RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE - Aristophane, le joyeux réactionnaire ( BCS) - ANTHOLOGIE : DES ACHARNIENS AUX OISEAUX

 

 

 

 

ARISTOPHANE

 

Anthologie comique

2. De Lysistrata à Ploutos

 

 

SOMMAIRE

 

 

 

 

Lysistrata

 

Résumé de la pièce

- L'amour laborieux

- Les femmes contre la guerre

 

 

LesThesmophories

 

Résumé de la pièce

- L'efféminé

- Les femmes contre Euripide

- Cosi fan tutte

- Éloge des femmes

- La fille et le soldat

 

 

Les Grenouilles

 

Résumé de la pièce

- Problèmes aux Enfers

- Dehors, les étrangers...

- Eschyle rencontre Euripide

 

 

    L'Assemblée des femmes

 

Résumé de la pièce

- Vive les femmes !

- Un programme ultra communiste

- Chanson d’amour

- Chanson de la vieille et de la jeune fille

- La jeune fille, le garçon et la vieille femme

 

 

Ploutos

 

Résumé de la pièce

- L'Argent reconnu

- Chrémyle et la Pauvreté

- Le triomphe de l'Argent

- La vieille belle

 

 

 

 

 

LYSISTRATA

(411)

 

 

 

 

 

À Athènes à l’entrée de l’Acropole

 

1-53 : Lysistrata réunit sur la voie d’accès menant à l’Acropole ses amies athéniennes. Elle confie à la Victoire son dessein de mettre fin à la terrible guerre qui ravage le monde grec grâce à l’intervention des femmes.

 

54-253 : après l’arrivée de la spartiate Dora, Lysistrata dévoile son projet : les femmes barricadées sur l’Acropole feront la grève de l’amour. Les maris, face à une telle situation, ne pourront que déposer les armes. Les femmes acceptent et prêtent serment.

 

254-318 : des vieillards arrivent dans l’Acropole et tentent d’incendier les lieux. Mais un groupe de femmes arrivent à temps avec des seaux d’eau.

  

319-462 : un commissaire survient afin de forcer les femmes à mettre fin à leur action. Les gendarmes sont finalement vaincus.

 

463-705 : Lysistrata fait un discours dans lequel elle vante le bon sens féminin. Entre les vieillards et les femmes, les «  noms d’oiseaux  » fusent.

 

706-828 : Lysistrata, désespérée par le comportement des femmes qui supportent mal l’éloignement de leurs maris, sort de l’Acropole.

 

829-979 : un Athénien, les reins enflammés, arrivent pour récupérer son épouse. Celle-ci, après avoir feint de se donner à lui l’abandonne à son sort.

 

980-1071 : le plan de Lysistrata est un succès puisqu’un héraut spartiate annonce que sa cité a consenti à signer la paix avec Athènes. Vieillards et femmes se réconcilient.

 

1072-1188 : les ambassadeurs de Sparte arrivent. Les hommes sont alors prêts à capituler à n’importe quelle condition car la privation de femmes leur est devenue insupportable. Lysistrata obtient l’arrêt de la guerre. Pour sceller la paix, Athéniens et Spartiates partagent le même repas.

  

1189-1320 : bonne humeur générale. Un Spartiate chante deux chants afin de célébrer respectivement les mérites d’Athènes et ceux de Sparte. Discours de Lysistrata et chant de joie final.

 

 

 

 

LES FEMMES CONTRE LA GUERRE

 

Lysistrata

Vous les bonshommes, quand le conflit éclata,

Nous vous supportions car nous sommes modérées ;

D'ailleurs, on ne peut pas avec vous s'exprimer.

Pourtant grâce au pouvoir de notre intuition,

Nous avons tout compris : souvent à la maison,

Nous étions informées des sales actions

Qui devaient éclairer les problèmes criants.

Malgré notre tourment, nous jetions en souriant :

« Qu'avez-vous décidé aujourd'hui sur la paix ? »

Et le mari disait : « Veux-tu donc la fermer ! »

Voilà pourquoi, chez moi, je n'osai m'exprimer !

Lorsque de ces horreurs nous étions informées,

Nous déclarions : « Comment peut-on se comporter

De la sorte ? Il faut être un esprit insensé ! »

Il répondait alors : « Continue à tisser,

Sinon je vais frotter tes satanées oreilles.

La guerre, c'est pour nous ! »

 

Le commissaire

                                Son langage est habile !

 

Lysistrata

Que me radotes-tu, ô bougre d'imbécile !

Vos ordres étaient d'une sottise sans pareille

Mais nous ne pouvions pas vous donner de conseils.

Quand nous avons appris qu'il n'y avait plus d'hommes

Dans ce pays, alors nous avons décidé

De  sauver nos cités en nous coalisant...

 

Le commissaire

Que faire pour calmer ces troubles incessants

Comment les dénouer ?

 

Lysistrata

C'est trois fois rien !

 

Le commissaire

Explique !

 

Lysistrata

Comme avec notre fil : quand il est embrouillé,

Nous le prenons ainsi et puis nous le portons

Vers le fuseau, par-ci, par-là. Oui, c'est ainsi

Que nous dénouerons le conflit, en envoyant

Par-ci ou bien par-là des missions nombreuses.

 

Le commissaire

C'est avec ces fuseaux que ces fieffées donzelles

Prétendent dénouer des guerres si complexes ?

 

Lysistrata

Oui, et si vous aviez une once de cervelle,

Tout serait réglé grâce au génie de mon sexe.

 

Le commissaire

Comment !

 

Lysistrata

    Ainsi que nous le faisons pour les laines

Que nous baignons pour en ôter les saletés :

Il nous faut en effet décrasser la cité.

À coup de baguette, adieux les fibres malsaines.

Tout ce qui s'agglutine en sinistres toquards

Dans les emplois publics, qu'on les mette au placard.

Puis brassons pêle-mêle, en un même panier

De la volonté générale, amis, hôtes, métèques,

Débiteurs de l'État : il faut tous les lier.

Quant aux cités fondées par des colons d'ici,

Ce ne sont que des pelotes éparpillées :

En les rembobinant, on en constituera

Une pelote unique : on en fera usage

En tissant pour le peuple un somptueux lainage.

 

Le commissaire

C'est fou ! Ces femmes-là ne pensent qu'à filer,

Ces femmes que jamais ne vient toucher la guerre.

 

Lysistrata

Doubles sont nos malheurs : par rapport aux bonshommes

D'abord on est contrainte à engendrer des fils ;

Ensuite, on les envoie armés au sacrifice.

 

Le commissaire

Ah ! ne réveille pas des souvenirs si tristes.

 

Lysistrata

Dire que nous pourrions profiter de la vie,

Nous dormons dans le lit, privées de nos maris :

L'armée nous les a pris. Passe encore pour nous,

Mais pour les jeunes cœurs qui vieillissent ainsi,

Je verse mille pleurs.

 

Le commissaire

        Mais les hommes vieillissent ?

 

Lysistrata

Non, ce n'est pas pareil : un homme à son retour,

Épouse sans tarder une tendre jeunesse.

Or, le temps de la femme est le temps le plus court :

Si elle ne saisit pas l'opportunité,

Personne n'en voudra ; et, ruminant ses chances,

On la verra bientôt privée de sa beauté.

 

 

L'AMOUR LABORIEUX

 

Cinésias

Tu ne veux pas baiser : cela fait si longtemps !

 

Myrrhine

Ce n'est pas pour autant que je ne t'aime pas.

 

Cinésias

Donc tu m'aimes : alors qu'est-ce que tu attends

Pour t'affaler ici, ma Myrrhine chérie ?

 

Myrrhine

Tu es dément ! Baiser devant notre petit ?

 

Cinésias

Mais non. Eh ! Manès ! Ramène-le chez nous.

Et voilà ! Maintenant que le gosse est parti,

Il n'y a plus d'obstacle. Eh ! tu n'es pas couchée?

 

Myrrhine

Où le pourrai-je enfin, mon malheureux ami ?

 

Cinésias

Où ! eh bien, pourquoi pas dans la grotte de Pan !

 

Myrrhine

Comment donc, moi qui suis pure, entrer là-dedans ?

 

Cinésias

Baigne-toi dans le Clepsydre et tu seras pure.

 

Myrrhine

Quoi ! Après le serment, je ferai un parjure ?

 

Cinésias

Mais ne t'occupe pas ? C'est moi qui prendrai tout.

 

Myrrhine

Bon ! Je vais apporter un petit lit pour nous.

 

Cinésias

Bouh ! pourquoi s'épuiser, nous le ferons par terre.

 

Myrrhine

Ah non, par Apollon. Bien que tu sois si bas,

Je ne coucherai pas ici dans la poussière.

 

Cinésias

Ah ! elle m'aime vraiment : la chose est évidente !

 

Myrrhine

Étends-toi là-dessus, j'ôte mes vêtements.

Flûte ! Il faut une natte !

 

Cinésias

            On n'en a pas besoin.

 

Myrrhine

Sur des sangles, voyons, ce serait bien malsain !

 

Cinésias

Laisse-toi faire. Mais... Veux-tu me revenir !

 

Myrrhine

Une natte, c'est fait ! Je vais me dévêtir !

Couche-toi. Horreur ! il n'y a pas d'oreiller.

 

Cinésias

Tant pis !

 

Myrrhine

    Moi, j'en veux un. Allons, redresse-toi !

 

Cinésias

Enfin, nous avons tout. Viens ici, ma beauté !

 

Myrrhine

Attends ! Mon soutien-gorge, il faut que je l'enlève.

Oh ! les draps !

 

Cinésias

    Pas besoin : je veux te bécoter.

 

Myrrhine

Je reviens sans tarder ! Après tu me prendras !

 

Cinésias

J'avoue qu'elle me gonfle avec ses sacrés draps !

 

Myrrhine

Redresse-toi ! Tu veux un peu de ce parfum ?

 

Cinésias

Non, non, par Apollon, je ne veux pas de ça !

 

Myrrhine

Que ce soit oui ou non, je vais te parfumer.

 

Cinésias

Que je sois parfumé donc, ô Zeus tout-puissant !

 

Myrrhine

Donne ta main, prends ça, et mets-toi du parfum.

 

Cinésias

Par Phébos, ce parfum retarde la culbute.

 

Myrrhine

C'est un parfum rhodien !

 

Cinésias

        Laisse donc tout cela !

 

Myrrhine

Tu te fiches de moi ?

 

Cinésias

        Qu'il souffre à tout jamais

Celui qui, le premier, inventa le parfum !

 

 

 

 

 

 

LES THESMOPHORIES

(411)

 

 

 

 

 

À Athènes, devant la maison d’Agathon, puis au sanctuaire des Deux-Déesses

 

 

1-69 : Euripide emmène un de ses parents, Mnésiloque, chez Agathon. Arrivés chez lui, ils s’entendent dire par son serviteur que le poète est encore sous l’emprise de sa Muse.

  

70-94 : Euripide explique à son parent qu’il court un grand danger. En effet, les femmes qui vont se retrouver à la fête des Thesmophories s’apprêtent à réclamer sa mort pour avoir tant médit sur elles. Euripide espère qu’Agathon, homme efféminé, pourra avec aisance se fondre au cortège des femmes en se travestissant. Ainsi accoutré, pense-t-il, il plaidera sa cause.

  

95-279 : Agathon se montre allongé sur un sofa et marmonne quelques vers qu’il vient de composer. Discussion Mnésiloque – Agathon. Euripide lui fait sa demande. Agathon refuse. Mnésiloque accepte de prendre sa place et de se déguiser en femme. Agathon, à cet effet, lui prête une de ses robes.

  

280-570 : nous sommes dans le sanctuaire des Deux Déesses où se passe la cérémonie. Mnésiloque arrive. La présidente expose le cas d’Euripide. Deux femmes accusent Euripide. Bientôt, Mnésiloque prend la parole et prétend que les faits reprochés au poète sont minimes par rapport à la réalité de ce que l’on pourrait reprocher aux femmes. L’assemblée est outrée.

  

571-688 : Clisthène, un efféminé, arrive chez les femmes pour leur annoncer qu’un intrus s’est glissé parmi elles pour défendre Euripide. L’intrus est rapidement retrouvé et Clisthène s’apprête à avertir la police.

 

689-784 : Mnésiloque se saisit d’un bébé et décide de l’utiliser comme moyen de chantage. Or, ce bébé est en réalité une bouteille de vin emmaillotée. Notre homme ne sait plus comment s’en sortir.

 

785-845 : parabase. Éloge des femmes.

 

846-1000 : Mnésiloque appelle Euripide à l’aide. Tous deux déclament des vers d’Hélène et de Ménélas tirés de l’Hélène d’Euripide. Duo parodique. Échec de cette tentative. Mnésiloque est bientôt condamné au carcan.

 

1001-1135 : un garde scythe ramène Mnésiloque. Celui-ci dit maintenant des vers d’Andromède. Euripide lui donne la réplique. Hélas, rien n’y fait.

 

1136-1231 : un Chœur parvient à endormir le garde. Euripide, qui a promis de ne plus critiquer les femmes, obtient d’elles qu’elles consentent à ne rien dire sur l’évasion de Mnésiloque. Euripide amène une charmante danseuse. Le garde ébloui par sa beauté suit la jeune fille ce qui permet à Mnésiloque de s’enfuir. Le garde revient et s’apercevant de la supercherie part à la recherche du prisonnier évadé pendant que le Chœur lui donne de fausses indications.

 

 

 

 

L'EFFÉMINÉ

 

Le parent

Ah ! c'est un bien joli chant ! Qu'il est efféminé !

Il sent son gros baiser alangui sur la bouche.

D'ailleurs, en l'écoutant, mon cul s'est dandiné.

Et toi, mon beau garçon, si tu es de ce style,

Je t'interrogerai à la façon d'Eschyle

Dans son Lycurgue. D'où nous vient cet androgyne ?

Quel est ce vêtement ? Ta cité d'origine ?

Cette vie de plaisir ? Ton luth s'accorde-t-il

Avec ta robe jaune ? Et cette chair va-t-elle

Avec cette couronne ? Enfin cette belle huile

Dont on enduit l'athlète est-elle en harmonie

Avec ce soutien-gorge ? Union peu subtile !

Non, rien de commun entre un miroir et un glaive.

Eh ! mon enfant, est-ce en homme que l'on t'élève ?

Je ne vois pas ta queue, tes souliers laconiens,

Ton manteau ? À moins que tu ne sois une femme ?

Pourtant, je ne vois pas la marque ombrée des seins !

Voyons, que me dis-tu ? Eh ! quoi ! Tu veux te taire ?

Est-ce d'après ton chant que je dois découvrir

Ce que tu es vraiment et dont tu fais mystère.

 

Agathon

Vieillard, les jaloux me jettent des calomnies,

Mais je n'en ai que faire ! Et je mets cet habit

Conforme à mon génie. Un auteur doit toujours

Connaître à fond ceux qui peuplent ses tragédies.

Il imagine ainsi certains rôles de femmes :

Je conforme mon corps aux façons qu'on proclame.

 

Le Parent

Quand il compose Phèdre, il encule un cheval ?

 

Agathon

Pour écrire une pièce avec rôles masculins,

On peut trouver en soi les maintes composantes.

Mais sur un autre genre où nous ne savons rien,

Nous le saisissons mieux par l'imitation.

 

Le Parent

Bon, quand tu écriras ta tragédie prochaine,

Si satyre il y a, je te fournis mon aide :

Je serai à ton cul avec une queue raide !

 

Agathon

Un poète grossier et d'apparence laide,

Cela est dégoûtant ! Vois donc Anacréon,

Ibycos et Alcée, ils étaient truculents,

Mais c'étaient des Ioniens, ils vivaient mollement.

Ils étaient gracieux et portaient un bandeau.

Regarde Phrynicos, il était vraiment beau,

Bien mis de sa personne et ses œuvres étaient belles.

Tel tempérament, telle œuvre, c'est naturel.

 

Le Parent

Ainsi donc, Philoclès, d'une laideur sans nom,

Écrit comme un cochon, tandis que Xénoclès

Fait des récits cruels, ayant un mauvais fond.

Quant au froid Théognis, ses pièces sont glaciales.

 

Agathon

Voilà qui est fatal ! Mais je le sus bien vite

Et me suis corrigé.

 

 

 

LES FEMMES CONTRE EURIPIDE

 

Je suis très malheureuse (et depuis fort longtemps)

D'être vilipendée par ce vil rejeton

D'une femme vendant des fruits et des légumes

Et d'être injuriée de toutes les façons !

Il use à notre égard de termes si grossiers,

De plus en plus affreux : tout est l'occasion

Devant les spectateurs de nous calomnier :

Nous ne sommes pour lui que putains et roulures,

Nymphos invétérées, pochardes, pourritures,

Traîtresses, en un mot, les fléaux des maris.

C'est pourquoi, aussitôt finie la tragédie,

Le spectateur s'empresse, une fois au logis,

De découvrir l'amant qui devrait s'y cacher.

Tout ce que nous faisions ne nous est plus permis

Depuis qu'il a décrit aux époux nos forfaits.

Une femme se met à tresser des couronnes ?

Forcément elle couche ! Et qu'elle brise un vase,

Son mari lui dit ça : « Ce n'est pas pour personne

Que tu casses l'objet, non, c'est pour ton amant ! »

Une fille est malade et son frère prétend

Ne pas aimer ce teint. Pour les vieillards aussi

Amateurs de jeunesse, il a fait ce vers-ci :

« La femme est un tyran pour le vieux qui la prend. »

C'est à cause de lui qu'on pose des scellés

Sur les appartements où résident les femmes.

On a mis des verrous pour mieux nous surveiller.

Pour apeurer l'amant, on élève des chiens.

S'il n'y avait que ça, bah, je ne dirais rien.

Mais nous qui, autrefois, faisions le quotidien,

Achetions la farine et l'huile à volonté,

Nous ne le pouvons plus... Aussi, sans discuter,

Faisons mourir cet homme à l'aide d'un poison

Ou d'une autre façon...

 

 

COSI FAN TUTTE

 

Après avoir subi des propos de la sorte,

Il est normal que contre Euripide on s'emporte :

Ce n'est pas plus choquant qu'une bile échauffée !

Pour ne pas le haïr il faudrait être fou !

Mais ici, n'est-ce pas, nous sommes entre nous.

Je vous demande donc : pourquoi lui reprocher

D'avoir montré de nous quelques menues erreurs

Alors que nous en faisons une multitude ?

Rien que pour moi, si vous saviez mes turpitudes !

Ainsi, à peine mariée, j'accueillis un ami,

Celui qui, je l'avoue, m'a baisée le premier.

Or, ce soir-là avec ardeur il me voulait.

Je sortis de mon lit. Mon mari s'étonna :

« Mais que se passe-t-il ? » Et je lui répondis :

« J'ai la colique et je m'en vais aux cabinets ! »

Pendant qu'il préparait une mixture à lui

Remède fait de cèdre, et de sauge et d'aneth,

Mon mec en profitait pour bien me tisonner.

Un incident qui n'a jamais été décrit

Par Euripide. Il n'a pas dit que nous aimons

Nous faire tisonner par nos beaux muletiers.

Il n'a pas dit non plus comment après l'orgie

Nous nous enduisons d'ail afin que le mari

Ne se doute de rien quand il revient chez lui !

Mais oui, tous ces forfaits sont de notre façon.

Enfin sur notre auteur, je n'ai qu'un mot à dire :

Tout ce qu'il nous reproche est loin d'être le pire

Au regard de la fange où nous nous débattons.

 

 

Éloge des femmes

 

On colporte sur nous les pires vilenies,

Bref de l'humanité nous serions le poison.

De nous seraient issus maux et séditions,

Guerres, plaies et chagrins. Mais si vraiment nous sommes

Ce poison, pourquoi nous épousent les hommes ?

Pourquoi nous défend-on de mettre un nez dehors ?

Pourquoi nous défend-on de jeter même un œil

Sur la rue ? Oui, pourquoi se donner tant d'efforts

Pour garder ce poison ? Quoi, Bobonne est sortie !

Aussitôt, vous voilà minés par la furie.

Pourtant, vous devriez bien fort vous réjouir

De savoir ce poison hors d'état de vous nuire :

Ne plus avoir enfin à se jeter sur elle !

Si nous nous endormons dans la maison d'autrui,

- À force de guincher, on se fatigue vite -

On cherche son poison, on fait le tour des lits.

Et dès que nous osons jeter un bref regard

Par la fenêtre, vous imaginez le pire !

Si nous nous retirons par pudeur manifeste,

Vous êtes pris d'envie de nous revoir ainsi,

Pour vous émoustiller. Tant il est vrai, du reste,

Que nous sommes vraiment bien meilleures que vous...

 

 

La fille et le soldat

 

Euripide, en vieille femme

Toi, ma jolie, fais ce que j'ai dit tout à l'heure !

Traverse, puis reviens vers moi à petits pas.

Quant à toi, Térédon, souffle, de la langueur !
 

L'archer scythe

Mais c'est quoi, ce tintouin ? Pour dormir, pas de chance !

 

Euripide

Archer, la belle enfant va chez des invités

Pour leur exécuter un numéro de danse.

 

L'archer scythe

Bah, qu'elle danse donc ! Pas interdit, la chose !

Légère la bichette, une puce excitée !

 

Euripide

Ta robe, enlève-la ! Défais-toi par en haut !

Ensuite va t'asseoir sur les genoux du Scythe

Et donne-moi tes pieds pour que je les déchausse.

 

L'archer scythe

Oui, ma fifille, assis ! Ah ! gentil le téton !

Dodu, bien comme il faut, un gros navet tout rond !

 

Euripide, à Térédon.

Toi, vite un air de flûte. (À Élaphion) As-tu peur du soldat ?

 

L'archer scythe

Les fesses : très joli !

 

Euripide

                                    Allez, rhabille-toi,

Il est temps de d'enfuir.

 

L'archer scythe

                                      D'abord, bisou pour moi !

 

Euripide

Donne lui ce qu'il veut.

 

L'archer scythe

                                      Miam miam ! Langue sucrée !

Je me suis régalé, moi, fameux comme du miel !

Eh ! c'est possible, un jour, de coucher avec elle ?
 

 

 

 

 

 

LES GRENOUILLES

(405)

 

 

 

 

 

Devant la maison d’Héraklès puis aux Enfers

 

 

1-44 : Dionysos, revêtu d’une peau de lion et tenant une massue, arrive devant la porte d’Héraklès avec Xanthias son serviteur qui est assis sur le dos d’un âne. Le dieu rit devant l’accoutrement du dieu.

 

45-165 : Dionysos explique son intention de ramener des Enfers Euripide afin de redorer la tragédie et lui demande quelques informations sur le voyage qu’il compte effectuer chez Hadès, Héraklès ayant effectivement déjà exploré le domaine des morts.

  

166-270 : refusant le concours d’un mort qui s’était proposé de porter les bagages du dieu pour un prix faramineux, Xanthias se charge de cette besogne. Charon prend le dieu sur sa barque et ils traversent le Styx sous les coassements des grenouilles.

 

271-502 : on arrive chez les défunts. Xanthias est effrayé par ce qu’il voit. On entend retentir le chant suave des initiés d’Éleusis. Éaque, portier d'Hadès, croit qu’Héraklès est revenu aux Enfers afin d’enlever de nouveau Cerbère. Il le menace. Dionysos apeuré donne son déguisement à Xanthias.

 

503-674 : une femme lui proposant un bon repas, Dionysos reprend l’identité d’Héraklès. Mal lui en prend car la femme l’accuse bientôt d’avoir abusé d’elle lors de son premier voyage. Encore une fois, Dionysos échange ses vêtements avec Xanthias. Éaque revient pour se venger mais il est interloqué par tous ces problèmes d‘identités. Seul Pluton pourra juger.

 

675-737 : parabase : appel de réconciliation des honnêtes gens contre les méchants.

 

738-813 : un serviteur d’Hadès apprend à Dionysos que les morts se préoccupent de savoir qui d’Eschyle ou d’Euripide doit devenir le roi de tragédie. Les deux poètes vont s’affronter sous le regard de Dionysos.

 

814-1118 : Euripide condamne les vers emphatiques de son concurrent ; puis Eschyle accuse Euripide de pervertir les Athéniens.

 

1119-1410 : les deux poètes se critiquent mutuellement sur des points de détails de leurs tragédies et défendent leurs conceptions avec acharnement. On finit par peser les vers de chacun d’entre eux. Eschyle est le grand vainqueur.

 

1411 à la fin : Dionysos est encore perplexe sur la décision prise, mais Hadès intervient et donne ses conseils à Athènes pour assurer son salut. Eschyle triomphe totalement. C’est lui qui est désigné pour revenir sur terre. Quant à Euripide, il ne pourra même pas aux Enfers assurer l’intérim pendant son absence puisque c’est Sophocle qui s’en chargera.

 

 

 

 

Problèmes aux Enfers

 

La servante

Salut, bel Héraclès ! Entre ici sans effroi.

Sache que la Déesse, apprenant ta venue,

S'est empressée de cuire au four quelques galettes ;

Elle t'a aussi fait de la purée de pois,

Mis un bœuf à la broche et cuit des briochettes...

 

Xanthias

Que cela est gentil, ce n'était pas la peine.

 

La servante

Par Apollon ! il ne faut pas que tu t'en ailles.

Elle a fait rissoler quelques belles volailles,

Et des pâtisseries. En outre, quel bon vin !

Entre donc, je te prie.

 

Xanthias

                                  Tout cela est très bien,

Mais...

 

La servante

          Taratata ! Tu vas rester ici.

Il y a dans ces lieux une flûtiste aussi,

Et même deux ou trois danseuses, tu verras !

 

Xanthias

Des danseuses, tu dis ? Quoi ! c'est vrai tout cela ?

 

La servante

D'une fraîcheur exquise, épilées depuis peu !

Entre, car le cuistot a retiré du feu

Les poissons, et la table est tout juste dressée.

 

Xanthias

Eh bien, dis sans délai à nos belles danseuses

Que je vais arriver et me faire annoncer.

Toi, le gamin, suis-moi, et prends mon baluchon.

 

Dionysos

Eh l'ami, ça suffit ! L'idée de t'affubler

En Héraklès, c'était une blague, voyons !

Fais pas l'idiot, Xanthias ! Reprends ton baluchon !

 

Xanthias

C'est quoi, tout ce bordel ! Tu voudrais me chiper

Ce que tu m'as donné ?

 

Dionysos

                                    Non, je ne le veux point,

Je le fais, et voilà ! Ouste ! enlève-moi tout !

 

Xanthias

Grands dieux, soyez témoins !

 

Dionysos

                                               Quels dieux ? Mais tu es fou !

Franchement, tu t'es cru, toi un pauvre mortel,

Toi un être servile, engendré par Alcmène ?
 

Xanthias

Bon, bon, je te rends tout. Mais un beau jour, qui sait ?

Je te serai utile.

 

La cabaretière

                          Eh, viens, mon Plathané !

Il est là le brigand qui nous a chapardé

Seize pains l'autre jour.

 

Plathané

                                    Par les dieux ! c'est lui-même.

 

Xanthias

J'en connais un qui va avoir quelques problèmes.

 

La cabaretière

En outre il a volé plein de viandes bouillies.

 

Xanthias

Quelqu'un va écoper pour cette ignominie.

 

La cabaretière

Et il s'est fait la belle avec tous mes sacs d'ail.

 

Dionysos

Femme, ça ne va pas ! Je crois que tu dérailles.

 

La cabaretière

Je veux à coups de pierre, ignoble margoulin,

Te fracasser les dents qui ont mangé mon bien.

 

Plathané

Moi, je te jetterais au fond du Barathron !

 

La cabaretière

Moi, ton sale gosier, je le trancherais vite

Car c'est là qu'est passée ma réserve de tripes.

 

Plathané

Je vais chercher Cléon afin que d'un seul coup

Il règle cette affaire et te juge coupable.

 

Dionysos

Je mourrais s'il le faut, mais sans être capable

De dire que Xanthias a perdu ma tendresse.

 

Xanthias

Mais je te vois venir avec tes gros sabots :

Fini ! Je ne serai plus jamais Héraklès.

 

Dionysos

Ne parle pas ainsi, ô Xanthias, mon tout-beau.

 

Xanthias

Comment puis-je être issu d'Alcmène, moi qui suis

Un esclave pouilleux, un vulgaire mortel ?

 

Dionysos

Tu es fâché, normal ! La chose est naturelle.

Cogne-moi comme un dingue et je ne dirai rien.

Et si j'ose reprendre un tel équipement,

Que je meure aussitôt avec femme et enfants !

 

Xanthias

J'obtempère et me fie à ce dernier serment.

 

Éaque, à ses esclaves

Ligotez ce voleur de chiens, qu'on le châtie !

 

Dionysos

J'en connais un qui va avoir quelques ennuis !

 

Xanthias

Allez vous faire voir ! Surtout, n'approchez pas ! 

 

Éaque

Hé ! hé ! Tu veux te battre ? Eh vous autres, venez,

Foutez-lui la volée !

 

Dionysos

                               Il a bien du toupet

Ce type-la : il vole, et pourtant se permet

De cabosser les gens.

 

Xanthias

                                    On atteint des sommets !

 

Dionysos

Oui, c'est une infamie, une honte absolue.

 

Xanthias

Au nom de Zeus puissant, je consens à clamser

Si je t'ai dérobé un cheveu de tes biens.

Mais je serai princier : tiens, voilà mon esclave,

Torture-le à fond, vas-y, et s'il advient

Que je suis bien coupable, alors tue-moi sur l'heure.

 

Éaque

Le torturer comment ?

 

Xanthias

                                 Mais comme tu l'entends !

Pends-le sur une échelle, ensuite, avec vigueur,

Fouette-le, tords-lui les doigts, écorche-le,

Que le vinaigre coule à flot dans ses narines !

Qu'il croule sous le poids de briques entassées,

Bref, fais ce que tu veux, ce que tu imagines !

 

 

DEHORS, LES ÉTRANGERS...

 

Souvent, j'ai la pénible impression qu'Athènes

Se comporte à l'égard de ses bons citoyens

Comme envers ses monnaies nouvelles ou anciennes.

Les monnaies d'un superbe aloi, les excellentes,

Les monnaies bien frappées, les monnaies bien sonnantes

Tant à l'ouïe du Grec qu'à celle du Barbare,

Nous les méprisons et nous leur préférons ces tares,

Pièces frappées d'hier, d'avant-hier au plus tard.

Or pour les citoyens, la chose est identique :

Ceux de la bonne race, excellents en tous points,

Ces hommes bien formés grâce à la gymnastique,

S'exerçant dans les chœurs, connaissant la musique,

Nous les regardons mal, et donnons plus de soins

À tous ces étrangers, ces hordes de rouquins,

Ribauds, fils de ribauds que la ville autrefois

N'aurait point accepté comme boucs émissaires

Sans y voir à deux fois. Allons ! Fous que vous êtes,

Modifiez vos façons, et vite retrouvez

Nos anciennes valeurs. Oui, ce sera payant ! 

Mais si, par grand malheur, votre échec est criant,

Sachez que pour les gens de bien, vous n'aurez pas

Trimé pour des broutilles.

 

 

 

Eschyle rencontre Euripide

 

Euripide, à Dionysos

Non, non, je resterai accolé à mon trône !

Fi de tous tes sermons ! Je lui suis supérieur.

 

Dionysos

Eschyle, tu es muet ! As-tu bien entendu ?

 

Euripide

Peuh ! il va se draper dans toute sa grandeur ;

Il nous refait le coup comme en ses tragédies,

Où il essaie toujours d'en mettre plein la vue.

 

Dionysos

Ça suffit mon coco, du respect, je te prie !

 

Euripide

Je connais l'animal, depuis belle lurette,

J'ai cerné le bonhomme, un prétentieux poète,

Une diarrhée verbale, une gueule en avant,

Toujours le mors aux dents, toujours hors de ses gonds,

Un verbe boursouflé !

 

Eschyle

                                  Quoi, toi le rejeton

D'une nymphe des champs, tu parles sur ce ton,

Toi le glaneur de mots où la sottise brille,

Un faiseur de clodos, un tisseur de guenilles,

Tu vas le payer cher.

 

Dionysos

                                   N'en dis pas plus, Eschyle :

Le courroux risquerait de t'échauffer la bile.

 

Eschyle

Pas question ! Je veux d'abord mettre en lumière

Ce que ce fabricant de boiteux ose faire,

Lui ce vantard...

 

Euripide

                          Bon, de ma gloire poétique,

Je dirai quelque mots à la fin du propos :

Auparavant il faut que sur lui je m'explique :

Je veux dévoiler que c'est un camelot,

Un grand faiseur d'esbroufe, et montrer tous les trucs

Par lesquels il parvint à tromper son public,

Des gens simples, naïfs, que Phrynicos forma.

Par exemple, il plantait, caché sous mille hardes,

Niobé ou bien Achille : on ne les voyait pas,

De vraies statues voilées, sans mot qui se hasarde.

 

Dionysos

Oui, parbleu, c'est bien ça !

 

Euripide

                                           Et pendant ce temps-là,

On était abruti par des chœurs à la noix,

En plus quatre à la suite, interminablement ;

Les autres, ils restaient muets, imperturbables.

 

Dionysos

Ce silence, après tout, n'était pas condamnable :

la chose était plaisante au regard des parlotes

Dont on est assommé aujourd'hui.

 

Euripide

                                                Quel crétin

Tu étais en ce temps ! Et je pèse mes mots !

 

Dionysos

Peut-être as-tu raison. Mais pourquoi ton copain

Faisait-il comme cela ?

 

Euripide

                                   Par ruse, il faut le dire,

Afin que le public reste calme et peinard

Jusqu'à ce que Niobé accepte de l'ouvrir.

En attendant, le drame avançait dare-dare.

 

Dionysos

Le vaurien ! Que de fois j'ai été abusé !

Mais pourquoi ces regards furieux et ces grimaces ?

 

Euripide

Car je le coince ! Après avoir tant divagué,

La tragédie était arrivée à moitié :

Alors, il balançait la grosse artillerie,

Des mots empanachés, sourcilleux et horribles,

Et que les spectateurs n'avaient jamais subis.

 

Eschyle

Malheur à moi !

 

Dionysos

                          Tais-toi !

 

Euripide

                                            Aucune phrase audible !

 

Dionysos

Ne grince pas des dents.

 

Euripide

                                        Ce n'étaient que Scamandre,

Des griffions martelés sur boucliers d'airain,

Des vocables montés sur d'immenses chevaux,

Qua sais-je encore... Bref, on y comprenait rien...

... Moi, lorsque j'ai reçu ta tragédie, que dire ?

Avec son ventre épais, ses ennuyeux discours

Et ce verbe indigeste, il fallut l'amincir.

Pour cela j'écrivis des vers un peu plus courts,

Je prescrivis aussi un peu de bavardage

Puisé un peu partout dans ma foule d'ouvrages,

Ajoutant çà et là de sophistes propos.

Bref l'action s'emballe au premier mot écrit.

Je fais parler la femme ou l'esclave ou le maître,

La vieille s'il le faut....

 

Eschyle

                         Mes entrailles bouillonnent

À l'idée qu'il me faut réfuter un tel homme.

Je n'apprécie pas cette confrontation.

Réponds-moi, je te prie : en quoi donc le poète

Doit-il être admiré ?

 

Euripide

                                Par ses conseils honnêtes,

Tant il est vrai que nous rendons l'homme meilleur.

 

Eschyle

Mais au lieu de cela, si de bons qu'ils étaient

Tu en fais des vauriens, quel doit être son sort ?

 

Dionysos

Assurément la mort !

 

Eschyle

                        Je lui ai confié

Des êtres vertueux, non pas des scélérats

Qui renient leurs devoirs, qui déferlent sans cesse

Sur l'Agora, ni des fourbes ni des meneurs.

Non, ils portaient un casque avec un beau panache,

Des javelots, un heaume avec ruban flottant.

Reconnais la grandeur de ces êtres parfaits.

Pense aussi à Orphée qui refusait le meurtre

Et qui nous révéla les plus fameux mystères.

Hésiode enseigna le travail de la terre.

Quant à ce dieu, Homère, il nous en apprit tant,

Au point qu'il fut nimbé d'un éclatante gloire.

On ne doit pas montrer les actes dérisoires,

Ne pas les exposer sur scène au tout venant.

Le poète se doit d'éduquer la jeunesse

Comme un maître d'école instruisant des enfants.

Oui, nous devons parler avec grâce et noblesse.

 

Euripide

Un verbe châtié c'est vouloir employer,

Pour toi, des mots pareils au sommet de l'Olympe.

Or, tu devrais parler en des termes plus simples.

 

Eschyle

Ô malheureux, pour dire une idée de génie,

Il faut bien que les mots soient du même acabit.

Les demi-dieux ont un verbe majestueux.

De plus, ils sont vêtus d'habits plus somptueux

Que ceux que nous portons. Tu n'as fait qu'avilir

Ma noble ambition !

 

Euripide

Mais comment l'ai-je fait ?

 

Eschyle

En présentant des rois recouverts de haillons

Afin que les mortels s'émeuvent de leur sort...

...Ah ! cet homme est l'auteur de tant de vilenies !

Sur la scène il a mis des femmes accouchant

Dans des enclos sacrés ; avec leurs propres frères

Il les a fait s'unir, en criant à tue-tête

Que la vie véritable, en fait, c'est le trépas ! 

 

 

 

 

 

 

L'ASSEMBLÉE DES FEMMES

(392)

 

 

 

 

 

Devant une place d’Athènes

 

 

1-81 : c’est la nuit et Proxagora, épouse de Blépyros, sort de chez elle et attend ses amies avec lesquelles elle doit tenir conseil. Lentement elles arrivent les unes après les autres.

  

82-310 : Proxagora a décidé que les femmes remplacent les hommes à la tête de l’État afin de prendre à l’Assemblée des mesures susceptibles de sauver Athènes. Pour préparer le « putsch », Proxagora fait répéter leurs rôles à chacune de ses compagnes. Répétant elle-même le discours qu’elle veut déclamer à l’Assemblée, elle s’en va. Les femmes la suivent ensuite avec une belle ardeur.

  

311-477 : Blépyros sort de chez lui pour satisfaire à un besoin très pressant. Peu après, son ami Chrémès lui annonce que des femmes ont pris le pouvoir. Ils rentrent chez eux tout éberlués.

  

478-634 : les femmes reviennent de l’Assemblée à peine remises de tant d’audace. Proxagora rentre à la maison et expose à son mari réticent les bienfaits des nouvelles lois que les femmes ont adoptées. Ainsi tous les biens sont mis en commun en même temps que les femmes.

  

635-729 : Blépyros finit par accepter les thèses défendues par son épouse.

 

730-875 : danse du Chœur. Chrémès amène tous ses biens sur la scène pour en faire don à la communauté puisque le communisme a été instauré. Un voisin se moque de son initiative. Pourtant le même voisin se rend avec enthousiasme au banquet offert à la communauté.

 

876-1111 : danse du Chœur. Une vieille femme décatie et une jolie fille attendent le même amant et se chamaillent. L’une compte sur la nouvelle loi (qui promet un mari autant pour les vieilles que pour les jeunes femmes), l’autre sur sa beauté naturelle. Le garçon arrive et dit son amour à la jeune fille. Mais la vieille, puis deux autres encore plus hideuses se disputent le jeune homme qui finit par les suivre.

 

1112-1183 : danse du Chœur. La servante de Proxagora enjoint Blépyros de participer au banquet. Le Chœur s’y rend également. Bonne humeur générale. On chante et on danse tout en faisant bombance.

 

 

 

 

VIVE LES FEMMES !

 

Pour la bonne morale, il n'y a pas plus sage :

Elles trempent dans l'eau bouillante leurs lainages ;

Chaque femme le fait selon l'antique usage.

Des grillades à faire ? Et elles s'accroupissent

Comme jadis ;

Elles font cuire au four leurs succulents gâteaux,

Comme jadis ;

Elles sont des furies envers leur grand costaud,

Comme jadis ;

Chez elles, nos amies camouflent leur amant,

Comme jadis ;

Et en douce, on les voit faire leurs provisions,

Comme jadis ; 

Elles apprécient fort les vins qui ont du goût

Comme jadis ;

Se faire tisonner les excite beaucoup,

Comme jadis ;

C'est pourquoi il nous faut leur livrer la Cité

Sans connaître leurs fins, sans même discuter.

Laissons entre leurs mains le fardeau de l'État,

Oui, songeons simplement qu'elles élèvent des fils

Et que leur désir c'est de sauver les soldats...

... Au gouvernement, on ne pourrait les tromper

(C'est elles plutôt qui nous trompent dans la vie !).

Je n'en dirai pas plus. Si vous suivez l'avis

Que je donne, pour vous quel bonheur infini !

 

 

UN PROGRAMME ULTRA-COMMUNISTE

 

Proxagora

Allons ! Qu'aucun de vous ne vienne m'interrompre

Avant que je ne parle : il est dit que les biens

Se doivent désormais d'être mis en commun.

Oui, il faut que chacun ait les mêmes moyens.

Il n'est plus question de riches ou de pauvres,

L'un ne doit plus avoir de trop vastes terrains

Pendant que l'indigent n'a pas assez d'argent

Pour se faire enterrer. Il n'est plus question

Que l'un soit servi par trois mille serviteurs

Alors que l'autre doit compter sur son labeur.

J'ai décrété la vie commune dès ce jour.

 

Blépyros

Quoi donc ! Tu mangeras de la merde avant moi.

 

Proxagora

Mange-la tout d'abord ! Puis ce sera mon tour.

 

Blépyros

Quoi ! La merde en commun ! On y a droit aussi !

 

Proxagora

Mais non par Zeus, c'est toi qui coupes mon discours.

Bon, j'allais décider : communauté des terres,

De l'argent et des biens de tous les citoyens.

Vous tous serez nourris grâce à ce fonds commun !

Nous gérerons aussi le budget, les dépenses.

 

Blépyros

Mais pour celui qui ne possède nulle terre,

Mais un gros bas de laine, invisible fortune...

 

Proxagora

Il devra tout verser dans la caisse commune.

 

Blépyros

Mais s'il ne verse rien et fait un faux serment

Pour garder son argent, comme il le fait en vrai !

 

Proxagora

Je me demande à quoi cela lui servirait.

 

Blépyros

Pourquoi ?

 

Proxagora

Pour la raison que les citoyens jamais

Ne seront démunis : tout appartient à tous,

Pain, vin, pâtisseries, légumes, salaisons,

Couronnes et manteaux. Aussi quel avantage

À ne pas tout céder ! Trouve-moi argument,

Je veux bien t'écouter.

 

Blépyros

        Aujourd'hui les voleurs

Les plus grands sont aussi les plus grands détenteurs.

 

Proxagora

Cela est vrai : c'était là l'ancienne coutume

Mais à présent qu'il faut vivre en communauté

Pourquoi diable ne pas reverser sa fortune ?

 

Blépyros

Imagine quelqu'un qui voit une donzelle ;

Il l'adore à mourir et veut la culbuter :

Il prendra de l'argent au fond d'un bas de laine

Afin de la payer.

 

Proxagora

Mais il pourra coucher

Avec elle gratis ! Les femmes et les hommes

Seront mis en commun. Avec n'importe qui

On fera des enfants.

 

Blépyros

Mais comment empêcher

Que la plus jolie voit les hommes affluer ?

 

Proxagora

Les laiderons seront aux côtés des plus belles.

Les hommes ne pourront se payer ces dernières

Qu'après avoir goûté ces physiques rebelles.

 

Blépyros

Mais pour nous autres, vieux, s'il faut baiser les moches,

La suite du programme aussitôt s'effiloche...

 

 

CHANSON D'AMOUR

 

Viens ici, ma chérie,

Ouvre-moi cette porte ou je m’évanouis.

Car ce dont j’ai envie,

C’est sur toi me blottir et forcer ton séant...

Cypris, pour cette fille, tu m’as rendu dément !

Éros, je t’en supplie,

Permets qu’elle se glisse au fin fond de mon lit.

Mais la parole est faible et correspond si peu

À l’ardeur de mes feux.

Ô ma chérie, trésor, écoute, je t’implore !

Ouvre et embrasse-moi !

Vois, si je souffre tant, c’est à cause de toi !

Objet de mes tracas,

Mon bijou délicat, rejeton de Cypris,

Abeille de la Muse, que les Grâces nourrissent,

Ouvre et embrasse-moi !

Vois, si je souffre tant, c’est à cause de toi.

 

 

CHANSON DE LA VIEILLE ET DE LA JEUNE FILLE

 

La vieille

Pour jouir d'un plaisir

Sans commune mesure,

Vous devez avec moi

Coucher, la chose est sûre !

Car pour le savoir-faire

Nos filles sont ignares.

C'est une femme âgée

Qu'il vous faut sans retard.

 

La jeune fille

N'envie pas ces jeunettes :

La volupté jaillit

De leurs cuisses subtiles

Et de leurs seins jolis !

Par contre, ô vieille femme

Ô monstre maquillé,

Sur toi seule la mort

Est surprise à veiller.

 

La vieille

Que ton vêtement tombe,

Que ta couche s'effondre

Quand il viendra te prendre !

Qu'un serpent se faufile

Et gagne ta poitrine

Dès l'instant du baiser !

 

La jeune fille

Qu'adviendra-t-il de moi ?

Et que fait mon amant ?

Je suis seule aujourd'hui,

Ma mère n'est pas là.

Et le reste qu'en dire ?

Allons, ô ma grand-mère,

Si tu veux du plaisir,

Fais donc venir celui

Propre à te satisfaire.

 

La vieille

Pareils à des Ioniens,

Tu as tant de besoins !

Tu fais des lècheries

Qu'envieraient les Lesbiens.

Mais prendre mon chéri,

Surtout ne tente point !

 

 

LA JEUNE FILLE, LE BEAU GARCON ET LA VIEILLE FEMME

 

La jeune fille

Ah ! ah ! je l'ai bien eue cette fichue rombière !

Dire qu'elle a cru que je resterais ici !

Mon amour, te voici ! Viens au fond de ma couche,

Serre-moi dans tes bras ! Je suis tout embrasée,

Je suis ensorcelée par tes mèches bouclées :

Un désir éperdu soulève mon tourment,

Un désir m'a mordue ! Éros, je t'en supplie,

Fais que mon bel amant soit l'hôte de mon lit !

 

Le garçon

Viens ici, mon amour ! Vers cette porte accours !

Vois, je me liquéfie, je veux prendre d'assaut

Tes reins d'une façon rapide et cadencée.

Cypris, je suis tout fou ! Éros, je t'en supplie,

Que ma belle s'engouffre au plus profond du lit.

Mais que les mots sont vains quand on a des besoins !

Ô ma jolie chérie, ô fille de Cypris,

Abeille de la Muse, adorée des Charites,

Ouvre-moi tout de suite, embrasse-moi très vite !

C'est à cause de toi si mon âme crépite.

 

La vieille

Tu frappes à ma porte ! Est-ce moi que tu veux ?

 

Le garçon

Quoi, tu le crois vraiment ?

 

La vieille

        Tu frappes à ma porte

Ainsi qu'un fou-furieux.

 

Le garçon

Plutôt me laisser choir !

 

La vieille

Qu'es-tu venu quérir en tenant ce flambeau ?

 

Le garçon

Pas Blépyros, non point, c'est lui que tu attends !

 

La vieille

Non, c'est toi que je veux même tout hésitant.

 

Le garçon

Non, non point d'ébats pour les plus de soixante ans !

Jugement de ce jour ! Reporté à plus tard !

Nous ne devons complaire en cet instant crucial

Qu'à des jeunes minois ayant moins de vingt ans !

 

La vieille

Non, cela n'était vrai que sous l'ancien pouvoir.

Physiquement parlant, nous sommes les premières

Que, selon le décret, vous devez satisfaire.

 

Le garçon

C'est selon le désir de chacun comme aux dés !

 

La vieille

Mais tu ne dînes pas selon le jeu de dés.

 

Le garçon

Je ne te comprends pas ! C'est à cette porte-là

Que frappera bien fort mon énorme maillet ?

 

La vieille

Mais après que tu aies pénétré mon foyer.

 

Le garçon

Je ne veux point user de ce vieil ustensile.

 

La vieille

Je sais ce que tu loues ;  tu ne t'attendais pas

À me trouver dehors ! Allez ! Embrasse-moi !

 

Le garçon

Je crois que ton amant est un artiste habile.

 

La vieille

Qui est-ce ?

 

Le garçon

    Un barbouilleur de lampes mortuaires.

Surtout qu'il ne voie point cette carcasse à l'air.

 

La vieille

Je sais ce que tu veux !

 

Le garçon

    Je devine tes vœux !

 

La vieille

Au nom de Cythérée dont je suis sous le signe,

Tu te dois de rester en ces lieux, dans ma ligne.

 

Le garçon

Mais c'est de la folie !

 

La vieille

    Tu dis n'importe quoi !

Je t'envoie dans mon lit !

 

Le garçon

Je n'y suis pas tenu

Sauf si tu as payé l'impôt du cinquantième.

 

La vieille

Voyons, par Aphrodite, il le faudra quand même !

Par les jeunes messieurs je suis émoustillée.

 

Le garçon

Par de vieilles peaux, moi, je suis humilié !

Je refuse tout net.

 

La vieille

    Mais ce papier t'y force.

 

Le garçon

Mais qu'est-ce que cela ?

 

La vieille

    Le décret par lequel

Tu dois venir chez moi.

 

Le garçon

    Fais-moi donc la lecture !

 

La vieille

Je lis : « Nous assemblée des femmes, décrétons :

Quand un homme convoite une jeune monture,

Il pourra l'enfiler mais seulement après

Avoir carambolé une vieille roulure.

S'il refuse et persiste à voir la jouvencelle,

La vieille aura le droit de prendre par les couilles

Notre homme... »

 

 

Le garçon

        Oh, là là ! Je me suis fait avoir !

 

La vieille

Obéis à nos lois.

 

Le garçon

    Si l'un de mes amis

Payait la caution afin de me sauver.

 

La vieille

Impossible, les gens du sexe masculin

Ne sont capables que pour un boisseau de grain.

 

Le garçon

Si je veux m'excuser ! Je serais pardonné ?

 

La vieille

Pas de détournement !

 

Le garçon

        En passant pour marchand ?

 

La vieille

Tu en pâtirais fort.

 

Le garçon

    Mais que me reste-t-il ?

 

La vieille

À venir avec moi jusqu'au lit sur-le-champ !

 

Le garçon

Misère, je suis donc obligé d'y passer ?

 

La vieille

Mais oui, à la Diomède, il faudra te forcer.

 

Le garçon

En premier lieu dépose un gramme d'origan ;

Puis, dessous ta dépouille, au moins quatre sarments.

Encercle-toi le front de quelques bandelettes ;

Enfin, pose à ta porte un vase d'eau bénite.

 

 

 

 

 

 

PLOUTOS

(388)

 

 

 

 

 

Sur une place d’Athènes

 

 

1-44 : Corion, serviteur de l’Athénien Chrémyle, est étonné de voir son maître ramener de Delphes un vieil homme aveugle et sale. Chrémyle lui répond que c’est l’oracle qui lui a conseillé d’aborder le premier venu une fois sorti du sanctuaire.

  

45-92 : le vieillard révèle à Chrémyle l’identité de l’individu : il s’agit du dieu de la richesse, Ploutos (l’Argent) qui est devenu aveugle par la seule volonté de Zeus jaloux de ses prérogatives.

  

93-207 : Chrémyle décide de rendre la vue à Ploutos afin que celui-ci n’aille plus visiter que les maisons des honnêtes gens. Ploutos s’inquiète de cette rébellion contre Zeus et lui avoue qu’il est en réalité plus puissant que lui.

  

208-252 : finalement Ploutos consent à se rendre au temple d’Asklépios pour y recouvrer la vue.

  

253-321 : un chœur de vieillards est informé par Carion de la présence de Ploutos. Intermède comique.

  

322-414 : Chrémyle accueille son ami Blepsydémos qui s’aperçoit que celui-ci est devenu très riche, ce qui le rend perplexe. Dans tous les cas, il approuve le projet de son ami.

  

415-618 : une femme vêtue misérablement reproche aux deux hommes leur ingratitude : c’est la Pauvreté. Entre elle et Chrémyle un débat s’instaure. L’Athénien prétend servir avant tout la cause de la justice alors que la vieille femme se déclare être au cœur de toutes les activités humaines et la seule garante de l’harmonie sociale. Bientôt, la Pauvreté est expulsée par les deux compères.

 

619-822 : danse du Chœur. Carion annonce que Ploutos a recouvré la vue et fait le récit de la guérison. Le dieu fait alors pénétrer Carion dans sa demeure qui est devenu un véritable palais. Triomphe de Ploutos.

  

823-1096 : un brave homme vient remercier le dieu de sa mansuétude. Un délateur arrive ensuite pour dénoncer le nouveau système de répartition des richesses, mais il se fait chasser. Enfin, une vieille femme se plaint que le beau garçon (anciennement sans fortune) qu’elle payait jusque-là pour ses faveurs a rompu avec elle maintenant qu’il est devenu riche. Chrémyle se moque d’elle. Le jeune homme survient et poursuit les railleries à son égard.

  

1097-1209 : Hermès, dieu des voleurs, arrive pour se plaindre du nouvel état des choses : en effet, les hommes ne lui font plus de sacrifices, n’ayant désormais plus besoin de ses services. Quant à l’ancien prêtre de Zeus, il décide de servir le nouveau grand dieu, Ploutos. Un cortège en délire porte bientôt en triomphe Ploutos jusqu’à l’Acropole pour l’installer auprès d’Athéna.

 

 

 

 

 

L'ARGENT RECONNU

 

Chrémyle

Hé toi ! Qui es-tu ? Eh ! réponds-moi au plus vite !

 

Ploutos

Qui moi ? Fichez le camp ! Voilà, la chose est dite.

 

Carion (à Chrémyle)

As-tu bien entendu le nom qu'il nous a prononcé.

 

Chrémyle

C'est ta voix rocailleuse : il ne peut la souffrir.

Ma foi, tu t'y prends mal ! Ah ! quel rustaud tu fais !

Et que tu es brutal ! Mon ami (à Ploutos), si tu es

Sensible à la bonté, Réponds-moi, à moi seul,

Je t'en supplie.

 

Ploutos

        Eh ! va voir ailleurs si j'y suis !

 

Carion

Écoute cet augure ! Il vient d'un grand béni !

 

Chrémyle

S'il veut se taire, eh, bien ! je vais sur ce lieu même

Vous le casser en deux !

 

Ploutos

        Mais foutez-moi la paix !

 

Chrémyle

Ah ! tu peux grimacer !

 

Carion

        Je te l'ai déjà dit,

Liquidons l'abruti. Toi, je vais t'emmener

Tout là-haut, sur ce mont : je te ferai tomber

Pour te casser le tronc.

 

Chrémyle

Tu as raison : prends-le !

 

Ploutos

Non, non !

 

Chrémyle

Tu vas parler ?

 

Ploutos

Mais si vous apprenez

Qui je suis, je sais bien que vous m'enfermerez

Et me maltraiterez jusqu'à ce que je meure.

 

Chrémyle

C'est ce que nous ferons si tu ne parles point.

 

Ploutos

D'abord, cessez de me molester.

 

Chrémyle

Tu es libre !

 

Ploutos

Puisqu'il faut avouer un fait qu'auparavant

Je désirais cacher, je vais me présenter :

Voilà, je suis Ploutos !

 

Carion

Ce hideux personnage !

Tu étais donc Ploutos et tu ne disais mot.

 

Chrémyle

Mais qui donc t'a fourré dans ce sale équipage ?

Ô Phébus-Apollon ! Ô Puissance d'En Haut !

Ploutos, c'est vraiment toi ?

 

Ploutos

Oui, c'est moi et bien moi !

 

Chrémyle

Mais d'où sors-tu pour être aussi calamiteux ?

 

Ploutos

Mais de chez Patroclès, il se baigne si peu !

 

Chrémyle

Et ton aveuglement, dis, quelle en est la cause ?

 

Ploutos

C'est à Zeus que je dois cette terrible chose.

Lorsque j'étais enfant, je l'avais menacé

De n'aller au-devant que des gens policés.

Alors il m'aveugla afin que mes bienfaits

Ne se distribuent pas auprès des indigents,

Tant il est vrai que Zeus vomit les pauvres gens.

 

Chrémyle

Mais s'il est vénéré, c'est bien par les modestes.

 

Ploutos

Oui, bien sûr, j'en atteste !

 

Chrémyle

Et si tu voyais clair,

Cesserais-tu d'offrir aux riches des présents ?

 

Ploutos

Je crois assurément que j'en serais capable !

 

Chrémyle

Tu irais désormais chez des gens honorables ?

 

Ploutos

Mais je n'en ai point vu depuis près de mille ans !

 

Carion

Moi non plus, par ailleurs, Et j'ai des yeux pourtant !

 

Ploutos

Laissez-moi m'en aller, vous savez qui je suis !

 

Chrémyle

Ah non ! Nous n'allons pas t'abandonner ainsi !

 

Ploutos

Je m'en doutais ; je vais avoir d'autres ennuis.

 

Chrémyle

Je suis homme de bien, tu chercheras partout :

Tu ne trouveras pas esprit si bien tourné !

N'aie pas peur ! Reste ici, je suis à tes genoux !

 

Ploutos

On dit ça ! Je sais bien qu'une fois dans leurs mains

Ils deviennent alors de sinistres coquins !

 

 

CHRÉMYLE ET LA PAUVRETÉ

 

Chrémyle

Diké veut le bonheur pour tous les gens de bien.

Par contre il faut que les impies et les vauriens

Soient plongés sur-le-champ dans un profond malheur.

Nous avons donc conçu, avec beaucoup d'ardeur,

Un généreux projet valable à tous égards :

Si Ploutos revoit clair, sans marcher au hasard,

Il ira chez les gens ayant quelque vertu

Pour ne plus les quitter, fuyant et les méchants

Et les athées. Par lui chacun sera honnête

Et argenté ; chacun respectera les dieux.

En faveur des humains, qui pourrait trouver mieux ?

Il faut bien voir comment nous vivons aujourd'hui :

Farce de mauvais goût ou crise de folie ?

On voit nombre de gens qui, bien que nauséeux,

Brassent de l'argent sale et s'ébattent dans l'or ;

Mais pour beaucoup, hélas, pour les bons, tout va mal,

Ils ont faim et c'est toi, oui, toi, la Pauvreté

Qui se tient auprès d'eux ; il faut donc que Ploutos

Retrouve ses bons yeux et vienne à bout de toi ;

Poursuivons ce dessein et l’homme vivra mieux.

 

Pauvreté

Ah ! pour vous laisser prendre à ces propos malsains,

Il n'y a pas gibier plus facile que vous,

Vous qui rivalisez en tristes balivernes !

Si Ploutos revoit clair, revient et nous gouverne,

Partageant entre nous une belle équité,

Qui se consacrera aux plus rudes labeurs ?

Personne ! Qui voudra devenir forgeron,

Constructeur de vaisseaux, couturier ou charron,

Cordonnier, briquetier, blanchisseur ou tanneur ?

Qui voudra déchirer par la charrue la terre

Afin de recueillir les fruits de Déméter

Si notre quotidien, c'est de nous prélasser ?

Plus de lit pour dormir : il n'y en aura point !

Plus de tapis non plus car qui voudra tisser

S'il est cousu d'argent ? Tant pis pour les parfums

De la jeune mariée qui s'offre à son mari.

Plus d'étoffes de choix aux couleurs infinies.

Quelle idée d'être riche et de n'avoir profit

De telles choses. Or, par mes soins vigilants,

Je vous procure ce dont vous avez besoin.

Oui, c'est moi qui, pareille à une patronnesse,

Assise en son fauteuil force ces indigents,

Ces pauvres ouvriers à gagner leur argent.

 

Chrémyle

Que donnes-tu vraiment à part de ces brûlures

Autour du brasero, des gosses qui ont faim,

Des vieilles décaties ? C'est toi qui nous procures

Ces bataillons de poux, ces puces (quel essaim !)

Qui bourdonnent sans cesse et chantent ce refrain

Quand nous nous réveillons : « Debout : tu auras faim !  » 

Se vêtir constamment d'un manteau dégueulasse

Avoir pour se coucher  une sale paillasse

De punaises remplie, avoir pour oreiller

Un gros caillou bien dur. Et concernant la bouffe,

À la place d'un pain bien blanc, une guimauve,

À la place d'un pain d'orge, des épluchures,

Au lieu d'un escarbot, une cruche fêlée,

Pour pétrin, un baril tout tarabiscoté.

Voilà, j'ai révélé tout ce que tu procures

Comme nobles bienfaits à notre humanité.

 

Pauvreté

Ce n'est pas ma vie dont tu as fait le tableau

C'est celle des clodos.

 

Chrémyle

                                C'est dit : la Pauvreté

Est forcément la sœur de la mendicité.

 

Pauvreté

La vie du clochard que tu me présentes là

Consiste à exister sans rien avoir pour soi.

Un pauvre épargne et vit d'un labeur assidu :

Il ne manque de rien, laissant le superflu.

 

Chrémyle

Par Déméter, tu nous peins là des bienheureux !

Économiser toujours, trimer toute une vie

Et n'avoir pas les moyens d'être enseveli.

 

Pauvreté

Tu te moques de moi au lieu d'être sérieux.

Tu ne vois pas que je rends les hommes meilleurs

D'esprit et de corps plus que le ferait Ploutos.

Avec lui, vois un peu : leur ventre nous écœure.

Avec moi, taille fine : aussi pour l'ennemi

Ils sont embarrassants.

 

Chrémyle

Forcé ! Tu les affames !

 

Pauvreté

Mais si nous discutions un peu de tempérance :

Sache qu'en mon logis séjourne la décence.

Alors que chez Ploutos habite l'insolence...

Pense à la politique et vois les orateurs :

Tant qu'ils sont sans le sou, ils gardent la mesure.

Les voilà opulents, ils ne sont plus qu'ordures

Et complotent bientôt contre notre régime.

 

Chrémyle

Oui, cela n'est pas faux, malgré tout ton venin.

Mais ne te gonfle pas d'avoir marqué un point...

 

 

 

LE TRIOMPHE DE L'ARGENT

 

La femme

Où est Ploutos ?

 

Carion

Il vient : une foule l'entoure.

Toutes les bonnes gens qui vivaient chichement

Le saluaient du geste et fort joyeusement.

Par contre, les cossus, ceux qui se pavanaient

Grâce aux biens mal acquis, semblaient plus renfrognés.

Plus loin de ces quidams, passaient tout sémillants,

Des hommes couronnés qui bénissaient le ciel.

Et dans le même temps, la terre résonnait

Du pas de ces vieillards chaussés de godillots.

Allons, toutes et tous, chantez d'un même écho !

Dansez ! Formez des chœurs ! Vous ne pourrez plus dire

Que vous n'avez plus rien à mettre sous la dent,

Une fois au foyer.

 

La femme

                        Après cette nouvelle,

Par Hécate, je dois m'apprêter sans tarder

À cuire quelques pains pour couronner ta tête.

 

Carion

Dépêche-toi, les gens approchent de ces lieux.

 

La femme

Je vais m'occuper des cadeaux de bienvenue

Pour ces yeux tout nouveaux.

 

Carion

Je vais au-devant d'eux.

 

Ploutos

D'abord c'est le Soleil que je veux vénérer.

Ensuite je salue la merveilleuse terre

De Pallas et tout le pays des Cécropides.

Ah ! comme je rougis de m'être fourvoyé

Chez des hommes sans foi, au vu des braves gens

Trop longtemps oubliés, malheureux que j'étais !

En fait, je me trompais, et de tous les côtés.

Mais je vais révéler aux hommes, désormais,

Que c'est contre mes vœux que je me prostituais

Devant ces misérables.

 

 

LA VIEILLE BELLE

 

La vieille

Il venait chaque jour à n'importe quelle heure.

 

Chrémyle

Oh ! il pensait à la levée des corps, c'est sûr !

 

La vieille

Non, par Zeus, c'est ma voix qu'il désirait entendre !

Et lorsque j'étais morne, il me disait tout tendre :

« Ô ma douce canette, ô colombe d'azur ! »

 

Chrémyle

Après il demandait peut-être des chaussures !

 

La vieille

Aux Mystères, un jour, élevée sur mon char,

Quelqu'un sur moi osa diriger son regard :

Il en fut si jaloux qu'il me roua de coups.

 

Chrémyle

Il voulait manger seul, voilà toute l'affaire !

 

La vieille

Il disait que mes mains étaient si raffinées.

 

Chrémyle

Oui, elles l'étaient... pour refiler la monnaie !

 

La vieille

...Que ma peau sentait bon.

 

Chrémyle

Tu te parfumes tant !

 

La vieille

...Que j'avais un regard d'une grande beauté.

 

Chrémyle

C'est un malin : il cherche à profiter à fond

D'une vieille excitée !

 

La vieille

Il m'a même avoué

Que tant que je serais en vie, ô grand jamais,

Il ne me laisserait !

 

Chrémyle

Elle est bien bonne, en fait !

Pour lui ton existence est déjà terminée !

 

La vieille

C'est le chagrin qui me torture, ô mon ami.

 

Chrémyle

Non, c'est la pourriture.

 

La vieille

Ah ! notre homme est ici

Lui que j'ai dénoncé depuis un bon moment ! 

On dirait qu'il se rend à une sauterie.

Il porte une couronne et une torche aussi.

 

Le jeune homme

Ô vieille bien-aimée, comme tu as blanchi !

 

La vieille

Pauvrette que je suis ! Voilà qu'il m'injurie !

 

Chrémyle

Oh ! il ne t'a pas vu depuis belle lurette.

 

La vieille

Oh non ! nier encore il était dans ma chambrette !

 

Chrémyle

Ou alors, c'est qu'il fait des autres le contraire :

Plus il picole, plus sa vision est claire.

 

La vieille

Non, non, il a toujours de mauvaises manières !

 

Le jeune homme

Ô par Poséidon, que te voilà flétrie !

 

La vieille

Ah ! n'approche pas ta torche qui m'éblouit !

 

Chrémyle

Si la moindre étincelle arrive à l'effleurer,

Elle s'enflammera comme un bois d'olivier !

 

Le jeune homme

Cela te plairait-il de jouer avec moi ?

 

La vieille

Quoi !

 

Le jeune homme

Mais oui, nous pourrions jouer avec des noix.

 

La vieille

Hein ! jouer avec quoi ?

 

Le jeune homme

                Ben, au jeu que voici :

« Combien as-tu de dents ? »

 

Chrémyle

Je sais, moi : trois, pas plus !

 

Le jeune homme

Non, une molaire et c'est tout : tu as perdu ! 

 

La vieille

Ah ! quelle cruauté ! Tu es d'un odieux !

Me transformer ainsi en baquet à lessive !

 

Le jeune homme

Un lavage pourtant serait judicieux.

 

Chrémyle

Ah, non ! Cet objet est vraiment trop vieillot !

Une fois nettoyé, on n'en verrait que trop

Le visage putride et ses tristes lambeaux !

 

Le jeune homme

Enfin, je dois quitter la vieille créature

Qu'épuisent lourdement dix mille ans de luxure.

 

Chrémyle

Après tout, tu voulais t'abreuver de ce vin :

Il faut maintenant le boire jusqu'à la lie.

 

Le jeune homme

Mais cette lie est vieille, usée, moche et pourrie,

Je te l'assure !

 

Chrémyle

Un filtre et ce vin sera pur.