE L'HEGIRE (20 AVRIL 1216 — 9 AVRIL 1217 DE J. C.)

Au mois de djoumada second de cette année (18 octobre — 15 novembre 1216), mourut Almélic Addhâhir Gâzy, fils de Salah-eddyn, prince d’Alep, de Manbedj (Hiérapolis) et d'autres villes de Syrie. La maladie à laquelle il succomba était la dysenterie. C'était un prince d'une conduite ferme, qui administrait bien ses affaires, sans aucune exception, qui s'entendait à réunir des richesses par des moyens inusités, très porté à châtier les fautes, et ne jugeant pas à propos de les pardonner. Sa cour était un lieu de rendez-vous; beaucoup de gens appartenant à des familles nobles venaient le trouver de différentes contrées, ainsi que des poètes, de saints personnages et autres. Il les traitait avec considération et leur assignait de bonnes pensions. Lorsque sa maladie se fut aggravée, il légua la royauté après lui à un fils tout petit, dont le nom était Mohammed et le surnom Almélic-Alazyz Ghiyâth-eddyn. Cet enfant n'avait que trois ans. Dhâhir lui sacrifia un autre fils déjà grand, et cela par la raison que le plus jeune avait pour mère une fille de son oncle Almélic Aladil, prince de l'Egypte, de Damas, etc. Il légua la royauté à ce petit prince, afin que son oncle lui laissât ses Etats et ne lui en disputât point la possession. Au nombre des choses les plus extraordinaires que l'on rapporte, se trouve celle-ci : Avant sa maladie, Almélic Addhâhir députa un envoyé à son oncle Aladil en Egypte, pour lui demander de jurer qu'il respecterait les droits de son fils cadet. Aladil répondit au messager : « Dieu soit loué! Quel besoin de « ce serment? Almélic Addhâhir est comme un de mes enfants. » L'envoyé répondit :

« Il a demandé cela et l'a préféré. Le sultan (c'est-à-dire Aladil) ne peut se dispenser d'y consentir. » Aladil répliqua : « Combien de béliers y a-t-il dans le pâturage et d'agneaux chez le bouclier? » Après quoi, il prêta le serment demandé. Il arriva qu'Almélic Addhâhir vint à mourir vers ce temps-là, au moment même où son messager était près d'Aladil. Quand Addhâhir eut légué à son fils la royauté, il établit comme son atabek (régent) et son tuteur un eunuque grec nommé Thogril et surnommé Chihâb-eddyn. Cet homme était au nombre des meilleurs serviteurs de Dieu, il prodiguait les aumônes et les bienfaits. Lorsque Addhâhir fut mort, ce Chihâb-eddyn Thogril tint une conduite excellente envers les sujets, se montra juste à leur égard, et mit fin à nombre de coutumes iniques. Il restitua des propriétés qui avaient été enlevées à leurs possesseurs, et s'occupa on ne peut mieux de l'éducation du jeune prince confié à ses soins et de la conservation delà principauté. Grâce à sa bonne conduite et à son équité, les affaires furent bien administrées. Il s'empara de villes dont la conquête avait été impossible à Addhâhir, et dans ce nombre de Tell-Bachir. Almélic-Addhâhir ne pouvait rien entreprendre contre cette place. Mais après sa mort, lorsque Caïcaous, roi du pays de Roum (l'Asie Mineure), se fut rendu maître de Tell-Bachir, ainsi que nous le raconterons, s'il plaît à Dieu, elle passa dans la possession de Chihâb-eddyn. Combien il est honteux pour des rois et des fils de rois que cet individu étranger, ne tenant à rien, se soit montré plus juste qu'eux, qu'il ait plus respecté les biens des sujets, et ait tenu une conduite plus vertueuse! Parmi tous ceux qui sont investis aujourd'hui de l'autorité sur les Musulmans, je n'en connais pas qui observe une meilleure manière d'agir. Que Dieu le conserve et écarte de lui tout dommage ! Car on m'a rapporté à son sujet toute sorte de bonnes et belles actions.

ANNEE 614 DE L'HEGIRE (10 AVRIL 1217 — 29 MARS 1218 DE J. C.)

Les Francs se montrent en Syrie, ils marchent vers l'Egypte, et s'emparent de la ville de Damiette, qui retombe, entre les mains des Musulmans.

Il s'écoula plusieurs années et plusieurs mois entre le commencement et la fin de ces événements. Nous les avons donc racontés en cet endroit uniquement parce que l'apparition des Francs eut lieu dans l'année dont il s'agit, et nous en déroulerons le récit sans aucune interruption, afin qu'ils se suivent les uns les autres. Or nous disons que dans cette année-là il arriva par mer des secours envoyés par les Francs, et venant de Rome la Grande et d'autres pays occupés par ces peuples, tant à l'occident qu'au septentrion. Toutefois, celui qui présida à l’envoi de ces renforts fut le souverain de Rome, car il occupe chez les Francs un rang très élevé, et ceux-ci ne jugent pas à propos de se mettre en opposition contre son autorité, ou de s'écarter de ses ordres, soit dans ce qui leur est agréable, soit dans ce qui leur déplaît. Ce prince fit partir des troupes avec plusieurs chefs francs et donna l'ordre à d'autres rois francs de marcher en personne ou d'envoyer une armée. Ils se conformèrent à ce qu'il leur commanda, et se réunirent à Acca, sur la côte de Syrie. Almélic Aladil Abou-Bekr, fils d'Ayoub, se trouvait alors en Egypte; il se dirigea de cette province vers la Syrie, et arriva à Jérusalem. Les Francs étant sortis d'Acre pour se porter à sa rencontre, il se dirigea de Jérusalem au-devant d'eux et arriva à Naplouse, résolu à les devancer près des sources qui se trouvent dans une localité appelée la Masure des voleurs (Kharbat alloçous). Mais ils le prévinrent, et il campa près de Beïçân, dans le district d'Alordonn. Les Francs s'avancèrent à sa rencontre dans le mois de chaban (novembre 1217), bien déterminés à le combattre, car ils avaient connaissance du petit nombre de ses troupes, vu que ses armées étaient dispersées dans les provinces. Lorsque Aladil reconnut qu'ils s'approchaient de lui, il ne jugea pas à propos de les combattre avec les seules troupes qui l'accompagnaient, de peur d'essuyer une défaite. Car il était prudent et très prévoyant. Il quitta donc Beïçân et se porta vers Damas, afin de séjourner dans le voisinage de celle ville, et d'envoyer des messagers dans les provinces pour rassembler des troupes. Il arriva à Merdj-Assoffar,[84] où il établit son camp.

Lorsque les habitants de Beïçân et des cantons voisins virent près d'eux Almélic Aladil, ils se tranquillisèrent et n'abandonnèrent pas leur territoire, s'imaginant que les Francs n'oseraient pas s'approcher du sultan. Mais quand l'ennemi s'avança, Aladil se mit en marche à l’insu de la population. Il n'y en eut qu'un petit nombre de personnes qui parvinrent à s'échapper. Les Francs prirent tout ce qui se trouvait à Beïçân en fait de provisions, et qui était en grande quantité; ils firent un butin considérable, pillèrent la contrée depuis Beïçân jusqu'à Banias (Panéas), et répandirent leurs détachements dans les bourgades. Ils arrivèrent à Khisfin et à Naoua et aux confins du territoire, mirent le siège devant Banias et y séjournèrent près de cette ville pendant trois jours. Ils retournèrent ensuite à Merdj Acca (la prairie d'Acca), emportant avec eux des dépouilles, emmenant des captifs et des prisonniers en quantité innombrable, sans compter ce qu'ils tuèrent, brûlèrent ou firent périr. Ils séjournèrent en cet endroit pendant plusieurs jours pour se reposer. Après quoi, ils se rendirent à Sour (Tyr), se dirigèrent vers la ville d'Acchekyf et retournèrent à Acre. Cela se passa entre le milieu de ramadhan et la fête de la rupture du jeûne, ou Ier de chewâl (1er janvier 1218). Les gens qui demeurèrent sains et saufs dans cette contrée étaient ceux qui n'étaient pas chargés de gros bagages, et qui, grâce à cette circonstance, purent s'échapper. On m'a rapporté qu'Aladil, lorsqu'il se mit en route vers Merdj-Assoffar, vit sur le chemin un homme qui portait quelque chose, et qui tantôt marchait, tantôt s'asseyait pour se reposer. Aladil se détourna vers cet homme, sans être accompagné, et lui dit : « O cheikh (vieillard), ne te hâte pas et aie pitié de toi-même. » L'homme le reconnut et lui dit : « O sultan des Musulmans, ne le hâte pas toi-même, ou bien certes, quand nous t'aurons vu partir pour ton pays (l'Egypte) et nous laisser avec les ennemis, comment ne nous hâterions-nous pas? » En somme, la conduite que tint Aladil était la prudence et l'à-propos même, et il agit ainsi afin de ne pas s'exposer à en venir aux mains avec son ennemi, alors que ses troupes étaient dispersées.

Lorsqu’Aladil eut campé près de Merdj-Assoffar, il fit partir pour Naplouse, avec un corps de troupes considérable, son fils Almélic-Almoaddham Iça, qui était prince de Damas, afin qu'il repoussât les Francs loin de Jérusalem. Quand ceux-ci curent établi leur campement dans la prairie d'Acre, ils firent des préparatifs, prirent avec eux des instruments de siège, mangonneaux et autres, et se dirigèrent vers le château de Thaour (Thabor), qui est une citadelle très forte située sur la cime d'une montagne, dans le voisinage d'Acre. Aladil l'avait fait construire depuis peu.[85] Ils s'avancèrent vers cette place, l'assiégèrent et l'assaillirent, escaladant la montagne où elle s'élevait, jusqu'à ce qu'ils eussent atteint sa muraille. Peu s'en fallut qu'ils ne s'en emparassent. Mais il arriva qu'un des Musulmans renfermés dans la place tua un de leurs rois. Alors ils s’éloignèrent du château, abandonnèrent l'attaque, et prirent la direction d'Acre. La durée de leur séjour près de Thaour fut de dix-sept jours. Après avoir renoncé au siège de Thaour, ils séjournèrent dans son voisinage, après quoi ils partirent par mer pour l'Egypte, ainsi que nous le raconterons, s'il plaît à Dieu. Almélic Almoaddham se dirigea vers le château de Thaour, il le démolit jusqu'au niveau du sol, parce qu'il se trouvait dans le voisinage d'Acre, et que, (à cause de sa situation) il était difficile de le conserver. Les populations ne cessaient pas d'en blâmer la construction et de le condamner à être démoli, et il en fut ainsi.

Lorsque les Francs eurent abandonné le siège de Thaour, ils séjournèrent à Acre jusqu'au commencement de l'année 615 (30 mars 1218). Alors ils partirent par mer pour Dimyath (Damiette), où ils arrivèrent dans le mois de safer (mai 1218). Ils jetèrent l'ancre près de la rive dite Aldjyza (la plage), étant séparés de Damiette par le Nil. Une portion de ce fleuve se jette dans la Mer salée (la Méditerranée), auprès de Damiette. On avait bâti dans le Nil une tour grande et très furie, où l'on avait placé des chaînes de gros fer, qui avaient été tendues en travers du Nil, jusqu'au mur de Damiette, afin d'empêcher les vaisseaux arrivant par la Mer salée de remonter par le Nil dans l'intérieur des terres. Sans cette tour et ces chaînes, personne n'aurait pu repousser les vaisseaux de l'ennemi loin des régions de l'Egypte les plus reculées ou les plus rapprochées. Quand les Francs eurent mis pied à terre sur le rivage d'Aldjyza, où le Nil les séparait de Damiette, ils s'entourèrent d'une muraille et creusèrent un fossé pour se défendre contre quiconque voudrait les-attaquer. Après quoi, ils commencèrent à combattre la garnison de Damiette, construisirent des machines, des maremmes[86] et des tours, avec lesquelles ils s'avançaient dans leurs navires vers la tour du Nil, afin de l'attaquer et de s'en emparer. La tour était remplie de guerriers. Almélic Alcamil, fils d'Almélic Aladil, prince de Damiette et de toute l'Egypte, avait établi son camp dans une station connue sous le nom d'Aladiliya, dans le voisinage de Damiette. Des troupes arrivaient sans relâche d'auprès de lui à Damiette, afin d'empêcher l'ennemi de passer le fleuve et de prendre pied sur le terrain occupé par la ville. Les Francs continuèrent l'attaque de la tour sans discontinuer, mais ils ne s'emparèrent d'aucun de ses ouvrages. Leurs maremmes et leurs machines furent brisées. Malgré cet échec, ils persévérèrent dans leur attaque, et restèrent ainsi quatre mois sans pouvoir se rendre maîtres de la place. Mais par la suite, ils s'emparèrent de la tour, et cela fait, ils coupèrent les chaînes pour que leurs vaisseaux pénétrassent de la Méditerranée dans le Nil, et qu'eux-mêmes devinssent supérieurs à leurs ennemis sur la terre ferme. Almélic Alcamil fit construire, pour remplacer les chaînes, une grande levée, par le moyen de laquelle les Francs furent empêchés de suivre la voie du Nil. Dans la suite, les ennemis engagèrent sur cette levée des combats acharnés, fréquents et consécutifs jusqu'à ce qu'ils réussissent à la couper. Lorsqu'elle eut été coupée, Almélic Alcamil se procura un certain nombre de grands navires qu'il combla après quoi il les fit percer et les submergea dans le Nil. Les navires furent alors empêchés de suivre le cours du fleuve. Quand les Francs virent cela, ils se dirigèrent vers un canal voisin, que l'on appelait Alazrak (le bleu), et dans le lit duquel le Nil avait autrefois coulé. Ils creusèrent ce canal, en approfondirent le lit au-dessus des vaisseaux qui avaient été placés dans le Nil, et y firent couler l’eau jusqu'à la mer. Ils y firent remonter leurs navires jusqu'à un endroit appelé Boura[87] et situé aussi sur le territoire d'Aldjyza, vis-à-vis du campement (d'Aladiliya), où se trouvait Almélic Alcamil, et cela afin de l'attaquer sur ce point-là. Car ils n'avaient pas de chemin pour arriver jusqu'à lui et le combattre, et Damiette les séparait de lui. Mais quand ils furent arrivés à Boura, ils se trouvèrent en face d'Alcamil, l'attaquèrent par eau et se portèrent au-devant de lui à plus d'une reprise, sans remporter aucun avantage. Rien ne fut changé à la position des habitants de Damiette, parce que les vivres et les renforts leur arrivaient sans interruption et que le Nil les séparait des Francs. Ils se défendaient sans qu'aucun dommage les atteignît; les portes de leur place restaient ouvertes, et ni gène ni incommodité n'existaient pour elle.

Or il advint, ainsi que Dieu le voulait, qu'Almélic Aladil mourut dans le mois de djoumada dernier de l'année 615 (25 août 22 septembre 1218), comme nous le raconterons, s'il plaît à Dieu. Les âmes des hommes devinrent faibles, parce qu'Aladil était le véritable sultan et que ses enfants, bien qu'ils fussent rois, étaient toutefois sous ses ordres, l'autorité lui appartenant. C'était lui qui les avait établis en qualité de rois dans les provinces. La mort d'Aladil arriva lorsque l'état des choses était tel que nous venons de le retracer, en ce qui concerne la guerre engagée par l'ennemi contre les Musulmans. Parmi les émirs de l'Egypte, il y en avait un appelé Imad-eddyn Ahmed, fils d'Aly, et surnommé Ibn-Almechthoub. Il faisait partie des Kurdes Haccariens, et C’était le plus puissant émir de l'Egypte. Il avait un nombreux corps de troupes, et tous les émirs lui obéissaient et lui étaient soumis, principalement les Kurdes. Cet émir s'étant mis d'accord avec d'autres émirs, ils voulurent déposer Almélic Alcamil et faire roi son frère, Almélic Alfaïz, fils d'Aladil, afin que l'autorité leur appartînt sur ce prince et sur ses Etats. La nouvelle de leur projet étant parvenue à Alcamil, il abandonna le camp durant la nuit avec un petit corps de troupes, et marcha vers une bourgade appelée Achmoun Thanah, et près de laquelle il campa. Le matin arrivé, l'armée s'aperçut de l'absence du souverain. Chacun suivit son propre désir, le frère ne s'inquiétant pas de son frère; ils ne purent emporter quoi que ce fût de leurs tentes, de leurs provisions, de leurs richesses et de leurs armes, si l'on en excepte une petite portion dont le transport était facile. On laissa le reste dans l'état où il se trouvait : vivres, armes, bêtes de somme, tentes, etc., et l'on rejoignit Alcamil. Quant aux Francs, dès le lendemain matin ils ne virent pas un seul des Musulmans sur le bord du Nil, ainsi qu'ils en avaient l'habitude, et ils demeurèrent dans l'ignorance de ce qui était arrivé. Mais tout à coup il leur survint des gens qui leur annoncèrent les nouvelles avec exactitude. Ils passèrent alors le Nil et se transportèrent sur le territoire de Damiette, en toute sécurité, sans trouver d'adversaires. Leur passage eut lieu le 20 de dhoû’lka’dah de l'année 615 (7 février 1219). Ils pillèrent ce qui se trouvait dans le camp des Musulmans; il s'agissait là d'objets en très grand nombre, et qui par leur multitude défiaient tout calcul. Almélic Alcamil abandonnait les provinces égyptiennes parce qu'il ne se fiait en personne de ses soldats ; et les Francs s'étaient emparés de tout sans fatigues et sans peine. Mais, par un effet de la bonté de Dieu envers les Musulmans, il advint qu'Almélic Almoaddham Iça, fils d'Almélic Aladil, arriva près de son frère Alcamil deux jours après le mouvement que nous venons de rapporter, tandis que les populations, étaient dans une situation fort troublée. Le cœur de Camil fut réconforté par la venue de son frère; sa force[88] fut raffermie, et son esprit retrouva toute sa vigueur. Aussi s'arrêta-t-il dans son campement, et l'on fit partir pour la Syrie Ibn-Almechthoub, qui se joignit à Almélic Alachraf et prit du service dans son armée.

Lorsque les Francs furent passés sur le territoire de Damiette, les Arabes se réunirent, sans distinction de leurs diverses tribus, et mirent au pillage les régions avoisinant la ville. Ils interceptèrent les chemins, commirent des désordres et ne gardèrent pas de mesure dans leurs dévastations. Ils se montraient envers les Musulmans plus hostiles que les Francs eux-mêmes. La circonstance qui fit le plus de tort aux habitants de Damiette, c'est qu'il n'y avait aucun soldat appartenant à l'armée, parce que le sultan et les troupes qui se trouvaient avec lui se tenaient près de la place afin d'en écarter l'ennemi. Or le mouvement dont il a été question leur étant survenu à l'improviste, pas un des soldats n'entra dans Damiette. Cela arriva par le fait d'Ibn-Almechthoub. En conséquence, Dieu ne lui accorda point de délai et lui infligea un châtiment terrible, ainsi que nous le raconterons, s'il plaît à Dieu.

Les Francs investirent Damiette et l'attaquèrent par terre et par mer. Ils s'entourèrent d'un fossé destiné à les protéger contre les Musulmans qui voudraient les assaillir, car c'était là leur coutume. Ils prolongèrent l'attaque; aussi la position des habitants devint pénible, les vivres et d'autres choses encore leur manquèrent, et ils furent fatigués du combat et de sa continuité, car les Francs se relayaient pour les attaquer, à la faveur de leur grand nombre. Au contraire, il n'y avait pas assez de monde à Damiette pour qu'on pût y combattre à tour de rôle.

Malgré cela les assiégés montrèrent une patience dont on n'avait pas encore entendu parler. Aussi le carnage, les blessures, la mortalité et les maladies furent-ils nombreux parmi eux. Le siège se prolongea jusqu'au 27 de chaban de l'année 616 (7 novembre 1219). Ceux des habitants qui survécurent furent incapables de se défendre, à cause de leur petit nombre et de l'épuisement de leurs provisions. A la date indiquée, ils livrèrent la ville aux Francs par capitulation; une troupe d'entre eux en sortit, mais d'autres demeurèrent, faute de pouvoir se transporter ailleurs. Ils furent donc dispersés comme l'avaient été jadis les populations sabéennes.[89]

Lorsque les Francs se furent emparés de Damiette, ils y établirent leur séjour, répandant leurs détachements dans tout le pays des environs, pour y piller et y commettre des meurtres. Aussi les habitants s'en exilèrent, et les Francs s'empressèrent de repeupler la ville et de la fortifier, et y employèrent tous leurs efforts, si bien qu'elle devint inattaquable. Quant à Mélik Alcamil, il séjournait dans le voisinage des Francs, sur les frontières de ses Etats, afin de les défendre contre l'ennemi. Lorsque les Francs apprirent dans leur pays la conquête de Damiette par les leurs, ils s'avancèrent vers ceux-ci, se précipitant en hâte de toutes les vallées profondes,[90] et Damiette devint le séjour de leur hégire (fuite, émigration). Almélic Almoaddham, prince de Damas, retourna en Syrie et détruisit Jérusalem dans le mois de dhoû’lka’dah de cette année (8 janvier — 6 février 1220). Il n'agit ainsi que parce que toutes les populations redoutaient les Francs. L'islamisme, tous ses sectateurs et toutes ses provinces furent sur le point d'éprouver la pire condition, tant à l'orient qu'à l'occident de la terre. En effet, les Tartares s'avancèrent de l'Orient jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés aux frontières de l'Irak, de l’Azerbaïdjan, de l'Arran, etc., ainsi que nous le raconterons, s'il plaît à Dieu. Les Francs s'avancèrent de l'Occident et s'emparèrent d'une ville telle que Damiette, dans les provinces égyptiennes, qui, en outre, se trouvaient dépourvues de forteresses capables de les défendre contre les ennemis. Toutes les provîntes en Egypte et en Syrie furent sur le point d’être conquises; toutes les populations craignirent les Francs, et elles attendaient matin et soir quelque calamité. Les habitants de l'Egypte voulaient s'exiler de leur pays par peur de l'ennemi. Mais ce n'était pas le moment de s'enfuir (Coran, xxxviiii, 2)), alors que l'ennemi les entourait de tous côtés. Si Alcamil les en avait laisses maîtres, ils auraient abandonné leurs villes tombant en ruines. Mais ils en furent empêchés et tinrent ferme. Almélic Alcamil envoya coup sur coup des lettres à ses deux frères, Almoaddham, prince de Damas, et Almélic Alachraf Mouça, prince du Djézireh, de l'Arménie, etc., pour leur demander du secours et les exciter à venir le trouver en personne. Dans le cas où la chose leur serait impossible, il les priait de lui envoyer leurs armées. Almoaddham, prince de Damas, alla en personne trouver Alachraf dans Harrân; mais il vit ce prince empêché de secourir ses frères par les embarras qui lui étaient survenus, à savoir, le manque de bonne harmonie et le refus d'obéissance de la part d'un grand nombre de ses sujets. Or, nous raconterons cela à l'année 615 (30 mars 1218 — 18 mars 1219), s'il plaît à Dieu, lors de la mort d'Almélic Alkahir, prince de Mossoul. C'est donc en cet endroit qu'il laut.cn chercher le récit. Moaddham accueillit les excuses d’Alachraf et le quitta. Les choses restèrent ainsi, en ce qui concernait les Francs. Quant à Melik Achraf, la discorde prit fin dans ses Etats, les princes qui avaient renoncé à son obéissance s'y soumirent derechef, et son autorité devint bien établie jusqu'à l'année 618 (1221).

Cependant Almélic Alcamil tenait tête aux Francs. L'année 618 étant arrivée, il sut que les raisons qui empêchaient Alachraf de le secourir avaient cessé d'exister. En conséquence, il lui envoya demander du secours, ainsi qu'à son (autre) frère, le prince de Damas. Ce dernier alla trouver Alachraf, afin de l'exciter à se mettre en marche. Alachraf suivit ses conseils et partit pour Damas, en compagnie des troupes qui se trouvaient près de lui, ordonnant aux autres de le rejoindre dans cette ville, où il séjourna en les attendant. Quelques-uns de ses émirs et de ses familiers lui conseillèrent de faire partir son armée et de retourner lui-même dans ses Etats, de peur qu'il n'y survînt quelque désordre. Mais il n'accueillit pas leur conseil, et répondit : « Je me suis mis en route pour entreprendre la guerre sainte, et il faut absolument que j'accomplisse cette résolution. » Il marcha donc vers l'Egypte. Les Francs, tant cavaliers que fantassins, étaient partis de Damiette, s'étaient dirigés contre Mélik Camil, et avaient établi leur camp vis-à-vis du sien; ils n'en étaient séparés que par un canal dérivé du Nil, que l'on appelait le fleuve d'Achmoun. Ils lançaient des traits contre l’armée des Musulmans, à l'aide de mangonneaux et d'arbalètes. Eux et tout le reste du monde étaient convaincus qu'ils s'empareraient de l'Egypte. Quant à Alachraf, il continua sa marche jusqu'à ce qu'il fût arrivé en Egypte. Lorsque son frère Alcamil eut appris qu'Achraf approchait de l'ennemi, il se dirigea vers lui et le joignit. Le sultan et tous les Musulmans se réjouirent de la réunion des deux frères, dans l'espoir que Dieu procurerait, par ce moyen, une diversion secourable et une victoire.

Pour ce qui est d'Almélic-Almoaddham, prince de Damas, il se mit aussi en marche vers l'Egypte, et se porta vers Damiette, dans la supposition que ses deux frères et leurs années en avaient déjà entrepris le siège. On dit aussi qu'il fut informé en chemin que les Francs s'étaient portés vers Damiette ; en conséquence, il chercha à les devancer vers cette ville, afin de les attaquer en tête, tandis que ses deux frères en feraient autant par derrière. Or, Dieu sait le mieux ce qu'il en est.

Lorsqu’Alachraf se fut joint à Alcamil, il fut convenu entre eux qu'ils s'avanceraient vers un canal dérivé du Nil que l'on appelait le fleuve d'Almahallé. En conséquence, ils se portèrent vers ce canal et combattirent les Francs, dont ils m trouvaient alors très rapprochés. Les galères des Musulmans s'avancèrent en suivant le cours du Nil et attaquèrent celles des Francs. Elles en prirent trois, avec l'équipage qui les moulait, l'argent et les armes qui s'y trouvaient. Les Musulmans furent joyeux de ce succès, s'en félicitèrent, et en tirèrent un heureux augure. Leurs âmes en furent fortifiées, et eux-mêmes s'enorgueillirent aux dépens de leurs ennemis. Cela se passait pendant que les ambassadeurs allaient et venaient d'une armée à l'autre, afin d'établir les bases de la paix. Les Musulmans offrirent aux Francs de leur livrer Jérusalem, Ascalon, Tibériade, Sidon, Djabala, Ladikiya, et tout ce que Salah-eddyn avait conquis sur les Francs dans la Syrie maritime (Assâhil), à l'exception de Carac, à la condition que les Chrétiens leur rendraient Damiette. Ceux-ci n'y consentirent pas, exigeant trois cent mille dinars comme dédommagement de la destruction de Jérusalem,[91] afin d'appliquer cette somme à la rebâtir. On ne put tomber d'accord, et les Francs dirent: « Il nous faut absolument Carac.[92] »

Pendant que les choses étaient en suspens et que les Francs refusaient de consentir aux conditions qui leur étaient offertes, les Musulmans se virent obligés de les combattre. Les Francs, à cause de leur confiance en eux-mêmes, n'avaient pas emporté de quoi se nourrir pendant plusieurs jours, s'imaginant que les armées musulmanes ne pourraient leur tenir tête, que les bourgades et tout le pays cultivé resteraient entre leurs mains, et qu'ils y prendraient toutes les provisions qu'ils voudraient. Ils agirent ainsi à cause des desseins que Dieu avait en vue à leur égard, un corps de Musulmans passa le fleuve pour se porter sur le terrain qu'occupaient les Francs, et lâcha les digues. L'eau couvrit la majeure partie de cet emplacement, et il ne resta aux Francs d'autre direction à suivre qu'une seule ligne fort étroite. Alcamil jeta alors des ponts sur le Nil, auprès d'Achmoun, et ses troupes franchirent ces ponts. Il se trouva ainsi maître du chemin qu'auraient dû suivre les Francs s'ils avaient voulu s'en retourner à Damiette. Il ne leur resta donc aucun moyen de s'échapper.

Sur ces entrefaites, il advint qu'un grand vaisseau appartenant aux Francs, du nombre des vaisseaux les plus considérables, que l'on appelait maremme et qu'entouraient plusieurs barques destinées à le défendre, il advint, disons-nous, qu'il arriva à leur secours. Lui et son escorte étaient remplis de provisions et d'armes, et autres choses nécessaires. Les galères des Musulmans tombèrent sur cette escadre, l'assaillirent, s'emparèrent de la maremme et des Francs qui l'accompagnaient. Quand les Francs virent cela, ils en furent découragés, et reconnurent qu'ils n'avaient pas pris le bon parti en abandonnant Damiette pour une contrée qu'ils ne connaissaient pas. Pendant ce temps, les troupes des Musulmans les entouraient, leur lançant des flèches et faisant des charges sur leurs flancs. Quand la position des Francs fut devenue pénible, ils brûlèrent leurs tentes, leurs mangonneaux et leurs bagages, voulant se porter contre les Musulmans et les attaquer, dans l'espoir qu'ils pourraient retourner à Damiette. Mais ils reconnurent que leur espérance était invraisemblable, qu'ils se trouvaient séparés de l'objet de leurs désirs par la masse de la boue et des eaux qui les entouraient, et que le chemin qu'ils auraient pu suivre avait déjà été coupé par les Musulmans. Quand ils eurent acquis la certitude qu'ils étaient entourés de tous côtés, que leurs vivres ne leur arrivaient qu'avec difficulté, et qu'ils eurent la mort en perspective, leurs âmes s'humilièrent, leurs étendards[93] furent renversés, et leur Satan les abandonna. Ils envoyèrent des messagers à Almélic-Alcamil et à Alachraf, implorant une capitulation et s'obligeant à livrer Damiette, sans recevoir aucune compensa lion. Tandis que les messagers allaient et venaient, on vit tout à coup s'avancer du côté de Damiette une troupe nombreuse, accompagnée d'un épais nuage de poussière et d'un grand bruit de voix. Les Musulmans s'imaginèrent que c'était un secours qui arrivait aux Francs, et ils en conçurent de la crainte. Mais il se trouva que c'était Almélic Almoaddham, prince de Damas, qui venait les rejoindre (Or, il avait pris son chemin par Damiette, pour la raison que nous avons mentionnée). Les reins[94] des Musulmans furent fortifiés, tandis que le découragement et la faiblesse des Francs augmentaient. Aussi conclurent-ils la paix à condition de livrer Damiette ; la convention et les serments qui lui servaient de garantie furent bien arrêtés le 7 de redjeb 618 (27 août 1221). Les rois des Francs et leurs comtes[95] furent conduits près d'Almélic Alcamil et d'Alachraf, pour servir d'otages touchant la reddition de Damiette. C'était le roi d'Acre,[96] le lieutenant (c'est-à-dire le légat[97]) du pape, souverain de Rome, le comte....., etc., au nombre de vingt en tout. Ils envoyèrent un message à leurs évêques et à leurs moines, qui se trouvaient dans Damiette, pour leur prescrire de la livrer. La garnison ne refusa pas d'obtempérer à cet ordre, et remit la place aux Musulmans, le 9 de redjeb (29 août). Ce fut là un jour solennel.

Parmi les circonstances extraordinaires se trouve celle-ci : à peine les Musulmans avaient-ils pris possession de Damiette qu'il arriva par mer un secours aux Francs. Si ce renfort avait devancé les Musulmans à Damiette, les Chrétiens auraient refusé de livrer cette place. Mais les Musulmans précédèrent l'arrivée de l'ennemi, pour-que Dieu mît fin à une entreprise qui devait recevoir son accomplissement.[98] Il n'était resté à Damiette, de toute sa population, que quelques individus isolés, les autres s'étant dispersés comme les troupes des Sabéens. Une partie l'avait quittée par son propre choix; une autre était morte; une troisième avait été faite prisonnière par les Francs. Quand les Musulmans entrèrent dans Damiette, ils virent que les Francs avaient extrêmement fortifié cette ville, de façon à la rendre inattaquable et même inaccessible. Dieu rétablit sa situation primitive et la restitua à ses possesseurs légitimes, donnant aux Musulmans une victoire sur laquelle ils ne comptaient pas. Car le comble de leurs espérances consistait à rendre aux Francs les villes qu'ils leur avaient prises en Syrie, afin qu'ils restituassent Damiette. Mais Dieu les gratifia de la restitution de Damiette, et les villes (de Syrie) restèrent entre leurs mains, dans l'état même où elles se trouvaient auparavant. Que Dieu soit loué et remercié de ce qu'il a daigné accorder à l'islamisme et aux Musulmans, en repoussant l'hostilité d'un pareil ennemi!

ANNEE 615 DE L'HEGIRE (30 MARS 1218 — 18 MARS 1219 DE J. C.)

Almélic-Alkahir-Izz-eddyn Maçoud, fils d'Arslanchah, prince de Mossoul, mourut la nuit du dimanche du lundi 28 de rebi Ier (24 juin 1218), après un règne de sept ans et neuf mois. Sa mort fut causée par une fièvre, qui le prit pour le quitter le lendemain, le laissant pendant deux jours fort affaibli, après quoi elle revint, accompagnée de vomissements abondants, de violentes douleurs et d'angoisses sans relâche. Ensuite son corps devint froid, puis entra en sueur, et il resta ainsi jusqu'au milieu de la nuit, moment où il expira. C’était un prince généreux, doux, peu désireux de s'approprier le bien de ses sujets, s'abstenant de leur occasionner des vexations. Il s'occupait de ses plaisirs comme s'il s'était agi d'un butin passager et qu'il eût cherché de la sorte à gagner la mort de vitesse. Il était doué d'une extrême sensibilité,[99] et il lui arrivait souvent de s'entretenir de la mort. Un de ceux qui lui étaient attachés m'a fait le récit suivant : Je me trouvais une nuit près de lui, une quinzaine de jours avant qu'il mourût. Il me dit : « J'éprouve de la fatigue à rester assis. Levons-nous donc et rendons-nous à pied à la porte d'Imad-Eddyn. » En conséquence, nous nous levâmes et le prince sortit de son palais pour se transporter à la porte d'Imad-Eddyn. Il arriva au mausolée qu'il avait fait construire pour lui-même auprès de son palais. Il s'arrêta près de cet édifice, occupé à réfléchir, sans prononcer une parole. Après quoi il me dit: « Par Dieu! Nous ne possédons rien absolument. N'est-ce pas ici même que notre course viendra se terminer, et que nous serons ensevelis ? » Il continua longtemps de parler sur ce sujet et sur d'autres analogues. Puis il retourna au palais. Je lui dis: « Est-ce que nous ne nous rendrons pas à la porte d'Imad-Eddyn? » Il me répondit : « Il ne me reste aucun plaisir à faire cela ou quelque autre chose. » Il rentra donc dans son palais et mourut quelques jours après. Les habitants de ses Etats furent affligés de son trépas, et sa perte leur fut pénible, car il était chéri d'eux et occupait une place dans leur cœur.[100] Aussi dans chaque maison entendit-on, à cause de sa mort, des cris et des gémissements. Lorsqu'il se vit sur le point de mourir, il légua la royauté à son fils aîné, Nour-eddyn Arslanchah, dont l'âge était alors d'environ dix ans. Il nomma comme son exécuteur testamentaire et connue administrateur des Etats de ce jeune prince, Bedr-eddyn Loulou, celui-là même qui avait présidé à l'administration sous le règne d'Alkahir, et auparavant sous celui de son père Nour-eddyn. Nous avons déjà rapporté, au sujet de l'histoire de ce personnage, des détails propres à faire connaître le rang qu'il occupait. On en trouvera encore d'autres, au moyen desquels le lecteur sera mieux éclairé sur ces matières. Lorsque Alkahir eut rendu le dernier soupir, Bedr-eddyn s'occupa des affaires de Nour-eddyn, le fit asseoir sur le trône de son père et envoya une ambassade au khalife, afin de solliciter en faveur du nouveau prince un diplôme d'investiture et un habit d'honneur. Il adressa aussi des messages aux rois et aux princes des régions avoisinantes, les priant de renouveler avec Nour-eddyn les traités qui existaient entre eux et son père, et cela sans y rien changer. Dès le lendemain matin, il avait terminé tout ce qu'il était nécessaire de faire en pareille circonstance. Il songea alors aux cérémonies des funérailles d'Alkahir, fit prêter serment aux troupes et aux sujets, préservant ainsi le royaume de toute commotion et de tout changement, malgré le bas âge du sultan et le grand nombre de ceux qui convoitaient la royauté. En effet, il y avait près de Nour-eddyn, dans Mossoul même, des oncles de son père; d'un autre côté, son propre oncle, Imad-eddyn Zengui, fils d'Arslanchah, se trouvait dans son gouvernement, à savoir, le château fort d’Akr-Alhomaïdiya,[101] où il se flattait de l'espoir de s'emparer de l'empire, ne doutant pas de s'en rendre maître après la mort de son frère. Bedr-eddyn raccommoda cette déchirure et répara cette brèche; il accorda sans discontinuer des gratifications et des vêlements d'honneur à toute la population et lui fit quitter ses habits de deuil, ne distinguant point en cela un noble au préjudice d'un plébéien, ni un grand préférablement à un petit. Il tint une belle conduite, donna des audiences pour réprimer les actes d'oppression auxquels le peuple était en proie et pour rendre justice, aux uns des torts des autres. Au bout de quelques jours arriva un diplôme d'investiture par lequel le khalife conférait à Nour-eddyn la dignité souveraine et à Bedr-eddyn la haute main sur l'administration de l’Etat; ce diplôme était accompagné des vêlements d'honneur pour tous deux. Ils reçurent aussi des ambassadeurs envoyés par les souverains étrangers, pour leur offrir des compliments de condoléance et leur remettre les conventions de paix qu'ils avaient réclamées d'eux. Les bases de leur autorité furent donc solidement établies.

Nous avons raconté, lors de la mort de Nour-eddyn, sous l'année 607 (1210-1211 de J. C.), que ce prince donna à son fils cadet Zengui les deux châteaux forts d'Alakr et de Chouch, situés dans le voisinage de Mossoul.[102] Ce prince résidait tantôt à Mossoul, tantôt dans ses domaines, cherchant de vains prétextes, à cause de son extrême mobilité d'esprit. Il y avait, dans la forteresse d'Alimâdiya,[103] un gardien du nombre des anciens esclaves de son aïeul Izz-eddyn Maçoud, fils de Maudoud, qui, dit-on, entretint avec Zengui une correspondance dont l'objet était de livrer la place à ce prince. La nouvelle de ce projet parvint à Bedr-eddyn, qui en devança l'exécution en destituant le gouverneur, et en le remplaçant par un puissant émir, accompagné d'un corps de troupes. Il ne fut pas possible au gouverneur de résister, et il livra la citadelle au lieutenant de Bedr-eddyn. Celui-ci plaça dans les châteaux forts autres qu'Alimâdiya des préposés qui étaient à sa dévotion. Cependant Nour-eddyn, fils d'Alkahir, ne cessait d'être atteint d'hémorroïdes externes[104] et d'autres maladies. Il resta longtemps sans monter à cheval et sans se montrer au peuple. Zengui envoya des émissaires aux troupes qui se trouvaient à Imâdiya, pour leur dire : « Le fils de mon frère est mort, et Bedr-eddyn veut s'emparer du pays, mais je suis plus digne que lui du royaume de mes pères et de mes ancêtres. » Il ne cessa d'agir ainsi que quand les troupes réunies à Imâdiya l'appelèrent près d'elles et lui livrèrent la place, le 18 ramadhan de l'année 615 (8 décembre 1218), après s'être saisies de la personne du lieutenant de Bedr-eddyn, et de ceux qui l'accompagnaient. La nouvelle de ce mouvement arriva à Bedr-eddyn pendant la nuit. Il se hâta de prendre des mesures à ce sujet, et fit proclamer sur le champ parmi les troupes l'ordre de se mettre en marche. En conséquence, on partit en toute hâte pour Imâdiya, où se trouvait Zengui, afin de l'y assiéger. L'aurore n'avait pas encore paru que déjà Bedr-eddyn avait achevé de faire partir les troupes. Celles-ci, étant arrivées devant Imâdiya, en formèrent le siège. On était alors en hiver, le froid était excessif et la neige très considérable. En conséquence, l'armée assiégeante fut hors d'état d'attaquer la garnison, et se contenta de la tenir assiégée. Mozaffer-eddyn Coucboury, fils de Zeyn-eddyn, prince d'Irbil,[105] entreprit de secourir Imad-eddyn, et s'appliqua à lui venir en aide.[106] Bedr-eddyn envoya au prince d’Irbil un message, pour lui rappeler les serments et les pactes au nombre desquels se trouvait celui-ci : que Mozaffer-eddyn n’entreprendrait rien contre aucun des cantons de Mossoul, parmi lesquels figuraient nominativement les châteaux forts des Hakkaris et de Zaouzan,[107] et si quelqu'un, quel qu'il fût, venait à les attaquer, il les défendrait en propre personne avec ses troupes et aiderait Nour-eddyn et Bedr-eddyn à repousser l’adversaire. Bedr-eddyn sommait Mozaffer-eddyn d'être fidèle à son engagement; mais ensuite il renonça à sa demande, se contentant que le prince d'Irbil observât la neutralité (littér. gardât le silence), sans se prononcer soit pour, soit contre lui et son maître. Mozaffer-eddyn n'en fit rien, et se déclara l'auxiliaire d'Imad-eddyn Zengui. Alors, il ne fut pas possible d'attaquer Zengui à grand-renfort d'hommes et de troupes, parce que ce nouvel ennemi[108] se trouvait voisin de Mossoul et de ses dépendances. Toutefois l'armée de Bedr-eddyn continua d’assiéger Imâdiya, où se trouvait Zengui. Dans la suite un des émirs de l'armée de Mossoul, du nombre des gens dépourvus de connaissances dans l'art de la guerre, mais brave et nouvellement promu au généralat, voulut manifester sa bravoure, afin d'obtenir par là un nouvel avancement. Il conseilla aux troupes qui se trouvaient en cet endroit de s'avancer vers Alimâdiya et de l'attaquer. Précédemment, elles s'étaient quelque peu écartées de la ville, à cause de la violence du froid et de la neige. Elles ne furent pas d'accord avec ce chef et désapprouvèrent son avis. Mais il les laissa et partit, se portant en avant contre l'ennemi pendant la nuit. Les soldats furent obligés de le suivre, de peur qu'il n'éprouvât quelque dommage, ainsi que ses compagnons. Ils marchèrent donc vers lui, sans observer aucun ordre, à cause du peu de largeur du chemin, et parce qu'ils se trouvaient ainsi empêchés de se ranger comme il fallait. La neige sévit aussi contre eux. Zengui et ses compagnons, ayant appris ce qui se passait, descendirent de la forteresse, et rencontrèrent les ennemis les plus avancés. Or, les habitants de la Mecque connaissent mieux que qui que ce soit les défilés voisins de cette ville.[109] Les assaillants ne tinrent pas devant les gens d'Imâdiya, mais ils prirent la fuite et retournèrent dans leurs cantonnements. L'armée de Mossoul ne se présenta pas pour faire face aux assiégés, et fut obligée de s'en retourner ; après qu'elle se fut retirée, Zengui envoya des émissaires aux autres châteaux des Hakkaris et d'Azzouzân, les invitant à reconnaître son autorité. Ils y consentirent et se livrèrent à lui. Il en prit possession, y plaça des gouverneurs et y exerça l'autorité.

Quand Bedr-eddyn eut vu que les châteaux forts étaient sortis de ses mains, que Mozaffer-eddyn et Imad-eddyn s'étaient ligués contre lui, que la douceur et la violence n'avaient pas réussi avec eux, que tous deux ne cessaient de s'efforcer de conquérir ses provinces, et qu'ils en attaquaient les confins au moyen du pillage et des vexations, il dépêcha un message à Almélic-Alachraf Mouça, fils d'Almélic Aladil, qui était prince de Khélath et dépendances et de tout le Djézireh (Mésopotamie), sauf une petite partie, pour lui demander son alliance et son secours, reconnaissant sa suprématie et se soumettant à son autorité. Alachraf acquiesça très volontiers à sa requête, lui offrit aide et assistance, et lui promit de combattre pour sa défense et de reprendre les châteaux forts qui lui avaient été enlevés. Almélic-Alachraf se trouvait alors près d'Alep, et campé sous ses murailles, à cause de ce que nous avons rapporté, à savoir, l'attaque tentée contre les dépendances de cette ville par Keïcaous, roi du pays de Roum occupé par les Musulmans, c'est-à-dire Koniè et autres places. Il envoya reprocher à Mozaffer-eddyn la conduite qu'il tenait, et lui fit dire : « Certes, la convention dont il s'agit a été arrêtée entre nous tous, en présence de tes envoyés. Nous combattrons le violateur de la foi jurée jusqu'à ce qu'il revienne au respect de la justice; il faut absolument restituer ce qui a été pris sur le territoire de Mossoul, afin que nous persistions dans l'observation des serments prêtés par nous. Si tu refuses, et que tu persistes à aider et à secourir Zengui, je partirai en personne et, avec mes troupes, je marcherai contre tes Etats et les autres provinces; je reprendrai ce que vous avez pris et le restituerai à ses légitimes possesseurs. Ce qu'il te convient de faire, c'est de l'arranger avec nous, de revenir à ce qui est juste, afin que nous nous occupions à réunir des troupes, à nous diriger vers l'Egypte et à en chasser les Francs, avant que leur affaire ne devienne trop considérable et que leurs étincelles ne volent au loin. » Mozaffer-eddyn n'acquiesça à aucune de ces propositions. Nasir-eddyn Mahmoud, prince d'Hisn-Keïfa et d’Amid, avait précédemment refusé de s’accorder avec Alachraf; il s'était dirigé vers une partie de ses Etats, et l'avait mise au pillage. Le prince de Mardin en avait fait autant. Tous deux se concertèrent avec Mozaffer-eddyn. Quand Alachraf vit cela, il équipa une armée et la fit marcher vers Nisibe, pour servir de renfort à Bedr-eddyn, dans le cas où il en aurait besoin.

Lorsque l'armée de Bedr-eddyn fut revenue du siège d'Imâdiya, place dans laquelle se trouvait Zengui, ainsi que nous l'avons raconté, l'âme de ce prince fut fortifiée, il abandonna la ville, retourna dans le château d'Alakr qui lui appartenait, afin de se mettre en possession des dépendances de Mossoul en rase campagne; car, quant à la région montagneuse, il n'avait plus à s'en occuper. Mozaffer-eddyn l'assista au moyen d'un nombreux détachement. Bedr-eddyn, ayant appris cette nouvelle, fit marcher un corps d'armée vers les confins du territoire de Mossoul pour le défendre. Ces troupes campèrent à quatre parasanges (environ cinq lieues) de la ville. Puis elles convinrent entre elles de se porter vers Zengui, qui se trouvait près d'Alakr avec son armée, et de le combattre. Elles mirent ce projet à exécution, sans prendre l'ordre de Bedr-eddyn, se contentant de lui faire connaître leur marche et lui annonçant qu'elles partaient en camp volant, sans autre chose que leurs armes et leurs montures, sur lesquelles elles se battraient. Elles cheminèrent toute la nuit et se trouvèrent près de Zengui le matin du dimanche 27 de moharrem de l'année 616 (14 avril 1219). Les deux armées se rencontrèrent et en vinrent aux mains sous les murs d'Alakr. L'affaire fut très vive. Dieu fit descendre son secours sur l'armée de Bedr-eddyn; Imad-eddyn et son armée furent mis en déroute, et le premier prit la fuite vers Irbil. Quant à l'armée de Bedr-eddyn, elle retourna vers le campement de son chef, où il se trouvait alors. Des ambassadeurs arrivèrent de la part du khalife Nasir-Lidinillah et de celle d'Almélic Alachraf, afin de rétablir la paix. Un traité fut conclu, et les contractants se prêtèrent serment les uns aux autres en présence des ambassadeurs.

Quand la paix eut été ainsi affermie, Nour-eddyn Arslanchah, fils d'Almélic Alkahir, prince de Mossoul, mourut. Il n'avait pas cessé de souffrir de plusieurs maladies. Bedr-eddyn établit sur le trône, à sa place, son frère Nasir-eddyn Mahmoud, âgé d'environ trois ans. Alkahir n'avait pas laissé d'autre enfant: Bedr-eddyn lui fit prêter serment par l'année et le fit mettre à cheval. Les âmes des sujets furent satisfaites, parce que Nour-eddyn ne pouvait monter à cheval, à cause de son état maladif. Quand on eut mis à cheval le nouveau prince, le peuple sut qu'il possédait un sultan de la famille de l'atabek; il fut tranquille et jouit de la sécurité, et beaucoup de troubles s'apaisèrent.

Lorsque Nour-eddyn fut mort, et que régna son frère Nasir-eddyn, les convoitises de Mozaffer-eddyn et d'Imad-eddyn se réveillèrent à cause du bas âge de Nasir-Eddyn. Ils réunirent des troupes et se disposèrent à se mettre en mouvement. Leurs projets parurent au grand jour, et une partie de leurs adhérents se dirigèrent vers l'extrémité du pays de Mossoul, afin de piller et de commettre des dégâts. Précédemment, Bedr-eddyn avait fait partir son fils aîné avec un détachement considérable, afin qu'il se rendît près d'Almélic Alachraf, à Alep et lui prêtât secours, à cause du rassemblement des Francs en Egypte. Car ce prince voulait entrer sur le territoire que les Francs possédaient le long du littoral syrien, pour le mettre au pillage et le dévaster, de façon qu'une portion de ceux des Francs qui se trouvaient près de Damiette s'en retournât dans son pays, et que la situation d'Almélic-Alcamil, prince d'Egypte, se trouvât allégée. Quand Bedr-eddyn eut vu le mouvement opéré par Mozaffer-eddyn et Imad-eddyn, alors qu'une partie de son année se trouvait en Syrie, il envoya un message à l'armée d'Almélic-Alachraf, qui se trouvait à Nisibin, afin de la mander et de se fortifier grâce à son secours. Elle avait pour chef un ancien esclave d'Alachraf, nommé Aïbec.[110] Elle se mit en marche vers Mossoul, le 4 de redjeb 616 (15 septembre 1219). Lorsque Bedr-eddyn la vit, il la trouva peu nombreuse, parce qu'elle était inférieure-ou seulement égale en nombre à l'armée qu'il avait en Syrie. Aïbec insista pour traverser le Tigre et se diriger vers le territoire d'Irbil. Bedr-eddyn l'en empêcha, lui ordonnant de se reposer. Le général campa pendant plusieurs jours en dehors de Mossoul, et persévéra à passer le Tigre. Bedr-eddyn franchit le fleuve pour se conformer à son désir, et tous deux campèrent sur la rive orientale, à une parasange de Mossoul. Quand Mozaffer-eddyn eut appris cette nouvelle, il rassembla son armée et marcha contre l'ennemi, accompagné de Zengui; il traversa le Zab et devança le bruit de son approche. Bedr-eddyn, en ayant enfin eu avis, rangea ses troupes en ordre de bataille. Il plaça Aïbec parmi les soldats de l'avant-garde, lui adjoignant ses compagnons les plus braves et même la plupart des autres, au point qu'il n'en garda près de lui-même qu'un petit nombre. Il mit à son aile gauche un chef important. Mais ce chef ayant demandé à passer de cette aile à la droite, Bedr-eddyn l'y transféra. Lorsque le temps de la prière de la nuit close fut arrivé, cet émir demanda d'être transféré de l'aile droite à l'aile gauche. Comme l'ennemi se trouvait alors tout près, Bedr-eddyn refusa d'autoriser ce mouvement et dit : « Quand toi et tes compagnons vous opérerez ce changement de position dans cette nuit-ci, peut-être que le gros de l'armée s'imaginera que c'est une déroute, et personne ne tiendra ferme. » L'émir en question resta à son poste, avec un corps de troupes considérable. Lorsque la nuit fut arrivée au milieu de son cours, Aïbec se mit en mouvement. Bedr-eddyn lui ordonna d'attendre jusqu'au matin, à cause du voisinage on l’on se trouvait de l'ennemi. Mais, par suite de son ignorance dans l'art de la guerre, Aïbec n'obtempéra pas à ses ordres, et les soldats furent obligés de le suivre. Ils se séparèrent les uns des autres durant la nuit et l'obscurité. Eux et l'ennemi en vinrent aux mains, le 20 de redjeb (1er octobre 1219), à trois parasanges de Mossoul. Quant à Izz-eddyn, il prit la direction de la droite, se joignit à l'aile droite, chargea avec elle au milieu de ses bataillons[111] sur l'aile gauche de Mozaffer-eddyn, où se trouvait Zengui, et la mit en déroute. L'émir, qui s'était précédemment transporté à l'aile droite, s'en était alors éloigné. Aussi ne prit-il point part au combat. Mais quand il vit qu'Aïbec avait mis en déroute l'aile gauche de l'ennemi, il marcha sur ses traces, et se joignit à lui. La gauche de Bedr-eddyn fut défaite,[112] et ce prince demeura[113] avec les quelques personnes qui lui servaient de cortège. Mozaffer-eddyn s'avança contre lui avec les soldats qui se trouvaient près de sa personne, au centre, et ne s'étaient pas dispersés. Il ne fut pas possible à Bedr-eddyn de résister. Il retourna donc à Mossoul, et passa le Tigre pour entrer dans la citadelle, d'où il descendit dans la ville. Quand la population le vit, elle se réjouit de son retour et l'accompagna. Il se dirigea vers la porte du pont, ayant vis-à-vis de lui l'ennemi, dont il était séparé par le Tigre. Quant à Mozaffer-eddyn, il campa avec ceux de ses soldats qui étaient restés sains et saufs derrière la colline de la forteresse de Ninéwa (Ninive), où il demeura trois jours. Mais quand il vit que l'armée de Bedr-eddyn s'était réunie à Mossoul sans qu'il y manquât personne, à l'exception d'un petit nombre de soldats, et qu'il eut appris que ce prince voulait passer le Tigre pendant la nuit avec des cavaliers et des fantassins, au moyen de ponts et de navires, et l'attaquer, il décampa nuitamment, sans tambour ni trompette, et retourna vers Irbil. Lorsque lui et ses troupes eurent franchi le Zab, ils campèrent. Puis des ambassadeurs arrivèrent et s'efforcèrent de conclure la paix. Les deux parties convinrent d'un traité, à condition que chacune d'elles garderait ce dont elle était en possession. Les conventions et les engagements furent arrêtés sur ces bases.

RÉCIT DE LA CONQUÊTE, PAR IMAD-EDDYN, DU CHATEAU DE KEWÂCHI,[114]

DE CELLE DE TELL-YAFAR PAR BEDR-EDDYN ET

DE CELLE DE SINDJAR PAR ALMELIC-ALACHRAF

Le Kéwâchi dont il est question est au nombre des châteaux les plus forts, les plus élevés et les plus inexpugnables du territoire de Mossoul. Lorsque les troupes qui s'y trouvaient virent la conduite qu'avaient tenue les habitants d'Alimadiya et d'autres localités, en se soumettant à Zengui, et s'aperçurent que, par là, ils avaient obtenu l'autorité dans les forteresses, où personne ne pouvait leur faire la loi, elles voulurent les initier. Elles chassèrent donc de chez elles les lieutenants de Bedr-eddyn et se fortifièrent dans Kéwâchi. Comme elles avaient des otages à Mossoul, elles affectaient d'obéir à Bedr-eddyn et cachaient dans leurs cœurs leur rébellion. Des ambassadeurs s'entremirent pour procurer leur retour à l'obéissance.

Mais ils n'en firent rien et députèrent des messagers à Zengui, pour le prier de venir les trouver. Il marcha vers eux, reçut de leurs mains le château et y demeura en leur société. On envoya des ambassadeurs à Mozaffer-eddyn, afin de lui rappeler les serments tout récents qu'il avait prêtés et de lui demander la restitution de Kéwâchi. Mais il n'y consentit pas. Alors Bedr-Eddyn envoya des messages à Almélic-Alachraf, qui se trouvait à Alep, pour implorer son secours. Ce prince se mit en mouvement et traversa l'Euphrate dans la direction de Harrân. Mais il lui survint successivement, de différents côtés, des allaires qui l'empêchèrent de hâter sa marche. Le motif de la survenance de ces affaires, c'était que Mozaffer-Eddyn envoyait des messages aux rois possesseurs des régions limitrophes, afin de chercher à les gagner, de leur faire trouver bon de marcher contre Alachraf et de les engager à le craindre, s'il venait une fois à avoir son temps libre.[115] Izz-Eddyn Keïcaous, fils de Keïkhosrew, fils de Kilidj-Arslan, prince du pays de Roum, le prince d'Amid et d'Hisn-Keïfa, celui de Mardin, acquiescèrent à ses conseils; tous s'accordèrent à obéir à Keïcaous et firent réciter la prière en son nom dans leurs États. Nous raconterons ce qui arriva entre Keïcaous et Alachraf, près de Manbedj, quand le premier se dirigea vers le territoire d'Alep. Il était enflammé de colère contre le second. Or, il advint que Keïcaous mourut dans ce temps-là; Alachraf et Bedr-Eddyn furent préservés de sa méchanceté. « Il n'y a de sort vraiment heureux (pour toi) que celui qui empêche les gens de te nuire.[116] » Mozaffer-Eddyn avait envoyé des messagers à plusieurs des émirs qui accompagnaient Alachraf et avait cherché à les gagner. Parmi ces émirs, Ahmed, fils d'Aly Almechthoub, celui-là même dont nous avons raconté la conduite près de Damiette,[117] accueillit les ouvertures de Mozaffer-eddyn. C'était le plus puissant émir de la suite d'Alachraf; d'autres chefs furent d'accord avec lui, et, dans le nombre, Izz-Eddyn Mohammed, fils de Bedr-Alhomaïdy, etc. Ils abandonnèrent Alachraf, campèrent à Dounaïser, sous Mardin, afin de se réunir au prince d'Amid et d'empêcher Alachraf de passer du côté de Mossoul pour prêter assistance à Bedr-Eddyn. Mais, quand ils se trouvèrent rassemblés en cet endroit, le prince d'Amid se réconcilia avec Alachraf et abandonna les confédérés. La paix fut fermement établie entre le prince d'Amid et Alachraf, qui remit au premier la ville de Hani et Djébel-Djour, et s'engagea envers lui à prendre Dara et à la lui livrer. Lorsque le souverain d'Amid eut abandonné ses alliés, leur puissance tomba en dissolution ; plusieurs de ces émirs furent contraints de rentrer sous la domination d'Alachraf, et Ibn-Almechthoub demeura seul. Il marcha vers Nisibin, afin de se rendre à Irbil. Le gouverneur de Nisibin sortit à sa rencontre avec les soldats qui se trouvaient auprès de lui. On combattit ; Ibn-Almechthoub fut mis en déroute, ses compagnons se dispersèrent et lui-même prit la fuite. Il passa à côté de la ville de Sindjar, dont le prince Ferroukh-Chah, fils de Zengui, fils de Maudoud, fils de Zengui, fit marcher contre lui une armée qui le mit en déroute, le fit prisonnier et le transporta dans Sindjar. Le prince de cette ville était d'accord avec Alachraf et Bedr-Eddyn. Lorsqu’Ibn-Almechthoub se vit près de lui, il lui fit trouver bon de se révolter contre Alachraf. Le prince y consentit et le relâcha. Les gens qui voulaient le désordre se réunirent à Ibn-Almechthoub. Tous ensemble se dirigèrent vers Albékaa, une des dépendances de Mossoul,[118] y mirent au pillage un certain nombre de bourgades et retournèrent à Sindjar. Puis ils marchèrent, ayant toujours avec eux Ibn-Almechthoub, vers Tell-Yafar,[119] qui appartenait au prince de Sindjar, pour se porter sur le pays de Mossoul et se livrer au pillage dans cette province. Quand Bedr-Eddyn apprit cela, il envoya contre Ibn-Almechthoub une armée qui lui livra le combat. L'émir se retira en désordre, monta sur la colline dite Yafar et s'y fortifia contre les ennemis. Ils campèrent près de lui et l'assiégèrent dans sa retraite. Bedr-Eddyn marcha de Mossoul contre lui, le mardi 22e jour de rebi Ier 617 (27 mai 1220), déploya toute son activité pour l’assiéger et donna à la place assaut sur assaut. Il s'en rendit maître le 17e jour de rebi dernier de la même année (21 juin 1220), emmena avec lui Ibn-Almechthoub à Mossoul et l'y emprisonna. Dans la suite, Alachraf lui enleva le captif et le retint en prison à Harrân, jusqu'à ce qu'il mourût au mois de rebi dernier 619 (15 mai 12 juin 1222). Dieu lui fit ainsi trouver le châtiment de ce qu'il avait fait aux Musulmans à Damiette.

Quant à Almélic-Alachraf, lorsque le prince d'Hisn-Keïfa et d'Amid se fut soumis à lui et que les émirs se furent dispersés, comme nous l'avons raconté, il décampa de Harrân vers Dounaïser, établit son camp sous cette ville, s'empara du pays de Mardin, y mit un gouverneur à qui il assigna un fief, et empêcha les provisions de parvenir dans la place. Le prince d'Amid vint le trouver. Des ambassadeurs allèrent et vinrent entre Alachraf et le prince de Mardin, pour traiter de la paix. On conclut un traité, à condition qu'Alachraf reprendrait Ras-Alaïn, qu'il avait précédemment conférée en fief au prince de Mardin, qu'il recevrait aussi de lui trente mille dinars, et enfin que le prince d'Amid recevrait pour sa part Almaouzer, dans le territoire de Chabakhtân. Quand la paix eut été arrêtée, Alachraf marcha de Dounaïser vers Nisibin. Tandis qu'il était en route, il fut rencontré par des ambassadeurs du prince de Sindjar, qui lui faisait offrir de lui livrer cette ville, demandant en retour celle de Rakka. Le motif de cette offre, c'est que Tell-Yafar avait été enlevé au prince de Sindjar, et que son cœur s'était effrayé. Joignez à cela que ses affidés et ses conseillers le trahirent et augmentèrent ses craintes et ses appréhensions, parce qu'il les avait menacés ; enfin, ils déjeunèrent de lui avant qu'il soupât d'eux.[120] Un dernier motif, c'est qu'il avait rompu les liens du sang, et avait tué son frère qui avait régné sur Sindjar après la mort de leur père. Il le fit périr, ainsi que nous le raconterons, s'il plaît à Dieu, et s'empara de la principauté ; mais Dieu lui fit rencontrer la peine de son action et ne le laissa pas jouir du fruit de son crime. Lorsque le fratricide connut d'une manière certaine le départ d'Alachraf, il fut troublé et lui envoya offrir de rendre la ville. Alachraf consentit à l'échange, lui livra Rakka et reçut Sindjar, au commencement de djoumada Ier de l'année 617 (4 juillet 1220). Le prince de cette dernière ville l'abandonna ainsi que ses frères avec leurs familles et leurs richesses. Ce fut le dernier des rois de la famille de l'atabek (Zengui) à Sindjar. Louange au vivant, au durable, dont le royaume n'a pas de fin ! Le temps pendant lequel ils restèrent en possession de Sindjar fut de quatre-vingt quatorze ans. Telle est la manière d'agir du monde envers ses fils.[121] Périsse donc une demeure si perfide à l'égard de ses habitants !

Lorsqu’Almélic-Alachraf se fut emparé de Sindjar, il se mit en marche pour se rendre à Mossoul, afin de passer outre. Il expédia en avant ses troupes, dont il arrivait chaque jour à Mossoul un détachement considérable. Enfin, lui-même arriva avec les derniers, le mardi 19e jour de djoumada Ier (22 juillet 1220). Le jour de son entrée fut un jour solennel. Les ambassadeurs du khalife et de Mozaffer-eddyn vinrent le trouver pour traiter de la paix, offrant de rendre tous les châteaux forts pris à Bedr-Eddyn, à l'exception du château d'Alimâdiya, qui resterait entre les mains de Zengui. Ils représentaient qu'il était à propos d'accueillir cette proposition, afin que les troubles cessassent et que l'on pût s'occuper de faire la guerre sainte aux Francs. Les pourparlers se prolongèrent à ce sujet environ deux mois. Après quoi, Alachraf décampa dans l'intention d'attaquer Mozaffer-Eddyn, prince d'Irbil. Il arriva à la bourgade de Sélamiya, dans le voisinage du fleuve Zab. Mozaffer-Eddyn était campé sur ce fleuve, du côté d'Irbil. Alachraf envoya de nouveau des ambassadeurs, car la campagne de l'armée s'était prolongée, les soldats étaient excédés, et Nasir-Eddyn, prince d'Amid, avait de la propension vers Mozaffer-Eddyn. En conséquence, il conseilla de consentira ce que le prince d'Irbil avait offert, et d'autres l'aidèrent dans ses efforts. On acquiesça à ses propositions, et l'on fit la paix aux conditions sus énoncées. On convint d'un terme pour les restitutions promises; Zengui fut conduit à Almélic-Alachraf, afin de rester près de lui comme otage jusqu'au temps de la remise des châteaux forts. La citadelle d'Alakr et celle de Chouch, qui appartenaient à Zengui, furent aussi livrées aux lieutenants d'Alachraf, comme un gage de la remise des châteaux qu'on était convenu de livrer à ce prince. Dès que ceux-ci auraient été remis, Zengui serait relâché, et on lui restituerait le château d'Alakr et celui de Chouch. On jura d'exécuter ces conditions. Alachraf livra à Zengui les deux forteresses et retourna à Sindjar. Son départ de Mossoul eut lieu le 2e jour du mois de ramadhan 617 (31 octobre 1221 de J. C.). On envoya des messagers dans les châteaux, afin qu'ils fussent remis aux lieutenants de Bedr-eddyn. Mais on ne lui livra que le château de Djellasaoura, dans le canton des Haccariens. Quant au reste des citadelles, les troupes qui les occupaient manifestèrent hautement leur intention de résister à la convention. Le temps fixé s'écoula, et on ne livra rien autre chose que Djellasaoura. Imad-Eddyn Zengui s'attacha à Chihâb-Eddyn Ghazi, fils d'Almélic-Aladil, embrassa son service et rechercha sa faveur. Ce prince chercha à lui rendre propice son frère Almélic-Alachraf. En conséquence, Alachraf conçut de l'inclination pour Zengui, le mit en pleine liberté et retira ses propres lieutenants des deux châteaux d'Alakr et de Chouch, pour les lui livrer. Bedr-Eddyn, ayant appris qu'Almélic-Alachraf avait un certain désir de posséder le château de Tell-Yalar, qui avait appartenu de tout temps à la ville de Sindjar, le lui livra après de longues conférences tenues à ce sujet.

Dans cette même année, Izz-Eddyn-Keïcaous, fils de Keïkhosrew, roi du pays de Roum, marcha vers le territoire d'Alep, dans le dessein de s'en emparer. Il avait en sa compagnie Alafdhal, fils de Salah-Eddyn Youssouf. Voici quel fut le motif de cette expédition : il y avait à Alep deux hommes doués d'une grande méchanceté et très portés à nuire aux gens. Ils faisaient des rapports au prince de cette ville, Almélic Addhâhir, fils de Salah-Eddyn, concernant ses sujets, et ils allumèrent par là sa colère. Les habitants d'Alep éprouvèrent de la peine par le fait de ces deux hommes. Quand Addhâhir fut mort et que Chihâb-Eddyn Thogril eut été investi de l'autorité,[122] il éloigna ces individus et d'autres encore qui tenaient la même conduite, ferma cette porte sur ceux qui agissaient de la sorte et ne donna accès près de lui à aucun de ces artisans de malheur. Lorsque les deux misérables virent que leur crédit était en baisse,[123] ils se tinrent dans leur logis. Mais la population excita contre eux du tumulte, les tourmenta et les menaça, à cause du mal qu'ils lui avaient fait précédemment éprouver. Les malheureux conçurent de la crainte, quittèrent Alep et se rendirent près de Keïcaous. Ils lui suggérèrent le désir de s'emparer d'Alep et lui persuadèrent que dès qu'il se dirigerait vers cette ville, personne n'oserait tenir ferme devant lui, qu'il s'en rendrait maître et qu'il lui serait également facile de conquérir les villes situées au delà. Quand il eut formé cette résolution, des gens bien avisés parmi ses officiers lui adressèrent des conseils et lui dirent : « Cela ne te réussira pas, à moins que tu n'aies avec toi quelqu'un de la famille d'Ayoub, à qui il soit agréable à la population de la contrée et à son armée de faire leur soumission. Cet Afdhal, fils de Salah-Eddyn, est soumis à ton autorité. Il te convient donc de l'emmener avec toi et de conclure avec lui une convention au sujet des pays dont vous vous rendrez maîtres. Tant qu'il sera en ta compagnie, la population t'obéira et ce que tu désireras te sera facile. » Le sultan de Roum manda de Soumeîçâth Alafdhal, le reçut avec honneur, lui fit remettre une grande quantité de chevaux, de tentes et d'armes, etc. Il fut convenu entre Alafdhal et Keïcaous que ce que le sultan conquerrait, tant Alep que ses dépendances; appartiendrait à Alafdhal, qui reconnaîtrait la suprématie de son allié, au nom duquel on réciterait le prône du vendredi dans toute l'étendue de ce territoire. Après quoi l'on se dirigerait vers la Mésopotamie, et ce que l'on conquerrait de ce qui appartenait à Almélic Alachraf, comme Harrân et Erroha, dans le Djézireh, resterait à Keïcaous. On garantit par des serments l'exécution de cet accord, on rassembla des troupes et l'on se mit en marche. Les deux princes alliés prirent Kalah (ou la forteresse de) Raban, et Afdhal se mit en possession de cette place. Les populations conçurent alors du penchant pour les souverains confédérés. Ceux-ci reprirent leur marche dans la direction de Tell-Bâcher, ou se trouvait le prince de cette ville, Ibn (le fils de) Bedr-Eddyn Dolderim Alyarouky.[124] Ils l'y assiégèrent, le serrèrent de près et lui prirent sa forteresse. Keïcaous la garda pour lui-même et ne la livra pas à Alafdhal. Ce dernier conçut des appréhensions à cause de cette conduite et dit : « Voilà le commencement de la trahison. » Il craignit que si Keïcaous s'emparait d'Alep, il ne tînt envers lui une pareille conduite, si bien que lui-même recueillît pour tout résultat de détruire sa propre famille au profit d'autrui. Ses résolutions se refroidirent, et il renonça à son entreprise. Il en fut de même de la part des habitants du pays, qui s'imaginaient qu'Alafdhal en deviendrait maître et que leur situation s'en trouverait plus commode. Mais quand ils virent qu'il en était tout autrement, ils se tinrent en repos. Quant à Chihâb-Eddyn, tuteur du fils d'Addhâhir, prince d'Alep, il ne quitta pas la citadelle d'Alep, se gardant bien d'en descendre ou de s'en éloigner d'aucune façon. Telle était sa coutume depuis qu'Addhâhir était mort, de peur que quelque rebelle ne se soulevât contre lui. Quand survint cette affaire, il craignit qu'on ne l'assiégeât. Peut-être que les habitants de la ville et la milice auraient livré la ville à Alafdhal, à cause de leur inclination pour ce prince. Chihâb-Eddyn envoya un message à Mélik Alachraf, fils d'Almélic Aladil, prince du Djézireh, de Khélath, etc., pour le mander à Alep, promettant qu'on s'y soumettrait à lui, qu'on réciterait en son nom la prière du vendredi, qu'on frapperait la monnaie en son honneur, et qu'on lui laisserait prendre celles des dépendances d'Alep qui lui plairaient. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que le fils d'Addhâhir avait pour mère la sœur d'Alachraf. Ce prince consentit à la demande qui lui était adressée, et marcha vers Alep avec les troupes qu'il avait sous sa main, envoyant des ordres aux autres pour les appeler près de lui. Ces nouvelles le réjouirent, à cause de l'avantage qui en résultait pour tout le inonde. Il fit venir près de lui les Arabes de la tribu de Thaï et d'autres encore, et campa en dehors d'Alep. Lorsque Keïcaous se fut emparé de Tell-Bâcher, Alafdhal lui avait conseillé d'attaquer promptement Alep avant que les troupes n'eussent le temps de s'y rassembler, et avant qu'on ne s'y tînt sur ses gardes et l'on n'y fît des préparatifs de défense. Mais le sultan renonça à suivre cet avis et se mit à dire : « Mon sentiment, c'est que nous nous dirigions vers Manbedj, afin qu'il ne leur reste aucune place située sur nos derrières et qui leur inspire le projet de traîner les choses en longueur et de laisser couler le temps sans aucune utilité. » Les confédérés se dirigèrent de Tell-Bacher vers Manbedj, et Alachraf s'avança vers eux, ayant les Arabes à son avant-garde. Un détachement de l’armée de Keïcaous, fort d'environ mille cavaliers, avait pris les devants pour lui servir d'avant-garde. Eux, les Arabes et ceux des soldats d'Alachraf qui les accompagnaient se rencontrèrent et engagèrent le combat. Le détachement de Keïcaous fut mis en déroute; et retourna trouver son chef, tout en désordre. Les Arabes lui firent beaucoup de captifs et lui enlevèrent un grand butin, grâce à l'excellence de leurs chevaux et au mauvais état[125] de ceux des Turcs. Lorsque les compagnons de Keïcaous arrivèrent près de lui en fugitifs, il ne tint pas ferme, mais retourna sur ses pas, doublant[126] les étapes pour regagner ses possessions, tout craintif et se tenant sur ses gardes. Quand il fut arrivé aux frontières de ses Etats, il s'arrêta. Il n'agit de la sorte que parce qu'il était encore un tout jeune garçon, plein d'illusions et dépourvu de connaissances dans l'art de la guerre. Sans cela il aurait su que constamment les avant-gardes des armées ont ensemble des rencontres. Après ce succès Alachraf reprit sa marche, s'empara de Raban et assiégea Tell-Bâcher, où se trouvait un corps de l'armée de Keïcaous. Cette troupe lui livra bâtai Ile, mais elle essuya une défaite, et le château lui fut enlevé; après quoi Alachraf la remit en liberté. Quand ces malheureux arrivèrent près de Keïcaous, il les fit placer dans une maison à laquelle il mit le feu, si bien qu'ils y périrent. Cette exécution fut très pénible pour tout le monde, on la considéra comme une action honteuse et un trait de faiblesse. En conséquence, Dieu n'accorda pas de répit à Keïcaous, mais il hâta son châtiment, à cause de l'abus qu'il avait fait de sa puissance, de l'excès de sa sévérité et parce que son cœur était dépourvu de tout sentiment de miséricorde. Le sultan ne tarda pas à mourir après cet événement. Alachraf livra Tell-Bâcher et d'autres places du territoire d'Alep à Chihâb-Eddyn, tuteur du prince d'Alep. Il avait formé le projet de poursuivre Keïcaous et d'entrer dans ses Etats. Mais il reçut la nouvelle de la mort de son père Almélic Aladil, et le bien des affaires exigea qu'il retournât à Alep, parce que les Francs se trouvaient en Egypte, et que lorsqu'un sultan aussi puissant qu'Aladil vient à mourir, il survient souvent dans ses États des désordres dont on ne peut prévoir l'issue. Alachraf retourna donc à Alep, et chacun des deux princes se trouva préservé du tort qu'aurait pu lui causer son adversaire.

Almélic Aladil Abou-Bekr, fils d'Ayoub, mourut le 7 de djoumada second de l'année 615 (31 août 1218 de J. C). Nous avons raconté le commencement de la puissance de sa famille, à l'époque où son oncle paternel Açad-Eddyn Chyrcouh s'empara de l'Egypte, en l'année 564 (1169 de J. C). Lorsque son frère Salah-Eddyn Youssouf se fut rendu maître de l'Egypte après son oncle, et au moment où il partait pour la Syrie, il établissait Abou-Bekr comme son lieutenant en Egypte, car il avait pleine confiance en lui, connaissant la grande sagesse dont il était doué et la bonté de sa conduite. Après que Salah-Eddyn fut mort, son frère s'empara de Damas et de l'Egypte, ainsi que nous l'avons raconté, et resta en possession de ces provinces jusqu'à la date dont il est question actuellement. Lorsque les Francs se montrèrent, comme nous l'avons rapporté, l'année 614 (1217 de J. C), Aladil se dirigea vers Merdj-as-Soffar; et quand l'ennemi marcha vers l'Egypte, il se transporta, de son côté, à Alikyn.[127] Il y séjourna, tomba malade et mourut. On transporta son corps à Damas et on l'ensevelit dans le mausolée qui avait été construit pour lui dans cette ville. Aladil était un homme prudent, doué d'un jugement droit, fort rusé, plein d'artifice, patient, doux, temporisateur. Il entendait des propos qui lui étaient désagréables et gardait le silence, de sorte que l'on eût dit qu'il ne les avait pas entendus, il savait dépenser beaucoup en cas de nécessité, sans s'arrêter devant aucune considération, mais il en usait différemment quand le besoin n'exigeait pas qu'il agît ainsi. Il était âgé de soixante-quinze ans et quelques mois, étant né dans le mois de moharrem de l'année 540 (14 juin 23 juillet 1145). Il s'était emparé de Damas, au mois de chaban de l'année 502 (juin 1196 de J.-C.), sur Alafdhal, fils de son frère, et de l'Egypte, dans le mois de rebi second de l'année 396 (20 janvier 17 février 1200), également sur Alafdhal. Parmi les choses les plus extraordinaires que j'ai vues, en ce qui concerne la discordance des horoscopes, est celle-ci : Alafdhal ne posséda jamais une principauté quelconque sans que son oncle Aladil la lui enlevât: En premier lieu Salah-Eddyn donna i son fils Alafdhal Harrân, Erroha, Meiyafarikyn, l'année 586 (1190 de J. C), après la mort de Taky-Eddyn. Alafdhal se mit en marche vers ces places. Mais quand il fut arrivé à Alep, son père envoya après lui Almélic Aladil, qui le fit revenir d'Alep et lui reprit les villes susnommées. Dans la suite Alafdhal posséda, après la mort de son père, la ville de Damas, mais Aladil la lui enleva. Puis le premier posséda Sarkhod, qui lui fut également enlevé par son oncle. Quelque chose de plus étonnant que cela, c'est que j'ai vu à Jérusalem, dans l'église de Sion, une colonne de marbre renversée, qui n'avait pas sa pareille. Le prêtre chrétien qui se trouvait dans l'église me dit: « Cette colonne avait été prise par Almélic Alafdhal, qui voulait da transporter à Damas. Mais Aladil la prit ensuite à Alafdhal, après la lui avoir demandée. » Voici le dernier terme des astres ascendants, et c'est une des choses les plus surprenantes que l'on puisse raconter. De son vivant Aladil avait partagé les provinces entre ses enfants. Il plaça en Egypte Almélic Alcamil Mohammed ; à Damas, à Jérusalem, à Tibériade, dans le district d'Alordonn, à Carac et dans d'autres provinces avoisinantes, son fils Almoaddham Iça; il assigna une partie du Djézireh, Meiyafarikyn, Khélath et ses dépendances à son fils Almélic Alachraf Mouça ; donna Erroha à son fils Chihâb-Eddyn Ghâzy; Kalah-Djabar à son fils Alhafidh, Arslan-chah. Quand il fut mort, chacun d'eux resta bien affermi dans la principauté que son père lui avait donnée. Ils vécurent dans une excellente intelligence, sans qu'il s'élevât entre eux de désaccord, comme c'est la coutume entre les fils des rois après leur père. Bien au contraire, ils formaient comme une seule âme, chacun d'eux ayant confiance en l'autre, au point de se rendre près de lui séparément de son armée et sans éprouver de crainte. En conséquence, leur royaume augmenta et ils obtinrent une obéissance et un pouvoir tels que leur père n'en avait pas obtenu. Par ma foi, c'étaient là d'excellents rois, ils possédaient de l'intelligence, savaient faire la guerre aux infidèles et défendre l'islamisme. Il suffit, pour le prouver, de la calamité de Damiette. Quant à Almélic Alachraf, c'était un prince libéral, l'argent n'avait aucune valeur à ses yeux, mais il le faisait pleuvoir abondamment, il s'abstenait de toucher aux richesses de ses sujets, leur faisait du bien sans de continuer et n'écoutait aucune délation.

Au mois de dhoû’lka’dah (19 janvier 17 février 1219), Almélic Alcamil décampa du territoire de Damiette, parce qu'il avait appris qu'un certain nombre d'émirs étaient convenus de faire roi en sa place son frère Alfaïz. Il les craignit et abandonna son campement, où les Francs se transportèrent. Alors ils assiégèrent Damiette par terre et par mer, et furent maîtres d'agir ainsi. C'est ce qui a été raconté en détail sous l'année 614 (1217).

ANNEE 616 DE L'HEGIRE (1219 — 1220 DE J. C.)

Almélic Alghâlib (le roi victorieux), Izz-eddyn Keïcaous, fils de Keïkhosrew, fils de Kilidj-Arslan, prince de Koniya, d'Aksara, de Malathia et de la partie du pays de Roum (Asie Mineure) comprise entre ces deux villes, mourut cette année-là. Il avait rassemblé ses troupes et s'était mis en marche vers Malathia, avec l'intention d'attaquer les Etats d'Almélic Alachraf, en vertu d'un accord conclu entre lui et entre Nasir-Eddyn, prince d'Amid, et Mozaffer-Eddyn, prince d'Irbil. Ces princes avaient fait réciter en son nom la prière du vendredi, avaient fait inscrire ce même nom sur la monnaie dans l’étendue de leurs Etats et avaient formé une confédération contre Almélic Alachraf et Bedr-Eddyn, prince de Mossoul. En conséquence, Keïcaous marcha vers Malathia, afin qu’Almélic Alachraf fût empêché par ce mouvement de se porter vers Mossoul, au secours du maître de cette ville Bedr-Eddyn, et dans l'espoir que peut-être Mozaffer-Eddyn obtiendrait quelque succès à Mossoul. Mais Keïcaous était atteint de la phtisie pulmonaire; sa maladie ayant redoublé, il revint de Malathia et mourut. Son frère Keîkobad régna après lui. Ce prince était dans une prison, où Keïcaous le retenait depuis qu'il lui avait enivré ses États. Un des officiers de Keïcaous lui conseilla de le mettre à mort, mais il n'en fit rien. Lorsque le sultan mourut, il ne laissa aucun fils qui fût propre à lui succéder, à cause du bas âge de ses enfants. L'armée fit sortir de prison Keîkobad et le reconnut comme roi. Quiconque sera traité injustement, Dieu le secourra.[128] On dit aussi que quand la maladie de Keïcaous redoubla, ce sultan dépêcha un envoyé, fit venir de sa prison Keîkobad, lui légua la royauté et lui fit prêter serment par ses sujets. Lorsque Keîkobad fut devenu roi, son oncle paternel, le prince d'Arzen-Erroum, se déclara son ennemi, et il conçut aussi des craintes au sujet des Grecs qui avoisinaient ses États. En conséquence, il envoya un message à Almélic Alachraf et fit la paix avec lui. Les deux princes convinrent de vivre en bonne intelligence et de se prêter assistance. Ils s'allièrent par mariage et Alachraf fut préservé de tout dommage de ce côté-là. Aussi son esprit put-il vaquer uniquement à pacifier les contrées qui étaient dans son voisinage immédiat. Il a dit bien vrai celui-là qui a dit : « Il n'y a de sort vraiment heureux (pour toi) que celui qui empêche les gens de te nuire.[129] » On eût dit que c'était Alachraf que l'ou avait eu en vue dans ces paroles : « Ta félicité est un lancier qui frappe sans javeline. » Tel est le fruit des bonnes intentions. Car Alachraf était rempli de bonnes intentions à l'égard de ses sujets et de ses compagnons, s'abstenant de toute vexation qui aurait pu les atteindre par son fait, ne se dirigeant pas vers les provinces qui avoisinaient lès siennes pour les tourmenter ou les conquérir, et cela malgré la faiblesse de leurs possesseurs et sa propre puissance. En conséquence, les provinces venaient lui faire leur soumission par amitié et spontanément.

Le 8 de safer (25 avril 1219) mourut Kothb-Eddyn Mohammed, fils de Zengui, fils de Maudoud, fils de Zengui, prince de Sindjar. C'était un homme généreux, tenant une bonne conduite envers ses sujets, ayant de bons procédés à l'égard des marchands et leur faisant beaucoup de bien. Quant à ses officiers, ils jouissaient près de lui de l'existence la plus large, et il les accablait tous de ses libéralités; aussi ne craignaient-ils pas d'éprouver de sa part des vexations. Mais il était incapable de défendre sa ville, et abandonnait le soin des affaires à ses lieutenants. Quand ce prince fut mort, son fils Imad-eddyn Chahanchah lui succéda, et les habitants de Sindjar l'accompagnèrent dans la cavalcade qui marqua son avènement. Il resta plusieurs mois en possession de Sindjar et se transporta ensuite à Tell-Aafar, qui lui appartenait.[130] Son frère Omar, fils de Mohammed, s'introduisit près de lui, en compagnie de plusieurs personnes qui le tuèrent. Le fratricide succéda à sa victime et resta maître du pouvoir, jusqu'à ce qu'il livrât Sindjar à Almélic Alachraf, ainsi que nous le raconterons, s'il plaît à Dieu. Il ne jouit pas de son pouvoir, celui qui en vue de, l’obtenir a violé les liens de la parenté et répandu le sang qui devait lui demeurer sacré. Lorsque ce prince eut livré Sindjar à Alachraf, il reçut en échange Arrakka. Mais elle lui fut reprise pou de temps après et il ne tarda pas à mourir, perdant en même temps sa vie et sa jeunesse. Telle est la fin réservée à la violation des lois du sang. Leur conservation prolonge l'existence, et leur rupture la détruit

Au mois de moharrem (19 mars — 17 avril 1219), Imad-Eddyn Zengui fut mis en déroute par l'armée de Bedr-Eddyn.

Le 20 de redjeb (1er octobre 1219), Bedr-Eddyn fut vaincu par Mozaffer-Eddyn, prince d'Irbil, et ce dernier retourna dans sa ville capitale. Le récit détaillé de cet événement a été donné ci-dessus, à la date de l'année 615 (1218 de J. C).

Le 27 de chaban (7 novembre 1219), les Francs s'emparèrent de la ville de Damiette, ainsi qu'il a été raconté en détail sous la date de l'année 614 (1217-1218 de J. C).

ANNEE 617 DE L'HEGIRE (8 MARS 1220 — 24 FEVRIER 1221 DE J. C.)

L'islamisme et les Musulmans furent éprouvés dans ce temps-là par des calamités par lesquelles n'avait été éprouvée aucune autre nation. Au nombre de ces maux étaient les Tartares (puisse Dieu les couvrir de honte!), qui s'avancèrent de l’orient et commirent des actions, que réprouvera[131] quiconque en entendra le récit. Lecteur, tu verras ces actions racontées en détail et d'une manière non interrompue, s'il plaît à Dieu très haut. Une autre calamité fut la marche des Francs (que Dieu les maudisse!) de l'occident vers la Syrie, leur attaque contre l'Egypte et la conquête faite par eux de sa place frontière Damiette. Les provinces d'Egypte, de Syrie, etc. furent sur le point d'être conquises par eux, si ce n'avait été la grâce de Dieu et le secours qu'il leur prêta contre ces ennemis. Nous avons raconté cela sous l'année 614 (1217 1218). Une autre calamité, c'est que ce qui échappa à ces deux troupes (les Mongols et les Francs) fut en proie à la guerre intestine et à la discorde, ce que nous avons aussi raconté. Certes nous appartenons à Dieu et nous retournerons auprès de lui. Nous demandons à Dieu qu'il rende possible pour l'islamisme et les Musulmans un secours venant de lui. Car l'auxiliaire, l'assistant et le défenseur de l'islamisme font défaut. Quand Dieu veut du mal a un peuple, il n'y a pas moyen de le détourner, et il n'y a pas pour ce peuple de protecteur en dehors de Dieu. Lorsque l'hiver eut atteint les Tartares près d'Hamadan et dans le Djebel (Irak persique), ils souffrirent d'un froid violent et d'une neige épaisse. En conséquence, ils marchèrent vers l'Azerbaïdjan, et commirent sur leur chemin, dans les bourgades et dans les petites villes, des meurtres et des pillages semblables à ceux que nous avons déjà racontés. Ils dévastèrent et brûlèrent tout sur leur passage, et arrivèrent enfin près de Tabriz, où se trouvait le prince de l'Azerbaïdjan,[132] Uzbek, fils d'Elbehlévân. Il ne sortit pas à leur rencontre, et ne songea pas à les combattre, car il était occupé, de propos délibéré, à boire jour et nuit, sans discontinuer. Il se contenta donc de leur envoyer des députés et fit la paix avec eux, moyennant une somme d'argent et une quantité d'étoffes et de bêtes de charge qu'il leur fit remettre. Ils s'éloignèrent de sa capitale, et prirent le chemin qui conduit au rivage de la mer (Caspienne), parce qu'il était d'une température peu froide,[133] qu'ils voulaient y passer l’hiver et que, d'ailleurs, les pâturages y étaient fort abondants pour leurs bêtes de somme. Ils arrivèrent dans le canton de Moukân, et se détournèrent de leur route pour marcher vers le pays des Géorgiens.[134] Un nombreux détachement de troupes géorgiennes (environ dix mille combattants) vint à leur rencontre. Les Tartares le combattirent, le mirent en déroute et en tuèrent la plus grande partie. Les Géorgiens envoyèrent des députés à Uzbek, prince de l'Azerbaïdjan, pour le prier de leur accorder la paix et de se joindre à eux contre les Tartares. La paix fut conclue, et l'on convint de se réunir lorsque l'hiver serait, passé. Les Géorgiens envoyèrent, également des ambassadeurs à Almélic Alachraf, fils d'Almélic-Aladil, prince de Khélath et du Djézireh, pour lui demander du secours contre les Tartares. Tous les confédérés pensèrent que les Tartares se tiendraient en repos tout l'hiver, jusqu'au printemps. Mais ils n'agirent pas ainsi; au contraire, ils se mirent en mouvement, et marchèrent vers le pays des Géorgiens. Un esclave turc, appartenant à Uzbek et nommé Acouch,[135] se joignit à eux et rassembla les habitants de ces montagnes et de ces déserts, Turcomans, Kurdes et autres. Une multitude considérable se réunit à lui. Il envoya proposer aux Tartares de se joindre à eux. Ils y consentirent et eurent de l'inclination pour lui, à cause de la communauté d'origine.[136] La troupe d'Acouch se réunit donc aux Tartares, et marcha en avant de leur armée contre les Géorgiens. Elle s'empara d'une de leurs forteresses, la ruina, mit toute la contrée au pillage et en tua les habitants. Enfin, ces barbares arrivèrent dans le voisinage de Tiflis. Les Géorgiens se rassemblèrent et sortirent en armes à leur rencontre. Au commencement, Acouch les combattit, avec les troupes qui s'étaient jointes à lui. On se livra un combat des plus vifs, dans lequel chacun déploya un grand courage. Beaucoup de soldats d'Acouch furent tués, mais les Tartares survinrent en ce moment. Les Géorgiens étaient las de combattre, et beaucoup d'entre eux avaient succombé. Pour cette double raison ils ne tinrent pas devant les Tartares et prirent honteusement la fuite. On en fit de toutes parts un grand carnage, et il en périt une multitude innombrable. La rencontre eut lieu dans le mois de dsou’lkada de cette année (janvier 1221).[137] Les Tartares pillèrent tous les pays qui jusqu'alors avaient échappé à leurs dévastations.

Il arriva à ces Tartares ce dont on n'a pas entendu raconter le pareil dans les temps anciens ou récents. Une troupe d'hommes vient à quitter les confins de la Chine. Il ne s'écoule pas une année avant qu'une partie arrive d'un côté dans l'Arménie et dépasse l'Irak (persique), du côté d'Hamadan. Par Dieu, je ne doute pas que celui qui viendra après nous, lorsqu'il se sera passé un long laps de temps, en voyant le récit de cet événement, le révoquera en doute et le regardera comme absurde, se figurant qu'il est seul en possession de la vérité. Mais lorsqu'il concevra une semblable opinion, qu'il considère que nous et tous ceux qui de notre temps ont recueilli des annales, avons retracé ces choses à une époque où chacun des contemporains sait bien que savant et ignorant sont égaux dans la connaissance des événements: à cause de leur grande notoriété. Que Dieu procure aux Musulmans et à l'islamisme quelqu'un qui les garde et les conserve ! Ils ont été livrés à un ennemi puissant, et parmi les rois musulmans, à ceux dont le souci ne dépasse pas la satisfaction de leur gourmandise et de leur incontinence.[138] Depuis que le prophète est venu jusqu'à ce temps-ci les Musulmans n'ont pas été atteints par un dommage et une affliction semblables à ceux où ils sont exposés actuellement. Les Tartares, ces ennemis incrédules, ont foulé aux pieds les provinces de la Transoxiane, s'en sont rendus maîtres, les ont désolées. Qu'il te suffise de connaître l'étendue de ce territoire et comment ce détachement des leurs a franchi l’Oxus pour passer dans le Khoraçan, dont ils se sont emparés, et où ils ont commis des actions semblables A celles qui sont énoncées plus haut. Après quoi ils sont arrivés à Reï et dans le pays du Djébal (Irak persique) et l'Azerbaïdjan, Ils se sont trouvés confiner ainsi aux Géorgiens et leur ont enlevé par force leur territoire. Quant à l'autre ennemi des Musulmans, à savoir les Francs, il s'est montré, venant de son pays, situé sur les confins les plus reculés du territoire des Grecs, entre l'occident et le septentrion, est arrivé en Egypte, a conquis une place telle que Damiette et y a séjourné. Les Musulmans n'ont pas pu les en chasser, ni les en faire sortir, et le reste de l'Egypte a été exposé au danger. Certes nous appartenons à Dieu et nous retournerons vers lui. Il n'y a de force et de puissance qu'en Dieu haut et puissant.

Dans le mois de safer de l'année 618 (27 mars 24 avril 1221), les Tartares s'emparèrent de la ville de Méraga, dans l'Azerbaïdjan. Nous avons raconté sous la date de l'année 617 (1220) ce qu'ils firent aux Géorgiens. L'année 617 prit fin (le 25 février 1221), que les Tartares étaient encore dans le pays des Géorgiens. Lorsque l'année 618 eut commencé, ils évacuèrent le pays, parce qu'ils avaient devant eux une nation puissante, et des défilés qui exigeraient des combats et de violentes fatigues.[139] Ils s'éloignèrent donc des Géorgiens; car c'était leur coutume, lorsqu'ils attaquaient une ville et qu'ils éprouvaient de la résistance de la part des habitants, de s'éloigner de cette place. . . . Le khalife envoya l'ordre à Almélic Alachraf de venir en personne avec ses troupes, afin que l'on marchât en force contré les Tartares, et qu'on les attaquât. Or il se trouva par hasard qu'Almélic Almoaddham, fils d'Almélic Aladil, arriva de Damas près de son frère Alachraf, qui était d’Harrân, pour lui demander du secours contre les Francs qui étaient en Egypte. Il le pria de se joindre à lui, afin qu'ils marchassent ensemble vers cette province et qu'ils reprissent Damiette aux Francs. Alachraf s'excusa près-du khalife sur la présence de son frère et sur la force des Francs en Egypte, alléguant que si l'on n'y portait pas remède, ce pays et d'autres encore échapperaient à la domination musulmane. Il commença donc à faire ses préparatifs pour marcher vers la Syrie, afin d'entrer ensuite en Egypte. C'est alors qu'arriva ce que nous avons raconté touchant la reprise de Damiette.

Après avoir pris et pillé Beïlékân, dans le mois de ramadhan 618(19 octobre au 17 novembre 1221), les Tartares se dirigèrent vers la ville de Guendjeh, métropole de l'Arran. Mais ils eurent connaissance de la force de Guendjeh, du grand nombre de ses habitants et de leur bravoure, qui avait pour cause l'habitude où ils étaient de combattre les Géorgiens.[140] En conséquence, les Tartares n'osèrent pas l'attaquer; ils envoyèrent demander aux habitants une somme d'argent et une certaine quantité d'étoffes. Les habitants de Guendjeh leur firent porter ce qu'ils demandaient, et ils s'éloignèrent. Lorsque les Tartares n'eurent plus à s'occuper des possessions des Musulmans dans l'Azerbaïdjan et l'Arran, ayant fait la conquête d'une portion et ayant conclu-la paix avec le reste, ils marchèrent vers le pays des Géorgiens, situé également de ce côté. Les Géorgiens s'étaient préparés d'avance à leur résister. Ils firent marcher une armée considérable vers les frontières de leur pays, afin d'en repousser les Tartares. Mais ceux-ci les ayant rencontrés et attaqués, ils ne tinrent pas ferme et prirent la fuite; les Tartares en firent un grand carnage, et il n'en échappa qu'un petit nombre qui sévirent réduits à errer çà et là. J’ai appris qu'environ 30.000 Géorgiens furent tués. Les Tartares pillèrent les parties de la Géorgie dans lesquelles ils pénétrèrent, les dévastèrent et s'y conduisirent comme ils avaient coutume de le faire. Lorsque les fuyards, arrivèrent à Tiflis, où se trouvait leur roi, ce prince rassembla de nouvelles troupes, qu'il envoya contre les Tartares, afin de les repousser de l'intérieur du royaume. Mais ces troupes virent que les Tartares étaient déjà entrés dans le pays sans que montagne, ni défilé, ni aucun autre obstacle les arrêtât; en conséquence, elles retournèrent à Tiflis et évacuèrent la contrée. Les Tartares y commirent tout ce qu'ils voulurent : pillage, meurtres et dévastations. Ils trouvèrent une région remplie de défilés et de passages difficiles.[141] Aussi n'osèrent-ils s'y engager plus avant, et ils revinrent sur leurs pas. Les Géorgiens conçurent une si grande crainte des Tartares, que j'ai entendu dire à un des principaux personnages de la Géorgie qui était venu dans les contrées musulmanes, en qualité d'ambassadeur: « Si quelqu'un vous raconte que les Tartares ont été mis en déroute ou faits prisonniers, ne le croyez pas; mais lorsqu'on vous racontera qu'ils ont été tués les armes à la main, croyez-le. Certes ils ne prendront jamais la fuite. Nous avons fait un Tartare prisonnier; mais il s'est jeté en has de sa monture et frappé de sa tête contre des pierres jusqu'à ce qu'il mourût, car il n'a pas pu se résigner à la captivité. »

Les Tartares arrivèrent à la ville de Soudak,[142] capitale du Kifdjak, et dont les habitants de cette contrée tirent leurs vivres;[143] car elle est située sur la hier des Khazars (la mer Noire), et les vaisseaux y abordent chargés d'étoffes. Les Kifdjaks leur en achètent, et ils leur vendent des jeunes filles, des esclaves, du borthasi (renard noir[144]), du castor, du petit-gris, et autres productions de leur pays. Cette mer des Khazars est contiguë avec le détroit de Constantinople. Les Tartares étant arrivés à Soudak, s'en emparèrent. Les habitants abandonnèrent leur ville. Quelques-uns gravirent les montagnes avec leurs familles et leurs richesses; d'autres s'embarquèrent, et firent voile vers les Etats des enfants de Kilidj-Arslan, est Asie Mineure.

Lorsque les Tartares se furent emparés du Kifdjak, et que les Kifdjaks se furent dispersés, comme nous l'avons raconté, une nombreuse troupe de ces derniers marcha vers le pays des Russes. Ce pays est une contrée immense, tant en longueur qu'en largeur, qui avoisine le Kifdjak, et dont les habitants professent la religion chrétienne. Quand les Kifdjaks fugitifs furent arrivés près des Russes, toute la nation se réunit, et convint unanimement de combattre les Tartares, si ce peuple se dirigeait contre elle. Les Tartares séjournèrent quelque temps dans le Kifdjak, puis ils se mirent en marche, dans l'année 620 (1223), vers le pays des Russes. Les Russes et les Kifdjaks reçurent la nouvelle de leur approche. Comme ils étaient tout prêts à les combattre, ils se dirigèrent au-devant d'eux en troupes innombrables, afin de les rencontrer avant qu'ils entrassent dans leur pays, et de les repousser de leurs frontières. L'avis de leur marche étant parvenu aux Tartares, ils revinrent sur leurs pas; les Russes et les Kifdjaks se flattèrent de les vaincre, et, croyant que leur retraite avait pour motif la crainte d'être battus, ils les poursuivirent vivement. Les Tartares ne cessèrent pas de battre en retraite, suivis par l'ennemi durant douze jours; après quoi, ils se retournèrent contre les Russes et les Kifdjaks. Ceux-ci n'eurent connaissance de ce mouvement offensif qu'en se voyant attaqués à l'improviste; car ils avaient cessé de craindre les Tartares et avaient conçu dans leur pensée l'espoir de les vaincre. Avant que leurs préparatifs de combat fussent achevés, les Tartares eurent le temps d'en tuer un grand nombre. Les deux armées montrèrent un courage inouï, et la lutte se prolongea durant plusieurs jours; mais à la fin les Tartares furent vainqueurs. Les Kifdjaks et les Russes essuyèrent une déroute complète, après que les Tartares eurent fait parmi eux un grand carnage. Beaucoup de fuyards furent massacrés; et un très petit nombre d'entre: eux parvinrent à s'échapper. Tout ce qu'ils avaient avec eux fut pillé. Ceux qui échappèrent arrivèrent dans leur pays dans l'état le plus fâcheux, épuisés par la longueur du chemin, et aussi par la déroute. Les Tartares les poursuivirent, tuant, pillant et dévastant, de sorte que la plus grande partie du pays fut abandonnée de ses habitants. Beaucoup d'entre les principaux marchands russes et des plus riches de la contrée se réunirent, emportèrent ce qu'ils, avaient de plus précieux, et se mirent en mer sur plusieurs vaisseaux, afin de passer dans le pays des Musulmans. Lorsqu'ils approchèrent du port où ils voulaient débarquer, un de leurs vaisseaux se brisa et fut submergé; mais l'équipage parvint à se sauver. C’était la coutume que le sultan fût maître (de la cargaison) de tous les vaisseaux qui se brisaient sur ses côtes. En conséquence, il retira de ce vaisseau des richesses considérables. Les autres vaisseaux échappèrent, et ceux qui les montaient racontèrent les événements qu'on vient de lire.[145]

Vers la fin de cette année, Almélic-Alachraf Mouça, fils d'Aladil, donna en fief la ville de Khélath, ainsi que tous les cantons de l'Arménie, la ville de Meïafarékïn dans le Diarbecr et la ville de Hâny à son frère Chihâb-eddyn Ghazy, en lui reprenant la ville d'Erroha (Édesse) et celle de Seroudj, dans le Djézireh. Il l'envoya à Khélath, au commencement de l'année 618 (fin de février 1221). Voici quel fut le motif de cette mesure prise par Alachraf. Lorsque les Tartares se furent dirigés vers le pays des Géorgiens, qu'ils les eurent mis en déroute, qu'ils eurent pillé leur territoire et tué beaucoup de ses habitants, les Géorgiens envoyèrent à Uzbek, prince de l'Azerbaïdjan et de l'Arran, un message par lequel ils lui demandaient une trêve et sollicitaient son concours pour repousser des Tartares. Un message dans le même sens fut adressé à Almélic Alachraf. Dans ces deux documents les Géorgiens disaient : « Si vous ne nous secondez point pour combattre ce peuple et le chasser de notre pays et si vous ne venez point vous-même, à la tête de vos armées, prendre part à cette grande entreprise, nous nous allierons à l'ennemi contre vous. » Les envoyés géorgiens arrivèrent chez Alachraf au moment où celui-ci préparait une expédition contre le territoire égyptien à cause des Francs.

Les Francs étaient la principale préoccupation d'Alachraf, et cela pour diverses raisons. D'abord ils avaient pris Damiette, et tout le reste de l'Egypte avait été sur le point de tomber en leur pouvoir; or, s'ils se fussent emparés de ce pays, nulle autorité autre que la leur n'eût pu se maintenir soit en Syrie, soit ailleurs. En second lieu, les Francs étant très énergiques et avides de domination, ils n'abandonnaient jamais une bourgade qu'ils avaient conquise, à moins qu'il ne leur fût absolument impossible de la conserver. Enfin ils convoitaient la possession de l'Egypte, qui est le siège de l'empire de la famille adilienne. Les Tartares, au contraire, n'étaient pas encore arrivés jusqu'à l'Egypte et n'avaient fait aucune incursion ni dans ce pays, ni dans les autres parties des Etals d'Alachraf; d'ailleurs ils n'étaient point gens à disputer la possession d'un royaume, leur seul but étant le meurtre, le pillage et la ruine du pays, après quoi, ils se transportaient dans une autre contrée.

Quand les envoyés géorgiens apportèrent le message dont nous avons parlé, Alachraf leur répondit en s'excusant sur l'expédition qu'il entreprenait en Egypte afin d'en chasser les Francs : « J'ai confié, leur dit-il, le gouvernement de Khélath à mon frère et lui ai donné l'ordre de se rendre dans cette ville afin qu'il soit dans votre voisinage. Je lui ai laissé des troupes, et, toutes les fois que vous aurez besoin de son assistance, il sera là et vous aidera à repousser les Tartares. » Alachraf se mit ensuite en marche vers l'Egypte, ainsi que nous l'avons dit.

ANNÉE 621 DE L'HEGIRE (24 JANVIER 1224 — 13 JANVIER 1225)

RÉCIT DE LA RÉVOLTE DE CHIHÂB-EDDIN GHAZI CONTRE SON FRERE ALMÉLIC

ALACHRAF ET DE LA PRISE DE KHÉLATH PAR CE DERNIER.

Almélic-Alachraf Moura, fils d'Aladil Abou Bekr, fils d'Ayoub, avait donné en fief à son frère Chihâb-eddyn Ghazy la ville de Khélath, ainsi que tous les cantons d'Arménie, auxquels il avait ajouté la ville de Meïafarékïn, celle de Hâny et le Djebel Djour. Non content de cela, il l'avait encore choisi comme son héritier présomptif pour tous les pays qu'il avait en son pouvoir et il lui avait fait prêter serment par les vice-rois et les troupes du pays. Quand l'Arménie lui eut été livrée, Chihâb-eddyn se rendit dans cette contrée, ainsi que nous l'avons rapporté, où il y demeura jusqu'à la fin de l'année 620 (1223). A cette époque, il manifesta contre son frère Almélic-Alachraf une animosité qui se transforma bientôt en lutte sourde, puis en désobéissance et enfin en rébellion ouverte. Alachraf lui envoya alors des messagers qui essayèrent de le ramener et lui reprochèrent ce qu'il avait fait. Loin de renoncer à ses projets, Chihâb-eddyn s'y attacha plus fortement; il s'entendit avec son frère Almoaddham Iça, prince de Damas, et Mozaffer-eddyn, fils de Zeyn-eddyn, prince d'Arbil, pour lutter contre Alachraf et faire campagne ensemble contre lui. Les coalisés ayant divulgué leur dessein, Alachraf en fut avisé; il envoya aussitôt à son frère Almélic-Alcamil, prince d'Egypte, avec lequel il était d'accord, un messager qui l'informa de la situation et lui demanda assistance. Celui-ci équipa une armée et expédia au prince de Damas, son frère, un message dans lequel il disait : « Si tu quittes ta capitale, je m'y rendrai aussitôt et m'en emparerai. » Ce prince était déjà en marche, se dirigeant vers le pays de Djézireh afin d'aller au rendez-vous qui avait été fixé entre eux; lorsqu'il reçut la lettre de son frère et qu'il apprit les préparatifs qu'il faisait, il revint à Damas. De son côté, le prince d'Arbil avait rassemblé ses troupes et s'était rendu à Mossoul, où il lui arriva ce que nous raconterons plus tard, s'il plaît à Dieu. Quand Alachraf eut acquis la certitude de la révolte de son frère, il réunit ses troupes des provinces de Syrie, du Djézireh et de Mossoul et marcha sur Khélath. Dès qu'Alachraf arriva près de celle ville, Ghazy, saisi de crainte et n'ayant point les forces nécessaires pour aller à la rencontre de son frère et le combattre, répartit ses troupes dans le pays pour y organiser la résistance; puis il attendit que le prince d'Arbil se mît en marche sur les contrées avoisinantes de Mossoul et de Sindjar, et que son frère le prince de Damas marchât contre le pays d'Alachraf dans la direction de l'Euphrate, Errakka, Harrân, etc., et contraignit ainsi ce prince à abandonner sa marche sur Khélath. Mais Alachraf poursuivit sa route et atteignit Khélath. Les habitants de cette ville désiraient Alachraf et préféraient son autorité a cause de la conduite bienveillante qu'il avait tenue envers eux et aussi à cause des mauvais procédés de Ghazy à leur égard. Quand Alachraf parut devant la ville, les habitants la lui livrèrent, le lundi 12 de djoumada II, tandis que Ghazy continuait à résister dans la citadelle. La nuit venue, Ghazy se rendit auprès de son frère pour lui présenter ses excuses et se justifier. Alachraf lui adressa des reproches, mais il usa d'indulgence et ne le punit point; toutefois il lui reprit la ville de Khélath et ne laissa en son pouvoir que Meïafarékïn.

ANNÉE 623 DE L’HÉGIRE (2 JANVIER — 22 DÉCEMBRE 1226)

DE LA PAIX QUI FUT CONCLUE ENTRE ALMOADDHAM ET SON FRERE ALACHRAF.

Nous allons d'abord indiquer le motif de leur querelle. Quand Almélic-Aladil Abou Bekr, fils d'Ayoub, mourut, un louable accord s'établit entre ses fils, qui régnèrent après lui. Ces chefs, Almélic-Alcamil Mohammed, prince d'Egypte, Almélic-Almoaddham Iça, prince de Damas, et Almélic-Alachraf Mouça, prince du pays de Djézireh et de Khélath, se concertèrent dans le dessein de chasser les Francs du territoire de l'Egypte. Quand Alcamil quitta Damiette, alors assiégée par les Francs, son frère Almoaddham vint le trouver dès le lendemain, le réconforta et lui rendit courage, ce qui permit d'éviter un grand désastre, ainsi que nous l'avons déjà dit d'une manière explicite. Almoaddham quitta ensuite l'Egypte et se rendit deux fois dans le pays de Djézireh auprès de son frère Alachraf, dont il sollicita l'appui contré les Francs et qu'il excita vivement à venir au secours de leur frère (Alcamil). Il ne cessa d'insister jusqu'à ce qu'enfin il l'emmenât avec lui en Egypte; ils chassèrent alors les Francs du territoire de l'Egypte, comme nous l'avons dit précédemment.

L'union de ces princes contre les Francs eut pour résultat de préserver le territoire de l'Islam, ce qui causa une grande joie dans tout le peuple. Lorsque les Francs eurent évacué l'Egypte, les princes, fils d'Aladil, rentrèrent chacun dans leur pays, mais ils n'y demeurèrent que peu de temps. Bientôt Alachraf se rendit auprès de son frère Alcamil en Egypte; il passa par Damas, où était son frère Almoaddham, mais il ne lui demanda pas de l'accompagner en Egypte, où il prolongea son séjour. Il n'est pas douteux qu'Almoaddham fut froissé de cela. Plus tard, Almoaddham étant allé mettre le siège devant Hamah, ses deux frères lui adressèrent d'Egypte un message et le contraignirent a s'éloigner de la place qu'il assiégeait, ce qui contribua encore à augmenter l'aversion qu'il avait pour ses deux frères, d'autant plus, assure-t-on, qu'on lui avait rapporté qu'ils s'étaient ligués contre lui. Dieu sait le mieux la vérité. A ces causes d'inimitié vint s'en ajouter une nouvelle : le calife Annâcir Lidinillah avait conçu quelque méfiance à l'égard d'Alcamil, à raison du dédain qu'avait témoigné le fils de ce dernier, l'émir du Yémen, à l'émir des pèlerins de l'Iraq. Il s'était alors écarté d'Alcamil et, par suite, de son frère Alachraf, à cause de l'accord qui unissait les deux frères, et il avait cessé toute relation avec eux. Il envoya un messager à Mozaffer-eddyn Coucboury, fils de Zeyn-eddyn Aly, prince d'Arbil, pour le gagner à sa cause et lui faire part de ses sentiments d'antipathie contre Alachraf. Il fut alors convenu qu'on députerait un messager à Almoaddham et qu'on exagérerait à ses yeux l'importance de cette affaire. Almoaddham se laissa entraîner et abandonna ses frères. Survint ensuite l'invasion de Djélal-eddyn.[146] Comme l'empire de ce prince s'accroissait, la situation d’Alachraf devint critique par suite du voisinage du roi de Khârezm Djélal-eddyn de la province de Khélath, et aussi parce que Almoaddham, à Damas, empêchait d'arriver jusqu'à lui les troupes d'Egypte, celles d'Alep et des autres parties de là Syrie. Dans ces circonstances, Alachraf jugea devoir se rendre à Damas auprès de son frère, il se mit en route au mois de chewâl, et réussit à ramener à lui son frère, avec qui il se réconcilia. Quand Alcamil apprit ces nouvelles, il trouva la situation grave. Il envoya, de concert avec son frère, un message à Almoaddham pour l'informer de l'arrivée de Djélal-eddyn sous les murs de Khélath : les deux frères insistèrent sur l'importance de cette situation en déclarant que, dans ces circonstances, ils devaient s'unir pour assurer la prospérité de la famille adilienne. L'année s'acheva pendant qu'Alachraf résidait encore à Damas et que les troupes étaient demeurées dans leurs foyers, attendant que l'hiver fût terminé et qu'on eût des nouvelles des Kharezmiens. Nous donnerons, sous la rubrique de l'année 624, le récit de ce qu'il advint à Alachraf.

RÉCIT DE LA LUTTE ENTRE LES FRANCS ET LES ARMÉNIENS.

Cette même année, le prince franc, maître d'Antioche, rassemblant de nombreux corps de troupes, marcha contre les Arméniens qui étaient à Eddouroub, le pays d'Ibn Lyoun, et une guerre terrible s'ensuivit. Voici la cause de cet événement. Ibn Lyoun l'Arménien, prince d'Eddouroub, était mort quelque temps auparavant sans laisser d'enfant mâle; mais, comme il avait laissé une fille, les Arméniens la proclamèrent reine; puis, s'apercevant que le pouvoir royal ne pouvait être exercé par une femme, ils donnèrent leur reine en mariage au fils du prince (franc) qui l'épousa et vint s'établir en Arménie; ii y régna pendant un an environ. A ce moment, les Arméniens regrettèrent ce qu'ils avaient fait et craignirent que les Francs ne s emparassent de leur pays; ils se révoltèrent alors contre le fils du prince, se saisirent de lui et le jetèrent en prison. Le prince envoya demander que son fils fût mis en liberté et replacé sur le trône, mais les Arméniens n'en firent rien. Le prince s'adressa au pape, le souverain des Francs dans Rome la grande, et lui demanda l'autorisation d'attaquer l'Arménie. Aux yeux des Francs, les ordres de ce souverain de Rome ne doivent pas être enfreints. Le pape refusa son autorisation en disant : « Les Arméniens appartiennent à notre religion, il n'est donc pas permis d'attaquer leur pays. » Le prince ne tint aucun compte de cette défense. Il envoya un messager à Ala-Eddin, prince de Koniya, de Malathia et de tous les pays musulmans situés entre ces deux villes, pour conclure une trêve avec lui et lui demander de s'allier à lui dans son entreprise contre le pays du fils de Lyoun. L'accord s'étant fait à ce sujet, le prince rassembla ses troupes pour se mettre en marche contre l'Arménie. Les Templiers et les Hospitaliers, qui sont les deux principaux corps de troupes des Francs, refusèrent de le suivre, en prétextant que le roi de Rome leur avait interdit cette guerre. Les autres Francs se rangèrent sous les ordres du prince, qui envahit les frontières de l'Arménie; mais le pays étant rempli de défilés et de montagnes escarpées, il ne put faire ce qu'il désirait. Quant à Keîkobad, il attaqua l'Arménie par un côté plus accessible que celui qui fait face à la Syrie; il pénétra dans le pays en 622 (1225), le pilla, l'incendia, assiégea et prit quatre places fortes; puis, l'hiver survenant, il s'éloigna. Aussitôt que le pape, souverain des Flancs à Rome, eut appris ces événements, il fit informer les Francs de Syrie qu'il excommuniait le prince. Les Templiers et les Hospitaliers, ainsi qu'un grand nombre de chevaliers, cessèrent dès lors de voir le prince et de lui obéir. Chaque fois que les populations de ses Étals, c'est-à-dire d'Antioche et de Tripoli, célébraient une fête religieuse, le prince s'éloignait et ne revenait que lorsque la fête était terminée. Le prince envoya ensuite un message au souverain de Rome pour se plaindre de ce que les Arméniens n'avaient point rendu la liberté à son fils et demander de nouveau l'autorisation d'envahir l'Arménie et de combattre ses habitants, s'ils ne relâchaient point son fils. Le pape enjoignit alors aux Arméniens de mettre en liberté le fils du prince et de lui rendre son trône, et il ajouta que, s'ils ne se conformaient point à cet ordre, il autoriserait les Francs à conquérir leur pays : les Arméniens n'ayant tenu aucun compte de ce message, le prince réunit son armée et se dirigea vers l'Arménie. Les Arméniens s'adressèrent alors à l'atabek Chihâb-eddyn, qui était à Alep; ils lui demandèrent de les secourir et lui firent entrevoir le danger qu'il y aurait pour lui si les Francs s'emparaient de leur pays, qui avoisinait les districts d'Alep. Chihâb-eddyn leur envoya des secours en machines de guerre, armes et troupes. Quand le prince apprit cette nouvelle, il persista dans son dessein et, alla combattre les Arméniens; mais son entreprise échoua et il dut évacuer l'Arménie. Tous ces faits m'ont été racontés par un des personnages chrétiens qui avaient pénétré dans ce pays et qui en connaissait la situation. D'autres personnes que j'ai interrogées à ce sujet ont confirmé une partie de ces faits et en ont nié une partie.

ANNEE 624 DE L’HEGIRE (22 DECEMBRE 1226 12 DECEMBRE 1227).

Cette année-là, une bande de Turcomans qui se trouvait sur les frontières du district d'Alep réussit à atteindre et à tuer un chevalier célèbre parmi les Francs et appartenant au corps des Templiers d'Antioche. Les Templiers, à cette nouvelle, se mirent en marché contre les Turcomans; ils les surprirent et, dans le combat qui s'engagea, ils leur tuèrent du monde et firent des prisonniers et du butin. La nouvelle de cette affaire parvint à l'atabek Chihâb-eddyn, gouverneur d'Alep, qui envoya un message aux Francs et les menaça d'envahir leurs possessions. Comme les soldats d'Alep avaient eux aussi tué deux Templiers, les Francs se décidèrent à faire la paix et rendirent aux Turcomans une grande partie de leurs richesses, ainsi que leurs femmes et les prisonniers qu'ils avaient faits.

ANNEE 625 DE L’HEGIRE (12 DECEMBRE 1227 — 30 NOVEMBRE 1228).

RECIT DE L’ARRIVEE DES FRANCS EN SYRIE ET DE L’OCCUPATION DE SAYDA.

Cette année, de nombreuses troupes de Francs quittèrent leur pays à l'ouest de la Sicile et les contrées situées au delà de cette île et se rendirent dans leurs possessions de Syrie, à Acca, Sour et autres villes de la zone maritime. Ils étaient très nombreux et avaient été déjà précédés par d'autres troupes qui n'avaient pu entrer en campagne ni entreprendre la guerre par suite de l'absence du chef qui était à leur tête, le prince des Allemands, surnommé empereur,[147] mot qui signifie, dit-on, prince des princes, et aussi parce que Almoaddham était encore vivant et que c'était un prince perspicace, brave et entreprenant. Quand, ainsi que nous l'avons dit, Almoaddham mourut et que son fils lui succéda et régna à Damas, les Francs s'enhardirent : ils s'emparèrent d'Acca, de Sour, de Beyrouth et de la ville de Sayda dont ils n'occupaient que la moitié, l'autre partie étant entre les mains des Musulmans. Les murs de cette dernière ville qui étaient en ruines furent relevés par les Francs, qui prirent toute la ville [et en chassèrent les Musulmans]. Tout cela n'avait pu s'accomplir que par suite de la destruction des forteresses voisines, telles que Tibnîn, Houneîn, etc. Nous avons précédemment parlé de ces faits en détail. La puissance des Francs s'étant ainsi accrue, leur audace devint plus grande; l'empereur s'empara, chemin faisant, de l'île de Chypre, qu'il garda, et poursuivit sa route jusqu'à Acca. Ces succès répandirent la terreur parmi les Musulmans. Puisse Dieu abaisser l'infidèle et donner la victoire aux Musulmans, au nom de Mohammed et de sa famille ! Le prince qui était à la tête des Francs arriva ensuite en Syrie.

RÉCIT DE LA CONQUÊTE DU ROYAUME DE ROUM ET D'ARZENKAN PAR KEÏKOBAD.

Cette année, le prince Ala-Eddin Keîkobad, fils de Keïkhosrew, fils de Kilidj-Arslan, maître de Koniya, d'Aksara, de Malathia et autres lieux, du royaume de Roum, s'empara de la ville d'Arzenkan dans les circonstances suivantes. Le maître de ces contrées, Bahram chah, qui les avait possédées pendant de longues années, plus de soixante ans, mourut sans avoir cessé de reconnaître, lui et ses fils, l'autorité de Kilidj-Arslan. Quand il mourut, son fils Ala-Eddin Daoud chah lui succéda. Keîkobad envoya demander à ce prince des troupes pour aller assiéger Arzenerroum ; il lui demanda en outre de venir lui-même à la tête de ses soldats, ce que fit Daoud chah. Lorsque ce dernier arriva auprès de Keîkobad, celui-ci le fit arrêter et lui enleva la ville d'Arzenkan. Dans cette ville se trouvait une citadelle des plus fortes nommée Komakh sous les ordres d'un gouverneur délégué de Daoud chah. Keîkobad, prince de Roum, la fit assiéger, mais ses soldats ne purent s'en approcher à cause de la hauteur de ses murailles et de sa situation en un lieu escarpé et inexpugnable. Menacé, s'il ne livrait pas Komakh, Daoud chah envoya à son lieutenant l'ordre de rendre cette forteresse, qui fut aussitôt livrée à Keîkobad. Keîkobad voulut ensuite aller s'emparer de la ville d’Arzenerroum, qui appartenait à son cousin Toghril-Chah, fils de Kilidj-Arslan. Quand ce prince apprit cette nouvelle, il s'adressa au prince Hossâm-eddyn. Aly, lieutenant d'Almélic-Alachraf à Khélath, et lui demanda assistance en laissant croire qu'il reconnaissait l'autorité d'Alachraf. Hossâm-eddyn se mit en marche à la tête des troupes qu'il avait avec lui et qu'il avait réunies en Syrie et dans le pays de Djézireh, et cela à cause du prince de Roum, car il craignait que, si ce prince s'emparait d’Arzenerroum, il ne voulût aller plus loin et attaquer Khélath. Le chambellan Hossâm-eddyn se rendit donc à Arzenerroum pour couvrir cette place. Lorsque Keîkobad apprit l'arrivée des troupes dans celle ville, il ne mit pas son projet à exécution, mais quitta Arzenkan et rentra dans son pays. Il venait d'apprendre que les Roum infidèles qui avoisinaient ses États s'étaient emparés d'une de ses forteresses nommée Sinope; c'était une citadelle des plus fortes, qui dominait la mer Noire. Aussitôt qu'il fut rentré dans ses Etats, Keïkobad envoya (les troupes contre cette place et, l'ayant assiégée par terre et par mer, il la reprit sur les Roum; puis il rentra à Antioche (lisez Antalia, Satalie), où il hiverna suivant sa coutume.

RÉCIT DE L'EXPÉDITION D'ALMÉLIC-ALCAMIL.

Au mois de chewâl de cette année, Almélic-Alcamil Mohammed, fils d'Almélic-Aladil, prince d'Egypte, quitta ses États pour se rendre en Syrie. Il arriva d'abord à Jérusalem (puisse Dieu la garder et en faire pour toujours une ville de l'Islam !); il se rendit de là à Naplouse, dont il s'empara, et nomma des gouverneurs dans toute cette contrée, qui cependant dépendait du gouvernement de Damas. Quand le prince de Damas, qui était le fils d'Almélic-Almoaddham, apprit cela, il craignit qu'Alcamil ne se dirigeât vers Damas et ne s'en emparât. Il s'adressa donc à son oncle paternel Almélic-Alachraf pour lui demander son assistance et le prier de venir le rejoindre à Damas. Alachraf partit à la tête d'un corps d'armée et entra dans Damas. Aussitôt qu'Alcamil en fut informé, il cessa sa marche en avant, car il savait que la ville était inexpugnable depuis qu'elle avait quelqu'un pour la protéger et la défendre. Almélic-Alachraf envoya un messager pour tenter de fléchir Alcamil et l'assurer que, si lui Alachraf était venu à Damas, c'était uniquement par déférence pour le sultan, afin de le seconder dans ses desseins et de s'unir à lui pour défendre le pays contre les Francs. Alcamil répondit en ces termes : « Je ne suis venu moi-même dans ces contrées qu'à cause des Francs. Personne n'a pu résister à leurs entreprises; ils ont peuplé Sayda et une partie de Cayssariya sans qu'on ait pu les en empêcher. Tu sais que notre oncle paternel, le sultan Salah-eddyn, a conquis Jérusalem et que cette victoire nous a valu une gloire qui durera dans la suite des siècles et dans le cours des âges. Or la conquête de cette ville par les Francs ternirait si bien notre réputation et nous attirerait de si méchants propos que toute la gloire amassée par notre oncle s'évanouirait et que nous ne saurions de quel visage affronter les hommes et Dieu le très Haut. D'ailleurs les Francs ne se contenteront pas de ce qu'ils auront pris, ils iront plus loin. Toutefois, puisque tu es ici, garde le pays; quant à moi, je vais retourner en Egypte, car je ne suis pas de ceux, à Dieu ne plaise ! dont on peut dire qu'ils ont combattu leur frère ou qu'ils l'ont assiégé. » Alcamil s'éloigna de Naplouse, se dirigeant vers l'Egypte, et alla camper à Tell Aladjoul. Alachraf et tout le peuple de Syrie furent saisis de crainte; ils redoutaient que, si Alcamil retournait dans ses États, les Francs ne s'emparassent de Jérusalem et des contrées qui l'avoisinent sans que personne pût y mettre obstacle. De nombreux messages furent échangés, et Alachraf se rendit en personne auprès de son frère Alcamil; il arriva chez ce prince la veille du jour de la fête des sacrifices et l'empêcha de rentrer en Egypte. Ils demeurèrent tous deux à Tell Aladjoul.

ANNEE 626 DE L’HEGIRE (30 NOVEMBRE 1228 — 20 NOVEMBRE 1229).

RECIT DE LA REDDITION DE JERUSALEM AUX FRANCS.

Au mois de rebi II de cette année, les Francs (que Dieu les maudisse!), à. la suite d’une convention, entrèrent en maîtres dans Jérusalem (Dieu la rende promptement à l'Islam!). Nous avons déjà indiqué sous l’année 625 les causes de cet événement, qui furent les suivantes : l'empereur, chef des Francs, avait quitté ses États et s'était rendu par mer aux rivages de la Syrie; ses troupes, qui l'avaient devancé, s'étaient établies dans cette zone maritime et avaient ravagé tout le pays musulman qui les avoisinait. L'empereur les rejoignit dans la ville de Sour; là un groupe de musulmans domiciliés dans les montagnes qui entourent la ville se soumit aux Francs et fit cause commune avec eux. La mort d'Almélic-Almoaddham Iça, fils d'Almélic-Aladil Abou Bekr, fils d'Ayoub, prince de Damas, avait accru les convoitises des Francs. A l'époque où l'empereur arriva en Syrie et s'établit dans la ville d'Acca, Almélic-Alcamil, fils d'Almélic-Aladil, prince d'Egypte, avait, à la suite de la mort de son frère Almoaddham, quitté ses Etats pour se rendre à Damas; il était campé à Tell Aladjoul avec l'intention d'enlever Damas au fils de son frère Almoaddham, Salah-eddyn Daoud, qui, à cette époque, régnait dans cette ville. Aussitôt qu'il fut informé des desseins de son oncle paternel Almélic-Alcamil, Daoud s'adressa à son autre oncle, Almélic-Alachraf, maître du pays de Djézireh, lui demandant de le secourir et de l'aider à repousser Almélic-Alcamil. Alachraf se rendit à Damas, et, après avoir échangé de nombreux messages avec son frère Almélic-Alcamil pour en obtenir une trêve, il réussit à se mettre d'accord avec lui et à faire la paix. Almélic-Alachraf se rendit ensuite auprès de son frère Almélic-Alcamil. Quand ils furent réunis, ils échangèrent des messages avec l'empereur, prince des Francs (que Dieu les avilisse!), et une convention fut établie sur les bases suivantes : Jérusalem et quelques localités dépendant de son territoire seraient livrées à l'empereur, tandis que les autres villes, telles que Alkhalyl, Naplouse, Alghour, Malathia et autres, resteraient au pouvoir des Musulmans. On ne devait donc livrer aux Francs que Jérusalem et les villes appartenant à son district. Les remparts de Jérusalem étaient en ruines; ils avaient été détruits par Almélic-Almoaddham, comme nous l'avons rapporté. Les Francs prirent possession de Jérusalem. Cet événement causa une grande et pénible émotion parmi les Musulmans, qui furent humiliés et affligés au delà de toute expression. Il n'y a de force et de puissance qu'en Dieu le très Haut, le Puissant. Puisse-t-il, dans sa générosité, faciliter aux Musulmans la conquête de cette ville et son retour à l'Islam !

RÉCIT DE L'OCCUPATION DE DAMAS PAR ALMELIC-ALACHRAF.

Le lundi deuxième jour de chaban de cette année, Alachraf enleva la ville de Damas au fils de son frère, Salah-eddyn Daoud, fils d'Almoaddham. Voici la cause de cet événement que nous avons déjà mentionné. Le prince de Damas, redoutant son oncle Almélic-Alcamil, s'était adressé à son oncle Alachraf pour lui demander de l'aider à repousser Alcamil. Alachraf quitta le pays de Djézireh et se rendit à Damas, où il entra. Le prince et les habitants se réjouirent de sa venue, et, comme ils se préparaient à soutenir le siège en entourant la ville de défenses, Alachraf les imita à cesser ces travaux et à renoncer au dessein qu'ils avaient de se fortifier, jurant au prince de Damas qu'il le seconderait et qu'il le protégerait lui et ses États; puis il envoya un message à Alcamil et fit la paix avec lui. Le prince de Damas crut que lui aussi avait été compris dans cette réconciliation. Alachraf partit ensuite rejoindre son frère Alcamil, et leur rencontre eut lieu au mois de dhou’lhiddjeh 625 (novembre 1228), le jour de la fête. De son côté, le prince de Damas se rendit à Beïçân, où il demeura. Almélic-Alachraf quitta bientôt son frère et revint rejoindre le prince de Damas, n'ayant avec lui qu'une armée peu nombreuse. Pendant que les deux princes étaient assis dans une de leurs tentes, Izz-eddyn Aïbec, esclave d'Almoaddham, l'ancien prince de Damas, et qui était un des principaux émirs, entra dans la tente avec son fils. S'adressant alors à son maître Daoud, il lui dit : « Lève-toi et sors, sinon tu vas être arrêté à l'instant même. » Puis, ce disant, il le fit sortir. Alachraf ne put s'opposer à ce départ parce que c'était Aïbec qui avait été chargé d'organiser l'armée commune et que d'ailleurs ses propres soldats étaient les moins; nombreux. Daoud partit aussitôt avec son armée et gagna Damas. Aïbec avait agi ainsi parce qu'on lui avait dit qu'Alachraf voulait arrêter le prince Daoud et lui prendre Damas. A peine étaient-ils rentrés à Damas que les troupes d'Alcamil vinrent rejoindre Alachraf, et celui-ci, se mettant en marche, campa le . . . sous les murs de Damas et en fit le siège, qu'il poursuivit jusqu'à l'arrivée d'Almélic-Alcamil. A ce moment, les opérations furent poussées avec vigueur; les habitants de la ville furent cruellement éprouvés et réduits à la dernière extrémité. Ce qui causa le plus de peine au prince, c'est qu'il n'avait que peu d'argent. Tous ses trésors étaient à Carac; il ne les avait pas fait venir, tant il avait eu de confiance en son oncle Alachraf. Daoud fut contraint de faire vendre les bijoux de ses femmes et leurs parures. La situation devenant plus difficile, il se rendit auprès de son oncle Alcamil et lui livra la ville de Damas ainsi que la forteresse d'Achchoubek, à la condition qu'il conserverait Carac, Alghour, Beïçân et Naplouse, et qu’Aïbec garderait la forteresse de Sarkhad et tout son territoire. Alcamil prit alors possession de Damas et installa une garnison dans la citadelle de cette ville. Quand, plus tard, son frère Alachraf lui eut livré Harrân, Erroha, Rakka, Seroudj et Ras-Aïn, villes du Djézireh, Alcamil rendit à son frère la citadelle de Damas. Tandis qu'Alachraf entrait à Damas et s'y installait, Alcamil partit pour le pays de Djézireh et il y demeura jusqu'au jour où il dut rappeler son frère Almélic-Alachraf a cause du siège que vint mettre devant la ville de Khélath Djélal-eddyn, roi du Khârezm. Dès qu'Alachraf l'eut rejoint à Rakka, Alcamil retourna en Egypte.

RECIT DE LA PRISE DE HAMAH PAR ALCAMIL.

Dans le dernier tiers du mois de ramadhan de cette année, Almélic-Alcamil s'empara de la ville de Hamah dans les circonstances suivantes, Almélic-Almansor Mohammed, fils de Taky-eddyn Omar, prince de Hamah, était mort, ainsi que nous l'avons dit; quand il avait senti venir la mort, il avait fait prêter serment par les troupes et les notables de la ville à son fils aîné. Ce prince avait été envoyé par son père auprès d'Almélic-Alcamil, prince d'Egypte, dont il avait épousé la fille. Mohammed avait un autre enfant du nom de Kilidj-Arslan et surnommé Salah-eddyn. Ce dernier, qui était à Damas, se présenta (aussitôt après la mort de son père) dans la ville de Hamah, qui lui fut livrée. Il avait pris possession de la ville et de la citadelle, quand Almélic-Alcamil lui envoya l'ordre de remettre la ville à son frère aîné, que le testament de leur père avait désigné pour lui succéder. Salah-eddyn ne s'étant point conformé à cet ordre, de nombreuses négociations furent échangées sur ce point avec Almélic-Almoaddham, prince de Damas, mais elles n'aboutirent à aucun résultat. Lorsque Almoaddham mourut, Alcamil s'étant rendu en Syrie, s'empara de Damas et expédia des troupes qui vinrent mettre le siège devant Hamah, le 3 du mois de ramadhan. Le commandement de ces troupes avait été confié à Asad-eddyn Chyrcouh, prince d'Émèse, et à un des principaux, émirs de l'année nommé Fakhr-eddyn Otsman; ils avaient avec eux le fils de Mohammed, Taky-eddyn, qui avait résidé chez Alcamil. Le siège de la ville durait depuis quelques jours, quand Almélic-Alcamil, qui avait quitté Damas et qui était campé à Salamiya dans le dessein de se rendre dans le Djézireh, à Harrân et ailleurs, reçut la visite du prince de Hamah, Salah-eddyn, qui avait quitté sa citadelle pour venir le trouver. Cette démarche n'avait été provoquée que par un arrêt de la Providence. Salah-eddyn avait dit à ses compagnons : « Je veux me rendre auprès d'Almélic-Alcamil. — Il n'y a pas en Syrie de place plus forte que votre citadelle, lui répondirent-ils; vous avez réuni des richesses innombrables : pourquoi donc voudriez-vous faire cette démarche? ce n'est point une chose raisonnable. » Salah-eddyn persistant dans son dessein, tandis que ses compagnons continuaient à vouloir s'y opposer, il finit par leur dire : « Laissez-moi partir, ou sinon je me précipite du haut de la citadelle. » En entendant ces paroles, ils ne firent plus d'objection. Salah-eddyn quitta la citadelle à la tête d'une troupe peu nombreuse et se rendit auprès d'Alcamil, qui le retint prisonnier jusqu'au moment où la ville de Hamah fut livrée au frère aîné de Salah-eddyn. Ce dernier ne conserva que la forteresse de Bâryn, qui lui appartenait déjà. Il avait ainsi couru lui-même au-devant de sa perte.

Vers la fin de cette année, les Francs se portèrent contre la citadelle de Bâryn en Syrie. Ils pillèrent la ville et la contrée, firent des prisonniers et des captifs et tuèrent du monde. Parmi les populations qu'ils atteignirent, se trouvait une troupe de Turcomans campés dans le district de Bâryn. Toute cette troupe fut prise, à l'exception de quelques rares fuyards qui échappèrent.

ANNÉE 628 DE L'HEGIRE (9 NOVEMBRE 1230 — 29 OCTOBRE 1231).

Cette année-là, les Francs qui étaient en Syrie attaquèrent Djabala, une des villes qui sont rattachées à Alep. Ils pénétrèrent dans cette ville, où ils firent, du butin et des prisonniers. L'atabek Chihâb-eddyn expédia aussitôt des troupes sous la conduite d'un émir auquel il avait donné ce territoire en fief. Dans le combat qui s'engagea, les Francs perdirent beaucoup de monde; le butin et les prisonniers qu'ils avaient faits leur furent repris.

 

 


 

[48] Sur les événements racontés ci-dessous, on peut consulter Ibn-Khaldoun, Histoire des Berbères, Induction de M. le baron de Slane, t. II, p. 213, 214, et Renaudot, Historia patriarcharum Alexandrinorum, p. 557, 558.

[49] Cette lettre est reproduite avec quelques variantes dans les Vies des Hommes illustres de l’islamisme, par Ibn Khaldoun, qui en attribue la composition à un émir musulman du roi de Castille nommé Ibn-Alfakhkhâr. (On peut en voir la traduction dans la version anglaise de M. le baron de Slane, Ibn Khallikan's biographical dictionary, t. IV. p. 338.

[50] . On sait que, d'après la croyance musulmane attestée par le Coran, tous les prophètes ont professé la même religion, c'est-à-dire l’islamisme, et n'ont différé entre eux qu'en ce qui concerne les lois. Cette opinion regarde plus particulièrement Abraham, qui, d'après le second chapitre du Coran (verset 129; cf. ch. iii, v. 60), ne fut ni juif, ni chrétien, mais un musulman orthodoxe. (Voyez Madriani Relandi, De religione mohammedica libri duo, editio altera, Trajecti, 1717, p. 30 et 31, note c, et cf. Pococke. Specimen histtoriae Arabum, édition de 1806, p, 54; Dozy, Commentaire historique sur le poème d’Ibn Abdoun par Ibn Badroun, p. 86, 87.)

[51] Cette expression métaphorique signifie, comme l’a observé M. le baron de Slane (Ibn-Khallikan's Biographical dictionary. IV, 350, n. 12), « se préparera à combattre. » On peut en rapprocher cette phrase, citée par M. Lane :  « il monta sur une éminence pour épier, de peur qu'un ennemi ne survint à l’improviste. » (An arabic-english lexicon).

[52] A. ces deux mots, Ibn Khallican en ajoute deux autres : , « des navires de transport et des bâtiments pontés. » Sur le dernier mot on peut voir les explications de M. R. Dozy. Glossaire des mots espagnols et portugais dérivés de l’arabe. Leyde, 1869, gr. in-8°, p. 314, 315. On le trouve flans le traité entre Philippe le Hardi et le roi de Tunis, oublié par Silvestre de Sacy (Mémoires d'histoire et de littér. orient. Paris, 1831, in-4°, p. 132, l. 7). C'est de là qu'on a fait en catalan mestech.

[53] La lettre, dit M. de Slane (Ibn-Khallikan's Biographical dictionary, t. IV, p. 350, n. 9, fut évidemment rédigée par un musulman; mais, d'après des preuves internes, je suis disposé à la considérer comme supposée.

[54] Ces paroles sont empruntées au Coran, ch. xxvii, verset 37. C'est la réponse adressée par Salomon à l'envoyé de la reine de Saba.

[55] Voyez plus haut.

[56] Littéralement : leurs éloignés et leurs proches.

[57] Le verbe à la dixième forme, a cette signification, qui n'est pas indiquée par Freytag, non plus que celle de « convoquer, appeler a la guerre. » Cf. une savante note de M. Quatremère, Histoire des sultans mamlouks de l’Egypte, t. II, 1ère partie, p. 123, 124; le glossaire de M. de Goeje sur Beladzori, Liber expugnationis regiorum, p. 104, etc.

[58] Tel est le sens de ce mot ainsi qu'où peut le voir dans le glossaire sur Beladzori, p 45.

[59] Les mots entre guillemets sont la traduction de trois mots qui figurent deux fois dans le Coran (ii, 261; xxii, 44). Ils signifient, d'après Beïdhaouy : « vide et dont les murailles sont renversées sur les toitures. »

[60] Le mot paraît signifier une espèce de fermier, un individu qui a pris à ferme une taxe, qui a obtenu un monopole. Ainsi Makrizy, parlant de la taxe levée par les fermiers du monopole des poulets, s'exprime de la sorte « il y avait an certain nombre d'individus qui avaient pris à ferme cette taxe, » et non comme a traduit Silvestre de Sacy : « un grand nombre de bénéficiers avaient leurs pensions assignées sur le produit de ce droit. » Relation de l'Egypte, par Abd Allatif, p. 154. Cf. t» Description de l’Egypte, par Makrizy, t. I, p. 89.

[61] Il est question ici de Conrad, évêque de Wurtzbourg et chancelier de l'empire d'Allemagne, un des chefs de cette croisade.

[62] Ce Fakhr-eddyn Djerkès est appelé ailleurs par Ibn-Alathyr (t. XII. p. 92, l. 3. et p. l105 de l’édition d'Upsal) Djéharkès. Il avait été l'esclave du sultan Salah-eddyn, et était le chef d'un corps de troupes dit des Nassiriens, parce qu'il se composait d'esclaves ayant appartenu à ce sultan. Quant à Meymoun-Alkasry, qui faisait partie du même corps de troupes, il était prince de Naplouse. (Ibn-Alathyr. ibidem, p. 93). Ailleurs (p. 106, l. 4), le nom de Bilbaïs est substitué à celui de Nabolos, sans doute par suite d'une erreur de copiste.

[63] Quelques pages plus haut, Ibn Alathyr précise la date de la mort du Kadi Fâdhil, en disant que cet illustre personnage rendit le dernier soupir la nuit même pendant laquelle Afdhal, fils de Salah-eddyn, rentra au Caire après avoir été défait par son oncle Aladhil, à Assaïh, le 7 du mois de rebi second. Il ajoute qu'Afdhal fut présent à la prière que l'on récita sur le corps d'Alfâdhil.

[64] Ce paragraphe manque dans l'ancien manuscrit, ainsi que dans la copie de Constantinople. Mais je l'ai trouvé dans un volume in-folio d'extraits d'Ibn-Alathyr, relatifs à l'époque des croisades et copiés à Constantinople, il y a environ quarante ans, pour le compte de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, sur l'exemplaire de la bibliothèque de Raghib-Pacha. Ce volume appartient à la bibliothèque de l'Institut. Aboulféda a reproduit, en l’abrégeant, le récit d’Ibn-Alathyr (Annales. t. IV, page 206). Ibn-Khaldoun a aussi consacré deux lignes a la prise de Dovin (t. V. fol. 373 v.). D'après l'historien arménien Vartan (cité par M. Brosset, Bulletin scient. t. X, col. 325, note 68), Dovin fut pris en 1203.

[65] Le lakab ou titre honorifique de ce prince était Nosret-eddyn ou l'auxiliaire de la religion. Il vivait encore vers l'année 604 de l'hégire, car nous voyons dans Ibn Alathyr (édition d'Upsa!), qu'à cette époque ou plus exactement au commencement de l’année 605, il s'empara de la ville de Méraga, après la mort de son prince Ata-eddyn, fils de Karasonkor, bientôt suivie de celle d'un fils encore entant qui lui avait succédé, sous la tutelle d'un eunuque. D'après Hamd-Allah Mustaufi et Mirkhond, Abou Bekr ne mourut que dans l'année 607(1210-1211); cf. le Journal asiatique, février 1847, p. 158, note, article de M. Defrémery.

[66] Sur la conquête de Dovin par les Géorgiens, on peut comparer le récit de l’historien arménien Vartan, extrait par M. Brosset, Bulletin scientifique de l’Acad. de Saint-Pétersbourg), t. X, p. 325, note.

[67] Constantinople fut prise et pillée par les croisés. Baudouin IX, comte de Flandre fut élu empereur latin d'Orient sous le nom de Baudouin Ier. Les croisés se partagèrent l'empire byzantin.

[68] Théodore Ier Lascaris. Il régna jusqu’en 1222.

[69] Ce passage n’est pas sans quelque importance, puisqu'il prouve que les Géorgiens, dans les incursions qu'ifs firent à cette époque sur le territoire musulman, s'avancèrent au delà de Mejngerd ou Medjenkerd, qu'Etienne Orpélian cite comme la limite occidentale des conquêtes des généraux de la reine Thamar (Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. II, p. 101).

[70] Il est sans doute ici question, ainsi que plus haut (sub anno 599), du fameux Djélal eddyn qui, comme on le verra plus loin, exerça de terribles représailles sur les Géorgiens.

[71] « Olty, château fort et ville, dans le voisinage de Tiflis. Entre elle et Arzren-Erroum, il y a un intervalle de trois jours, » Merâcid, t. Ier, page 88. Olty est marqué sur la petite carte de Kiepert (Klein Asien und Syrien, Berlin, 1859), au N. E. d'Erzeroum, à une distance qui peut correspondre à trois faibles journées de marche. Il en résulte nécessairement que cette localité ne peut être située dans le voisinage de Tiflis, comme le dit l'auteur du Lexique géographique arabe, si souvent inexact dans la position qu'il assigne aux localités mentionnées par lui.

[72] Le nom de ce prince est resté en blanc dans le manuscrit de Constantinople, mais on peut le suppléer à l'aide du récit d'Aboulfaradj, qui l'appelle Thogril-Chah, ainsi que le manuscrit de l'Institut, page 557. Il est d'ailleurs nommé, par Ibn Alathyr, dans un autre passage (sub anno 604, t. V, f. 271 r.). Cf. Aboulféda, t. IV, pages 168 et 220; Ibn-Khaldoun, t. V, fol. 309 r.), Moghyth eddyn Thogril Chah, fils de Kilidj Arslan. Ce prince avait reçu de son père le gouvernement de la ville d'Abouloustaïn (l'Elbostân des Turcs), dans l'Asie Mineure. Voyez sur cette ville une savante note de Silvestre de Sacy, Chrestomathie arabe, t. II, pages 175, 176 et Hadji-Khalfa, apud Vivien de Saint-Martin, Histoire des découvertes géographiques des nations européennes, t. III, p. 658; Ibn Alathyr, ci-dessus page 69: Ibn-Khaldoun, t. V. fol. 304 v°. A en croire ce dernier (cf. Aboulféda, t. IV, page 150), après la mort de son frère Ghiyâth-eddyn Keïkhosrew, en 607, Thogril-Chah tenta de s’emparer de l'empire sur non neveu Keï-Kaous; mais il échoua, fut fait prisonnier et mis à mort par Keï-Kaous, en l'année 610 (1213-1214). Nous verrons plus loin, sous l’année 622 (1225), que ce dernier renseignement est positivement contredit par Ibn-Alathyr. Cf.Aboulféda, sub anno 620, t. IV, p. 316.

[73] Il a déjà été question de ce personnage. Voir plus haut la note 62.

[74] Ce paragraphe, ainsi que le suivant, manque dans le ms. de Constantinople qui, pour les quarante à cinquante dernières années contenues dans la chronique d’Ibn-Alathyr, est souvent plus défectueux que l'ancien manuscrit. Saint-Martin a eu tort de confondre cette invasion des Géorgiens avec la précédente, qu'il ne connaissait que par le récit d'Aboulfaradj ou Bar Hebraeus (Mémoires sur l’Arménie, t. II), le même savant a donné en deux lignes un sommaire fort peu exact de ce passage d’Ibn-Alathyr.

[75] Ceci n'est pas très exact; à cette époque, Mélik Mansour Mohammed, fils de Bectimour, devait avoir au moins dix-neuf ans, puisque, à la mort de son père, en 589 (1193), il était âgé d'environ sept ans. (Voyez Aboulféda, t. IV, p. 146.) Cet auteur dit ailleurs (sub anno 594 ibidem, page 168) qu'à l'avènement de Mohammed, Chodja-eddyn Cotloug addévadar se chargea de l'administration de son royaume. Ce Cotloug était de race Kiptchak, et avait été dévadar (porte-écritoire) de Chah-Armen Socman ben Ibrahim. Mohammed régna ainsi jusqu'à l'année 602 (603, selon Ibn-Khaldoun). Alors il se saisit de son atabek Cotloug, l'emprisonna, puis le tua. Cf. Ibn Alathyr, ms. 740, t. VI, page 194; ms. de Constantinople, t. V. fol. 370 r°; Ibn-Khaldoun, 3o8 r°; Aboulféda, sub anno 603.

[76] Ce passage manque dans le ms. de Constantinople. Il a été signalé d'une manière fort succincte et peu exacte par M. Quatremère, Histoire des Mongols de la Perse, page 68, note. L'importance de Trébizonde, comme un des entrepôts du commerce de l'Inde et de l'Asie occidentale avec l’Europe, était du reste bien antérieure à l'époque des Croisades et des Mongols. On peut voir à ce sujet les observations de M. Defrémery et les autorités citées à l'appui, dans les Fragments de géographes et d'historiens arabes et persans inédits relatifs aux anciens peuples du Caucase, etc. Paris, Imprimerie nationale, 1849, in-8°, p. 85.

[77] C'est-à-dire, les incursions des Géorgiens.

[78] Le récit d'Ibn-Alathyr vient à l'appui de celui de l'historien arménien Vartan, qui place la prise de Cars en 1206. Au contraire, la date 603 contredit formellement le récit de Wakhoucht, qui met la prise de Cars dans la vingt-quatrième année de la reine Thamar, c'est-à-dire, d’après son calcul, en 1199 de J. C. Voyez Brosset. Bulletin scientifique de l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg. t. X, col. 325, note 68, et col.326.

[79] Ce renseignement confirme une autre assertion de Vartan d’après laquelle la mort de Thamar, reine de Géorgie, eut lieu en l’année 1207. Voyez Brosset, loco laudato, col. 317 et 327, note 4. Cf. Saint-Martin, Mémoires sur l'Arménie, t. II, p. 294.

[80] Cette place est peut-être identique avec celle du même nom, mis toutefois au singulier, également située au voisinage de Tripoli, et qui figure au nombre des forteresses occupées jadis par les Ismaéliens ou assassins de Syrie.

[81] Ibn Alathyr fait ici allusion à la sixième croisade et au siège de Damiette par les Francs, pendant les années 1217 et suivantes.

[82] Voir à la fin du volume une note que sa trop grande étendue nous empêche d'insérer ici.

[83] Ce mot, qui désigne en arabe une montagne en général, répond à l'hébreu tour « rocher ». On peut consulter à son sujet Quatremère, Histoire des sultans mamlouks de l’Egypte. t. I, p. 79 et p. 190 de la première partie.

[84] Cette dénomination signifie « le pré, la prairie des oiseaux ». On peut voir à son sujet le lexique géographique arabe, t. III, p. 75, Quatremère, Histoire des sultans mamlouks de l’Egypte, t. I, 2e partie, p. 261, et de Goeje, Mémoires d’histoire orientale, n° 3, p. 59, note 5.. C’est à Merdj-Assoffar et en l'année 1203 de notre ère que les mamlouks de l’Egypte remportèrent une grande victoire sur les Mongols de la Perse. Ainsi qu'on l'a déjà observé, c'est le Mergisafur de Guillaume de Tyr (Cf. Hamaker, Takyoddini Ahmedis al Makrizii Narratio, etc., p. 70, 71, note 26.

[85] Cf. ci dessus à la date de l’année 609 (1212-1213).

[86] D'après l'historien des Patriarches d’Alexandrie, les Francs appelaient ainsi deux navires qu'ils avaient rapprochés et réunis solidement, au moyen de poutres et de clous, si bien que les deux ne parussent plus en faire qu'un seul. Ils y placèrent quatre mâts, sur lesquels ils disposèrent une tour de bois, entourée d’un mur semblable à celui des villes, et muni de créneaux. Ils y adaptèrent une grande échelle (pont-levis), pourvue de cordes et de poulies, à l'aide desquelles elle se baissait et se relevait à volonté. Voyez ce passage de l'historien arabe, dans le tome IV de la Bibliothèque des Croisades, par Michaud et Reinaud, p. 391, note, et cf. Hamaker, p. 94.

[87] Cette localité était située entre Tinnis et Damiette. Cf. Quatremère, Mémoires sur l'Egypte, t. I, p. 337, et ibidem, p. 328, on l'on voit que Boura et ses villages étaient compris dans le district de Tinnis. Edrisi place Boura à treize milles de Damiette et dit que c'est un gros bourg dont le territoire est très productif. Voyez la Description de l'Afrique et de l'Espagne, publiée... etc. par R. Dozy et de Goeje, Leyde, E. J. Brill, 1866, in-8°. p. 188.

[88] Littéralement : son dos.

[89] C’est une locution proverbiale, très souvent employée par les écrivains arabes.

[90] Le texte en italique est emprunté au Coran, ch. xxii, v. 28.

[91] Il s'agit ici de la destruction des remparts de Jérusalem ordonnée et exécutée par Almélic Almoaddham, prince de Damas et frère d'Alcamil. (Voyez ci-dessus), et cf. la chronique dite de Saint-Marien d'Auxerre. Chronologia seriem temporum et historiam rerum in orbe gestarum continens ... opera et studio Nicolai Camuzaei Tricassini. Trecis, 1608, in-4°, fol. iii r.) On peut encore consulter, à ce sujet, un passage de l'historien égyptien Nowaïri, traduit par Hamaker, p. 117, note 70.

[92] A Carac Makrizy (apud Hamaker, p. 18 du texte, 31 de la traduction) ajoute Chaubec, le Mons Regalis ou Syrie Sobal de nos chroniqueurs occidentaux; la chronique de Saint-Marien (ibid. fol. 112) accole aussi le nom de Mons Regalis à celui de Cratum (lisez Cracam), dans son récit des négociations entreprises entre le Soudan de Babylone et les Chrétiens, négociations qu’elle place, ainsi qu'Olivier le Scholastique, avant la prise de Damiette par les Croisés.

[93] Littéralement « leurs croix ».

[94] Littéralement « les dos ».

[95] Ibn Alathyr se sert ici de deux mots différents pour rendre le titre de comte : conoud, pluriel de cond, et kamamiça, pluriel de kommess pour kommès. Freytag a enregistré, dans son dictionnaire, le mot cond, mais en le faisant venir du persan et en le traduisant par strenuus fortis. Il renvoie à ce sujet à un passage de sa Chrestomathie arabe, page 162, l. 7), mais au lieu de 162, il faut lire 132.

[96] Cette expression désigne Jean de Brienne, roi titulaire de Jérusalem.

[97] Il s'agit du cardinal Pélage « qui fut véritablement, et pour le malheur des chrétiens, le chef de la croisade; » ainsi que l'a dit, dans un savant mémoire, M. Paul Meyer (La Prise de Damiette en 1219, relation inédite en provençal, publiée et commentée, Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t. XXXVIII, p. 510).

[98] Coran, ch. viii, v. 43, 46.

[99] Sur ce sens du mot, on peut consulter M. R. Dozy, Supplément alu dictionnaires arabes, t. I, p. 545, col. a.

[100] Littéralement : « il était voisin de leur cœur. »

[101] C'est ainsi que je lis avec le dictionnaire géographique arabe intitulé Merâcid Alitthila (t. II, p. 267). On peut consulter, sur cette localité, une note d'Etienne Quatremère, Histoire des sultans mamelouks de l’Egypte, t. I, 1ère partie, p. 166). Elle était surnommée Alhomaïdiya, ou des Homaïdis, parce qu'elle se trouvait sur le territoire d'une tribu kurde appelée ; Alhomaïdi. Les Homaïdis étaient la souche de la célèbre sous-tribu des Haccaris, à laquelle appartenait Mechthoub, plusieurs fois mentionné ci-dessus.

[102] Sur ces deux forteresses, on petit voir Etienne Quatremère, à l'endroit cité dans la note précédente, et aussi dans Notices et extraits des Manuscrits, t. XIII, p. 329. On y verra que la forteresse de Chouch, qui dépendait du territoire des Hamidis (lisez Homaïdis), était située sur le sommet d'une haute montagne, à douze parasanges ; environ quinze lieues) de Mossoul. — L'événement dont il s'agit a été rapporté effectivement par Ibn Alathyr à la date indiquée. Cf. l'édition Tornberg, t. XII, p. 193, vers le milieu.

[103] Cette place était ainsi appelée du nom de son second fondateur, le célèbre atabek de Mossoul, Imad-Eddyn-Zengui. Cf. Quatremère, loco supra laudato, et Hamaker, p. 95, note 45.

[104] C'est par conjecture que j'ai traduit ainsi le mot , à cause, du sens attaché à sa racine « sortir ». Au lieu de ce mot, Aboulféda, dans le passage correspondant, donne pluriel de ulcère, et cette leçon est sans doute préférable. Voyez l'édition de Constantinople, t. II, p. 127, l. 14, ou les Annales Moslemici, t. IV, p. 272, l. 3.

[105] Dans sa géographie historique intitulée Athâr Albilâd, (Les monuments des villes), à l'article d'Irbil (Arbelles), Kazouîny nous a donné sur ce prince quelques détails intéressants que nous croyons devoir traduire : « C’était un roi brave, généreux, guerrier. Il fit essuyer aux Francs des maux dont le récit servait d'entretien aux gens. Il avait très bonne opinion des soufis et fit bâtir pour eux un monastère où il y avait constamment deux cents soufis qui s'occupaient à manger et à danser chaque nuit du jeudi au vendredi. Tous les sectateurs du soufisme qui venaient le trouver recevaient de lui l'hospitalité et un bon traitement, et, quand un d'eux voulait partir, Mozaffer-eddyn lui donnait une pièce d'or. Les savants, les gens de bien et les pieux personnages qui venaient le trouver recevaient de lui un présent proportionné à leur rang. Le 10 de rebi Ier, il donnait des repas et des festins, et, à ce moment-là un grand nombre d'hommes venus de différents pays se réunissaient près de lui. Le 12, jour natal du prophète (Mahomet), il donnait un grand festin où se présentait tout le monde et dont chacun son retournait avec un cadeau. Il envoyait aux Francs des sommes d'argent considérables pour racheter des prisonniers. Il atteignit un âge très avancé et mourut l’année 629 (1232). » (Édition Wüstenfeld: 192, 193.) Cf. sur Mozaffer-Eddyn une longue et intéressante notice d'ibn Khallican (Biographical dictionary, t. II, p. 535, 543), où la mort du prince d'Irbil est placée le 18 de ramadhan 630 (28 juin 1233).

[106] Aboulféda nous fait connaître le motif de cette conduite du prince d'Irbil, en nous disant qu'il avait marié à Imad-Eddyn-Zengui une fille qu'il avait eue de Rébia-khatoun, sœur de Mélik Adil. (Voyez Annales Moslemici, loco supra laudato.)

[107] On nommait ainsi un beau canton situé entre les montagnes de l'Arménie, l’Azerbaïdjan, le Diarbecr et Mossoul. La population était arménienne, mais il s'y trouvait des tribus kurdes. Il s'étendait depuis une distance d'environ deux journées de Mossoul jusqu'aux confins de Khélath. (Merâcid Alitthila, t. I, p. 522.)

[108] C'est-à-dire Mozaffer eddyn-Couchoury.

[109] Cette phrase est une locution proverbiale que l’on trouve parfois citée dans les écrivains arabes. Cf. la Vie de Timour, par Ibn Arabchah, t. I, p. 286, l. 3 et 4, et Freytag, Arabum proverbia, etc., t. III, p. 23, note 132.

[110] D'après Aboulfaradj (Historia dynastiarum, texte arabe, p. 440), ce personnage était surnommé Izz-Eddyn, et nous le verrons désigné plus loin par ce seul surnom. C'est peut-être aussi le même qui figurera ailleurs sous le nom d’Izz-Eddyn-Mohammed, fils de Bedr-Alhomaïdy, et que Makrizy cite sous le nom d’Izz-Eddyn-Alhomaïdy, parmi les complices d'Ibn-Almechthoub, apud Hamaker, p. 14, ligne antépénultième.

[111] athlâb est ici le pluriel de tholb, qui signifient « bataillon ». Cf. Quatremère, Histoire des sultans mamlouks, I. 1ère partie, p. 35; 2e partie, p. 371. Nous l'avons déjà rencontré dans le premier volume de la présente collection, dans la Vie de Timour, par Ibn Arabchah. « Ensuite il disposa ses bataillons et ses braves. » (Edition Manger, t. I, p. 470, 472. (Cf. ibid., t. II, p. 22, l. 1. Le mot tholb désignait aussi, dans l'idiome des Ghozz (c'est-à-dire des Kurdes), un émir ou chef ayant un drapeau, et devant lequel on sonnait de la trompette. Voyez Makrizy, apud S. de Sacy, 3e mémoire sur la nature et les révolutions du droit de propriété en Egypte, p. 144, note.

[112] Aboulfaradj dit, en propres termes, que l'aile droite de Mozaffer-eddyn chargea sur l'aile gauche de Bedr-eddyn et la mit en déroute.

[113] Le même chroniqueur ajoute ici le mot  « au centre ».

[114] D'après l'auteur du Lexique géographique arabe (édition Juynboll, t. II. p. 518), on nommait ainsi un château fort situé dans les montagnes, à l'orient de Mossoul, auquel on n'avait accès que par un chemin où il ne pouvait passer qu'un seul homme à la fois. On l'appelait anciennement Ardoumucht.

[115] On peut voir, sur l’expression , le supplément aux Dictionnaires arabes, de M. Dozy, t. I, p. 400 B.

[116] Cette phrase est une locution proverbiale qui se trouve, avec une variante, dans le grand recueil de Meïdâny (Arabum Proverbia, t. II, p. 489, n° 200). Ces paroles, dit Meïdany, furent prononcées par le khalife Moawiya, lorsque Abd-er-Rahman, fils de Khalid, fils d'Alwalid, dont il craignait que les populations n'embrassassent la cause, eut été empoisonné par un médecin. Le même proverbe est encore cité plus loin, sons l'année 616.

[117] On peut voir, sur ce personnage, ci-dessus, et une note d'Hamaker, p.95, 96, ainsi que le passage de Makrizy publié par le même savant, p. 14 et 15 du texte, 28, 29 et 30 de la traduction.

[118] On appelait ainsi un grand district entre Mossoul et Nisibin. (Lexique géographique arabe, t. I, p. 186.)

[119] Le nom régulier de cette localité est Altell Alaafar, « la colline couleur de poussière ». On a supprimé ensuite les deux articles par amour de la brièveté, et enfin on a dit Tell-Yafar. On nomme ainsi, dit le Dictionnaire géographique arabe, un château fort entre Mossoul et Sindjar, au milieu d'une vallée où coule un fleuve; il se trouve sur une montagne isolée, et l'eau que l’on y boit est malsaine. » (t. I, p. 209.)

[120] Il y a ici une allusion au proverbe suivant :  « Déjeune de chevreau avant qu'il soupe de toi ». (Meïdâny, Arabum proverbia, t. I, p. 237, n° 83.)

[121] C’est-à-dire les hommes.

[122] Voir plus haut.

[123] Littéralement : virent que leur marché n'était pas achalandé.

[124] Sur ce personnage on peut voir un article dans l'index du premier volume de cette collection, t. I, p. 818 B.

[125] Littéralement : « à cause des écorchures on des ulcères ».

[126] Littéralement: « repliant les journées de marche ».

[127] L'auteur du Merâcid Allithila se contente de dire qu'Alikyn est une bourgade située hors de Damas (édition Juynboll, t. II, 228). Mais dans le passage correspondant au nôtre, Aboulféda (Annales. t. IV, p. 268, ou t. I de la présente collection, p. 89) dit qu’Alikyn était située près de la montée ou colline d'Afyk (ou Fyk). Or nous savons que Fyk est voisin du lac de Tibériade, vers le S. E. Cf. Hamaker, Opus supra laudatum, p. 79, 80, note 38.

[128] Coran, xxii, 59.

[129] Voyez sur cette locution proverbiale la note 116.

[130] Il a été question plus haut de cette localité. Cf. ci-dessus la note 119.

[131] Ainsi que M. de Goeje l’a fait observer, en citant à l'appui l’Açâs Albelâghat, de Zamakhchari, le verbe , à la 4e comme à la 10e forme, signifie « réprouver, désapprouver » (Liber expugnatione regionum, auctore... al-Beladsori. Lugduni Batavorum, E. J. Brill, in-4° p. 71).

[132] Le manuscrit de C P. ajoute ici le mot  « le fils du » ; c’est une erreur qui n'existe pas dans l'ancien manuscrit, ni dans Ibn-Khaldoun, qui a copié le récit de notre auteur (t V, folio 284 v°).

[133] La même assertion se trouve répétée dans un autre passage d’Ibn-Alathyr, où il est question du général turc Thogan Thayissi, beau-frère du fameux Djélal-Eddyn Khârezm chah. « Il pilla une grande portion de l'Azerbaïdjan, se dirigea vers la mer Caspienne par la province d'Arran et hiverna sur ses rivages, à cause de la douceur de leur climat. » (Ms. 740, t. VI, p. 304). M. le baron Constantin d'Ohsson a peu exactement rendu le sens de cette phrase, en disant : « Ce général venait d'hiverner dans l’Arran (Histoire des Mongols, t. III, p. 13). On lit dans Ibn-Khaldoun, qui, ici comme toujours, paraît avoir copié Ibn-Alathyr : « Il marcha vers le rivage de l’Arran » (t. V, fol. 289 r°). Mais cette phrase renferme une erreur évidente puisque l'Arran ne s'étendait pas jusqu'au rivage de la mer Caspienne.

[134] On voit, d'après ce fait, que la première invasion des Mongols en Géorgie n'eut pas lieu en 1225 ou 1226 seulement, comme l'a cru Klaproth, Aperçu des entreprises des Mongols en Géorgie et en Arménie. Paris, 1833, in-8°, p. 7 du tirage à part. Cf. Saint-Martin, Mémoires sur l'Arménie, t. I, p. 383, II, 260; Brosset, apud Lebeau, Histoire du bas-empire, édit. Didot. t. XVII, p. 451. C’est également à tort que le savant Pétis de la Croix: a placé le récit, de ces faits en 618 (1222). Voyez l’Histoire du grand Genghizcan, Paris, 171, p. 478 et suiv.

[135] Sans doute pour  Ak kouch, mots turcs, qui signifient « l'oiseau blanc ».

[136] Il n'est pas hors de propos de rappeler ici que la masse des armées mongoles ou tartares se composait de Turcs.

[137] Cette date est donnée à la fois par les trois manuscrits. C’est donc probablement par inadvertance que le M. le baron d’Ohsson a placé ce combat dans le mois de dhou’lhiddjeh (Histoire des Mongols, La Haye, in 8°, t. I, p. 327).

[138] Littéralement : ne dépasse pas son ventre et son pénis.

[139] Littéralement : un mal de tête.

[140] Le cosmographe Kazouïny dit la même chose: « le trait dominant de leur caractère, c'est leur grand usage des armes, parce qu'ils habitent sur la frontière dans le voisinage du pays des infidèles. » Édit. de Wüstenfeld, t. II, p. 351; Dorn, Geographica Caucasia, p. 29. Voyez encore Ibn Alathyr, ci-dessous, sub anno 622. On voit, d'après les paroles d'Ibn-Alathyr, que Pétis de la Croix a eu tort de dire, en parlant de Gangea ou Guendjeh : « Elle ouvrit d'abord ses portes, ce qui fui cause qu'on ne maltraita point ses habitants » (Opus supra laudatum, p. 422).

[141] Le mot du texte  n'est autre que le persan d erbend « défilé », avec la marque du pluriel arabe féminin:

[142] Voyez, sur Soudak (la Soldaïa des Génois), la Géographie d'Aboulféda, traduction française, t. II, p. 319 ; Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. II, p. 167, et les Notices des manuscrits, t. XIII, p. 272, 383. Cf. Reuilly, Voyage en Crimée, p. 17-18; Peyssonel, Traité sur le commerce de la mer Noire, t. I, p. 21; Depping, Histoire du commerce entre le Levant et l'Europe, t. I, p. 138.

[143] Ce sens du mot  manque dans le dictionnaire, mais il a été indiqué, ainsi que celui de « ressource », par M. Reinhart Dozy, dans le précieux glossaire dont il a enrichi son édition d'Ibn Badroun (p. 166). Le baron d'Ohsson a rendu  par « grains » (Histoire des Mongols, t. I, p. 445). C’est donc à tort que feu M. Quatremère, qui a cité deux fois «passage d'Ibn-Alathyr, relatif à Soudak (Histoire des Mongols, p. 67, note; Notices des manuscrits, t. XIII, p. 272), l'a traduit ainsi : « Soudak est une ville du Kaptchak, qui est pour ce pays la principale source de richesses, et ... les habitants de cette contrée en tirent les objets qui leur sont les plus nécessaires. » On lit dans une autre portion de l'ouvrage d'Ibn-Alathyr : « quand les subsistances et les vivres manquèrent à l'Alide, etc. » Édition Tornberg, t. VII, p. 248, l. 5. Voyez encore Rutgers, Historia Iemanae sub Hasano Pacha, p. 128.

[144] On peut consulter sur les fourrures appelées borthasi les autorités que j'ai indiquées dans une note sur un fragment d'Albécri (Fragments de géographes et des historiens arabes et persans inédits relatifs aux anciens peuples du Caucase et de la Russie méridionale, Paris, Imprimerie nationale, 1849-1851, in-8°, p. 20, n° 2).

[145] Le manuscrit de C. P. ajoute ici cette prière : « Nous demandons à Dieu de délivrer les hommes du mal que leur cause ce peuple (les Tartares), dont les attaques (litt. de dommages) n'ont épargné personne, et dont les étincelles ont volé au loin et ont rempli, la terre.

[146] Il s’agit ici du fameux Djélal-eddyn Mangouberty, dont la Vie est racontée par En-Nesawy (voyez ce site).

[147] Il s’agit de l’empereur Frédéric II, excommunié par Grégoire IX en 1227 pour ne pas avoir honoré sa promesse de lancer la sixième croisade. Il partit l'année suivante alors que son excommunication n'était pas levée. Sa brève croisade se termina en négociations et par un simulacre de bataille avec le sultan Malik al-Kamel « le Parfait », avec qui des liens d'amitié s'étaient tissés, et par un accord, le traité de Jaffa. Il récupéra sans combattre la ville de Jérusalem et fut couronné roi de Jérusalem le 18 mars 1229.