RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE - ESCHYLE, LE POÈTE SÉVÈRE - Anthologie

 

 

 

Eschyle

 

 

Liste des pièces

 

 

L'Hommage d'Aristophane

 

 

Deux épigrammes

 

 

Ce qu'ils ont dit d'Eschyle...

 

 

Liste des pièces

 

 

 

  Comme celui de Sophocle et d'Euripide, le texte intégral d'Eschyle fut édité par les grands philologues alexandrins, parmi lesquels Aristophane de Byzance et Aristarque de Samos. Quant au Choix des sept tragédies qui nous restent, il fut effectué sous le règne d'Hadrien par un érudit anonyme. C'est ce Choix qui fut à partir du IVe siècle transcrit sur  parchemin, support bien plus résistant aux aléas du temps que le fragile papyrus. De fait, ce Choix, qui se conserva au moins jusqu'au Xe siècle, servit d'archétype aux manuscrits médiévaux qui fleurirent à Byzance dès 850, date de la réouverture de l'Université de Constantinople, à l'origine d'un regain d'humanisme.

 

    Toutefois il convient de rappeler qu'Eschyle n'eut jamais bonne presse auprès des érudits byzantins, au point que le Choix datant du Bas-Empire fut vite considéré comme trop important à leurs yeux, ce qui fit réduire cette liste, déjà bien restrictive, à trois tragédies seulement : Prométhée enchaîné, Les Perses, Les Sept contre Thèbes. On constate en effet que la plupart des manuscrits conservés ne nous offrent que cette triade byzantine.  Par bonheur, le corpus des sept tragédies fut sauvegardé dans le Laurentianus 32, 9, connu sous le nom de Mediceus et datant du Xe siècle : il s'agit de l'une des copies qui fut transcrite sur l'ordre du patriarche Photios de Constantinople, le célèbre auteur de la Bibliothèque, soit dit en passant source indispensable aux spécialistes, puisqu'elle contient des notes de lecture relatives à des ouvrages dont la plus grande partie a aujourd'hui disparu.

 

    Le Mediceus est précieux à plus d'un titre, puisqu'il est le seul manuscrit existant à nous avoir restitué Les Choéphores et Les Suppliantes, pièces visiblement peu appréciées à Byzance. Il s'en est fallu de peu pour que ces deux chefs-d'œuvre de la littérature mondiale disparaissent à jamais...

 

    Malgré toutes ces vertus, le Mediceus était incomplet et ne donnait pas l'intégralité de l'Agamemnon (seuls les vers 1-310 et 1067-1159 étaient recopiés). En revanche, des manuscrits produisant deux éditions byzantines de l'Agamemnon et des Euménides, établies par Démétrios Triclinios (1280-1340), ont été retrouvés à la Renaissance et ils ont permis d'éditer un texte complet, quoique défectueux, de l'Agamemnon.

 

    Nous avons conservé les titres de soixante-dix huit pièces sur les quatre-vingt-dix composées par Eschyle. Dans cette page, j'ai indiqué en rouge les sept pièces sauvegardées afin de les différencier des soixante-dix autres que nous avons perdues. J'ai fait suivre d'une astérisque les œuvres dont nous possédons des fragments. En vert sont indiqués les drames satyriques.

 

 

 

         LÉGENDE THÉBAINE

 

- Niobé *

 

Trilogie d'Adraste

- Némée

- Les Argiens

- Les Eleusiniens

 

Le cycle œdipien

- Les Sept contre Thèbes

- Laïos

- Œdipe

- Le Sphinx

 

La geste d'Héraklès

- Alcmène

- Les Héraclides

- Le Lion

 

        LÉGENDE DES ARGONAUTES

 

La Toison d'Or

- Athamas

- Les Pélerins *

 

Tétralogie des Argonautes

- Argo

- Les Lemniens

- Hypsipyle

- Les Cabires

 

        CYCLE TROYEN

 

- Iphigénie

- Palamède

- Les Cariens (ou Europe) *

 

Trilogie de l'Achilléide

- Les Myrmidons *

- Les Néréides

- Les Phrygiens (ou la Rançon d'Hector) *

 

Tétralogie du Retour d'Ulysse

- La Conduite des âmes

- Pénélope

- Les Funérailles

- Circé

 

Trilogie de Philoctète

- Tennès

- Philoctète

- Kyknos

 

Légende de Télèphe

- Télèphe

- Les Mysiens

 

Trilogie d'Ajax

- L'Attribution des armes

- Les Thraces

- Les Salaminiennes

 

Légende de Memnon

- Memnon

- La Pesée des âmes *

 

Légende des Atrides (l'Orestie)

- Agamemnon

- Les Choéphores

- Les Euménides

 

        LÉGENDE D'ATHÈNES

 

Trilogie de Persée

- Les Phorkides

- Polydecte

- Les Pêcheurs *

 

        CYCLE DIONYSIAQUE

 

 - Les Nourrices de Dionysos

 

Légende relative à Penthée

- Sémélé

- Les Bacchantes

- Penthée

- Les Cardeuses

 

Tétralogie de la Lycurgie

- Les Édoniens *

- Les Bassares

- Les Jouvenceaux

- Lycurgue

 

        LÉGENDE DE PROMÉTHÉE

 

- Prométhée enchaîné

- Prométhée délivré

- Prométhée Porte-Feu *

 

        LÉGENDE DE PERSÉE

 

- Les Suppliantes

- Les Égyptiens

- Les Danaïdes

- Anymome

 

        TÉTRALOGIE LIBRE

 

- Les Perses

- Phinée

- Glaucos

- Prométhée

 

        LÉGENDES DIVERSES

 

- Les Perrhèbes

- Ixion

- Sisyphe fugitif

- Sisyphe Roule-Pierre

- Glaucos marin

- Les Crétoises

- Les Héliades *

- Callisto

- Orithye

- Les Etnéennes

- Les Prêtresses

- Les Chambriers

- Les Archères

- Les Hérauts

- Les Processionnaires

 

 

L'Hommage d'Aristophane

 

 

 

   

    Dans sa comédie, omédie, Les Grenouilles, Aristophane rend un hommage appuyé au style d'Eschyle qu'il met en opposition avec celui d'Euripide, sa bête noire favorite. Il imagine une rencontre entre les deux poètes - avec Dionysos en personne en tant qu'arbitre - où chacun tente de justifier au mieux ses conceptions théâtrales. Bien entendu cette conversation tourne au profit d'Eschyle, qu'Aristophane vénère, et ridiculise les nouveautés scéniques instituées par Euripide.

    Malgré l'outrance verbale, force est de constater qu'Aristophane a fort bien cerné les caractéristiques propres aux deux maîtres athéniens. Voici donc l'extrait le plus frappant de cette rencontre - improbable - entre les deux Tragiques, dans une traduction que j'ai faite en vers.

 

 

 

Euripide

Moi, lorsque j'ai reçu ta tragédie, que dire ?

Avec son ventre épais, ses ennuyeux discours

Et ce verbe indigeste, il fallut l'amincir.

Pour cela j'écrivis des vers un peu plus courts,

Je prescrivis aussi un peu de bavardage

Puisé un peu partout dans ma foule d'ouvrages,

Ajoutant çà et là de sophistes propos...

Bref l'action s'emballe au premier mot écrit.

Je fais parler la femme ou l'esclave ou le maître,

La vieille s'il le faut....

 

Eschyle

                         Mes entrailles bouillonnent

À l'idée qu'il me faut réfuter un tel homme.

Je n'apprécie pas cette confrontation.

Réponds-moi, je te prie : en quoi donc le poète

Doit-il être admiré ?

 

Euripide

                                Par ses conseils honnêtes,

Tant il est vrai que nous rendons l'homme meilleur.

 

Eschyle

Mais au lieu de cela, si de bons qu'ils étaient

Tu en fais des vauriens, quel doit être son sort ?

 

Dionysos

Assurément la mort !

 

Eschyle

                        Je lui ai confié

Des êtres vertueux, non pas des scélérats

Qui renient leurs devoirs, qui déferlent sans cesse

Sur l'Agora, ni des fourbes ni des meneurs.

Non, ils portaient un casque avec un beau panache,

Des javelots, un heaume avec ruban flottant.

Reconnais la grandeur de ces êtres parfaits.

Pense aussi à Orphée qui refusait le meurtre

Et qui nous révéla les plus fameux mystères.

Hésiode enseigna le travail de la terre.

Quant à ce dieu, Homère, il nous en apprit tant,

Au point qu'il fut nimbé d'un éclatante gloire.

On ne doit pas montrer les actes dérisoires,

Ne pas les exposer sur scène au tout venant.

Le poète se doit d'éduquer la jeunesse

Comme un maître d'école instruisant des enfants.

Oui, nous devons parler avec grâce et noblesse.

 

Euripide

Un verbe châtié c'est vouloir employer,

Pour toi, des mots pareils au sommet de l'Olympe.

Or, tu devrais parler en des termes plus simples.

 

Eschyle

Ô malheureux, pour dire une idée de génie,

Il faut bien que les mots soient du même acabit.

Les demi-dieux ont un verbe majestueux.

De plus, il sont vêtus d'habits plus somptueux

Que ceux que nous portons. Tu n'as fait qu'avilir

Ma noble ambition !

 

Euripide

                      Mais comment l'ai-je fait ?

 

Eschyle

En présentant des rois recouverts de haillons

Afin que les mortels s'émeuvent de leur sort...

...Ah ! cet homme est l'auteur de tant de vilenies !

Sur la scène il a mis des femmes accouchant

Dans des enclos sacrés ; avec leurs propres frères

Il les a fait s'unir, en criant à tue-tête

Que la vie véritable, en fait, c'est le trépas !

 

 

Deux épigrammes

 

 

 

   

    Ces deux épigrammes funéraires, tirées de l'Anthologie Palatine et attribuées respectivement à Diodoros et Dioscoride (IIIe av. J.C.) montre la ferveur dans laquelle on tenait Eschyle à l'époque hellénistique, époque où l'on avait encore à disposition l'ensemble de ses pièces, certes très peu jouées sur la scène, mais toujours lues dans les cénacles cultivés.

 

 

 

   Cette pierre tombale

   Me révèle qu'Eschyle

   En vint à reposer

   À Géla de Sicile,

   Loin de son lieu natal.

   Pour les talents exquis,

   Les enfants de Thésée

   Ne sont que jalousie.

 

Diodoros, Anth. Pal. VII, 40

 

 

   Ces jeux qu’on pratiquait à travers la forêt

   Et les chants de Thespis d'une grande beauté,

   Eschyle sut en faire une œuvre merveilleuse

   Par des vers arrosés par l'onde radieuse.

   Ô toi qui transformas le théâtre lyrique,

   Tu étais un génie, égal aux grands classiques.

 

Dioscoride, Anth. Pal. VII, 41

 

 

 

Ce qu'ils ont dit d'Eschyle...

 

 

 

 

 

 

 

 

Corneille

 

   Eschyle fait revenir Agamemnon avec une vitesse singulière. Il était demeuré d'accord avec Clytemnestre, sa femme, que sitôt que cette ville serait prise il le ferait savoir par des flambeaux disposés de montagne en montagne... Cependant, à peine l'a-t-elle apprise par ces flambeaux allumés, qu'Agamemnon arrive ; donc il faut que le navire quoique battu d'une tempête, si j'ai bonne mémoire, aie été aussi vite que l'œil à découvrir ces lumières. Le Cid et le Pompée où les actions sont un peu précipitées, sont bien éloignés de cette licence ; et s'ils forcent la vraisemblance commune en quelque chose, du moins ils ne vont point jusqu'à de telles impossibilités.

 

     

 

Le père Rapin

 

   Eschyle n'a presque nul principe pour les mœurs et pour les bienséances ; ses fables sont trop simples, l'ordonnance en est triste, l'expression obscure et embarrassée ; on n'entend presque point la tragédie d'Agamemnon, il met tout son art dans ses paroles sans se soucier des sentiments. Enfin, il semble que son enthousiasme ne le quitte point tant il est guindé et peu naturel.

 

 

 

Diderot

 

   Eschyle est épique et gigantesque lorsqu'il fait retentir le rocher sur lequel les Cyclopes attachent Prométhée et que les coups de marteaux en font sortir les nymphes effrayées ; il est sublime lorsqu'il exorcise Oreste, qu'il recueille les Euménides qu'il avait endormies, qu'il les fait errer sur la scène et crier. Je sens la vapeur du sang, je sens la trace du parricide, je la sens, je la sens... et qu'il rassemble autour du malheureux prince, tenant dans ses mains les pieds de la statue d'Apollon. Mais de combien d'années a-t-on payé la jouissance de ces beautés ? 

 

 

 

André Chénier

 

   C'est là que j'imiterai cette admirable et unique scène de Cassandre dans l'Agamemnon. Plût à Dieu que je pusse trouver aussi quelque occasion d'imiter aussi cette tragédie des Perses

 

   

 

Schlegel

 

   Il faut convenir que si ce poète nous montre l'enfance de l'art dramatique, c'est du moins l'enfance d'Hercule qui étouffait des serpents dans son berceau.

 

 

 

Victor Hugo

 

   Une sorte d'épouvante emplit Eschyle d'un bout à l'autre ; une méduse profonde s'y dessine vaguement derrière les figures qui se meuvent dans la lumière. Eschyle est magnifique et formidable ; comme si l'on voyait un froncement au-dessus du soleil... Eschyle est le mystère fait homme ; quelque chose comme un poète païen. Son œuvre, si nous l'avions toute, serait une sorte de Bible grecque.

     Eschyle, illuminé par la divination inconsciente du génie, sans se douter qu'il a derrière lui, dans l'Orient, la résignation de Job, la complète à son insu par la révolte de Prométhée ; de sorte que la leçon sera entière, et que le genre humain, à qui Job n'enseignait que le devoir, sentira dans Prométhée poindre le Droit.

 

  

 

Nietzsche

 

   Euripide est cet homme qui ose nier à lui seul l'âme de la Grèce, telle qu'elle nous apparaît en Homère, Pindare et Eschyle, en Périclès, chez la Pythie, en Dionysos, cette âme dont la profondeur inouïe, la hauteur sublime commandent notre admiration stupéfaite ? Quelle force démoniaque est-ce là qui se permet de répandre dans la poussière le breuvage magique ? Quel est ce demi-dieu auquel le chœur fantôme de l'élite de l'humanité se voit contraint de crier : « Hélas ! Hélas ! Tu l'as détruit d'une poigne brutale, ce monde si beau ; il tombe, il s'effondre ! »

 

                

 

Maurice Croiset

 

    Eschyle était le représentant prédestiné de la génération qui fit alors la gloire d'Athènes. Contemporain de Cimon et d'Aristide le Juste, l'instinct de la grandeur lui est aussi naturel qu'à eux. Son âme est pleine de foi, sa morale est toute faite de principes. Mais avec le respect religieux du passé, il a un élan du cœur et d'imagination qui est admirable. Il personnifie la vieille Attique, mais au moment où elle se transforme...

    L'âme humaine, bien que soumise à un pouvoir supérieur, se montre chez lui comme un ensemble de forces morales d'une puissance extraordinaire. On est saisi d'admiration en voyant, dans ses drames, tout ce que l'idée et la passion peuvent obtenir d'elle. Dans le crime ou dans l'affirmation du droit, dans l'action ou dans la souffrance, il l'a représentée comme capable d'un effort qui la fait vraiment grande.

 

 

 

Paul Mazon

 

    Eschyle n'est pas le poète de la fatalité. Il serait même plus juste de dire qu'il le poète de la volonté. Il est des écrivains qui ne voient dans l'humanité qu'une foule de demi-aveugles, jouets d'instincts obscurs, qui ne savent où ils vont, qui se trompent sur eux-mêmes comme sur les autres... Sophocle appartient à cette famille d'esprits. D'autres, au contraire, se représentent le monde comme une mêlée de volontés claires et sans défaillance, qui s'affrontent loyalement, tout en se comprenant, parfois, qui s'estiment. Eschyle est de ceux-là : ses personnages sont tous de volonté clairvoyante et ferme et c'est leur volonté qui mène le drame.

 

 

 

Ismail Kadaré

 

    La trilogie de l'Orestie, l'œuvre la plus achevée et la plus belle de tout le théâtre antique, en est peut-être le témoignage le plus convaincant. La reprise du sang, en tant que produit de l'ordre gentilice, est un phénomène connu en plus d'un endroit de notre Terre, y compris chez des peuples fort distants l'un de l'autre. Mais, à la différence de ce qu'il en était chez beaucoup d'autres peuples, la reprise du sang, chez une partie des peuples des Balkans et principalement chez les Albanais, s'intégrait dans le mécanisme constitutionnel qui régissait tout leur destin du point de vue à la fois juridique, moral, philosophique.

 

 

 

Marguerite Yourcenar

 

    Tout en lui coule d'une seule coulée, comme l'eau ou la lave. Le mot réalisme, trop moderne, convient mal à l'art d'Eschyle : plutôt faut-il parler d'une réalité si dense et si profonde qu'elle se reforme par delà nos interprétations. Jusqu'à Shakespeare au moins, la sanglante aventure humaine, et les puissantes forces élémentaires au milieu desquelles elle se déroule, n'ont jamais été mieux mises en scène que par ce poète sauvage, orgueilleux, passionné de justice, capable de pitié, et qui dédia son œuvre au Temps.

 

 

 

Pierre Vidal-naquet

 

    Chez Eschyle, l'interférence entre monde divin et monde humain est permanente. Les deux univers se reflètent l'un l'autre. Il n'y a pas de conflit humain qui ne traduise un conflit entre les forces divines. Il n'y a pas de tragédie humaine qui ne soit pas une tragédie divine.