RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE - Aristophane, le joyeux réactionnaire ( BCS) - ANTHOLOGIE : DES ACHARNIENS AUX OISEAUX
ARISTOPHANE
Anthologie comique
2. De Lysistrata à Ploutos
SOMMAIRE
- Un programme ultra communiste
- Chanson de la vieille et de la jeune fille
- La jeune fille, le garçon et la vieille femme
(411)
À Athènes à l’entrée de l’Acropole
1-53 : Lysistrata réunit sur la voie d’accès menant à l’Acropole ses amies athéniennes. Elle confie à la Victoire son dessein de mettre fin à la terrible guerre qui ravage le monde grec grâce à l’intervention des femmes.
54-253 : après l’arrivée de la spartiate Dora, Lysistrata dévoile son projet : les femmes barricadées sur l’Acropole feront la grève de l’amour. Les maris, face à une telle situation, ne pourront que déposer les armes. Les femmes acceptent et prêtent serment.
254-318 : des vieillards arrivent dans l’Acropole et tentent d’incendier les lieux. Mais un groupe de femmes arrivent à temps avec des seaux d’eau.
319-462 : un commissaire survient afin de forcer les femmes à mettre fin à leur action. Les gendarmes sont finalement vaincus.
463-705 : Lysistrata fait un discours dans lequel elle vante le bon sens féminin. Entre les vieillards et les femmes, les « noms d’oiseaux » fusent.
706-828 : Lysistrata, désespérée par le comportement des femmes qui supportent mal l’éloignement de leurs maris, sort de l’Acropole.
829-979 : un Athénien, les reins enflammés, arrivent pour récupérer son épouse. Celle-ci, après avoir feint de se donner à lui l’abandonne à son sort.
980-1071 : le plan de Lysistrata est un succès puisqu’un héraut spartiate annonce que sa cité a consenti à signer la paix avec Athènes. Vieillards et femmes se réconcilient.
1072-1188 : les ambassadeurs de Sparte arrivent. Les hommes sont alors prêts à capituler à n’importe quelle condition car la privation de femmes leur est devenue insupportable. Lysistrata obtient l’arrêt de la guerre. Pour sceller la paix, Athéniens et Spartiates partagent le même repas.
1189-1320 : bonne humeur générale. Un Spartiate chante deux chants afin de célébrer respectivement les mérites d’Athènes et ceux de Sparte. Discours de Lysistrata et chant de joie final.
Lysistrata
Vous les bonshommes, quand le conflit éclata,
Nous vous supportions car nous sommes modérées ;
D'ailleurs, on ne peut pas avec vous s'exprimer.
Pourtant grâce au pouvoir de notre intuition,
Nous avons tout compris : souvent à la maison,
Nous étions informées des sales actions
Qui devaient éclairer les problèmes criants.
Malgré notre tourment, nous jetions en souriant :
« Qu'avez-vous décidé aujourd'hui sur la paix ? »
Et le mari disait : « Veux-tu donc la fermer ! »
Voilà pourquoi, chez moi, je n'osai m'exprimer !
Lorsque de ces horreurs nous étions informées,
Nous déclarions : « Comment peut-on se comporter
De la sorte ? Il faut être un esprit insensé ! »
Il répondait alors : « Continue à tisser,
Sinon je vais frotter tes satanées oreilles.
La guerre, c'est pour nous ! »
Le commissaire
Son langage est habile !
Lysistrata
Que me radotes-tu, ô bougre d'imbécile !
Vos ordres étaient d'une sottise sans pareille
Mais nous ne pouvions pas vous donner de conseils.
Quand nous avons appris qu'il n'y avait plus d'hommes
Dans ce pays, alors nous avons décidé
De sauver nos cités en nous coalisant...
Le commissaire
Que faire pour calmer ces troubles incessants
Comment les dénouer ?
Lysistrata
C'est trois fois rien !
Le commissaire
Explique !
Lysistrata
Comme avec notre fil : quand il est embrouillé,
Nous le prenons ainsi et puis nous le portons
Vers le fuseau, par-ci, par-là. Oui, c'est ainsi
Que nous dénouerons le conflit, en envoyant
Par-ci ou bien par-là des missions nombreuses.
Le commissaire
C'est avec ces fuseaux que ces fieffées donzelles
Prétendent dénouer des guerres si complexes ?
Lysistrata
Oui, et si vous aviez une once de cervelle,
Tout serait réglé grâce au génie de mon sexe.
Le commissaire
Comment !
Lysistrata
Ainsi que nous le faisons pour les laines
Que nous baignons pour en ôter les saletés :
Il nous faut en effet décrasser la cité.
À coup de baguette, adieux les fibres malsaines.
Tout ce qui s'agglutine en sinistres toquards
Dans les emplois publics, qu'on les mette au placard.
Puis brassons pêle-mêle, en un même panier
De la volonté générale, amis, hôtes, métèques,
Débiteurs de l'État : il faut tous les lier.
Quant aux cités fondées par des colons d'ici,
Ce ne sont que des pelotes éparpillées :
En les rembobinant, on en constituera
Une pelote unique : on en fera usage
En tissant pour le peuple un somptueux lainage.
Le commissaire
C'est fou ! Ces femmes-là ne pensent qu'à filer,
Ces femmes que jamais ne vient toucher la guerre.
Lysistrata
Doubles sont nos malheurs : par rapport aux bonshommes
D'abord on est contrainte à engendrer des fils ;
Ensuite, on les envoie armés au sacrifice.
Le commissaire
Ah ! ne réveille pas des souvenirs si tristes.
Lysistrata
Dire que nous pourrions profiter de la vie,
Nous dormons dans le lit, privées de nos maris :
L'armée nous les a pris. Passe encore pour nous,
Mais pour les jeunes cœurs qui vieillissent ainsi,
Je verse mille pleurs.
Le commissaire
Mais les hommes vieillissent ?
Lysistrata
Non, ce n'est pas pareil : un homme à son retour,
Épouse sans tarder une tendre jeunesse.
Or, le temps de la femme est le temps le plus court :
Si elle ne saisit pas l'opportunité,
Personne n'en voudra ; et, ruminant ses chances,
On la verra bientôt privée de sa beauté.
Cinésias
Tu ne veux pas baiser : cela fait si longtemps !
Myrrhine
Ce n'est pas pour autant que je ne t'aime pas.
Cinésias
Donc tu m'aimes : alors qu'est-ce que tu attends
Pour t'affaler ici, ma Myrrhine chérie ?
Myrrhine
Tu es dément ! Baiser devant notre petit ?
Cinésias
Mais non. Eh ! Manès ! Ramène-le chez nous.
Et voilà ! Maintenant que le gosse est parti,
Il n'y a plus d'obstacle. Eh ! tu n'es pas couchée?
Myrrhine
Où le pourrai-je enfin, mon malheureux ami ?
Cinésias
Où ! eh bien, pourquoi pas dans la grotte de Pan !
Myrrhine
Comment donc, moi qui suis pure, entrer là-dedans ?
Cinésias
Baigne-toi dans le Clepsydre et tu seras pure.
Myrrhine
Quoi ! Après le serment, je ferai un parjure ?
Cinésias
Mais ne t'occupe pas ? C'est moi qui prendrai tout.
Myrrhine
Bon ! Je vais apporter un petit lit pour nous.
Cinésias
Bouh ! pourquoi s'épuiser, nous le ferons par terre.
Myrrhine
Ah non, par Apollon. Bien que tu sois si bas,
Je ne coucherai pas ici dans la poussière.
Cinésias
Ah ! elle m'aime vraiment : la chose est évidente !
Myrrhine
Étends-toi là-dessus, j'ôte mes vêtements.
Flûte ! Il faut une natte !
Cinésias
On n'en a pas besoin.
Myrrhine
Sur des sangles, voyons, ce serait bien malsain !
Cinésias
Laisse-toi faire. Mais... Veux-tu me revenir !
Myrrhine
Une natte, c'est fait ! Je vais me dévêtir !
Couche-toi. Horreur ! il n'y a pas d'oreiller.
Cinésias
Tant pis !
Myrrhine
Moi, j'en veux un. Allons, redresse-toi !
Cinésias
Enfin, nous avons tout. Viens ici, ma beauté !
Myrrhine
Attends ! Mon soutien-gorge, il faut que je l'enlève.
Oh ! les draps !
Cinésias
Pas besoin : je veux te bécoter.
Myrrhine
Je reviens sans tarder ! Après tu me prendras !
Cinésias
J'avoue qu'elle me gonfle avec ses sacrés draps !
Myrrhine
Redresse-toi ! Tu veux un peu de ce parfum ?
Cinésias
Non, non, par Apollon, je ne veux pas de ça !
Myrrhine
Que ce soit oui ou non, je vais te parfumer.
Cinésias
Que je sois parfumé donc, ô Zeus tout-puissant !
Myrrhine
Donne ta main, prends ça, et mets-toi du parfum.
Cinésias
Par Phébos, ce parfum retarde la culbute.
Myrrhine
C'est un parfum rhodien !
Cinésias
Laisse donc tout cela !
Myrrhine
Tu te fiches de moi ?
Cinésias
Qu'il souffre à tout jamais
Celui qui, le premier, inventa le parfum !
(411)
À Athènes, devant la maison d’Agathon, puis au sanctuaire des Deux-Déesses
1-69 : Euripide emmène un de ses parents, Mnésiloque, chez Agathon. Arrivés chez lui, ils s’entendent dire par son serviteur que le poète est encore sous l’emprise de sa Muse.
70-94 : Euripide explique à son parent qu’il court un grand danger. En effet, les femmes qui vont se retrouver à la fête des Thesmophories s’apprêtent à réclamer sa mort pour avoir tant médit sur elles. Euripide espère qu’Agathon, homme efféminé, pourra avec aisance se fondre au cortège des femmes en se travestissant. Ainsi accoutré, pense-t-il, il plaidera sa cause.
95-279 : Agathon se montre allongé sur un sofa et marmonne quelques vers qu’il vient de composer. Discussion Mnésiloque – Agathon. Euripide lui fait sa demande. Agathon refuse. Mnésiloque accepte de prendre sa place et de se déguiser en femme. Agathon, à cet effet, lui prête une de ses robes.
280-570 : nous sommes dans le sanctuaire des Deux Déesses où se passe la cérémonie. Mnésiloque arrive. La présidente expose le cas d’Euripide. Deux femmes accusent Euripide. Bientôt, Mnésiloque prend la parole et prétend que les faits reprochés au poète sont minimes par rapport à la réalité de ce que l’on pourrait reprocher aux femmes. L’assemblée est outrée.
571-688 : Clisthène, un efféminé, arrive chez les femmes pour leur annoncer qu’un intrus s’est glissé parmi elles pour défendre Euripide. L’intrus est rapidement retrouvé et Clisthène s’apprête à avertir la police.
689-784 : Mnésiloque se saisit d’un bébé et décide de l’utiliser comme moyen de chantage. Or, ce bébé est en réalité une bouteille de vin emmaillotée. Notre homme ne sait plus comment s’en sortir.
785-845 : parabase. Éloge des femmes.
846-1000 : Mnésiloque appelle Euripide à l’aide. Tous deux déclament des vers d’Hélène et de Ménélas tirés de l’Hélène d’Euripide. Duo parodique. Échec de cette tentative. Mnésiloque est bientôt condamné au carcan.
1001-1135 : un garde scythe ramène Mnésiloque. Celui-ci dit maintenant des vers d’Andromède. Euripide lui donne la réplique. Hélas, rien n’y fait.
1136-1231 : un Chœur parvient à endormir le garde. Euripide, qui a promis de ne plus critiquer les femmes, obtient d’elles qu’elles consentent à ne rien dire sur l’évasion de Mnésiloque. Euripide amène une charmante danseuse. Le garde ébloui par sa beauté suit la jeune fille ce qui permet à Mnésiloque de s’enfuir. Le garde revient et s’apercevant de la supercherie part à la recherche du prisonnier évadé pendant que le Chœur lui donne de fausses indications.
Le parent
Ah ! c'est un bien joli chant ! Qu'il est efféminé !
Il sent son gros baiser alangui sur la bouche.
D'ailleurs, en l'écoutant, mon cul s'est dandiné.
Et toi, mon beau garçon, si tu es de ce style,
Je t'interrogerai à la façon d'Eschyle
Dans son Lycurgue. D'où nous vient cet androgyne ?
Quel est ce vêtement ? Ta cité d'origine ?
Cette vie de plaisir ? Ton luth s'accorde-t-il
Avec ta robe jaune ? Et cette chair va-t-elle
Avec cette couronne ? Enfin cette belle huile
Dont on enduit l'athlète est-elle en harmonie
Avec ce soutien-gorge ? Union peu subtile !
Non, rien de commun entre un miroir et un glaive.
Eh ! mon enfant, est-ce en homme que l'on t'élève ?
Je ne vois pas ta queue, tes souliers laconiens,
Ton manteau ? À moins que tu ne sois une femme ?
Pourtant, je ne vois pas la marque ombrée des seins !
Voyons, que me dis-tu ? Eh ! quoi ! Tu veux te taire ?
Est-ce d'après ton chant que je dois découvrir
Ce que tu es vraiment et dont tu fais mystère.
Agathon
Vieillard, les jaloux me jettent des calomnies,
Mais je n'en ai que faire ! Et je mets cet habit
Conforme à mon génie. Un auteur doit toujours
Connaître à fond ceux qui peuplent ses tragédies.
Il imagine ainsi certains rôles de femmes :
Je conforme mon corps aux façons qu'on proclame.
Le Parent
Quand il compose Phèdre, il encule un cheval ?
Agathon
Pour écrire une pièce avec rôles masculins,
On peut trouver en soi les maintes composantes.
Mais sur un autre genre où nous ne savons rien,
Nous le saisissons mieux par l'imitation.
Le Parent
Bon, quand tu écriras ta tragédie prochaine,
Si satyre il y a, je te fournis mon aide :
Je serai à ton cul avec une queue raide !
Agathon
Un poète grossier et d'apparence laide,
Cela est dégoûtant ! Vois donc Anacréon,
Ibycos et Alcée, ils étaient truculents,
Mais c'étaient des Ioniens, ils vivaient mollement.
Ils étaient gracieux et portaient un bandeau.
Regarde Phrynicos, il était vraiment beau,
Bien mis de sa personne et ses œuvres étaient belles.
Tel tempérament, telle œuvre, c'est naturel.
Le Parent
Ainsi donc, Philoclès, d'une laideur sans nom,
Écrit comme un cochon, tandis que Xénoclès
Fait des récits cruels, ayant un mauvais fond.
Quant au froid Théognis, ses pièces sont glaciales.
Agathon
Voilà qui est fatal ! Mais je le sus bien vite
Et me suis corrigé.
Je suis très malheureuse (et depuis fort longtemps)
D'être vilipendée par ce vil rejeton
D'une femme vendant des fruits et des légumes
Et d'être injuriée de toutes les façons !
Il use à notre égard de termes si grossiers,
De plus en plus affreux : tout est l'occasion
Devant les spectateurs de nous calomnier :
Nous ne sommes pour lui que putains et roulures,
Nymphos invétérées, pochardes, pourritures,
Traîtresses, en un mot, les fléaux des maris.
C'est pourquoi, aussitôt finie la tragédie,
Le spectateur s'empresse, une fois au logis,
De découvrir l'amant qui devrait s'y cacher.
Tout ce que nous faisions ne nous est plus permis
Depuis qu'il a décrit aux époux nos forfaits.
Une femme se met à tresser des couronnes ?
Forcément elle couche ! Et qu'elle brise un vase,
Son mari lui dit ça : « Ce n'est pas pour personne
Que tu casses l'objet, non, c'est pour ton amant ! »
Une fille est malade et son frère prétend
Ne pas aimer ce teint. Pour les vieillards aussi
Amateurs de jeunesse, il a fait ce vers-ci :
« La femme est un tyran pour le vieux qui la prend. »
C'est à cause de lui qu'on pose des scellés
Sur les appartements où résident les femmes.
On a mis des verrous pour mieux nous surveiller.
Pour apeurer l'amant, on élève des chiens.
S'il n'y avait que ça, bah, je ne dirais rien.
Mais nous qui, autrefois, faisions le quotidien,
Achetions la farine et l'huile à volonté,
Nous ne le pouvons plus... Aussi, sans discuter,
Faisons mourir cet homme à l'aide d'un poison
Ou d'une autre façon...
Après avoir subi des propos de la sorte,
Il est normal que contre Euripide on s'emporte :
Ce n'est pas plus choquant qu'une bile échauffée !
Pour ne pas le haïr il faudrait être fou !
Mais ici, n'est-ce pas, nous sommes entre nous.
Je vous demande donc : pourquoi lui reprocher
D'avoir montré de nous quelques menues erreurs
Alors que nous en faisons une multitude ?
Rien que pour moi, si vous saviez mes turpitudes !
Ainsi, à peine mariée, j'accueillis un ami,
Celui qui, je l'avoue, m'a baisée le premier.
Or, ce soir-là avec ardeur il me voulait.
Je sortis de mon lit. Mon mari s'étonna :
« Mais que se passe-t-il ? » Et je lui répondis :
« J'ai la colique et je m'en vais aux cabinets ! »
Pendant qu'il préparait une mixture à lui
Remède fait de cèdre, et de sauge et d'aneth,
Mon mec en profitait pour bien me tisonner.
Un incident qui n'a jamais été décrit
Par Euripide. Il n'a pas dit que nous aimons
Nous faire tisonner par nos beaux muletiers.
Il n'a pas dit non plus comment après l'orgie
Nous nous enduisons d'ail afin que le mari
Ne se doute de rien quand il revient chez lui !
Mais oui, tous ces forfaits sont de notre façon.
Enfin sur notre auteur, je n'ai qu'un mot à dire :
Tout ce qu'il nous reproche est loin d'être le pire
Au regard de la fange où nous nous débattons.
On colporte sur nous les pires vilenies,
Bref de l'humanité nous serions le poison.
De nous seraient issus maux et séditions,
Guerres, plaies et chagrins. Mais si vraiment nous sommes
Ce poison, pourquoi nous épousent les hommes ?
Pourquoi nous défend-on de mettre un nez dehors ?
Pourquoi nous défend-on de jeter même un œil
Sur la rue ? Oui, pourquoi se donner tant d'efforts
Pour garder ce poison ? Quoi, Bobonne est sortie !
Aussitôt, vous voilà minés par la furie.
Pourtant, vous devriez bien fort vous réjouir
De savoir ce poison hors d'état de vous nuire :
Ne plus avoir enfin à se jeter sur elle !
Si nous nous endormons dans la maison d'autrui,
- À force de guincher, on se fatigue vite -On cherche son poison, on fait le tour des lits.
Et dès que nous osons jeter un bref regard
Par la fenêtre, vous imaginez le pire !
Si nous nous retirons par pudeur manifeste,
Vous êtes pris d'envie de nous revoir ainsi,
Pour vous émoustiller. Tant il est vrai, du reste,
Que nous sommes vraiment bien meilleures que vous...
Euripide, en vieille femme
Toi, ma jolie, fais ce que j'ai dit tout à l'heure !
Traverse, puis reviens vers moi à petits pas.
Quant à toi, Térédon, souffle, de la langueur !
L'archer scythe
Mais c'est quoi, ce tintouin ? Pour dormir, pas de chance !
Euripide
Archer, la belle enfant va chez des invités
Pour leur exécuter un numéro de danse.
L'archer scythe
Bah, qu'elle danse donc ! Pas interdit, la chose !
Légère la bichette, une puce excitée !
Euripide
Ta robe, enlève-la ! Défais-toi par en haut !
Ensuite va t'asseoir sur les genoux du Scythe
Et donne-moi tes pieds pour que je les déchausse.
L'archer scythe
Oui, ma fifille, assis ! Ah ! gentil le téton !
Dodu, bien comme il faut, un gros navet tout rond !
Euripide, à Térédon.
Toi, vite un air de flûte. (
À Élaphion) As-tu peur du soldat ?
L'archer scythe
Les fesses : très joli !
Euripide
Allez, rhabille-toi,
Il est temps de d'enfuir.
L'archer scythe
D'abord, bisou pour moi !
Euripide
Donne lui ce qu'il veut.
L'archer scythe
Miam miam ! Langue sucrée !
Je me suis régalé, moi, fameux comme du miel !
Eh ! c'est possible, un jour, de coucher avec elle ?
(405)
Devant la maison d’Héraklès puis aux Enfers
1-44 : Dionysos, revêtu d’une peau de lion et tenant une massue, arrive devant la porte d’Héraklès avec Xanthias son serviteur qui est assis sur le dos d’un âne. Le dieu rit devant l’accoutrement du dieu.
45-165 : Dionysos explique son intention de ramener des Enfers Euripide afin de redorer la tragédie et lui demande quelques informations sur le voyage qu’il compte effectuer chez Hadès, Héraklès ayant effectivement déjà exploré le domaine des morts.
166-270 : refusant le concours d’un mort qui s’était proposé de porter les bagages du dieu pour un prix faramineux, Xanthias se charge de cette besogne. Charon prend le dieu sur sa barque et ils traversent le Styx sous les coassements des grenouilles.
271-502 : on arrive chez les défunts. Xanthias est effrayé par ce qu’il voit. On entend retentir le chant suave des initiés d’Éleusis. Éaque, portier d'Hadès, croit qu’Héraklès est revenu aux Enfers afin d’enlever de nouveau Cerbère. Il le menace. Dionysos apeuré donne son déguisement à Xanthias.
503-674 : une femme lui proposant un bon repas, Dionysos reprend l’identité d’Héraklès. Mal lui en prend car la femme l’accuse bientôt d’avoir abusé d’elle lors de son premier voyage. Encore une fois, Dionysos échange ses vêtements avec Xanthias. Éaque revient pour se venger mais il est interloqué par tous ces problèmes d‘identités. Seul Pluton pourra juger.
675-737 : parabase : appel de réconciliation des honnêtes gens contre les méchants.
738-813 : un serviteur d’Hadès apprend à Dionysos que les morts se préoccupent de savoir qui d’Eschyle ou d’Euripide doit devenir le roi de tragédie. Les deux poètes vont s’affronter sous le regard de Dionysos.
1119-1410 : les deux poètes se critiquent mutuellement sur des points de détails de leurs tragédies et défendent leurs conceptions avec acharnement. On finit par peser les vers de chacun d’entre eux. Eschyle est le grand vainqueur.
1411 à la fin : Dionysos est encore perplexe sur la décision prise, mais Hadès intervient et donne ses conseils à Athènes pour assurer son salut. Eschyle triomphe totalement. C’est lui qui est désigné pour revenir sur terre. Quant à Euripide, il ne pourra même pas aux Enfers assurer l’intérim pendant son absence puisque c’est Sophocle qui s’en chargera.
La servante
Salut, bel Héraclès ! Entre ici sans effroi.
Sache que la Déesse, apprenant ta venue,
S'est empressée de cuire au four quelques galettes ;
Elle t'a aussi fait de la purée de pois,
Mis un bœuf à la broche et cuit des briochettes...
Xanthias
Que cela est gentil, ce n'était pas la peine.
La servante
Par Apollon ! il ne faut pas que tu t'en ailles.
Elle a fait rissoler quelques belles volailles,
Et des pâtisseries. En outre, quel bon vin !
Entre donc, je te prie.
Xanthias
Tout cela est très bien,
Mais...
La servante
Taratata ! Tu vas rester ici.
Il y a dans ces lieux une flûtiste aussi,
Et même deux ou trois danseuses, tu verras !
Xanthias
Des danseuses, tu dis ? Quoi ! c'est vrai tout cela ?
La servante
D'une fraîcheur exquise, épilées depuis peu !
Entre, car le cuistot a retiré du feu
Les poissons, et la table est tout juste dressée.
Xanthias
Eh bien, dis sans délai à nos belles danseuses
Que je vais arriver et me faire annoncer.
Toi, le gamin, suis-moi, et prends mon baluchon.
Dionysos
Eh l'ami, ça suffit ! L'idée de t'affubler
En Héraklès, c'était une blague, voyons !
Fais pas l'idiot, Xanthias ! Reprends ton baluchon !
Xanthias
C'est quoi, tout ce bordel ! Tu voudrais me chiper
Ce que tu m'as donné ?
Dionysos
Non, je ne le veux point,
Je le fais, et voilà ! Ouste ! enlève-moi tout !
Xanthias
Grands dieux, soyez témoins !
Dionysos
Quels dieux ? Mais tu es fou !
Franchement, tu t'es cru, toi un pauvre mortel,
Toi un être servile, engendré par Alcmène ?
Xanthias
Bon, bon, je te rends tout. Mais un beau jour, qui sait ?
Je te serai utile.
La cabaretière
Eh, viens, mon Plathané !
Il est là le brigand qui nous a chapardé
Seize pains l'autre jour.
Plathané
Par les dieux ! c'est lui-même.
Xanthias
J'en connais un qui va avoir quelques problèmes.
La cabaretière
En outre il a volé plein de viandes bouillies.
Xanthias
Quelqu'un va écoper pour cette ignominie.
La cabaretière
Et il s'est fait la belle avec tous mes sacs d'ail.
Dionysos
Femme, ça ne va pas ! Je crois que tu dérailles.
La cabaretière
Je veux à coups de pierre, ignoble margoulin,
Te fracasser les dents qui ont mangé mon bien.
Plathané
Moi, je te jetterais au fond du Barathron !
La cabaretière
Moi, ton sale gosier, je le trancherais vite
Car c'est là qu'est passée ma réserve de tripes.
Plathané
Je vais chercher Cléon afin que d'un seul coup
Il règle cette affaire et te juge coupable.
Dionysos
Je mourrais s'il le faut, mais sans être capable
De dire que Xanthias a perdu ma tendresse.
Xanthias
Mais je te vois venir avec tes gros sabots :
Fini ! Je ne serai plus jamais Héraklès.
Dionysos
Ne parle pas ainsi, ô Xanthias, mon tout-beau.
Xanthias
Comment puis-je être issu d'Alcmène, moi qui suis
Un esclave pouilleux, un vulgaire mortel ?
Dionysos
Tu es fâché, normal ! La chose est naturelle.
Cogne-moi comme un dingue et je ne dirai rien.
Et si j'ose reprendre un tel équipement,
Que je meure aussitôt avec femme et enfants !
Xanthias
J'obtempère et me fie à ce dernier serment.
É
aque, à ses esclavesLigotez ce voleur de chiens, qu'on le châtie !
Dionysos
J'en connais un qui va avoir quelques ennuis !
Xanthias
Allez vous faire voir ! Surtout, n'approchez pas !
Éaque
Hé ! hé ! Tu veux te battre ? Eh vous autres, venez,
Foutez-lui la volée !
Dionysos
Il a bien du toupet
Ce type-la : il vole, et pourtant se permet
De cabosser les gens.
Xanthias
On atteint des sommets !
Dionysos
Oui, c'est une infamie, une honte absolue.
Xanthias
Au nom de Zeus puissant, je consens à clamser
Si je t'ai dérobé un cheveu de tes biens.
Mais je serai princier : tiens, voilà mon esclave,
Torture-le à fond, vas-y, et s'il advient
Que je suis bien coupable, alors tue-moi sur l'heure.
Éaque
Le torturer comment ?
Xanthias
Mais comme tu l'entends !
Pends-le sur une échelle, ensuite, avec vigueur,
Fouette-le, tords-lui les doigts, écorche-le,
Que le vinaigre coule à flot dans ses narines !
Qu'il croule sous le poids de briques entassées,
Bref, fais ce que tu veux, ce que tu imagines !
Souvent, j'ai la pénible impression qu'Athènes
Se comporte à l'égard de ses bons citoyens
Comme envers ses monnaies nouvelles ou anciennes.
Les monnaies d'un superbe aloi, les excellentes,
Les monnaies bien frappées, les monnaies bien sonnantes
Tant à l'ouïe du Grec qu'à celle du Barbare,
Nous les méprisons et nous leur préférons ces tares,
Pièces frappées d'hier, d'avant-hier au plus tard.
Or pour les citoyens, la chose est identique :
Ceux de la bonne race, excellents en tous points,
Ces hommes bien formés grâce à la gymnastique,
S'exerçant dans les chœurs, connaissant la musique,
Nous les regardons mal, et donnons plus de soins
À tous ces étrangers, ces hordes de rouquins,
Ribauds, fils de ribauds que la ville autrefois
N'aurait point accepté comme boucs émissaires
Sans y voir à deux fois. Allons ! Fous que vous êtes,
Modifiez vos façons, et vite retrouvez
Nos anciennes valeurs. Oui, ce sera payant !
Mais si, par grand malheur, votre échec est criant,
Sachez que pour les gens de bien, vous n'aurez pas
Trimé pour des broutilles.
Euripide, à Dionysos
Non, non, je resterai accolé à mon trône !
Fi de tous tes sermons ! Je lui suis supérieur.
Dionysos
Eschyle, tu es muet ! As-tu bien entendu ?
Euripide
Peuh ! il va se draper dans toute sa grandeur ;
Il nous refait le coup comme en ses tragédies,
Où il essaie toujours d'en mettre plein la vue.
Dionysos
Ça suffit mon coco, du respect, je te prie !
Euripide
Je connais l'animal, depuis belle lurette,
J'ai cerné le bonhomme, un prétentieux poète,
Une diarrhée verbale, une gueule en avant,
Toujours le mors aux dents, toujours hors de ses gonds,
Un verbe boursouflé !
Eschyle
Quoi, toi le rejeton
D'une nymphe des champs, tu parles sur ce ton,
Toi le glaneur de mots où la sottise brille,
Un faiseur de clodos, un tisseur de guenilles,
Tu vas le payer cher.
Dionysos
N'en dis pas plus, Eschyle :
Le courroux risquerait de t'échauffer la bile.
Eschyle
Pas question ! Je veux d'abord mettre en lumière
Ce que ce fabricant de boiteux ose faire,
Lui ce vantard...
Euripide
Bon, de ma gloire poétique,
Je dirai quelque mots à la fin du propos :
Auparavant il faut que sur lui je m'explique :
Je veux dévoiler que c'est un camelot,
Un grand faiseur d'esbroufe, et montrer tous les trucs
Par lesquels il parvint à tromper son public,
Des gens simples, naïfs, que Phrynicos forma.
Par exemple, il plantait, caché sous mille hardes,
Niobé ou bien Achille : on ne les voyait pas,
De vraies statues voilées, sans mot qui se hasarde.
Dionysos
Oui, parbleu, c'est bien ça !
Euripide
Et pendant ce temps-là,
On était abruti par des ch
œurs à la noix,En plus quatre à la suite, interminablement ;
Les autres, ils restaient muets, imperturbables.
Dionysos
Ce silence, après tout, n'était pas condamnable :
la chose était plaisante au regard des parlotes
Dont on est assommé aujourd'hui.
Euripide
Quel crétin
Tu étais en ce temps ! Et je pèse mes mots !
Dionysos
Peut-être as-tu raison. Mais pourquoi ton copain
Faisait-il comme cela ?
Euripide
Par ruse, il faut le dire,
Afin que le public reste calme et peinard
Jusqu'à ce que Niobé accepte de l'ouvrir.
En attendant, le drame avançait dare-dare.
Dionysos
Le vaurien ! Que de fois j'ai été abusé !
Mais pourquoi ces regards furieux et ces grimaces ?
Euripide
Car je le coince ! Après avoir tant divagué,
La tragédie était arrivée à moitié :
Alors, il balançait la grosse artillerie,
Des mots empanachés, sourcilleux et horribles,
Et que les spectateurs n'avaient jamais subis.
Eschyle
Malheur à moi !
Dionysos
Tais-toi !
Euripide
Aucune phrase audible !
Dionysos
Ne grince pas des dents.
Euripide
Ce n'étaient que Scamandre,
Des griffions martelés sur boucliers d'airain,
Des vocables montés sur d'immenses chevaux,
Qua sais-je encore... Bref, on y comprenait rien...
... Moi, lorsque j'ai reçu ta tragédie, que dire ?
Avec son ventre épais, ses ennuyeux discours
Et ce verbe indigeste, il fallut l'amincir.
Pour cela j'écrivis des vers un peu plus courts,
Je prescrivis aussi un peu de bavardage
Puisé un peu partout dans ma foule d'ouvrages,
Ajoutant çà et là de sophistes propos.
Bref l'action s'emballe au premier mot écrit.
Je fais parler la femme ou l'esclave ou le maître,
La vieille s'il le faut....
Eschyle
Mes entrailles bouillonnent
À l'idée qu'il me faut réfuter un tel homme.
Je n'apprécie pas cette confrontation.
Réponds-moi, je te prie : en quoi donc le poète
Doit-il être admiré ?
Euripide
Par ses conseils honnêtes,
Tant il est vrai que nous rendons l'homme meilleur.
Eschyle
Mais au lieu de cela, si de bons qu'ils étaient
Tu en fais des vauriens, quel doit être son sort ?
Dionysos
Assurément la mort !
Eschyle
Je lui ai confié
Des êtres vertueux, non pas des scélérats
Qui renient leurs devoirs, qui déferlent sans cesse
Sur l'Agora, ni des fourbes ni des meneurs.
Non, ils portaient un casque avec un beau panache,
Des javelots, un heaume avec ruban flottant.
Reconnais la grandeur de ces êtres parfaits.
Pense aussi à Orphée qui refusait le meurtre
Et qui nous révéla les plus fameux mystères.
Hésiode enseigna le travail de la terre.
Quant à ce dieu, Homère, il nous en apprit tant,
Au point qu'il fut nimbé d'un éclatante gloire.
On ne doit pas montrer les actes dérisoires,
Ne pas les exposer sur scène au tout venant.
Le poète se doit d'éduquer la jeunesse
Comme un maître d'école instruisant des enfants.
Oui, nous devons parler avec grâce et noblesse.
Euripide
Un verbe châtié c'est vouloir employer,
Pour toi, des mots pareils au sommet de l'Olympe.
Or, tu devrais parler en des termes plus simples.
Eschyle
Ô malheureux, pour dire une idée de génie,
Il faut bien que les mots soient du même acabit.
Les demi-dieux ont un verbe majestueux.
De plus, ils sont vêtus d'habits plus somptueux
Que ceux que nous portons. Tu n'as fait qu'avilir
Ma noble ambition !
Euripide
Mais comment l'ai-je fait ?
Eschyle
En présentant des rois recouverts de haillons
Afin que les mortels s'émeuvent de leur sort...
...Ah ! cet homme est l'auteur de tant de vilenies !
Sur la scène il a mis des femmes accouchant
Dans des enclos sacrés ; avec leurs propres frères
Il les a fait s'unir, en criant à tue-tête
Que la vie véritable, en fait, c'est le trépas !
(392)
Devant une place d’Athènes
1-81 : c’est la nuit et Proxagora, épouse de Blépyros, sort de chez elle et attend ses amies avec lesquelles elle doit tenir conseil. Lentement elles arrivent les unes après les autres.
82-310 : Proxagora a décidé que les femmes remplacent les hommes à la tête de l’État afin de prendre à l’Assemblée des mesures susceptibles de sauver Athènes. Pour préparer le « putsch », Proxagora fait répéter leurs rôles à chacune de ses compagnes. Répétant elle-même le discours qu’elle veut déclamer à l’Assemblée, elle s’en va. Les femmes la suivent ensuite avec une belle ardeur.
311-477 : Blépyros sort de chez lui pour satisfaire à un besoin très pressant. Peu après, son ami Chrémès lui annonce que des femmes ont pris le pouvoir. Ils rentrent chez eux tout éberlués.
478-634 : les femmes reviennent de l’Assemblée à peine remises de tant d’audace. Proxagora rentre à la maison et expose à son mari réticent les bienfaits des nouvelles lois que les femmes ont adoptées. Ainsi tous les biens sont mis en commun en même temps que les femmes.
635-729 : Blépyros finit par accepter les thèses défendues par son épouse.
730-875 : danse du Chœur. Chrémès amène tous ses biens sur la scène pour en faire don à la communauté puisque le communisme a été instauré. Un voisin se moque de son initiative. Pourtant le même voisin se rend avec enthousiasme au banquet offert à la communauté.
876-1111 : danse du Chœur. Une vieille femme décatie et une jolie fille attendent le même amant et se chamaillent. L’une compte sur la nouvelle loi (qui promet un mari autant pour les vieilles que pour les jeunes femmes), l’autre sur sa beauté naturelle. Le garçon arrive et dit son amour à la jeune fille. Mais la vieille, puis deux autres encore plus hideuses se disputent le jeune homme qui finit par les suivre.
1112-1183 : danse du Chœur. La servante de Proxagora enjoint Blépyros de participer au banquet. Le Chœur s’y rend également. Bonne humeur générale. On chante et on danse tout en faisant bombance.
Pour la bonne morale, il n'y a pas plus sage :
Elles trempent dans l'eau bouillante leurs lainages ;
Chaque femme le fait selon l'antique usage.
Des grillades à faire ? Et elles s'accroupissent
Comme jadis ;
Elles font cuire au four leurs succulents gâteaux,
Comme jadis ;
Elles sont des furies envers leur grand costaud,
Comme jadis ;
Chez elles, nos amies camouflent leur amant,
Comme jadis ;
Et en douce, on les voit faire leurs provisions,
Comme jadis ;
Elles apprécient fort les vins qui ont du goût
Comme jadis ;
Se faire tisonner les excite beaucoup,
Comme jadis ;
C'est pourquoi il nous faut leur livrer la Cité
Sans connaître leurs fins, sans même discuter.
Laissons entre leurs mains le fardeau de l'État,
Oui, songeons simplement qu'elles élèvent des fils
Et que leur désir c'est de sauver les soldats...
... Au gouvernement, on ne pourrait les tromper
(C'est elles plutôt qui nous trompent dans la vie !).
Je n'en dirai pas plus. Si vous suivez l'avis
Que je donne, pour vous quel bonheur infini !
Proxagora
Allons ! Qu'aucun de vous ne vienne m'interrompre
Avant que je ne parle : il est dit que les biens
Se doivent désormais d'être mis en commun.
Oui, il faut que chacun ait les mêmes moyens.
Il n'est plus question de riches ou de pauvres,
L'un ne doit plus avoir de trop vastes terrains
Pendant que l'indigent n'a pas assez d'argent
Pour se faire enterrer. Il n'est plus question
Que l'un soit servi par trois mille serviteurs
Alors que l'autre doit compter sur son labeur.
J'ai décrété la vie commune dès ce jour.
Blépyros
Quoi donc ! Tu mangeras de la merde avant moi.
Proxagora
Mange-la tout d'abord ! Puis ce sera mon tour.
Blépyros
Quoi ! La merde en commun ! On y a droit aussi !
Proxagora
Mais non par Zeus, c'est toi qui coupes mon discours.
Bon, j'allais décider : communauté des terres,
De l'argent et des biens de tous les citoyens.
Vous tous serez nourris grâce à ce fonds commun !
Nous gérerons aussi le budget, les dépenses.
Blépyros
Mais pour celui qui ne possède nulle terre,
Mais un gros bas de laine, invisible fortune...
Proxagora
Il devra tout verser dans la caisse commune.
Blépyros
Mais s'il ne verse rien et fait un faux serment
Pour garder son argent, comme il le fait en vrai !
Proxagora
Je me demande à quoi cela lui servirait.
Blépyros
Pourquoi ?
Proxagora
Pour la raison que les citoyens jamais
Ne seront démunis : tout appartient à tous,
Pain, vin, pâtisseries, légumes, salaisons,
Couronnes et manteaux. Aussi quel avantage
À ne pas tout céder ! Trouve-moi argument,
Je veux bien t'écouter.
Blépyros
Aujourd'hui les voleurs
Les plus grands sont aussi les plus grands détenteurs.
Proxagora
Cela est vrai : c'était là l'ancienne coutume
Mais à présent qu'il faut vivre en communauté
Pourquoi diable ne pas reverser sa fortune ?
Blépyros
Imagine quelqu'un qui voit une donzelle ;
Il l'adore à mourir et veut la culbuter :
Il prendra de l'argent au fond d'un bas de laine
Afin de la payer.
Proxagora
Mais il pourra coucher
Avec elle gratis ! Les femmes et les hommes
Seront mis en commun. Avec n'importe qui
On fera des enfants.
Blépyros
Mais comment empêcher
Que la plus jolie voit les hommes affluer ?
Proxagora
Les laiderons seront aux côtés des plus belles.
Les hommes ne pourront se payer ces dernières
Qu'après avoir goûté ces physiques rebelles.
Blépyros
Mais pour nous autres, vieux, s'il faut baiser les moches,
La suite du programme aussitôt s'effiloche...
Viens ici, ma chérie,
Ouvre-moi cette porte ou je m’évanouis.
Car ce dont j’ai envie,
C’est sur toi me blottir et forcer ton séant...
Cypris, pour cette fille, tu m’as rendu dément !
Éros, je t’en supplie,
Permets qu’elle se glisse au fin fond de mon lit.
Mais la parole est faible et correspond si peu
À l’ardeur de mes feux.
Ô ma chérie, trésor, écoute, je t’implore !
Ouvre et embrasse-moi !
Vois, si je souffre tant, c’est à cause de toi !
Objet de mes tracas,
Mon bijou délicat, rejeton de Cypris,
Abeille de la Muse, que les Grâces nourrissent,
Ouvre et embrasse-moi !
Vois, si je souffre tant, c’est à cause de toi.
CHANSON DE LA VIEILLE ET DE LA JEUNE FILLE
La vieille
Pour jouir d'un plaisir
Sans commune mesure,
Vous devez avec moi
Coucher, la chose est sûre !
Car pour le savoir-faire
Nos filles sont ignares.
C'est une femme âgée
Qu'il vous faut sans retard.
La jeune fille
N'envie pas ces jeunettes :
La volupté jaillit
De leurs cuisses subtiles
Et de leurs seins jolis !
Par contre, ô vieille femme
Ô monstre maquillé,
Sur toi seule la mort
Est surprise à veiller.
La vieille
Que ton vêtement tombe,
Que ta couche s'effondre
Quand il viendra te prendre !
Qu'un serpent se faufile
Et gagne ta poitrine
Dès l'instant du baiser !
La jeune fille
Qu'adviendra-t-il de moi ?
Et que fait mon amant ?
Je suis seule aujourd'hui,
Ma mère n'est pas là.
Et le reste qu'en dire ?
Allons, ô ma grand-mère,
Si tu veux du plaisir,
Fais donc venir celui
Propre à te satisfaire.
La vieille
Pareils à des Ioniens,
Tu as tant de besoins !
Tu fais des lècheries
Qu'envieraient les Lesbiens.
Mais prendre mon chéri,
Surtout ne tente point !
LA JEUNE FILLE, LE BEAU GARCON ET LA VIEILLE FEMME
La jeune fille
Ah ! ah ! je l'ai bien eue cette fichue rombière !
Dire qu'elle a cru que je resterais ici !
Mon amour, te voici ! Viens au fond de ma couche,
Serre-moi dans tes bras ! Je suis tout embrasée,
Je suis ensorcelée par tes mèches bouclées :
Un désir éperdu soulève mon tourment,
Un désir m'a mordue ! Éros, je t'en supplie,
Fais que mon bel amant soit l'hôte de mon lit !
Le garçon
Viens ici, mon amour ! Vers cette porte accours !
Vois, je me liquéfie, je veux prendre d'assaut
Tes reins d'une façon rapide et cadencée.
Cypris, je suis tout fou ! Éros, je t'en supplie,
Que ma belle s'engouffre au plus profond du lit.
Mais que les mots sont vains quand on a des besoins !
Ô ma jolie chérie, ô fille de Cypris,
Abeille de la Muse, adorée des Charites,
Ouvre-moi tout de suite, embrasse-moi très vite !
C'est à cause de toi si mon âme crépite.
La vieille
Tu frappes à ma porte ! Est-ce moi que tu veux ?
Le garçon
Quoi, tu le crois vraiment ?
La vieille
Tu frappes à ma porte
Ainsi qu'un fou-furieux.
Le garçon
Plutôt me laisser choir !
La vieille
Qu'es-tu venu quérir en tenant ce flambeau ?
Le garçon
Pas Blépyros, non point, c'est lui que tu attends !
La vieille
Non, c'est toi que je veux même tout hésitant.
Le garçon
Non, non point d'ébats pour les plus de soixante ans !
Jugement de ce jour ! Reporté à plus tard !
Nous ne devons complaire en cet instant crucial
Qu'à des jeunes minois ayant moins de vingt ans !
La vieille
Non, cela n'était vrai que sous l'ancien pouvoir.
Physiquement parlant, nous sommes les premières
Que, selon le décret, vous devez satisfaire.
Le garçon
C'est selon le désir de chacun comme aux dés !
La vieille
Mais tu ne dînes pas selon le jeu de dés.
Le garçon
Je ne te comprends pas ! C'est à cette porte-là
Que frappera bien fort mon énorme maillet ?
La vieille
Mais après que tu aies pénétré mon foyer.
Le garçon
Je ne veux point user de ce vieil ustensile.
La vieille
Je sais ce que tu loues ; tu ne t'attendais pas
À me trouver dehors ! Allez ! Embrasse-moi !
Le garçon
Je crois que ton amant est un artiste habile.
La vieille
Qui est-ce ?
Le garçon
Un barbouilleur de lampes mortuaires.
Surtout qu'il ne voie point cette carcasse à l'air.
La vieille
Je sais ce que tu veux !
Le garçon
Je devine tes vœux !
La vieille
Au nom de Cythérée dont je suis sous le signe,
Tu te dois de rester en ces lieux, dans ma ligne.
Le garçon
Mais c'est de la folie !
La vieille
Tu dis n'importe quoi !
Je t'envoie dans mon lit !
Le garçon
Je n'y suis pas tenu
Sauf si tu as payé l'impôt du cinquantième.
La vieille
Voyons, par Aphrodite, il le faudra quand même !
Par les jeunes messieurs je suis émoustillée.
Le garçon
Par de vieilles peaux, moi, je suis humilié !
Je refuse tout net.
La vieille
Mais ce papier t'y force.
Le garçon
Mais qu'est-ce que cela ?
La vieille
Le décret par lequel
Tu dois venir chez moi.
Le garçon
Fais-moi donc la lecture !
La vieille
Je lis : « Nous assemblée des femmes, décrétons :
Quand un homme convoite une jeune monture,
Il pourra l'enfiler mais seulement après
Avoir carambolé une vieille roulure.
S'il refuse et persiste à voir la jouvencelle,
La vieille aura le droit de prendre par les couilles
Notre homme... »
Le garçon
Oh, là là ! Je me suis fait avoir !
La vieille
Obéis à nos lois.
Le garçon
Si l'un de mes amis
Payait la caution afin de me sauver.
La vieille
Impossible, les gens du sexe masculin
Ne sont capables que pour un boisseau de grain.
Le garçon
Si je veux m'excuser ! Je serais pardonné ?
La vieille
Pas de détournement !
Le garçon
En passant pour marchand ?
La vieille
Tu en pâtirais fort.
Le garçon
Mais que me reste-t-il ?
La vieille
À venir avec moi jusqu'au lit sur-le-champ !
Le garçon
Misère, je suis donc obligé d'y passer ?
La vieille
Mais oui, à la Diomède, il faudra te forcer.
Le garçon
En premier lieu dépose un gramme d'origan ;
Puis, dessous ta dépouille, au moins quatre sarments.
Encercle-toi le front de quelques bandelettes ;
Enfin, pose à ta porte un vase d'eau bénite.
(388)
1-44 : Corion, serviteur de l’Athénien Chrémyle, est étonné de voir son maître ramener de Delphes un vieil homme aveugle et sale. Chrémyle lui répond que c’est l’oracle qui lui a conseillé d’aborder le premier venu une fois sorti du sanctuaire.
45-92 : le vieillard révèle à Chrémyle l’identité de l’individu : il s’agit du dieu de la richesse, Ploutos (l’Argent) qui est devenu aveugle par la seule volonté de Zeus jaloux de ses prérogatives.
93-207 : Chrémyle décide de rendre la vue à Ploutos afin que celui-ci n’aille plus visiter que les maisons des honnêtes gens. Ploutos s’inquiète de cette rébellion contre Zeus et lui avoue qu’il est en réalité plus puissant que lui.
208-252 : finalement Ploutos consent à se rendre au temple d’Asklépios pour y recouvrer la vue.
253-321 : un chœur de vieillards est informé par Carion de la présence de Ploutos. Intermède comique.
322-414 : Chrémyle accueille son ami Blepsydémos qui s’aperçoit que celui-ci est devenu très riche, ce qui le rend perplexe. Dans tous les cas, il approuve le projet de son ami.
415-618 : une femme vêtue misérablement reproche aux deux hommes leur ingratitude : c’est la Pauvreté. Entre elle et Chrémyle un débat s’instaure. L’Athénien prétend servir avant tout la cause de la justice alors que la vieille femme se déclare être au cœur de toutes les activités humaines et la seule garante de l’harmonie sociale. Bientôt, la Pauvreté est expulsée par les deux compères.
619-822 : danse du Chœur. Carion annonce que Ploutos a recouvré la vue et fait le récit de la guérison. Le dieu fait alors pénétrer Carion dans sa demeure qui est devenu un véritable palais. Triomphe de Ploutos.
823-1096 : un brave homme vient remercier le dieu de sa mansuétude. Un délateur arrive ensuite pour dénoncer le nouveau système de répartition des richesses, mais il se fait chasser. Enfin, une vieille femme se plaint que le beau garçon (anciennement sans fortune) qu’elle payait jusque-là pour ses faveurs a rompu avec elle maintenant qu’il est devenu riche. Chrémyle se moque d’elle. Le jeune homme survient et poursuit les railleries à son égard.
1097-1209 : Hermès, dieu des voleurs, arrive pour se plaindre du nouvel état des choses : en effet, les hommes ne lui font plus de sacrifices, n’ayant désormais plus besoin de ses services. Quant à l’ancien prêtre de Zeus, il décide de servir le nouveau grand dieu, Ploutos. Un cortège en délire porte bientôt en triomphe Ploutos jusqu’à l’Acropole pour l’installer auprès d’Athéna.
Chrémyle
Hé toi ! Qui es-tu ? Eh ! réponds-moi au plus vite !
Ploutos
Qui moi ? Fichez le camp ! Voilà, la chose est dite.
Carion (à Chrémyle)
As-tu bien entendu le nom qu'il nous a prononcé.
Chrémyle
C'est ta voix rocailleuse : il ne peut la souffrir.
Ma foi, tu t'y prends mal ! Ah ! quel rustaud tu fais !
Et que tu es brutal ! Mon ami (à Ploutos), si tu es
Sensible à la bonté, Réponds-moi, à moi seul,
Je t'en supplie.
Ploutos
Eh ! va voir ailleurs si j'y suis !
Carion
Écoute cet augure ! Il vient d'un grand béni !
Chrémyle
S'il veut se taire, eh, bien ! je vais sur ce lieu même
Vous le casser en deux !
Ploutos
Mais foutez-moi la paix !
Chrémyle
Ah ! tu peux grimacer !
Carion
Je te l'ai déjà dit,
Liquidons l'abruti. Toi, je vais t'emmener
Tout là-haut, sur ce mont : je te ferai tomber
Pour te casser le tronc.
Chrémyle
Tu as raison : prends-le !
Ploutos
Non, non !
Chrémyle
Tu vas parler ?
Ploutos
Mais si vous apprenez
Qui je suis, je sais bien que vous m'enfermerez
Et me maltraiterez jusqu'à ce que je meure.
Chrémyle
C'est ce que nous ferons si tu ne parles point.
Ploutos
D'abord, cessez de me molester.
Chrémyle
Tu es libre !
Ploutos
Puisqu'il faut avouer un fait qu'auparavant
Je désirais cacher, je vais me présenter :
Voilà, je suis Ploutos !
Carion
Ce hideux personnage !
Tu étais donc Ploutos et tu ne disais mot.
Chrémyle
Mais qui donc t'a fourré dans ce sale équipage ?
Ô Phébus-Apollon ! Ô Puissance d'En Haut !
Ploutos, c'est vraiment toi ?
Ploutos
Oui, c'est moi et bien moi !
Chrémyle
Mais d'où sors-tu pour être aussi calamiteux ?
Ploutos
Mais de chez Patroclès, il se baigne si peu !
Chrémyle
Et ton aveuglement, dis, quelle en est la cause ?
Ploutos
C'est à Zeus que je dois cette terrible chose.
Lorsque j'étais enfant, je l'avais menacé
De n'aller au-devant que des gens policés.
Alors il m'aveugla afin que mes bienfaits
Ne se distribuent pas auprès des indigents,
Tant il est vrai que Zeus vomit les pauvres gens.
Chrémyle
Mais s'il est vénéré, c'est bien par les modestes.
Ploutos
Oui, bien sûr, j'en atteste !
Chrémyle
Et si tu voyais clair,
Cesserais-tu d'offrir aux riches des présents ?
Ploutos
Je crois assurément que j'en serais capable !
Chrémyle
Tu irais désormais chez des gens honorables ?
Ploutos
Mais je n'en ai point vu depuis près de mille ans !
Carion
Moi non plus, par ailleurs, Et j'ai des yeux pourtant !
Ploutos
Laissez-moi m'en aller, vous savez qui je suis !
Chrémyle
Ah non ! Nous n'allons pas t'abandonner ainsi !
Ploutos
Je m'en doutais ; je vais avoir d'autres ennuis.
Chrémyle
Je suis homme de bien, tu chercheras partout :
Tu ne trouveras pas esprit si bien tourné !
N'aie pas peur ! Reste ici, je suis à tes genoux !
Ploutos
On dit ça ! Je sais bien qu'une fois dans leurs mains
Ils deviennent alors de sinistres coquins !
Chrémyle
Diké veut le bonheur pour tous les gens de bien.
Par contre il faut que les impies et les vauriens
Soient plongés sur-le-champ dans un profond malheur.
Nous avons donc conçu, avec beaucoup d'ardeur,
Un généreux projet valable à tous égards :
Si Ploutos revoit clair, sans marcher au hasard,
Il ira chez les gens ayant quelque vertu
Pour ne plus les quitter, fuyant et les méchants
Et les athées. Par lui chacun sera honnête
Et argenté ; chacun respectera les dieux.
En faveur des humains, qui pourrait trouver mieux ?
Il faut bien voir comment nous vivons aujourd'hui :
Farce de mauvais goût ou crise de folie ?
On voit nombre de gens qui, bien que nauséeux,
Brassent de l'argent sale et s'ébattent dans l'or ;
Mais pour beaucoup, hélas, pour les bons, tout va mal,
Ils ont faim et c'est toi, oui, toi, la Pauvreté
Qui se tient auprès d'eux ; il faut donc que Ploutos
Retrouve ses bons yeux et vienne à bout de toi ;
Poursuivons ce dessein et l’homme vivra mieux.
Pauvreté
Ah ! pour vous laisser prendre à ces propos malsains,
Il n'y a pas gibier plus facile que vous,
Vous qui rivalisez en tristes balivernes !
Si Ploutos revoit clair, revient et nous gouverne,
Partageant entre nous une belle équité,
Qui se consacrera aux plus rudes labeurs ?
Personne ! Qui voudra devenir forgeron,
Constructeur de vaisseaux, couturier ou charron,
Cordonnier, briquetier, blanchisseur ou tanneur ?
Qui voudra déchirer par la charrue la terre
Afin de recueillir les fruits de Déméter
Si notre quotidien, c'est de nous prélasser ?
Plus de lit pour dormir : il n'y en aura point !
Plus de tapis non plus car qui voudra tisser
S'il est cousu d'argent ? Tant pis pour les parfums
De la jeune mariée qui s'offre à son mari.
Plus d'étoffes de choix aux couleurs infinies.
Quelle idée d'être riche et de n'avoir profit
De telles choses. Or, par mes soins vigilants,
Je vous procure ce dont vous avez besoin.
Oui, c'est moi qui, pareille à une patronnesse,
Assise en son fauteuil force ces indigents,
Ces pauvres ouvriers à gagner leur argent.
Chrémyle
Que donnes-tu vraiment à part de ces brûlures
Autour du brasero, des gosses qui ont faim,
Des vieilles décaties ? C'est toi qui nous procures
Ces bataillons de poux, ces puces (quel essaim !)
Qui bourdonnent sans cesse et chantent ce refrain
Quand nous nous réveillons : « Debout : tu auras faim ! »
Se vêtir constamment d'un manteau dégueulasse
Avoir pour se coucher une sale paillasse
De punaises remplie, avoir pour oreiller
Un gros caillou bien dur. Et concernant la bouffe,
À la place d'un pain bien blanc, une guimauve,
À la place d'un pain d'orge, des épluchures,
Au lieu d'un escarbot, une cruche fêlée,
Pour pétrin, un baril tout tarabiscoté.
Voilà, j'ai révélé tout ce que tu procures
Comme nobles bienfaits à notre humanité.
Pauvreté
Ce n'est pas ma vie dont tu as fait le tableau
C'est celle des clodos.
Chrémyle
C'est dit : la Pauvreté
Est forcément la sœur de la mendicité.
Pauvreté
La vie du clochard que tu me présentes là
Consiste à exister sans rien avoir pour soi.
Un pauvre épargne et vit d'un labeur assidu :
Il ne manque de rien, laissant le superflu.
Chrémyle
Par Déméter, tu nous peins là des bienheureux !
Économiser toujours, trimer toute une vie
Et n'avoir pas les moyens d'être enseveli.
Pauvreté
Tu te moques de moi au lieu d'être sérieux.
Tu ne vois pas que je rends les hommes meilleurs
D'esprit et de corps plus que le ferait Ploutos.
Avec lui, vois un peu : leur ventre nous écœure.
Avec moi, taille fine : aussi pour l'ennemi
Ils sont embarrassants.
Chrémyle
Forcé ! Tu les affames !
Pauvreté
Mais si nous discutions un peu de tempérance :
Sache qu'en mon logis séjourne la décence.
Alors que chez Ploutos habite l'insolence...
Pense à la politique et vois les orateurs :
Tant qu'ils sont sans le sou, ils gardent la mesure.
Les voilà opulents, ils ne sont plus qu'ordures
Et complotent bientôt contre notre régime.
Chrémyle
Oui, cela n'est pas faux, malgré tout ton venin.
Mais ne te gonfle pas d'avoir marqué un point...
La femme
Où est Ploutos ?
Carion
Il vient : une foule l'entoure.
Toutes les bonnes gens qui vivaient chichement
Le saluaient du geste et fort joyeusement.
Par contre, les cossus, ceux qui se pavanaient
Grâce aux biens mal acquis, semblaient plus renfrognés.
Plus loin de ces quidams, passaient tout sémillants,
Des hommes couronnés qui bénissaient le ciel.
Et dans le même temps, la terre résonnait
Du pas de ces vieillards chaussés de godillots.
Allons, toutes et tous, chantez d'un même écho !
Dansez ! Formez des chœurs ! Vous ne pourrez plus dire
Que vous n'avez plus rien à mettre sous la dent,
Une fois au foyer.
La femme
Après cette nouvelle,
Par Hécate, je dois m'apprêter sans tarder
À cuire quelques pains pour couronner ta tête.
Carion
Dépêche-toi, les gens approchent de ces lieux.
La femme
Je vais m'occuper des cadeaux de bienvenue
Pour ces yeux tout nouveaux.
Carion
Je vais au-devant d'eux.
Ploutos
D'abord c'est le Soleil que je veux vénérer.
Ensuite je salue la merveilleuse terre
De Pallas et tout le pays des Cécropides.
Ah ! comme je rougis de m'être fourvoyé
Chez des hommes sans foi, au vu des braves gens
Trop longtemps oubliés, malheureux que j'étais !
En fait, je me trompais, et de tous les côtés.
Mais je vais révéler aux hommes, désormais,
Que c'est contre mes vœux que je me prostituais
Devant ces misérables.
La vieille
Il venait chaque jour à n'importe quelle heure.
Chrémyle
Oh ! il pensait à la levée des corps, c'est sûr !
La vieille
Non, par Zeus, c'est ma voix qu'il désirait entendre !
Et lorsque j'étais morne, il me disait tout tendre :
« Ô ma douce canette, ô colombe d'azur ! »
Chrémyle
Après il demandait peut-être des chaussures !
La vieille
Aux Mystères, un jour, élevée sur mon char,
Quelqu'un sur moi osa diriger son regard :
Il en fut si jaloux qu'il me roua de coups.
Chrémyle
Il voulait manger seul, voilà toute l'affaire !
La vieille
Il disait que mes mains étaient si raffinées.
Chrémyle
Oui, elles l'étaient... pour refiler la monnaie !
La vieille
...Que ma peau sentait bon.
Chrémyle
Tu te parfumes tant !
La vieille
...Que j'avais un regard d'une grande beauté.
Chrémyle
C'est un malin : il cherche à profiter à fond
D'une vieille excitée !
La vieille
Il m'a même avoué
Que tant que je serais en vie, ô grand jamais,
Il ne me laisserait !
Chrémyle
Elle est bien bonne, en fait !
Pour lui ton existence est déjà terminée !
La vieille
C'est le chagrin qui me torture, ô mon ami.
Chrémyle
Non, c'est la pourriture.
La vieille
Ah ! notre homme est ici
Lui que j'ai dénoncé depuis un bon moment !
On dirait qu'il se rend à une sauterie.
Il porte une couronne et une torche aussi.
Le jeune homme
Ô vieille bien-aimée, comme tu as blanchi !
La vieille
Pauvrette que je suis ! Voilà qu'il m'injurie !
Chrémyle
Oh ! il ne t'a pas vu depuis belle lurette.
La vieille
Oh non ! nier encore il était dans ma chambrette !
Chrémyle
Ou alors, c'est qu'il fait des autres le contraire :
Plus il picole, plus sa vision est claire.
La vieille
Non, non, il a toujours de mauvaises manières !
Le jeune homme
Ô par Poséidon, que te voilà flétrie !
La vieille
Ah ! n'approche pas ta torche qui m'éblouit !
Chrémyle
Si la moindre étincelle arrive à l'effleurer,
Elle s'enflammera comme un bois d'olivier !
Le jeune homme
Cela te plairait-il de jouer avec moi ?
La vieille
Quoi !
Le jeune homme
Mais oui, nous pourrions jouer avec des noix.
La vieille
Hein ! jouer avec quoi ?
Le jeune homme
Ben, au jeu que voici :
« Combien as-tu de dents ? »
Chrémyle
Je sais, moi : trois, pas plus !
Le jeune homme
Non, une molaire et c'est tout : tu as perdu !
La vieille
Ah ! quelle cruauté ! Tu es d'un odieux !
Me transformer ainsi en baquet à lessive !
Le jeune homme
Un lavage pourtant serait judicieux.
Chrémyle
Ah, non ! Cet objet est vraiment trop vieillot !
Une fois nettoyé, on n'en verrait que trop
Le visage putride et ses tristes lambeaux !
Le jeune homme
Enfin, je dois quitter la vieille créature
Qu'épuisent lourdement dix mille ans de luxure.
Chrémyle
Après tout, tu voulais t'abreuver de ce vin :
Il faut maintenant le boire jusqu'à la lie.
Le jeune homme
Mais cette lie est vieille, usée, moche et pourrie,
Je te l'assure !
Chrémyle
Un filtre et ce vin sera pur.