Retour à l'entrée du site - Sophocle l'Olympien - L'Œuvre de Sophocle - Électre
Anthologie tragique
Traduction
par
Philippe Renault
Dans cette page, on trouvera un ensemble de « morceaux choisis » tirés des tragédies de Sophocle qui nous sont parvenues, ainsi que quelques fragments, en particulier des Limiers, retrouvés sur un papyrus il y a moins de cent ans. Comme pour Électre, qu'on pourra lire sur le même site, il s'agit d'une traduction en vers, qui veut restituer l'élan, l'urgence et la noblesse du style sophocléen. J'ai tenté de concilier - était-ce présomptueux de ma part ? - à la fois fidélité au texte, sans laquelle une traduction ne vaut rien, et la volonté très forte de faire passer le souffle poétique de l'œuvre, sans laquelle une traduction reste froide et scolaire, et n'accroche point. Puissé-je n'avoir pas trop failli à mon credo... Le lecteur est seul juge.
Bien entendu, ce choix est subjectif, et sur les quarante extraits retenus, j'ai conscience que de magnifiques tirades et de belles envolées chorales n'ont pas eu droit de cité : je m'en excuse à l'avance. Mais cette page est ouverte - grand avantage du Net - et, au fil du temps, ce choix ne fera que s'enrichir.
Donc, un choix restrictif, comme fut restrictif également - et selon moi terrible - le choix de Sophocle opéré au second siècle de notre ère, qui n'a retenu du grand poète athénien que sept œuvres sur les cent vingt-trois écrites par lui. Eschyle et Euripide ont hélas ! connu le même traitement ! Voyons ! Imaginons que de Balzac, on ne retienne que sept romans : scénario-catastrophe s'il en est !
Tout ce que j'espère, c'est que dans les deux mille prochaines années, Sophocle ne subisse pas à nouveau une cure d'amaigrissement textuel et se retrouve réduit, comme ici, à l'état d'anthologie ! Et j'en appelle aux dieux tout-puissants !
Sommaire
(445)
Dans le camp des Grecs en Troade, devant la tente d'Ajax
Prologue : Athéna annonce à Ulysse qu'elle a frappé Ajax de folie et qu'il a massacré des bœufs en pensant qu'il s'agissait des chefs de l'armée des Grecs, dont il voulait se venger pour lui avoir refusé les armes d'Achille.
Parodos : les marins de Salamine s'inquiètent des rumeurs courant sur Ajax.
Épisode 1 : Tecmesse, compagne d'Ajax, raconte la folie de ce dernier. On entend le cri du héros. Puis on le voit au milieu des bêtes massacrées. Longues plaintes. Ajax fait amener son fils et l'exhorte à suivre les voies de l'honneur.
Stasimon 1 : les marins évoquent Salamine et le deuil qui va frapper les parents d'Ajax.
Épisode 2 : Ajax annonce au Chœur et à Tecmesse son intention d'aller se purifier.
Stasimon 2 : chant de joie.
Épisode 3 : le messager annonce qu'il faut garder Ajax sous sa tente. Les choreutes se mettent à rechercher le héros. Monologue et suicide d'Ajax.
Epiparados : découverte du corps par Tecmesse.
Épisode 4 : lamentations de Teucros, demi-frère d'Ajax. Il s'oppose à Ménélas venu interdire une sépulture à Ajax.
Stasimon 3 : lamentations sur les souffrances de la guerre.
Exodos : discussion Teucros-Agamemnon. Ulysse intervient au nom de l'humanité. Cortège funèbre dirigé par Teucros
Folie meurtrière
(vers 284 - 330)
C’était la nuit ; les feux s’étaient évanouis.
Ajax prend son épée et s’avance au hasard.
Je l’arrête et lui dis : « Pourquoi es-tu venu ?
Et que recherches-tu ? Un message t’a-t-il
Prévenu d’un péril ? Je crois que la trompette
N'a point retenti puisque toute l’armée dort.
Alors il répondit : « Femmes, votre beauté
S’éclaire mieux par votre silence ». Et je me tais.
Il s’en va seul. Et ce qu'il fit est un mystère.
Il rentra quand le jour montra ses premiers feux.
Dans un affreux vacarme, il ramène taureaux,
Béliers, chiens, les massacre et s’acharne sur eux.
Il lève son épée sur d’autres animaux
Enchaînés lourdement : ils meurent aussitôt.
Il court hors de sa tente et croit voir un fantôme
Qui marche dans la nuit. Il nous dit en riant
Que le sombre ennemi, l’Atride, puis Ulysse,
Il les a décimés, tout fier de sa vengeance.
Sous sa tente rentrant comme il était sorti,
Soudain le malheureux retrouve ses esprits :
Il voit ce qu’il a fait, les crimes d’un dément.
Il se frappe la tête et, tout en gémissant,
Il s’assied sur ces corps dans des flaques de sang.
Puis, calme tout à coup, il referme ses yeux
Et ne dit plus un mot. Il s’avance vers moi,
Car il veut tout savoir. Serait-il donc l’auteur
De cette boucherie ? En tremblant, mes amis,
Je lui révèle tout (il menaçait ma vie).
C’est alors qu’il poussa un long cri douloureux.
Jamais je n’entendis de sa bouche un tel cri,
Lui pour qui se lamenter n’était réservé
Qu’à des couards. Il pleurait pareil à un taureau
Qui meugle. Voyez-le, porté par le fardeau
De son malheur, amorphe au milieu du carnage.
Hélas ! il faut s’attendre à de nouveaux sursauts.
Résignation
(vers 646 - 692)
Le temps infini nous révèle l’invisible,
Tout en dissimulant dans le voile de l’ombre
Ce qui brillait au jour. Oui, tout semble possible !
Les fermes volontés, les serments inflexibles,
Tout peut se retourner ! Moi qui me comportais
Avec témérité, comme un acier trempé,
Voilà que mon verbe aiguisé s'est amolli
À cause d’une femme. Ah ! que j'ai pitié d'elle !
Quoi ! Laisser une veuve avec un orphelin
Aux mains de l’ennemi, je ne puis l’accepter.
Allons ! Que je me presse en ces vertes prairies,
Au bord de la mer, pour que je me purifie
Par des ablutions, cela pour m’éviter
Le lourd ressentiment de la divinité.
Je gagnerai ensuite un espace désert
Afin que mon épée y soit ensevelie,
Loin des regards humains. Que la nuit et Hadès
La gardent à jamais. Du jour où j’ai reçu
D’Hector, mon ennemi, ce cadeau, les Argiens
N’osent plus m’estimer. Le vieux dicton est vrai :
« Présent d’un ennemi, présent vil et malsain ! »
Aussi dans l’avenir, j’écouterai les dieux,
Et je révérerai les Atrides, les chefs
Devant lesquels il faut savoir nous incliner.
Une force implacable est contrainte à céder
Face au droit reconnu. Les hivers enneigés
Font place au bel été regorgeant de beaux fruits.
Au quadrige nocturne succède le jour
Aux sublimes coursiers, cette clarté qui passe,
Et que l’on voit briller de feux étincelants.
Un vent paisible endort la mer irraisonnée.
Le lourd sommeil parvient à nous abandonner,
Et nous ne pourrions pas apprendre à être sage ?
Rien n’est déterminé : l’ennemi d’aujourd’hui
Peut devenir l‘ami de demain. Quant à lui,
Mon ami, je le sers, avec en moi l’idée
Qu’un jour il n’aura plus les mêmes sentiments.
Le havre d’amitié ? Fragile assurément !
Mais tout ira très bien. Femme, rentre chez toi !
Prie les dieux d’exaucer les désirs de mon cœur.
Et vous, mes amis, vous me comblerez de joie
En priant tout comme elle ; et dites à Teucros,
Dès son retour, de penser à moi comme à vous.
Désormais, je m’en vais là où je dois aller.
Vous, obéissez-moi ! Bientôt vous apprendrez
Oui, qui sait ! qu’en dépit du sort qui m’a vaincu,
J’ai enfin découvert la force du salut.
(vers 394 - 409 et 412 - 427))
Ô Érèbe, tu es mon ultime lumière :
Le maigre feu que j'ai est pour moi trop brillant.
Érèbe, accueille-moi car je ne veux plus voir
Ni chez les hommes, ni chez les divinités ;
N'est-ce pas une déesse qui me perdit,
Pallas, fille de Zeus ? Où fuir ? Où m’arrêter ?
Non, il n'y a plus rien à faire après la chasse
Où je me suis rendu. Voyez tous mes amis
Qui lèvent leurs épées, qui veulent mon trépas...
...Grottes côtières, prairies bordant les flots,
Ô Ilion, où je pris les armes si longtemps !
Mais je suis libre et vous ne m’aurez plus en vie,
Vous ne me verrez plus, je le dis sans détour,
Moi qui, dans Troie, étais le meilleur des soldats.
Regardez-moi un peu en ce moment d'horreur :
Je me suis effondré, j’ai perdu mon honneur !
(vers 815 - 865)
J’ai préparé le fer qui devra m’immoler.
Allons ! Il est grand temps. Si j’ai bien calculé,
J'ai placé la lame sous le meilleur des angles.
C'est l'épée que je tiens d'Hector, hôte maudit !
Je vais mettre sa pointe en l'air : un coup bien vif
Et la vie se rompra. Ô grand Zeus, je t’invoque,
Accorde-moi ce vœu : fais porter à Teucros
L’annonce de ma mort ; lui seul doit retirer
La lame de mon corps, car jamais l'ennemi
Ne doit découvrir mon cadavre et le donner
En pâture aux oiseaux. Voilà pour toi, ô Zeus.
À Hermès quelques mots : quand le fer percera
Mon flanc mortellement, qu’il me plonge avec calme
Dans un pesant sommeil. J'appelle l'Érinye,
Cette déesse austère : il faut que je lui dise
Que les Atrides seuls ont fait que je trépasse
L'esprit lourd de tourments. Qu’elle prenne en ses griffes
Tous ces hommes sans foi, qu'à l’instant de leur mort,
Elles lâchent leur proie. Quand l'Érynie verra
Mourir Ajax, puissent les Atrides périr
Sous les coups de leurs enfants. Érinyes, partez
Réclamer votre dû ! Il faut que, sans pitié,
Vous vous repaissiez de toute cette armée.
Hélios, toi, voguant dans les zones célestes,
Quand tu contempleras la terre de mes pères,
Arrête-toi ! Va dire à mes parents pourquoi
Je meurs. Ô pauvre mère, en apprenant ma mort,
La cité tout entière entendra tes sanglots.
Mais à quoi bon me plaindre ? Ô mort, toi que j’attends,
Je m’en vais demeurer près de toi si longtemps...
À toi, soleil de mon jour ultime, ô lumière,
Je te parle à nouveau pour une fois dernière.
Ô jour lumineux, ô Salamine, ma cité,
Ô pierre du foyer ancestral, ô Athènes,
Ô amis d’hier, ô fleuves de ma patrie,
Ô plaines de Troie, ô tout ce qui fut ma vie,
D'Ajax écoutez bien les paroles dernières :
Bientôt ma voix n'écumera que les Enfers.
(442)
À Thèbes, devant le palais royal
Prologue : Antigone annonce à Ismène sa volonté de désobéir au décret de Créon pour donner à Polynice la sépulture rituelle.
Parodos : le Chœur des vieillards célèbre la cité et son chef en raison de la victoire de Thèbes.
Épisode 1 : interdiction par Créon de donner une sépulture à Polynice. Un garde annonce au roi que le corps a été cependant honoré. Créon soupçonne un complot contre lui.
Stasimon 1 : éloge de l'homme.
Épisode 2 : affrontement Créon-Antigone. Antigone doit mourir. Ismène veut partager son sort.
Stasimon 2 : le Chœur évoque le destin des Labdacides.
Épisode 3 : affrontement Créon-Hémon, fïancé d'Antigone. Créon ne cède pas.
Stasimon 3 : le Chœur célèbre Éros.
Épisode 4 : dialogue entre le Chœur et Antigone qu'on mène vers sa prison. Devant Créon Antigone se justifie de nouveau.
Stasimon 4 : exemples mythiques d'emprisonnement.
Épisode 5 : Tirésias annonce à Créon la colère divine. Créon l'accuse de cupidité. Tirésias annonce un malheur. Créon terrifié veut aller délivrer Antigone.
Stasimon 5 : le Chœur célèbre Dionysos.
Exodos : un messager annonce que Créon a trouvé morts Antigone et Hémon. Eurydice, l'épouse de Créon demande de tout lui raconter. Créon arrive et porte le corps de son fils. Annonce de la mort d'Eurydice qui s'est suicidée.
du monde...
(vers 334 - 366)
Parmi tant de splendeurs que la terre a créées,
Il y a l'homme, lui, la merveille du monde !
Il aime à naviguer sur la mer ondoyante ;
Quand, du Sud, une rude tempête se lève,
Il sait se faufiler hors des houles beuglantes ;
Chaque année, il travaille, il retourne la terre,
L'élément souverain, la matrice des dieux ;
Avec son attelage, il creuse les sillons ;
Il capture l’oiseau et les fauves des bois ;
Grâce au mouvant filet il pêche les poissons,
Ô génial inventeur ! Il attire ses proies
Dans ses pièges ; il soumet aussi bien le cou
Du cheval que celui du taureau vigoureux
En usant du collier ; il possède le verbe,
Une répartie vive ; il s'est inventé des lois,
Des coutumes, sans qu'un maître ne les inspire ;
Il sait se protéger et des pluies et du froid.
Génie de l’univers, il ne redoute rien,
Hormis la mort, Hadès, qu'il ne peut éluder,
Bien qu'il sache soigner des blessures profondes ;
Il est intelligent ; sa pensée est féconde ;
Il penche vers le bien autant que vers le mal.
L'interrogatoire
(vers 441 - 523)
Créon
Toi qui baisses le front, reconnais-tu les faits ?
Antigone
Oui, je les reconnais.
Créon
Connaissais-tu l’édit
Que j’avais promulgué ?
Antigone
Oui, c’était l’évidence.
Créon
Ainsi, tu as osé enfreindre l’ordonnance.
Antigone
Oui, car ce n’est point Zeus qui l’avait proclamé.
La Justice qui siège auprès des Infernaux
N’a jamais rédigé ces lois parmi les hommes.
Je ne croyais pas que l’édit eût permis
De s’en prendre si fort aux lois issues des dieux,
Ces lois non écrites, ces lois inébranlables,
Qui ne datent ni d’hier, ni d’aujourd’hui,
Et dont nul ne sait d’où même elles ont surgi.
Désobéir aux dieux par crainte d’un mortel
Ne m’eût-il pas livré à leur sainte vengeance ?
Que je dusse mourir, j’en avais conscience.
Si je meurs avant le temps qui m’est imparti,
Pour moi, c’est tout profit ! Quand on vit pour souffrir,
Le trépas m’apparaît comme une délivrance.
Par contre, elle eût été une affreuse torture
Si j’avais dû laisser un corps sans sépulture,
Oui, le corps de celui que ma mère mit au monde.
Ah ! tu dois penser que ma folie est profonde.
Mais sur la folie, tu n’as rien à m’envier.
Le Coryphée
Je reconnais en toi le caractère entier
De ton père et sa force intraitable ! Ah ! jamais
Vous ne voulez céder à la fatalité.
Créon
Sache cependant que de telles volontés
Sont celles qui rompent malgré leur âpreté,
Comme le fer massif qu’on jette dans le feu
Et qui, en durcissant, finit par éclater.
Un simple bout de frein peut de même calmer
Le cheval emporté. Non, l’orgueil est folie
Pour qui dépend d’autrui. Cette fille savait,
Ô suprême insolence, qu’elle enfreignait la loi.
Son forfait accompli, voyez son impudence :
Elle se glorifie et ricane à la fois.
À l’entendre parler, de nous deux l’homme
Ce serait elle si, en toute impunité,
Je la laissais croire en son triomphe absolu.
Non ! Bien qu’elle fût ma nièce, plus proche encore
Que tous ceux de mon sang, ni elle, ni sa sœur
N’éviteront la mort. Oui, celle-là aussi,
Je l’accuse d’avoir comploté avec toi
Cette inhumation : qu’elle vienne en ces lieux !
Je l’ai vue tout à l’heure, elle semblait hagarde,
L’œil sans expression. C’est toujours comme ça !
Ceux qui sont dans l'ombre fomentent des complots,
Et se dénoncent par leur agitation.
Mais je déteste aussi cette autre vision :
Celle du criminel surpris en plein forfait,
Et qui ose en tirer une gloire sans nom.
Antigone
Je suis entre tes mains, que te faut-il encore ?
Plus que ma mort ?
Créon
Oui, rien de plus, ton châtiment.
Antigone
Alors, pourquoi tarder ? Tes propos m’exaspèrent,
Et mon seul désir, c'est qu'aucun d'eux ne me plaise.
De même, tout en moi semble te révulser.
Ne vais-je pas gagner la gloire la plus digne
En donnant à mon frère une humble sépulture ?
Et tous ceux qui sont là approuveraient mon acte,
Si la crainte ne les réduisait au silence.
Car la tyrannie possède cet avantage,
Et elle en a beaucoup, c’est de faire et de dire
N'importe quoi...
Créon
Toi seule a de telles pensées.
Antigone
Ils pensent comme moi mais ils n’en disent rien.
Créon
Ne rougis-tu pas de t’écarter du commun.
Antigone
Non, je ne rougis pas de célébrer mon frère.
Créon
Or son adversaire n’était-il pas son frère ?
Antigone
Bien sûr, par mes parents il était bien mon frère.
Créon
C’était l’outrager que d’honorer l’autre aussi ?
Antigone
Il n’a plus ces pensées maintenant qu’il est mort.
Créon
C’est le mettre pourtant sur le rang d’un impie.
Antigone
Cet homme était son frère et non pas un esclave.
Créon
L’un tuait la cité, l’autre la défendait.
Antigone
Hadès veut simplement voir accomplir ces rites.
Créon
Tu mettrais le bon au même rang qu’un méchant ?
Non, ce n’est pas cela que notre homme mérite.
Antigone
Chez les morts, ces idées ont-elles toujours cours ?
Créon
L’ennemi même mort reste un vil compagnon.
Antigone
Je ne partage pas la haine, mais l’amour.
Appel à la sagesse
(683 - 723)
Ô Père, la raison est le plus grand des biens
Concédés aux humains. Certes, je n'oserais
Dire que tu as tort : me préserve le Ciel
D’avoir un tel avais. Mais peut-être faut-il
Que tu considères des voies tout aussi justes.
Je suis tout désigné car je suis né de toi,
Pour guetter ce qu’on fait, ce qu’on dit, les rumeurs.
Aux citoyens communs, ta présence fait peur
Au point qu’ils n’oseraient jamais te contredire.
Moi, par contre, je passe inaperçu, j’entends
Thèbes se lamenter sur le sort d’Antigone.
« Entre toutes les femmes, nulle n’a mérité
Pour un acte si beau supplice aussi infâme ;
Elle n’a point voulu que son frère, tombé
Pendant le combat, soit privé de sépulture,
Le corps abandonné aux chiens comme pâture.
Qu’on lui offre plutôt une couronne d’or. »
Voilà donc les propos courant sous le manteau.
Ô père, ton bonheur est mon plus grand trésor.
Un père florissant fait l’orgueil des enfants.
Comme de beaux enfants sont l’orgueil de leur père.
Crois en tes jugements, mais n'ose pas prétendre
Que tu détiens la vérité ; et ceux qui pensent
Avoir acquis seuls la sagesse, l'éloquence,
Le génie, teste-les : tu ne verras en eux,
À force de les sonder, que des esprits creux.
Non, pour un philosophe, il n’est jamais honteux
De s’instruire sans cesse et d’avoir d’autres vues.
Vois, au bord des torrents, au moment de la crue,
Comme l’arbre qui sait plier sauve ses pousses
Alors que l’obstiné, qui prétend résister,
Périt déraciné... Allons, cède et oublie
Ton ordre. Si, malgré mon âge, j'ai reçu
Un minimum de bon sens, je dirai que rien
Ne saurait égaler un homme de vertu.
Hélas ! de tels sommets ne courent pas les rues.
Et il n’est pas superflu de prêter l’oreille
À de sages conseils.
Louange à Éros - Plaintes d’Antigone
(vers 781 - 882)
Chœur
Éros, ô fin jouteur, ô enfant si moqueur,
Tu te ris de de l’opulence et de la candeur
De ces effarouchées aux pommettes rougies
Que tu aimes surprendre au milieu du sommeil.
Toi qui vas sur les flots, les champs et les tanières,
Nul ne peut te contrer, ni Zeus, ni les vivants
Car ton moindre passage attire la folie.
Tu mènes le sage sur le mauvais chemin,
Tu provoques la haine entre tous les humains.
De même, tu parais dans les yeux d'une vierge.
Le Désir est une des lois de l’univers ;
Et sans combat, Cypris fait ce qu’elle veut faire !
Coryphée
Je me révolte et je pleure aussi quand je vois
Antigone partir dans ce monde sans vie.
Antigone
Hommes de ma cité, sur mon dernier chemin
Je vais. Après avoir contemplé ce soleil ;
Le dernier, j'irai vers la nuit du souterrain.
Hadès, par qui tout dort, m’a entraînée vivante
Avant le mariage aux bords de l’Achéron.
Sans joie et sans les chants, je quitte l’horizon !
Coryphée
Superbe et admirée, tu t’en vas chez les Morts,
Au fond de leur secret, sans maladie encore,
Point meurtrie par l’épée. Vivante tu descends,
Seule, de ton plein gré, dans l'antre des Enfers.
Antigone
On m’a conté la triste fin de la phrygienne,
Niobé qui, sur le Mont Sipyle, fut serrée
Comme par un lierre, une croissance de pierre.
On dit que sur son corps ruissellent pluie et neige
Que sans cesse des pleurs coulent sur ses paupières.
Tel est donc le destin qui me mène aux Enfers !
Coryphée
Sais-tu que Niobé était de race divine ?
Nous, nous sommes mortels, et quand viendra la mort,
Quelle gloire pour toi d'avoir connu le sort
D'une Immortelle : entrée vivante dans la mort !
Antigone
Te moques-tu de moi ? Par les dieux paternels
Pourquoi prononces-tu ces phrases irritantes !
Attends que je sois morte ! Ô gens de ma patrie ,
Fontaines de Dircé, belles places thébaines
Pleines de chars, vous me rendez ce témoignage.
Alors que, victime d’injustes lois, je pars
Vers ce tombeau secret, ce tombeau souterrain,
Je n'ai pas reçu l'hommage de mes amis.
Parmi vous je demeure et ne demeure plus,
Je suis séparée de ceux qui vivent encore,
Mais aussi de tous ceux qui ont vécu jadis.
Coryphée
En voulant combattre, le front audacieux,
La justice au trône luisant, tu as expié,
Fille courageuse, les crimes de ton père.
Antigone
Tu touches une plaie sensible, trois sujets
De lamentations : le malheur paternel
Et de notre famille, le malheur qui s'en prend
À tous les Labdacides. Malédiction !
Je suis la fille d'un couple impur, car issue
Du fils et de sa mère. Ô parents malheureux !
Je suis désespérée ! Ce sont là mes parents !
Ce sont là mon tourment ! Géniteurs, me voici,
Maudite et sans époux, avec vous je viens vivre ;
Et toi mon frère, dont l'hymen a fait mon sort
Et mon malheur, tu m'as tuée avec ta mort.
Coryphée
Des honneurs qu'elle rend la piété s'honore.
Mais avec le pouvoir, la désobéissance
Est intolérable et la liberté exclue.
Antigone
Ainsi donc, ni les pleurs, ni même l'amitié,
Ni les chants d'hyménée, ne me feront escorte
Sur mon dernier chemin. Non, je ne verrai plus
Le jour sacré. Telle est la loi, ô pauvre femme.
Je n’entends nulle plainte à mon mal absolu,
Rien pour me consoler.
(Date inconnue)
À Trachis, devant le palais royal
Prologue : Déjanire évoque son mariage avec Héraklès et souffre de l'absence de celui-ci. Elle décide d'envoyer son fils Hyllos à la recherche de son père en expédition contre Eurytos, roi d'Oechalie.
Parados : le Chœur des jeunes filles chante la tristesse de Déjanire et les travaux du héros.
Épisode 1 : annonce de la victoire d'Héraklès. Chant de joie puis arrivée d'un héraut, Lichas, qui fait le récit des exploits et amène un groupe de captives. Pris de pitié pour l'une d'elles, Lichas lui apprend que c'est la fille d'Eurytos, Iole, et que son mari est amoureux d'elle.
Stasimon 1 : récit du combat d'Héraklès contre le fleuve Achéloos.
Stasimon 2 : attente du retour d'Héraklès.
Épisode 3 : Déjanire apprend au Chœur que la laine trempée dans le sang de Nessos s'est consumée. Hyllos entre et accuse sa mère du meurtre du héros. Récit de la souffrance d'Héraklès qui a tué Lichas. Il arrive à Trachis, expirant.
Stasimon 3 : chant de deuil.
Épisode 4 : la nourrice annonce le suicide de Déjanire.
Stasimon 4 : lamentation.
Exodos : Héraklès à l'agonie. Oracles et testament d'Héraklès.
(vers 205- 224)
Ô filles nubiles, chez vous, près du foyer,
Exprimez votre joie !
Vous, les jolis garçons, honorez Apollon,
Le dieu au beau carquois,
Tous ensemble, criez ! Vous, vierges, entonnez
Le péan à tue-tête,
Saluez l’Artémis, chasseresse divine,
Qui brandit un flambeau dans chaque main ! Louez
Les nymphes, nos voisines !
Une flûte m’enivre. Ô chants qui me pénètrent !
Ah ! je me laisse faire !
Puis un trouble s'élève et domine mon être :
Évohé ! Et le lierre
M’invite à ce combat grisant, io ! io ! Péan !
(vers 540 - 586)
Quoi ! être deux au fond du même lit, et attendre
La venue de l'époux ? C'est ainsi qu'Héraklès,
Modèle tant vanté, paie mon honnêteté,
Moi qui ai si longtemps pris soin de son foyer ?
Soyons compréhensive : il est frappé d'un mal
Qu'il ne peut maîtriser... Malgré tout, partager
Le logis avec cette mijaurée, voyons !
C'est trop pour une femme ! En outre, je découvre
Une fraîche personne éclose avec splendeur,
Alors que moi... je fane. Évidemment, un homme
N'a d'yeux que pour la fleur, et s'écarte de l'autre.
Bref je suis ulcérée car Héraklès n'a plus
D'époux que le seul titre : il préfère de loin
Fréquenter la jeunette. Allons donc ! s'énerver
N'est pas digne d'une femme un peu clairvoyante.
J'ai trouvé, mes amies, une solution,
Et je vais vous la dire. En un coffre de bronze,
J'ai gardé un présent du Centaure Nessos.
Petite fille encore, alors qu'il expirait,
Ce monstre tout poilu du poitrail m'en fit don,
Quand il saignait à mort. Ce Nessos, moyennant
Un salaire faisait traverser l'Évenos
Aux flots profonds. Jamais il ne s'aidait de rames,
Ni de voiles ; non, non, il portait sur ses bras
Les passagers ! Le jour du voyage de noces
Avec mon Héraklès, le mari désigné
Par mon père, c'est lui-même qui me porta.
Or voilà que ce porc s'en prend à ma vertu !
Bien entendu, je crie : bientôt, le fils de Zeus,
Le voyant, lui décoche une flèche rapide
Qui s'enfonce en son sein et lui troue le poumon.
Moribond, le centaure eut le temps de me dire :
« Fille du vieil Œnée, mon ultime cliente,
Considère le bon côté de l'aventure.
Prends le sang de ma plaie dès qu'il sera séché,
Le sang près de la flèche imprégnée du venin
De l'hydre monstrueux, créature de Lerne ;
Et alors, tu auras un onguent efficace
Qui touchera le cœur d'Héraklès, à tel point
Qu'il ne regardera plus les femmes, sauf
Toi ! » Depuis qu'il est mort, mes amies, je conserve
Chez moi ce cadeau, et je l'ai mis sous clé.
En suivant à la lettre ses instructions,
J'ai enduit de ce sang la tunique. C'est fait !
Non, jamais je n'aurai de visées criminelles ;
Non, jamais mon esprit ne doit être obscurci ;
Et je n'ai que dégoût pour les femmes perfides.
Pourvu que cet onguent subjugue mon époux,
Que je puisse éclipser cette espèce de fille !
Pourvu que je triomphe ! En tout cas, c'est mon but.
Les souffrances d'Héraklès
(1046 - 1111)
Mon enfant, où es-tu ? Soulève-moi, ô dieu !
Ce mal insoutenable, il se rue sur mon corps !
Ah ! ce mal qui m'occit, ce mal qui m’exaspère !
Athéna ! Athéna ! Ma souffrance prospère.
Ô mon fils, aie pitié de moi. Sors ton épée,
N'aie pas peur, va, et frappe-moi dessous l'épaule,
Guéris ce mal voulu par une mère infâme,
Qui devrait comme moi mourir désespérée !
Frère de Zeus, maître des Enfers, endors-moi,
Endors ce que j'endure ! Arrête mes douleurs,
Je veux que le trépas m’engloutisse sur l’heure...
Que de douleurs supportées par mes reins, mes bras !
Jamais Héra, ni même l’affreux Eurysthée
Ne m’en ont infligé d'aussi épouvantables,
À cause d’un tissu que, dans sa perfidie,
La fille d’Œné a glissé sur mes épaules,
Un vêtement de mort, œuvre de l’Érinye.
Appliqué à mes flancs, il consume mes chairs ;
De mes pauvres poumons il ronge les artères.
Il a bu mon sang frais, et mon corps tout entier
S’effondre vaincu par une secrète emprise.
Ni les sombres épées, ni l’armée des géants
Engendrée par Gaia, ni les monstres puissants,
Ni la Grèce, ni même un pays étranger,
Ni aucun des endroits que ma main a purgés
De ses fléaux ne m’ont donné tant de tourments.
Une femme a suffi pour m’abattre crûment,
Sans jamais se munir du moindre objet tranchant.
Ô mon fils, prouve-moi que tu es de mon sang,
De mon sang seulement. Oui, mon enfant, maudis
Le vain nom de ta mère et va dans son logis,
Prends-la, livre-la moi, mets-la entre mes bras.
Alors, devant son corps consumé de douleurs,
Ô juste châtiment, je saurai qui tu aimes.
N’hésite pas, plains-moi, enfant, je le mérite.
Regarde mes sanglots : on dirait une fille !
Ah ! qui donc autrefois fut témoin de mes pleurs ?
Toujours dans mes malheurs, j’endurai les douleurs.
Oui, je souffre tant que j'en deviens une femme.
Approche-toi de moi, examine mon mal :
Je vais te le montrer en enlevant ces voiles.
Tenez ! Regardez tous ce grand corps misérable,
Contemplez mon malheur, mon état lamentable !
Ah ! je sens qu’un spasme mortel vient me brûler.
Ce mal qui me ronge ne m'offre aucun répit.
Hadès, accueille-moi, et toi Zeus, ô mon père,
Fais tomber sur mon corps le fulgurant éclair !
Le mal revient sur moi, toujours renouvelé.
Ô mes mains, mes reins, ma poitrine, et puis ces bras,
Est-ce vous qui, jadis, avez pu maîtriser
Le lion de Némée, la terreur des bouviers,
L’Hydre de Lerne et ces effrayants cavaliers,
Ces êtres monstrueux, le fauve d’Érymanthe,
Et le chien des enfers hérissé de trois têtes,
Le dragon qui gardait les belles pommes d’or
Aux frontières du monde. Oui, personne n’a pu
Me vaincre. Mais voyez ce corps tout en lambeaux !
Je suis défiguré par l’aveugle fléau.
Mais sachez-le : bien qu’anéanti, je saurai
Briser la responsable : oui, je la mâterai !
Qu'elle vienne en ces lieux, et je lui apprendrai
À proclamer partout que, mort ou bien en vie,
Héraklès a toujours châtié les impies.
(425)
À Thèbes, devant le palais royal
Prologue : le prêtre de Zeus avec des suppliants implore Œdipe d'aider Thèbes en proie à une pestilence. Créon revient de Delphes où Apollon exige le châtiment du meurtrier de l'ancien roi Laïos.
Parados : lamentations du Chœur de vieillards sur la cité. Ils demandent la protection des dieux.
Épisode 1 : malédiction du meurtrier de Laïos par Œdipe. Arrivée du devin Tirésias. Il refuse de parler. Mais forcé par Œdipe, il divulgue la terrible vérité.
Stasimon 1 : le Chœur annonce le châtiment du coupable.
Épisode 2 : Œdipe accuse Créon de comploter avec l'aide de Tirésias. Jocaste raconte à Œdipe le meurtre de Laïos : trouble d'Œdipe qui raconte sa propre aventure. Jocaste le rassure. Laïos est mort frappé par des brigands. On amène le témoin de cette affaire.
Stasimon 2 : condamnation de la démesure.
Épisode 3 : un messager venant de Corinthe annonce la mort du roi Polybe qu'Œdipe croyait être son père. Il lui raconte ce qui lui est arrivé vraiment, son arrivée à Corinthe et le fait qu'il a été confié au roi par un berger thébain. Jocaste qui a compris rentre dans son palais.
Stasimon 2 : chœur sur l'origine divine d'Œdipe.
Épisode 4 : arrivée d'un vieux serviteur témoin du meurtre de Laïos qui est aussi le berger dont parlait le messager. Œdipe apprend qui il est.
Stasimon 4 : lamentation sur la fragilité du bonheur humain.
Exodos : récit du suicide de Jocaste et mutilation d'Œdipe. Réflexion d'Œdipe sur son destin. Il exige ensuite qu'on l'exile. Créon amène ses filles et le convainc de rester.
(vers 863- 875 et 884 - 894)
Ah ! puissé-je n’avoir qu’une âme d'ingénu !
Puissé-je ne parler et n’agir qu’en vertu
Des lois issues du Ciel, ces lois des Olympiens
Qui ne sont pas le fait de quelque esprit humain,
Qui ne terniront pas, car un dieu les inspire,
Oui, un dieu qui détient le juvénile empire.
L’orgueil fait le tyran, l’orgueil qui est issu
De l’imprudence atteint les cimes les plus hautes
Pour mieux se retrouver ensuite dans le gouffre...
...Celui qui vise haut par le glaive ou la voix,
Qui se rit des autels, qui ne craint pas les lois,
Celui-là connaîtra le pire désarroi !
(vers 1186 - 1211)
Ô mortels, votre vie n’est rien et je vous dis :
Quel est l’homme qui, jouissant d'une fortune
Si éclatante au point de se croire tranquille,
Soudain tombe de haut ? Voyez le cas fameux
D'un fléau envoyé aux mortels par les dieux,
Œdipe, un pauvre homme ravagé de souffrances.
C'est pourquoi, d'un humain je n’évoquerai plus
L'heureuse destinée. Au soleil du zénith
Cet homme avait lancé le trait : bonheur parfait !
Tueur du Sphinx, sombre pourvoyeur d’énigmes ;
Contre la mort il se dressait puissant et digne.
Mon roi je t’appelais, et tu régnais sur Thèbes,
Souverain vénéré à l’immense pouvoir.
Dis-moi, quel désespoir est comparable au tien ?
Jamais un tel malheur ne changea le destin.
Œdipe, comment se peut-il qu'un même lit
Ait protégé le fils, puis subi le mari ?
Comment le sillon, que ton père fit fécond,
A-t-il pu si longtemps subir cette infamie ?
(vers 1237 - 1284)
Jocaste s’est tuée. De ce qui s’est passé,
Le plus terrifiant nous sera épargné :
Vous ne l’avez point vu. De mémoire, je vais
Te raconter ce que fut son lot de souffrances.
À peine avait-elle traversé le couloir
Que, prise de furie, elle entra dans sa chambre
Ne cessant d’arracher ses cheveux par poignées.
En refermant la porte, on la voit s’écrier :
« Laïos », son pauvre époux mort depuis si longtemps,
Se plaignant sur le lit où elle avait donné
Le jour à un futur mari, où des enfants
Sont nés de son enfant ! Sinistre descendance !
Quant à sa mort enfin, j’avoue mon ignorance.
Œdipe, à ce moment, vient se précipiter,
Hurlant, nous empêchant à sa fin d’assister.
Il se met à courir et nous supplie bientôt
De lui fournir une arme ; il demande où trouver
Sa femme, qui ne l’est point, mais qui fut un champ
Où il fut engendré, lui et ses propres enfants.
Et c’est alors qu’un dieu dirige ses fureurs,
Car nul de tous ceux qui l’entouraient n’intervient.
En des cris effrayants, comme si une main
Secrète le guidait, il se rue dans la chambre :
Or sa femme est pendue ! Elle est là devant nous,
Étranglée par un nœud. Dans des rugissements
Sans nom, le malheureux la détache, et le corps
S’affaisse sur le sol, terrifiante scène !
Ensuite, il met la main sur les agrafes d’or
Qui servaient à draper la robe de la reine,
Et se met à percer le fond de ses prunelles.
« Ces yeux ne verront plus ma misère, ni celle
Que j’ai causée, la nuit leur interdit de voir
Ceux que je n’aurais jamais dû voir, ni ceux
Que, malgré tout, j’aurais tant voulu reconnaître. »
Et tout en se plaignant, il se perce les yeux :
Le sang qui en jaillit recouvre son menton ;
Non, ce n’était pas un rouge suintement
Mais un déluge de caillots sanguinolents.
Le malheur a frappé, non le malheur d’un seul,
Mais le malheur commun d’un homme et d’une femme.
Leur bonheur de jadis était vrai, je le clame !
Aujourd’hui sanglots, honte et spirale mortelle !
Des maux qui ont un nom, nul ne manque à l’appel !
(vers 1297 - 1366)
Coryphée
C’est une passion terrible que je vois
Sur mon chemin. Quelle est cette démence extrême
Qui s’empara de toi ? Quel est le dieu enfin
Qui te piétine par son cortège de malheurs ?
Je ne puis te fixer plus longtemps : je frémis
Rien qu’en te regardant ! Mais je veux te parler.
Œdipe
Hélas ! vers quel sentier dois-je poser mes pas ?
Et puis, vers quel sommet dois-je placer ma voix ?
Ma vie, dans quel abîme as-tu sombré, hélas ?
Choryphée
Devant un tel fardeau, devant ces doubles maux,
Par deux fois, je comprends, tu hurles ta misère.
Œdipe
C’est toi, ô compagnon, fidèle en amitié ;
Tu demeures loyal malgré ma cécité.
Malgré la nuit, je sais qui tu es par ta voix.
Coryphée
Tu as crevé tes yeux ! Sur quel ordre divin
As-tu commis sur toi un semblable dessein ?
Œdipe
C’est Apollon, amis, le véritable auteur
De ce supplice affreux dont j’endure le mal.
Mais c’est ma seule main, celle d’un malheureux,
Qui détruisit mes yeux. Car à quoi sert la vue,
Sinon à contempler des choses sans vertu.
Chœur
C'est vrai ?
Œdipe
Que puis-je voir, aimer ou aborder ?
Qui donc écouter avec satisfaction,
Ô mes amis ? C’est pourquoi, chassez-moi, je suis
Le maudit des maudits, celui que les dieux voient
Comme leur ennemi. S’il est un grand malheur,
C'est celui dont Œdipe supporte le poids.
(415)
Prologue : Oreste et son Précepteur. On annonce les ordres de vengeance d'Apollon. Oreste doit se faire passer pour mort. Plaintes d'Électre.
Parodos : le chœur des femmes reproche à Électre ses plaintes incessantes.
Épisode 1 : Électre confie aux Mycéniennes ses souffrances. Chrysothémis, sa sœur, apporte des offrandes au tombeau de son père. Électre espère le retour d'Oreste.
Stasimon 1 : le chœur croit à l'accomplissement de la Justice.
Épisode 2 : affrontement Électre-Clytemnestre. Scène du message : le Précepteur annonce la mort d'Oreste. Électre est désespérée.
Stasimon 2 : éloge d'Électre.
Épisode 3 : Chrysothémis découvre des preuves sur l'existence d'Oreste. Électre lui prouve le contraire.
Stasimon 3 : le vengeur arrive.
Exodos : plaintes d'Électre devant l'urne cinéraire d'Oreste. Reconnaissance du frère et de la sœur. Meurtre de Clytemnestre. Chœur, Oreste, Électre. Arrivée d'Égisthe qui va être assassiné. .
(vers 126 - 253)
Électre
Ô
Ô Lumière sacrée,
Toi, air embrassant la terre
Tant de fois vous avez entendu mes cris,
Vous m'avez vue frapper
Ma poitrine sanglante,
À l'heure où s'esquive la ténébreuse nuit.
Quant à mes longues insomnies,
Ma couche seule les connaît,
Elle, ma confidente en ce palais atroce,
Oui, cette couche qui voit aussi tous les sanglots
Que je verse sur mon malheureux père,
Lui que la Mort, quand il combattait les Barbares,
N'a jamais ensanglanté ;
Non, c'est ma mère et son favori, Égisthe,
Qui, d'un coup de hache, ont fracassé son crâne,
Pareil à des bûcherons abattant un chêne.
Dire que nul au monde, si ce n'est moi-même,
Ne crie sa rage d'un trépas si infâme et si injuste.
Moi, je ne cesserai pas
De pleurer, de gémir dans des cris affreux,
Tant que je verrai luire l'éclat des astres
Et les flèches du jour.
Comme le rossignol devant son nid détruit,
Je gémirai sans cesse d'une voix retentissante
Au seuil du palais paternel.
Ô maison d'Hadès et de Perséphone,
Ô Hermès souterrain, Ô Malédiction,
Et vous, Érinyes, effrayantes filles des dieux,
Dont la prunelle épie les crimes monstrueux,
Les actes vils commis au sein des foyers,
Venez, assistez-moi, et vengez
Le meurtre de mon père,
Ramenez-moi mon frère.
Ma souffrance est si pesante
Que moi seule, je ne suis qu'impuissance...
Chœur
Ô enfant, ô Électre,
Toi qui fus engendrée par une mère infâme,
Pourquoi, d'une voix inlassable,
Par des sanglots à n'en plus finir,
Parler du piège impie
Où fut abattu perfidement Agamemnon,
Cette lâcheté. Ah ! que périsse le criminel,
Si mon propos n'est point sacrilège.
Électre
Filles de noble race,
Vous venez consoler ma peine,
Je le sais, je le devine.
Mais je ne faillirai pas,
Car je me dois de pleurer sur mon pauvre père.
Ô vous, tendres amies,
Vous qui m'êtes si dévouées,
Laissez-moi à ma folie,
Je vous en supplie !
Chœur
Jamais du fond du marais infernal,
Où tous nous pénétrerons,
Tes prières et tes cris
Ne rendront la vie à ton père !
À te laisser miner par un deuil sacrilège,
En des plaintes sempiternelles,
N'attends pas la fin de tes maux.
Mais pourquoi donc te complais-tu dans la douleur ?
Électre
Il faut être léger pour livrer à l'oubli
Des parents qu'un drame atroce vous a ravis.
Mon cœur s'accommode si bien
De la complainte désespérée, « Itys, Itys »,
De l'oiseau triste, messager de Zeus.
Ô reine inconsolée,
Niobé, je te loue comme une déesse,
Toi qui, ensevelie sous un habit de pierre,
Te désoles sans cesse.
Chœur
Ma fille, tu n'es pas seule en ce monde
À éprouver les affres du chagrin.
Et tu te laisses trop ravager par lui.
Regarde ceux de ton lignage et de ton sang,
Vois Chrysothémis,
Vois Iphianassa : elles savent vivre, elles !
Pense aussi à lui,
À cet être point mortifié, jeune et heureux,
Et qui de Mycènes la glorieuse
Sera l'hôte bienvenu,
Dès que Zeus, dans sa grande mansuétude,
Permettra son retour,
Oreste.
Électre
Je vis dans son attente, malheureuse,
Sans époux, sans enfant !
Je suis engloutie par les larmes,
Harcelée par le cortège incessant des tourments.
Et lui, ne sait plus tout ce que j'ai fait pour lui.
Ce que j'apprends à son sujet n'est qu'insignifiance.
Il « voudrait », tel est son vœu,
Mais il ne vient pas...
Chœur
Courage, mon enfant, courage !
Dans le ciel trône le grand Zeus :
Il voit tout et régit tout.
Adresse-lui ta rancune implacable,
Et ne poursuis pas ainsi
Tes ennemis d'une haine tenace,
Même s'il ne faut rien oublier.
Vois-tu, le temps est un dieu compatissant...
Après tout, celui qui habite là-bas,
Aux rives de Crisa, ces riches pâturages,
Le fils d'Agamemnon,
Est loin sans doute d'abdiquer sa mission,
Tout comme le dieu qui règne
Sur le triste Achéron.
Électre
Hélas ! j'ai espéré en vain
Et j'ai vu se dérober
Mes jours les plus charmants.
Et je me ronge ici, orpheline,
Sans un parent se dressant pour défendre ma cause.
Voyez : je fais la servante au palais de mes pères,
Allant autour des tables
Perpétuellement vides.
Chœur
Ah ! ce cri effroyable à l'heure du retour,
Ce cri qui retentit du lit de ton père,
Lorsque, soudain, la hache au tranchant de bronze
S'abattit de plein fouet sur son front !
La Trahison trama, l'Amour exécuta :
Oui, tous deux ont engendré
Cet acte monstrueux, et qu'importe que le bras armé
Ait été le ciel ou un mortel !
Électre
Ah ! ce jour-là fut le plus pernicieux
Qu'il me fut donné de voir resplendir.
Cette nuit... horreur indicible
De ce banquet affreux,
Lorsque mon père fut supplicié,
Ô infamie ! par les mains
De ces deux mécréants, eux qui, dans le même temps,
M'ont anéantie !
Puisse le dieu omnipotent de l'Olympe
Leur prodiguer de semblables tourments !
Que jamais ils ne puissent goûter la moindre joie
Après avoir perpétré une telle abomination.
Chœur
Reprends-toi, cesse tes alarmes !
Ne vois-tu pas sur quelle voie
Tu dérives en te livrant au vertige
De ce deuil effroyable ?
Tu ne fais qu'aggraver tes maux
En faisant naître par ton humeur sombre
Des heurts sans fin. Et contre les puissants,
Tout affront est voué à l'échec.
Électre
Cette horreur, oui, cette horreur m'y contraint.
Je le sais, la violence est en moi,
Mais face à tant d'atrocités,
Tant que je vivrai,
Je n'apaiserai point mes plaintes irraisonnées.
Ô filles aimées, qui va croire
- À moins qu'il ne soit fou - que je sois disposée
À me laisser enfin consoler ?
Non, fi de vos bienveillants conseils !
Mon malheur est incurable,
La chose est entendue,
Et mon chagrin est intarissable.
(vers 516 - 551)
Tiens, tu t'es échappée ! Toujours à tournoyer !
C'est vrai qu'Égisthe n'est pas là : ah ! lui, au moins,
Il savait t'empêcher d'insulter tes parents.
Lui absent, je suis le moindre de tes soucis.
Pourtant tu n'as cessé de crier à la foule
Que j'étais brutale, un monstre de tyrannie,
Qui jetait son venin sur toi et tes amis.
C'est faux ! Je ne t'outrage point. Si je te parle
Avec rudesse, c'est parce que je t'entends
Toi même vociférer contre ma personne.
Toujours à parler de ton père, à répéter
Que je l'ai égorgé ! Bien sûr, je l'ai tué,
Je l'avoue sans détour. En fait, c'est la Justice
Qui l'a vaincu, plutôt que moi, et tu devrais
Plier devant elle si tu étais sensée.
Ce père dont la mort te rend inconsolable,
C'est lui qui, de tous les Grecs, eut l'outrecuidance
D'immoler aux dieux ta propre sœur ! Ah ! lui,
Il n'a pas eu grand mal à la semer en moi,
Moi, qui ai tant souffert pour lui donner naissance.
Rappelle-moi ! Pour qui l'a-t-il sacrifiée ?
Tu me diras : pour les Argiens ? Bon, et alors ?
Ils n'avaient pas le droit d'égorger mon enfant.
Il me l'a tuée pour sauver son Ménélas
De frère. Pour cela, il l'a payé très cher !
Ce Ménélas n'avait-il pas deux rejetons ?
Ne pouvait-il pas les immoler à la place
De ma fille : en effet, leur père - leur mère aussi -
N'ont-il pas provoqué cette expédition ?
Hadès aurait-il eu l'irrépressible envie
De faire grand régal de ma progéniture
Plutôt que de la sienne ? Ou ce père odieux
N'avait-il que mépris pour ceux nés de son sang,
Leur préférant de loin les enfants de son frère ?
Pour un père, quelle perversion absolue !
Tel est mon avis, tant pis si ce n'est le tien !
Notre pauvre morte aurait eu les mêmes mots
Que moi, si elle pouvait s'exprimer encore.
Je ne me repens pas de ce que j'ai commis.
Tu crois que je suis un être dénaturé ?
Aiguise ton bon sens avant de critiquer.
(vers 1126 - 1170)
Relique de celui qui fut si cher aux hommes,
Reste du souffle de vie d'Oreste : Ah ! espoirs
Fracassés ! Quel gouffre entre celui qui partit
Grâce à moi, et celui que j'accueille aujourd'hui !
Désormais tu n'es plus que néant dans mes mains.
Ah ! ton avenir était si prometteur
Quand tu quittas ces lieux. Oui, j'aurais dû mourir
Avant de t'envoyer de par ma volonté
En terre étrangère afin de te préserver
Du meurtre. Bien sûr, on t'aurait assassiné
Comme ton père, mais au moins reposerais-tu
Auprès de lui, dans son tombeau. Car aujourd'hui,
Tu es mort atrocement, loin de ta patrie,
En exil, loin de moi. Quelle infinie tristesse
Que mes mains si tendres n'aient point lavé ton corps,
Et ne l'aient point paré. Je n'ai pas recueilli
Tes restes consumés par un feu frénétique :
Ce sont des mains étrangères qui t'ont soigné ;
Et ce qui nous revient n'est qu'une pauvre cendre
Au fond d'un petit vase, ô malheureux enfant !
Quelle misère ! Vaine fut la douce ardeur
Avec laquelle je t'ai couvé autrefois.
En ce temps, c'était moi qui t'aimais, pas ta mère !
Tu n'étais point dans les bras de quelques nourrices,
Mais dans les miens. Souvent tu aimais m'appeler
« Sœurette ». Et maintenant, dans l'espace d'un jour,
Tu t'es évanoui pour rejoindre la mort.
Avec toi, tout s'est envolé dans un grand vent :
Notre père a péri, moi, je suis presque morte,
Toi, la mort t'a saisi... Nos ennemis jubilent.
Notre mère ne peut plus contenir sa joie,
Cette mère dont tu m'as dit secrètement
Que tu envisageais bientôt le châtiment.
Mais de cela, le sort qui nous est si funeste
Nous en a frustrés : aussi, à la place
D'un visage chéri, on m'offre un peu de cendre,
Une ombre de toi-même. Hélas ! Hélas ! Pauvre corps !
C'est affreux ! Quel retour abominable ! Hélas !
Frère aimé, tu me tues ! Allons ! accueille-moi
Dans ton séjour obscur, je veux qu'à ton néant
Réponde mon néant, afin que dans l'Hadès
Je sois auprès de toi. Quand tu étais en vie,
Tout nous était commun : or j'aspire à la mort,
À ne plus être loin de toi dans le tombeau :
Après tout, les défunts ne souffrent plus chez eux.
(409)
Dans l'île de Lemnos, devant une grotte
Prologue : Ulysse charge le jeune Néoptolème, fils d'Achille, d'aller chercher l'arc de Philoctète, présent d'Héraklès : en effet, sans cette arme, Troie ne pourra être vaincue.
Parodos : les marins du vaisseau de Néoptolème regardent avec émotion la grotte où vit reclus Philoctète.
Épisode 1 : Philoctète prend plaisir à raconter sa vie à ses visiteurs. Néoptolème utilise la ruse, comme on lui a prescrit, et prétend haïr Ulysse, comme lui. Il lui dit qu'il veut rentrer dans sa patrie. Philoctète veut alors l'accompagner. Un faux marchand survient - en fait, c'est un complice d'Ulysse - et lui raconte qu'un navire grec recherche ardemment Néoptolème, et qu'Ulysse est résolu à ramener Philoctète à Troie, car sa présence y est indispensable selon les devins.
Stasimon 1 : lamentations sur les tourments physiques de Philoctète.
Épisode 2 : Philoctète donne l'arc à Néoptolème. Un mal terrible, dû à une ancienne piqûre de serpent, l'assaillit bientôt. Il s'endort peu à peu.
Stasimon 2 : invocation au sommeil guérisseur. Les marins veulent partir très vite avec l'arc.
Épisode 3 : Néoptolème avoue la vérité à Philoctète. Arrivée d'Ulysse. Brutalement, il force Néoptolème à partir avec l'arc.
Kommos : Philoctète plaint son infortune, lui qui a perdu son arc, objet sans lequel il ne peut survivre. Les marins tentent de le convaincre d'aller à Troie, mais il refuse.
Épisode 4 : Néoptolème et Ulysse s'opposent violemment. Le garçon, touché par les malheur de Philoctète rend son arc à ce dernier, et essaie, lui aussi, de le persuader de rejoindre Troie.
Exodos : arrivée inopinée d'Héraklès, qui, lui, réussit à convaincre Philoctète de l'accompagner à Troie, où la guérison de ses maux l'attend.
(vers 730 - 773)
Néoptolème
Avance, s'il te plaît ! Mais qu'y-a-t-il ? Pourquoi
Ne dis-tu rien ? Pourquoi es-tu comme figé ?
Philoctète
Aïe ! aïe !
Néoptolème
Qu'as-tu ?
Philoctète
Rien de grave, petit, marchons.
Néoptolème
Serais-tu de nouveau attaqué par ce mal ?
Phioloctète
Non, non, te dis-je ! Ah ! cela va mieux. Oh, dieux !
Néoptolème
Pourquoi invoques-tu les dieux par un tel cri ?
Philoctète
Je voudrais tant qu'ils me soient bienveillants. Aïe ! aïe !
Néoptolème
Qu'as-tu ? Réponds-moi au lieu de rester muet !
Je vois bien que tu es la proie d'un mal étrange.
Philoctète
C'en est fini de moi, mon enfant ! Je ne peux plus
Cacher cette souffrance, autant d'affreux poignards
Qui me frappent de partout ! Ah ! ah ! c'est atroce !
Je suis perdu, mon enfant, percé de partout !
Par pitié, si tu as une épée, frappe vite,
Tranche-moi ce pied ! Et puis tant pis si je meurs !
Néoptolème
Mais quel malheur soudain te fait gémir ainsi ?
Philoctète
Tu le sais, mon garçon !
Néoptolème
Explique-moi, veux-tu ?
Philoctète
Mais tu le sais...
Néoptolème
Mais non, je t'assure que non.
Philoctète
Comment se fait-il que tu ne saches rien ? Ah !
Néoptolème
Tes souffrances ont l'air d'empirer ! C'est affreux !
Philoctète
Oui, c'est affreux ! C'est indicible ! Ah ! par pitié...
Néoptolème
Que faire ?
Philoctète
N'aie crainte ! Ne m'abandonne pas !
Ce mal féroce me visite par moment,
Sans doute fatigué d'avoir couru ailleurs.
Néoptolème
Quel malheureux tu es ! Malheureux, c'est le mot !
Nul plus que toi ne peut souffrir un tel martyre.
Veux tu que je te prenne et que je te soutienne ?
Philoctète
Non, pas cela ! Non, prends cet arc que tu voulais
Avec force tout à l'heure, et veille sur lui
Scrupuleusement, tant que durera ma crise.
Lorsque le mal s'apaise, alors le sommeil vient,
Et il faut me laisser dormir tranquillement.
Si les gens que tu sais surgissent entre-temps,
Surtout, au nom des dieux - et là je t'en conjure -,
Ne leur donne pas cet arc, même sous la force !
Car sinon notre mort deviendrait imminente.
(vers 827 - 838)
Ô doux Sommeil, ignorant la douleur,
Ô Sommeil, verse sur nous ton souffle embaumé,
Seigneur, délice paisible de nos jours.
Maintiens dans ses yeux endormis
Cette candeur qui maintenant l'étreint.
Je t'invoque, ô suprême guérisseur !
Toi, mon enfant, pense à ton affaire :
Dois-tu t'arrêter ? Ou poursuivre ton dessein ?
Ne le vois-tu pas dormir ?
N'est-il pas temps d'agir ?
L'occasion, dont le conseil est absolu,
Penche toujours en faveur du triomphe.
(vers 927 - 962)
Ah ! fléau pire que le feu, tu es un monstre !
Hideux modèle de perfidie, qu'as-tu fait ?
Tu m'as trompé ! Dire que tu oses encore
Me regarder en face, oui, toi, ô misérable
À qui je me fiais, toi que je suppliais.
En me volant mon arc, tu m'as ôté la vie.
Rends-le-moi, mon enfant, je t'en prie, rends-le-moi !
Par les dieux paternels, ne brise pas ma vie.
Horreur ! Il ne dit rien... Il ne le rendra pas !
Oui, il suffit de voir son regard qui me fuit.
Rivages, promontoires, fauves des montagnes,
Rochers abrupts, vous qui êtes mes seuls amis,
Ô mes seuls confidents, vous qui savez mes peines,
Contemplez tout le mal fait par ce fils d'Achille.
Ah ! il me jurait bien qu'il me ramènerait
Dans mon pays, et voilà qu'il veut que j'aille à Troie !
Dire qu'il m'a tendu sa main droite en jurant.
Maintenant, voyez-le qui serre avec vigueur
L'arc sacré d'Héraklès, le rejeton de Zeus,
Voyez comme il fanfaronne devant les Grecs !
Moi, il m'a eu comme s'il eût désarçonné
Un homme vigoureux, alors qu'il n'a vaincu
Qu'un mort, qu'une fumée, qu'un misérable spectre !
C'est sûr, il n'aurait jamais pu me capturer
Si j'avais été fort, et même dans l'état
Lamentable où je suis, me vaincre eût été vain.
Aussi a-t-il rusé. J'ai été piégé,
Pauvre que je suis ! Que faire ? Allons, rends-moi
Mon arc, et redeviens ce que tu es vraiment !
Mais toujours ce silence... Ah ! je suis bien perdu !
Ô béance de ce rocher, je te reviens,
Dépouillé, indigent, désireux d'en finir
Seul au fond de ton gîte. Il n'est plus question
D'abattre ni l'oiseau en plein vol, ni le fauve.
Non, c'est moi désormais qui serai le gibier
Pour ceux que je chassais. Oui, je serai la proie
De mes anciennes proies, quelle misère en effet !
Et la faute à qui ? À ce ribaud, qui feignait
D'être noble et sans tache ! Ah ! crève sur-le champ !
Ou plutôt non... j'attends de toi des sentiments
Plus dignes. Si tu ne les as, meurs sans délai !
(405)
À Colone
Prologue : Œdipe aveugle, vêtu de haillons, guidé par Antigone, demande où il se trouve. Un Coloniate veut le faire sortir d’un bois sacré. Œdipe veut voir le roi Thésée. Sachant son destin accompli, il s’adresse aux déesses.
Parados : les vieillards veulent chasser l’étranger. puis un kommos. Œdipe sort du bois et révèle son identité. On veut le chasser mais Antigone intervient.
Épisode 1 : Œdipe dit son histoire et demande hospitalité. Ismène annonce que les Thébains veulent Œdipe. Œdipe maudit ses fils qui l’ont chassé. Le Chœur lui dit comment apaiser les déesses. Kommos où le Chœur sa fait raconter les crimes d’Œdipe. Thésée arrive et accorde sa protection.
Stasimon 1 : éloge de Colone
Épisode 2 : Créon arrive. Œdipe refuse de le suivre. Kommos. Annonce de la capture d’Ismène. Prise d’Antigone. Thésée alerté poursuit les Thébains. Œdipe expose encore son innocence.
Stasimon 2 : exposé par le Chœur de la victoire des Athéniens.
Épisode 3 : Thésée revient avec les deux filles. Joie d’Œdipe. Thésée lui demande d'écouter son fils prisonnier, Polynice.
Stasimon 3 : lamentations sur la vieillesse.
Épisode 4 : Polynice se justifie mais Œdipe le maudit. Les Dieux soudain l’appellent. Œdipe demande à Thésée de ne pas révéler le lieu de sa mort et promet la bénédiction d’Athènes.
Stasimon 4 : prière à Hadès pour accueillir Œdipe.
Exodos : récit de la disparition d’Œdipe. Chant de deuil. Protection accordée à Ismène et Antigone.
(vers 260 - 291)
Ne dit-on pas qu’Athènes est la seule cité
Qui accorde un asile à tout persécuté ?
Tout cela ne serait que fables ? Vanité ?
Mais où sont vos vertus, ô vous qui m'expulsez
À cause de mon nom ? Je ne vous parlerai
Ni de mes actions, ni de mon apparence.
Pourtant si vous considériez ces actions,
Vous m’en verriez victime et non pas responsable.
Dans ce qui vous inspire et dégoût et horreur
Mes parents ont leur part. Serais-je criminel ?
On m'a porté des coups et n'ai fait que répondre.
Et même ayant compris tout ce que je faisais,
Il serait faux de voir en moi un criminel.
Si j'ai dû me résoudre à cette extrémité,
C'est parce que tous ont prémédité ma mort.
Donc, j'ai le droit de supplier au nom des Dieux
Et de leurs Lois. Vous allez contre leurs désirs
En refusant de m'offrir l'hospitalité.
Les Divinités voient les bons et les mauvais.
L'impie ne peut jamais éviter leur vengeance.
Athènes ne doit pas céder à l’impiété.
Aidez ce suppliant qui vous faisait confiance ;
Défendez-le, respectez ce pauvre visage.
Je suis à vous sacré ; rien en moi n'est impur.
La Grâce me soutient. Aussi ne manquez pas
À votre loyauté !
(vers 510 - 550)
Chœur
Je sais qu’il est cruel de réveiller un mal
Si longtemps en éveil, mais je voudrais savoir...
Œdipe
Quoi donc ?
Chœur
Quelle est donc la liste de tes souffrances,
Oui, de tous ces malheurs qui altèrent ta vie !
Œdipe
Non, je t'en prie, au nom de l’hospitalité,
Tu m'obliges à ouvrir une plaie honteuse.
Chœur
Sur toi il court des rumeurs, mais la vérité ?
Œdipe
Ô mes malheurs !
Chœur
Daigne répondre à mon attente.
Ne t'ai-je pas dit des paroles bienveillantes ?
Œdipe
J’ai commis des crimes, je le répète au ciel.
Mais ces crimes ne furent jamais volontaires.
Chœur
Raconte !
Œdipe
Thèbes, ignorant ma triste origine,
Me fit le prisonnier d’un amour interdit.
Chœur
Oui, ta mère t’offrit une place en sa couche.
Œdipe
C’est la mort que j’entends, les deux filles encore...
Chœur
Comment donc ! Parle-nous avec plus de clarté !
Œdipe
Mes deux filles... mais aussi mes fils, ces cruels...
Oui, ils sont tous issus du ventre maternel !
Chœur
Ainsi, ces filles sont tes filles ainsi que...
Œdipe
Mes sœurs !
Chœur
Hélas !
Œdipe
Hélas, le malheur s'acharna...
Chœur
Tu as connu...
Œdipe
Les plus indicibles souffrances,
Et je n’ai rien fait. De Thèbes j'ai reçu
Cet ignoble présent, moi qui l’avais servie !
Chœur
Que de douleurs pour toi ! Mais le meurtre, dis-moi...
Œdipe
Quoi donc encore ?
Chœur
Voyons, le meurtre de ton père...
Œdipe
Je suis blessé.
Chœur
Tu l’as tué !
Œdipe
En effet, mais...
Chœur
Quoi !
Œdipe
Je suis un meurtrier mais sans rien projeter.
Je n’ai pas enfreint la loi ; non, ce que j’ai fait,
Je l’ignorais alors.
(vers 668 - 694 et 709 - 719)
Étranger, te voici au pays des coursiers,
Dans ce pays charmant, dans Colone splendide
Aimée des rossignols, ces chantres dont la voix
Limpide se module au creux d’une ravine,
Ces habitants d'un lierre aussi noir que le vin,
Cachés sous le feuillage opulent, divine œuvre,
Feuillage protecteur des fruits du grand soleil.
C’est là que Dionysos, le dément, le mystique,
Revient toujours afin de mener le cortège
Des nymphes, ses nourrices. C'est là qu'apparaît
Le sublime narcisse aux grappes éclatantes,
En couronne tressées par le soin de déesses.
Depuis les temps anciens, c’est là que le safran
S'épanouit ; c’est là que coule le Céphise,
Toute tranquillité, dont le cours vagabonde
Et dont les claires eaux vont sillonner la plaine
Avant qu’il ne la féconde ; en ce lieu, Cypris
Conduit son char doré....
...Louons cette richesse
Accordée par un dieu : les chevaux, les poulains
Et les coursiers des mers, dons de Poséidon !
N'est-ce pas toi qui, le premier, usa du frein
Pour calmer les chevaux ? Et n'est-ce pas à toi
Qu'on doit de contempler la rame rebondir
Sur la vague marine, et de voir les ébats
Des fraîches Néréides ?
(vers 1211- 1238)
Celui qui refuse la destinée commune
Et cherche à reculer toujours plus loin sa vie,
Celui-là fait erreur. Il le saura plus tard.
Que donne la vieillesse ? En fait, peu de bonheur
Et beaucoup de chagrin. Lorsque nous franchissons
Les bornes de la raison, nous avons perdu
Le sens de l’agréable. Et le salut d'en bas
Qui prend chacun de nous, c'est la mort qui conclut,
Messagère fatale : elle vient sans les chœurs,
Sans les chants nuptiaux ! Il serait préférable
De n’être jamais né. Mais s’il faut se résoudre
À accepter le jour, essayons d'abréger
Un semblable destin pour rejoindre la nuit.
Une fois la jeunesse et son lot de folies
Disparues, que de tourments, de combats, de rixes,
De factions, d'envie ! Mais la dernière épreuve,
Et de loin la plus vile, est la vieillesse honnie
Où toutes les douleurs viennent faire leur nid.
(vers 1556 - 1577)
Déesse invisible, s’il n’est pas sacrilège
De t'invoquer, ô toi, Aidonée, la princesse
Le monde infernal, puisse notre hôte sceller
Son destin sans douleur au séjour de Stygie,
Sur la plage des morts, lui sur qui pèse tant
Les affres du destin. Il est juste qu’un dieu
Soit pour lui favorable. Ô déesses chtoniennes,
Et toi, chien monstrueux, qui couches à l’entrée
D'un lieu si visité, toi qu’on aime dépeindre
Hurlant férocement au parvis des Enfers...
Ô toi, Mort, née de la Terre et du Tartare,
Je t'invoque ! Je veux que ce monstre m'accueille
Sur ton sol ténébreux. Oui, c'est toi que j'appelle,
Reine du grand sommeil !
La mort d’Œdipe
(vers 1588 - 1666)
Sa mort nous a comblés ! Vous le savez, je crois,
Il nous montrait sa route alors qu’il s’en allait.
Sans guide, il s’éloignait en marchant devant nous.
Quand il fut arrivé près du gouffre fatal
Au long parvis d’airain, il nous le signala.
Il s’arrêta soudain. Au roc de Thoricos,
Où l'on trouve un poirier et un tombeau de pierre,
Il s’assied alors et ôte son vieux manteau.
Il appelle ses filles. Elles puisent de l'eau
Pour les libations. Puis on les voit partir
Fièrement vers la colline de Déméter.
À leur retour, respectueuses des coutumes,
Elles baignent leur père et revêtent son corps
D’une fraîche tunique. Et quand tout fut fini,
Quand rien ne fut omis, des Enfers retentit
Une sombre rumeur. Ismène et Antigone,
Aux genoux de leur père, eurent un cri affreux,
Mais lui les consola, les pressa sur son cœur.
« Voici l’instant fatal, mes filles ! C’est ainsi,
Votre père s’en va, il rejoint l’autre rive.
Par vos soins précieux vous prolongiez ma vie,
Mais je vous affranchis de cet ingrat fardeau.
Un seul mot peut payer vos bienfaits et vos maux.
Ah ! nul plus que moi ne vous aima si fort,
Vous, mon dernier espoir, mon seul bien ici-bas.
Non, vous ne me verrez plus, vous vivrez sans moi. »
À ces mots, on les vit s’embrasser tous les trois.
Puis à ce malheur succède un mystérieux
Et lugubre silence. Une voix l’interpelle
Et la peur nous étreint. « Œdipe ! » s’écriait
Une voix effrayante qui se répétait,
Funèbre, impatiente ! « Œdipe, qu’attends-tu ?
Tu es fort en retard ! » Reconnaissant le dieu
Dans cette voix d’airain, il appelle Thésée :
« Ô fidèle soutien, que ta main si loyale
Reste pour ma famille un vigilant gardien.
Ô mes filles, placez votre main dans la sienne.
Ne les trahis jamais ! Jure de les servir !
Que rien ne leur arrive ! » Et le bon souverain
Le jura fermement. Puis Œdipe reprit :
« Ô mes filles, partez avec sérénité,
Partez, et ne vous posez pas de question.
Le reste, on ne peut ni l’entendre, ni le voir.
Vite, il faut me quitter ! Que Thésée reste seul,
Témoin de mon secret. » À ces mots, nous partîmes,
Mettant nos pas dans ceux des filles éplorées.
Puis nous nous retournâmes : il n’était plus là !
Seul notre souverain, immobile et muet,
Nous apparaissait, la main couvrant son visage,
Comme s’il eut fixé une terrible image.
Bientôt il s’agenouille et adresse ses vœux
À Gaia, à l’Olympe où résident les dieux.
Un seul être connaît le mystère entourant
La mort d’Œdipe, un seul, c'est Thésée l’Athénien.
Il ne fut pas frappé par la foudre de Zeus,
Ni même submergé par un souffle marin.
Fut-il alors ravi par un être divin ?
Ou bien fut-il reçu par la douce Gaia
Qui s’ouvrit sous ses pas ? Sans douleur il passa
De la vie au trépas. Belle fut cette mort,
Et il faut l’admirer dans son pieux secret.
Fragment de drame satyrique
(460 ?)
Sur le mont Cyllène
Hermès nouveau-né est doué d’une force extraordinaire : il vient d’inventer la lyre grâce à une carapace de tortue, un roseau et une peau de bœuf. Il a dérobé aussi cinquante bœufs qui appartenaient à Hélios, le soleil. Apollon, s’étant rendu compte de ce vol, fait ouvrir une enquête auxquels Silène et ses acolytes satyres sont conviés.
Finalement, grâce à l’intervention d’un vieillard, Apollon soupçonne bientôt Hermès et va le trouver dans son berceau. Il ne trouve rien de concluant et l’enfant fait l’innocent. Le dieu l’emmène alors chez Zeus qui, amusé par le bambin, l’acquitte : il pourra garder les troupeaux volés à la condition qu’il offre la lyre à Apollon.
Dans le fragment de papyrus, trouvé en 1912, ne figure qu’une petite partie de l’enquête effectuée par les Satyres à la demande d’Apollon.
Silène et ses Satyres
(vers 138 - 163)
Ainsi donc, un bruit, un simple bruit vous affole !
Ah ! vous êtes vraiment pétris de cire molle.
Vous êtes plus peureux qu’une bête peureuse.
Une ombre vous fait fuir et tout vous terrifie.
Graines de fainéants ! Misérables crétins !
Ah ! pour la bagatelle et pour les gueuletons
On répond tous présent ! Pour nous aider, c’est vrai,
Il y a ce qu’il faut ! Mais plus rien du tout
Au cœur de l’action ! Dire que, comme moi,
Abrutis de bestiaux, vous avez en commun
Un père qui plaça sur la maison des nymphes
Les trophées qu’il convient, un paternel qui n’a
Jamais fichu le camp, quand le troupeau meuglait,
Qui ne s'est point blotti dans l'ombre en tremblotant.
Non, c’est la lance au poing qu’il s’est couvert de gloire,
Une gloire aujourd’hui que vous salissez,
Quand, pour un petit bruit, dû à quelque berger,
Vous voilà devenus des gamins sans cervelle,
Effrayés pour un rien. Phébos vous a promis
De beaux trésors, la liberté : le résultat ?
On laisse tout tomber, et ensuite on s’endort !
Bon ! au travail ! Il faut retrouver les troupeaux,
Le bouvier, ou sinon, misérables froussards,
Je vous ferai hurler ! Pour sûr, on entendra
Du bruit... de votre part !
FRAGMENTS DE TRAGEDIES PERDUES
Mes bons amis, l'amour, c'est un morceau de glace,
Qu'au cœur du rude hiver, un jeune homme ramasse,
Tout frétillant ! Soudain, ça lui brûle la main !
Peu à peu l'objet fond et s'écoule en sanglots !
Oui, l'amour, c'est cela : séduction et maux.
Cette frêle splendeur, bien vite évanouie,
Ne laisse que malaise et sombre nostalgie.
Cité par Stobée, 64, 13
Le temps d'un homme en vie est bref, mais sous la terre,
Le mort qu'on ne voit pas gît pour l'éternité.
Cité par Stobée, 22, 22
La race des humains doit se sentir mortelle :
Il faut dans ses désirs qu’elle sache toujours
Que nul individu, excepté le grand Zeus
N'accomplit l'avenir.
Cité par Stobée, 22, 22
J'ai bien considéré l'existence des femmes;
Oui, nous ne sommes rien ! Jeunes, dans le foyer
Paternel, notre vie se passe, à peu près digne.
Mais une fois pubère, on nous chasse, on nous vend.
Nous quittons nos parents, les dieux de notre père.
Nous sommes mariées, soit à des étrangers,
Soit à des Barbares. Il est même des femmes
Confiées à prix d’or à des maisons infâmes.
Et l'hymen accompli, il faut louer encore
Notre condition, se dire épanouie !
Cité par Stobée, 58, 19
Oui, grâce à la richesse, on se fait des amis,
On obtient des honneurs et l'on siège parmi
Les hommes gravitant autour du lieu suprême.
Nul n’oserait se dire ennemi de l'argent ;
Ou s'il l'est en effet, il nous cache sa haine.
La richesse est présente en tous lieux sur la terre,
Dans les simples maisons ou dans les sanctuaires ;
Et l'homme sans fortune, on a beau l'écouter,
Il ne peut parvenir aux choses convoitées.
À un corps misérable, à la langue méchante,
Elle donne sagesse et beauté rayonnante…
Cité par Stobée, 91, 27
La valeur est toujours d'une digne naissance.
Cité par Stobée, 54, 21
Que peut-on affirmer lorsque les bons reculent
Devant la méchanceté ? Oui, quelle cité
Pourrait supporter une pareille infortune ?
Cité par Stobée, 43, 6
FRAGMENTS DE TRAGEDIES inconnues
L'Amour, réfléchissons ! Mais c'est plus que l'amour.
Sous d'autres vêtements on le voit qui accourt !
C'est peut-être la mort, la folie, un désir
Infini, une force ou un ressentiment.
Mais n'est-il pas aussi un exquis sentiment ?
Toute âme est sous son joug : dans l'oiseau, le poisson
Il vit. Qu'il soit homme, qu'il soit dieu, devant lui
Il faut se prosterner. À lui, Zeus en personne
Se soumet. Les mortels et les dieux ont beau faire,
Partout il est vainqueur, partout règne Cypris !
Cité par Stobée, 63, 6
... Hélios, ô dieu,
Puissance, feu,
Arme ou flambeau
Pour Hécate toujours fuyante
Qui traverse les abîmes.
De l'Olympe toujours luisante,
Son cortège touche la cime.
Elle sillonne durant la nuit
Mille chemins, front recouvert
De serpents, de feuillage vert...
Cité par le scholiaste
d'Apollonios de Rhodes,
Argonautiques, III, 1214
Après un vif orage, il est fort agréable
De rentrer au foyer, et d'entendre tomber,
Du fond d'un lit douillet, la pluie épouvantable.
Cité par Stobée, 59, 12
Chères femmes, la guerre est aveugle et hideuse :
Oui, c'est un dieu à la face de sanglier
Qui n'aime que tuer, ravager et piller.
Cité par Plutarque,
Lecture des Poètes, IV, 33b
Le sage ne connaît pas la dure vieillesse,
Car son esprit, sans cesse, affûte des idées ;
Toujours, une clarté le donne l'allégresse,
Et toujours, sa bonté vise l'humanité.
Cité par Stobée, 117, 14