Le temps des généraux : Pompée |
Guerre contre Mithridate |
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texte tiré de l'introduction au de imperio Cn. Pompei ad Quirites oratio par J. Van Ooteghem S. J. H. Dessain, Liège, 1950. (sauf les cartes)
INTRODUCTION : les Romains en Asie
Pour protéger son royaume des appétits
voisins, Attale III légua en 133 son royaume à Rome. Dans le testament, il
avait stipulé que Pergame devait rester libre. Dans un premier temps, Rome ne
s'occupa que des richesses mais des philosophes stoïciens voulurent créer un
État égalitaire. Un bâtard d'Eumène, Aristonikos et le peuple se
soulevèrent. Le conseiller de Tibérius Gracchus, le philosophe Bossius de
Cumes les rejoignit.
Il y eut une guerre terrible (131-129). Le consul M' Aquilius réduisit les
mutins et créa le province d'Asie (la Mysie, la Carie, la Phrygie et la Lydie).
I. LES GUERRES MITHRIDATIQUES
Le royaume du Pont, fondé au début du IIIe siècle A.C.N. par Mithridate I Ctistès (le fondateur) ne devint un État indépendant que sous le règne de son lointain successeur, Mithridate VI Eupatôr ou Dionysios. Né à Sinope en 132, celui-ci était le fils de Mithridate V Évergète, assassiné en 120 par ses familiers, avec la complicité de son épouse. Le testament, vrai ou faux, du père partageait le gouvernement du royaume entre la reine et ses deux fils, Mithridate et Chrestos. Cette reine "appartenait à la race de ces grandes ambitieuses en qui la reine tue l'épouse et la mère" (Th. REINACH) : elle fit tant pour se débarrasser de son fils Mithridate que celui-ci quitta la résidence royale et alla mener pendant sept ans, au milieu des bois, une vie de chasseur et de proscrit : de la sorte, il s'endurcit le corps et se trempa le caractère.
Brusquement, il reparut à la cour, fit jeter sa mère en prison, où elle mourut peu après. Il régna conjointement avec Chrestos jusqu'en l'année 111 où il le fit assassiner. Dès ce moment, il suit une politique très ambitieuse : à partir de 110, il intervient en Chersonèse Taurique (Crimée) pour y sauver l'hellénisme menacé par les Scythes : quatre campagnes, dirigées par le général Diophante, lui confèrent le titre de roi du Bosphore et le rendent maître, au nord du Pont-Euxin, de territoires presque aussi étendus que ceux qu'il a hérités de ses pères : ils lui fourniront par an 180.000 médimmes de blé et 200 talents en argent : outre, la Russie méridionale procurera à son armée d'importants contingents de mercenaires. En 104, il s'allie à Nicomède II de Bithynie, pour partager avec lui la Paphlagonie. Vers l'an 100, il envahit la Cappadoce : au cours d'une entrevue, il tue de sa propre main le roi Ariarathe VII, qu'il remplace par son propre fils âgé de huit ans, sous ce même nom d'Ariarathe.
Rome s'inquiète de ces progrès : "ce sultan oriental rêvait d'imiter Alexandre, mais à la tête d'une armée d'Orientaux, qu'il conduirait contre l'Europe" (A. PIGANIOL). Le sénat enjoint à Mithridate et à Nicomède d'évacuer la Cappadoce et la Paphlagonie, et les deux souverains s'exécutent, "chacun d'eux trouvant sa consolation dans la disgrâce de son rival" (Th. REINACH). La Cappadoce reçoit pour roi un grand seigneur perse, Ariobarzane, qui prend le surnom significatif de Philoromaios.
Mithridate se rend compte qu'il ne pourra tenir tête à Rome que s'il dispose de puissants alliés : il se tourne vers Tigrane, roi d'Arménie, auquel il donne en mariage sa fille Cléopâtre. Tigrane envahit la Cappadoce et en chasse Ariobarzane : le fils de Mithridate est replacé sur le trône de Cappadoce, mais une campagne de L. Cornélius Sylla, alors propréteur de Cilicie, y ramène Ariobarzane. La guerre "sociale" (91-88) permet bientôt à Mithridate de manoeuvrer avec plus de succès : il expulse de Bithynie le roi Nicodème III, pendant que Tigrane chasse à nouveau Ariobarzane de Cappadoce (90). Malgré ses difficultés intestines, Rome envoie en Asie Mineure M' Aquilius pour obtenir la restauration de Nicomède et d'Ariobarzane : Mithridate fait encore mine de s'incliner, mais, quand Aquilius lui demande d'indemniser Nicomède de sa spoliation, il répond qu'il est lui-même créancier de Rome et, pour preuve, il donne la liste des sénateurs qu'il a achetés. Alors Aquilius pousse Nicomède à envahir le Pont : Mithridate réplique en installant encore une fois son fils en Cappadoce (89) : c'est la guerre.
Ire Guerre contre Mithridate (89-84)
L'armée de Nicodème comptait 50.000 fantassins et 6.000 cavaliers : les Romains avaient mis sur pied 190.000 hommes répartis en trois groupes que commandaient M' Aquilius, C. Cassius, gouverneur d'Asie, et Q. Oppius, gouverneur de Cilicie. Mithridate pouvait leur opposer 250.000 fantassins et 50.000 chevaux.
Deux victoires décisives, remportées l'une sur Nicomède dans la vallée de l'Amnias, l'autre sur M' Aquilius à Proton Pachion (site inconnu), livrent à Mithridate toute la Bithynie, la Phrygie du nord, la Mysie : bientôt il pénètre dans la province d'Asie, où il est accueilli comme un libérateur: on lui livre Q. Oppius et M' Aquilius. Pour ridiculiser le nom romain, ce dernier est promené par les villes de l'Asie, assis sur un âne et battu de verges : peut-être Mithridate le fit-il périr en lui versant de l'or fondu dans la bouche pour le punir de son insatiable soif de richesses. Enfin, désireux de se débarrasser des Romains qui se trouvaient en Asie et constituaient un danger permanent pour sa domination, il signe à Éphèse leur arrêt de mort: au jour fixé, 80.000 résidents de langue italique sont massacrés : ils laissent un énorme butin, qui permet de dispenser l'Asie du paiement du tribut pendant cinq ans.
La victoire de Mithridate en Asie eut sa répercussion en Grèce : le peuple grec, qui attendait depuis longtemps un libérateur, adressa au roi du Pont le sophiste Aristion pour le supplier de seconder leur insurrection contre Rome. Mithridate envoya une flotte sous les ordres d'Archélaos : ce général occupa Délos, le Pirée, mais fut battu par Sylla à Chéronée d'abord, puis à Orchomène. C'était le commencement des revers. Sentant la situation perdue, Mithridate se hâta de pressurer le plus qu'il put la malheureuse province d'Asie : quand l'armée du marianiste C. Fulvius Fimbria eut franchi le Bosphore, Mithridate perdit peu à peu toutes ses conquêtes : Sylla le contraignit à signer la dure paix de Dardanos (en Troade), sur la base du statu quo territorial de 89 : Mithridate restituerait la Bithynie et la Cappadoce, livrerait 70 navires et paierait 2.000 talents. Les villes d'Asie qui avaient accueilli Mithridate furent condamnées à l'amende exorbitante de 20.000 talents, qui équivalait pour elles à la ruine totale.
L'intervalle des deux guerres (87-74)
Sylla avait laissé en Asie, en qualité de propréteur, Licinius Muréna avec deux légions. "Ce cerveau brûlé ne rêvait que triomphes et, comme le traité de Dardanos n'avait été encore ni mis par écrit ni ratifié par les pouvoirs compétents, il se croyait le droit légal de reprendre les hostilités. Quant aux prétextes, Mithridate se chargea de lui en fournir" (Th. REINACH). D'abord, le roi du Pont détenait encore indûment plusieurs districts de la Cappadoce. Ensuite, il préparait une expédition pour ramener dans le devoir ses sujets du Bosphore cimmérien qui venaient de s'insurger : Muréna trouvait les préparatifs trop considérables et dirigés en réalité contre Rome. Ces incidents provoquèrent non une guerre, mais une série de razzias, que favorisait Archélaos passé au parti de Muréna. Mithridate envoya en Italie des ambassadeurs chargés de porter plainte contre Muréna et, comme la réponse tardait, il nettoya la Cappadoce des garnisons romaines qui s'y trouvaient. Enfin un envoyé de Sylla, A. Gabinius, vint intimer à Muréna l'ordre de cesser les hostilités et de rentrer à Rome : "battu mais content" (Th. REINACH), Muréna prit le titre d'imperator et obtint les honneurs du triomphe. Mithridate put alors continuer sa campagne contre les Bosphorans auxquels il donna pour roi son fils Macharès. Lorsqu'à la requête d'ambassadeurs d'Ariobarzane, Sylla lui enjoignit d'évacuer la Cappadoce, conformément au traité de Dardanos, il s'exécuta.
La mort du dictateur (78) retarda une fois encore la signature de la paix. Mithridate en profita pour exciter son beau-fils et allié, Tigrane, à attaquer la Cappadoce. Ariobarzane fut expulsé à nouveau de son royaume et 300.000 habitants déportés au loin pour peupler, aux confins de la Mésopotamie et de l'Arménie, la nouvelle capitale de Tigrane, Tigranocerte. Mithridate lui-même faisait des préparatifs de guerre : bientôt il disposait outre sa flotte, d'une armée de 140.000 fantassins et 16.000 cavaliers. Rome ne put intervenir aussitôt, occupée qu'elle était par la guerre de Sertorius et la guerre des pirates : Mithridate avait partie liée avec chacun de ces ennemis.
IIme Guerre contre Mithridate (74-66)
L'occasion fut la mort de Nicomède III de Bithynie, survenue en 74: bien que Nicomède eût un fils, le Sénat prétendit qu'il avait institué les Romains héritiers de ses États et prononça l'annexion. Cette décision "équivalait à une déclaration de guerre contre Mithridate : c'était en effet, la rupture de l'équilibre asiatique, si péniblement rétabli par le traité de Dardanos. Rome devenait la voisine immédiate du Pont, l'Euxin s'ouvrait à ses flottes, et désormais elle n'aurait qu'à fermer le Bosphore pour ruiner, quand elle le voudrait, le commerce pontique. Accepter une pareille situation eût été pour Mithridate signer sa déchéance; on le comprenait si bien à Rome, qu'avant même la mort de Nicomède, on s'était préoccupé du choix d'un général pour présider à la lutte imminente" (Th. REINACH). Les deux consuls de 74 reçurent comme province l'un, M. Aurelius Cotta, la Bithynie et la défense des détroits, l'autre L. Licinius Lucullus, la Cilicie et le commandement sur terre : tous les deux se rendirent aussitôt dans leurs gouvernements respectifs. Cotta réunit une flotte en Asie même : Lucullus emmena d'Italie une légion de conscrits, à laquelle devaient se joindre les deux légions qu'avait commandées Fimbria (legiones Valerianae), toujours cantonnées en Asie, et les deux légions de Cilicie, en tout quelque 30.000 fantassins et 1.600 cavaliers.
Au printemps de 73, Mithridate ouvrit les hostilités: il envoya un corps, commandé par Diophante, occuper la Cappadoce; lui-même, avec le gros de l'armée et la flotte, se dirigea vers la Bithynie : proclamant qu'il y venait y installer le roi légitime, le jeune Nicomède, il expulsa sans peine les résidants romains qui se réfugièrent dans la place forte de Calcédoine, en face de Byzance, où se tenait Cotta : celui-ci livra imprudemment bataille et fut vaincu sur terre et sur mer. Mithridate passa dans la province romain de d'Asie, où il se présenta cette fois encore en libérateur, promettant la suppression des impôts qui, depuis Sylla, écrasaient les villes. Puis il alla assiéger Cyzique, fidèle alliée de Rome sur la côte de l'Hellespont. Lucullus accourut en toute hâte et le bloqua autour de la place : Mithridate ne réussit à s'enfuir qu'en abandonnant son armée. Peu après, Lucullus détruisait dans la mer Égée une escadre pontique de 10.000 hommes, que Mithridate destinait à Sertorius. De retour dans le Pont, il infligea à Cabira une telle défaite à Mithridate, que celui-ci ordonna de tuer les femmes de son harem, de peur de les voir tomber aux mains de l'ennemi. Grâce aux instincts de cupidité des soldats de Lucullus qui se jetèrent sur le butin de l'armée vaincue, le roi du Pont réussit à fuir en Arménie chez son gendre Tigrane. Contrairement à ce que dit Cicéron, le "Roi des rois" le reçut mal : "il lui assigna pour résidence un château fort, situé au fond de l'Arménie, dans un canton marécageux. Prisonnier de son hôte, confiné dans une inaction forcée, Mithridate resta 20 mois dans ce séjour malsain (de l'automne 71 au printemps 69), rongeant son frein, apprenant avec désespoir la chute successive de toutes ses vaillantes capitales" (Th. REINACH) : Amisos et Héraclée tombèrent dès l'année 71, Sinope fut prise en 70.
Dès le lendemain de la prise de Cabira, Lucullus avait demandé au roi d'Arménie l'extradition de Mithridate : Tigrane avait refusé, se considérant comme obligé d'honneur à ne pas le livrer. Au printemps de 69, il consentait à se rencontrer avec son beau-père dans un entretien qui dissipa tous les malentendus : on venait de décider d'un commun accord de prendre l'offensive en Asie Mineure, lorsque les deux rois apprirent que les Romains étaient déjà en Arménie. Tigranocerte se vit bientôt assiégée. Tigrane leva une immense armée de secours, avec laquelle il prétendit débloquer sa capitale sans attendre les troupes que, de son côté, rassemblait Mithridate : à l'approche des 80.000 hommes de Tigrane, troupeau plutôt qu'armée, Lucullus laissa devant Tigranocerte Muréna avec ses 6.000 hommes; lui-même, avec 10 ou 12.000 hommes d'infanterie de ligne, 1.000 archers et frondeurs et 3.000 chevaux, écrasa l'armée ennemie qui, rien qu'en morts, perdit 30.000 hommes (6 octobre 69), Tigranocerte capitula. Mithridate rencontra Tigrane dans sa fuite et "s'ingénia à réconforter cette âme écrasée, à lui communiquer un peu de cette virilité dont il débordait lui-même" (Th. REINACH). Lucullus avait atteint le sommet de la gloire: il ne devait pas tarder à en déchoir.
Pendant l'hiver de 69-68, Mithridate et Tigrane réorganisèrent leurs forces, et cherchèrent de nouvelles alliances, surtout celle du roi des Parthes, Phraate III. Lucullus réussit à remporter encore quelques légers succès, mais son armée manifestait de la répugnance à poursuivre plus loin un ennemi qui échappait toujours : il dut donc renoncer à marcher sur la capitale arménienne Artaxata et ramena ses troupes en Mésopotamie. À l'automne de 68, il prit Nisibis, où il hiverna. Mithridate profita de l'arrêt de l'offensive romaine pour reconquérir son royaume : il défit M. Fabrius Hadrianus, un des lieutenants romains préposés à la garde du Pont. Arrivé à la rescousse, C. Valerius Triarius jugea la situation si grave, qu'il n'osa engager le combat et réclama le secours de Lucullus. Les légions du général refusèrent de se mettre en campagne avant le printemps : Mithridate mit à profit ce délai pour contraindre Triarius au combat non loin de Gaziura sur l'Iris. Ce fut un désastre pour les romains : si l'armée de Triarius ne fut pas anéantie, comme l'insinue Cicéron, 25 tribuns militaires, 150 centurions et 7.000 soldats avaient péri. Lucullus était à mi-route lorsqu'il apprit la nouvelle. Le moral de ses troupes fléchit encore. Son beau-frère en personne, P. Clodius, qui devait acquérir plus tard une triste célébrité, attisait le mécontentement des légions.
On comprit à Rome qu'il était temps de pourvoir au remplacement de Lucullus. Au début de 67, un plébiscite investit le consul M'. Acilius Glabrio du commandement de la guerre contre Mithridate avec le gouvernement de la province de Bithynie et du Pont; en même temps, on intimait à Lucullus l'ordre de remettre ses troupes à son successeur, sauf les légions valériennes qui devaient être licenciées. Lucullus, qui espérait relever son prestige par une victoire décisive, ne tint d'abord aucun compte de ces décrets. Il appela à l'aide le nouveau gouverneur de Cilicie, son beau-frère, Q. Marcius Rex, mais celui-ci, connaissant la mauvaise volonté de ses troupes, refusa de le secourir. Lucullus voulut au moins empêcher la jonction de Mithridate et de Tigrane et marcha contre ce dernier. Ses légions affectèrent d'abord de le suivre, mais, arrivées à la frontière de Cappadoce, elles tournèrent brusquement le dos à l'ennemi. Lucullus dut les ramener sur l'Halys et les garda tout l'été près de lui dans l'inaction la plus complète; à l'automne elles se débandèrent.
Vers ce temps-là, arriva en Asie la commission de dix membres chargés par le Sénat d'organiser les conquêtes de Lucullus : elle dut se rendre à l'évidence : Lucullus n'avait plus ni armée ni territoires conquis, Mithridate régnait sur le Pont et Tigrane envahissait encore une fois la Cappadoce. "Après sept années d'une guerre acharnée, on en était tout simplement revenu au point de départ." (Th. REINACH). C'est alors que la loi Manilia confia à Pompée le commandement de la guerre contre Mithridate.