RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE - Aristophane, le joyeux réactionnaire ( BCS) - ANTHOLOGIE : DE LYSISTRATA À PLOUTOS
ARISTOPHANE
Anthologie comique
1. Des Acharniens aux Oiseaux
SOMMAIRE
- Le poète, défenseur de sa cité
- Hymnes à Poséidon et à Athéna
- Chien en procès !
- De l'avantage d'être un oiseau
(425)
Vue de la Pnix à Athènes
La scène se passe à Athènes sur la Pnix, la demeure de Dicéopolis et sur le marché
1-42 : Sur la Pnix, Dicéopolis évoque avec tristesse le désintérêt que portent les Athéniens à la chose publique ainsi qu’à la conclusion de la paix.
43-60 : les citoyens arrivent sur la Pnix pour débattre à l’appel d’un héraut qui, d’emblée, exclut de l’assemblée Amphithéos qui veut aller à Sparte négocier la paix.
61-90 : arrivée des ambassadeurs athéniens qui reviennent de Perse et qui prétendent avoir ramené un des proches du Grand Roi.
91-124 : Dicéopolis dénonce cette mise en scène honteuse selon lui.
125-133 : Dicéopolis décide, sans l’accord de l’assemblée, d’envoyer Amphithéos à Sparte en vue de conclure la paix.
134-174 : Un ambassadeur Théoros annonce que le roi des Bulgares offre à Athènes le secours de quelques guerriers à vrai dire peu recommandables.
175-203 : Amphithéos revient de Sparte avec la promesse de la paix. Joie de Dicéopolis.
204-279 : le chœur des charbonniers d’Acharnes apprenant avec colère l’accord conclu avec Sparte viennent espionner Dicéopolis qui célèbre les Dionysies champêtres.
280-392 : les charbonniers attaquent Dicéopolis mais, menaçant de poignarder un sac de charbon, notre héros parvient à désarçonner les Acharniens.
393-556 : Après avoir emprunté à Euripide quelques accessoires utilisés par ses héros tragiques, Dicéopolis prononce un discours dénonçant les va-t-en-guerre.
557-627 : un général nommé Lamachos devient pacifiste. Bientôt, le chœur des Acharniens se rallie à l’idée de la paix.
628-664 : parabase. Éloge du poète comique et dénonciations par le coryphée des fautes des Athéniens.
719-728 : la paix revenue, Dicéopolis reprend ses activités marchandes et installe son marché.
729-859 : un Mégarien victime de la famine échange de l’ail et du sel contre deux truies malgré le conseil perfide d’un délateur.
860-958 : un Thébain arrive avec de riches victuailles. Dicéopolis lui offre un délateur contre une anguille.
959–1016 : Dicéopolis qui a refusé de donner son anguille à Lamachos prépare un festin.
1017-1068 : un paysan ruiné à cause des Béotiens conjure Dicéopolis de lui confier un peu de paix mais ce dernier refuse. Par contre une femme dont le mari est toujours à la guerre lui fait la même demande en l’attendrissant bien davantage.
1069-1142 : Lamachos s’apprête à partir au combat. Comme si de rien n’était, Dicéopolis prépare son festin.
1143-1234 : bientôt, Lamachos blessé, revient avec Dicéopolis qui, en compagnie de deux belles jeunes filles, chante les joies de l’amour et du vin. La pièce s’achève par l’éloge de notre héros que le chœur porte triomphalement.
Amphithéos
Tout fougueux je venais t’apporter cette paix
Quand ces vieux durs à cuire ont flairé mes projets.
Ah ! crois-moi, ce sont là de sacrés entêtés,
D’acharnés Acharniens, d’impossibles gaillards,
Du sacré bois d'érable issu de Marathon.
Et voilà ce qu’en chœur m’ont vomi ces braillards :
« Salaud ! Faire la paix quand nos vignes sont sciées ! »
Et pendant tout ce temps, ils ramassaient des pierres.
Moi, je prenais la fuite et les laissaient crier.
Dicéopolis
Laisse-les ! Ainsi donc, tu apportes la paix ?
Amphithéos
Bien entendu ! Et même en un triple exemplaire.
En premier lieu, goûte à la paix de cinq années.
Dicéopolis
Beurk !
Amphithéos
Qu'as-tu à dire ?
Dicéopolis
Elle est loin de me plaire !
Elle sent le goudron et les vaisseaux de guerre.
Amphithéos
Eh bien, prends celle-ci ! Elle est de dix années.
Dicéopolis
Oh que non ! Elle sent fort la diplomatie,
Comme un relent d’alliés qui se font maltraiter.
Amphithéos
Une paix de trente ans, et sur terre et sur mer.
Dicéopolis
Holà ! par Dionysos, fameuse à déguster !
Nectar et ambroisie ! Une joie nous enivre
Rien qu’à la seule idée d'éviter la corvée :
La préparation de trois journées de vivres.
À ma bouche elle dit : « Va à ta fantaisie ! »
Oui, je bois cette paix, je vais la siroter.
Bonjour aux Acharniens ! Moi, j’arrête la guerre
Et je rentre chez moi fêter les Dionysies.
LE POÈTE, DÉFENSEUR DE LA CITÉ
Ce poète vous a porté un satané secours :
Oui, grâce à lui, vous vous méfiez des discours
Étrangers, n'êtes plus ouverts aux flatteries ;
Surtout, vous n'êtes plus de pauvres abrutis.
Jadis, vos délégués, par simple duperie,
Aimaient vous appeler « le peuple couronné
De violettes ». Nommés d'une telle manière,
Vous aimiez vous dresser sur la pointe du cul.
De plus, afin de vous chatouiller encor plus,
On vous parlait de la cité brillante : Athènes !
Avant, il suffisait que la ville illumine,
Qu'elle jette ses feux, pareille à la sardine
Pour vous embobiner. C'est l'un de ses bienfaits.
Puis il vous a montré comment notre régime
Est vu par les alliés : ceux-ci, notons-le bien,
Veulent voir un auteur qui a cette vertu
De toujours parler vrai à la foule athénienne,
Et ce, malgré le fait qu'ils nous versent tribut.
Eh oui ! sa renommée s'est répandue fort loin.
Le Grand Roi, qui parlait aux Lacédémoniens,
Leur demanda le nom du peuple critiqué
Par moi, Aristophane, ajoutant que c'était
Le plus puissant, qu'avec un pareil conseiller,
Par elle ce conflit devrait être gagné.
Porte-moi la corbeille, ô fille, avec joliesse,
Surtout, que ton visage ait l'air le plus modeste.
Tu feras le bonheur de ton futur époux
Et tu lui donneras de bien gentils minous !
En route, maintenant ! Regarde autour de toi !
Prends garde qu'un coquin ne rafle tes bijoux.
Xanthias ! Avec l'ami, aie soin de tenir droit
Ce phallus ! Quant à moi, je vais interpréter
L'hymne phallique. Et toi, femme, reste là-haut,
Sur la terrasse : il faut que tu nous voies partir.
En route, ô doux Phallès, amateur de bombance,
Compagnon de Bacchos, le dieu tant affamé
De femmes très jolies, de garçons raffinés ;
Je vais te saluer, puisque me revoici
Dans mon village après une aussi longue absence :
Ah ! j'ai fini mon temps, j'ai tiré mes cinq ans,
Je me suis conclu pour moi-même une paix :
Du moindre des soucis me voici délivré.
Il est quand même plus attrayant de surprendre
Thratta la bûcheronne en train de voler mon bois,
De la saisir, de la soulever, et puis quoi !
De la bécoter dur, de la dénoyauter !
Phallès, un petit coup ! Nous boirons à la paix
Dès que les premiers feux du matin paraîtront ;
Et puis, sous le manteau de notre cheminée,
Après avoir bien bu, nous suspendrons très haut
Ce sacré bouclier.
Le héraut
Ordre d'état-major : aujourd'hui tu t'en vas !
Allons, mets ton panache ! Oui, il faut au plus vite
Courir malgré ce temps jusqu'aux lieux frontaliers :
Avec d'autres soldats tu devras surveiller.
On m'a dit que des Béotiens profiteraient
De la Fête aux Chaudrons pour lancer quelques raids.
Lamachos
Ces gens d'état-major ! Ah ça ! ils sont nombreux
Mais qu'ils sont tous mauvais, qu'ils sont calamiteux !
Je ne vais pas pouvoir jouer un petit peu !
Dicéopolis
Quelle témérité lamacho-belliqueuse.
Lamachos
Tu te paies le museau d'un homme infortuné.
Dicéopolis
Veux-tu battre Géryon au quadruple plumet ?
Lamachos
Aïe ! Aïe ! Quel ordre vient-on me signifier ?
Le Messager
Eh ! Dicéopolis, grouille-toi de manger !
Allons ! Prends ton litron ainsi que ton panier.
Le prêtre de Bacchos te convie ! Vite enfin !
On n'attend plus que toi ! Tout est prêt, lits, coussins
Couronnes, pains au miel, galettes et parfums.
Chansons pour le banquet, les nénéttes aussi !
Lamachos
Malheureux que je suis !
Dicéopolis
Voilà ce qui arrive
Quand la rude Gorgone est sur le bouclier !
Toi, (à son esclave) ferme la porte et emballe mon dîner !
Lamachos
Gamin, mon baluchon, je veux que tu l'apportes.
Dicéopolis
Gamin, apporte-moi mon panier plein de viandes.
Lamachos
Gamin, du sel au thym, et puis quelques oignons.
Dicéopolis
Quelle horreur, les oignons ! Pour moi, c'est du poisson.
Lamachos
Et puis pour moi, jeune homme, un peu de salaison.
Dicéopolis
Pour moi, gamin, je veux une viande bien grasse.
Que je cuirai sur place.
Lamachos
Va chercher mes plumets
Que je les mette au casque
Dicéopolis
Ô grives, ô pigeons.
Lamachos
Cette plume d'autruche, elle est blanche, dis donc !
Dicéopolis
Cette chair de pigeon, qu'elle est belle et dorée !
Lamachos
Cesse de te moquer de mon équipement !
Dicéopolis
Cesse de regarder mes grives ardemment !
Lamachos
Eh ! passe-moi l'étui pour mettre mes panaches.
Dicéopolis
Toi, passe-moi le plat : un civet de lapin.
Lamachos
Les mites ont bouffé ces plumes, pas malin !
Dicéopolis
En guise de hors-d'œuvre, il y a ce ragoût.
Lamachos
C'est fini maintenant, arrête ton bagout !
Dicéopolis
Je ne te parle pas, je parle à ce garçon.
Parions ! Et Lamachos nous servira d'arbitre.
Quel est donc le meilleur ? Grives ou sauterelles ?
Lamachos
Tu es d'une insolence !
Dicéopolis
Il veut des sauterelles...
Lamachos
Esclave, sors ma lance, apporte-la ici !
Dicéopolis
Esclave, mon cordon à saucisses, merci !
Lamachos
Allons, tirons la lance hors du fourreau, tiens bon !
Dicéopolis
Toi aussi, mon gamin, tiens ferme, déroulons !
(Il déroule une énorme saucisse)
Lamachos
Esclave, les supports du bouclier, plus vite !
Dicéopolis
Moi, ceux de l'estomac : ces petits pains grillés.
Lamachos
Plus vite ! Apporte-moi l'orbe du bouclier.
Dicéopolis
Vite ! La tartelette au fromage fondant.
Lamachos
Ah ! pour nos bonnes gens, ta blague est bien fadasse.
Dicéopolis
Mais pour nos bonnes gens, ce gâteau de fromage
Est vraiment succulent.
Lamachos
Gamin, verse un peu d'huile :
Je vois sur le métal un homme sans vertu.
Dicéopolis
Et toi, astique au miel car j'y vois ce malin
Faisant la nique à Lamachos le Gorgosien.
Lamachos
Gamin, apporte-moi ma cuirasse de guerre.
Dicéopolis
Moi, je veux ma cuirasse, une cruche de vin.
Lamachos
Contre les ennemis, j'en aurais bien besoin.
Dicéopolis
J'en aurais bien besoin lorsque nous trinquerons.
Lamachos
Attache les courroies du bouclier, gamin.
Dicéopolis
Gamin, ficelle-moi ce paquet de mangeaille.
Lamachos
Moi, je vais me charger le dos de tout cela.
Dicéopolis
Moi, je prends mon manteau et je m'en vais de là.
Lamachos
Toi, prends mon bouclier et partons sur le champ.
Ah ! par les dieux ! Il neige et je claque des dents.
Dicéopolis
Mais on a cet en-cas ! On ne claquera pas
Au moins de l'estomac !
Lamachos
Souffrances infinies, effrayantes, ineffables !
Je me meurs sous le coup de la lance ennemie;
Mais le destin, de loin le plus insoutenable,
C'est qu'il me voit ainsi, le Dicéopolis,
Confondu de douleurs, et qu'il puisse narguer
Sans honte mes malheurs.
Dicéopolis
(entrant avec eux femmes autour de lui)
Touchez-moi ces nichons !
C'est ferme, c'est pareil à d'onctueuses pommes.
Ah ! mes jolies, encore un baiser bien profond,
Un baiser bien mouillé : j'ai vidé la bouteille
Le premier !
Lamachos
Ah ! funeste est cette circonstance
Elle fait augmenter mes terribles souffrances !
Dicéopolis
Ah ! bonjour, Lamachos, mon charmant cavalier !
Lamachos
Que mon mal est obtus !
Dicéopolis
Pourquoi me touches-tu ?
Lamachos
Ah ! la douleur me mord !
Dicéopolis
Hé, là ! Tu me mordilles.
Lamachos
Au combat, j'ai payé un écot sans pareil !
Dicéopolis
On ne paie pas ! Et vive la dive bouteille !
Lamachos
Io, io Péan !
Dicéopolis
Ce n'est pas sa fête pourtant !
Lamachos
Allons, soutenez-moi, mes merveilleux amis !
Dicéopolis
Soutenez, mes chéries, le membre que voici !
Tirez-le jusqu'à vous...
Lamachos
J'ai terrible migraine !
Quel choc sur le caillou ! Ah ! je perds connaissance !
Dicéopolis
Allons, plus vite au pieu ! Je m'en vais enfourcher
Nos gracieuses pépées !
Lamachos
Vite, le médecin !
Dicéopolis
Qu'on m'amène au jury des trinqueurs de bons crus !
Où est le roi ! Veuillez me passer l'outre à vin !
Lamachos
Cette lance aiguisée a transpercé mon corps.
Dicéopolis (montrant son outre)
Voyez, je l'ai vidée ! Hourra pour le plus fort !
(Il la lance au Coryphée)
Le Coryphée
Mais c'est qu'il a raison ! Gloire au triomphateur !
Dicéopolis
J'ai tout bu : c'était là le plus corsé des vins !
Le Coryphée
Bravo, noble héros ! Garde ton outre et viens !
Dicéopolis
Escortez-moi en chœur ! Hourra pour le vainqueur !
Le Chœur
Nous allons t'escorter sous nos ovations !
Bravo pour les vainqueurs ! Vive l'outre de vin
Et vive les buveurs !
(424)
Devant la maison de l’Athénien Démos (« Lepeuple » )
1-35 : les serviteurs de Démos, (en fait Démosthène et Nicias, généraux athéniens) en ont assez de leur condition car un nouvel esclave leur fait concurrence, le Paphlagonien Cléon.
36-70 : Démos ne fait plus confiance qu’à Cléon qui en profite largement. Les deux anciens esclaves boivent sur leurs malheurs.
71-112 : les deux compères ont une idée : aller dérober à Cléon les oracles indiquant les causes de sa chute.
113-145 : on apprend que le ciel a décidé de remplacer Cléon par un être pire que lui : un marchand de boudin.
146-233 : le marchand de boudin accepte les fonctions qu’on lui propose.
234-497 : Cléon apparaît avec le chœur des cavaliers athéniens et se dispute avec le marchand de boudin. Mais Cléon est vaincu et va se lamenter auprès du Conseil.
498-610 : parabase. Aristophane vante son talent de comique. Prière à Poséidon et panégyrique des Athéniens d’autrefois.
611-690 : le marchand de boudin exulte d’avoir vaincu son adversaire devant le Conseil.
690-722 : dispute entre les deux démagogues.
723-762 : on décide de présenter les deux rivaux devant Démos afin que celui-ci prenne fait et cause pour l’un ou pour l’autre.
763-880 : le marchand de boudin flatte hypocritement Démos.
881-959 : Démos, victime des ruses du marchand proclame celui-ci vainqueur.
960-1100 : Cléon décide d’utiliser les oracles pour mieux tromper Démos.
1101-1110 : pour influencer Démos, les deux démagogues ont l’idée de lui offrir chacun un festin de roi.
1111-1150 : le chœur reproche amèrement à Démos sa faiblesse face aux deux faquins.
1151-1228 : le concours de cuisine tourne de nouveau à l’avantage du marchand de boudin. Cléon consent enfin à sa défaite définitive.
1265-1315 : intermède. Le coryphée s’en prend férocement à Hyperbolos, un des lieutenants de Cléon.
1316-1395 : le marchand annonce qu’il a transformé Démos en un être jeune et prudent, désormais bien décidé à ne gouverner que sagement. Pour preuve de sa bonne volonté, il reçoit une jeune fille, la « Trêve », qu’il poursuit de ses assiduités.
1396-1408 : Cléon est condamné au mépris général des Athéniens.
Eh bien, notre patron est un parfait rustaud,
Rouspéteur à l'excès, un avaleur de fèves :
Il s'agit de Démos, un habitant de Pnyx,
Un petit vieux grincheux, en plus, sourd comme un pot.
À la dernière foire, à ce que l'on rapporte,
Il achète un esclave, un tanneur fort expert
En mensonge, un filou, le pire de la sorte.
Quand ce Paphlagonien connut le caractère
Du vieux, il le flatta, lui fit maintes courbettes,
Bref le berna avec des rognures de cuir ;
Finalement, voilà ce qu'il osa lui dire :
« Démos, va te laver ! Tu viens de t'occuper
D'une affaire : c'est bon ! Maintenant, va manger !
Surtout, empiffre-toi ! Tiens, voilà ton salaire :
Encore un peu de bouffe ? » Et puis, voilà qu'il chipe
Le plat que nous avions préparé pour le maître :
C'est le cadeau offert par ce Paphlagonite.
L'autre jour, à Pylos, j'avais fait quelques œufs
À la façon spartiate : or, ce fieffé merdeux,
Qui rôdait tout autour, me les pique aussitôt
Et les sert à Démos : dire que c'était moi
Qui les avait battus ! Il nous tient à carreau,
Et interdit à tous de servir le patron.
Et pendant ses repas, muni d'un chasse-mouches,
Il balaie l'orateur qui fuit à la rescousse...
Il chante au vieux des airs qui le rendent dingo.
Dès qu'il le voit flapi, il en tire profit :
Il lance contre nous des bobards de première
Et une pluie de fouet s'abat sur nos derrières.
Puis ce Paphlagonien nous entube en disant :
« Vous voyez, cet Hylas, il va être fouetté :
Si vous ne donnez rien, ça va vous en coûter ! »
Et bien sûr, nous payons. Sinon, c'est notre vieux
Qui nous en fait subir huit fois plus du talon.
Si quelques-uns de ces vieux poètes chenus
Avaient voulu vous faire offrande de leurs vers,
Ça n'aurait pas été une petite affaire.
Mais aujourd'hui, c'est vrai, l'auteur l'a réussi :
En effet, comme vous, il montre sa colère
Pour les mêmes lascars, et il n'a jamais peur
De parler franchement ; il marche avec courage
Contre l'affreux Typhon, contre les ouragans.
Quant à l'étonnement de ceux qui sont venus
Le voir en demandant pourquoi, depuis longtemps,
Il n'a pas fait jouer de pièces sur la scène,
Voici l'explication que l'homme vous assène :
Ce n'est pas sans raison si le délai fut long :
Faire une comédie est chose difficile ;
Combien de gens, en fait, tendent vers cette affaire ;
Combien ont eu, à vrai dire, à s'en satisfaire !
Et puis, voilà longtemps qu'on connaît votre humeur :
Chaque année, on la voit sans cesse varier
Et tous ses devanciers, à vos yeux vieillissants,
Furent vite oubliés. Non, il n'ignore pas
Ce que Magnès a dû subir, le temps venant,
Et bien qu'il ait vaincu tous les autres auteurs.
Pourtant, afin de plaire, il s'était mis en quatre :
Il conçut un oiseau ne songeant qu'à s'ébattre,
Un Lydien, un crapaud de verdâtre couleur.
Hélas ! En sa vieillesse, il fut chassé par vous,
Ce poète choyé dont vous étiez si fous,
Car il ne savait plus comment vous faire rire.
Notre poète garde aussi le souvenir
De Cratinos, celui qui, pareil à la crue,
Développait son cours sur la scène en délire,
Arrachant en chemin les chênes, les platanes,
Les ennuis, les rivaux. Dans les banquets d'alors,
On ne chantait plus que « Dora aux souliers d'or »
Ou bien : « Ô ajusteurs de chansons rigolotes »,
Tant le poète était dans le goût de son temps.
Mais quand vous le voyez tout vieux et qui radote,
Vous n'avez pas pitié de lui dorénavant ;
Il est tout déhanché et tout désaccordé,
Lui dont chaque jointure est faible et se disloque.
Avec ces vieux lauriers secs comme de l'amadou,
Épuisée par les ans, cette pauvre breloque
Devrait se rafraîchir aux frais de la cité
Et s'asseoir ici-même au beau milieu de vous.
Ce serait mieux pour lui au lieu de chevroter !
Et Cratès, que d'affronts n’a-t-il pas endurés ?
Que de tollés subis ! Et pourtant son humour
Vous offrait un repas succulent de maximes,
D'ailleurs, avec quel art ! Mais il a tenu bon
En alternant succès et chutes quelquefois.
Donc, pour tous ces motifs, puisqu'en homme sensé,
Il ne s'est point jeté sur la scène comique
Afin de débiter mille stupidités,
Soulevez, je vous prie, mille applaudissements ;
Accompagnez-le de vos encouragements :
Afin que votre auteur, rayonnant du succès
- Son désir absolu -, et tout comblé de joie,
Se retire d'ici...
Ô prince des chevaux, ô toi qui te délectes
De leurs hennissements, qui aimes leur galop
Ce roulement pareil au vacarme du fer,
Qui te réjouis des becs bleutés de nos galères,
Et des courses de char où la jeunesse est fière
Même si les accable un misérable sort,
Participe à ce chœur avec ton Trident d’or,
Ô maître des dauphins vénéré à Sounion,
Honoré à Gester, fils de Kronos, chéri
Plus que les autres dieux par la sainte Phormion
Et par notre cité. Ô déesse poliade,
Pallas, toi qui régis la plus sacrée des terres,
La plus grande qui soit grâce à ses militaires,
Par ses poètes, par son renom glorieux,
Viens jusqu’à nous ! Amène avec toi celle qui
Dans les exploits guerriers nous rend victorieux,
Qui se mêle à nos chœurs contre nos adversaires.
Montre-toi aujourd'hui, couronne nos soldats !
(423)
Devant la maison de Strepsiade à laquelle fait face celle de Socrate
1-74 : l’Athénien Strepsiade se plaint de son fils Philippide dont le goût pour les sports équestres le ruine. Désabusé, il se met à regretter son mariage.
75-124 : Strepsiade décide d’envoyer son fils apprendre l’art de défendre les mauvaises causes auprès de Socrate. Ainsi, pense-t-il, il sera possible de déjouer les arguments pourtant justifiés de ses créanciers. Or, Philippide refuse.
125-183 : Strepsiade décide d’aller lui même s’instruire chez Socrate.
184-217 : un disciple du maître tente de lui prouver les vertus de l’enseignement socratique.
218-313 : Strepsiade découvre Socrate méditant suspendu en l’air dans un panier et invoquant ses divinités les Nuées. Celles-ci s’approchent du maître en chantant.
314-509 : Socrate révèle à Strepsiade que les dieux n’existent guère et que tous les phénomènes s’expliquent par le Ciel. Il promet à son visiteur de faire de lui un violent débateur grâce à la force de ses leçons.
506-626 : le coryphée fait l’éloge d’Aristophane et proclame la bienveillance des Nuées pour les honnêtes gens.
627-745 : Socrate chasse de chez lui Strepsiade qui s’est révélé un élève calamiteux. Seule une méditation solitaire permettra à son disciple de s’améliorer.
783-866 : Strepsiade décide d’envoyer à sa place son fils chez Socrate. Tout en lui faisant étalage de ses nouvelles connaissances théologiques, il emmène Philippide jusqu’à la maison du maître.
867-888 : Socrate présente au jeune homme les Deux raisonnements qui résident chez lui, le Juste et l’Injuste.
889-1114 : bientôt, les deux allégories se disputent. Le Raisonnement juste vante les mérites de l’éducation d’antan alors que le Raisonnement injuste propose à Philippide de suivre la voie de l’immoralité. Le Juste capitule et le jeune homme consent à suivre l’Injuste.
1115-1130 : les Nuées s’autoglorifient et menacent les méchants d’une pluie de grêle.
1131-1176 : Socrate rend à Strepsiade un fils désormais inculqué dans l’art de bien parler.
1177-1212 : Philippide dit à son père qu’il peut avec aisance contester ses créanciers et lui fournit quelques astuces.
1213-1302 : deux créanciers sont victimes des l’argumentation inattaquable que son fils lui a révélée.
1303-1475 : revenant d’un banquet organisé par son fils, Strepsiade est outré : Philippide vient de le battre puis de justifier froidement son attitude. Il conteste les théories de Socrate. Le malheureux père raconte au chœur sa mésaventure et comprend tout le danger de l’enseignement socratique.
1475-1510 : pour se venger de Socrate et avec le consentement des dieux et de la Justice, Strepsiade va incendier la maison du philosophe.
Strepsiade
Je désire sa mort, celle qui me maria
Avec ta mère. Avant, j'avais la belle vie
À la campagne au sein d'une grande maison :
Pas de coups de balai ! Abeilles à foison !
J'avais quelques brebis et de bonnes olives.
Soudain, la nièce de Mégaclès nous arrive.
Moi, j'étais campagnard, elle était citadine,
Une prétentieuse, une vraie gourgandine.
Lors du repas nuptial, je sentais bon le vin,
Le fromage frais, la laine, bref, l'abondance.
Par contre, elle, sentait les baisers, le parfum,
Le safran, la dépense...
Le Chœur des nuées
Je te salue patron des subtils baratins,
Expose tes desseins. Parmi tant de parleurs
Diserts dont les propos se perdent dans les airs
Nul autre que toi ne répond mieux aux attentes,
Si ce n’est Prodicos : lui, pour son jugement,
Sa parole sensée, et toi pour ta façon
De marcher droitement, fièrement dans les rues,
De loucher sur les gens et de marcher pieds-nus
- Mais que tu dois souffrir ! -, et ce visage grave.
Strespsiade
Par Gaia ! Quelle voix ! Sacrée, prodigieuse...
Socrate
Saintes sont les nuées ; le reste est âneries !
Strepsiade
Mais au nom de Gaia, notre Zeus Olympien
Est-il vraiment divin ?
Socrate
Qui ça ! Zeus ! Quelle erreur ! Mais il n’existe point !
Strepsiade
Quoi ! Que me dis-tu là ? Alors qui fait la pluie ?
Explique-moi d’abord cela, je t'en supplie !
Socrate
Ce sont elles, bien sûr ! Je vais te le prouver.
Voyons, ce Zeus, l’as-tu vu pleuvoir sans nuées ?
Il pourrait aussi bien le faire par beau temps
Quand celles-ci ne sont visibles dans les cieux.
Strepsiade
Pour cette question, tes vues sont pertinentes.
Dire qu’auparavant, je croyais simplement
Que notre dieu pissait à travers une passoire.
Mais le tonnerre, enfin, ce fracas qui me mine ?
Socrate
Ce sont les nuées qui tonnent par leur roulis.
Strepsiade
Explique-moi, ô maître à l'audace infinie.
Socrate
Une fois remplies d’eau, forcées de se mouvoir,
Elles flottent très bas toutes gorgées de pluie.
Alourdi, tout ce flot finit par éclater.
Strepsiade
Celui qui les contraint, c’est la Divinité ?
Socrate
Non, non, pas du tout ! C’est le tourbillon des airs.
Strepsiade
Un tourbillon ? Ma foi, je n’y ai pas pensé.
Il n’y a pas de Zeus, et seul Tourbillon est !
Je vais vous relater l'ancienne éducation
Du temps où je passais un temps appréciable
À vanter la justice et l'humble tempérance.
L'enfant devait alors, en toutes circonstances,
Ne pas parler trop fort, bref garder le silence !
Et lorsqu'on se rendait chez le prof de musique,
Il fallait autrefois dans la rue marcher droit,
Bien serré, revêtu d'une simple tunique,
Et tant pis pour le froid. Sans serrer les mollets,
On chantait tous en chœur ces glorieux couplets :
« L'invincible Pallas qui défait les cités ».
Et chacun s'appliquait à conserver ces chants,
Ces testaments légués par nos pieux ascendants.
À la moindre incartade, et dès qu'on pratiquait
Ces inepties - en vogue aujourd'hui - on était,
Sans délai, châtié de façon corporelle.
Chez le gymnaste, enfin, les cuisses étendues
Chacun restait assis, pour ne pas exposer
Au regard du public des choses malvenues.
On prenait alors soin d'effacer aussitôt,
Quand on était debout, toute trace laissée
Par l'intime instrument, celui que des ballots
Apprécient d'un peu près. Les gamins de ce temps
Ne mettaient jamais d'huile en dessous du nombril,
Si bien qu'aux alentours de leur sexe poussait
Doux comme un jeune coing, un caressant duvet.
C'est d'un œil ingénu qu'on approchait l'éraste.
Au banquet, nul n'osait manger avant les vieux,
Ni toucher aux douceurs, ni rire comme un fou,
Pas de jambes croisées. C'est ainsi, voyez-vous,
Avec ces vieilleries que l'éducation
A forgé les héros vainqueurs à Marathon...
...Aussi, jeune homme, c'est sans contestation,
Qu'il te faut me choisir ! Évite les bains chauds,
Rougis devant la honte, hais la place publique.
Tu es moqué ? Répond par de rudes répliques.
Lève-toi quand tu vois passer de vieilles gens.
Sois sans faille à l'égard de tes pauvres parents.
Pour paraître gentil ne sois pas impudique :
Ne t'aventure point avec quelque danseuse
De peur d'être insulté par l'une de ces gueuses :
Ta réputation en souffrirait beaucoup.
Ne réplique jamais à ton père, et surtout
Ne lui rappelle pas son âge, il te vénère...
Tu iras au gymnase, un teint rose d'éclat,
Au lieu de babiller en vain à l'Agora
Comme le font certains, au lieu de t'abîmer
L'esprit en usant de mille finasseries.
Tu viendras t'entraîner sous les saints oliviers
De l'Académie, ceint d'une couronne blanche
De joncs, déambulant avec ton compagnon,
Respirant dans la paix le parfum embaumé
Des anciens peupliers secoués par le vent,
Goûtant au charme pur du printemps, lorsque l'orme
Et le platane exquis parlent en chuchotant.
Philippide, je vais te montrer le danger
Qu'il y a pour toi-même à nier les plaisirs,
À refuser la vie, les femmes, les garçons,
Le vin, que sais-je encore... Oui, s'il faut te priver
De tout cela, autant ne plus vivre sur terre !
Voyons, examinons les naturels besoins !
Tu veux baiser ? On t'a surpris en adultère.
Tu te sens bien gêné, tu préfères te taire ?
Grâce à moi, tu ne te sentiras plus morveux !
Tu suivras ton instinct, tu pourras être heureux.
Surpris à copuler ? Nie que tu es coupable !
Rends responsable Zeus, ce bécoteur de femmes !
Car, en effet, comment, toi un pauvre mortel,
Pourrais-tu devenir plus fort qu’un Immortel ?
Selon lui, Simonide était piètre écrivain.
D'abord je ne dis mot ! Puis je me décidai
À clamer de l'Eschyle : il s'écria soudain :
« Eschyle est le meilleur, mais dans l'incohérence,
Le vacarme rugueux et la grandiloquence ! »
Je fus bien irrité mais gardai le silence.
« Déclame-moi des vers de nos nouveaux poètes ! »
Lui dis-je ; et il chanta un morceau d'Euripide,
Où il était question, par tous nos dieux, d'inceste !
Je ne pus m'empêcher de lâcher des injures.
Il m'insulta de même et se jeta sur moi :
Il me pulvérisa, me cogna, me broya !
(422)
La scène se passe à Athènes près de la maison de Charicléon
1-135 : deux esclaves montent la garde devant la maison de Chéricléon en plaisantant. L’un d’eux, Xanthias, évoque ce vieil homme qu’ils sont chargés de surveiller : il siège au tribunal et est obsédé par l’idée de condamner à tout prix. Aussi son fils Philocléon est-il obligé de le retenir prisonnier chez lui.
136-229 : Charicléon essaie de s’échapper mais il en est empêché. Autres tentatives de fuite.
230-315 : le Chœur des vieillards arrive devant la maison et trouve pour le moins étrange de ne pas voir Charicléon prêt à se rendre au tribunal
316-366 : le vieil homme prévient le groupe qu’il lui est impossible de sortir.
367-394 : Charicléon tente de s’enfuir avec l’aide du Chœur mais Philocléon, prévenu, le retient.
395-547 : Philocléon tente de parler avec le chœur, puis laisse parler son père.
548-649 : Charicléon explique les raisons pour lesquelles il ne se passionne pas pour ses fonctions de juge. Le Chœur applaudit à ses paroles.
650-763 : Philocléon prouve au Chœur que les juges ne sont en réalité que des jouets entre les mains des démagogues. Le chœur ouvre les yeux mais Charicléon ne veut rien entendre.
764-798 : Philocléon convainc finalement son père à devenir seul juge chez lui.
799-1008 : Procès à domicile : l’accusé est le chien Brigand qui a volé un fromage. Charicléon est inflexible. Philocléon assure la défense du chien. Le juge est prêt à la clémence. Mais Philocléon réussit à contenter son père dans ce simulacre de procès. Il lui promet d’être traité comme un roi.
1009-1121 : parabase avec éloge d’Aristophane et des « guêpes » de Marathon. Dénonciation du fonctionnement de la justice athénienne.
1122-1291 : Philocléon offre à son père des habits somptueux et lui donne des conseils pour bien se tenir dans le monde. Ils s’en vont ensuite dîner en ville.
1292-1449 : Xanthias annonce que le vieillard qui s’est enivré se conduit de façon scandaleuse. Philocléon l’enferme de nouveau chez lui. Le Chœur est aussi tout requinqué et se réjouit de la bonne humeur de Charicléon.
1450-1537 : Charicléon s’échappe encore et se livre à tous les plaisirs. Des danseurs ne parviennent pas à rivaliser avec lui.
Quand je rentre au logis avec mes quelques sous,
J'aime que mes enfants se jettent à mon cou.
Ma fille me toilette et parfume mes pieds ;
Elle me flatte et m'offre un suave baiser.
Elle en profite pour de ma bouche enlever
Mes oboles. Ma femme a fait un bon soufflé;
Assise à mes côtés, je me dois de manger.
C'est cela qui me plaît ! Je ne suis pas forcé
D'appuyer mon regard sur le maître d'hôtel
Afin que le repas me soit enfin donné.
Et sans injure aucune, on me fait un gâteau.
Tels sont donc « les remparts contre les infortunes »
Que je me sui bâti et l'« l'armure protectrice »
Contre la lance aigue dont je me suis muni.
Philocléon
Quel est cet accusé ?
Bdélycléon
Lui !
Philocléon
Qu'est-ce qu'il va prendre !
Bdélycléon
Bon, écoutez ce dont on accuse ce chien !
Le citoyen Cabot se plaint du sieur Brigand :
Il a bouffé un bon fromage sicilien
Et je réclame à son encontre le carcan.
Philocléon
Non, moi je veux qu'il meurt comme le chien qu'il est,
Si bien sûr, il n'est pas acquitté sur-le-champ !
Bdélycléon
Et voici devant vous le prévenu Brigand !
Philocléon
Le salaud intégral ! Une tronche de chiottes !
Il pense me la faire en serrant les quenottes !
Bdélycléon
Mais où est le plaignant, le citoyen Cabot ?
Cabot
Ouaf ! Vous avez donné lecture de ma plainte
Contre cet accusé, lui qui a perpétré
Contre moi un forfait honteux, qui a chipé
Ce fromage onctueux, qui s'en est empiffré
Dans l'ombre...
Philocléon
Oui, par Zeus ! On ne peut le nier :
Il a roté ! Ça pue le fromage à plein nez !
Cabot
Et il a refusé la part que je voulais.
Voyons, comment pourrais-je être un bon chien fidèle
Si je n'ai droit à rien.
Philocléon
Quoi, il n'a rien cédé ?
Cabot
Eh non ! pas un chouya, moi qui suis son intime !
Philocléon
Voilà un aigrefin plus chaud que ces lentilles.
Bdélycléon
Mon père, pas un mot avant de confronter
L'avis des deux parties.
Philocléon
Tout est d'une clarté,
Le top de l'évidence !
Cabot
Ouais, ouais, pas de pitié !
C'est un être morfale, un monstre d'égoïsme,
En plus, ne laissant rien au fond de la marmite.
Châtions-le : deux voleurs dans une même orbite,
C'est trop ! Je ne veux pas gueuler le ventre vide.
Tant pis, plus d'aboiements !
Bdélycléon
Tâche ingrate, il est vrai
Que d'apologiser sur un dossier si lourd,
Qui plus est, d'un clébart ! Pourtant, je parlerai !
Je vous le dis, ce chien est un chasseur de loups.
Philocléon
Non, c'est un chapardeur et un conspirateur.
Bdélycléon
Sûrement pas, par Zeus ! C'est la crème des chiens,
Pour troupeaux de moutons un vigilant gardien.
Philocléon
Peuh ! c'est un bon à rien : il bouffe les fromages.
Bdélycléon
Il te défend fort bien, il surveille ta porte,
C'est un bon compagnon ! Bon, il a chapardé,
Et alors ? Sois clément ! Ce n'est quand même pas
Un citharède ! Allons, pitié pour cette bête !
Brigand ne mange en fait que de pauvres arêtes.
C'est un bon garde-chiourme. Alors que celui-là
Reste au fond de sa niche et réclame bien fort
Tout ce qu'il voit passer au-dessus du museau :
Qu'on lui refuse, il mord !
S'il convient d'accorder des honneurs à celui
Que l'on voit aujourd'hui comme un maître absolu
Dans l'art comique, eh bien, le poète le dit :
Il mérite vraiment de ceindre ces lauriers.
Car il est le premier à avoir balayé
Ces blagues de potache éreintant à la fois
De pauvres péquenauds, de misérables cliques :
Plus question avec lui d'Héraklès faméliques,
Ni d'esclave fuyant, ni de ces pitreries
Proférées contre ceux qu'on cogne sans répit.
Le poète a mis fin à tant de pauvretés,
Adieux bouffonneries, adieux grossièretés :
On mise désormais sur la vraie qualité,
On dresse la maison sur de nobles discours,
Sur de hautes pensées, sur divers traits d'humour.
En scène, pas de femme, ou d'être insignifiant.
Il s'est même attaqué au monde des puissants
Malgré l'odeur fétide issue des tanneries,
Bien qu'il ait dû subir les plus dures menaces.
J'ai combattu le monstre et sa rude mâchoire
Dont les yeux vous lançaient du feu plein de fureur
Tandis qu'autour de lui, ces maudits flagorneurs
Venaient le pourlécher ! Ce monstre rugissait
Comme un torrent dément ; comme un phoque il puait ;
Son gros cul ressemblait à celui d'un chameau ;
Et ses couilles étaient d'une horreur indicible.
Mais je suis resté digne en défendant les Iles,
Vous défendant de même ! Après ce dévouement,
Normal que vous soyez à moi reconnaissants.
Sachez encore que, malgré tant de succès,
Je n'ai point pour autant commencé à séduire
Les beaux adolescents qu'au gymnase on voit luire.
Non, je m'en suis allé après avoir ému
Après avoir fait rire, et conscient d'avoir su
Mon devoir accomplir. Aussi gamins, garçons
Un peu plus mûrs, soyez de mon côté, et vous,
Les crânes dénudés, contribuez aux lauriers
Futurs, car une fois vainqueurs, vous aurez droit
D'être servis pendant les fêtes tels des rois !
Car comment pourrait-on refuser des lauriers
À ce front dégarni, ce front si enchanteur,
Celui de votre auteur ?
(421)
La scène se passe sur l’Olympe et à Athènes
1-49 : deux esclaves préparent le repas d’un bousier que Trygée, leur maître, garde dans son étable.
50-81 : l’un des esclaves annonce que son maître désire obtenir des dieux le retour de la Paix et que, pour arriver à ses fins, il n’hésiterait pas à aller les visiter sur l’Olympe.
82-179 : Trygée apparaît. Malgré les supplications des esclaves et de sa fille, il s’envole sur son bousier géant pour atteindre l’Olympe.
180-235 : Trygée ne trouve là-haut qu’Hermès car les dieux, fatigués des humains, se sont exilés.
236-288 : loin des regards, Trygée aperçoit Polémos (la Guerre) accompagnée de la Mêlée qui s’apprêtent à trucider la Grèce. Mais les deux compères n’ont pas à leur disposition leurs outils qui sont Brasidas et Cléon, morts récemment. Il leur faut forger un nouvel instrument.
289-360 : Trygée veut profiter de ce temps mort pour libérer la Paix de sa caverne. Il demande à cet effet le secours de toutes les cités. Bientôt, des Spartiates, des Athéniens et tous les Grecs accourent vers lui.
361-430 : Hermès veut empêcher la délivrance de la Paix mais finit par y consentir.
431-519 : malgré quelques difficultés (des traîtres ralentissent la délivrance), les paysans de l’Attique pleins d’enthousiasme délivrent la Paix.
520-600 : la Paix apparaît dans toute sa splendeur : elle est entourée de deux belles femmes : Opora (déesse des fruits) et Théoria (déesse des moissons).
601-656 : Hermès explique qu’en raison de la folie des hommes, ces belles divinités n’ont pu offrir leur bienveillance.
657-728 : Trygée promet au nom de tous les hommes de ne plus mépriser la Paix. Hermès lui confie la divinité avec pour mission de la rendre à la Boulê d’Athènes. Trygée la ramène sur terre avec Opora et Théoria.
728-773 : parabase. Aristophane fait son propre éloge.
774-855 : retour de Trygée sur terre. Son domestique lui demande des nouvelles de l’Olympe.
856-922 : le Chœur félicite Trygée qui, comme promis, remet la Paix entre les mains de la Boulê.
923-1042 : on prépare un sacrifice rituel à la Paix. Prière fervente mais comique.
1043-1126 : un devin, Hiéroclès, qui profitait de la guerre, est chassé sans avoir obtenu une part de l’agneau du sacrifice.
1127-1190 : après avoir chanté les bienfaits de la paix, le Chœur injurie les fauteurs de guerre.
1191-1264 : un marchand de faux remercie Trygée d’avoir redoré son métier alors qu’un armurier se lamente du retour de la paix.
1265-1304 : un petit garçon survient. Trygée ne parvenant pas à lui faire chanter des couplets de paix le chasse. Il est vrai que c’est le fils d’un officier belliciste. Un autre enfant lui chante les couplets qu’il désire mais critique son père qui a déserté le champ de bataille.
1305-1359 : chant de joie et triomphe de Trygée.
Trygée
Écoutez tous : avis à la population !
Que tous les laboureurs prennent leurs instruments
Sans délai, une seule et même direction :
Les champs ! Un bon conseil : ni lances, ni épées !
Après avoir chanté le sublime péan
Que tout homme retourne au labeur dans ses champs.
Le Coryphée
Aube tant attendue par les honnêtes gens,
Par tous les paysans, ah ! que je me réjouis
À te voir scintiller ! Je m'en vais saluer
Mes vignes, mes figuiers, ceux que j'avais plantés
Lorsque j'étais jeunot. Comme l'envie me prend
De vous embrasser fort après ma longue absence.
Trygée
Mais d'abord, mes amis, il nous faut remercier
Notre divinité car elle a balayé
Devant nos yeux plumets et tête de Gorgone.
Ensuite, nous irons aux champs, à la maison
Après nous être, en route, approvisionnés
En belles salaisons.
Hermès
Comme c'est beau à voir
Tous ces gaillards qui, comme autour d'une galette,
Se retrouvent ensemble ave la joie en tête.
Trygée
Morbleu ! C'est tout joli une pioche astiquée !
Et les fourches ! C'est beau de les voir scintiller
Sous les dents du soleil ! La vigne en a besoin.
Je suis tout ébaubi de retourner aux champs
Et de retravailler à la houe mon lopin.
Holà ! depuis le temps ! Souvenez-vous, les gars,
La vie que l'on menait grâce à Elle autrefois.
Le vin, le parfum de violettes près du puits,
Les olives aussi ! Ah ! quelle nostalgie !
Pour ces biens absolus, il faut que l'on adresse
Mille actions de grâce à la noble Déesse.
Le Coryphée
Joie de revoir la pluie juste après les semences
Et d'entendre un voisin vous dire : « Ben, voyons !
Que faire maintenant ? » Et moi, je lui réponds :
« Allons boire un bon coup, le ciel est favorable
Et travaille pour nous. Ma femme, grille-nous
Des haricots avec des grains de blé ! Des figues
Aussi ! Dis à Scyra qu'il prévienne Manès,
De se tirer des champs : pas de vigne aujourd'hui
À tailler, car la terre, elle est gonflée de pluie ! »
Quant au voisin, il dit : « Je vais à la maison :
J'ai là-bas une grive ainsi que deux pinsons,
Du lait caillé, enfin de gros morceaux de lièvre;
À moins que la belette ait emporté sa part :
Il y avait un tel boucan chez moi hier soir ! »
Chœur
Plus de casque ! Ouf c'est bon ! Fini fromage, oignon !
C'est vrai que les combats, je les déteste à fond !
J'aime par-dessus tout siroter près du feu
Du bon vin, je préfère aussi chauffer mes faines,
Faire griller mes pois, tisonner la Thratta
Pendant que la matrone en son bain se nettoie.
Vraiment, c'est le bonheur d'écouter la cigale,
De parcourir nos ceps, voir pousser les raisins !
Quel plaisir d'observer la figue qui mûrit,
Puis de s'en délecter ! La joie de s'écrier :
« Le temps passe en beauté », de préparer ensuite
Une douce infusion. Et j'engraisse bien vite !
Ah ! la belle saison !
Trygée
Approche mon petit, que vas-tu me chanter ?
L'enfant
« Commençons par louer nos milices d'enfants. »
Trygée
Ah ! ne me parle plus des milices d'enfants
En ce grand jour de paix. Serais-tu un crétin
Ou bien un garnement ?
L'enfant
« Quand ils furent tout près,
Soudain, l'un contre l'autre on les vit se ruer ;
Bientôt les boucliers purent s'entrechoquer ! »
Trygée
Boucliers ? Voudras-tu cesser de m'en parler ?
L'enfant
« Ensemble on entendit des lamentations
Et des cris de victoire. »
Trygée
Hein ! lamentations ?
Je m'en vais te donner une correction !
L'enfant
Mais que puis-je chanter ? Voyons ce que tu veux.
Trygée
« Ils mangèrent des bœufs. » Ou encore ceci :
« On servit à manger les mets les plus exquis. »
L'enfant
« Un bœuf fut leur repas : ils ôtèrent la bride
Aux destriers suants, repus de leurs combats. »
Trygée
Oui, repus de combats ! Mais après ils mangèrent.
Chante donc comment ils mangeaient ainsi repus.
L'enfant
« Enfin de leur cuirasse ils purent se blinder. »
Trygée
Ce devait être avec un plaisir absolu !
L'enfant
« Ils quittent leurs remparts avec des cris fort drus. »
Trygée
Infâme chenapan, je veux que tu t'en ailles !
Et emmène avec toi tes horribles batailles !
Car ça suffit ! Tu ne chantes que les combats !
Va-t-en plutôt chanter ces couplets aux soldats.
Trygée
Ce qu'il faut faire, eh bien, bouffer, ou plutôt non !
Engloutir la mangeaille ! Amis, activez-vous !
Bougez bien la mâchoire et surtout, pressez-vous !
Les dents blanches, parfait, ça, je veux bien le croire,
Mais ça ne sert à rien quand on a rien dessous.
Le Coryphée
On y va ! C'est gentil de dire tout cela !
Affamés d'autrefois, goûtez-moi ce gibier,
Cette viande de choix ! Ce n'est pas tous les jours
Que l'on voit des gâteaux qui sont en liberté.
Allez ! Mordez ! Sinon, vous le regretterez.
Trygée
Vite, vite, les flambeaux ! Il faut se préparer
À voir le fiancé. C'est l'instant où la joie
Doit tous nous exciter ! On va rapatrier
Nos outils dans les champs après avoir prié
Nos dieux, après le vin et les libations,
Après avoir dansé, après Hyperbolos
Et son expulsion. Que les dieux nous accordent
L'opulence, et, sans faire une distinction,
Nous prodiguent du vin, de l'orge en abondance,
Des figues sans arrêt. Que tout cela défile
Et qu'on croque dedans ! Que nos femmes fertiles
Fassent de beaux enfants ! Que le blé du bonheur
Qu'on avait oublié depuis bien trop longtemps
Revienne dans nos cœur ! Qu'il nous étreigne ! À bas
La lumière d'acier ! Ah ! ma jolie compagne,
Viens faire un petit tour aux champs : c'est le moment
De prouver tes désirs dans le mitan du lit.
Hymen ! Ô hyménée ! Merveilleux jour de liesse !
Le Coryphée
Elle est bien méritée ton insigne allégresse !
Heureux, trois fois heureux ! Hymen ! Ô hyménée !
Merveilleux jour de liesse !
Trygée
Et qu'allons-nous lui faire ?
Chœur
Nous la vendangerons.
Le Coryphée
Amis du premier rang,
Portons le fiancé sur le pavois ! Ô joie !
Trygée
Vous aurez au foyer une vie sans tracas,
Passée à récolter la gerbe du plaisir.
Hymen ! Ô hyménée ! Jour dont il faut jouir !
Chœur
Hymen ! Ô hyménée ! Jour dont il faut jouir !
Le Coryphée
Son fruit, qu'il est dodu, qu'il est gras à loisir !
Celui de l'épousée, comme il est agréable !
Trygée
Eh ! Attends d'avoir bu des coupes innombrables !
Hymen ! Ô hyménée ! Ô jour si favorable !
Au revoir, mes amis, je vous dis à bientôt :
Et suivez mon chemin sillonné de gâteaux !
(414)
Dans les airs parmi les oiseaux
1-91 : Pisthétairos et son ami Évelpidès se promènent dans un bois à la recherche de l’oiseau Épops qui doit leur indiquer le chemin qui les mènera jusqu’à ce lieu où ils pourront oublier les déceptions de la cité.
92-193 : Épops se montre à eux. Pisthétairos, qui est fatigué d’Athènes et de ses folies, espère que l’oiseau va lui offrir une nouvelle vie.
194-262 : Pisthétairos persuade l’oiseau que la cité qu’il veut fonder sera parfaite. Épops est prêt à franchir le pas et appelle sa fiancée et tous les autres oiseaux.
263-365 : d’abord méfiants à l’égard de Pisisthétairos, les Oiseaux finissent par accepter ses volontés.
367-675 : dans un discours, Pisthétairos prouve aux Oiseaux combien leur race est ancienne et merveilleuse, et à quel point elle devrait gouverner à la fois le monde des dieux et celui des hommes. Les Oiseaux adoptent définitivement les deux amis.
676-800 : les Oiseaux s‘autoglorifient et promettent d’obéir à leurs nouveaux maîtres.
800-861 : les deux compères s’habillent en oiseaux et décident d’appeler leur cité « Coucouville ».
862-1057 : un prêtre prononce les rites de fondation. Puis un poète misérable désire chanter les louanges de la nouvelle cité. Un oracle survient mais il est vite chassé. Enfin un architecte tente de faire accepter ses plans d’urbanisme. Lui aussi est chassé. Enfin, un marchand de décrets prétend vouloir adapter à la cité les règles athéniennes. Finalement, il se fait expulser.
1058-1198 : chœur des oiseaux. Un messager arrive pour inspecter les travaux de construction de la ville. Un deuxième annonce que les Dieux veulent franchir la frontière du domaine des Oiseaux. Iris, envoyée par les Olympiens, annonce en effet l’ultimatum de ses maîtres.
1199-1469 : Pisthétairos se moque des menaces divines et renvoie Iris. Les hommes, dès lors, s’empressent de venir à Coucouville. Le premier de ces visiteurs qui espère pouvoir y tuer son père est vertement refoulé. Un mauvais poète qui cherche à y acclimater ses vers est également expulsé de même qu’un délateur.
1470-1693 : après un chœur, Prométhée rend visite à la communauté pour annoncer que les dieux vaincus par la famine consentent à négocier. Puis Poséidon et Héraklès descendent jusqu’à la cité et acceptent les conditions de la reddition. Finalement Zeus renonce à ses pouvoirs.
1694-1765 : Pisthétairos triomphe et une cantate le proclame dieu des dieux dans la bonne humeur générale.
Évelpidès
Par Héraklès ! Quelle est cette drôle de bête ?
Quel étrange plumage ! Et cette triple aigrette !
Épops
Qui sont ces visiteurs ?
Évelpidès
Les Dieux t'auraient-ils donc
Fourré dans un broyeur ?
Épops
Vous riez de mes ailes.
Mais sachez que jadis je fus un être humain.
Évelpidès
Non, ce n'est pas cela qui nous fait rire.
Épops
Alors !
Évelpidès
Bien, en fait, c'est ton bec qui nous semble comique.
Épops
Ce n'est pas drôle car c'est le défaut créé
Par le maître Sophocle à seule fin tragique :
Oui, mon nom est Térée.
Évelpidès
Quoi ! Térée ? Serais-tu
Par hasard un oiseau, un paon, bref un vantard ?
Épops
Je suis un vrai oiseau.
Évelpidès
Alors ! Où sont tes ailes ?
Épops
Elles ont disparu !
Évelpidès
Quel est ce mal cruel ?
Épops
Non, non, il n'y a pas de maladie en vue !
Nous les oiseaux, nous nous déplumons en hiver
Jusqu'à ce plus tard nous retrouvions nos ailes.
D'abord présentez-vous ! Qui êtes-vous, mes chers ?
Évelpidès
Nous sommes des mortels.
Épops
Et de quelle cité ?
Évelpidès
Nous venons du pays aux beaux vaisseaux de guerre.
Épops
Oh ! Ne seriez-vous pas de ces hommes de loi ?
Évelpidès
Non, on veut éviter cette triste cohorte.
Épops
Car il pousse là-bas des graines de la sorte ?
Évelpidès
Oui, en cherchant, on peut en voir à la campagne.
Épops
Et pourquoi venez-vous dans ces lieux, s'il vous plaît.
Évelpidès
Afin de te parler !
Épops
Et au sujet de quoi ?
Évelpidès
D'abord toi, comme nous, tu fus homme autrefois !
Comme nous, tu fus très endetté autrefois !
Tu es content aussi de ne payer plus rien.
Mais nous venons aussi te voir en tant qu'oiseau
Qui survole le monde et connaît à la fois
Son savoir et celui qui est propre aux humains.
C'est pour cette raison que nous sommes ici.
Dis-nous où nous pourrions coucher le mieux du monde !
Épops
Tu cherches une cité plus étendue qu'Athènes.
Évelpidès
Plutôt une cité plus douce et qui nous aille.
Épops
Tu veux vivre, je crois, près des aristocrates.
Évelpidès
Ah, non ! Je ne veux pas me trouver dans leurs pattes !
Épops
Et quelle est selon vous la plus noble cité ?
Évelpidès
Celle où le plus grand des maux serait de ce genre :
Un ami, un matin, viendrait me visiter
Et me dirait : « Par Zeus, je t'attends au foyer
Avec tous tes enfants. Ne me fais pas attendre !
Je vais me marier ; donc prépare un festin !
Si tu me fais faux-bond, c'est sûr, je te dispense
De venir me trouver si j'ai quelque souffrance ! »
Épops
Mais c'est insoutenable ! Et toi, que me dis-tu ?
Pisisthérairos
Je dirai tout pareil, sans plus.
Épops
Comment cela ?
Pisisthérairos
Je rêve d'une ville où je verrai le père
D'un garçon dans sa fleur me reprocher ceci :
« Je ne te comprends pas ! Tu as vu mon petit
Sortir de la palestre, éclatant, tout baigné
Et tu ne touches point à ce beau mignonnet,
Toi qui es mon ami depuis ma tendre enfance ? »
Épops
Comme tes volontés sentent la violence...
Vous les humains, bloqués dans un sombre destin,
Votre vie est semblable à la feuille légère.
Créatures pétries de fange, horde d'ombres
Sans consistance, ô vous misérables mortels,
Cortège d'un seul jour, ô malheureux sans-ailes
À des rêves pareils, voyez les Immortels,
Nous qui vivons sans fin ! Toujours nous subsistons,
Nous les dieux aériens, penseurs d'éternité.
Quand vous aurez appris tout ce qu'au firmament
Il se passe et que vous connaîtrez fermement
Le monde des oiseaux, l'origine des dieux,
Des fleuves, du Chaos, dites à Prodicos
De ma part tout le mal que je lui veux si fort...
...Nous sommes plus anciens que tous les bienheureux ;
Nous sommes nés d'Éros le dieu que l'on adore :
Voyez sur notre dos ces ailes qui sont d'or.
Nous aidons les amants ; combien de soupirants
Ont au déclin flagrant de leur belle saison
Fait céder les jolis mais rebelles garçons
À leur désir aigu par notre grand pouvoir,
En offrant une caille ou une tourterelle !
Que de bienfaits donnés par nous à l'être humain !
D'abord nous indiquons les saisons : le printemps,
Et l'automne et l'hiver ! Puis viennent les semences
Quand la grue vers l'Afrique fait migration.
Elle annonce au marin de prendre son repos
Et elle invite Oreste à tisser son manteau
Afin que le temps froid ne l'incite à voler
Son prochain. Le milan, il inaugure enfin
La nouvelle saison quand il faut des moutons
Enlever la toison. Et puis c'est l'hirondelle
Qui vient nous engager à vendre nos manteaux
Et à porter léger. En fait, nous tenons lieu
De Delphes, d'Apollon, de Dodone et d'Ammon !
Vous ne faites rien sans d'abord nous consulter
Pour la moindre action, pour vendre ou acheter,
Même pour l'hyménée. Car pour vous, un oiseau
Est surtout un présage ; une simple rumeur,
Vous la nommez « oiseau » ; une surprise, « oiseau » ;
Éternuer, « oiseau », un esclave qui entre
Et un âne qui brait, toujours ce même mot.
Nous sommes selon vous les divins Inspirés,
Prophètes d'Apollon. Et si vous désirez
Que nous soyons vos dieux, vous aurez des oracles
Merveilleux, des chaleurs modérées, de bons vents ;
Nous ne partirons pas là-haut, majestueux
Pour être comme Zeus trônant au fond des cieux.
Nous resterons ici en comblant de présents,
Vous-mêmes, vos enfants, et tous vos descendants.
Vous serez dans la joie et ivres d'abondance
Pleins de paix, de santé, de rires, de jouvence.
Tout sera pour le mieux sous nos ailes rêvées,
Au point que sous le poids si lourd de l'opulence,
Vous serez bien gavés.
DE L'AVANTAGE D'ÊTRE UN OISEAU
Si quelqu'un d'entre vous, citoyens spectateurs,
Veut vivre à l'avenir une vie de douceur,
Qu'il vienne parmi nous ! Car tous les interdits,
Tous les moindres tabous régissant la cité
Sont chez nous, les oiseaux, comme autant de beautés.
Ici la loi dit de ne pas battre son père.
Eh, bien ! Là-haut, on peut sans problème le faire !
En le ruant de coups, son fils dit dare-dare :
« Lève un peu ton ergot si tu n'es pas froussard... »
... Non, rien de mieux chez nous que de petites ailes.
Tenez, si l'un de vous en est le détenteur,
Que la faim l'étreint ou que le drame l'ennuie,
Eh, bien ! Il prend son vol et le voilà chez lui !
Une fois bien nourri, il reviendra chez nous !
Pensez à Patroclide : il a envie de chier.
Au lieu que ses habits soient vertement souillés,
Il aura pris son vol, se sera soulagé
Avant de revenir à sa place vacante.
Si quelqu'un entretient une liaison galante,
Qu'il aperçoive ainsi dans la loge officielle
Le mari de sa belle, aussitôt il s'en va
D'un modeste coup d'aile : il rejoint sa donzelle
La baise jusqu'à l'os, puis revient parmi nous !
Avoir des ailes, tiens ! Cela vaut bien le coup !
C’est à moi désormais, c’est à moi le Voyant
Que les mortels feront rituels et prières.
Oui, c’est sous mon regard que s’offre notre terre.
C’est moi le protecteur de toutes les moissons,
C'est moi qui suis chargé de la prospérité.
Car je tue les mangeurs de bourgeons, ces insectes
À l'ardeur si vorace, et je massacre aussi
Ces animaux odieux qui rongent les vergers
Au suave parfum. Il suffit que je vole
Et voilà, j’élimine en leur totalité
Cette atroce vermine. Heureux le peuple ailé !
En hiver, nous n’avons point de chaudes pelisses
Pour nous emmitoufler ; durant les jours d’été,
Les rayons de chaleur ne nous accablent point.
Nous habitons les prés quand l’insecte divin,
La cigale, affolée par les feux de midi
Nous livre sa rumeur. L’hiver, nous le passons
Au fond d'une caverne en ayant pour compagnes
Pour égayer nos jeux les nymphes des montagnes.
Au printemps, nous mangeons les tendres baies des myrtes
Et tout ce qui fleurit au jardin des Charites.