Abu

Abū al-Faraǧ al-Is̩fahānī  (أبو الفرج الإصفهاني)

 

EXTRAITS DU Kitab al-agHÂni

 

Traduction française : P. Quatremère

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

partie 2

 

 

Aboulfaradj Ali ben Hosaïn Isfahani

EXTRAITS DU

 

Kitab al-agHÂni

Sur l'ouvrage intitulé Kitab alagâni, c'est-à-dire Recueil de chansons,

par M. Quatremère, membre de l’Institut.

 

 

Au rapport de l'écrivain cité précédemment, lorsque les enfants de Mondhar furent réunis chez Adi ben Zeïd, il fit dire à Noman : Je ne porterai pas au trône un autre que toi; ne t'effarouche donc pas si je parais te préférer tes frères, et les traiter avec plus de distinction; je n'ai d'autre but que de les tromper. En effet, il ne manquait pas de leur accorder une supériorité marquante, sous le-rapport du logement, des honneurs, de la conversation. Devant eux il affectait de ravaler le mérite de Noman, et protestait qu'il n'avait nulle intention de faire pencher la balance en faveur de ce prince. S'abouchant avec chacun d'eux, il lui disait : Au moment où vous serez introduit auprès du roi, ayez soin de revêtir vos habits les plus beaux, les plus magnifiques; lorsque ce monarque vous admettra à sa table, mangez lentement, peu, et par petites bouchées. Puis il ajouta : Lorsque le roi vous demandera si vous êtes en état de tenir en bride les Arabes, répondez affirmativement; s'il vous adresse cette question : Dans le cas où l'un de vos frères s’écarte de l'obéissance qu'il me doit, et se mettrait en état de révolte, pourrez-vous le soumettre ? Répondez : Une partie d'entre nous n'a aucun empire sur l'autre. De cette manière, le monarque vous craindra, ne songera point à semer la division entre vous, et sentira que les Arabes sont des hommes braves et redoutables. Tous les princes promirent de suivre ces conseils. Adi s'étant ménagé une conférence secrète avec Noman, lui dit : Aie soin de revêtir des habits de voyage, et présente-toi devant le roi avec l'épée au côté; lorsque tu seras à table, mange beaucoup, en prenant de fortes bouchées à la fois; mâche et avale précipitamment. Prépare-toi à ce repas par une abstinence prolongée, car Kesra aime que tout le monde mange abondamment, et surtout les Arabes. Il prétend qu'un individu de cette nation ne mérite pas d'estime, s'il ne montre pas n grand appétit et une extrême gourmandise, principalement lorsqu'on lui sert des mets qui diffèrent de ses aliments ordinaires, et qu'il n'a jamais eu occasion de goûter. Quand le roi te demandera si tu lui garantis la soumission des Arabes réponds affirmativement; s'il ajoute : Qui se chargera de maintenir tes frères dans le devoir? réponds hardiment : Si je manquais de force à leur égard, j'en aurais encore moins à l'égard des autres. Cependant, Ibn Merina ayant eu une conférence particulière avec Aswad, lui demanda quels conseils Adi lui avait donnés. Dès qu'il en eut entendu le détail, il s'écria : J'en jure par la croix et par le baptême, cet homme t'a trompé et t'a donné un avis perfide. Si tu veux m'en croire, tu prendras le contre-pied de ce qu'il t'a dit, et tu arriveras ainsi au trône; si tu refuses de m'écouter, c'est Noman qui sera roi. En effet, les avis que tu as reçus ne sont qu'un tissu de ruses et de fraudes; et tous ces Arabes, issus de Maad, se montrent constamment artificieux et fourbes. Aswad répondit : Il n'a pas manqué de me donner un conseil plein de franchise; il connaît mieux que toi la cour de Kesra. Si je fais le contraire de ce qu'il m'a recommandé, je l'indisposerai contre moi, et il cherchera à me nuire; car c'est lui qui nous a amenés ici, et qui a parlé de nous au roi; or ce prince se fait un devoir de déférera ses avis. Ibn Merina, désespérant de se faire écouter, dit à Aswad : Tu vas voir ce qui arrivera. Bientôt après, les jeunes princes ayant été introduits auprès de Kesra, ce monarque fut charmé de leur beauté, et se dit à lui-même qu'il avait rarement vu des hommes aussi remarquables; aussitôt, il leur fit servir un repas. Les jeunes princes suivirent ponctuellement le conseil que leur avait donné Adi. Le roi attacha ses regards sur 'Noman, considérait avec plaisir sa manière de manger, et dit à Adi, en langue persane : Si quelqu'un d'eux annonce un mérite distingué, c'est à coup sûr celui-ci. Lorsque les princes se furent lavé les mains, le roi les fit appeler l'un après l'autre, et dit à chacun d'eux : T'engages-tu à tenir en bride les Arabes? Le jeune prince répliqua : Oui, je réponds de tous les Arabes, à l'exception de mes frères. Noman s'étant présenté le dernier de tous, le roi lui demanda s'il garantissait la soumission des Arabes ; le prince répondit affirmativement. T’engages-tu pour tous? demanda le monarque ? Oui, dit Noman. Mais, continua le roi, que dois-je penser relativement à tes frères? — Ah ! dit Noman, si je ne pouvais pas les contenir, je serais encore moins en état de réprimer les autres Arabes. Kesra, charmé de ces réponses, conféra à Noman le titre de roi, le revêtit d'une robe d'honneur, et lui mit sur la tête une couronne valant soixante pièces d'argent, et ornée d'or et de perles. Au moment où il sortait du palais, avec les insignes de sa dignité, Ibn Merina dit à Aswad : Hé bien ! voilà le fruit que tu recueilles du mépris que tu as fait de mes conseils. Cependant Adi se préparait à donner un festin dans une église, et fit dire à Ibn Merina : Amène-moi autant de personnes que tu voudras, car j'ai une affaire qui réclame leur présence. Ibn Merina arriva, accompagné de plusieurs amis, et l'on se mit à table dans l'église. Adi, s'adressant à Ibn Merina, lui dit : Certes, le plus digne de ceux qui ont observé les lois de la justice, et ne méritent à cet égard aucun blâme, est celui qui agit comme toi. Je savais bien que ton ami Aswad t'était plus cher que mon ami Noman ; ne me blâme donc pas dune conduite conforme à la tienne. Maintenant, je veux que tu ne conserves contre moi aucune rancune pour un acte que tu aurais fait si tu en avais eu le pouvoir. Je désire que tu me fasses les mêmes concessions que je te fais, car dans cette circonstance je n'ai pas recueilli plus d'avantages que toi. En achevant ces paroles, Adi se leva au milieu de l'église, et jura que jamais il ne se montrerait l'ennemi d'Ibn Merina; qu'il ne chercherait jamais à lui faire du mal, et n'intenterait contre lui aucune dénonciation. Adi ben Merina se leva à son tour, et employant la même formule de serment, jura qu'il ne cesserait, pendant toute sa vie, d'être l'ennemi d'Adi, et de s'efforcer de lui nuire.

Cependant Noman se rendit à Hirah, et vint habiter le palais qu'avait occupé son père. Adi ben Merina adressa à Adi ben Zeïd les vers suivants :

Va dire à Adi, de la part d'Adi (et ne te décourage pas, quoique tes forces soient épuisées) : O chien[56] ! tu pourras te justifier aux yeux d'un autre; tu pourras te faire louer, ou obtenir de lui des avantages complets !

Si tu es vainqueur, ton succès n'aura rien de louable.

Si tu péris, que personne ne disparaisse, excepté toi.

Puisses-tu te repentir, à l'instar de Kosaï,[57] aussitôt que tes yeux verront ce que tes mains ont fait !

Ensuite Adi ben Merina dit à Aswad : Puisque tu n'as pas réussi, applique-toi au moins à tirer vengeance de cet Arabe issu de Maad, qui s'est conduit de cette manière à ton égard. Je t'avais averti que la ruse et la perfidie de Maad ne s'endormaient jamais; je t'avais exhorté à suivre mes conseils, mais tu as mieux aimé me désobéir. Aswad ayant demandé ce qu'il avait à faire. Je veux, dit Ibn Merina, que tu m'envoies régulièrement tout le produit de tes biens et de tes terres. Aswad accepta cette proposition. Ibn Merina était très riche en capitaux et en propriétés territoriales. Depuis cette époque, il ne laissait pas passer un seul jour sans offrir à Noman un présent quelconque. De cette manière, il acquit un si grand crédit auprès de ce prince, qu'aucune des affaires du royaume ne se décidait que par ses avis. Lorsqu'il parlait d'Adi auprès de Noman, il ne manquait pas de faire un pompeux éloge de son rival; puis, il ajoutait : Adi ben Zeïd est un homme plein de fourberie et de ruse, car tel est le caractère de tous les Arabes issus de Maad. Lorsque les courtisans de Noman eurent vu l'ascendant qu'Ibn Merina avait pris auprès du prince, ils s'attachèrent à lui, et lui firent la cour. Choisissant, parmi les personnes de sa société, celles qui lui inspiraient le plus de confiance, il leur dit : Lorsque vous m'entendrez faire, en présence du roi, l'éloge d'Adi, ne manquez pas de dire : Tout cela est vrai ; mais, d'un autre côté, il ne respecte personne; car, lorsqu'il parle du roi, c'est-à-dire de Noman, il va jusqu'à dire que le roi est son délégué ; que lui seul a fait monter le prince au rang qu'il occupe. Ces discours fréquemment répétés, indisposèrent Noman contre Adi. Les conjurés supposèrent une lettre adressée par celui-ci à son intendant; puis, ayant aposté un émissaire, ils saisirent le papier, et le portèrent à Noman. Ce prince, outré de colère, écrivit à Adi ben Zeïd : Je te prie de venir me visiter, car je désire vivement te voir.[58] Adi, qui se trouvait alors auprès de Kesra, demanda et obtint du roi une autorisation de faire le voyage. Lorsqu'il fut arrivé auprès de Noman, ce prince ne daigna pas le regarder, et le fit enfermer dans une maison, dont l'accès fut interdit à quelque personne que ce fût. Dans cette retraite, Adi se livra avec ardeur à la poésie; voici les premiers vers qu'il fit à cette occasion :

Plaise à Dieu que je sache, relativement aux héros (et tes questions répétées obtiendront un fidèle récit de événements),

Quel fruit produira pour nous le courage avec lequel nous avons exposé notre vie et nos richesses, au moment où les ennemis nous attaquaient avec fureur !

Lorsque placé à tes côtés je combattais nos adversaires, faisant pleuvoir sur eux mes traits, tandis qu'ils me lançaient leurs Sèches, sans que de part ni d'autre l'ardeur guerrière se ralentit un moment,

Je réalisais tout ce que tu désirais, avec une franchise entière. Je domptais tes rivaux, et je le prouvais ma fidélité. Plût à Dieu que je me fusse donné la mort de mes propres mains, et que je n'eusse pas subi le trépas réservé aux ennemis !

Depuis notre catastrophe, partout règne la misère, quoique les meules soient placées sur le thifal.[59]

Il disait, dans la même pièce de vers :

Les ennemis, par leurs calomnies, s'occupent sans relâche de te nuire; j'en jure par le maître de la Mecque et par la croix.

Ils ont voulu que tu négligeasses un homme important, afin que, par suite, tu fusses jeté en prison ou précipité dans la tombe.

Je luttais assidûment contre tes ennemis,[60] sans rien calculer, et déjà ils avaient amené sur toi un jour de désastre.

Je me montrais à eux ouvertement, ou je leur déguisais tous mes secrets, comme la branche de palmier, qui est cachée sous les fibres qui l'enveloppent.

Lorsque nous en sommes venus aux mains, à Nahek, j'ai obtenu contre eux autant d'avantages que peut en procurer, lors du tirage au sort, la meilleure flèche.

Je n'ai de ma vie troublé la position florissante de personne.

Mais le traitement que j'éprouve est vraiment extraordinaire.

Qui voudra dire, de ma part, à Noman (car l'on aime les conseils donnés dans le secret) :

Aurais-je dû avoir pour partage les liens, les chaînes, le joug? (L'homme habile saura exposer ces faits avec éloquence.)

Tu as appris que ma captivité se prolongeait, et tu n'as pas été touché des maux d'un prisonnier malheureux.

Ma maison est déserte ; il n'y reste plus que des femmes veuves, épuisées par les gémissements; elles versent continuellement des larmes sur le sort d'Adi, comme une outre que l'ouvrier a cousue avec peu de soin.

Elles redoutent perpétuellement les calomnies des adversaires d'Adi, et des imputations mensongères qu'ils ont inventées contre lui.

Si j'ai fait une faute, si tu as contre moi quelque mécontentement, l'homme franc et loyal s'intéresse à son ami.

Si j'ai commis une injustice, vous m'en avez puni; je suis opprimé, j'ai droit de réclamer justice.

Si je meurs, tu regretteras ma perte, et tu ne trouveras plus un puissant auxiliaire lorsque, dans les combats, les lances rivales se croiseront.

Es-tu décidé à réparer le mal que j'éprouve, et à ne pas laisser échapper un avis utile?

Aujourd'hui, je remets ma cause entre les mains d'un dieu qui est près de nous, et qui exauce les vœux qu'on lui adresse.

Il ajoutait :

Cette nuit a été pour nous longue et ténébreuse. Je suis comme un homme qui a devancé l'aurore, pour se livrer à une conversation nocturne,[61]

Par l'effet d'un vif chagrin qui s'est fixé près de moi, et qui est au delà de tout ce qui s'exprime et que je dissimule. Il semble que la nuit est le double d'elle-même; ordinairement la nuit paraît courte.

Je n'ai point fermé l'œil pendant toute la durée de cette nuit, et je souhaitais vivement voir poindre l'aurore.

Ce n'est pas, en effet, de l'amour, mais la suite d'un malheur, qui m'a ravi le sommeil, et m'a condamné à une veille continue.

Il disait plus bas :

Fais parvenir à Noman un messager envoyé par moi; fais-lui entendre les paroles d'un homme livré à la crainte, à la méfiance, et qui lui adresse ses excuses.

O Dieu (accepte mon serment) ! j'en jure par mon père, par un anachorète qui, toutes les fois qu'il prie, est heureux;

Dont les entrailles sont agitées, qui vit dans un temple, qui se distingue par la beauté et l'ampleur de sa chevelure :

Je n'ai jamais porté le joug de vos ennemis, et Dieu connaît les choses les plus cachées.

Ne soyez pas comme un homme qui, par des remèdes, a su remettre en état son os fracassé, et qui, après la cure, a cherché à affaiblir cet os pour entraver sa marche, de manière que l'os s'est brisé de nouveau.

Souvenez-vous de vos bienfaits que, dans tous mes actes, je n'ai jamais oubliés, tandis que l'homme est ordinairement ingrat.

Il disait, dans une kasidah :

Fais parvenir, de ma part, un message à Noman; dis-lui que ma prison et mon attente se prolongent outre mesure.

Plût à Dieu que je susse quel est l'homme vil qui arrivera au point que je n'ai pu atteindre ni le jour ni la nuit.

Quand je suis assis, mon âme est dévorée par ses chagrins. Mon emprisonnement, et le mépris que j'éprouve, sont des actes également illicites.

C'est aux bienfaits du dieu de l'univers que vous devez votre origine, et moi, je suis uni avec vous, par les liens du voisinage et de la parenté.

Suivant le récit de Moufaddal-Dabbi, lorsqu’Adi ben Zeïd se rendit auprès de Noman, il trouva ce prince sans argent, sans meubles, et sans rien de la magnificence qui convient à un roi. Il ne se distinguait de tous ses frères que par sa laideur, et tous étaient plus riches que lui. Que puis-je faire en ta faveur, lui dit Adi, puisque tu n'as aucune somme à ta disposition? Noman répondit : « J'ignore quel expédient tu peux employer, tu le sais mieux que moi. Adi invita le prince à l'accompagner chez Ibn Firdis, l'un des habitants de Hirah, de la tribu de Doumah. Ils se rendirent chez cet homme, et lui demandèrent, par manière d'emprunt, une somme d'argent; mais il refusa de leur rien prêter, et assura qu'il ne possédait rien. Ils se présentèrent alors chez l'évêque Djaber, fils de Siméon, frère des Bènou-Aous ben Kelam, et le prièrent de leur avancer quelque argent. Il les logea chez lui l'espace de trois jours, faisant tuer des animaux pour leur table, et leur servant du vin. Le quatrième jour il leur demanda quelle somme ils désiraient; Adi le pria de leur prêter quarante mille pièces d'argent, qui étaient nécessaires à Noman pour réussir auprès de Kesra. Djaber répondit : J'ai à voire disposition quatre-vingt mille pièces. En même temps il leur remit cette somme. Noman dit à Djaber : Si je suis roi, je n'aurai pas un seul dirhem qui ne passe par tes mains. Ce Djaber était le propriétaire du Château blanc , situé à Hirah. Le reste de la narration, en ce qui concerne Noman, ses frères, Adi et Ibn Merina, est parfaitement conforme à ce que nous avons rapporté, d'après Ibn Kelbi.

Moufaddal expose en ces termes les motifs qui amenèrent l'arrestation d'Adi ben Zeïd, par ordre de Noman. Adi avait un jour fait préparer un repas pour le roi, et prié ce prince de se rendre chez lui pour y dîner avec ses courtisans. Noman se mit en marche; mais il rencontra Adi ben Merina, qui l'attira dans sa maison, l'y retint, et l'engagea à se mettre à table, ainsi que toute sa suite. Les convives burent jusqu'à ce qu'ils furent complètement ivres. Alors Noman se rendit chez Adi, n'ayant plus l'usage de sa raison; ce procédé blessa vivement Adi. Le roi, lisant sur son visage le chagrin et le mécontentement, se leva, remonta à cheval, et retourna à son palais. Ce fut à cette occasion qu'Adi ben Zeïd composa ces vers :

As-tu pensé que notre société et l'agrément de notre conversation dissiperaient tes richesses ?

Que les richesses et les parents causeront le renversement de ta fortune, ou ton supplice.

Que délibères-tu à notre égard? Ton sort est dans ta main droite ou ta main gauche.

Suivant le même auteur, Noman manda un jour Adi, qui refusa de se rendre à cette injonction. Un second message n'obtint pas plus de succès. Le roi, qui avait bu avec excès, entra en colère. Par ses ordres Adi fut entraîné de sa maison, et amené en présence du prince, qui le fit enfermer dans le lieu nommé Sannin, et s'obstina à le tenir en prison. Cependant Adi ne cessait de lui adresser des vers, parmi lesquels on distingue les suivants :

Rien n'est à l'abri des coups de la mort, excepté l'être digne de toutes les louanges, le créateur universel.

Lorsque nous sommes dans la sécurité, nous voyons tout à coup fondre sur nous une catastrophe qui attaque l'ami le plus affectionné.

Mon cœur est pur de tout crime envers le Seigneur, et de tout mensonge envers l'être qui préside aux serments. J'ai été affligé de voir l'arrogance d'un parent, d'un ami, qui semblait mettre le plus grand prix à notre attachement.

Il a été blessé de voir nos bienfaits et les titres que nous nous donnions à la reconnaissance des hommes.

Omaïah, retire-toi non loin d'ici; celui qui est dans les chaînes ne peut se livrer à des embrassements. Omaïah, s'il plaît à Dieu, échappe saine et sauve du milieu de cette catastrophe.

Si le malheur t'atteint, tu subiras le sort de tous les hommes ; car les enchanteurs ne sauraient détourner la mort.

On cite encore les vers suivants :

Les ennemis disaient : Adi est mort, et ses enfants sont assurés de languir dans les chaînes.

O Abou Moshar! si tu arrives dans tes plaines de l'Irak, envoie un courrier à mes frères.

Annonce à Amer et à son frère que je suis aujourd'hui chargé de chaînes pesante,

Que je suis dans les fers, observé par un gardien ombrageux ; car l'homme est posé à tous les accidents.

Je gémis sous des chaînes redoublées, sous des entraves, couvert de vêtements grossiers et tout usés.

Partez dans le mois sacré, venez délivrer votre frère; déjà une caravane se dispose à partir.

Par le mot , l'auteur entend le mois sacré . Suivant le témoignage unanime des écrivains cités, Noman étant parti pour la contrée de Bahreïn, un homme de la tribu de Gassan, c'est-à-dire, suivant une tradition, Djefnah ben Noman Djefhi, s'avança vers la ville de Hirah, et y recueillit tout le butin qu'il voulut. C'est à cette occasion qu’Adi fit les vers suivants :

Un homme pauvre et avide a paru, a livré aux flammés les environs de la ville.

Tandis que tu t'es laissé amuser par des chameaux que tu emmenais et par l'herbe restée dans les pâturages.

Suivant le récit unanime des historiens, comme la détention d'Adi se prolongeait, il écrivit à son frère Obaï, qui se trouvait auprès du roi Kesra, et lui adressa les vers qui suivent :

Fais connaître à Obaï, malgré son éloignement (et la science de l'homme lui est-elle de quelque utilité?),

Que ton frère, qui t'était si sincèrement attaché, et dans lequel tu avais une confiance entière tant qu'il a été heureux,

Est auprès d'un roi, chargé de fers, soit justement, soit injustement vu

Je ne te connais plus ; comme fait l'homme, tant qu'il ne trouve pas un être qui ait des pensées nobles.

J'en jure par ta patrie, si tu viens auprès de nous, tu dormiras d'un sommeil exempt de songes.

Son frère Obaï lui répondit en ces termes :

Si le destin t'a opprimé, ne te montre ni un homme faible et injuste, ni un homme stupide et sans force.

J'en jure par Dieu, si j'avais à mes ordres une armée redoutable, au milieu de laquelle on vît briller les glaives,

Qui fit entendre ses clameurs, prête à traverser intrépidement les champs de la mort, couverte de bonnes cuirasses bien compactes,

Je viendrais à toi en courant, sois-en bien certain. Plût à Dieu que je pusse t'entendre, lorsque tu réclamerais mon aide!

Si, dans ton intérêt, on me demandait mes richesses, je ne refuserais pas de sacrifier pour toi mes biens patrimoniaux ou nouvellement acquis.

Si tu étais dans une contrée où je pusse parvenir jusqu'à toi, je ne me laisserais intimider ni par l'éloignement, ni par les dangers.

Si tu m'es enlevé, par Dieu, j'éprouverai le malheur le plus sensible, et toutes les pluies de l'automne ne sauraient effacer tes traces.

Tu es, au milieu des ennemis, éloigné de moi, et les temps fâcheux et les calamités me pressent de toutes parts.

J'en jure par ma vie : si le sort de mon frère me jette dans le découragement, un ami, affligé du destin de son ami, peut bien tomber dans le désespoir.

J'en jure par ma vie : si tu parviens à me consoler, certes j'ai dans le cours.de ma vie rencontré peu d'hommes semblables à toi.

Suivant le témoignage unanime des historiens, à peine Obaï avait-il lu la lettre d'Adi, qu'il se rendit auprès du roi Kesra, pour lui parler de son frère ; et lui dépeignit l'événement dont il était la victime. Le monarque s'empressa d'écrire à Noman, et d'envoyer un exprès chargé d'une lettre, dans laquelle il lui enjoignait de mettre Adi en liberté. D'un autre côté, le fondé de pouvoirs de Noman lui écrivit, et lui annonça le motif de la dépêche du roi. En même temps des ennemis d'Adi, qui étaient membres de la famille de Bogailah, une des branches de la tribu de Gassan, allèrent trouver Noman, et le pressèrent de faire, à l'instant même, égorger son prisonnier; mais il refusa de céder à leurs sollicitations. Cependant le courrier du roi arriva à Hirah; avant son départ, le frère d'Adi, ayant gagné cet homme par des présents, lui avait recommandé de se rendre d'abord auprès d'Adi, qui était renfermé dans la prison de Sannin, de lui demander ses ordres, et de les exécuter ponctuellement. Le député étant entré auprès d'Adi, lui annonça qu'il était chargé de réclamer son envoi à la cour de Perse, et lui demanda s'il désirait quelque chose. Ce que tu voudras, répondit Adi. Puis ayant fait au courrier des promesses magnifiques, il lui dit : a Ne me quitte pas, et remets-moi la lettre du roi, pour que je la fasse parvenir à sa destination; car si tu t'absentes un moment, je serai infailliblement égorgé. L'envoyé déclara qu'il ne pouvait se dispenser de se rendre auprès de Noman et de lui remettre la dépêche. Un des ennemis d'Adi, qui se trouvait présent à cet entretien, se hâta d'aller trou ver Noman, et de lui annoncer qu'un courrier du roi Kesra s'était abouché avec Adi, et se préparait à l'emmener. Si ce projet réussit, ajouta-t-il, votre ennemi, dans sa fureur, n'épargnera ni vous, ni aucun de nous. Noman, frappé de ces raisons, envoya à la prison les ennemis d'Adi, qui le saisirent, l'étouffèrent, et se hâtèrent d'enterrer son corps. Cependant le courrier s'étant présenté devant Noman, lui remit la lettre de Kesra. Le prince protesta de sa soumission aux ordres du roi de Perse, et fit présent à l'envoyé d'une somme de 4.000 mithkals d'or et d'une belle esclave; puis il dit à cet homme : Demain, de grand matin, va toi-même mettre Adi en liberté. En effet, dès le point du jour, le courrier se présenta à la porte de la prison; mais les gardiens lui signifièrent que le détenu était mort depuis plusieurs jours. Nous n'avons pas, ajoutèrent-ils, osé en parler au roi, dans la crainte dexciter sa colère, car nous savions combien il serait affligé du décès d'Adi. L'envoyé retourna auprès de Noman, et lui dit : J’entrai hier au lieu où était enfermé Adi, et je le trouvai plein de vie; mais aujourd'hui, lorsque je me suis présenté à la prison, le geôlier m'a refusé la porte, et m'a, par une imposture insigne, soutenu qu'Adi était mort depuis plusieurs jours. Noman répondit : Comment est-il possible de croire que le roi t'ayant envoyé vers moi, tu te sois d'abord abouché avec Adi? Non, tout ce que tu dis n'est qu'un mensonge, et tu n'as eu d'autre but que d'extorquer des présents et de montrer ta méchanceté. Faisant succéder aux menaces de nouveaux dons et de nombreux témoignages de considération, il tira de cet homme une promesse formelle, qu'il annoncerait au roi de Perse qu'Adi était mort avant son arrivée. En effet, l'envoyé étant retourné auprès de Kesra, lui dit : Adi n'existait plus au moment où je me suis présenté pour le voir.

Cependant Noman se repentit d'avoir ordonné ce meurtre; il reconnut qu'il avait été le jouet des intrigues et de l'audace des ennemis d'Adi, et, dès ce moment, il ne les vit plus qu'avec une extrême frayeur. Un jour qu'il était à la chasse, il rencontra un fils d'Adi, nommé Zeïd; frappé de la ressemblance que présentait sa physionomie, il lui demanda qui il était. Le jeune homme répondit : Je suis Zeïd, fils d'Adi et petit-fils de Zeïd. Le roi s'entretint avec lui, et reconnut qu'il se distinguait par les grâces de son esprit. Enchanté de cette rencontre, il 'attacha Zeïd à sa personne, le combla de dons et de gratifications. Il chercha à se justifier auprès de lui, sur ce qui concernait la mort de son père ; ensuite il le fit partir pour la cour de Kesra, et écrivit à ce prince en ces termes : Adi était un des hommes dont les conseils et les lumières étaient utiles au roi; il a éprouvé le sort qui attend infailliblement tous les hommes, et sa vie est arrivée à son terme : personne n'a plus vivement que moi ressenti ce malheur. Quant au roi, toutes les fois qu'il perd un serviteur, Dieu ne manque pas de lui susciter, dans la famille de cet homme, un être capable de le remplacer, attendu que Dieu se plaît à accroître la grandeur et la prospérité du prince. Adi a laissé un fils, qui est aujourd'hui dans l'adolescence, et qui n'est, sous aucun point, inférieur à son père; j'ai pensé qu'il était digne d'entrer au service du roi, et je le lui envoie. Si le roi juge à propos de lui confier la place que remplissait son père, il peut le faire, et appeler à d'autres fonctions l'oncle paternel du jeune homme. ,.

Cet oncle était chargé de correspondre au nom du roi avec les princes arabes, pour ce qui concernait leurs intérêts et les affaires particulières du monarque. Il recevait chaque année, des Arabes, une redevance fixe consistant en deux poulains bais, qui lui apportaient le mets appelé halâm des truffes fraîches, dans la saison, et des truffes desséchées;[62] du fromage, des cuirs, et tous les genres de denrées que produit l'Arabie. Zeïd ben Adi remplissait ces fonctions au nom de son oncle, qui occupait la place dont Adi avait été en possession. Lorsque Zeïd eut gagné la bienveillance du roi, ce prince lui demanda ce qu'il pensait de Noman, et Zeïd en fit 'constamment l'éloge. Plusieurs années se passèrent, durant lesquelles Zeïd occupait le poste confié précédemment à son père. Kesra était charmé de lui; et Zeïd avait te privilège d'entrer à toute heure en présence du monarque, et de remplir auprès de lui les devoirs de sa charge.

Les rois de Perse possédaient un signalement de femme, tracé par écrit, et qu'ils faisaient circuler dans les contrées soumises à leur empire : toute fille dont la figure se trouvait conforme à ce portrait, était aussitôt envoyée à la cour. Jusqu'alors on n'avait point cherché de femmes dans le pays des Arabes, où l'on ne soupçonnait pas en devoir trouver d'assez belles. Cependant, le roi ayant eu la fantaisie de se faire apporter le signalement susdit, donna ordre de le transcrire, et de l'expédier dans les diverses provinces. Tandis qu'il était occupé de ce soin, Zeïd entra, et entretint le monarque des objets qui l'avaient amené; après quoi, il lui dit : Je vois que le roi vient de faire écrire, pour demander qu'on lui cherche des femmes, et j'ai lu le signalement auquel elles doivent ressembler; or, dans la famille de Mondhar, et auprès de votre serviteur Noman, on compte parmi les filles de ce prince, ses sœurs, ses cousines et ses autres parentes, plus de vingt femmes, dont la figure est conforme à ce portrait. Le roi lui ordonna d'écrire à ce sujet; Zeïd répartit : Le plus grand défaut des Arabes, et de Noman en particulier, c'est qu'ils se regardent comme plus nobles que les Perses; je crains que ce prince ne dérobe ses parentes à la vue de votre envoyé, et ne lui présente d'autres femmes; si je me rends en personne auprès de lui, il ne pourra pas me tromper. Veuillez, ô roi, me charger de cette mission, et faire partir avec moi un bomme de confiance, qui entende la langue arabe, afin que j'accomplisse heureusement ce qui fait l'objet de vos pensées et de vos désirs. Le roi désigna, pour l'accompagner, un homme d'un caractère ferme, et rempli d'intelligence. Zeïd s'étant mis en marche, s'attacha à gagner son adjoint par des politesses et des témoignages de déférence. Lorsqu'ils furent arrivés à Hirah, Zeïd ayant été introduit auprès de Noman, vanta la puissance du roi de Perse; puis, il dit: Ce monarque désire des femmes pour lui, ses enfants et ses parents; voulant vous honorer de son alliance, il s'adresse à vous de préférence à tout autre. Noman ayant demandé quelles femmes désirait le roi, Zeïd lui dit : Voici le signalement que nous avons apporté. Mondhar le Grand avait jadis fait présent au roi Anouschirwan d'une jeune fille qui était tombée en son pouvoir, dans l'expédition qu'il avait entreprise contre Hâreth le Grand, fils d'Abou Schamer, le Ghassanide, et il avait adressé au monarque perse le signalement conçu en ces termes : J'envoie au roi une jeune fille, qui a la taille bien proportionnée, un beau teint, de belles dents; qui est d'une blancheur éclatante,[63] qui a les yeux noirs, bien fendus, dont le tour des paupières est naturellement noir, et bien garni de cils; un nez élevé et aquilin, des sourcils minces, des joues délicates, des lèvres appétissantes, une chevelure touffue, un long cou, les os de l'épaule et du bras bien prononcés, un joli poignet, une main gracieuse, des doigts allongés, le ventre maigre, les hanches minces, la croupe rebondie, les cuisses charnues, la jambe grasse, la cheville forte, le talon et le pied petits, marchant avec lenteur, paresseuse à se mouvoir le matin; chez qui les parties que l'on montre à nu sont également délicates;[64] docile envers son maître; elle n'est ni camuse, ni noire; elle est souple et en même temps fière; elle n'a point été élevée dans l'indigence; elle est habile, sensée, douce, pleine de gravite; elle a pour oncle maternel un homme honorable; elle ne cite que la généalogie de son père, sans se vanter du reste de sa famille, et la noblesse de cette famille n'a pas besoin de celle de toute sa tribu. L'expérience a mûri son jugement ; ses idées sont celles des hommes distingués, et son activité égale à celle des gens réduits à gagner leur vie ; elle travaille de ses mains, parle peu, a une voix douce et tranquille; elle embellit la maison et confond l'ennemi. Si vous la demandez, elle montre une vive ardeur; si vous la laissez, elle quitte la partie; ses yeux sont ouverts, ses joues colorées de rouge, ses lèvres balbutiantes. Lorsque vous vous levez, elle est sur pied avant vous; si vous êtes assis, elle ne s'assied elle-même que sur votre ordre exprès. Anouschirwan accueillit la jeune fille, et ordonna de transcrire le signalement sur les registres du royaume. Ses successeurs se transmirent ce portrait jusqu'à l'époque où il passa à Kesra, fils de Hormuz.

Lorsque Zeïd lut le signalement en présence de Noman, ce prince, vivement contrarié, dit à Zeïd, devant l'envoyé qui l’écouta: Ne se trouve-t-il pas, parmi les antilopes  du Sawad (la Chaldée) et les gazelles de la Perse [65] de quoi satisfaire les désirs du roi? L'envoyé s'adressant à Zeïd, en langue persane, lui demanda ce que signifiaient les mots  ; Zeïd répliqua, dans le même langage, que ces expressions désignaient des vaches . L'envoyé se tut, et Zeïd dit à Noman : Le roi a voulu vous faire honneur; s'il avait supposé que sa proposition pût vous déplaire, il ne vous l'aurait pas adressée. Noman retint auprès de lui les deux négociateurs l'espace de deux jours, après quoi il écrivit à Kesra : Je n'ai point chez moi ce que le roi demande. Puis il dit à Zeïd : Ne manque pas de m'excuser auprès du prince. Zeïd étant retourné à la cour de Perse, dit à son compagnon de voyage : Rapporte fidèlement au roi ce que tu as entendu, et, de mon côté, je lui ferai un récit entièrement conforme au tien, et je ne te contredirai sur aucun point. Lorsqu'ils furent introduits devant le roi, Zeïd lui présenta la lettre de Noman, et lui en fit lecture. Kesra lui demanda : Où est donc ce que tu m'avais annoncé ? Zeïd répondit : Je vous avais prévenu que les Arabes, par un effet de leur mauvais naturel, refusent de donner leurs femmes à d'autres ; qu'ils préfèrent la faim et la nudité à l'abondance de la nourriture et à des habits somptueux; qu'ils aiment mieux le semoum et les vents brûlants de leur pays que l'heureuse température du vôtre, et qu'ils vont jusqu'à désigner cette contrée par le nom de prison. Du reste, veuillez interroger mon compagnon de voyage sur les discours qu'a tenus Noman; car je respecte trop le roi pour lui rapporter une pareille réponse. Le prince ayant questionné son envoyé, celui-ci répondit : O roi ! Noman s'est exprimé en ces termes : Est-ce que le roi n'a pas assez des vaches de la Chaldée et de la Perse, sans convoiter ce qui se trouve chez nous? Ce discours fit sur l'esprit du prince une impression profonde, et son visage exprima la colère. Toutefois, il se contint, et se borna à dire : Plus d'un esclave a osé former des vœux plus ambitieux encore, et a vu la mort terminer ses prétentions. Ce propos se répandit, et vint aux oreilles de Noman. Cependant Kesra laissa s'écouler plusieurs mois, sans rien dire qui eût trait à cette affaire. Dans cet intervalle, Noman faisait ses préparatifs, et attendait son sort. Enfin, il reçut une lettre qui lui disait : Viens à la cour, le roi a besoin de toi. Il partit aussitôt, faisant porter avec lui ses armes, et tout ce qui annonçait sa puissance. Il arriva aux montagnes de Tai : il avait pour épouses Kazah , fille de Saad ben Hârethah, qui lui avait donné un fils et une fille, et Zeïnab, fille de Aous ben Hârethah. Noman supplia les Arabes de Taï de le recevoir dans leurs montagnes, et de le défendre; mais ils refusèrent, et lui dirent : Sans les liens de parenté qui nous unissent avec toi, nous te massacrerions à l'instant, car nous n'avons nul besoin de nous mettre en état d'hostilité contre le roi, et nous serions dans l'impossibilité de lutter avec lui. Noman parcourut différentes tribus arabes, sans trouver personne qui voulût le recevoir; seulement, les enfants de Rawahah ben Rebiah lui dirent -.Si tu veux, nous combattrons à tes côtés. Ils lui devaient de la reconnaissance pour un service qu'ils en avaient reçu dans leurs démêlés avec Merwan-Kerit . Noman répondit qu'il ne voulait pas les exposer à une mort certaine, puisqu'ils n'étaient point en forces pour résister à Kesra. Continuant sa route, il vint descendre secrètement à Dhou-kar , chez les Bènou-Schaïban. Il y rencontra Hani, fils de Kabisah, ou, suivant d'autres, Ani, fils de Massoud. C'était un homme également, distingué par sa naissance et son courage. Le titre chef de la tribu de Rebiah était, à cette époque, dans la famille de Dhou'ljeddeïn, et appartenait à Kaïs ben Massoud. Celui-ci avait mangé, à la table du roi de Perse, un plat de dattes. D'après cette circonstance, Noman ne voulait pas déposer chez lui sa famille, et il apprit que Hani était homme à le défendre autant qu'il se défendrait lui-même. Suivant le récit de Hammad-Rawiah  (le narrateur), Noman alla implorer la protection de Hani, comme il avait imploré celle de plusieurs autres. Hani accueillit sa requête, et lui dit : Je te défendrai comme je défendrais ma personne, ma femme et mes fils, tant qu'il restera un homme de ma famille. Toutefois ma bienveillance ne te sera nullement utile, et nous tomberons, toi et moi, sous les coups du roi de Perse. Je vais te donner un conseil, non pas dans l'intention de te frustrer de la protection que tu m'as demandée, mais parce que cet avis me paraît le plus salutaire pour toi. Noman ayant demandé ce qu'il voulait dire, Hani répliqua : Tout état convient à un homme, mais non pas à un roi ; ce dernier ne peut pas, après avoir occupé le trône, tomber dans une condition vulgaire. La mort atteint infailliblement tous les humains ; il vaut mieux pour toi mourir honorablement que de subir l'humiliation, ou de végéter dans un état obscur. Va trouver ton souverain; offre-lui des présents et des sommes d'argent considérables, et prosterne-toi devant lui; ou il te fera grâce, et tu redeviendras un roi puissant, ou s'il te fait périr, il vaudra mieux pour toi recevoir ainsi la mort que de rester à la merci de misérables Arabes; de voir tes richesses enlevées par ces loups affamés, d'être réduit à vivre pauvre, sous la protection d'autrui, ou à périr assassiné. Noman ayant demandé ce qu'il devait faire de ses femmes, Hani ajouta : Elles sont sous ma sauvegarde ; et personne ne pénétrera jusqu'à elles, pas plus qu'auprès de mes filles. Noman s'écria : J'en jure par ton père! voilà un conseil excellent, et je le suivrai à la lettre. Il choisit, parmi tout ce qui lui appartenait, des chevaux, des robes d'étoffe du Yémen, des pierreries, ou autres objets précieux; il les remit à un homme de confiance, qu'il envoya au roi de Perse, avec une lettre, dans laquelle il s'excusait auprès de ce prince, et lui exprimait le désir de se rendre à la cour. Kesra reçut le présent, et fit dire à Noman qu'il pouvait venir. Le messager étant de retour auprès de son maître, lui rapporta ce qui s'était passé, et l'assura qu'il n'avait rien vu qui fût de nature à inspirer des craintes : Noman se mit aussitôt en marche. Lorsqu'il fut arrivé à Madaïn, Zeïd ben Adi le rencontra sur le pont de Sabat, et lui dit : « Sauve-toi, petit Noman, si tu en as le pouvoir. » Noman lui dit : C'est donc toi qui as tramé ma perte ? O Zeïd ! j'en jure par Dieu, si je vis, je te ferai périr par un supplice tel qu'aucun Arabe n'en aura subi un semblable, et je t'enverrai rejoindre ton père. Zeïd répondit : Va, petit Noman, remplir ta destinée; j'ai disposé pour toi des entraves que ne romprait pas le poulain le plus pétulant. Dès que Kesra eut appris que Noman était à sa cour, il le fit charger de chaînes, et l'envoya dans une prison située dans la ville de Khânekin. Il resta enfermé, jusqu'à ce que la peste s'étant déclarée dans cet endroit, il en fut la victime. Suivant le témoignage de Hammad et des savants de Koufah, Noman mourut en prison, dans la ville de Sabat; suivant Ibn Kelbi, Noman fut jeté devant les éléphants, qui le foulèrent aux pieds, jusqu'à ce qu'il expirât. Ceux qui émettent cette opinion se fondent sur le vers d'Aschâ :

Cet homme ne put sauver son maître de la mort; et ce prince périt à Sabat, dans la détresse. .[66]

Cette tradition est repoussée par ceux qui prétendent que Noman mourut à Khânekin. Ils ajoutent que ce prince y resta enfermé durant un laps de temps considérable, et qu'il périt bien postérieurement à cette époque, un peu avant la naissance de l'islamisme. Les Arabes prirent les armes pour venger Noman, et la mort de ce prince fut le véritable motif du combat de Dhoukar.

Suivant une narration, qui remonte jusqu'au père d'Ibn Kelbi, le poète Adi ben Zeïd était amoureux de Hind, fille de Noman ben Rebiah. C'est en parlant d'elle qu'il a fait ce vers extrait d'une longue élégie.

Mon cœur éprouve pour Hind les transports d'un homme fiévreux livré à la fatigue et à l'insomnie.

Il dit encore :

Quel cœur, malade, épuisé, qui est sourd aux conseils et aux avis utiles!

Ailleurs, il s'exprime en ces termes :

O mes deux compagnons ! facilitez ce qui semble difficile ; ensuite, partez, et allez faire votre méridienne.

Arrêtez avec moi devant le pays que Hind habite. Il sera peu pénible pour vous de suspendre un moment la marche de vos montures.

Suivant le témoignage d'Ibn Kelbi, Hind devint l'épouse d'Adi. Si l'on s'en rapporte à l'assertion de Khaled ben Kelthoum, cité par Ibn Abi-Saad, voici quelle fut l'origine de la passion d'Adi pour Hind : Celle-ci était une des plus belles femmes, non-seulement de sa famille, mais de son temps; elle avait pour mère Mawiah, de la tribu de Kendab. Un jeudi de Pâques, c'est-à-dire trois jours après le dimanche des Rameaux, cette jeune fille, alors âgée de onze ans, sortit de chez elle pour aller communier à l'église. A cette époque régnait Mondhar ; et Adi venait d'arriver auprès de ce prince pour lui offrir un présent de la part de Kesra. Noman, fils de Mondhar, était dans l'adolescence. Au moment où Hind entra dans l'église, Adi y était déjà, se préparant à entendre la messe. Hind était d'une haute taille, et avait beaucoup d'embonpoint. Adi surprit Hind dans un moment où elle ne se doutait pas qu'on l’observât; elle ne se dérangeait donc pas, et Adi eut le temps de la contempler tout à loisir. Les jeunes esclaves de Hind voyaient bien que les yeux du poète étaient fixés sur leur maîtresse; mais elles se gardèrent bien de l'en avertir. Elles agissaient ainsi à l'instigation d'une de leurs compagnes, nommée Mariah, qui était éprise d'Adi, et ne savait quel moyen prendre pour, se faire remarquer de lui. Dès que Hind s'aperçut qu'Adi la considérait avec tant de curiosité, elle en fut vivement blessée, adressa à ses esclaves des reproches sévères, et quelques-unes d'elles furent battues par ses ordres.

Cependant l'image de Hind était restée gravée dans le cœur d'Adi. Un an s'écoula sans qu'il fît à personne confidence de sa passion. Au bout de ce terme, 'Mariah pensant que Hind avait oublié ce qui s'était passé, lui nomma l'église de Doumah , ou, suivant Khaled ben Kelthoum, l'église de Tourna ; (Saint-Thomas), ce qui est la véritable leçon. Elle lui vanta les religieuses[67] qui habitaient ce couvent, la beauté de l'édifice, la magnificence des lampes, et l'assura que cette église était fréquentée par les jeunes filles de Hirah. Elle l'engagea à solliciter de sa mère la permission de s'y rendre; Hind demanda et obtint cette autorisation. Aussitôt Mariah courut chez Adi, et lui rendit compte de ce qui se passait. Adi se hâta de revêtir une robe , qui lui avait été donnée par Ferkhanschah-Mard ; elle était brodée en or, et l'on n'avait en ce genre jamais rien vu de plus beau. Adi se distinguait par une taille élevée, un visage charmant, des yeux pleins de douceur, un sourire gracieux, des dents parfaitement blanches; s'étant fait accompagner par quelques-uns des jeunes gens de Hirah, il entra dans l'église. Dès que Mariah l'aperçut, elle dit à Hind : « Regardez donc ce jeune homme; par Dieu ! il est plus beau que ces lampes et autres objets que vous considérez. » Hind ayant demandé de qui elle voulait parler : C'est, répondit-elle, Adi ben Zeïd. Hind lui dit alors : Ne crains-tu pas qu'il ne me reconnaisse, si je m'avance pour le voir de près ? — Comment, dit Mariah, pourrait-il vous reconnaître? il ne vous a jamais vue de manière à ce que vos traits lui soient présents. Hind s'approcha. Adi badinait avec les jeunes gens qui l'accompagnaient, et qu'il surpassait tous par sa beauté, l'élégance de sa taille, son élocution brillante et la magnificence de ses habits ; Hind resta interdite et stupéfaite, en contemplant cet ensemble agréable. Mariah, qui s'en aperçut, et qui lisait sur le visage de sa jeune maîtresse ce qu'elle avait dans l'âme, l'engagea à parler à Adi. Hind le fit, et s'éloigna bientôt après; mais son cœur était épris d'amour pour Adi, qui de son côté éprouvait pour elle un sentiment aussi tendre.

Dès le lendemain, Mariah se présenta chez Adi: il la reçut avec un air riant, tandis que, avant cette époque, il ne lui parlait jamais. Il lui demanda ce qui l'amenait de si grand matin; elle répondit qu'elle avait quelque chose à lui demander. Explique-toi, dit Adi, car, au nom de Dieu, je t'accorderai tout ce que tu désireras. Elle lui apprit alors qu'elle était amoureuse de lui, et qu'elle réclamait une entrevue secrète, promettant, à ce prix, de le servir auprès de Hind, et s'y engageant par serment. Adi entra avec elle dans la boutique d'un cabaretier, et satisfit ses désirs. Elle retourna alors auprès de Hind, et lui demanda si elle désirait voir Adi. La jeune fille ayant demandé comment elle pourrait y parvenir, Mariah lui dit : Je lui désignerai un lieu en dehors du château, afin qu'il s'y trouve, et que vous puissiez le considérer à votre aise. Hind y consentit; et, sur l'invitation de Mariah, Adi se rendit au lieu indiqué. Hind, en le voyant, faillit mourir de plaisir; puis elle dit à son esclave : Si tu ne l'introduis pas auprès de moi, je périrai infailliblement. Mariah s'empressa d'aller trouver Noman, et lui raconta avec une entière franchise ce qui se passait; elle lui apprit que sa fille était éperdument amoureuse d'Adi, depuis qu'elle l'avait vu dans l'église le jour de Pâques; elle ajouta que, s'il ne les mariait pas ensemble, l'honneur de Hind serait compromis, et qu'elle mourrait de chagrin. Mais, dit Noman, comment puis-je aller faire auprès d'Adi les premières avances ? Mariah répondit : Il désire trop vivement la chose, pour que vous ayez besoin de le presser à cet égard ; je conduirai la négociation de manière qu'il ignorera complètement que vous soyez instruit du fait. Mariah se hâta d'aller trouver Adi, et lui raconta ce qui venait de se passer; puis elle ajouta : Invite Noman à dîner, et, lorsqu'il sera pris de vin, demande-lui sa fille en mariage, et tu es certain de ne pas éprouver un refus. Adi répliqua : Je crains, par cette proposition, d'irriter Noman, et de faire naître entre nous une inimitié ouverte. Mariah lui protesta qu'elle ne lui avait parlé de rien, avant d'avoir arrêté la conclusion de l'affaire. Adi fit préparer un festin somptueux. Le lundi, trois jours après la fête de Pâques, il se rendit chez Noman, et l'invita à venir chez lui dîner avec toute sa suite; la proposition fut acceptée. Au moment ouïes convives étaient pris de vin, Adi pria Noman de lui donner sa fille pour épouse. Le père y consentit, conclut le mariage, et, au bout de trois jours, remit Hind à son mari. Suivant le rapport de Khaled ben Kelthoum, cette princesse demeura avec Adi jusqu'au moment où il fut égorgé par ordre du roi Noman. A cette époque elle embrassa la vie religieuse, dans le monastère de Hind, situé en dehors de la ville de Hirah. Au rapport d'Ibn Kelbi, après trois ans de mariage, Hind, voulant embrasser la vie monastique, refusa de partager le lit de son mari, et se renferma dans le monastère susdit, où elle demeura jusqu'à sa mort, qui arriva longtemps après la naissance de l'islamisme, à l'époque où Moghirah ben Schabah était gouverneur de Koufah. Cet officier l'avait demandée en mariage, et éprouva un refus formel.

Suivant le témoignage d'Ibn Kelbi, qui cite pour garants son père et Scharki ben Adami, Moghirah ben Schabah ayant été nommé par Moawiah au gouvernement de la ville de Koufah, et passant un jour près du monastère de Hind, s'y arrêta; après avoir demandé et obtenu de Hind, fille de Noman, la permission de se présenter auprès d'elle, il entra chez cette princesse, qui fit étendre un cilice, sur lequel il s'assit; après quoi elle lui demanda quel était le motif de sa visite. Il répondit qu'il était venu la demander en mariage. Elle s'écria: J’en jure par la croix, si je savais avoir en moi quelque reste de jeunesse ou de beauté qui pût t'inspirer de la passion, j'accéderais à ta proposition; mais tu n'as d'autre intention que de pouvoir dire, dans les réunions des Arabes : Je possède le royaume de Noman ben Mondhar, et j'ai épousé sa fille. Au nom du Dieu que tu adores, voilà quel est ton but. Moghirah répondit que la chose était parfaitement vraie. Eh bien! dit Hind, cette alliance est impossible. Moghirah se retira à l'instant; et ce fut à cette occasion qu'il composa ces vers :

Tu as atteint le but auquel je tendais précédemment.[68] Sois bénie, ô fille de Noman !

Tu as rendu à Moghirah la jouissance de son esprit, car les rois sont distingués par la pureté de leurs sentiments.

Suivant une autre tradition :

Car les rois sont lents à se soumettre.

O Hind! tu dois être contente, tu as dit la vérité; arrête-toi maintenant, car la sincérité est ce qu'il y a de meilleur dans les discours des hommes.

Si l'on en croit un Ibn Kelbi, différent d'Ali ben Sabbah, Hind aimait Zerka-alyemamah,[69] et ce fut chez les Arabes la première femme qui montra de la passion pour une autre femme. Lorsqu'elle eut appris la mort de Zerka, elle prit l'habit monastique, et fit construire un couvent qui porte encore aujourd'hui le nom de Monastère de Hind, et elle y demeura jusqu'à la fin de sa vie. Au rapport d'Ibn Habib, qui cite le témoignage d'Ibn Arabi, lorsque Noman eut fait mettre Adi en prison, il voulut le contraindre à répudier Hind, et ne cessa point ses poursuites qu'il n'eût obtenu son consentement. Au rapport d'Ibn Habib, Adi, en plusieurs endroits de ses vers, fait allusion aux nœuds de parenté, qui existaient entre lui et Noman, dont il avait épousé la sœur; et cette dernière circonstance est attestée par les savants de la ville de Hirah; mais, suivant les historiens arabes, c'était Hind, fille de Noman, qu'avait épousée Adi. Le poète lui-même l'atteste, dans la pièce de vers qui commence par ces mots :

Mon œil a vu, le soir, la lueur d'un feu.

Il disait aussi[70] :

Par suite de la générosité qu'a montrée le premier d'entre vous;

Par suite de ce que nous sommes vos voisins, vos parents.

Nous étions jadis (vous le savez très bien) les piliers de l'édifice, les pieux qui soutiennent les cordes de la tente.

Suivant une tradition qui remonte à Ahmed ben Obaïd, Noman ben Mondhar le Grand adorait les idoles. Un jour qu'il se promenait hors de la ville de Hirah, accompagné d'Adi ben Zeïd 'Ib-adi ,[71] il passa près des tombeaux situés entre la banlieue de cette ville et la rivière qui la baignait; Adi dit au roi : Puisse la malédiction s'éloigner de vous! Savez-vous ce que disent ces sépulcres? Puis il ajouta : Voilà leur langage :

O vous, qui, réunis en caravane, bondissez sur la terre et avancez rapidement,

Nous avons été ce que vous êtes, et vous serez un jour ce que nous sommes !

Suivant une autre tradition, le dernier vers était conçu en ces termes :

Nous avons été longtemps ce que vous êtes ; mais le temps a changé notre position, et bientôt vous serez ce que nous sommes.

Le roi se retira tout attendri. Au bout de peu de temps il fit une seconde promenade, ayant encore auprès de lui Adi ben Zeïd. Au moment où ils passaient près des tombeaux, le poète dit au roi : Savez-vous ce que disent ces sépulcres? — Non, dit Noman. Hé bien, dit Adi, ils vous parlent en ces termes :

Que celui qui nous voit se dise à lui-même qu'il est sur te penchant de sa ruine.

Les montagnes les plus solides ne sauraient échapper aux vicissitudes du temps, et à tout ce qu'elles traînent à leur suite.

Combien de voyageurs se sont arrêtés autour de nous, tout occupés à boire un vin savoureux mêlé à une eau pure!

Ils portaient avec eux des bouteilles bien bouchées, et conduisaient de beaux chevaux couverts de housses magnifiques.  

Ils ont vécu quelque temps au milieu des plaisirs, sans presser leur marche, sans rien craindre des coups du sort ;

Et, tout à coup, la fortune les a enlevés avec la rapidité de la foudre; c'est ainsi qu'elle se plaît à faire périr les hommes.

C'est ainsi qu'elle précipite de catastrophe en catastrophe le mortel qui cherche une vie heureuse.

Si l'on en croit le témoignage de Souli, Noman, au retour de cette promenade, embrassa la religion chrétienne. Au rapport d'Ahmed ben Obaïd, Noman étant retourné à son palais, dit à Adi : Cette nuit, lorsque tout le monde sera plongé dans le sommeil, viens me trouver, afin de voir ce que je vais faire. Adi étant arrivé à l'époque indiquée, trouva le roi qui, ayant embrassé la religion chrétienne, s'était revêtu d'un cilice, et avait adopté la vie monastique. Ce prince partit ensuite pour entreprendre des courses religieuses, et l'on ne sut pas ce qu'il était devenu. Son fils faisait également profession du christianisme : tous deux s'occupèrent à faire construire des églises et des monastères. Hind, fille de Noman, fils de Mondhar, petit-fils de Noman et arrière-petit-fils de Mondhar, fit élever le monastère situé en dehors de Koufah, et qui porte le nom de Couvent de Hind. Lorsque Noman le jeune, père de cette princesse, eut été arrêté par ordre du roi de Perse Kesra, et fut mort dans sa prison, elle prit l'habit monastique, et se consacra à la vie religieuse dans son monastère, où elle séjourna jusqu'à sa mort, et où elle fut enterrée.

L'auteur de cet ouvrage ajoute : J'ai transcrit en entier le récit de Ziadi, malgré les erreurs que renferme cette narration, attendu que je voulais, pour ce qui concernait cette histoire, recueillir toutes les traditions. Mais ce récit renferme des circonstances évidemment fausses. En effet, Adi ben Zeïd fut réellement le compagnon de ce Noman ben Mondhar, emprisonné par ordre du roi de Perse; mais il ne vit ni ne connut Noman l'ancien, qui d'ailleurs n'était pas l'aïeul de Noman auprès duquel vécut Adi. J'ai rapporté tout à l'heure la généalogie de Noman; peut-être celui dont il est question était-il l'oncle paternel de Noman le jeune, fils de Mondhar et petit-fils de Noman l'ancien. Le prince qui embrassa le christianisme, et qui entreprit des pèlerinages religieux, ne fut pas converti par Adi ben Zeïd.[72] Et comment la chose serait-elle possible, puisque Adi, dans les vers qu'il adressa à Noman, au moment où ce prince l'avait fait mettre en prison, lui cita l'exemple de ce monarque avec ceux des rois anciens ?

HISTOIRE ET GÉNÉALOGIE DE MOURAKKISCH L'ANCIEN

[73]

Le mot Mourakkisch  est un surnom qui fut donné au poète, à raison de ce vers[74] :

La maison est déserte, et ses vestiges ressemblent aux lignes qu'une plume a tracées sur la surface d'une pièce de cuir.

Il fut du nombre des poètes dans les vers desquels on puisa leurs surnoms.

Au rapport d'Abou Amrou-Scheïbani, il se nommait Amrou; suivant d'autres, Auf ben Saad ben Malek ben Dabiah. On le compte parmi les amants les plus passionnés . Il fut épris d'une de ses cousines, nommée Asma, fille d'Auf ben Dabiah. Mourakkisch le jeune ; était fils du frère de Mourakkisch l'aîné. Il se nommait, dit-on, Abou Amrou-Rebiah ben Sofian ben Saad ; ou, suivant d'autres, Amrou ben Harmalah ben Saad : il fut aussi au nombre des amoureux célèbres. Épris de Fatima, fille du roi Mondhar, il célébra dans ses vers la passion que lui avait inspirée cette princesse.

Les deux Mourakkisch jouèrent un rôle parmi les enfants de Bekr ben Waïl, prirent part aux guerres que cette tribu eut à soutenir contre les Bènou-Thalebab , et se distinguèrent par leur audace, leur bravoure, la hardiesse avec laquelle ils se précipitaient les premiers dans les combats, les ravages qu'ils faisaient dans les rangs ennemis, et leur excellente conduite. Auf ben Malek ben Dabiah, oncle paternel de Mourakkisch l'aîné, fut aussi un des principaux guerriers de la tribu de Bekr ben Waïl. Ce fut lui qui dit, à la journée de Kiddah  :

O enfants de Bekr ben Waïl, faut-il fuir chaque jour!

Puis il ajouta : J'en jure par celui qui est l'objet de mes serments , tout Arabe de Bekr qui, en fuyant devant l'ennemi, viendra à passer près de moi, recevra de ma main un coup d'épée. Il continua de combattre, et reçut ce jour-là le nom de Borek . Son frère, Amrou ben Malek, était aussi un des guerriers de la tribu de Bekr; ce fut lui qui fit prisonnier Mohalhel. Durant une des expéditions qui eurent lieu entre les tribus de Bekr et de Tagleb, Amrou et Mohalhel, chacun à la tête d'un corps de cavalerie, se rencontrèrent dans un lieu nommé Maï-arraml , sans que ce fût en bataille rangée. La troupe de Mohalhel ayant pris la fuite, Amrou poursuivit ce chef, le fit prisonnier, et le présenta à sa tribu, qui se trouvait alors dans les environs de Hadjar, . Il traita son captif avec une extrême bienveillance. Cependant, un marchand, qui faisait commerce de vin, arriva du pays de Hadjar; cet homme était lié d'amitié avec Mohalhel, à qui il achetait du vin; passant auprès du prisonnier, il lui fit présent d'une outre de vin. Les fils de Malek s'étant réunis, tuèrent un jeune chameau, et se mirent à boire autour de Mohalhel, dans une maison séparée, qu'Amrou lui avait donnée pour son habitation. Lorsque les convives furent pris de vin, Mohalhel se mit à chanter des vers qu'il avait composés, et dans lesquels il déplorait la mort de Kolaïb. Amou ben Malek, entendant ces vers, s'écria : Cet homme est rassasié! Par Dieu, il ne boira plus d'eau chez moi, jusqu'à ce qu'il me rende Zeineb ! C'était un chameau appartenant à Amrou ben Malek, qui broutait l'herbe dans les vallées de Hadjar, et allait paître tous les dix jours sur les bords de l'étang de Gaïd . Les chameliers de la famille de Malek cherchèrent Zeïneb, car ils avaient vivement à cœur de sauver la vie à Mohalhel; mais leurs perquisitions furent inutiles, et Mohalhel périt de soif. Amrou ayant, ce soir-là, immolé un vieux chameau, enveloppa dans sa peau le corps de Mohalhel, ne laissant passer que la tête. Cet infortuné avait pour femme une fille de son oncle maternel Moudjalid, l'un des enfants de Thaaleb. Elle avait eu dessein de venir visiter son mari durant sa captivité, et Mohalhel dit, en parlant d'elle :

La fille de Moudjalid, cette gazelle aux lèvres fraîches, au caractère folâtre, dont les embrassements sont si agréables.

Lorsque cette femme apprit la position où se trouvait Mohalhel, elle ne vint point, et le laissa mourir. Habankah-Kaïsi, l'un des enfants de Kaïs ben Thaleban, et qui avait pour véritable nom Yézid ben Therwan, était un fou, dont la démence a passé en proverbe chez les Arabes. Cet homme dit alors : Tout chameau que je posséderai recevra de moi le nom de Zeïneb.

Mourakkisch l'aîné fut, comme on l'a dit plus haut, amoureux d’une de ses cousines, nommée Asma, fille d'Auf ben Malek, surnommé Borek . Il s'éprit pour cette femme, lorsqu'il était encore fort jeune, et la demanda à son père. Mais il lui répondit: Je ne te donnerai pas ma fille, jusqu'à ce que tu te sois fait une réputation. A cette époque, les Arabes de Rebiah n'avaient point encore quitté le Yémen. Mourakkisch, après avoir essayé vainement de fléchir son oncle par ses promesses, se rendit à la cour d'un roi, auprès duquel il séjourna quelque temps ; et il chanta les louanges de ce prince, qui le combla de ses dons. Cependant Auf se trouvait dans une position critique, lorsqu'il reçut la visite d'un Arabe, de la famille de Gâtif  et de la tribu de Morad. Cet homme le tenta par des offres avantageuses, et obtint, pour un prix de cent chameaux, la main d'Asma; après quoi, il quitta le territoire habité par les enfants de Saad ben Malek.

Mourakkisch ne tarda pas à revenir. Ses frères convinrent entre eux de lui dire qu'Asma était morte. Ayant tué un bélier, dont ils mangèrent la chair, ils prirent les os, les enveloppèrent dans un manteau, et les ensevelirent. Mourakkisch, à son arrivée, reçut de ses frères l'a nouvelle que son amante n'existait plus. Ils le conduisirent auprès du tombeau, sur lequel il attacha tristement ses regards, et qu'il allait dès lors visiter continuellement; il tomba bientôt dans un état de maladie très grave. Un jour qu'il était couché et couvert de ses vêtements, les deux fils de son frère jouaient auprès de lui aux osselets . Une contestation s'étant élevée entre eux, relativement à un osselet, un de ces enfants dit : Cet osselet m'appartient, il m'a été donné et provient de ce bélier qui a été enterré à l'époque du retour de Mourakkisch, et dont on est convenu de lui montrer le tombeau, comme étant celui d'Asma. Mourakkisch s'étant découvert la tête, appela le jeune homme, lui demanda des détails, et apprit de lui tout ce qui s'était passé, et le mariage d'Asma avec un Arabe de la tribu de Morad. Il avait une jeune esclave, mariée à un Arabe de la tribu d'Akil , qui travaillait chez Mourakkisch en qualité de mercenaire. Ayant dit à cette femme de faire venir son mari, il recommanda à celui-ci de lui disposer des montures, afin qu'il pût se rendre au lieu où séjournait l'Arabe de Morad. Dès que les animaux furent prêts, Mourakkisch en monta un, et se mit en marche pour aller chercher son rival. Etant tombé malade en route, il ne pouvait avancer que couché en travers sur le dos de sa monture. Lui et ses Compagnons de voyage vinrent descendre dans une grotte située au bas de Nedjran, lieu de la résidence du Moradi. L'Arabe de la famille d'Akil avait avec lui sa femme, esclave de Mourakkisch. Celui-ci entendit un jour le mari de cette jeune femme, qui lui disait : Laisse-là cet homme, il est mort de sa maladie, et nous allons périr de faim et de misère. La jeune esclave ne répondait que par des larmes; son mari ajouta : Si tu refuses de m'obéir, je vais t'abandonner et partir ; Mourakkisch savait écrire; son père, Harmalah, qui le chérissait plus que ses autres enfants, l'avait confié à un chrétien de Hirah, qui lui avait enseigné l'écriture. Lorsqu'il eut entendu ce que disait l'Arabe Akili à la jeune esclave, il traça sur la partie postérieure de la selle les vers suivants :

O mes deux compagnons, arrêtez-vous, ne vous pressez point; vous pourrez partir ce soir: si vous ne déférez pas à mes vœux,[75]

Peut-être que votre retard vous nuira en quelque chose, ou que la promptitude vous servira à devancer quelque catastrophe prête à s'accomplir.

O voyageur, si tu passes près de moi, va dire à Anes ben Saad.et à Harmalah, si tu les rencontres, que Dieu bénisse et vous et votre père;

Ne laissez pas échapper ces deux esclaves, mais qu'ils reçoivent la mort:

Qui se chargera d'annoncer aux Arabes que Mourakkisch a été pour ses compagnons un fardeau insupportable ?

Il semble déjà voir les lions qui, en l'absence des enfants de Rebiah, se précipiteront sur ses membres comme vers un abreuvoir.

L'arabe Akili et sa femme, s'étant mis en marche, vinrent dans leur demeure habituelle, et annoncèrent la mort de Mourakkisch. Cependant Harmalah, jetant les yeux sur la selle, se mit à la retourner et lut les vers susdits. Aussitôt il manda les deux esclaves, les intimida par ses menaces, les somma de lui dire la vérité : ils obéirent et furent aussitôt mis à mort. Comme ils avaient indiqué les lieux d'une manière exacte, Harmalah se mit en route pour aller à la recherche de Mourakkisch. Arrivé à l'endroit, il recueillit des renseignements que nous allons rapporter. Mourakkisch était resté dans la caverne, lorsqu'un troupeau y pénétra. Le berger s'étant avancé dans cette grotte, et ayant aperçu Mourakkisch, lui demanda qui il était, et comment il se trouvait là. Mourakkisch répondit qu'il était un Arabe de la tribu de Morad, puis il demanda à cet homme au service de qui il était. L'Arabe lui nomma son maître, qui était précisément le mari d'Asma; Mourakkisch lui ayant demandé s'il avait la liberté de parler à la femme de son maître, il répondit : Non, et je n'approche jamais d'elle; mais chaque nuit, une de ses esclaves vient me trouver; je trais pour elle une chèvre, dont elle porte le lait à sa maîtresse.[76] Mourakkisch lui dit : Prends cet anneau, et jette-le dans le lait ; Asma ne manquera pas de le reconnaître. Et si tu fais exactement ce que je te demande, tu en recueilleras des avantages que n'a jamais obtenus aucun berger. Cet homme prit l'anneau; et, dès le soir même, lorsque la jeune esclave apporta le vase, le berger, en y versant le lait, y jeta la bague. L'esclave enleva le vase, et le déposa devant sa maîtresse. Lorsque l'écume du lait fut tombée, Asma se mit à boire, suivant son usage. L'anneau ayant frappé contre une de ses dents, elle le prit, et à la lueur du feu reconnut cette bague. Elle demanda des renseignements à l'esclave, qui protesta ne savoir absolument rien. Asma envoya cette fille vers son maître, qui se trouvait alors dans un festin, à Nedjran, et l'engagea à venir. Il arriva tout tremblant, et demanda à sa femme pour quel motif elle l'avait mandé. Elle lui répondit: Fais appeler ton esclave, le berger de ton troupeau, et demande-lui où il a rencontré cette bague. Cet homme interrogé par son maître, lui dit : J'ai reçu cet anneau d'un homme qui se trouvait dans la caverne de Djebban  ou, suivant un autre récit, de Djebbar Il m'a engagé à jeter cette bague dans le lait destiné pour Asma, en m'assurant que cette démarche jne serait extrêmement avantageuse. Du reste, il n'a pas dit qui il était; et, au moment où je l'ai laissé, il était près de rendre le dernier soupir. Le mari d'Asma lui ayant demandé quelle était cette bague, elle répondit : C'est celle, de Mourakkisch ; hâte-toi d'aller le trouver. Cet homme monta aussitôt à cheval, plaça sa femme sur un autre cheval, et se mit en route. Avant la fin de la nuit, ils atteignirent Mourakkisch, et le transportèrent chez eux. Il expira dans la demeure d'Asma, et, avant de mourir, il récita ces vers :

Un fantôme, qui vient d'auprès de Soleïma, m'a surpris durant les ténèbres, et m'a tenu éveillé tandis que mes compagnons étaient plongés dans le sommeil.

J'ai passé la nuit à rappeler dans mon esprit toutes mes aventures, et à penser aux parents de ma maîtresse, dont je me trouvais si éloigné.

Tout à coup mes regards ont été frappés par la vue d’un feu ardent, qui brûlait dans le lieu nommé dhou'larta

Autour de lui étaient endormis des antilopes à la poitrine blanche, des faons et des gazelles.

Tous étaient délicats, n'avaient jamais éprouvé la misère, tous privés, ne courant et ne fuyant pas ;

Ils marchaient tous ensemble, d'un pas lent.

Vêtus de robes parfumées de safran, et d'étoffes du Yémen.

Ils habitent une ville, tandis que j'en habite une autre;

Ils ont rompu leurs serments et leurs promesses.

Pourquoi faut-il que je sois fidèle à mes promesses, tandis que l'on viole les engagements contractés avec moi? Pourquoi faut-il que je sois pris dans les filets, et que personne ne se prenne dans les miens ?

Combien de jeunes vierges aux joues délicates, aux formes aimables, dont le cou et la chevelure étaient également remarquables,

(Au lieu nommé dhou-osr, où la végétation est éparse, où les eaux sont douces ; qui est paré de couleurs pures, où l'éclat est réuni à une température fraîche.)

Avec lesquelles j'ai longtemps folâtré durant ma jeunesse.

Elles recevaient constamment de ma part des messages et des vers.

Là, quand je rompais une liaison, je formai bien vite une liaison nouvelle.

Mourakkisch, étant mort chez Asma, fut enterré dans le canton de Morad.

Suivant, un récit différent de celui d'Abou Amrou et de Moufaddal, un Arabe de la tribu de Morad, homme fort riche, nommé Karn-algazal , demanda en mariage Asma; elle était également recherchée par Mourakkisch, qui était fort pauvre. Jç. père maria secrètement sa fille à l'Arabe Moradi. Mourakkisch, instruit du fait, déclara que, s'il en trouvait l'occasion, il tuerait son rival. Celui-ci, voulant emmener chez lui son épouse, les parents d’Asma, qui craignaient pour elle et pour son mari la vengeance de Mourakkisch, attendirent un jour où ce dernier s'était éloigné avec ses chameaux. Le Moradi, profitant du moment, consomma son mariage, puis emmena Asma, et prit la route de son pays. Mourakkisch retournant au lieu où habitait sa tribu, vit un jeune homme qui raclait un os, et auquel il demanda quel événement s'était passé en son absence ; car un secret pressentiment lui faisait craindre ce qui était arrivé. Le jeune homme lui répondit : L'Arabe Moradi a emmené chez lui sa femme Asma, fille d'Auf. Mourakkisch, étant rentré dans le campement de sa tribu, revêtit sa cuirasse, monta son cheval, dont le front était orné d'une étoile blanche, et suivit les traces des voyageurs. Au moment où il parut à leurs yeux, l'Arabe Moradi se dît à lui-même : Voilà Mourakkisch ; s'il parvient à te joindre, ta vie sera sacrifiée, avant la sienne. Les parents dirent alors à Asma : Mourakkisch va passer près de toi; avance la tête vers lui, ôte ton voilé ; il ne voudra ni te percer de ses flèches, ni te faire aucun mal. Tout occupé de converser avec toi, il oubliera de poursuivre ton mari, et dans l'intervalle, il sera rejoint par ses frères, qui le l'amèneront avec eux. Puis ils pressèrent le mari de prendre les devants, et il suivit leur conseil. Cependant Mourakkisch étant arrivé près de la caravane, Asma montra la tête hors de sa litière, et l'appela. Mourakkisch, retenant la bride de son cheval, se mit à marcher auprès de cette femme. Bientôt il fut rejoint par ses deux frères, Anes et Harmalah, qui, après lui avoir adressé des reproches, le forcèrent de revenir sur ses pas. L'Arabe Moradi emmena tranquillement sa femme, et arriva au milieu de sa tribu. Mourakkisch tomba malade par suite du regret que lui causa le départ de son amante. Il dit à cette occasion :

Est-ce à la famille d'Asma qu'appartiennent ces vestiges effacés, dans lesquels les oiseaux tracent des sillons, et qui n'offrent plus qu'un vaste désert ?

Ce vers fait partie d'un long poème il dit aussi à l'occasion d'Asma.

Seras-tu vaincu par ton cœur opiniâtre? te forcera-t-il de céder à l'amour d'Asma, ou est-ce toi qui le surmonteras?

Son cœur, consumé par la passion, ne cessera point de chérir Asma;

Telles sont les amertumes elles suites de l'amour.

Peut-on blâmer un homme, qui pour l'amour d'Asma, a supporté les dénonciations des calomniateurs, et qui s'est éloigné entièrement?

Asma, si tu le sais, est l'objet des chagrins de mon âme ; elle est le principal sujet des conversations qui ont rapport à l'absence.

Lorsque mon cœur pense à elle, je suis comme un homme livré au frisson et aux accès d'une fièvre violente.

Au rapport d'Abou Amrou, Moudjaled ben Raïian ayant attaqué, près de Nedjran, les Bènou-Tagleb, leur fit éprouver un échec considérable, et enleva beaucoup de butin et de prisonniers. Il avait avec lui, dans cette expédition, Mourakkisch l'aîné, qui fit, à cette occasion, les vers suivants :

J'ai reçu un messager des Bènou-Amer; il m'a raconté leurs nouvelles, qu'il savait comme témoin oculaire,

Il m'a appris que les enfants de Rakhm marchaient tous ensemble, avec une armée aussi brillante que les étoiles de l'aurore;

Conduisant des chameaux gras, qui marchent toute la nuit et des chevaux bais, à la taille svelte, et dont le front offre une étoile blanche.

La tribu n'a pas su leur arrivée, jusqu'au moment où elle a vu briller les cimiers de leurs casques au-dessus de l'étoile de leur front.

Ils ont fait avancer, puis reculer leurs troupeaux, et leur ont fait quitter l'abreuvoir avant le temps ordinaire.

Combien de corps de guerriers généreux j'ai frappés de mon glaive, près de Dhou-Mazhaf et de Meker!

Combien d'hommes égorgés gisent à Nedjran! combien d'êtres, dont le visage était caché dans la poussière !

HISTOIRE DE MOURAKKISCH LE JEUNE.

Suivant le récit d'Abou Amrou, Mourakkisch se nommait Rebiah ben Sofian ben Saad ben Malek ben Dabiah; il était neveu de Mourakkisch l'aîné, et oncle paternel de Tarafah ben Abd. Au rapport d'Abou Amrou, des deux personnages qui portèrent le nom de Mourakkisch, le jeune fut le plus habile poète, et celui qui vécut le plus longtemps. C'est lui qui fut l'amant de Fatima, fille de Mondhar. Cette princesse avait à son service une jeune esclave nommée Bint-Adjlan ; elle habitait un palais situé dans le lieu appelé Kadimah , et devant lequel étaient des gardes apostés par Mondhar. Chaque nuit, les soldats traînaient des pièces d'étoffe autour de la forteresse, dans laquelle personne ne pouvait entrer que Bint-Adjlan. Celle-ci, toute les nuits, introduisait chez elle un habitant des bords de la rivière , qui restait avec elle jusqu'au jour. Amrou ben Habbab ben Malek dit à Mourakkisch : Bint-Adjlan choisit chaque soir un homme qui lui plaît, et qui passe la nuit avec elle. Mourakkisch, entièrement livré à la vie pastorale, ne quittait pas ses chameaux; mais cette fois il resta sur le bord de l'eau, et laissa ses chameaux sans les faire boire. Il était de la plus belle figure, et avait un talent admirable pour la poésie. Fatima, fille de Mondhar, avait coutume de s'asseoir sur le faîte du palais, et de regarder ceux qui passaient. Mourakkisch était entré chez Bint-Adjlan, et avait passé la nuit avec elle. Le lendemain, cette jeune fille, pressée par les questions de sa maîtresse,[77] lui parla de l'amant qu'elle avait choisi : En effet, dit Fatima, j'ai vu un homme d'une belle figure, qui est entré hier soir dans notre demeure, et que je n'avais jamais aperçu. Bint-Adjlan lui apprit que ce beau jeune homme faisait paître habituellement des chameaux, et les avait quittés momentanément pour venir passer la nuit avec elle. Hé bien, dit la princesse, demain, lorsqu'il viendra chez toi, présente-lui un cure-dent, puis une cassolette, et invite le à s'asseoir dessus; s'il se sert du cure-dent, ou s'il le rejette, il n'y a rien de bon à attendre de lui. Il en est de même s'il s'assied sur la cassolette ou s'il la repousse. Bint-Adjlan ayant présenté la cassolette à Mourakkisch, lui dit : Assied-toi dessus. Il refusa de s'asseoir; invita la jeune fille à placer auprès de lui la cassolette, après quoi il parfuma sa barbe et sa chevelure. Ayant pris le cure-dent, il en coupa la pointe, après quoi il s'en servit. La princesse, instruite de ces détails, sentit redoubler l'intérêt que lui avait inspiré ce jeune homme, et elle dit à son esclave : Introduis-le auprès de moi. Bint-Adjlan prit dans ses bras Mourakkisch, comme elle faisait d'ordinaire, et il partit avec elle. Ses compagnons, en s'éloignant, se dirent l'un à l'autre : C'est sans doute avec une mauvaise intention que Bint-Adjlan a saisi Mourakkisch. Les gardes placés devant le pavillon où résidait Fatima, fille de Mondhar, répandaient la terre autour de l'édifice, et promenaient par-dessus un vêtement, afin qu'elle fût parfaitement unie. Ils exerçaient une surveillance scrupuleuse, et ne laissaient entrer auprès de la princesse que Bint-Adjlan. Le matin, le roi envoyait ses devins , qui, après avoir examiné attentivement les traces imprimés sur le sol, venaient dire au monarque qu'ils n'avaient vu d'autres vestiges que ceux des pas de Bint-Adjlan. Le soir,[78] la jeune esclave fit monter Mourakkisch sur son dos, se l'attacha en travers du corps à l'aide d'une pièce d'étoffe, et l'introduisit chez la princesse, auprès de laquelle il passa la nuit. De grand matin le roi envoya ses devins qui, après un examen attentif, revinrent faire leur rapport au prince, et lui dirent : Nous n'avons remarqué que les traces de Bint-Adjlan, qui paraissait chargée d'un poids pesant. Cette intrigue avait déjà duré quelque temps; Amrou ben Djenab ben Auf voyait bien ce que faisait Mourakkisch, mais ne savait pas où il allait. Il lui dit un jour : Ne nous sommes-nous pas promis de n'avoir rien de caché l'un pour l'autre, et de ne nous jamais tromper mutuellement? Mourakkisch lui rendit compte de tout ce qui lui était arrivé. Amrou lui dit : Je ne te le pardonnerai jamais; et je ne te parlerai plus, à moins que tu ne m'introduises auprès de la princesse. Et il confirma cette menace par un serment. Mourakkisch s'étant rendu au lieu où il donnait rendez-vous à Bint-Adjlan, le fit asseoir, le mit au courant de ce qu'il avait à faire, puis s'éloigna. Les deux parents avaient l'un et l'autre une ressemblance frappante, excepté qu'Amrou avait une chevelure plus touffue. Bint-Adjlan étant arrivée, porta Amrou, et l'introduisit chez Fatima. Il suivit exactement les conseils que lui avait donnés Mourakkisch. Toutefois, son tremblement, et d'autres signes, ayant fait reconnaître la supercherie,[79] la princesse repoussa Amrou d'un coup de pied dans la poitrine, et dit :

Que Dieu maudisse cette entrevue secrète! j'ai chez moi le Moaïdi.[80] Puis, ayant appelé Bint-Adjlan, elle lui ordonna de reconduire Amrou. Celui-ci étant de retour au lieu où il avait laissé son compagnon, Mourakkisch, qui le vit revenir si promptement, se douta bien que son imposture avait été découverte.

Amrou se mordit les doigts si violemment, qu'il les coupa ; couvert de honte, il abandonna le troupeau, c'est-à-dire les chameaux à la garde desquels il veillait, et se retira vers sa famille. Mourakkisch fit, à cette occasion, une pièce de vers, qui commence ainsi :

O Fatima, sois saine et sauve! je ne romps point aujourd'hui avec toi, et ne romprai jamais, tant que ton amour subsistera.[81]

 


 

[56]

J'ai lu .

[57] Sur cette expression proverbiale,  « Le repentir de Kosaï, on peut consulter les observations qu'a recueillies M. S. de Sacy (Chrestomathie arabe, tome III, p. 286 et suiv.}, et Additamentu ad historiam Arabum ante islamismum, p. 80.

[58] Le texte porte : . Les mêmes mots se trouvent répétés dans l'Histoire de Nowaïri (man. ar. 700, fol. 8). Dans un proverbe de Meïdani (prov. 2669) on lit:  « Je t'adjure, je te conjure de prendre. » Dans le Commentaire de Tebrizi sur le Hamasah (f. 231 v.), on lit : . « Il l'adjura de tuer Malek. » Dans un passage de l'Histoire d'Egypte d'Ibn Aïas (tome II, f. 195), on lit: . « L'émir invita instamment le roi des émirs, qui vint en effet le trouver. » On peut voir, sur cette expression et ses formes diverses, le Commentaire sur Hariri (makam. I. p. 19, édit. de M. de Sacy).

[59] Le texte porte :

.

Dans un vers de Zobaïr cité par Soïouti dans son Commentaire sur le Mogni (man. ar. 1288, fol. 91 v.) on lit:

.

« Il vous frottera comme la meule frotte le thifal.

Et le scoliaste fait cette observation:

« Le mot  désigne une pièce de cuir ou d'étoffe que l'on met sous la meule afin qu'elle puisse recevoir la farine. »

[60] Le texte porte : . On lit dans la Moallakah de Lebid : ; et Zouzeni fait cette observation : . On entend par le mot un homme qui est toujours prêt à joindre les ennemis pour les vaincre. Dans le Hamasah (page 3o9), on lit , que Tebrizi explique par  « Celui qui s'attache à son ennemi, et ne le quitte pas qu'il ne l'ait vaincu. Dans un vers cité par l'auteur du Sirat-arresoul (fol. 187 r.), on lit:

Si un fils d'esclave était son adversaire.

[61] Le texte porte : . Je lis

[62] Les écrivains arabes font souvent mention des truffes,  On peut voir, sur cette plante, les détails que donne Makrizi (Opuscules. fol. 191). On lit dans le Kitab-alagâni (t. II, fol. 365 v.) :

« Les jeunes filles de la tribu arrivèrent et se mirent à ramasser des truffes et d'autres plantes de la contrée. » Ailleurs (tom. III, fol. 2 v.),  Ramassant des truffes. Ibn Batoutah (Voyages. manuscrit, fol. 142 r.) nous apprend que les déserts de l'Afrique produisent une grande quantité de truffes. On lit dans l'Histoire d'Ibn Khaldoun (tome III, fol. 363 r.) :  « Il était pauvre, et gagnait sa vie, ainsi que ses deux fils, en ramassant des truffes et autres plantes. » Le verbe , à la quatrième forme, signifie produire des truffes. On lit dans le Moroudj de Massoudi (t. I, fol. 202 r.) :  « La terre produit des truffes. »

Au rapport de Burckhardt (Notes on the Bedouins, tom. I, p. 60), les truffes sont encore un mets favori des Arabes du désert.

[63] Le texte porte : . Dans un passage du divan de la tribu de Hodheïl (manuscrit, fol. 7 D.), on lit :  ; et le scoliaste explique le mot  par  « Un nuage blanc. »

[64] Le mot est expliqué, dans le Kamous (tome I, page 494), par  « Qui a le corps délicat, la peau mince, de l'embonpoint. On lit dans le Kitab al-agâni (t. I, f. 188 v.) : . Plus loin (f. 237 r.) : , et enfin (tome III, fol. 39 v.), .

[65] Le mot , qui fait au pluriel , désigne un bœuf qui a de grands yeux, et par suite une antilope, qui se distingue par la même propriété. Un vers du poète Zohaïr (man. d'Asselin, fol. 56 v.), cité par le Sirat-arresoul (man. 629, fol. 160 r.) et par le Kitab-alagâni (tom. II, fol. 345 r.), offre ces mots:

.  « Là sont des antilopes et des jeunes gazelles, qui marchent derrière lui. Et, dans ces divers passages, une glose marginale explique le mot par . Dans le Yétimah (man. ar. 1870, fol. 315 r.), on lit ce vers:

« Tels sont les sables où se battent, à coups de cornes, les chamois, auxquels les antilopes viennent porter secours. »

[66] Le mot  dit l'auteur, équivaut à .

[67] Le mot  est le pluriel de , qui désigne une religieuse. On lit dans l'ouvrage théologique du Nestorien Amrou (Madjdal, man. ar. 82, page 732): , « Les moines et les religieuses. Plus bas (page 782); . Ailleurs (page 766) on trouve le mot au singulier, .

[69] Cette femme, sur la vue perçante de laquelle les Arabes ont débité bien des fables, n'a pu probablement être contemporaine de Hind.

[71] Le mot ibad désignait les chrétiens nestoriens. On lit dans un ouvrage de Massoudi (Tenbik. man. de Saint-Germain 337, fol. 84 r. et 87r.)   . « Les Melkites, par haine contre les chrétiens orientaux, les ont désignés comme appartenant à Nestorius; et ils ont donné aux Nestoriens le nom de ibad (esclaves). » Dans un autre ouvrage, le même écrivain (Morotulj, tom. I, fol. 39 r.) s’exprime ainsi : . Le mot ibad désigne les chrétiens orientaux, autrement nommés Nestoriens. Plus loin (fol. 43 r.) :   « Il était ibadi de religion; et ce mot désigne les chrétiens nestoriens. » (Voyez aussi fol. 140 r. et 142 v.) Comme, dans la ville de Hirab, c'étaient les Arabes de Tanoukh qui formaient en grande partie la population chrétienne, le mot ibadi  s'appliquait ordinairement à un de ces Arabes. C'est ce qu'attestent l'auteur du Kitab-alagâni (t. II, fol. 224 v. t. III, f. 163 r.) ; Hamzab-Isfahâni (Historia regnorum Arabum, p. 31); Tebrizi, dans son Commentaire sur Motanebbi (tom. I, fol. 158 r.) ; Birouni (Athâr, man. ar. de l'Arsenal 17, fol. 155 v.); Abulféda (Annales, tom. II, p. 244).

[72] Au rapport du nestorien Amrou (Madjtlal, man. arabe 82, p. 779), Noman ben Mondhar, qui était païen, ayant été guéri par les prières de Siméon, évêque de Hirah, embrassa la religion chrétienne.

[73] Agâni, tom. II, fol. 7 et suiv. On peut voir, sur ce qui concerne ce poète, les détails que donne Soïouti dans son Commentaire sur le Mogni (mn. ar. 1238, fol. 180 r.). On lit dans des vers manuscrits de Tarafah (man. de la Bibliothèque du roi, fol. 89 v.) :

« Lorsqu’Asmah eut conquis le cœur de Mourakkisch en lui inspirant un amour dont les signes caractéristiques se montrèrent partout aussi brillants que l'éclair. »

Tebrizi, dans son Commentaire sur le Hamasah, parle de ce poète (p. 49), aussi bien que Meïdani (proverbe 875).

[74] On lit dans des vers manuscrits de Tarafah (fol. 83 r.) :

Telles sont les lignes écrites sur un parchemin, on les a tracées, le matin, un dessinateur habile.

Le scoliaste explique le verbe  par , et  par .

[76] Les voyageurs modernes s'accordent en général à dire que le mot arabe leben désigne du lait aigre. Burckardt (Travels in Arabia, tom. I, p. 59) dit que leben signifie sour milk (du lait sur). Suivant le même voyageur (ibid. p. 62), leben kamed désigne du lait aigre et que l'on fait épaissir en le faisant bouillir. Dans la relation de MM. Denham et Clapperton (Narrative of travels and discoveries in Africa, tom. II, p. 11), on lit aussi leban (sour milk). La même assertion se trouve répétée dans plusieurs passages du voyage de MM. Mangles et Irby (Travels, p. 350, 481, 482). Le P. Naud (Voyage dans la Palatine, p. 469) dit aussi « laban, c'est-à-dire lait aigre. » M. Lyon (Voyage dans l'Afrique septentrionale, p. 4o) dit que libban signifie, le lait de beurre aigri, mais cette assertion ne doit point être prise dans un sens absolu. Il est certain, comme l'atteste M. Lyon (p. 50) que les Arabe préfèrent au lait frais celui qui est aigri et réduit en lait de beurre. On peut voir les détails que donne Burckardt (Notes on the Bedouins, tom. I, p. 59, 102). Mais le mot leben signifiait en général du lait. On lit dans le Mesalek-alabsar (manuscrit 583, fol. 230 v.) :  « J'ai chez moi du lait doux et du lait aigre. » Dans le Voyage d'Ibn Batoutah (fol. 50 v.),  « Du lait fraîchement trait. » Il est vrai que, dans un autre endroit (fol. 39 v.), ce voyageur explique le mot persan  par . Dans un passage du Kitab-alagâni (t. II, fol. 167 r.) :  « Abreuve ton poulain de lait. » Ailleurs (fol. 222 u.) Amrou'lkaïs refuse de boire du lait aigre et demande où est le lait frais ou le lait mélangé; .. Dans le Yètimah (man. 1370, fol. 165 v.), on lit ce vers :

« Nos deux cœurs se sont aimés, comme s'ils avaient été nourris du sang ries entrailles et non de lait. »

A cette occasion, je dois dire quelques mots d'une expression qui se rencontre chez les anciens écrivains arabes. On lit dans le Sirat-arresoul (man. ar. 629, fol. 116) : ; et l'auteur fait cette remarque: . Ibn Hescham dit: « Il entend par le mot  celui qui m'a fait prisonnier m'a rendu la liberté au prix de femelles de chameaux abondantes en lait. » Dans les Proverbes de Meïdani (prov. 171), on lit : , que l'auteur explique par  « Reçois de moi une rançon. » Les mêmes mots se trouvent dans l'Histoire de Nowaïri (man. ar. 700, fol. 21). Plus loin (fol. 22) :  « Ne veux-tu pas recevoir une rançon (composée de femelles de chameaux). » Plus bas (fol. 29):

« Tu as mal agi en nous offrant tes jeunes fils et en exigeant de nous une rançon pour le meurtre de Kolaïb. » Dans un passage d'Ibn Nobatah (Additam ad Histor. Arab. p. 12) :  « Tu exiges de nous une rançon. » Dans le Hamasah (man. fol 74 v.) on lit ce vers :

Tébrizi fait cette observation:  « Il désigne par ce mot , le lait, les femelles de chameaux que l'on donne pour la rançon du meurtre, attendu que les femelles ont du lait. Dans un passage du Commentaire de Tébrizi (p. 121) on trouve ces mots:   « Si je suis égorgé, tu ne tireras de ma mort d'autre vengeance que de recevoir une rançon. »

[77] Le texte, que je me suis bien gardé de traduire littéralement, est conçu en ces termes :

[78] Je n'ai pas besoin d'avertir que cette histoire rappelle l’anecdote romanesque d'Emma et d'Eginhard.

[79] Le texte porte :

[80] C’est une allusion à cette expression proverbiale,  . « Il vaut mieux entendre parler du moaïdi que de le voir. » On dit également:   ou  ou enfin . La meilleure leçon, dit Meïdani (prov. 774 et 8982), est celle de ; mais on trouve plus ordinairement . C'est ainsi que le proverbe est cité dans le Commentaire d'Ibn Djinni sur le Hamasah (man. d'Asselin 778, fol. 64 r. et v.). Dans l'Histoire biographique d'Ibn Khallikan (ms. ar. 780, fol. 280 r.), on lit  « Que tu entendes parler du moaïdi, mais que tu ne le voies pas. » Ainsi que dans le Kartas (man. P. 69) et dans l'ouvrage d'Ibn Kotrob (man. 897, f. 15 v.), et dans les scolies sur Ibn Fâred (f. 5or.). Dans l'Histoire de Kaïrowan (man ar. 762, fol. 21 r.) on lit:  et dans le Commentaire d'Ibn Nobatah sur Ebd-Zeïdoun (Additam ad. Hist. Arab. p. 49) : . Cette expression, ainsi que l'attestent Meïdani (prov. 774) et plusieurs des écrivains déjà cités, s'emploie en parlant d'un homme dont il vaut mieux entendre parler que de le voir; et, par extension, le mot moaïdi  signifie un être nuisible, qui est le fléau des autres, comme dans ce passage de l'Histoire de Mahmoud, écrite par Otbi (man. de Ducaurroy, fol. 266 v.) :   « Il était dans le Khorasan, par suite de ses inclinations lâches, le fléau des hommes généreux. »

[81] Je donnerai ailleurs cette pièce de vers tout entière.