Traduction de C. L. MOLLEVAUT.
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Qu'un autre en monceaux d'or entasse ses richesses,
De ses nombreux arpents recueille les largesses ;
D'importunes terreurs poursuivront son sommeil,
Et le clairon de Mars hâtera son réveil.
Moi, dans ma pauvreté, rien ne trouble mon âme,
Pourvu que mon foyer brille d'une humble flamme,
Que la riche espérance emplisse mes greniers,
Et d'un vin généreux abreuve mes celliers.
Dans la saison propice, avec un art facile,
Je greffe mes vergers, je courbe un cep docile;
Et, sans honte, mon bras, armé de l'aiguillon,
Force mes bœufs tardifs à tracer leur sillon.
Je rapporte la chèvre ou la brebis plaintive
Qu'oublia dans les champs sa mère inattentive ;
J'aime à purifier mon fidèle pasteur ;
Palès voit un lait pur couler en son honneur ;
Je vénère Palès : soit que miné par l'âge,
Un tronc paré de fleurs m'offre aux champs son image,
Soit qu'une pierre antique au sein de nos hameaux,
Sous ses traits révérés, préside à nos travaux ;
Et son autel reçoit l'offrande fortunée
De ses fruits, tendre espoir de la naissante année.
Blonde Cérès, je veux de tes épis dorés
Couronner aux moissons tes portiques sacrés.
Protège nos vergers avec ta faux tranchante,
Dieu Priape ; aux oiseaux inspire l'épouvante.
Vous, d'un étroit enclos protecteurs assidus,
Lares, quand vous régniez sur des champs étendus,
Le sang d'une gémisse enlevée aux étables
Purifiait alors mes taureaux innombrables ;
Possesseur aujourd'hui d'un modeste troupeau,
Mon plus grand sacrifice est celui d'un agneau.
Qu'il tombe, et qu'alentour la champêtre jeunesse
S'écrie : ô Dieu des champs, prodigue ta richesse !
Vous tous, Dieux protecteurs, ah ! ne méprisez pas
Et la coupe d'argile et le frugal repas :
Un berger, le premier, d'une main peu savante,
En vases arrondit l'argile obéissante.
Mais vous, fuyez, brigands, fuyez, loups ravisseurs,
Pour de plus grands troupeaux réservez vos fureurs.
Je ne regrette point tous les trésors champêtres,
Les fruits et les moissons qu'entassaient mes ancêtres.
C'est assez d'obtenir quelques dons de Cérès,
C'est assez d'habiter le chaume de Palès,
Si mon corps fatigué trouve un sommeil tranquille
Au lit accoutumé de mon obscur asile.
Là, qu'il me plaît, quand gronde un vent impétueux,
De presser sur mon sein ton sein voluptueux ;
Ou, quand l'humide Auster exerce sa furie,
De m'endormir en paix au doux bruit de la pluie !
Qu'il soit riche et puissant, celui qui ne craint pas
Les fureurs de Neptune et les tristes frimas.
Pour moi, content du peu qui m'échut en partage,
On ne me verra point tenter un long voyage,
Lorsqu'au bord des ruisseaux, à l'ombre des forêts,
De l’ardent Sirius je puis braver les traits.
Ah ! périssent plutôt les trésors de l'Asie,
Que mon départ ne coûte une larme à Délie.
Messala, va combattre, et, fier de tes exploits,
Suspends dans tes palais les dépouilles des rois.
Une jeune beauté me captive près d'elle,
Je m'assieds, l'œil en pleurs, à sa porte rebelle,
Que le calme indolent où s'écoulent mes jours
Soit l'objet de l'envie et celui des discours,
Peu m'importe, Délie, ah ! tu peux bien m'en croire !
Je suis aimé ; mon cœur ne veut point d'autre gloire.
Près de toi j'aimerais à garder mes troupeaux,
A courber sons le joug le front de mes taureaux ;
Ton amant, sur son cœur pressant ton cœur timide,
Dormirait mollement sur une terre aride.
Que sert un lit orné de la pourpre de Tyr,
Quand loin de sa maîtresse il faut veiller, gémir?
Le murmure des eaux, la mollesse et ses charmes,
Ne ferment point des yeux qu'amour remplit de larmes.
Malheur au cœur d'airain, qui, maître de ta foi,
Préfère les combats au bonheur d'être à toi :
Dût-il, par sa valeur, dompter la Cilicie.
Couvrir de camps vainqueurs une terre ennemie,
S'offrir éclatant d'or au regard du guerrier,
Et fatiguer les flancs d'un rapide coursier.
A mon dernier moment, puissai-je, ô mon amante,
Te voir, presser ta main de ma main défaillante !
Hélas ! tu pleureras sur mon lit de douleurs,
Où tu viendras mêler tes baisers et tes pleurs.
Tu pleureras, Délie; oui, ton cœur est sensible ;
Ton cœur n'est pas formé d'un acier inflexible.
L'amante et son amant, les larmes dans les yeux,
Quitteront mon bûcher d'un pas silencieux.
Epargne tes cheveux, n'outrage point tes charmes:
Hélas ! c'est bien assez du tribut de tes larmes.
Le temps presse, unissons nos transports amoureux :
Bientôt, le front couvert d'un voile ténébreux,
Sur les pas chancelants de la faible vieillesse,
La mort s'avancera. L'amour et son ivresse
Ne sied plus lorsque l’âge a blanchi les cheveux.
Mais aujourd'hui Vénus nous invite à ses jeux.
Soldat ou général ; je cours sous ses bannières ;
J'attaque mes rivaux, je force les barrières.
Fuyez, bruyants clairons, belliqueux étendards ;
Fils de Mars, triomphez ou tombez sous les dards ;
Moi, j'aime mieux braver, dans ma paisible aisance,
La pauvreté honteuse et 1'altière opulence.
Oui, noyons dans le vin mes nouvelles douleurs;
Que Bacchus ferme enfin mes yeux chargés de pleurs.
Son breuvage à longs flots se répand dans mes veines :
Ne me réveillez pas ; seul il endort mes peines,
Depuis que ma Délie, au pouvoir d'un jaloux,
Voit sa porte s'armer d'inflexibles verrous.
Porte sourde à ma voix, que les vents et l'orage,
Que la foudre des Dieux te brisent dans leur rage !
Ah ! plutôt sois sensible aux plaintes d'un amant ;
Sur tes gonds, sans crier, tourne furtivement,
Et qu'à moi seul un Dieu réserve la vengeance
Qu'appelait contre toi mon aveugle démence.
Tu le sais, bien souvent j'implorai tes faveurs,
Quand je parais ton front de couronnes de fleurs.
Toi, brave, ma Délie, un tyran qui t'outrage ;
Il faut oser ! Vénus seconde le courage.
Vénus guide l’amant, lorsque, seul et sans bruit,
Il tente un seuil nouveau dans l'ombre de la nuit ;
Instruite par Vénus, l'amante officieuse
Fait tourner sans effort la clef silencieuse ;
De sa couche brûlante échappée en secret,
Glisse d'un pied léger sur un plancher discret,
Et près de son jaloux, sa muette éloquence
Fait parler le regard et même le silence.
Peu d'amants sont admis aux secrets de Vénus :
Mais ceux qu'un lâche effroi n'a jamais retenus,
Qui bravent et la nuit et le fer homicide,
Voilà ceux que défend son immortelle égide :
Oui, l'amant véritable est sûr de son appui.
Qu'il marche sans rien craindre ; elle veille pour lui.
La nuit sombre, le froid, les feux de la tempête,
Les torrents orageux qui fondent sur ma tête,
Bien ne glace mon cœur, rien n'arrête mes pas ;
Dis un mot, ma Délie, et je suis dans tes bras.
Ta porte à nos désirs ne sera point rebelle ;
Et j'entends le doux son de ton doigt qui m'appelle.
O mortels ! gardez-vous d'épier mes desseins ;
La discrète Vénus veut cacher ses larcins.
Gardez de m'effrayer par un bruit téméraire,
Ne cherchez point mon nom, détournez la lumière.
Et toi, jeune imprudent, toi, qui m'as reconnu,
Jure par tous les Dieux que tu ne m'as point vu,
Ou tu sauras bientôt que Vénus furieuse
Naquit un jour du sang et de l'onde orageuse.
Mais tu voudrais en vain alarmer un époux ;
Une magicienne a trompé le jaloux.
Les astres à sa voix s'écartent de leur course ;
Les fleuves mugissants remontent vers leur source ;
La terre tremble, s'ouvre; et, rassemblant leurs os,
Les morts épouvantés sortent de leurs tombeaux.
A ses cris, le Tartare, excitant les furies,
Vomit ou ressaisit leurs cohortes impies ;
A ses cris, la nuit verse une affreuse clarté,
L'hiver brûle des feux qui consument l'été ;
Seule des chiens d'Hécate elle enchaîne la rage,
Et seule de Médée apprête le breuvage ;
Tout l'univers enfin, se troublant à sa voix,
Obéit en esclave à ses puissantes lois.
Pour moi sa main traça des paroles magiques :
Trois fois fais retentir ces accents pythoniques,
Et dût-il me surprendre en tes bras amoureux,
Non ; ton époux trompé n'en croirait pas ses yeux,
Mais fuis tout autre amant, fuis, tu serais perdue ;
Moi seul j'ai le pouvoir de fasciner sa vue.
Le croirai-je? Elle dit que ses charmes puissants
Peuvent dompter l'amour qui dompte tous mes sens.
Dans une nuit sereine, aux Dieux du sombre abîme
Elle a voué le sang d'une noire victime.
Ah ! loin de les prier d'éteindre mon ardeur,
Je suppliai ces Dieux d'embraser tout mon cœur,
De ne briser jamais le doux nœud qui nous lie,
Et de m'ôter le jour en m'ôtant ma Délie.
Vous qui des flots d'Icare affrontez les fureurs,
Messala, chers amis, conservez-moi vos cœurs !
Sur ses bords inconnus la triste Phéacie
Enchaîne un malheureux qui va perdre la vie.
O mort! je t'en conjure! ô mort, éloigne-toi;
Retiens ton bras cruel prêt à tomber sur moi.
Je n'ai dans ces climats ni mère infortunée
Qui puisse recueillir ma cendre abandonnée,
Ni sœur qui sur ma tombe épanche des odeurs,
Et, les cheveux épars, la mouille de ses pleurs.
Hélas ! quand je quittai les champs de l'Italie,
Les dieux furent, dit-on, consultés par Délie;
Et trois fois un enfant, organe du destin,
Donna de mon retour le présage certain.
Cependant, ma Délie, en proie à ses alarmes,
Fixait sur mon chemin des yeux baignés de larmes.
Je consolais son cœur, et près de mon départ,
Mon trouble, ingénieux à trouver un retard,
Prétextait un augure, un présage nocturne,
Ou le jour solennel des fêtes de Saturne;
Que de fois je disais qu'en m'éloignant de toi,
Le seuil blessa mes pieds et me glaça d'effroi.
Ah ! ne voyagez pas quand l'amour s'en offense,
Ou redoutez du Dieu l'implacable vengeance.
Que servent, ma Délie, Isis et cet airain
Tant de fois agité dans ta bruyante main?
Dis, tes lustrations, tes pieux sacrifices,
Et ton lit chaste et pur m'ont-ils été propices?
Toi, dont le temple auguste et les nombreux tableaux
Attestent le pouvoir qui dompte tous les maux,
Déesse, sauve-moi ; tu verras ma maîtresse,
A tes pieds acquittant sa pieuse promesse,
Dérober ses appas sous un modeste lin,
Et les cheveux flottants sur les lis de son sein,
Deux fois en un seul jour près de tes saints portiques,
Aux accents de tes chœurs marier ses cantiques.
Ah ! puissé-je revoir mes lares paternels,'
Et brûler tous les mois l'encens sur leurs autels !
Que l'âge de Saturne aux mortels fut prospère,
Lorsqu'aux vastes chemins ne s'ouvrait point la terre !
Les pins n'osaient braver les ondes et les vents ;
Eole n'enflait point la voile aux plis mouvants ;
Sur des bords inconnus, les avides pilotes
De trésors étrangers ne chargeaient point leurs flottes ;
Les bœufs ne ployaient pas sous un joug inhumain ;
Le coursier indompté ne mordait pas le frein.
Nul enclos, dans son tour, n'enfermait les domaines,
Et n'imposait aux champs des limites certaines ;
De l'yeuse un miel pur ruisselait à flots d'or ;
La chèvre de son lait offrait le doux trésor. '
Haines, guerres, fureurs, vous étiez ignorées,
Vous n'aviez point forgé les lances acérées.
Maintenant Jupiter du fer arme nos mains ;
On navigue, et la mort s'ouvre mille chemins.
Sauve-moi ; Jupiter! tu le sais, le parjure,
Le blasphème n'ont point souillé ma bouche pure
Mais, si j'avais rempli le cours fatal des ans,
Que ma pierre funèbre offre ces mots touchants :
« Tibulle fut ravi par la parque sévère,
» En suivant son ami dans les champs de la guerre ».
Comme toujours mon cœur fut facile à l'amour,
Vénus me guidera dans cet heureux séjour,
Ou les chants et les chœurs se mêlent au ramage
Du chantre harmonieux errant dans le bocage.
Là, les champs sans culture ornent leur sein de fleurs ;
La rose dans les airs répand des flots d'odeurs ;
Le jeune amant s'unit à sa jeune maîtresse ;
L'amour en souriant enflamme leur ivresse,
De myrte orne le front de ceux que le trépas
Arrache à leurs amours et frappe dans ses bras.
Mais les enfers, cachés au sein des nuits profondes,
S'entourent des replis des mugissantes ondes.
Tisiphone, le front de serpents hérissé,
Frappe le peuple impie en ces lieux dispersé ;
L'inflexible Cerbère à leurs hordes tremblantes
Oppose en se dressant ses trois gueules sifflantes,
Et veille jour et nuit aux portes de Pluton :
Ixion, dont l'amour sollicita Junon,
Lié par les serpents d'une pâle euménide,
Tourne autour d'une roue à la marche rapide.
Sur neuf vastes arpents Titius étendu,
Repaît de son flanc noir un vautour assidu ;
Tantale dans les flots meurt d'une soif brûlante ;
La vague, lorsqu'il tend sa bouche suppliante,
Fuit ; et la Danaïde, odieuse aux Amours,
Toujours remplit son urne où l’eau tarit toujours.
Dieux ! punissez ainsi la noire perfidie
Du mortel qui voudrait me ravir ma Délie.
Ma Délie, à jamais conserve-moi ton cœur ;
Que l'esclave qui veille à ta sainte pudeur,
De ce chaste dépôt gardienne vigilante,
Le soir, à la clarté d'une lampe tremblante,
Guide un fil délié vers son léger fuseau,
Et trompe tes ennuis par un récit nouveau ;
Morphée alors, voilant tes beaux yeux d'un nuage
Doucement de tes mains fera glisser l'ouvrage.
Soudain j'arrive, j'entre, et je m'offre à tes yeux ;
Je te parais tombé de la voûte des cieux.
Viens, vole dans mes bras : ah ! ton sein nu, tes larmes,
Tes longs cheveux épars doublent encor tes charmes.
O Dieux ! quel doux rayon, parti de l'orient,
Amènera pour moi ce jour pur et riant !
Puissent, Dieu des jardins, ces voûtes de feuillage
Ecarter de ton front le soleil et l'orage !
Quel charme sous tes lois tient les cœurs engagés?
Ta barbe est sans éclat, tes cheveux négligés ;
Nu, des sombres hivers tu ne crains point l'outrage,
Nu, du Chien enflammé tu méprises la rage.
Jeune mortel, répond la voix du Dieu puissant,
Qui d'une faux courbée arme un bras menaçant,
Cède aux moindres désirs de l'objet qui t'enflamme ;
La douce complaisance est la reine de l'âme.
Ris d'un premier refus ; lentement à son tour
Son front se courbera sous le joug de l'amour.
Le temps du fier lion dompte l'humeur sauvage
Le roc à l'onde même ouvre enfin un passage ;
L'année avec lenteur, sur les monts parfumés,
Enfle, dore et mûrit les raisins embaumés ;
L'année avec lenteur et balance et promène
Les astres entraînés dans sa marche certaine.
Jurez d'aimer toujours, jurez, jeunes amants,
L'aile des aquilons emporte vos serments.
Jupiter même absout l'indiscrète promesse
Qu'arrache à vos désirs l'impatiente ivresse ;
Diane vous permet de jurer par ses traits,
Et la sage Pallas par ses chastes attraits.
Crois-moi; mets à profit les jours de ta jeunesse.
Qu'il passe vite, hélas ! l'âge de la tendresse !
Qu'ils passent vite, hélas ! nos rapides amours !
L'infatigable temps n'arrête point son cours ;
Il moissonne les fleurs, il flétrit la nature,
Arrache au peuplier sa verte chevelure ;
Le coursier généreux que l'Elide nourrit,
Sous le fardeau des ans fléchit, tombe et périt.
Que j'ai vu d'insensés, sous les glaces de l'âge,
De leurs beaux jours perdus se reprocher l'usage !
Dieux cruels ! le retour de la saison des fleurs
Du serpent rajeuni ranime les couleurs,
Et ne rajeunit point la vierge la plus belle !
Les immortels attraits, la jeunesse éternelle,
Parent le seul Bacchus et le front d'Apollon,
Où le temps n’oserait imprimer un sillon.
Suis cet aimable enfant, que ton amour implore,
Dans ces brûlants climats que le soleil dévore ;
Affronte un ciel chargé d'orageuses vapeurs,
Les présages d'Iris aux brillantes couleurs ;
Brûle-t-il de monter une nef vagabonde,
Obéis, prends la rame, et qu'il vole sur l'onde.
Souffre sans murmurer les plus cruels travaux,
Sache endurcir ton bras qu'amollit le repos ;
Aux hôtes des forêts s'il déclare la guerre,
Enclos de ses filets la forêt prisonnière ;
S'il descend dans l'arène, ah ! lutte avec douceur!
Prête un flanc découvert à ton jeune vainqueur.
Sa fierté s'adoucit, réclame un baiser tendre :
Il rougit, il combat, mais il le laisse prendre ;
Mais sa bouche bientôt va l'offrir à son tour,
Et payer tant de soins du plus tendre retour.
Ces stériles talents notre âge les rejette ;
Et c'est au poids de l'or que 1a beauté s'achète.
O toi qui le premier osas vendre un baiser,
Puisse un fatal tombeau sur ta cendre peser !
Aux muses, jeune amant, rends un culte fidèle ;
L'or ne peut balancer leur faveur immortelle,
Leurs vers, qui de Nisus ont chanté le destin,
Et Pélops de Cérès assouvissant la faim,
Et tous ces noms fameux dont parlera la terre.
Tant que le chêne altier bravera le tonnerre,
Tant que le firmament verra briller ses feux,
Et que les flots suivront leur cours majestueux.
Puisse l'homme insensible, à leur culte rebelle,
S'élancer sur l'Ida, près du char de Cybèle !
Parmi trois cents cités promener la terreur,
Et mutiler son corps dans sa lâche fureur !
Sensible au doux reproche, à des plaintes touchantes,
Vénus aime surtout, les larmes suppliantes.
Tu m'inspirais ces vers, heureux fils de Bacchus ;
Mais une tendre épouse arrête Titius.
Fuis de ces séducteurs la troupe efféminée,
Dit-elle, fuis au loin : leur ardeur obstinée
Est fertile en secrets qui triomphent du cœur.
Celui-ci d'un coursier sait modérer l'ardeur ;
Celui-là, lorsqu'il fend la vague obéissante,
Etale de son sein la neige éblouissante ;
L'un montre un front d'airain où siège la valeur ;
L'autre un front virginal où rougit la pudeur.
Vous, dont ces fiers amants ont repoussé la flamme,
Pour maître acceptez-moi, je dompterai leur âme.
La gloire ouvre aux mortels plus d'un chemin fameux,
La mienne est d'accueillir les amants malheureux.
Dans l'hiver de mes ans, à l'aimable jeunesse
Je veux dicter encor des leçons de tendresse.
Hélas ! tous mes conseils, tous mes jours sont perdus !
Que ce feu lent dévore ! Ah ! rends-moi Marathus !
Et ne va point forcer la jeunesse romaine
A verser le mépris sur ma science vaine.
J'étais fier, je disais: Qu'importe sa rigueur?
Mais, hélas ! j'ai vu fuir ce courage trompeur.
Mon cœur est agité comme le buis rapide
Qui court, roule en grondant sous le fouet qui le guide.
Ah ! déchire ce cœur, redouble ses chagrins !
Compte mes fiers discours et punis mes dédains,
Ou plutôt prends pitié des tourments que j'endure!
Délie, épargne-moi : Tibulle t'en conjure,
Au nom du lit furtif qui reçut nos serments,
Au nom de nos plaisirs et du Dieu des amants.
Quand le trépas sur toi tenait la faux courbée,
C'est moi seul à ses coups, moi qui t'ai dérobée :
Trois fois un souffle pur s'alluma sous tes yeux,
Quand la magicienne eut évoqué ses Dieux ;
Trois fois de saints gâteaux leurs autels se couvrirent,
Et les songes fâcheux de ta couche s'enfuirent.
C'est moi qui, dans les nuits, vêtu d'un lin flottant,
Ai supplié neuf fois Hécate en gémissant.
Je la sauve, et je perds ses faveurs les plus chères,
Et mon rival jouit du fruit de mes prières !
Le voilà donc l'espoir dont se flattait mon cœur !
Insensé ! n'ai-je fait que rêver le bonheur !
Je me plairai, disais-je, à cultiver la terre,
A séparer mes grains de la paille légère,
Lorsqu'un soleil brûlant dardera ses rayons.
Ma Délie avec moi gardera les moissons,
Le raisin parfumé qui remplit les corbeilles,
Ou sous les pieds légers coule en ondes vermeilles,
Et son œil comptera mon troupeau bondissant,
Tandis qu'un jeune esclave, au babil innocent,
Accourra sur le sein de ma jeune maîtresse
Déposer, en riant, sa naïve caresse.
Je la vois consacrer des épis à Cérès,
A Bacchus des raisins, et des fruits à Palès.
Que tout suive ses lois, qu'elle commande en reine ;
Je suis avec orgueil esclave en mon domaine.
Messala daignera visiter nos hameaux :
Les doux fruits, détachés des arbres les plus beaux,
Lui seront présentés des mains de ma Délie,
Heureuse d'honorer l'appui de ma patrie,
D'inviter mon héros aux champêtres banquets
Dont sa main diligente aura fait les apprêts....
Hélas! ces vœux, chassés par l’Eurus en furie,
Parcourent maintenant l'odorante Arménie.
Implacable Vénus, parjure à mon serment,
Dois-je à ma langue impie un si cruel tourment ?
Ai-je approché des Dieux, souillé par l'adultère?
Arraché sa guirlande au front du sanctuaire?
Ah ! s'il était ainsi, prompt à me condamner,
Dans les temples des Dieux j'irais me prosterner,
Attacher à leur seuil ma bouche suppliante,
Me traîner à genoux sur la terre sanglante,
Frapper les saints parvis de mon front criminel,
Et de mes bras tremblants embrasser leur autel.
Toi, dont la cruauté se rit de ma souffrance,
Prends garde, un Dieu bientôt vengera mon offense !
Tous ses traits ne sont point dirigés contre moi.
J'ai vu des insensés insulter comme toi
Aux amours malheureux de l'ardente jeunesse :
Sous le joug de Vénus a fléchi leur vieillesse.
Leur voix tremblante en vain voulait se composer ;
En vain leurs cheveux, blancs voulaient se déguiser ;
Souvent Bacchus s'empresse à charmer mes douleurs ;
Elles changent, hélas ! tout son breuvage en pleurs.
Souvent l'amour me livre une autre enchanteresse ;
Mais, lorsque du plaisir je vais goûter l'ivresse,
Se songe à ma Délie, et sens mourir mes feux.
Mon amante en courroux, fuyant mon lit oiseux,
Dit qu'un Dieu me poursuit; et sa langue indiscrète
(Ah ! j'en rougis encor) raconte ma défaite.
Un sort m'a-t-il frappé ? non, ses jeunes appas,
L'or de ses blonds cheveux, l'ivoire de ses bras,
Voilà le sort puissant qui m'attache à Délie.
Telle autrefois Thétis, aux rives d'Æmonie,
Charma l'œil d'un époux, quand les monstres des mers,
Attelés à son char, fendaient les flots amers.
Hélas! l'or d'un rival a conquis sa tendresse,
Une vile intrigante a vendu ma maîtresse !
Puisse la corruptrice, en un festin cruel,
Bouger des os sanglants et s'abreuver de fiel,
Voir autour d'elle errer des ombres infernales,
Des hiboux frappant l'air de leurs voix sépulcrales !
Puisse sa faim ravir les morts aux monuments,
A des loups affamés les débris d'ossements !
Et qu'errante en nos murs, à ses cris effroyables
Se confondent des chiens les clameurs lamentables !
Voilà ton sort : Vénus l'a dicté par ma voix ;
Venus punit l'amante infidèle à ses lois.
Fuis ces conseils pervers, il y va de ta gloire ;
Fuis, l'Amour à Plutus cède enfin la victoire.
L'amant pauvre, toujours assis à tes côtés,
Préviendra le premier tes moindres volontés ;
L'amant pauvre saura, de sa main empressée,
Fendre la foule éprise autour de toi pressée ;
Vers ses obscurs amis le soir guider tes pas,
Et détacher les nœuds de tes pieds délicats.
Hélas ! je parle en vain : d'une avide maîtresse
La porte avare s'ouvre à la seule richesse.
Mais tremble, heureux rival : le mobile destin
Tourne une roue agile et peut changer demain.
Amour, pourquoi m'offrir un perfide son rire,
Et, pour me tourmenter, te plaire à me séduire?
Dis-moi, que t'ai-je fait, enfant dur et cruel?
Quel honneur pour un Dieu de tromper un mortel !
Déjà tes rets tendue enveloppent leur proie ;
Déjà la nuit a vu Délie, ivre de joie,
Caresser en secret un rival odieux.
La parjure le nie, elle atteste les Dieux
(Puis-je la croire encor?) ; quand je triomphais d'elle,
L'ingrate à son époux, jurait d'être fidèle.
Insensé ! j'enseignais à tromper en amour;
Je n'ai pas à me plaindre, on me trompe à mon tour
Brûlais-je d'écarter un époux de sa couche,
A mentir avec art j'accoutumai sa bouche.
J'osai lui révéler quel amoureux secret
Rend la porte muette et le verrou discret ;
Je lui remis ces sucs et ces heureuses plantes
Qui calment du baiser les empreintes brûlantes,
D'une femme infidèle ô trop crédule époux,
Suis les conseils dictés par mon juste courroux.
Crains de la voir vanter la jeunesse folâtre,
Se pencher, pour montrer une gorge d'albâtre;
Prends garde : suis son doigt, qui, plongé dans le vin,
Va tracer sur la table un perfide dessin.
Crains, dût-elle se rendre à la fête sacrée
Dont la mère des Dieux nous interdit l'entrée.
Crois-moi, jusqu'aux autels seul je suivrai ses pas ;
Ne crains rien, mes regards ne la quitteront pas.
Souvent, quand j'admirais sa bague éblouissante,
Je donnais le signal à sa main caressante ;
Souvent, lorsqu'un vin pur provoquait ton sommeil,
L'eau sobre tempérait mon breuvage vermeil,
Et même en ta présence assurait ma victoire.
Non, je ne cherchais point cette perfide gloire ;
Daigne me pardonner mes sincères aveux,
L'Amour seul ordonnait : et qui résiste aux Dieux?
Je te l'avoue encor, durant la nuit entière,
C'est moi que de ton chien poursuivait la colère.
Non, ce n'est pas en vain qu'un jeune homme sans bruit
Sur ta porte s'arrête : il regarde, il s'enfuit,
Seul reparaît, s'échappe, accourt, s'éclipse encore,
Et donne le signal à l'objet qu'il adore.
Ah ! le perfide Amour trame un crime nouveau !
Sur les flots inconstants guide bien ton vaisseau.
A quoi te servirait la beauté d'une épouse,
Si ce trésor échappe à ta garde jalouse,
Si tes clefs, tes verrous pèsent en vain sur lui,
Et si, dans tes bras même, en proie à son ennui,
L'absence d'un rival occupant ton amante,
Elle feint, pour te fuir, un mal qui la tourmente?
Laisse-moi la garder : si j'ose te trahir,
Dans les fers, sous les coups, je consens à périr.
Fuis alors, toi dont l'art orne la chevelure,
Et plisse mollement l'ondoyante parure.
Fuis, toi que le hasard a conduit en ces lieux ;
Oui, ta seule présence est un crime à mes yeux.
L'Amour l'ordonne ainsi; la bouche prophétique
De la grande prêtresse ainsi parle et s'explique.
Quand Bellone l'agite et possède son cœur,
Son œil lance l'éclair, son sein bat de fureur;
Il ne redoute plus les flammes dévorantes,
Ni les fouets hérissés de lanières sanglantes ;
Le fer à deux tranchants ouvre son bras tendu,
Le sang sur la déesse est déjà répandu ;
Et quand le fer perçant s'attache à sa poitrine,
Un Dieu s'écrie alors, par sa bouche divine :
Respecte la beauté que gardent les Amours,
Ou je vois s'écouler tes plaisirs et tes jours,
Comme ces flots de sang, ou l'onde déchaînée,
Ou la cendre légère aux vents abandonnée.
Le sais-tu, ma Délie? elle veut te punir.
Reçois-moi dans tes bras et je cours la fléchir.
Mais si je te pardonne, ah ! rends grâce à ta mère;
Son grand âge, ses soins, désarment ma colère.
C'est elle qui, la nuit, te guida près de moi,
Qui reçut nos serments, qui m'engagea ta foi ;
Et l'oreille à ta porte attachée en silence,
Au seul bruit de mes pas devinait ma présence.
O toi ! qui me prêtas ton fidèle secours,
Puissé-je de tes ans ralentir l'heureux cours !
Quand j'adore Délie, oui c'est toi que j'adore ;
Hélas ! malgré son crime, elle est ta fille encore.
Du bandeau virginal son front ne s'orne pas ;
La robe de Vesta ne ceint point soc appas;
An ! n'importe, dis-lui d'être chaste et constante,
Et, si mon luth jamais célèbre une autre amante,
A leur sanglante orbite enlève mes deux yeux,
Au seul soupçon du crime arrache mes cheveux.
Si j'ose repousser la main qui me châtie,
Puissé-je en ma fureur perdre mon bras impie !
Au doux besoin d'aimer livrons-nous tous les deux,
Et que l'absence même entretienne nos feux.
Ah ! l'infidèle traîne une dure existence,
Quand l'âge l'a vaincue ainsi que l'indigence :
Sur un triste métier, sa navette, en courant,
Dans la chaîne entrouverte enlace un fil errant ;
Sous la dent de l'acier elle épure la laine,
Tend la main et reçoit l'humble prix de sa peine.
La jeunesse, insultant à ces honteux travaux,
Contemple sans pitié l'excès de tant de maux.
Vénus, qui voit du ciel ses yeux de pleurs humilies,
Triomphe et rit des maux réservés aux perfides,
Que d'autres, ma Délie, éprouvent ces tourments ;
Jurons d'être toujours 1'exemple des amants.
La parque, dont la main conduit ces fils cruels,
Rebelles à la voix même des immortels,
La parque avait prédit qu'un vaillant capitaine
Ferait trembler l'Adour et vaincrait l'Aquitaine.
L'oracle est accompli : des triomphes nouveaux.
Nous ont montré des rois aux fers de mon héros,
Lorsque de blancs coursiers traînaient le char d'ivoire
Où son front rayonnait des palmes de la gloire.
J'ai vu de sa valeur l'impétueux élan
Dompter les murs de Tarbe et l'antique Océan,
Et les flots de l'Arare, et le Rhône rapide,
Et la vaste Garonne et la Loire limpide.
Dois-je chanter aussi le Cidnus paresseux,
Déroulant mollement ses flots silencieux,
Le Caucase glacé dont l'orgueilleuse tête
Frappe l'azur des cieux et brave la tempête ;
Les champs de la Syrie opulents en palais,
Où la douce colombe habite et vole en paix ;
Tyr, qui de ses tours contemple sur les ondes
Ses vaisseaux les premiers fendant les mers profondes ;
Le Nil qui fertilise un sable limoneux.
Quand Sirius l'embrase avec des traits de feux ?
O fleuve paternel ! quelle terre secrète
Cache ton front modeste et ta source discrète ?
Le sol industrieux, qui boit les flots errants,
Ne réclame jamais les célestes torrents,
Et jamais ne verra la suppliante Flore
Mourir, en invoquant les larmes de l'Aurore.
La jeunesse sauvage, en pleurs auprès d'Apis,
Te chante et te révère à l'égal d'Osiris,
Du puissant Osiris, dont l'heureuse industrie
Du soc agriculteur enrichit sa patrie ;
Sollicita la terre inculte et vierge encor,
Des germes dans son sein déposa le trésor,
Et d'arbres inconnus recueillit les prémices.
L'homme des champs, instruit sous ses heureux auspices,
Unit la jeune vigne aux tiges des ormeaux ;
La serpe fait la guerre au luxe des rameaux ;
Le pied du vendangeur frappe et brise la grappe,
Et le vin, en grondant, cède, écume et s'échappe,
Bacchus enseigne alors les chants mélodieux,
La danse, que dirige un luth harmonieux :
L’avide laboureur à la fatigue en proie,
Dans sa coupe profonde à longs traits boit la joie,
Et malheureux, l’oubli de ses tristes revers
Est esclave en buvant, est sourd au bruit des fers.
Osiris, près de toi plus de soins, de tristesse :
Mais les chants, les amours t'accompagnent sans cesse ;
Mais les festons de fleurs et le lierre aux longs bras,
La pourpre de Sidon flottante sur tes pas,
La corbeille sacrée et les flûtes légères :
Voilà les attributs de tes secrets mystères.
Osiris, montre-toi ; que Bacchus et les jeux
Célèbrent mon héros et son génie heureux.
De ses cheveux brillants qu'un parfum se répande ;
Qu'à son cou s'entrelace une molle guirlande.
Viens ! parais ! Déjà fume un encens solennel,
Et le miel à flots d'or coule sur ton autel.
Puissent des fils nombreux, ta superbe richesse,
Messale, avec respect entourer ta vieillesse !
Puissent-ils de leur père accroître les hauts faits !
De pompeux monuments attestent tes bienfaits :
Les champs de Tusculum, les murs d'Albe l'antique,
Doivent à tes faveurs leur route magnifique,
Où sur les durs cailloux répandus et broyés,
Sur des pavés égaux, par le ciment liés,
La nuit le laboureur, en regagnant sa ferme,
Chante ta bienfaisance et marche d'un pied ferme.
O jour pur et brillant où mon héros est né,
Reviens toujours plus beau, toujours plus fortuné.
Je connais de l'amour le langage vainqueur,
Les doux sons que sa voix va porter jusqu'au cœur..
Le destin, les oiseaux ou la fibre interprète,
M'auraient-ils révélé cette langue secrète?
Non, Vénus m'enseigna ces accents inconnus :
Et combien j'ai payé les leçons de Vénus !
Cesse de feindre encor : de flammes plus cruelles
L'amour brûle les cœurs à son culte rebelles.
Dis-moi, pourquoi parer tes cheveux inconstants,
Disposer avec art leurs longs anneaux flottants?
Pourquoi montrer ce teint qu'un suc brillant compose,
Polir l'extrémité de tes ongles de rose?
Tu changes vainement tes superbes atours,
Vainement de tes pieds tu presses les contours ;
Ta Pholoé plaît mieux dans sa simple parure,
Quand se boucle au hasard sa belle chevelure.
Est-ce au sein de la nuit, par un charme vainqueur,
Qu'une magicienne aurait charme ton cœur?
Ses cris aux champs voisins enlèvent leur verdure,
Du serpent furieux arrêtent la morsure,
Arracheraient Phœhé de son char pâlissant
Si le bras n'agitait l'airain retentissant.
Malheureux ! pourquoi donc te plaindre des prodiges ?
La beauté n'use point de tous ces vains prestiges.
Plains-toi des longs baisers qui te semblaient si doux,
Des genoux frémissants que pressaient tes genoux.
Cependant, Pholoé, quitte ce front sévère,
Ou crains que de Vénus il n'arme la colère.
Fuis surtout les présents : un vieillard langoureux,
Qui près d'un jeune objet vient rallumer ses feux,
Doit payer les désirs de sa froide vieillesse.
Mais que ton cœur charme préfère à la richesse
Le mortel en sa fleur, dont le duvet naissant
Ne repoussera point ton baiser caressant.
Enlace dans tes bras ses épaules d'albâtre,
Et des trésors des rois ne sois pas idolâtre.
Instruit par Cythérée au plus secret larcin,
Seul il saura presser les lis de ton beau sein ;
Seul il imprimera sur le cou d'une amante
Les humides baisers de sa bouche brûlante.
Que sert à la beauté l'éclat des diamants,
Si sa couche glacée écarte les amants ?
Trop tard elle t'invoque, ô Vénus ! ô jeunesse !
Quand son front dépouillé présage la vieillesse.
En vain elle se pare, en vain un suc trompeur
Veut rendre à ses cheveux leur première couleur,
En vain, pour réparer les torts de la nature,
L'art cherche à rajeunir son antique figure.
O toi, qui vois briller la fleur de ton printemps,
Aime ; hélas ! cette fleur passe en si peu de temps !
Pholoé, prends pitié d'un mortel qui succombe ;
Sur de tristes vieillards que ta rigueur retombe.
Epargne un jeune amant : vois comme la douleur
Des lis de son beau front obscurcit la blancheur.
Hélas ! le malheureux, en proie à ses alarmes,
Gémit de ton absence et répand bien des larmes.
« Pourquoi me repousser ? Qu'importent tes verrous? »
» Vénus montre aux amants à tromper les jaloux :
» Près d'eux mon cœur ému plus doucement soupire,
» Mes baisers plus discrets modèrent leur délire ;
» Je puis au sein de l'ombre en secret me glisser,
» Faire taire une porte, et sans bruit la forcer.
» Inutiles efforts, si l'on me désespère,
» Si ma maîtresse fuit sa couche solitaire ;
» Ou, lorsqu'au rendez-vous mon amour me conduit,
» Prolonge méchamment les veilles de la nuit,
» Quand seul, en palpitant, j'ouvre une oreille avide,
» Et crois au moindre bruit entendre la perfide.
» Ah ! périssent mon art et mes empressements !
» Malheureux ! couvre-toi de sombres vêtements.
» Hélas ! à quoi te sert cette toge flottante,
» Si tu n'as plus accès auprès de l'inconstante » ?
Plus d'espoir : sans pâlir elle a vu tes douleurs,
Et tes yeux fatigués se gonfler de tes pleurs,
Pholoé, le ciel hait cette fierté cruelle ;
Il repousse l'encens de ta main criminelle.
Marathus de l'amour s'est joué comme toi :
L'amour vengeur l'a vu fouler aux pieds sa loi,
Se rire de sa plainte et de ses vaines larmes,
Et des désirs trompés et des tendres alarmes.
Marathus, à son tour, a connu les dédains,
A maudit les verrous qui trompent ses desseins.
Voilà ton châtiment, si ton cœur est rebelle;
Crains de gémir un jour de ta fierté cruelle !
Si tu devais trahir un malheureux amant,
Pourquoi, dans le secret, violer ton serment ?
Insensé, le parjure en vain cache l'offense ;
La peine à pas tardifs le poursuit en silence.
Ciel ! épargne l'ingrat : l'Amour peut une fois
Avec impunité se jouer de tes lois.
L'espoir de l'or instruit le mortel téméraire
A joindre des taureaux qui tourmentent la terre,
A lancer sur les mers, esclaves des amants,
Les vaisseaux que du ciel guident les feux constants.
Au vil appât de l'or Marathus peut le rendre !
O flammes! réduisez ses richesses en cendre.
Bientôt un Dieu vengeur punira ses forfaits :
La poussière et les vents flétriront ses attraits ;
Le soleil ternira l'élat.de son visage;
Ses pieds se meurtriront, dans un lointain voyage.
Je t'ai dit si souvent : Ne vends point tes appas ;
Plutus cache souvent tant de maux sous nos pas !
Et l'infidèle amant, épris de la richesse,
Allume le courroux de Venus vengeresse.
O Dieux ! puissent plutôt les feux me dévorer,
Le fer ouvrir mon flanc, les fouets me déchirer !
Non, non, n'espère point céler ta perfidie ;
En vain, à nous tromper, ta bouche s'étudie:
Bacchus force souvent le nectar indiscret
A délier la langue, à trahir le secret ;
Messager de Morphée, un véridique songe,
A l'insu du menteur, révèle le mensonge.
Je te parlais ainsi, les yeux de pleurs noyés,
Et j'en rougis encor, et j'embrassais tes pieds.
Tu jurais cependant que tout l'or de l'Asie,
Les moissons que nourrit la riche Campanie,
Les coteaux de Falerne et les faveurs des cours
Marchanderaient en vain tes vénales amours.
Ah ! tu m'aurais fait croire, avec ce doux langage,
Que le ciel est sans astre, et la mer sans rivage.
Tu pleurais même, et moi, touché de tes douleurs,
Crédule, j'essuyais tes yeux baignés de pleurs.
Eh bien ! que feras-tu, si tu perds une amante?
Qu'un jour, à ton exemple, elle soit inconstante!
Ingrat ! combien de fois, écartant des rivaux,
La unit, devant tes pas, j'ai porté des flambeaux !
Complice de l'Amour, mon amitié fidèle
Mit souvent dans tes bras ta maîtresse rebelle.
Je crus à ton amour ; que j'étais insensé !
Dans tes filets trompeurs je me suis enlacé.
Bien plus, je te chantais, épris d'un beau délire ;
Je rougis de mes vers, je veux briser ma lyre.
Oui, Vulcain, je les livre à tes rapides feux !
Fuis! ah! fuis loin de moi, vil objet, monstre affreux,
Qui, fier du prix honteux des faveurs les plus chères,
As pu remplir tes mains, de trésors adultères.
Mais toi, dont les présents ont séduit Marathus,
Puisse un jour, exercée aux ruses de Vénus,
Ton épouse infidèle, en ses ardeurs lascives,
Epuiser d'un amant les caresses furtives,
Et pale, languissante, et vaincue à son tour,
De la couche d'Hymen repousser ton amour,
La souiller, sans pudeur, de traces étrangères,
Et mettre ses appas à d'indignes enchères !
Que sa sœur, épuisant les coupes de Bacchus,
S'abandonne sans frein aux fureurs de Vénus!
On dit qu'à son lever la diligente Aurore
Aux tables des festins la trouve assise encore :
Que nulle ne sait mieux varier ses plaisirs,
Et, sans les assouvir, fatiguer ses désirs.
Ton épouse bientôt l'égalera, j'espère.
Insensé ! crois-tu donc qu'elle songe à te plaire
Quand les dents de l'ivoire attachent les anneaux
De superbes cheveux qui tombent à longs flots ;
Quand un lien d'or pur à son bras s'entrelace ;
Quand la pourpre de Tyr la dessine avec grâce !
Non, elle veut charmer tes rivaux triomphant,
Prête à sacrifier toi-même et ses enfants.
Je ne l'accuse point ; sa jeunesse redoute
Les baisers d'un vieillard que dévore la goutte.
Voilà donc le mortel qu'il aime sans regrets !
Il aimera bientôt les monstres des forêts.
Cruel, eh quoi ! tu vends les faveurs de ma couche,
Le nectar des baisers dont j'enivrais ta bouche !
Combien tu pleureras, lorsqu'un autre vainqueur
Dans ses nouveaux liens captivera mon cœur,
Et s'enorgueillira de son superbe empire !
Alors, d'un œil content, je verrai ton martyre,
Et sur un disque d'or retraçant mes revers,
Aux autels de Vénus je suspendrai ces vers:
« Tibulle, libre enfin d'un indigne esclavage,
Te conjure, ô Venus ! d'accepter cet hommage ».
Qui transforma le fer en un glaive inhumain ?
Quel fut ce cœur barbare et plus dur que l'airain?
Il enfanta la guerre, et la mort avec joie
Par un chemin plus court s'élance sur sa proie.
Que dis-je ? les mortels contr'eux tournent les traits
Destinés à percer les hôtes des forêts.
La soif de l'or nourrit leurs fureurs indomptables.
Lorsqu'un vase de hêtre ornait nos simples tables,
Point de murs, point de tours : le paisible pasteur
Goûtait près des troupeaux un sommeil enchanteur.
Que n'ai-je alors vécu ! j'eusse ignoré les armes ;
Le clairon dans mon sein n'eût point jeté d'alarmes.
Mais Bellone m'entraîne, et peut-être un vainqueur
A balancé le trait qui va percer mon cœur.
O Lares paternels ! embrassez ma défense.
Vous avez autrefois nourri ma tendre enfance,
Quand mes pieds incertains chancelaient près de vous,
Et que mes faibles bras enlaçaient vos genoux.
Dieux! ne dédaignez point vos images rustiques:
Ainsi vous habitiez les demeures antiques,
Où nos pieux parents observaient mieux vos lois,
Avec un culte pauvre et sous leurs humbles toits.
Là, vous daigniez sourire à la grappe dorée,
Aux épis dont s'ornait votre tête sacrée :
Là, lorsqu'un père heureux de dons couvrait l'autel,
Sa jeune fille offrait un pur rayon de miel.
O Lares ! repoussez, brisez l'arme homicide !
Revêtu d'un lin pur, ceint du myrte de Gnide,
La corbeille de myrte enlacée à mon bras,
Je suivrai la victime amenée au trépas;
Qu'un autre, plus hardi, dans les champs de la gloire
Terrasse les guerriers, et, fier de sa victoire,
Me raconte, en buvant, le combat inhumain
Que trace sur la table un doigt mouillé de vin.
O farouches guerriers ! quelle est donc votre audace !
Vous provoquez la mort qui toujours nous menace,
Et s'avance en secret d'un pied silencieux?
Plus d'épis, de raisins, au fond des sombres lieux.
Mais cent monstres divers, le cerbère terrible,
L'onde noire du Styx, son nocher inflexible,
Et cette foule immense, au teint pâle, aux yeux creux,
Errant et gémissant près des lacs ténébreux.
Plus heureux le mortel qui finit sa carrière,
Au sein de ses enfants, dans sa pauvre chaumière !
Il guide les brebis, son fils suit les agneaux,
L'épouse apprête un bain qui soulage ses maux.
Ainsi, puissé-je un jour, blanchi parla vieillesse,
Des récits du vieux temps amuser la jeunesse !
Cependant que la paix féconde nos coteaux !
La paix au joug courbé rend le front des taureaux ;
La paix nourrit la vigne, et la cave recèle
Le vin que verse aux fils la coupe paternelle ;
La paix au soc oisif rend son premier éclat,
Et la rouille en secret mord le dard du soldat.
Le laboureur joyeux du bois sacré ramène
Sa nombreuse famille, et son char fend la plaine.
L'amour lui seul combat, brise un seuil rigoureux,
De sa main criminelle arrache des cheveux.
La jeune fille hélas ! pleure et se désespère ;
Sou vainqueur pleure aussi sa bouillante colère.
Il a le cœur d'airain le mortel implacable
Qui sur la beauté lève une main redoutable.
C'est assez d'arracher ses légers vêtements,
De ravir à son front de jaloux ornements,
Et dans ses yeux craintifs de voir rouler des larmes :
Douces larmes d'amour, vous avez tant de charmes !
O quatre fois heureux le mortel irrité,
Qui fait couler des pleurs des yeux de la beauté !
Mais si d'un bras cruel il venge son offense,
Qu'il délaisse l'amour et s'arme d'une lance.
Toi, d'épis couronnée, ô paix ! dans nos sillons
Prodigue sur tes pas les fruits et les moissons.
Vous tous qui m'approchez, prenez part à mes chants ;
Suivant le rit ancien purifions les champs.
Viens, Bacchus : à ton front suspends la grappe mûre ;
Cérès, orne d'épis l'or de ta chevelure.
Sillons, reposez-vous ; reposez, laboureurs ;
Laissez le soc oisif ; et que, parés de fleurs,
Vos taureaux, le front libre, à leur crèche remplie,
Permettent aux autels que chacun s'humilie ;
Bergères, dans ce jour réclamé par les Dieux,
Ecartez du fuseau vos doigts religieux,
Toi, dont Vénus hier couronna la tendresse,
Fuis les Dieux, fuis ! ou crains leur foudre vengeresse :
La chasteté leur plaît. D'un lin pur décorés
Plongez une main pure au sein des flots sacrés.
Regardez la victime à l'autel amenée ;
La foule suit ses pas, d'oliviers couronnée.
Dieux, nous purifions les champs et leurs pasteurs.
Vous, loin de ces climats, repoussez les malheurs ;
Que jamais les guérets ne craignent l'herbe avide,
Ni la lente brebis la dent du loup rapide.
On verra le colon, de ses nombreux ormeaux,
A ses foyers ardents prodiguer les rameaux,
Et ses fils, que nourrit une terre féconde,
En voûte assoupliront la branche vagabonde.
Pasteurs, le ciel propice a comblé tous vos vœux ;
La fibre prophétique annonce un sort heureux,
Que l'odorant Falerne au festin vous appelle ;
Que, brisant ses liens, le vieux Chio ruissèle ;
Le buveur, inondé du nectar pétillant,
Peut aujourd'hui, sans honte, errer d'un pied tremblant.
A mon héros absent buvons pleins d'allégresse;
Son nom dans nos discours doit retentir sans cesse.
L'Aquitaine a péri sous ses coups glorieux,
Et sa gloire a vaincu celle de ses aïeux.
Messala, viens, accours ! ta présence m'inspire ;
Viens, des Dieux de nos champs je célèbre l'empire.
Ces maîtres immortels ont instruit l'homme errant
A repousser la faim sans le secours du gland,
A dépouiller les bois, enfants du premier âge,
Destinés à couvrir l'humble toit de feuillage ;
Ils livrèrent au joug les taureaux indomptés ;
Sur leur essieu brûlant les chars furent montés;
La greffe alors rendit Pomone plus féconde ;
Les jardins altérés des ruisseaux burent l'onde ;
La grappe sous les pieds fit jaillir sa liqueur,
A la fougue du vin l'eau mêla sa fraîcheur;
Cérès, quand Apollon embrase la nature,
Vit tomber sous la faux sa Monde chevelure ;
L'abeille aux jeunes fleurs déroba leur trésor,
Et de leur ambroisie emplit ses rayons d’or ;
Le pasteur fatigué, pour charmer la tristesse,
Asservit à des lois les chants de l'allégresse,
Et pressant sous les doigts de légers chalumeaux
Célébra ses amours, ses Dieux et ses travaux.
O Bacchus ! un berger, le front couvert de lie,
Régla des premiers chœurs la joyeuse folie,
Et d'une riche étable immola le bélier ;
Ce bélier des troupeaux était le chef altier.
Dans les champs se tressa la première guirlande
Dont un enfant aux Dieux fit la timide offrande ;
Dans les champs, la brebis de sa molle toison
Enrichit la bergère en l'ardente saison.
La quenouille bientôt reçut la laine humide,
Le doigt la fit tourner sur le fuseau rapide;
Et la navette agile, errant sur le métier,
Mêla son bruit léger aux chants de l'ouvrier.
L'Amour même, ce Dieu si fier de sa puissance,
L'Amour dans les hameaux a reçu la naissance :
Son arc mal assuré, ses traits encor nouveaux,
S'exercèrent d'abord sur les faibles troupeaux.
Mais en bien peu de temps que sa main ignorante
(Pour mon malheur, hélas !) devint sûre et savante !
Les troupeaux ne sont plus percés d'un trait cruel :
Il poursuit la beauté, l'audacieux mortel ;
Le jeune homme pour lui prodigue sa fortune ;
De ses vœux impuissants le vieillard l'importune ;
L'amante échappe seule aux gardiens endormis,
Et, se glissant la nuit au rendez-vous promis,
De ses pieds suspendus sonde les chemins sombres,
De ses bras allongés interroge les ombres.
Malheureux ceux qu'Amour voit d'un œil menaçant !
Heureux qui sent du Dieu le souffle caressant !
Amour, viens aux festins, mais dépose tes armes :
Loin de nous tes flambeaux, loin de nous tes alarmes!
Pasteurs, à haute voix, prions pour nos guérets;
Priez à voix plus basse, ô vous amants discrets ;
Non, sans crainte parlez : la flûte de Phrygie
Couvre les vœux formés dans la bruyante orgie.
Hâtez-vous : la nuit froide attèle ses coursiers ;
Les astres, rallumant leurs feux hospitaliers,
De leur mare voilée éclaircissent les ombres.
Le sommeil taciturne, entouré d'ailes sombres
S'avance lentement sur son char paresseux,
Et les songes légers suivent d'un pied douteux.
Je veux, dans ce beau jour, consacrant ta naissance,
Offrir des vœux pour toi. Mortels, faites silence,
Et brûlez les parfums, brûlez l'encens sacré,
Par la riche Arabie à nos Dieux préparé.
Assiste à tes honneurs, ô bienfaisant génie !
Qu'une molle guirlande à ton front soit unie;
Que le nard le plus pur coule de tes cheveux ;
Reçois ces saints gâteaux et ce nectar fumeux.
Cérinthe, puisse-t-il exaucer ta prière !
Parle ; pourquoi trembler ? ton soudait doit lui plaire.
Une épouse fidèle est le vœu de ton cœur.
Ah ! les Dieux, je le vois, t'apprêtent ce bonheur.
Tu la préférerais à la plus vaste plage
Que fend du fort colon le nerveux attelage,
Aux humides trésors du flot oriental,
Dont les feux du matin rougissent le cristal.
Tes vœux sont exaucés : le fils de Cythérée
D'une aile agile apporte une chaîne dorée,
Une chaîne d'hymen à l'épreuve du temps,
Dont la main flétrira la fleur de ton printemps.
Jour fortuné, reviens ! et puisse en sa vieillesse,
Près de lui, de ses fils, folâtrer la jeunesse !
Les champs et leurs travaux captivent Némésis.
Qui ne voudrait la suivre aux bords qu'elle a choisis?
La riante Vénus l'accompagne au village,
Où son enfant s'exerce au rustique langage.
Oh ! si ma Némésis sur moi jetait les yeux,
Avec quelle vigueur mon bras industrieux
Retournerait la glèbe, et de mes bœufs dociles
Dirigerait les pas en des sillons fertiles,
Tandis que sur le soc tout mon corps pèserait.
Oui, je verrais alors, sans plainte et sans regret,
Mes membres desséchés par la chaleur ardente,
Mes deux mains qu'ouvrirait une tumeur mordante.
Apollon chez Admète a conduit les troupeaux :
Amour, ses beaux cheveux courbés en longs anneaux,
Son luth, et de ses sucs la vertu secourable,
Ne le guérirent point de ton mal incurable,
Ce Dieu tressa le jonc qui, par un art adroit,
Au lait qu'il emprisonne ouvre un passage étroit.
Combien de fois Diane a rougi de son frère
Portant un faible agneau délaissé sur la terre !
Combien de fois un pâtre et ses bœufs mugissants,
De sa lyre savante ont troublé les accents !
Souvent les chefs vaincus et la foule tremblante
Le consultaient en vain d'une voix suppliante.
Souvent sous l'humble chaume et de grossiers habits
Latone, en le voyant, cherchait encor son fils.
A tes cheveux épars, à leurs nœuds sans parure,
Dieu du Pinde, on cherchait ta belle chevelure.
Où donc est ta prêtresse, et Delphes et Délos ?
Quoi ! l'Amour te retient sous le toit des hameaux !
Age trois fois heureux, où l'Olympe sans honte
Se prosternait au pied des autels d'Amathonte,
On vous traite de fable ; et, si l'on aime un jour,
La fable est préférée à des Dieux sans amour.
Toi, qui loin de la ville entraînes ma maîtresse,
Cérès, que les sillons dévorent ta richesse ;
Et toi, tendre Bacchus, père du jus divin,
Délaisse tes pressoirs, taris tes flots de vin.
Quel mortel peut souffrir qua les tristes campagnes
Avec impunité dérobent nos compagnes?
Tous les flots de nectar valent-ils un tel prix?
Non, de son doux parfum ne soyons plus épris,
Nourrissons-nous de gland, buvons une onde pure ;
Le gland à mes aïeux servait de nourriture,
Et dans leur vie errante ils aimèrent toujours.
Eh ! que leur importaient de serviles labours ?
Un rideau de feuillage et des lits de fougère,
Aux plaisirs de Vénus invitaient la bergère.
Alors point de gardiens, alors point de verrous ;
Doux usage, reviens, ah ! reviens parmi nous !
Volons vers Némésis, cultivons ses domaines,
Sans craindre les tourments et le poids de ces chaînes.
Ainsi, je vois l'apprêt de ma captivité ;
Reçois donc mes adieux, ô douce liberté !
Esclave de l'Amour, ma résistance est vaine :
Non, jamais ce tyran ne brisera ma chaîne.
Je brûle.... Quel forfait m'attire tant de maux ?
Mon cœur brûle.... Ah ! cruelle, écarte ces flambeaux.
Dieux ! je ne puis souffrir cette douleur horrible.
Que ne suis-je plutôt ou la pierre insensible,
Ou l'écueil dont les flancs domptent les aquilons,
Brisent les vastes flots en naufrages féconds !
Jours amers, et vous nuits plus amères encore,
Pourquoi m'abreuvez-vous d'un fiel qui me dévore?
O touchante élégie, ô lyre des Amours,
Hélas ! je vous appelle en vain à moi secours ;
C'est l'or que sollicite et veut sa main avare.
Ah ! si vous ne pouvez fléchir ce cœur barbare,
Muses, fuyez : mes soins ne vous cultivent pas.
Pour chanter un héros ministre du trépas,
Et suivre d'Apollon la route radieuse,
Et sa sœur éclairant la nuit silencieuse.
Je cherche un sûr accès au cœur de Némésis ;
Muses, fuyez au loin, mes amours sont trahis.
Courons donc le ravir par le crime et les armes,
Cet or qui fait couler et peut tarir mes larmes.
Enlevons aux lieux saints les tributs des mortels ;
Mais de Vénus d'abord profanons les autels :
Vénus, tu m'as donné cette avide maîtresse ;
Tu sentiras les coups de ma main vengeresse.
Périsse le mortel qui nous vend à grand prix
La pourpre de Sidon, l'étincelant rubis,
Le tissu de Céos, les brillants coquillages
Que l'orient prodigue aux flots de ses rivages :
De là les clefs d'airain, les gardiens, les verrous,
Les chiens grondeurs fixés aux portes des jaloux.
Mais faites briller l'or ; les surveillants s'apaisent,
Les clefs tournent sans bruit, les chiens même se taisent.
Ah ! le Dieu créateur d'une avare beauté,
Sous mille maux affreux, cache la volupté.
Il nourrit le courroux, les larmes et le blâme,
Tout ce qui fait maudire et Vénus et sa flamme
Toi, qui fuis ton amant, s'il ne prodigue l'or,
Puissent les vents, les fruits dévorer ton trésor,
Et la foule sourire à la flamme indomptable,
Sans daigner apporter une onde secourable !
Que ton heureux trépas ne coute point de pleurs ;
Que ton marbre glacé demande en vain des fleurs !
Dût-elle, après cent ans, descendre au noir Ténare,
On pleure la beauté qui ne fut point avare :
Un vieillard, vénérant leurs antiques amours,
Rempli des souvenirs de ses plus heureux jours.
De fleurs orne la tombe où s'arrête sa vue,
S'éloigne lentement, pleure, et dit, l'âme émue j
Puisses-tu dans ces lieux mollement reposer !
Terre, sur son tombeau garde-toi de peser.
Je dis la vérité : grands Dieux ! à quoi sert-elle ?
L'Amour, l'Amour m'enchaîne aux pieds de la cruelle.
Eh bien ! vendons le toit qu'habitaient nos aïeux.
Adieu, Lares sacrés, allez, antiques Dieux.
Donnez-moi de Circé, donnez la coupe impie,
Les poisons de Médée et de la Thessalie,
Les feux que Vénus souffle aux troupeaux amoureux,
L'hippomane brûlant du coursier belliqueux ;
Donnez, et je boirai cette coupe mortelle,
Pour un léger sourire, un mot de l'infidèle.
Apollon, favorise un pontife nouveau,
Dont le front aujourd'hui va ceindre ton bandeau.
Viens, et mêle les voix de ta savante lyre
Aux chants harmonieux que ta gloire m'inspire.
Dieu du Pinde, orne-toi de lauriers immortels;
Les dons du sacrifice ont chargé tes autels.
Viens, Dieu brillant, revêts ta céleste parure,
Déroule en longs anneaux ta blonde chevelure ;
Ainsi tu célébrais, au jour de ta splendeur,
La fuite de Saturne et Jupiter vainqueur.
Tu connais l'avenir ; ce que le ciel apprête
L'oiseau sacré l'annonce à ton seul interprète ;
Ta main régit les sons ; par toi, l'œil curieux
Dans un sein palpitant lit les décrets des Dieux ;
Et, pleines de tes feux, les Sibylles antiques
N'ont jamais trompé Rome en leurs vers prophétiques.
Prêtresse d'Apollon, puisse Messalinus
Toucher tes livres saints, voir tes sorts inconnus !
Tu prédis sa grandeur au généreux Enée,
Qui de Rome ignorait la haute destinée,
Quand à travers ses murs écroulés et brûlants,
Il partait son vieux père et ses Lares tremblants ;
Et triste contemplait, des hauteurs de Pergame,
Ses temples et ses Dieux dévorés par la flamme.
Ils n’étaient pas encor fondés par Romulus,
Ces remparts éternels interdits à Rémus,
Où l'heureux capitole élève un front superbe ;
Autour de l'humble chaume un troupeau paissait l'herbe.
Pan buvait un lait pur à l'ombre des forais ;
Le fer arrondissait l'image de Palès ;
Le pasteur vagabond, aux longs bras de l’yeuse,
Saintement suspendait la flûte harmonieuse ;
La flûte que formaient des roseaux décroissant,
Dont la cire unissait les tuyaux frémissants.
Le Vélabre inondé, sur des barques légères,
Vers leur maître charmé conduisait les bergères,
Portant du lait durci, des pommes au front d'or,
D'une blanche brebis l'agneau plus blanc encor.
O frère de l'Amour ! toi qui vers l'Italie
Fortes sur tes vaisseaux les Dieux de la patrie,
Jupiter te promet les champs des Laurentins ;
Ils appellent les Dieux, et fixent tes destins.
De nouveau s'admirant sur ces heureux rivages,
Troye alors applaudit à tes lointains voyages,
Et tu viendras un jour t'asseoir au rang des Dieux,
Quand le saint Numicus t'enverra dans les cieux.
La victoire s'assied sur ta flotte épuisée ;
La superbe Junon est enfin apaisée.
Je vois le camp Rutule en proie aux feux vengeurs,
Le barbare Turnus percé de traits vainqueurs ;
Laurens, Lavinium me montrent leur campagne;
Albe élève ses murs sous l'empire d'Ascagne ;
Je t'aperçois aussi, jeune amante de Mars !
Vesta n'a plus de feux, tes bandeaux sont épars,
Et le Dieu qu'en secret sollicitent tes charmes,
Impatient d'amour, a rejeté ses armes.
Taureaux, vous le pouvez, paissez sur les sept monts :
Hâtez-vous, Rome entière ombragera leurs fronts.
O Rome ! tu verras soumis à ton empira
Tous les champs que Cérès du haut des cieux admire,
Tous les lieux où Phébus darde ses feux naissain,
Et plonge dans les flots ses coursiers frémissants.
Ainsi qu'impunément le laurier me nourrisse,
Que ma virginité jamais ne se flétrisse.
A ces mots, sur le front les cheveux hérissés,
Elle dit les malheurs aux mortels annoncés
Par la sage Amalthé, la savante Mermesse,
Hérophile, en naissant, chère au Dieu du Permesse,
Albuné, qui franchit les flots religieux
Redoutant d'approcher les oracles des Dieux.
Toutes avaient prédit l'astre signal des guerres,
Les nuages croulants en orages de pierres ;
Et les dards, les clairons dans l'air retentissaient ;
Les bois silencieux tristement gémissaient ;
Le soleil, refusant ses doux rayons au monde.
Attela ses coursiers dans une nuit profonde ;
Le marbre s'attendrit, on vit pleurer l'airain,
Et des bœufs annoncer les arrêts du destin.
Bienfaisant Apollon, livre à toute la rage
Et des flots et des vents cet odieux présage.
Que le laurier sacré, brûlé sur les autels.
Annonce en pétillant le bonheur aux mortels.
Triomphez, laboureurs ; la flamme protectrice
Jaillit en gerbes d'or de ce laurier propice ;
Sous le poids de Cérès vos greniers fléchiront,
Des torrents de nectar sous vos pieds couleront ;
Les cuves, les pressoirs manquent à la vendange.
La jeunesse enivrée autour des feux se range,
Et célèbre Palès. Fuyez, loup ravisseur,
La paille est allumée, et l'agile pasteur
Franchit d'un bond léger la flamme qui pétille ;
Le tendre Hymen promet d'accroître sa famille :
Déjà je vois un fils à son cou s'élancer,
Et de ses petits bras, en riant, le presser.
L'aïeul garde ce fils, mollement le balance,
Et bégaie avec lui les doux mots de l'enfance.
Sur les fleurs la jeunesse, assise avec l'Amour,
Appelle la folie ; et, voilant l'œil du jour,
L'ombre légère tombe au pied de l'arbre antique,
Les habits enlacés s'allongent en portique ;
Une urne couronnée appelle les buveurs
Des tables de verdure et des sièges de fleurs
S'élèvent ; de Bacchus la liqueur écumante
Fait courir à la ronde une gaîté bruyante ;
L'amant ivre maudit l'objet de son ardeur;
Mais, plus calme, il maudit sa jalouse fureur ;
En tombant, l'œil en pleurs, aux pieds de sa maîtresse,
Jure que sa raison s'égara dans l'ivresse.
O Dieu puissant du Pinde, accorde-nous la paix.
Périssent tous les arcs, périssent tous les traits !
Que sans arme l'Amour erre sur nos rivages.
Hélas! hélas! ces traits ont fait tant de ravages !
Qui le sait mieux que moi ! blessé, près de mourir,
Nourrissant ma blessure, aimant à la nourrir,
A peine, ô Némésis, puis-je chanter ma flamme,
Qui seule fait couler les beaux vers de mon âme.
Cruel Amour, puissé-je arracher ton bandeau,
Fouler aux pieds tes dards, éteindre ton flambeau!
Mais en vain je te jure une éternelle haine,
Un mot, un geste, un rien à tes pieds me ramène.
Si des fils d'Apollon les Dieux sont protecteurs,,
Ah ! daigne, Némésis, m'épargner tes rigueurs.
Que de Messalinus je chante la victoire,
Quand il étalera les tableaux de sa gloire,
Près du char triomphal, entouré de guerriers,
Le laurier à la main, le front ceint de lauriers,
Tandis que l'œil charmé des maîtres de la terre,
Verra le fils vainqueur applaudi par son père.
Phébus, exauce-nous ! et puissent à jamais
Ta sœur rester pudique et ton front plein d'attraits.
Que deviendra l'Amour quand Macer suit Bellone?
D'un casque étincelant que l'Amour se couronne,
Et, de dards hérissé, s'avance à ses côtés,
Vers des climats lointains, sur les flots irrités.
Amour, brûle un mortel transfuge de Cythère,
Rends à tes étendards ce soldat téméraire.
Si tu crains les guerriers, je cours sous leurs drapeaux^
Mou casque puisera dans l'onde des ruisseaux.
Je pars. Adieu, Vénus, adieu ! beauté volage,
Le clairon retentit, et je sens mon courage.
Trop superbe discours ! un dédaigneux accueil
Une porte fermée a brisé votre orgueil.
J'ai tant juré de fuir cette porte inhumaine ;
Quand je l'ai bien juré, mon amour m'y ramène.
Vous à qui Vénus montre un front impérieux,
Venez asseoir vos camps, combattre sous mes yeux.
Oui, ce siècle d'airain, à Vénus infidèle,
N'encense que l'or seul, de maux source éternelle.
L'or aiguise le fer des féroces combats,
Et dans les flots de sang la mort hâte le pas ;
L'or, d'éperons guerriers, arme la nef flottante,
Et double le danger d'une mer inconstante ;
L'or donne à ce brigand des plaines, des coteaux,
Couvre ses vastes champs d'innombrables troupeaux;
Pour lui, dans la cité qui sous ce poids résonne,
Mille taureaux nerveux trament une colonne;
Thétis est enfermée en un môle aux longs bras,
Où le poisson des flots ne craint point les combats ;
Et Samos lui pétrit l'étincelante argile,
Et Cumes l'arrondit sur une roue agile.
Hélas ! hélas ! ce siècle aime le seul Plutus.
Eh bien ! prodiguons l'or à l'avare Vénus.
Avide Némésis, engloutis mes richesses;
Etale dans nos murs le fruit de mes largesses,
La gaze de Céos, et son tissu flottant,
Où l'on voit l'or s'ouvrir un chemin éclatant ;
L'esclave que l'Indus noircit sur son rivage,
Qu'approche du soleil le brûlant attelage
Du climat africain les superbes toisons,
Celle que Sidon plonge en ses brillants poisons :
Alors, flétri des fers, qu'un brigand se présente,
Si l'or remplit ses mains, tu feras une amante.
LA mort aurait déjà terminé mon malheur,
Mais le crédule espoir échauffe encor mon cœur,
Et me répond toujours : Demain plus de souffrance.
L'espérance en nos champs dépose la semence,
Qui paye avec usure un pénible labeur ;
Elle attend les oiseaux près d'un filet trompeur;
A la ligne suspend le poisson trop avide,
Attiré par l'appât de l'hameçon perfide.
L'espérance soutient l'esclave en ses revers ;
Il souffre, mais espère, et chante au bruit des fers.
L'espérance m'offrait Némésis plus facile;
Mais son cœur à l'Amour est toujours indocile.
Cruelle, prends pitié de ma longue douleur,
Je t'en conjure au nom des mânes de ta sœur.
Hélas ! un jour vit naître et mourir cette rose !
Dieux ! qu'un sable léger sur sa tombe repose !
Sa tombe recevra des présents et des fleurs,
Qu'enlaceront mes mains, qu'arroseront mes pleurs.
Je veux la supplier, et sa cendre muette,
Attentive à la voix de ma douleur secrète,
Ne souffrira jamais qu'un malheureux amant,
Assis sur un tombeau, gémisse vainement.
Tremble de l'irriter : dans la nuit effrayante
Le sommeil t'offrirait ta sœur pâle, mourante,
Comme au jour douloureux où le destin fatal
Plongea son corps sanglant au rivage infernal.
Ne renouvelons point ta peine trop amère,
Hélas ! bientôt des pleurs mouilleraient ta paupière.
Moi ! te faire pleurer ! j'en atteste les Dieux,
Les pleurs ne sont point faits pour ternir tes beaux yeux
Ma Némésis est bonne, et ma bouche n'accusa
Que sa vile Phryné qui tous deux nous abuse :
Elle porte et rapporte, en son perfide sein,
De mon rival caché le billet clandestin
Souvent, quand sur ton seuil, j'entends ta voix si douce
Elle te jure absente, et soudain me repousse ;
Souvent quand ton amour me fixe un rendez-vous,
Tu souffres, me dit-elle, ou tu crains les jaloux.
Mes yeux ont vu briller cette heureuse journée,
Qui, dans Rome, autrefois en pompe ouvrait l'année,
Et l'amitié soigneuse offre de toutes parts
Ses dons nombreux errants au sein de nos remparts.
Muse, dis quel présent peut flatter mon amante:
Car je l'aime toujours, infidèle ou constante.
L'or séduit l'avance, et les vers la beauté :
Aux vers de ton amant souris avec bonté.
Une pierre mordante, en imprimant sa trace,
De ce livre a poli l'éclatante surface,
Dont le faîte élégant voit briller nos deux noms,
Et de vives couleurs surmonter ses deux fronts.
Ah ! peut-on trop orner les dons de la tendresse,
Destinés à fixer les yeux d'une maîtresse ?
Muse, qui tiens ma lyre et me dictes mes vers,
Par l'eau de Castalie et ses ombrages verts,
Remets dans son éclat, sans qu'il se décolore,
Ce modeste présent à celle que j'adore ;
Et daigne m'informer si sa première ardeur
S'accroît ou s'affaiblit, ou s'éteint dans son cœur.
Incline avec respect ton front devant ses charmes;
Dis-lui, d'un air soumis, les yeux mouillés de larmes :
Reçois ce don léger d'un amant malheureux
Auquel l'hymen jadis avait promis ses nœuds,
Deviens sa chaste épouse ou reste son amie,
Tu lui seras toujours plus chère que la vie ;
Mais l'espoir à ton sort d'être uni par l'amour
Me l'abandonnera qu'au ténébreux séjour.
Il eut un cœur de fer, bien digne de tourment,
Celui qui le premier sépara deux amants !
Il fut aussi cruel s'il supporta la vie,
Le mortel arraché des bras de son amie.
Non, je ne peux survivre à ce malheur affreux ;
L'excès de In douleur brise un cœur courageux ;
Et je ne rougis point d'avouer ma faiblesse,
Hi les soins dévorants qui m'accablent sans cesse.
Ah ! quand je descendrai dans la nuit des tombeaux.
Quand la flamme funèbre aura blanchi mes os,
Nééra, les cheveux épandus sur tes charmes,
Arrose mon bûcher de longs torrents de larmes.
Puisse ta bonne mère aussi gémir sur nous !
Que l'une pleure un gendre et l’autre son époux.
Trois fois invoquez-moi dans vos hymnes pieuses,
Plongez au sein des dons vos mains religieuses ;
Le corps couvert des plis de sombres vêtements,
Avec soin recueillez mes tristes ossements :
Qu'un vin vieilli par l'âge aussitôt les arrose ;
Qu'ensuite en un lin pur votre main les dépose,
Dans un voile de lin, ces ossements pressée,
Reposeront alors sous les marbres glacés.
Là vous viendrez gémir. La riche Pauchaïe,
L'Assyrie odorante, et la molle Arabie,
Sur mon tombeau couvert de guitlandes.de fleurs,
Mêleront leurs parfums au tribut de vos pleurs ;
Et ces deux vers graves sur l'urne où je repose,
Rediront de ma mort la déplorable cause :
« Ici gît Lygdamas : privé de ses amours,
» La peine et le regret consumèrent ses jours. »
Pourquoi charger le ciel de mes vœux impuissants,
Prodiguer aux autels la prière et l'encens !
D'un palais fastueux habitant magnifique,
Désirai-je fouler le marbre d'un portique ;
Renouveler la glèbe avec mille taureaux,
Et remplir mes greniers des fruits de mes travaux?
Non, je voulais m'unir aux plaisirs de ta vie ;
Appuyer sur ton sein ma tête appesantie,
En ce fatal instant, par le sort arrêté,
Où je dois passer nu la barque du Léthé.
Que servent le fardeau si pesant des richesses,
Ces bœufs fendant un sol prodigue de largesses,
Les marbres de Ténare et des bords Phrygiens,
De superbes palais immobiles soutiens;
Les bocages rivaux de nos forêts sacrées,
Les pavés de porphyre et les poutres dorées,
La perle que Thétis aux. mortels offre en don,
La laine colorée aux remparts de Sidon ?
Tous ces biens fugitifs qui tourmentent la vie,
Contre leurs possesseurs arment toujours l'envie ;
Mais ils n'allègent point le poids de leurs revers :
Les décrets du Destin gouvernent l'Univers.
Avec toi, Nééra, la pauvreté m'est chère ;
Sans toi je ne veux point des trésors de la terre.
O jour pur et brillant, jour quatre fois heureux,
Qui me rendra l'amante objet de tant de vœux !
Mais si l'Amour entend d'une oreille ennemie
Ce vœu d'un cœur brûlant de presser son amie ;
L'or des flots Lydiens, la couronne d'un roi.
Tout l'Univers enfin perd ses attraits pour moi.
Puissé-je seulement, dans ma vie indigente,
Couler des jours de paix au sein de mon amante.
Junon, daigne accueillir ce vœu d'un cœur épris ;
Sur ta conque azurée accours, belle Cypris.
Ou, si les tristes sœurs, les parques insensibles.
Dirigeant dans leurs mains des fuseaux inflexibles,
Refusent son retour : O Dieu des sombres bords,
Appelle un malheureux dans l’empire des morts.
Riche en vastes marais, en ondes paresseuses,
Qui jamais n’ont quitté leurs rives ténébreuses.
Dieux puissants! donnez-nous un plus heureux augure
Et de ce songe affreux dévoilez l'imposture.
Oui ; fuis, songe menteur ! ne surprends point ma foi;
Les oracles des Dieux sont les seuls vrais pour moi.
A la voix du Toscan, la victime fumante
Fait jaillir l'avenir de sa fibre mourante ;
Mais les songes légers, vains enfants de l'erreur,
Au seul mortel craintif apportent la terreur,
Et, pour les apaiser, son âme timorée
Offre un sel pétillant, une pâte sacrée.
Ministre de l'erreur ou de la vérité,
Songe, qui que tu sois, fuis mon cœur attristé.
Toi, Lucine, bannis sa funeste apparence,
Ouvre ce cœur timide à la douce espérance,
S'il ne s'est point souillé de crimes odieux,
Si ma langue jamais n'a blasphémé les Dieux.
Déjà la nuit, quittant des cieux la vaste plaine,
Dans les flots azurés plongeait son char d'ébène,
Et le sommeil encor ne fermait point mes yeux.
Hélas ! le sommeil fuit le seuil du malheureux !
Lorsque le Dieu du jour, sorti du sein de l'onde.
De son premier regard eut éclairé le monde,
Le dieu Morphée enfin, se traînant à pas lents,
Secoua sur mes yeux ses pavots indolents.
Ceint du chaste laurier, ornement de sa tête,
Près de ma couche alors un jeune homme s'arrête.
Aucun âge ne vit d'aussi brillants attraits :
La majesté d'un Dieu respire dans ses traits ;
Sa longue chevelure, en boucles disposée,
Des parfums syriens distille la rosée ;
Sa blancheur, de Diane égale la blancheur ;
La neige de son corps se mêle à la rougeur
Dont s'embellit la vierge, à l'heure où l'hyménée
Ouvre à son jeune époux la couche fortunée.
Telle au lis l'amarante enlace ses rameaux ;
Tel l'automne rougit les fruits de vos coteaux.
Superbes vêtements de sa beauté naissante,
A ses pieds se jouait une robe flottante,
Et sa lyre, où l'écaille et l'or sont incrustés,
Prodige heureux de l'art, brillait à ses cotés.
D'abord l'archet d'ivoire et ça voix éclatante
Unirent ces accords que le bonheur enfante ;
Bientôt il suspendit les sons retentissants,
Et d'un mode plus triste attendrit ses accents :
Salut, ami des Dieux! Oui, les chastes poètes
Des neufs sœurs, de Bacchus sont les seuls interprètes
Mais ces divinités s'efforceraient en vain
D'offrir à tes regards le livre du Destin.
Mon père ma légué ce pouvoir redoutable,
Qui pénètre du Dieu le voile impénétrable.
De ma bouche infaillible écoute les arrêts,
Et crois à Cynthius qui ne trompa jamais.
L'objet de tes soucis, celle qui t'est plus chère
Qu'une fille charmante à la plus tendre mère,
Que sa belle maîtresse au jeune homme amoureux,
Celle pour qui le ciel a reçu tant de vœux,
Dont l'image te suit au lever de l'aurore,
Et dans la nuit trompeuse aime à te suivre encore,
La belle Nééra, célèbre par tes vers,
Du désir de changer nourrit son cœur pervers.
Oui, pour ce cœur ingrat, insensible à tes larmes,
Une chaste demeure a perdu tous ses charmes.
Sexe faux et crue!, périsse parmi vous
La volage qui montre à tromper un époux !
Mais tu peux la fléchir, toute femme est légère ;
Cours lui tendre les bras, prodigue la prière.
L'Amour cruel enseigne à tenter les travaux ;
L'Amour cruel enseigne à souffrir tous les maux.
Chez Admète autrefois j'ai gardé les génisses,
Ce n'est pas une fable, enfant de vains caprices.
Mon luth mélodieux, muet entre mes doigts,
Ne se mariait plus aux accents de ma voix.
J'accordai ces roseaux, frêles jouets de l'onde,
Moi, le fils de Latone et du maître du monde.
Si tu ne peux souffrir son courroux, ses rigueurs,
Non, tu ne connais pas le fier tyran des cœurs.
A ses pieds, en pleurant, porte une plainte amère :
Les cœurs durs sont vaincus par la douce prière.
Si la vérité sort du temple d'Apollon,
Va trouver Nééra, cours lui dire en mon nom :
Apollon te proclame en ce jour mon amante,
Et t'offre le bonheur, si tu restes constante.
Il dit, et le sommeil s'écoule de mes sens.
Dieux ! puissé-je éviter des traits aussi perçants !
Ma maîtresse entretient une infidèle flamme.
Cet odieux forfait pourrait souiller son âme ?
Non, du gouffre des mers les flots tumultueux,
La Chimère roulant des tourbillons de feux,
Cerbère au triple front, aux trois gueules sanglantes,
Scylla les flancs armés de meutes aboyantes,
Les Syrtes, la Scythie et leurs affreux climats,
La lionne en fureur ne l'enfantèrent pas.
Elle doit sa naissance à la plus douce mère,
Et ses vertus aux soins du plus aimable père.
O Dieu puissant ! bannis ces cruels souvenirs ;
Qu'ils volent, dispersés sur l'aile des zéphyrs !
L’onde des bords toscans vous a donc arrêtés!
Cette onde malfaisante en nos brûlants étés,
Prodigue les trésors d'une santé nouvelle
Quand Flore rajeunit les charmes de Cybèle.
Hélas ! la mort sur moi darde un trait menaçant.
O Perséphone ! épargne un jeune homme innocent.
Je n'ai point soulevé, de mes mains téméraires,
Le voile dont Cérès a caché ses mystères,
Dans le sang paternel précipité mon bras,
A l'innocence offert la coupe du trépas,
Ni dans les temples saints porté la flamme impie ;
Aucun remords vengeur n'empoisonne ma vie;
De ma langue insensée un blasphème odieux
N'a jamais profané la majesté des Dieux ;
La vieillesse courbée, et se traînant à peine,
N'a point de mes cheveux encor blanchi l'ébène.
Mes parents m'ont vu naître à l'heure où les destins
Fixèrent le trépas de deux consuls romains.
Pourquoi donc arracher à la vigne naissante
Le doux raisin caché sous la feuille tremblante,
Et d'une main barbare, aux paternels rameaux
Ravir leurs tendres fruits nouvellement éclos?
Pâles dominateurs de ce morne rivage
Que le sort à Pluton légua dans son partage.
Ah ! ne me faites voir les Champs Elyséens,
La barque de Léthé, les lacs Cimmériens,
Qu'au jour où, sillonné par la pâle vieillesse,
Mes antiques récits charmeront la jeunesse.
Dieux ! puissé-je éprouver une vaine terreur !
Depuis trois fois cinq jours je languis de douleur.
O vous qui fréquentez les bains de l'Etrurie,
Dont vos bras mollement fendent l'onde chérie,
Vivez, vivez heureux, et ne m'oubliez pas,
Soit que bientôt je meure, ou trompe le trépas,
Et promettez aux Dieux des ténébreux abîmes
Du lait pur, un vin vieux, et de noires victimes.
Accours, divin Bacchus, pampres mystérieux,
Lierres, ornez le front du plus riant des Dieux.
Mais que mon noir chagrin s'enfuie à sa présence ;
Souvent l'Amour vaincu reconnaît sa puissance.
Accours, jeune échanson ; verse un vin généreux,
Verse d'un bras penché le Falerne écumeux.
Fuyez, peines, soucis ; fuyez, races impures ;
Apollon fait briller de plus heureux augures.
O vous, mes chers amis ! secondez mon dessein ;
Accourez avec moi vous asseoir au festin.
Si quelqu'un fuit l'assaut de la joyeuse messe,
Puisse un jour en secret le tromper sa maîtresse !
Bacchus double l'esprit, anime la gaité ;
Il brise les cœurs durs, les livre à la beauté ;
Il vainquit les lions, les tigres d'Arménie,
Et sa main caressante amollit leur furie.
Amour, toi seul au monde as des traits plus puissants :
Mais de Bacchus vainqueur apportez les présents.
Qui de vous, sans effroi, peut voir sa coupe vide ?
Buvons, Bacchus sourit au buveur intrépide.
Qui du nectar joyeux ardent adorateur,
Boit à longs traits les flots de la douce liqueur.
Mais vous qui lui montrez un regard trop sévère,
Redoutez de ce Dieu l'indomptable colère ;
Songez au sort fatal du malheureux Penthé,
Dont la mère foula le corps ensanglanté.
Fuyez au loin, fuyez, ô fureur vengeresse !
Que le courroux du Dieu tombe sur ma maîtresse !
Insensé ! qu'ai-je dit ? ô vents impétueux,
Nuages, dans les airs dispersez tous ces vœux.
Quoiqu'à mon désespoir Nééra m'abandonne,
Puisse-t-elle être heureuse, et mon cœur lui pardonne.
Consacrons ces instants aux plaisirs du festin,
Après tant de malheurs brille un jour plus serein.
Hélas ! l'âme blessée, à la tristesse en proie,
Feint difficilement une trompeuse joie ;
La bouche arrange mal un souris imposteur,
Et l'accent du plaisir sied mal à la douleur....
Pourquoi gémir toujours ? fuyez, vaines alarmes !
Le Dieu du Gange abhorre et la plainte et les larmes.
Tu pleuras, Ariane, au bord des flots déserts,
Quand ton perfide époux te fuyait sur les mers.
Ton désespoir revit dans les vers de Catulle.
Ecoutez aujourd'hui les leçons de Tibulle.
Redoutez les amours et leurs soins empressés :
Leurs bras avec mollesse autour du cou passés,
Les discours séducteurs de leur bouche éloquente,
Le doux souris errant sur leur lèvre charmante,
Leurs baisers enflammés et leurs tendres serments,
Sont des pièges tendus aux crédules amants.
Jupiter sourit même au parjure des belles,
Et les vents, à sa voix, l'emportent sur leurs ailes....
Mais quoi ! l'ingrate encor rallume mon courroux !
Douloureux souvenirs, allez, éloignez-vous !
Que ne suis-je avec elle au lever de l'aurore,
Au coucher du soleil, ah ! que n'y suis-je encore !
Perfide Nééra, tu consumes mes jours j
Perfide… eh bien! perfide… oui, je t'aime toujours.
Bacchus chérit aussi le cristal des naïades,
Tempérons dans leurs flots la liqueur des ménades.
Si l'infidèle fuit la table du festin,
Et brûle de voler dans un lit clandestin,
Etouffons nos sanglots, cachons-lui bien nos larmes.
Esclave, verse-moi ce nectar plein de charmes.
Déjà le nard de Tyr, des couronnes de fleurs,
Auraient dû sur mon front exhaler leurs odeurs.
Aucune autre beauté n'aura jamais ma foi : !
Je dois à ce serment le bonheur d'être à toi.
Oui, toi seule me plais ; toi seule, ô mon amante !
A mes regards séduits parais toujours charmante.
Grands Dieux ! puissé-je seul admirer ta beauté !
Déplais au monde entier pour ma sécurité.
Fuyons l'éclat, fuyons cette gloire vulgaire ;
L'amant sage jouit dans le sein du mystère.
Avec toi, je vivrais au fond des bois lointains,
Où le pied des mortels ne foule aucuns chemins;
Tu serais mon flambeau dans une nuit profonde,
Mon repos dans mes soins, dans un désert, le monde ;
Que le ciel dans mes bras abandonne Vénus,
Vénus éprouvera mes superbes refus ;
J'en atteste à tes pieds ta Junon tutélaire,
Qui parmi tous les Dieux est pour moi la première.
Insensé, qu'ai-je fait ! hélas ! on m'a surpris !
Cet aveugle serment livre mon cœur épris.
Quelle force te rend l'aveu de ma défaite !
Voilà les maux causés par ma langue indiscrète.
Eh bien ! commande en reine, et je suivrai tes lois ;
Oui, j'accepte tes fers ; mais, courbé sous leur poids,
J'embrasserai l'autel de Vénus protectrice
Qui venge le malheur, et punit l'injustice.
Un bruit cruel m'apprend que tu m'es infidèle ;
Dieux ! puissé-je ignorer cette affreuse nouvelle !
Tout mon cœur est en proie à des transports jaloux,
Pourquoi me tourmenter ? bruit cruel, taisez-vous.
Quoi ! la mort implacable a frappé dans son cours
Et le chantre d'Enée et celui des Amours !
La mort ne veut donc plus, sur la lyre attendrie,
Laisser couler les pleurs de la molle Elégie ;
Permettre à l’Epopée, en ses accords pompeux,
De chanter des héros les exploits belliqueux.
Si Thétis et l'Aurore ont pleuré sur leur fils,
Et si par nos malheurs les Dieux sont attendris,
Tes longs cheveux épars, ô plaintive Elégie !
Viens arroser de pleurs une tombe chérie.
La gloire de tes vers, le chantre des amours,
Tibulle est mort.... hélas ! à la fleur de ces jours !
L'Amour, son carquois d'or renversé sur la terre,
Son arc, ses traits brisés, son flambeau sans lumière,
Marche, l'aile abattue et le cœur attristé,
Frappe de son beau sein l'ivoire ensanglanté,
Et ses douloureux pleurs baignent ça chevelure,
Et sa bouche prolonge un pénible murmure.
Ainsi ce Dieu, couvert des vêtements du deuil,
Pleurait son frère Enée et suivait son cercueil.
Ainsi pleura Vénus quand un monstre sauvage
Sur le bel Adonis eut épuisé sa rage.
O poètes sacrés, favoris du destin,
On croit qu'un Dieu lui-même habite votre sein.
Mais regardez la mort : sur vos fronts elle plane ;
Est-il rien de sacré que sa main ne profane ?
Chantre du mont Ismare, issu du sang des Dieux,
En vain ta voix dompta les tigres furieux ;
En vain Linus toucha ce luth dont la puissance
Enchantait les forêts, témoins de son enfance.
Homère, ce mortel, dont les sublimes chants
Sont la source féconde où puisent tous les temps,
Est lui-même emporté dans le torrent des âges,
Et ses vers seuls, bravant leurs funestes ravages,
Eternisent Pergame et ses sanglants travaux,
Et l'art de Pénélope à tromper des rivaux.
Ainsi vivront toujours Némésis et Délie :
L'une ton dernier soin, l'autre d'abord chérie.
Que leur servent, hélas ! les mystères d'Isis,
Le sang offert au ciel, leurs purs et chastes lits !
Tibulle est mort ! Grands Dieux ! pardonnez mon offense ;
Je suis prêt à nier votre sainte existence,
Quand le juste périt, quand le trépas cruel
Frappe l'adorateur, même au pied de l'autel.
A l'immortalité, toi qui pouvais prétendre,
Tibulle, une urne étroite est vaste pour ta cendre.
O poète divin, eh quoi ! dans leur fureur
Les flammes du bûcher ont dévoré ton cœur !
Temples sacrés des Dieux, qui permîtes ce crime,
De ces coupables feux devenez la victime.
La déesse Vénus, sensible à tes malheurs,
Détourna ses regards, laissa tomber des pleurs,
Mais moins infortuné que si la Phéacie
Sur des bords étrangers eût terminé ta vie,
Ta mère de ses doigts pressa tes yeux mourants,
Tes yeux mouillés de pleurs, déjà dans l'ombre errant,
Et ta cendre reçut des présents et des larmes.
Les flots de ses cheveux épandus sur ses charmes,
Poussant de longs sanglots, ta malheureuse, sœur
Aux larmes d'une mère a mêlé sa douleur.
Némésis et Délie, à te plaindre empressées,
Ont uni leurs baisers sur tes lèvres glacées.
Hélas ! disait Délie, avec de longs soupirs,
Tu vécus plus heureux au sein de nos plaisirs.
Némésis répondait : il prit ma main tremblante,
Et, mourant, la pressa de sa main détaillante.
S'il existe de nous, aux bords de l'Achéron,
Plus qu'une ombre légère et l'éclat d'un vain nom,
L'Elysée ouvrira ses valions à Tibulle :
Là, couronnés de lierre, et Calvus et Catulle
Et le triste Gallus, prodigue de ses jours,
Accourront sur les pas du chantre des Amours,
Qui, le front ceint de myrte, à sa lyre attendrie
Fera redire encor le nom de sa Délie.
Hélas ! repose en paix dans le sein du trépas.
Sur son tombeau glacé, terre, ne pèse pas.