Le temps des Gracques

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Réformes agraires

Les ingrédients

Des terres

CICERON : M. Tullius Cicero fut avocat, homme politique, écrivain. Durant les dernières années de sa vie, aigri par son divorce et par sa mise à l'écart de la vie politique, il va se consacrer à la rédaction d'ouvrages théoriques sur l'art oratoire et sur la philosophie. Au fil de ses lectures il choisit le bien où il le trouve

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En 64, le tribun de la plèbe Rullus propose une loi agraire. Il veut faire distribuer au peuple 10 arpents de terre. Parmi les régions concernées, il y a la Campanie. Les terres de cette région étaient passées à l'ager publicus lors de la seconde guerre punique puisque Capoue était passée dans le camp des Carthaginois

Quod si posset ager iste ad vos pervenire, nonne eum tamen in patrimonio vestro remanere malletis? Unumne fundum pulcherrimum populi Romani, caput vestrae pecuniae, pacis ornamentum, subsidium belli, fundamentum vectigalium, horreum legionum, solacium annonae disperire patiemini? An obliti estis Italico bello amissis ceteris vectigalibus quantos agri Campani fructibus exercitus alueritis? an ignoratis cetera illa magnifica populi Romani vectigalia perlevi saepe momento fortunae, inclinatione temporis pendere? Quid nos Asiae portus, quid scriptura, quid omnia transmarina vectigalia iuvabunt tenuissima suspicione praedonum aut hostium iniecta? At vero hoc agri Campani vectigal, cum eius modi sit ut cum domi sit et omnibus praesidiis oppidorum tegatur, tum neque bellis infestum nec fructibus varium nec caelo ac loco calamitosum esse soleat, maiores nostri nec solum id quod de Campanis ceperant non imminuerunt verum etiam quod ei tenebant quibus adimi iure non poterat coemerunt. Qua de causa nec duo Gracchi qui de plebis Romanae commodis plurimum cogitaverunt, nec L. Sulla qui omnia sine ulla religione quibus voluit est dilargitus, agrum Campanum attingere ausus est.

CICÉRON, de Lege agraria, II, 80-81.

  vocabulaire

Si cet ager publicus pouvait vous revenir, est-ce que vous ne préférerez pas le garder dans votre patrimoine? Est-ce que vous souffrirez que disparaisse ce très beau domaine du peuple romain, le joyau de votre fortune, la parure pour la paix, le secours pour la guerre, la base de vos impôts, le grenier de vos légions, le soulagement de votre approvisionnement? Est-ce que vous avez oublié que, lors de la guerre d'Italie, alors que tous vos revenus étaient perdus, combien d'armées vous avez nourries grâce aux revenus de l'ager Campanus? Est-ce que vous ignorez que les autres magnifiques revenus du peuple romain souvent sont suspendus à un mouvement de la fortune, à un caprice du temps? A quoi nous serviront les ports de l'Asie, l'impôt sur le pâturage, tous les revenus d'outre-mer au plus petit soupçon de pirates ou d'ennemis? Tandis que ce revenu provenant de l'ager Campanus ont cette particularité d'être chez vous et protégés par toutes les garnisons de nos villes fortifiées. Elle n'est pas infestée d'ennemis, les revenus ne varient pas et elle est à l'abris des calamités du ciel et du climat. Nos ancêtres n'ont pas diminué ce qu'ils avaient pris aux Campaniens, bien plus ils ont acheté en masse ce que ceux-ci possédaient et qui ne pouvait être acheté légalement. C'est pour cette raison que ni les deux Gracques qui ne pensaient qu'au bien de la plèbe, ni Sylla qui distribua tout à qui il le voulait sans aucun scrupule religieux, n'ont pas osé toucher à l'ager Campanus.

CICÉRON, de Lege agraria, II, 80-81.

 

 

De la terre que le Romains avaient gagnée par conquête sur leurs voisins, une partie était vendue publiquement et le reste était transformé en terres publiques. Cette terre publique, ils l’assignaient à des citoyens pauvres et indigents : ceux-ci devaient payer seulement une petite redevance au trésor public. Mais quand les hommes riches commencèrent à offrir de plus grandes redevances et expulsèrent les personnes plus pauvres, on décréta par une loi que personne ne pouvait posséder plus de cinq cents arpents de terre. Pendant un certain temps cette loi réfréna l'avarice des plus riches et fut d’une grande aide aux plus pauvres qui pouvaient rester sur les lopins de terre qu’ils possédaient car ils les louaient autrefois. Ensuite les hommes riches du voisinage trouvèrent le moyen d’entrer en possession de ces terres par des prête-noms et finalement ils n’hésitèrent pas à prétendre qu’elles leurs appartenaient.  Les pauvres qui ainsi privés de leurs fermes n'étaient plus prêts, comme auparavant, à servir à la guerre ni à soigner l'éducation de leurs enfants; ainsi, en peu de temps il ne resta plus beaucoup d’hommes libres dans toute l'Italie qui grouillait d’esclaves nés à l'étranger. Les hommes riches les employaient pour cultiver leurs terres dont les citoyens avaient été spoliés. Caius Laelius, l'ami intime de Scipion, s'engagea à reformer cet abus; mais il se heurta à l'opposition des puissants et par crainte de troubles il renonça vite et reçut le nom de sage ou de prudent : ces deux significations viennent du mot latin Sapiens

PLUTARQUE, Vies de Tibérius et Caius Gracchus, VIII.

Commentaire : l'ager publicus

 Au point de départ, le chef de famille avait le droit d'occuper les terres qu'il mettrait effectivement en culture : c'était l'ager occupatorius. Cette situation était qualifiée de possesio. La loi Licinia en 367 limitera cette possessio à 500 arpents et autorisa les plébéiens à occuper aussi l'ager publicus. De plus les grands propriétaires avaient le droit de faire pacager leurs troupeaux sur l'ager publicus voisin de leur propriété (ager compascuus). A la fin du IVème siècle, l'État demandera un vectigal ou une scriptura pour ce faire.

Au moment des guerres puniques, l'ager publicus, sera le domaine appartenant à l'État romain (terres, forêts, eaux courantes, lacs, salines,...), constitué essentiellement par des territoires confisqués, en tout ou en partie, aux peuple vaincus, d'abord en Italie, puis hors de l'Italie, dans les provinces.

Il y a, pour les Romains deux sortes d'ager : l'ager privatus et l'ager publicus. Seul l'ager privatus est susceptible d'appropriation. L'ager publicus prit une grande extension lors des guerres puniques (confiscation des terres des villes qui s'étaient alliées à Hannibal (Capoue, Tarente)) ainsi que les terres de la Gaule cisalpine et des parties de l'Etrurie et de l'Ombrie.

Une fois les terres confisquées, l'État en louait une partie aux anciens vaincus.

Sur l'autre partie, l'État romain pouvait
- soit vendre les terres au profit du Trésor (ces terres deviennent alors agri privati);
- soit les vendre ou les louer pour rembourser des emprunts (voir texte de TITE-LIVE plus loin);
- soit en garder la possession ou la louer.

C'étaient les censeurs qui pratiquaient ces opérations : la locatio.

Dans certaines circonstances l'État pouvait les distribuer gratuitement, c'est ce qu'on appelle l'assignatio. Celle ci pouvait être
- individuelle
- collective (les colonies).

Cependant, le plus souvent pour des terres cultivables mais en friche à cause des guerres, l'État proposait à des privés, contre paiement d'une taxe (vectigal), la possessio cad un droit d'usage précaire. Le vectigal était la reconnaissance par le locataire du droit de propriété final de l'État. S'il n'y avait pas de vectigal, il y avait une scriptura ; c'est pourquoi on appellera ces terres l'ager scripturarius. Cette possessio profita surtout aux gens riches (sénateurs et chevaliers) qui avaient les moyens pour y envoyer travailler des esclaves et pour acheter les troupeaux.

Au moment de la crise agraire, il y avait eu modification de l'ager publicus. On pouvait distinguer trois types de terrains :

1. l'ager scripturarius : forêts et pâturages qui étaient périodiquement affermés contre un droit de pâture (scriptura). (C'étaient souvent des gens riches qui les occupaient parce qu'eux seuls avaient assez d'argent pour acheter le bétail ; c'est au sujet de ces terres que se fera surtout l'opposition entre patriciens et plébéiens).

2. l'ager arcifinalis : terrains cultivables mais en friche. L'État le livrait à qui voulait. C'est le régime juridique de l'occupatio créant la situation du détenteur provisoire. Les détenteurs pouvaient être renvoyés et ne pouvaient ni borner ni enclore les champs (seuls les riches ont assez de main d'oeuvre pour mettre en culture ces terres).

3. l'ager adsignatus : terres cultivées et bornées. Ces terres pouvaient être soit affermées soit vendues aux enchères par le questeur, soit distribuées gratuitement.

 

 

 

ac, conj. : et, et aussi
ad, prép. : + Acc. : vers, à, près de
adimo, is, ere, emi, emptum : ôter, enlever
ager, agri, m. : la terre, le territoire, le champ
alo, is, ere, ui, altum ou alitum : 1. nourrir, alimenter 2. développer 3. se nourrir
amitto, is, ere, misi, missum : perdre
an, conj. : est-ce que, si (int. ind.), ou (int. double)
annona, ae, f. : l'approvisionnement en blé, le ravitaillement
Asia, ae, f. : Asie
at, conj. : mais
attingo, is ere, tigi, tactum : toucher à, toucher, atteindre
audeo, es, ere, ausus sum : oser
aut, conj. : ou, ou bien
bellum, i, n. : la guerre
caelum, i, n. : le ciel
calamitosus, a, um : ruineux, désastreux, pernicieux
Campanus, a, um : Campanien, de Campanie
capio, is, ere, cepi, captum : prendre
caput, itis, n. :1. la tête 2. l'extrémité 3. la personne 4. la vie, l'existence 5. la capitale
causa, ae, f. : la cause, le motif; l'affaire judiciaire, le procès; + Gén. : pour
ceteri, ae, a : pl. tous les autres
coemo, is, ere, emi, emptum : acheter en masse
cogito, as, are : penser, réfléchir
commodus, a, um : convenable, approprié, bienveillant (commodum, i, n. : la facilité, la commodité)
cum, inv. :1. Préposition + abl. = avec 2. conjonction + ind. = quand, lorsque, comme, ainsi que 3. conjonction + subj. : alors que
de, prép. + abl. : au sujet de, du haut de, de
dilargior, iris, iri, itus sum : prodiguer, distribuer
dispereo, is, ire, ii, itum : disparaître, périr, être détruit
domi, adv. : à la maison
duo, ae, o : deux
ei, DAT. SING ou NOM. M. PL. de is,ea,id : lui, à celui-ci, ce,...
eius, Gén. Sing. de IS-EA-ID : ce, cette, son, sa, de lui, d'elle
et, conj. : et. adv. aussi
etiam, adv. : encore, en plus, aussi, même, bien plus
eum, ACC M SING. de is, ea, id : il, lui, elle, celui-ci...
exercitus, us, m. : l'armée
fortuna, ae, f. : la fortune, la chance
fructus, us, m. : 1. le droit qu'on a sur qqch, l'usufruit 2. le fruit, la récompense, le résultat
fundamentum, i, n. : le fondement, la base, le support
fundus, i, m. : le domaine, le bien, la propriété
Gracchus, i, m. : Gracchus
hic, haec, hoc : adj. : ce, cette, ces, pronom : celui-ci, celle-ci
horreum, i, n. : le grenier
hostis, is, m. : l'ennemi
id, NOM-ACC N. SING. de is, ea, is : il, elle, le, la, ....
ignoro, as, are : ignorer
ille, illa, illud : adjectif : ce, cette (là), pronom : celui-là, ...
imminuo, is, ere, ui, utum : diminuer, amoindrir, réduire; détruire, ruiner
in, prép. : (acc. ou abl.) dans, sur, contre
inclinatio, ionis, f. : le penchant, le caprice
infestus, a, um : ennemi, hostile (+dat.)
iniicio, is, ere, ieci, iectum : jeter sur
iste, a, um : ce, celui-ci (péjoratif)
Italicus, a, um : italien
iure, inv. : à bon droit
iuvo, as, are, iuvi, iutum : aider ; quid iuvat : à quoi bon ?
L, abrév. : Lucius
legio, onis, f. : la légion
locus, i, m. : le lieu, l'endroit; la place, le rang; la situation
magnificus, a, um : somptueux, grandiose
maior, oris : comparatif de magnus. plus grand. maiores, um : les ancêtres)
malo, mavis, malle, malui : préférer
modus, i, m. : la mesure, la limite, la manière
momentum, i, n. : le mouvement, l'influence, le poids
nec, adv. : et...ne...pas
neque, adv. : et ne pas
non, neg. : ne...pas
nos, nostrum : nous, je
noster, tra, trum : adj. notre, nos pronom : le nôtre, les nôtres
obliviscor, eris, i, oblitus sum : oublier
omnis, e : tout
oppidum, i, n. : l'oppidum, la ville fortifiée
ornamentum, i, n. : 1. l'appareil, l'équipement 2. l'ornement, la parure
patior, eris, i, passus sum : supporter, souffrir, être victime de, être agressé par
patrimonium, i, n. : le patrimoine, le bien de famille
pax, pacis, f. : la paix
pecunia, ae, f. : l'argent
pendeo, es, ere, pependi, - : être suspendu
perlevis, e : très léger
pervenio, is, ire, veni, ventum : parvenir
plebs, plebis, f. : la plèbe
plurimum, adv. : beaucoup (au superlatif), très souvent
populus, i, m. : le peuple
portus, us, m. : le port
possum, potes, posse, potui : pouvoir
praedo, onis, m. : le brigand, le bandit
praesidium, ii, n. : la garde
pulcherrimus, a, um : très beau
qua, 1. ABL. FEM. SING. du relatif. 2. Idem de l'interrogatif. 3. après si, nisi, ne, num = aliqua. 4. faux relatif = et ea 5. adv. = par où?, comment?
quantus, a, um, pr. excl et interr : quel (en parlant de grandeur)
qui, 1. n N.M.S ou N.M.PL. du relatif 2. idem de l'interrogatif 3. après si, nisi, ne, num = aliqui 4. Faux relatif = et ei 5. interrogatif = en quoi, par quoi
quibus, 1. DAT. ou ABL. PL. du relatif. 2. Idem de l'interrogatif 3. faux relatif = et eis 4. après si, nisi, ne, num = aliquibus
quid, 1. Interrogatif neutre de quis : quelle chose?, que?, quoi?. 2. eh quoi! 3. pourquoi? 4. après si, nisi, ne num = aliquid
quod, 1. pronom relatif nom. ou acc. neutre singulier : qui, que 2. faux relatif = et id 3. conjonction : parce que, le fait que 4. après si, nisi, ne, num = aliquod = quelque chose 5. pronom interrogatif nom. ou acc. neutre sing. = quel?
religio, onis, f. : le scrupule religieux, la religion
remaneo, es, ere, mansi, mansum : rester
Romanus, a, um : Romain (Romanus, i, m. : le Romain)
saepe, inv. : souvent
scriptura, ae, f. : l'écriture, l'impôt sur le pâturage
si, conj. : si
sine, prép. : + Abl. : sans
solacium, ii, n. : le soulagement , la compensation
soleo, es, ere, solitus sum : avoir l'habitude de (solitus, a, um : habituel, ordinaire)
solum, adv. : seulement
subsidium, ii, n. : la troupe de réserve, l'aide, le secours
Sulla, ae, m. : Sylla
sum, es, esse, fui : être
suspicio, ionis, f. : le soupçon
tamen, adv. : cependant
tego, is, ere, texi, tectum : 1. couvrir, recouvrir 2. cacher, abriter 3. garantir, protéger
tempus, oris, n. : 1. le moment, l'instant, le temps 2. l'occasion 3. la circonstance, la situation
teneo, es, ere, ui, tentum : 1. tenir, diriger, atteindre 2. tenir, occuper 3. tenir, garder 4. maintenir, soutenir, retenir 5. lier 6. retenir, retarder, empêcher
tenuissimus, a, um : superlatif de tenuis, e : léger, délicat
transmarinus, a, um : d'outre-mer
tum, adv. : alors
ullus, a, um : un seul ; remplace nullus dans une tournure négative
unus, a, um : un seul, un
ut, conj. : + ind. : quand, depuis que; + subj; : pour que, que, de (but ou verbe de volonté), de sorte que (conséquence) adv. : comme, ainsi que
varius, a, um : varié, divers
vectigalis, e : soumis à l'impôt, tributaire (vectigal, alis, n. : l'impôt)
vero, inv. : mais
verum, conj. : vraiment, en vérité, mais
vester, tra, trum : votre
volo, vis, velle : vouloir
vos, vestrum : vous
texte
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