DE
(Voir la Vie de Gallus)
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
ELEGIA I. |
ÉLÉGIE I. |
Æmula
cur cessas finem properare Senectus, |
Pourquoi, vieillesse odieuse, pourquoi ne pas hâter la fin de ma carrière? Pourquoi demeurer obstinément dans ce corps abattu? Ah! je t’en conjure, délivre ma vie de cette prison affreuse: car la mort est un repos pour moi, vivre est un tourment. Je ne suis plus ce que j’étais; je survis à la meilleure partie de mon être; ce qui en reste languit et déplaît. Le jour me pèse dans l’infortune, et il empoisonne pour moi le bonheur même. Oui, il est un mal plus triste que le trépas; c’est de vouloir mourir. |
Dum
juvenile decus, dum mens sensusque manebat, |
Tandis que la fraîcheur de la jeunesse activait en moi l’âme et la pensée, je fus célèbre dans tout l’univers par mon éloquence. Poète, je créai souvent de doux mensonges, et je dus à la fiction des titres réels à la gloire. Orateur, j’ai cueilli au barreau des couronnes nombreuses, et plus d’une fois je reçus la juste récompense de mes accents. Mais aujourd’hui tout est mort dans mes membres glacés: car, hélas! qu’elle est légère, la part du vieillard à la vie! |
Nec
minor his aderat sublimis gratia formæ |
Alors encore j’avais cette taille riche et élevée qui plaît à défaut même de bien d’autres avantages, et cette fleur de santé plus précieuse que l’or, et qui rehausse l’éclat du génie. Quand j’ai voulu essayer sur mon arc mes flèches rapides, ma proie est tombée sous mes coups. Si j’ai préféré environner de mes chiens d’épaisses forêts, j’ai renversé, et non sans gloire, de nombreuses victimes. Si j’ai voulu par un caprice tenter une pénible lutte, j’ai pu saisir des membres glissants et les étreindre dans mes bras nerveux. Tantôt je dépassais tous mes rivaux dans ma course agile; tantôt j’étouffais sous les miens leurs chants tragiques. L’heureux mélange de tant de qualités rehaussait encore leur mérite, comme l’art brille davantage sous mille formes variées. Tout ce qui a coutume de plaire, quand on le considère en lui-même, plaît mieux encore, quand il emprunte un nouvel éclat aux objets qui l’entourent. |
Has
inter virtutis opes,
tolerantia rerum |
A tous ces dons de la nature se joignait un tempérament invincible qui méprisait tout atteinte. Je supportais tête nue et le vent et la pluie; ni le froid ni les chaleurs du solstice ne pouvaient m’accabler; j’affrontais au cœur de l’hiver les eaux glacées du Tibre, et j’osais me confier à la mer en courroux. Le moindre sommeil me reposait de mes fatigues, la moindre nourriture rendait à mon corps sa vigueur. Mais si je rencontrais tout à coup un hôte qui aimât à boire, ou si un jour de fête me faisait prendre la coupe eu main, Bacchus, étonné de mon ardeur, me cédait lui-même la victoire, et l’athlète, vingt fois victorieux, se retirait vaincu. C’est une entreprise difficile, de plier son âme à de tels exercices, et de l’accoutumer ainsi à deux choses opposées. C’est, dit-on, ce concours de toutes les qualités qui mérita jadis à Socrate la palme sur ses rivaux; c’est lui qui fit la gloire du rigide Caton. Le vice n’est pas dans la chose même, mais dans l’abus qu’on en peut faire. |
Intrepidus,
quæcumque forent, ad utrumque
ferebar: |
Résigné à tout événement, je parcourais les extrêmes sans faiblir, et le malheur le cédait toujours à mon courage. Content de peu, j’aimais la pauvreté; je n’avais point de désirs, et je n’en étais que plus riche. Toi seule, Vieillesse affreuse, tu me soumets à tes lois car tu fais plier tout ce qui n’a connu que le triomphe. Nous échouons contre tes écueils; car tout ce qui périt est ton ouvrage, et tu finis toujours par tout écraser de tes fléaux. |
Ergo
his ornatum mentis
provincia tota |
Quand je brillais de tant de qualités, l’Italie entière me désirait pour époux à ses filles: mais il m’était plus doux de vivre en liberté, et de n’avoir pas même à porter les liens charmants de l’hymen. On me voyait dans Rome promener de tous côtés ma beauté aux yeux de la vierge modeste. Celle qui espérait un regard, ou qui, par hasard, l’attirait, se mettait à rougir, quand ma vue se portait sur elle. Alors elle fuyait en souriant dans quelque retraite : mais elle ne voulait pas que sa fuite la dérobât tout entière; elle désirait plutôt se laisser apercevoir de quelque côté, et sa joie redoublait, dès qu’elle pouvait être aperçue. |
Sic
cunctis formosus ego, gratusque videbar |
C’est ainsi que ma beauté me faisait aimer et chérir de toutes les femmes qui me désiraient pour époux. Je n’ai point profité d’un tel avantage: car la nature m’avait fait chaste, et j’en étais devenu insensible. Mais surtout je ne voulais m’unir qu’à une beauté parfaite: aussi ma couche demeura toujours froide et solitaire. Il n’est point de femme qui ne m’ait paru sans attraits, sans grâces, et indigne de fixer enfin mes vœux. J’avais en horreur et trop de maigreur et trop d’embonpoint; je n’aimais une taille ni trop élevée, ni trop petite; mais je demandais à l’Amour un milieu entre ces deux excès, puisque c’est là que se trouve toujours le plus de grâce, puisque c’est là qu’habile, dans notre corps, la volupté la plus douce, et que réside la mère elle-même des Amours. Je voulais quelque chose de svelte, mais sans maigreur: car on aime, aux jeux de Vénus, des membres pleins de chair et un corps que l’on presse avec délices dans ses bras, sans qu’un os malencontreux vous blesse. J’ai dédaigné la blancheur du lis, quand une rougeur aimable n’y répandait pas les roses et tout l’incarnat du printemps : car c’est le mélange que Cypris préfère à tout autre, et elle aime à retrouver partout sa fleur chérie. Une blonde chevelure, des épaules de neige, des traits pleins de candeur m’ont paru souvent préférables; mais, d’autres fois, des sourcils d’ébène, un front découvert et un œil noir attiraient mes regards et brûlaient ma poitrine. J’aimais encore des lèvres de corail et légèrement gonflées, qui opposassent à mes baisers une douce résistance. L’or me paraissait plus précieux sur un cou, d’albâtre, et la perle y étincelait de plus de feux. |
Singula
turpe seni quondam quæsita referre, |
C’est une honte pour un vieillard de rappeler ainsi ce qu’il aimait autrefois; et ce qui fit alors sa gloire, ne lui mérite plus que le blâme. Chaque époque a son caractère, tout ne convient pas à tout âge; ce qui est le charme de l’un, nuit à l’autre. L’enfant plaît par sa légèreté même, et le vieillard par la gravité, tandis qu’un sage milieu se fait applaudir dans le jeune homme. On aime chez un vieillard le silence et un air réfléchi: on préfère, chez, la jeunesse, une gaîté folâtre et son babillage éternel. Tout s’enfuit, tout change avec le temps, et, dans sa course mobile, jamais il n’a permis de suivre constamment la même route. Maintenant que de longs jours me sont lourds et inutiles, puisque je ne puis vivre, ah! du moins, que je puisse mourir! Mais quelle loi affreuse accable l’infortune sous le poids de la vie? La volonté de l’homme ne peut rien sur la mort. Le malheureux l’appelle et elle se refuse à ses vœux; mais qu’elle soit un supplice, et elle accourt à pas précipités. |
Me
vero heu! tantis defunctum partibus ohm, |
Pour moi, qui ai perdu déjà tant de parties de mon être, je vis encore, hélas! et j’éprouve toute l’horreur du trépas. Le goût, l’ouïe, la vue elle-même, tout s’affaiblit en moi. Le tact me laisse à peine reconnaître avec certitude. Point d’odeur qui me plaise, point de volupté qui me ranime: est-ce donc vivre, grands dieux! que de vivre privé de tous les sens? L’oubli du Léthé s’empare encore de mon intelligence. Voilée désormais, elle se souvient à peine d’elle-même; aucune idée ne la réveille; elle languit avec le corps, et s’étonne avec effroi des maux qui l’oppriment. Aujourd’hui, j’ai renoncé aux chansons: car ce plaisir si vif s’est évanoui, et ma voix a perdu son harmonieuse pureté. J’ai renoncé au charme des vers, et je ne parais plus au barreau, à moins qu’un besoin impérieux ne me fasse enrager après quelque procès. J’ai perdu cet extérieur même, qui fit autrefois mon orgueil, et je parais mort à ma beauté. Ce teint de neige et de rose est souillé aujourd’hui par une pâleur affreuse, présage d’épuisement et de deuil. Ma peau se gerce et se dessèche; mes nerfs se raidissent dans tout mon corps, et mes membres décharnés sont déchirés chaque jour sous ma main et mes ongles. Mes yeux, jadis riants, sont maintenant une source continuelle de larmes, qui s’épanche nuit et jour sur mon infortune. Au lieu des gracieux contours qui les recouvraient, une forêt de poils informes tombe sur eux et les cache, comme s’ils étaient enfermés dans les profondeurs d’un antre obscur, et de là s’échappe je ne sais quel regard de bête fauve ou de furie. On tremble aujourd’hui d’apercevoir mes traits; on ne peut regarder comme un homme celui qui a perdu l’intelligence humaine. |
Si
libros repeto,
duplex se littera findit; |
Si je reprends mes livres, chaque lettre me paraît double, et jusqu’à ma page favorite se présente plus large. Je crois voir à travers les nuages un jour serein car le nuage paraît à mes yeux un ciel pur. Quelquefois le jour m’abandonne en plein midi; et alors, quand les ténèbres m’enveloppent, qui me nierait plongé d’avance dans le Tartare? Où est l’insensé qui conseille à l’homme de désirer la vieillesse? vœu déplorable! Mais la vie qu’il appelle l’est cent fois plus. Les maladies s’avancent; mille dangers nous entourent; la table même et tous les plaisirs nous ruinent. Il faut alors arracher son âme à tout ce qui plaît, et cesser de vivre, pour conserver sa vie. Moi, à qui jamais un mets ne fut contraire, aujourd’hui le régime le plus doux me fatigue. J’ai faim, et bientôt je me plaindrai d’avoir mangé; je reste sur mon appétit, et j’en éprouve du malaise. La nourriture qui me fut naguère utile, me devient contraire, et celle que j’aimais tant ne m’inspire plus que du dégoût. Ni Vénus, ni Bacchus, ni tout ce qui a coutume de tromper nos ennuis, ne m’offre à présent aucun charme. Chez moi, la nature languit abandonnée; elle se dissout d’elle-même d’heure en heure, et se ruine par sa propre faute. Les remèdes dont j’éprouvai souvent l’énergie, ne peuvent rien; tout ce qui porte ordinairement quelque secours aux malades, demeure impuissant; l’art succombe, quand la nature périt, et le trépas toujours si triste le devient encore plus par tant de pertes. Ainsi un homme, pour soutenir un édifice qui menace ruine, lutte et entasse étais sur étais: mais le temps délie bientôt toute la machine, et écrase sous les débris tout ce qui voulait en prévenir la chute. |
Quid,
quod nulla levant animum spectacula rerum, |
Est-il au moins quelque spectacle qui puisse consoler le vieillard, ou lui est-il permis de chercher à voiler tant de maux? C’est une honte pour lui, de soigner sa figure ou ses habits, et on lui reproche même de vivre encore. On lui fait un crime d’aimer les jeux, les festins et les danses; on nous blâme, infortunés que nous sommes, du moindre plaisir. Que m’importent les richesses, si vous m’en ôtez la jouissance? N’est-ce pas rester pauvre au milieu de tous les biens? Que dis-je? c’est un supplice de veiller sur des trésors que l’on possède, mais auxquels on ne saurait toucher sans un sacrilège. Nouveau Tantale, je poursuis dans ma soif brûlante l’eau qui m’entoure, et il me faut jeûner sans cesse au milieu des mets les plus exquis. Gardien plutôt que maître de mes richesses, je conserve pour autrui ce qui n’existe plus pour moi : semblable au dragon vigilant, qui se multiplie dans les jardins des Hespérides pour conserver à d’autres les pommes d’or qui en font la richesse. Voilà les soins qui me dévorent d’inquiétudes et qui empêchent mon me de goûter le moindre repos. Je veux retenir sans cesse ce que je ne saurais plus acquérir, et, sans rien perdre, je ne crois rien sentir entre mes doigts glacés. |
Stat
dubius tremulusque senex, semperque malorum |
Toujours incertain et tremblant, le vieillard croit toujours à de nouveaux malheurs, et redoute follement des maux qu’il se crée à lui-même. Il loue le passé et dédaigne le présent; il ne trouve qu’en lui seul l’habileté, la science et la sagesse, et cette croyance elle-même n’en constate que mieux sa folie. Sa conversation serait instructive: mais il ennuie parce qu’il se répète, et il est le premier à cracher sur ses discours. Son auditeur se lasse: mais lui parle toujours sans se lasser: car la vieillesse, hélas! n’a plus de force que dans la langue! C’est en vain qu’il fait retentir tout de sa voix criarde: rien ne lui suffit ; il rejette ce qui lui plut naguère. Il rit à son tour de ceux qui rient de lui, s’applaudit lui-même, et finit par trouver du charme à être un objet de raillerie. |
Hæ
sunt primitiæ mortis; his partibus ætas |
Voilà les prémices de la mort; voilà comme notre âge s’écoule et descend à pas lents vers la tombe. Ce n’est plus le même maintien, la même fraîcheur, la même démarche, ni cet aspect qui plaît dans la jeunesse. Les vêtements qui tombent de nos épaules nous attestent amaigris, et, trop courts autrefois, aujourd’hui ils touchent presque la terre. Nous rapetissons et nous décroissons d’une manière étonnante, comme si les os de notre corps diminuaient. Le vieillard ne peut plus contempler le ciel. Toujours penché, il regarde la terre d’où il est né, où il retournera bientôt; il s’avance à trois pieds, quelquefois à quatre, comme l’enfant à la mamelle, et il rampe tristement dans la fange. Tout rentre au sein qui lui donna la vie, tout redevient néant, comme il l’était dans l’origine. Voilà pourquoi la Vieillesse courbée, pour se soutenir, sur un bâton, frappe continuellement la terre insensible à ses vœux; et tandis qu’elle précipite et multiplie ses pas, je crois la voir ouvrir eu ces termes sa bouche chargée de rides : « O ma mère, aie pitié des malheurs de ton fils; reçois-moi dans ton sein, et réchauffe, je t’en conjure, mes membres fatigués. La jeunesse fuit ma présence; on craint de m’apercevoir comme autrefois : moi, ton enfant, pourquoi me dévouer au mépris? Le ciel ne m’est plus rien; car j’ai vécu mon temps rends mon corps, rends-le par le trépas au sol qui l’a fait naître. Qu’est-il besoin de retenir l’infortuné attaché à mille supplices? Si tu le souffres, non, tu n’es pas une mère. » |
His
dictis, trunco titubantes sustinet artus, |
Il dit, appuie sur un bâton ses membres chancelants, et regagne avec peine sa couche rude et grossière. Qu’il s’y étende: quelle différence avec le trépas? On n’aperçoit, hélas! que les ossements d’un corps usé. Et moi, presque toujours attaché sur ma couche; moi, dont la vie se passe ainsi, qui pourrait me compter au nombre des hommes? Vivre est pour nous un supplice. La chaleur nous brûle, un temps sombre nous accable, le froid et le vent nous nuisent; la rosée nous blesse; il suffit du moindre orage pour nous abattre, ou quelquefois même d’un beau jour de printemps ou d’automne. Infortunés! une toux haletante et la faiblesse nous minent, et les maux de la vieillesse nous arrachent sans cesse des gémissements. L’homme existe-t-il donc, quand l’air qu’il respire et la lumière qui le dirige lui deviennent à charge? Le sommeil lui-même, qui nous repose avec tant de charme, s’envole loin de moi, et revient à peine quand la nuit s’avance; ou s’il daigne visiter mes membres fatigués, hélas! que d’images apportent avec elles le trouble et l’horreur! La plume la plus douce ressemble à un dur rocher; le drap le plus léger m’accable d’un poids immense. La crainte me fait lever au milieu de la nuit et me condamne à bien des souffrances, pour n’avoir pas tant à souffrir. Le corps languit, manque et succombe, et la partie que je voudrais défendre est attaquée la première. La nature se brise en moi dans ce qu’elle a de plus intime ; déjà son plus bel ouvrage chancelle pour tomber. |
His
veniens onerata malis incurva Senectus, |
C’est courbée sous le poids de tant d’infortunes que la Vieillesse s’avance, et elle s’apprend à elle-même à fléchir sous un tel fardeau. Qui voudrait prolonger longtemps un pareil supplice? Qui voudrait se voir languir et mourir peu à peu? Ne vaut-il pas mieux en finir que de vivre une vie de mort, et de voir ainsi l’âme s’ensevelir dans les organes? Je ne me plains pas, hélas! qu’une longue vie amène enfin le trépas : car c’est un sacrilège de taxer la nature d’injustice. Le taureau vigoureux s’affaiblit avec l’âge; le coursier si orgueilleux jadis ne conserve plus sa beauté; le lion voit sa colère et sa rage se briser contre les ans; le tigre d’Hyrcanie devient lourd avec la vieillesse; la pierre elle-même est usée par le cours des siècles, et il n’est point de merveille qui ne ressente tôt ou tard leur outrage. Mais pour moi, j’aime mieux prévenir des malheurs trop certains et abréger des jours d’infortune. On souffre moins, quand on succombe de suite à une ruine inévitable; on souffre plus, quand il faut la craindre longtemps. |
At
quos fert alios quis possit dicere casus? |
Qui pourrait dire tous les autres fléaux de la vieillesse? Un vieillard lui-même parviendrait difficilement à les compter. On voit à sa suite les disputes, les mépris et souvent la violence, sans qu’il reste un seul ami qui lui porte secours. L’enfant même et la jeune fille rougissent de m’appeler désormais du moindre titre d’honneur. Ils rient de ma démarche, de mon air, de mon front qui tremble, et qui jadis les faisait trembler. Mes yeux aperçoivent à peine : mais ce spectacle ne peut leur échapper; car il doit redoubler et mon infortune et mon supplice. Heureux l’homme qui peut couler une vie tranquille, et terminer d’heureux jours par un prompt trépas! Il est dur pour l’infortuné de rappeler sa félicité passée. Plus on fut élevé, plus la chute en devient affreuse. |
ELEGIA II. |
ÉLÉGIE II. |
En
dilecta mihi nimium formosa Lycoris, |
La voilà, cette Lycoris, cette beauté que j’ai tant chérie, cette femme à qui j’ai tout donné, ma fortune et mon cœur! Après avoir vécu tant d’années dans l’union la plus intime, hélas! elle repousse avec étonnement mes caresses ; elle cherche d’autres jeunes gens et d’autres amours; elle me reproche ma faiblesse et ma décrépitude, sans vouloir se rappeler les jours heureux que nous avons coulés ensemble, et que ma vieillesse elle-même est plutôt son ouvrage. L’ingrate! il faut à sa perfidie des prétextes pour imputer à ma propre faute ses injustes mépris. |
Hæc
me præteriens quum dudum forte videret, |
Il y a longtemps déjà qu’elle m’aperçut en passant, et qu’avec un geste de dédain elle ramena sa robe devant son visage. Quoi! dit-elle, j’ai pu l’aimer? il m’a serré amoureusement dans ses bras? je lui ai prodigué souvent les plus douces caresses? Son cœur se soulève, et, comme pour extirper son ancien amour, elle vomit et entasse sur ma tête les malédictions les plus cruelles. |
Heu!
quid longa dies nunc affert? ut sibi quisquarn |
Hélas! voilà donc les fruits de la vieillesse? On regarde comme une honte d’avouer l’amour qu’on éprouva jadis. N’eût-il pas mieux valu mourir, quand rien en moi ne pouvait justifier un dédain, que de vivre accablé sous des reproches mérités, après avoir perdu tout ce qui faisait autrefois ma gloire? Elle n’est plus, cette longue jeunesse! Le temps entraîne tout dans sa course, et la dernière heure s’avance. Déjà des cheveux blancs ombragent ma tête de leurs flocons, et une teinte livide souille mes traits. Elle cependant brille encore, ne se voit que trop belle, et veut en me fuyant oublier aussi ses années. Je l’avoue; elle conserve toujours les marques de son ancienne beauté. C’est une flamme qui vit toujours, mais cachée sous la cendre : car l’âge même, je le vois, épargne les attraits d’une femme, et ne détruit pas entièrement ce qui charmait autrefois en elle. La jeunesse glane encore les restes des anciens amours; elle, recherche dans les femmes ce qui a pu échapper à l’âge; elle prête la vie au souvenir de leurs jeunes années, et leur passé jette encore pour elle min vernis séducteur. Mais nous, quand nous avons perdu entièrement l’usage de nos membres, il n’est plus rien qui appelle une dernière caresse, et le deuil nous reste seul dans notre infortune. Autant j’ai eu jadis de qualités, autant aujourd’hui je dois pleurer de pertes. |
Ergo
velut pecudum præsentia sola manebunt? |
Ainsi l’homme n’a pour lui que le présent, comme de vils troupeaux? Le passé ne transmettra jamais rien à la mémoire? Cependant l’animal privé de raison fuit de nouvelles prairies pour regagner au plus vite ses anciens pâturages; le taureau aime l’ombrage sous lequel il s’est reposé déjà, et la brebis regrette le bercail qu’elle a perdu; le rossignol fait entendre des chants plus doux sous les buissons qui lui servent d’asile, et l’animal le plus farouche préfère sa tanière accoutumée : toi, Lycoris, tu quittes une demeure bien connue et longtemps éprouvée pour chercher ailleurs une hospitalité incertaine. Pourquoi ne pas confier de préférence ton repos à un calme assuré? La nouveauté entraîne avec elle des chances qu’on ne saurait prévoir. |
Sum
grandævus ego, nec tu minus
alba capillis: |
Oui, je suis sur le retour; mais tes cheveux blanchissent aussi : le même âge réunit ordinairement les cœurs. Si je ne puis rien maintenant, rappelle-toi ma jeunesse, et qu’il me suffise pour plaire d’avoir su plaire jadis. On respecte encore dans le laboureur sa force anéantie. Le soldat aime dans son vieux compagnon ce qu’il a été autrefois; le laboureur gémit sur son taureau vieilli, et le soldat estime davantage le coursier qui fut le compagnon de ses travaux. L’âge, d’ailleurs, ne m’a pas tellement dépouillé des fleurs de mon printemps, puisque je cultive les Muses et que je chante mes exploits. Respecte donc mon âge et ma vieillesse elle-même, et souviens-toi que tu demandes aussi une longue vie. Qui oserait en accuser un autre, s’il se condamnait lui-même? qui voudrait fermer la route qu’il brûle de parcourir? Si tu ne veux m’appeler ni ton frère, ni ton ami, appelle-moi ton père: car tous ces noms désignent une affection vive. Que l’estime remplace un sentiment plus tendre; que l’amitié succède à l’amour: la raison l’emporte ordinairement sur son aveugle puissance. |
His
lacrymis longos, quantum fas, flevimus annos: |
Voilà les larmes que je répands autant qu’il est possible sur ma longue vieillesse : car il est dur de fixer longtemps un souvenir pénible. |
ELEGIA III. |
ÉLÉGIE III. |
Nunc
operæ pretium est quædam memorare juventæ, |
Aujourd’hui rappelons, il le faut, quelque trait de mon jeune âge, et ne pensons qu’à peine à ma vieillesse. Mes récits récréeront l’âme du lecteur abattue par de tels retours, et il en aimera davantage mes chants plaintifs. |
Captus
amore tuo demens, Aquilina, ferebar, |
Épris de ton amour, Aquilina, j’étais emporté par ma folie: oui j’étais pâle et triste, épris de ton amour. Je ne connaissais encore ni l’Amour ni les feux de Vénus: mais j’étais tourmenté plutôt par mon innocence. Elle aussi brûlait pour moi, frappée de la même flèche. Elle parcourait tous les détours de sa demeure trop étroite; elle abandonnait loin d’elle et le tissu et l’ouvrage qu’elle préférait jadis: l’amour seul et ses inquiétudes occupaient son âme. Elle ne trouvait, dans son inexpérience, ni les moyens de nourrir un feu caché, ni l’art de se renvoyer mutuellement des tablettes fidèles : seulement elle recherchait ma présence avec une opiniâtreté bien vaine, et il lui suffisait des regards pour repaître sa flamme inquiète. |
Me pedagogus
adit: illam tristissima mater |
Près de moi veillait un maître, près d’elle une mère sévère, qui ajoutait encore à tous nos maux. Tous deux saisissaient à chaque instant le moindre regard, le moindre signe, et cette rougeur, indice certain qui trahit toujours la pensée. Tant que la chose fut possible, nous renfermions nos désirs au fond du cœur, et nous tramions avec un art infini mille ruses pleines de charmes. Mais lorsque la pudeur s’échappa de notre jeune front, et qu’il devint impossible de cacher davantage le feu qui nous dévorait, alors il fallut épier le lieu et l’instant favorable, nous parler du regard et par signes, tromper une vigilance attentive, marcher sur un orteil craintif, et courir la nuit entière sans être entendus. |
Nec
longum; genitrix furtivum sensit amorem, |
Notre ivresse fut de courte durée. L’œil d’une mère comprit nos furtives amours. Prête à guérir une blessure par une autre, elle gronde et frappe : mais tes feux, Aquilina, croissent sous la verge maternelle, comme la flamme sous le bois dont on voudrait l’étouffer. Son cœur brille d’une nouvelle ardeur, et la douleur se joint à l’amour pour la tourmenter sans cesse. Alors elle me cherche, haletante de plaisir et de crainte; elle croit m’avoir acheté par ce qu’elle a souffert; elle l’avoue sans honte, elle en montre sur ses vêtements les traces affreuses; que dis-je? pleine de joie elle s’en fait auprès de moi un titre. Oui, dit-elle, j’aime à souffrir pour. toi la douleur: car tu seras la douce récompense de tant de peines. Sois-moi toujours fidèle; que rien n’ébranle ton amour; et moi, j’oublie des souffrances qui ne changent rien à mon cœur. |
His
egomet stimulis angebar semper, et ardens |
Ainsi tourmenté par mille aiguillons qui renaissaient toujours, je me sentais brûler et languir sans aucun espoir de salut. J’étais miné sourdement par une plaie que je n’osais point découvrir: mon altération et ma maigreur avaient bien cependant leur langage. |
Hic
mihi, magnarum scrutator maxime rerum., |
Toi seul, Boèce, toi, qui dévoiles avec tant d’art les plus grands secrets, tu offris le remède à mon infortune. Souvent tu me voyais dévoré par les soucis, sans pouvoir connaître la cause de ma tristesse; et lorsque enfin tu reconnus le mal qui me rongeait, tu m’engageais, par des paroles insinuantes, à t’ouvrir mon cœur. « Dis-moi, répétait-il, quel feu nouveau t’a saisi et te mine? Dis-le, je t’en conjure, et ta franchise te vaudra le remède à tes maux. On ne saurait guérir aucune maladie sans la connaître, et l’Etna mugit avec plus de violence, quand ses feux ont été comprimés. » Le respect m’empêchait encore de révéler ma faute et d’avouer tant de honte: mais il devina ma peine secrète à des symptômes trop vrais. « Maintenant, dit-il, la cause de tes chagrins cachés s’est bien assez trahie. Espère : car bientôt, malgré leur violence, tu éprouveras quelque relâche à tes maux. » Prosterné à ses pieds, je rompis un modeste silence, et je lui racontai en pleurant toute mon aventure. « Eh bien, reprit-il, cherche à posséder les attraits qui charment ton cœur. — L’amour me défend une telle pensée, » lui répondis-je; mais soudain il éclate de rire et s’écrie : « Oh le délicieux plaisir! dis-moi, fut-il jamais pour une femme un attachement chaste? Cesse donc, enfant, d’épargner la beauté que tu chéris. Ce serait l’aimer bien peu que de la respecter trop: car le tendre amour se repaît de violences et de voluptueuses morsures; il ne fuit point les coups; il aime à en montrer les marques. » |
Interea
donis permulcet corda parentum,. |
En même temps quelques dons apprivoisent le cœur des parents, et les rendent faciles à mes vœux. L’amour aveugle qu’inspire l’or triomphe de l’amour qu’inspire la nature. Tous deux commencent à chérir les défauts de leur fille; ils permettent auprès d’elle la corruption et de doux larcins; ils laissent nos mains se réunir, et des jours entiers se passer à mille jeux. Le mal, quand on le permet, n’a plus de charmes. Mon ardeur languit; mon cœur triomphe de la maladie qui le mine, et ma belle, que je ne cherche plus, voyant ses avances dédaignées, hait en moi la cause de ses chagrins, et se retire avec tristesse, mais toujours respectée. Alors je chassai de mon cœur de vains soucis, et j’appris aussitôt quelle fut auparavant mon infortune. « Salut, chasteté sainte, m’écriai-je; sois toujours intacte, ou que jamais du moins je ne te fasse rougir. » |
Quæ
postquam perlata viro sunt omnia tanto, |
Lorsque Boèce eut appris cette nouvelle, et me vit échappé à mon naufrage: « Courage, me dit-il; jeune encore, tu as vaincu ton amour: élève de tes mépris un trophée à ta gloire. Que les charmes de la beauté, que les flèches de l’Amour s’émoussent devant toi, et que Minerve elle-même, malgré ses armes, le cède à ta puissance! » |
Sic mihi
peccandi studium permissa potestas |
Ainsi, la facilité du mal m’en ôta toute envie, et anéantit en moi jusqu’au moindre désir. Nous nous quittâmes, Aquilina et moi, par ennui et sans regret; et trop de chasteté amena notre rupture. |
ELEGIA IV. |
ÉLÉGIE IV. |
Restat adhuc
alios turpesque revolvere casus, |
Il me reste encore à parcourir d’autres sujets de honte, et à tromper mes ennuis par quelques doux badinages. Les vers conviennent à la vieillesse radoteuse et débile, et leur vain amusement soulage mes vieux jours. Ainsi, chaque âge qui se succède a ses plaisirs qui trompent les années; ainsi, le changement même en a pour nous plus de charmes. |
Virgo
fuit, species dederat cui candida nomen, |
Il fut une jeune fille que son teint de lis avait fait nommer Blanche, et dont les cheveux noirs étaient bouclés avec assez d’art. Je la vis un jour portant sur ses habits une foule de petites sonnettes d’où jaillissaient à chaque mouvement des sons multipliés. Tantôt elle frappait d’un doigt de neige, et tantôt de son archet, une guitare ingrate, d’où sortait sous sa main une voix harmonieuse. Sa danse m’inspira surtout un amour vif et soudain. Je commençai à nourrir en moi-même une douce blessure. Au milieu des inquiétudes qui me dévoraient en mille manières, une jeune fille m’attachait, par une foule de liens, à sa beauté. J’aimais à me rappeler ce que je n’avais vu qu’une fois, souvenir qui charmait mon âme et la nuit et le jour. Souvent, dans une douce ivresse, je croyais voir devant moi ces formes si belles, entendre cette voix, toucher cette main charmante. Souvent je me parlais à moi-même, comme si elle eût pu m’entendre; je répétais les airs gracieux qui lui étaient familiers. Que de fois, hélas! que de fois on me crut perdu d’esprit et de raison! l’on ne se trompait guère, j’en conviens; je n’étais pas trop sensé : et si quelque auteur avait retracé les plaisirs d’une passion aveugle qu’il n’aurait que trop bien connue, c’était ses écrits que Maximien aimait lire. |
Certe
difficile est abscondere pectoris æstus, |
Il est assurément difficile de cacher les mouvements de son cœur. On se tait; mais que de fois la passion parle! Une pâleur, une rougeur subite, en décomposant mes traits, était quelquefois un langage bien certain. Le sommeil lui-même trahissait mes soucis et laissait échapper mes secrets. En effet, tandis que l’oubli pesait sur mes sens assoupis, ma langue avoua hautement une blessure cachée. « Viens! m’écriai-je. Blanche, Blanche, pourquoi tardes-tu? La nuit s’en va et fait place au jour, l’ennemi des doux larcins. » Or, le père de celle que j’aimais se trouvait, par hasard, auprès de moi, couché à terre sur l’herbe touffue. Au nom de Blanche, il s’éveille troublé, se lève, et croit trouver sa fille. Il cherche; mais il me voit seul, enseveli dans le sommeil, ronflant de tous mes poumons et ravi à moi-même. « Quoi! dit-il, est-ce un songe? me révèle-t-il en dormant son offense? Ai-je été joué par lui, et sont-ce bien les vrais sentiments de son cœur? Mais non. Sans doute il se rappelle ce qu’il vit dans l’état de veille, et lui-même en ce moment se trouve le jouet d’une image trompeuse. » Néanmoins, il s’arrête en suspens, il attend le moindre murmure, il fait tout bas des vœux pour que je me trahisse encore. |
49
Sic
ego, qui cunctis sanctæ gravitatis habebar, |
Infortuné! l’on me citait partout comme un modèle, et je me dénonce par mon aveu! Aujourd’hui ma vie s’est écoulée sans reproche; mais je gémis, et j’ai honte de n’avoir pu faire le mal dans ma vieillesse. Le vice m’abandonne; le plaisir me fuit indigné; la force me manque et la volonté me reste. Je pourrais dire encore les travers d’un âge plus avancé, et les soupirs que m’arracha une courtisane. Mais qui saurait expliquer, dans la nature humaine, comment la science et la sagesse n’excluent pas de mauvais désirs? Souvent le vice nous entraîne et nous emporte sans efforts, et le cœur, par une étrange folie, veut encore poursuivre ce qu’il ne peut saisir. |
ELEGIA V. |
ÉLÉGIE V. |
Missus ad Eoas
legati munere partes, |
Envoyé comme ambassadeur en Orient pour resserrer les liens d’une paix généralement désirée, je travaillais à une alliance entre les deux empires, lorsque je sentis une guerre cruelle s’élever dans mon cœur. Une beauté de la Grèce accueillit auprès d’elle le nourrisson de l’Italie; et employa tout l’art des Grecs à me séduire. Elle feignit d’être éprise pour moi des plus tendres feux, et elle me rendit ainsi l’esclave d’un véritable amour. Elle venait pendant la nuit s’asseoir sous ma fenêtre, et murmurait harmonieusement je ne sais quels chants de la Grèce. Tantôt c’était des larmes, des gémissements, des soupirs, une pâleur étudiée, et des artifices qu’on aurait soupçonnés à peine. Son affliction et son amour m’inspirèrent une pitié, hélas ! bien inutile, et que bientôt je méritais mieux qu’elle. |
Hæc
erat egregi formæ, vultusque modesti, |
D’une beauté remarquable, d’un air gracieux et modeste, d’un œil plein de feu, mais devant aux arts d’autres charmes, elle savait composer des vers et prêter à ses doigts une voix mélodieuse, lorsqu’elle demandait à sa lyre de riches accords. Dans mon étonnement, je la comparais aux Sirènes; ma folie faisait de moi un nouvel Ulysse; et, incapable de résister à tant d’artifices, j’étais emporté, sans le savoir, au milieu des récifs et des écueils. Que dirai-je de ses pas, toujours fidèles à la cadence, lorsque son pied, un instant suspendu, retombait avec une harmonie nouvelle? On n’aurait pu compter les boucles gracieuses qui s’échappaient de sa tête, et leur ébène faisait encore ressortir un cou d’ivoire. Le regard s’enflammait devant ces globes arrondis et fermes, qu’une seule main aurait contenus tout entiers. L’imagination se reposait avec délices sur un ventre bien nourri, ou sur la cuisse aux gracieux contours qui soutenait tant de beauté! Quelle ivresse de serrer avec force ces membres délicats, que je croyais entendre résonner sous mes embrassements! « Prends garde, disait-elle ; tes bras me blessent dans une trop rude étreinte; mes membres ne peuvent supporter le poids de ton corps. » Un froid soudain remplaça dans mes veines toute leur chaleur naturelle, et mes sens renaquirent à une émotion honteuse. Le lait se prend ainsi en une masse sans consistance; ainsi, dans une liqueur limpide, surnage souvent une molle écume. J’ai succombé, je l’avoue, aux artifices de la Grèce, artifices que la franchise de mon pays m’empêchait de connaître, en dépit de ma vieillesse. Troie fut vaincue malgré la résistance de son Hector : comment la ruse n’eût-elle pas triomphé d’un vieillard? Dans ma négligente insouciance, j’oubliai l’office qui m’était confié, pour me soumettre aux lois d’un cruel amour. Pourquoi rougir d’avouer ma blessure et ma défaite? Jupiter fut brûlé lui-même par de semblables feux. |
47
Sic
mihi prima quidem nox adfuit, et sua solvit |
Ainsi s’écoula pour moi la première nuit, et je payai un tribut qu’on devait à peine espérer de mon grand âge. Je manquai de force à la seconde; toute mon ardeur s’évanouit, et je devins mort, comme je l’étais naguère, aux plaisirs de Vénus. Elle, au contraire, exige encore ce qu’elle regarde comme un droit acquis; elle me presse, me gourmande et réclame sa dette: mais ni ses cris, ni ses tendres paroles ne peuvent rien sur moi; car qui pourrait s’acquitter, quand la nature s’y refuse? Je devins rouge et déconcerté; la honte me rendit immobile, et la frayeur me fit incapable d’amoureux travaux. Cependant elle caressait de sa main brûlante mes membres glacés, et son doigt m’invitait au plaisir ; mais un attouchement délicat ne pouvait rien sur eux ni sur moi: je restai froid, comme auparavant, au milieu de l’incendie. « Quelle femme cruelle t’enlève à mon amour? s’écrie ma belle; tu sors fatigué de ses bras, et tu viens m’outrager! » Alors je lui jurai que mon âme était en proie à de mordantes inquiétudes, que rien ne pouvait ramener le plaisir dans mon triste cœur. Elle crut à une ruse: «Tu ne saurais tromper, dit-elle, ton amante. L’Amour est aveugle, mais souvent il n’y voit que trop clair. Allons, livre-toi toujours et sans réserve à nos charmants ébats; chasse la tristesse, rajeunis au plaisir. Quelquefois l’inquiétude accable les sens sous son poids; mais le fardeau qu’on oublie un instant perd aussitôt de sa masse. » |
Tunc
egomet toto nudatus corpore lecto, |
A ces mots, je m’étends nu sur sa couche, en répandant des larmes abondantes. « Malheureux que je suis! m’écriai-je; il faut que j’avoue mon crime et ma faiblesse, pour que, du moins, i’ou ne croie pas mon amour évanoui. Non, non, ce n’est point à mes sentiments qu’il faut s’en prendre; c’est l’excès de ma faiblesse, qui cause en ce moment mon infortune. Je me livre à toi ; voilà mes armes, que la rouille a depuis longtemps rongées; mes armes, consacrées jadis à tes doux mystères. Appelle toute ta puissance, je m’abandonne à elle. Mais, hélas! plus l’amour même est impuissant, et plus le triomphe est difficile. |
Protinus
Argivas admovit turpiter artes,
|
Aussitôt, pour me réchauffer de ses flammes, elle emploie sans retenue tous les arts de la Grèce. Dès qu’elle s’aperçut qu’il était mort à jamais, et qu’il restait sans force, comme un fardeau désormais inutile, elle se lève, puis retombe, les cheveux épars, sur sa couche de deuil, et déplore en ces mots sa perte et sa douleur: « Toi qui célébrais avec tant de piété nos jours de fête; toi ma richesse et mes plaisirs, où trouverai-je un torrent de larmes pour gémir sur ton sort? Quels vers célèbreront dignement tes antiques services? C’est toi qui pris souvent pitié de mes feux, qui trompas les mouvements tumultueux de mon âme; c’est toi, le charme de ma couche pendant des nuits entières, le compagnon fidèle de mes joies et de mes douleurs, le discret témoin de mystérieux plaisirs, c’est toi qui veillais toujours, alerte à mes moindres caprices. Qu’est devenue cette énergie, qui me frappait et me charmait naguère? Où est cette tête toujours dressée pour mordre? Te voilà sans force. La pourpre que j’aimais a disparu. Te voilà pâle, le front penché, à demi mort. Rien ne t’émeut, ni caresses, ni charmes, ni tout ce qui excite une imagination paresseuse. Je te pleure, comme si la mort t’avait déjà plongé au cercueil : car ce n’est plus vivre, que d’être inhabile à ses fonctions accoutumées. » |
Hæc
ego cum lacrymis
deducta voce canentem |
Tandis que, tout en larmes, elle chantait ainsi son malheur d’une voix traînante, je m’abandonnai contre elle à une ironie amère. « Femme, lui dis-je, pourquoi déplorer la langueur qui engourdit mes sens? c’est avouer qu’un mal plus affreux t’opprime. Va, sois heureuse; choisis toujours un amant robuste, et goûte les délices que tu connais si bien. » Mais elle: « Ingrat! me dit-elle en fureur, va, tu te méprends à mes plaintes. Je ne pleure pas des maux particuliers, mais le chaos où retombe le monde. N’est-ce pas là ce qui crée l’homme et les troupeaux, et l’oiseau dans les airs, et le lion dans les forêts, et tout ce qui respire dans l’univers entier? Sans l’amour, plus de concorde entre la femme et l’homme, plus de bonheur dans une union chérie. Lui seul réunit deux âmes par des liens si étroits, que deux vies se confondent en un seul corps. Otez-le, et la femme la plus belle a perdu tout son mérite, et l’homme aussi n’obtient plus que dédain. Si cette perle brillante est moins belle, moins précieuse que l’or, tout n’est plus qu’erreur et néant dans la vie. Il est l’appui de la constance, le gage inviolable des secrets. Quel bien plus réellement grand et plus utile? Tout lui cède, même ce qu’il y a de plus relevé. Les sceptres les plus puissants fléchissent sous ses lois; et loin d’en gémir, ils lui rendent avec plaisir cet hommage, ils avouent avec bonheur leur défaite dans une lutte charmante. La sagesse même qui gouverne le monde, offre les bras, malgré elle, aux chaînes du plaisir. La vierge fléchit aussi sous le coup qu’attendait sa pudeur; elle aime à sentir couler sa blessure; elle essuie une larme furtive, sourit aux douleurs qui la déchirent, et félicite avec amour l’heureux amant qui l’immole. Mais souvent, aux jeux de Vénus, il faut chasser la mollesse et l’indolence, et déployer une grande énergie. Que de force, que de prudence ne doit-on pas déployer contre les maux que l’amour redoute! Ce sont mille fatigues qui menacent de toutes parts : la pluie, les frimas, les pièges, les brouilles et les querelles. Mais l’Amour veille et triomphe; c’est lui qui soumet à la beauté le cœur d’un tyran farouche, et qui adoucit les fureurs sanguinaires de Mars. Quand Jupiter eut défait et anéanti les Géants, c’est lui qui fit tomber la foudre vengeresse des mains du maître des dieux. Lui seul fait plier sous ses lois le tigre agile, et inspire au lion même un sentiment de tendresse. Quelle force invincible! quelle inaltérable patience! Il chérit celui qu’il a vaincu le combat seul lui plaît, qu’il cède ou qu’il triomphe; quand il est renversé, il reprend sa vigueur et ses forces, et cherche une autre défaite au sein même de la victoire. Sa colère est courte, sa tendresse est durable, ses plaisirs souvent renouvelés, et la force lui manque, qu’il conserve toujours le même cœur. » |
Conticuit
tandem, et longo satiata dolore |
Elle se tut, quand elle eut ainsi calmé sa douleur à force de plaintes, et elle m’abandonna comme un mort après son oraison funèbre. |
ELEGIA VI. |
ÉLÉGIE VI. |
Claude, precor,
miseras, ætas verbosa, querelas: |
Âge malheureux, termine enfin, je t’en conjure, de trop longues plaintes. Veux-tu encore dévoiler un vicieux penchant? Qu’il te suffise d’avoir effleuré légèrement ce qui fait, hélas! ta honte ; car remanier sans cesse les mêmes griefs, devient un grief à son tour. Le même chemin nous conduit tous à la mort; mais il s’en faut que tous parcourent la vie et en sortent de la même manière. Un même destin entraîne à la fois et la jeunesse, et l’enfance, et le vieillard; le pauvre qui manque de tout n’aura plus rien à envier au riche. Franchissons donc d’un pas rapide cette route inévitable à laquelle nous sommes attachés. Malheureux! c’est pour ainsi dire, du fond du tombeau que j’élève la voix, et mon malheur est l’unique lien qui paraît m’unir à la vie. |
Æmula (v. 1). C’est l’expression de Virgile, Énéide, liv. v, v. 415:
Dum melior vires sanguis dabat, æmula necdum
Temporibus geminis canebat sparsa senectus.
Tarda sedes (v. 2). Des manuscrits donnent tarda venis, ce qui fait contresens avec le reste de la pièce.
Mœstissima (v. 7). Des manuscrits, et après eux l’édition Lemaire, donnent gratissima; « le jour pèse dans l’infortune, et n’est un charme que dans la prospérité. » Rien n’empêcherait assurément d’admettre ce sens; mais celui que l’on obtient avec mœstissima me parait préférable: c’est indiquer que dans la vieillesse on ne peut jouir d’aucun bonheur pur, et cette idée, quelque erronée qu’elle soit, est cependant celle qui inspire constamment le poète.
Coronam (v. 13). Même au temps de Juvénal, et probablement à l’époque de Maximien, c’était la coutume d’offrir à l’avocat qui avait gagné sa cause, des couronnes dont il parait extérieurement sa demeure. On en trouve la preuve dans ces vers du satirique (sat. vii, v. 117), quand il dit, en s’adressant à un avocat:
Rumpe miser tensum jecur, ut tibi lasso
Figantur virides, scalarum gloria, palmæ.
Quœ (v. 15). Expression vague à laquelle il est difficile de trouver un antécédent. On a proposé d’entendre mens sensusque.
Muta placet (v. 18). On a lu Quœ mihi si desit, cetera multa placent, ce qui s’accorde moins bien avec la suite des idées; ou bien Quœ, vel si desint cetera multa, placet, ce qui vaudrait mieux. Peut-être même le poète a-t-il écrit ainsi; mais Barth, Withof, Burmann, etc., ont donné la leçon multa placet, que nous adoptons, parce que la pensée en devient plus fine et plus élégante. Ovide a dit aussi (Pontiques, liv. ii, épît. 7, v. 52):
Omnis pro nobis gratia muta fuit.
Si libuit celeres (v. 21). Un ou deux manuscrits et presque toutes les éditions vulgaires changent entre eux cet hexamètre et le suivant. Le pentamètre s’accorde moins bien de cette manière avec le vers qui le précède.
Madidam (v. 25). Madidam veut dire littéralement: mouillé, humide. Le poète donne cette épithète à la lutte, soit à cause de la sueur dont les athlètes étaient bientôt couverts, soit plutôt parce qu’ils se frottaient les membres avec de l’huile, ce qui les rendait glissants, lubrica, et moins faciles à saisir.
Tragicos cantus (v. 28). Pour bien entendre ce vers, il faut se rappeler que, chez les anciens, les acteurs qui représentaient une tragédie, se couvraient la figure d’un masque de bois, dont la bouche était disposée avec un certain art, de manière à augmenter le volume et l’intensité des sons. C’est ce que le poète Prudence indique formellement, contre Symm., ii, v. 646
Ut tragicus cantor ligno tegit ora cavato,
Grande aliquod cujus per hiatum crimen anhelet...
Maximien veut donc dire qu’il avait d’assez bons poumons pour lutter avec avantage contre un acteur, malgré tous les secours de l’art, et non pas qu’il avait une voix plus agréable, ou qu’il l’emportait par ses vers sur les poètes tragiques de son temps.
On trouve dans plusieurs éditions: tragicos cantus, ou cantu exsuperare melos.
Tolerantia rerum (v. 33). Les vers qui suivent font assez bien voir qu’il fallait traduire par tempérament; mais les auteurs du bon siècle entendaient l’expression dans le sens de patience, et ne l’appliquaient point au physique.
Solstitium (v. 36). Les anciens reconnaissaient comme nous deux solstices; mais les meilleurs écrivains réservent au solstice d’été le nom de solstitium, et appellent bruma, le solstice d’hiver.
Innabam (v. 37). Innare avec l’accusatif, dit Lemaire, indique une latinité moyenne. Virgile a cependant écrit (Énéide, liv. viii, v. 651):
Et fluvium vinclis innaret Clœlia ruptis.
Ce n’est pas d’ailleurs le seul exemple du même poète que l’on pourrait citer.
Tantis (v. 45). Quelques éditeurs donnent cunctis, qui serait préférable, si l’on n’avait pas employé tanti pour tot, comme l’ont généralement fait les écrivains d’une latinité inférieure.
Socratem (v. 48). De ce que Platon nous montre Socrate conversant souvent à table avec ses amis, Maximien paraît ajouter aux qualités du corps et de l’esprit, que personne ne conteste à ce grand philosophe, la faculté de bien boire, qu’il exerçait probablement, comme Caton, avec la plus grande réserve. Le poète serait d’autant plus coupable, que le nom de Socrate (Socrates) se prêtait fort peu à la mesure. Il est vrai que Paullin et Sidoine Apollinaire, qui ont voulu le faire entrer aussi, bon gré malgré, dans leurs poésies, lui ont donné la même quantité que Maximien.
Catonem (v. 49). Tout le monde connaît les vers d’Horace (Odes, liv. iii, ode 21, v. 12):
Narratur et prisci Catonis
Sæpe mero caluisse virtus;
ce que notre lyrique a traduit ainsi:
La vertu du vieux Caton,
Chez les Romains tant primée,
Était souvent, nous dit-on,
De Falerne enluminée.
C’est que, à l’exemple de Socrate, Caton aimait à converser à table jusque bien avant dans la nuit. Voyez Cicéron, sur la Vieillesse, ch. xiv. Mais Plutarque est loin de lui attribuer le vice dont le bon Horace le loue comme d’une qualité, et Dion Lambinus, dans ses Commentaires sur le poète latin, l’accuse formellement de calomnie.
Ferebar (v. 51). Un seul manuscrit donne: Intrepidus, quœcum que forent adversa, ferebam. Cette leçon offrirait un sens plus clair. Avec l’autre, qui est généralement adoptée, il faut rapporter le pluriel quœcumque, et le singulier utrumque à bonum et malum sous-entendu, le malheur et la prospérité.
Cupiendo (v. 54). C’est au déclin de la littérature latine que les gérondifs en do ont été faits brefs. Auparavant, on en citerait à peine un autre exemple que celui de Juvénal, sat. iii, v. 232:
Plurimus hic æger moritur vigilando sed illum
Languorem peperit eibus imperfectus
Un vers d’Ovide (Héroïdes, épit. ix, v. 126) et un autre de Tibulle (liv. iii, élég. 6, v. 3), où l’on trouve la même quantité, sont généralement regardés par les critiques comme étant altérés.
Provincia tota (v. 59). C’est la leçon des manuscrits et des éditions anciennes. D’autres plus modernes substituaient meritis Etruria nostris. Il est dur, en effet, d’admettre que le poète, en parlant d’une partie de l’Italie, se soit servi du mot provincia, qui ne s’appliquait qu’aux pays de conquête situés au delà des mers. D’un autre côté, nostris est intolérable. On aurait une leçon satisfaisante, en adoptant Etruria tota, si on le trouvait jamais dans quelque manuscrit.
Natis (v. 60). Les anciens grammairiens prétendent que lorsqu’il n’y a pas à craindre d’amphibologie, on peut se servir de natis au lieu de natabus. Il serait à désirer qu’ils en apportassent d’autre autorité qu’un vers contesté d’Ovide, Métam., liv. xiii, v. 660. Rien n’empêche d’ailleurs de traduire: Toute une province aurait voulu m’associer au nombre de ses enfants, en me donnant une de ses filles.
Venali (v. 63). Qui ne demande qu’à se vendre, qu’à se donner. Les anciens éditeurs, qui ne comprenaient pas cette leçon et sa délicatesse, avaient écrit vernali. L’un des manuscrits donnait juvenili.
Latere volens (v. 68). Ces vers rappellent ceux d’Horace (Odes, liv. i, ode 9, v. 21) et de Virgile (Églogue iii, v. 65). Mais quelle différence entre la coquetterie d’une jeune fille si bien dépeinte par nos deux poètes, et les souvenirs personnels de l’avantageux Maximien? Tout, dans l’élégie entière, se rapporte à lui, et il n’en faut pas davantage pour ôter aux morceaux les mieux pensés et les mieux écrits tout leur mérite. C’est que l’homme aime le moi pour lui-même, et le déteste toujours dans autrui.
Generalis (v. 72). Le respect pour les manuscrits nous fait conserver generalis. Des éditions distinguées donnent genialis, que Wernsdorff rejette avec mépris comme un non-sens. Cependant on trouverait plus de dix exemples dans le seul Ovide, où cette expression serait employée pour lætus, jucundus, voluptarius, selon la glose des lexiques. On pourrait même la prendre avec son sens primitif et le plus ordinaire : « Le fiancé qui fera dresser en l’honneur du génie le genialis torus, » c’est-à-dire auquel on s’unira.
Digna puella (v. 78). Quelle fatuité! Elle répugne.
Carnis ad officium (v. 86). Voilà une expression qui indiquerait seule une époque de décadence, où le christianisme influait déjà sur la littérature. Celle qui suit, carnea membra, n’est guère plus pure. Au bon siècle, on aurait écrit carnosa.
Cypris (v. 92). Le nom de Cypris n’a été employé que par un petit nombre d’écrivains latins, vers le quatrième siècle. On en compte trois, Maximien, Ausone, et l’auteur du Pervigilium Veneris, qui a dit en parlant de la rose, v. 23:
Facta cypris de cruore deque amoris osculis.
Conditio (v. 113). Tous les manuscrits et les différentes éditions ont ainsi donné le vers avec la faute de quantité (conditio). Plusieurs critiques ont essayé de la faire disparaître; mais ce n’a été qu’en torturant le vers ou la pensée de plusieurs manières. Lemaire propose conductio, qui ne serait pas à dédaigner. Les païens eux-mêmes regardaient la vie comme un prêt dont on avait momentanément l’usage.
Oblivia (v. 123). Juvénal a dit (sat. x, c. 23):
.............................................................Sed omni
Membrorum damno major dementia, quæ nec
Nomina servorum, nec vultum agnoscit amici.
Aut rabidis (v. 130). De nombreuses éditions ont donné heu pour aut, ce qui offrait un sens contraire à celui de l’hexamètre. Un plus grand nombre encore a donné rapidis pour rabidis, ce qui est un non-sens.
Scabrida membra (v. 136). L’épithète scabrida, pour scabra, est encore une expression de basse latinité: mais les manuscrits la donnent, ou scabida, qui n’est pas latin. Les éditions imprimées ont changé ce mot en tabida.
Vident (v. 142). On lit encore: Torvum nescio quid heu furiale vident. Malgré l’accord de plusieurs manuscrits, l’erreur est trop évidente pour qu’il soit besoin de la discuter.
Duplex se littera (v. 145). Ainsi dans Agamemnon, v. 28, Sénèque fait dire à Cassandre:
Sed ecce gemino sole præfulget dies;
Geminumque duplices Argos attollit domos.
Voir double, est en effet une affection ordinaire dans l’ivresse, dans tout sentiment, toute passion qui nous transporte hors de nous-mêmes, et souvent on la rencontre aussi chez les vieillards; une disposition particulière des yeux la fait éprouver même dans l’état de santé: il ne faut que presser un peu le doigt sur l’angle d’un œil auprès du nez, et l’on voit aussitôt deux images. On peut reconnaître alors la sensation que décrit le poète.
Eripitur sine nocte dies (v. 149). Ommeren lit sic nocte. Le sens est le même, et tous les manuscrits donnent unanimement sine nocte.
Auctor Ut cupiat (v. 151). Nous avons adopté la ponctuation de Withof, au lieu de celle qui est généralement admise: pers. auctor, Ut cupiat voto. t. e. s? On évite ainsi la construction un peu forcée persuaserit talia.
Nunc alimenta gravant (v. 158). Ces deux vers sont lus d’une multitude de manières dans les manuscrits et les éditions; mais la leçon que notre texte présente est la plus pure et la plus généralement adoptée. On trouve, par exemple: Et me jam quem dudum... nocebant; ou bien, En me quem dudum, quem nulla.... ou Et me cui dudum jam, ou encore Et me jamdudum, quem nulla adversa movebant, ipsa q. r. nunc elementa nocent. — Deux ou trois exemples de nocere avec l’accusatif sont contestés.
Non Veneris (v. 163). Withof préférerait non Cereris, mais à tort, comme le second vers l’indique. Il s’agit en effet de ce qui charme la vie, et non pas de ce qui sert à l’entretenir: quidquid vitœ fallere damna solet.
Fit magis et damnis tristior urna meis (v. 170). Il y a pléonasme dans le double emploi de magis et du comparatif, c’est un hellénisme très usité, dont on trouve en latin plusieurs exemples dans Plaute, dans Justin, dans Valère Maxime et quelques autres. Mais de tous les écrivains du siècle d’Auguste, Virgile seul s’en est servi une fois dans le Culex, v. 78:
Quis magis optato queat esse beatior evo,
Quam qui ........
Le vers a été lu d’ailleurs de mille manières. Nous distinguerons la conjecture de Withof: Fit mugis et damnis justa querela rneis.
Vultus nitidi (v. 177). Ommeren voudrait cultus, que les bons auteurs joignent souvent à vestitus, ornatus, habitus, parce qu’il entend par vultus nitidi, un visage fardé. Rien n’oblige à entendre et à traduire ainsi.
Tantalus (v. 185). Horace (Sat., liv. i, sat. i, v. 68), avant Maximien, avait comparé le supplice de l’avare à celui de Tantale:
Tantalus a labris sitiens fugientia captat
Flumina. Quid rides? mutato nomine, de te
Fabula narratur. Congestis undique saccis
Endormis inhians, et tanquam parcere sacris
Cogeris, aut pictis tanquam gaudere tabellis.
L’analogie entre les deux morceaux est assurément facile à saisir.
Non sua poma draco (v. 590). Le poète fait allusion au dragon qui, suivant la Fable, gardait les pommes d’or dans le jardin des Hespérides ou filles d’Hespérus, en Afrique. Servius explique ce récit, en disant que l’esclave d’Hespérus, à qui le jardin était confié, s’appelait Draco; et Pline entend un bras de la mer qui environnait l’enceinte de ses replis sinueux. Quant à plurimus, il faut le prendre dans le sens de magnus, longe extensus, comme dans ce vers d’Ovule (Métam., liv. xi, v. 140):
Spumiferoque tuum fonti, qua plurimus exit,
Subde caput ................
Retinere laboro (v. 193). Ommeren voudrait ponctuer quærere, quœ nos. retinere, laboro. Le sens du vers lui-même serait bon; mais il s’accorderait moins avec le sens du pentamètre.
Laudat præteritos (v. 197). Voyez Horace, Art poét., v. 173.
Horret (v. 202). Vossius et Gronovius proposent horrent, et donnent pour sujet, comme développement du mot quæ, forma, vultus, sermo, etc. Lemaire parait avoir adopté cette glose, qui fait ici contresens. La phrase, qui d’ailleurs n’est pas très claire, ne peut se rapporter qu’au discours, et Maximien a voulu dire, sans aucun doute, que le vieillard n’en a jamais dit assez, et que bientôt il abandonne avec dégoût le sujet sur lequel il avait aimé à s’étendre, afin d’en attaquer un autre.
Alloquium conspuit ipse suum (v. 202). Cette expression est heureuse et pleine d’énergie, mais difficile à traduire dans notre langue. Juvénal avait dit avant Maximien, en parlant d’un avocat qui parlait avec véhémence (sat. vii, v. 112)
Tunc immensa cavi spirant mendacia folles,
Conspuiturque sinus ...........................
Suétone avait ainsi dépeint Claude dans sa vieillesse (ch. xxx)
« Ira turpior erat spumante rictu, spumantibus naribus. »
Juvénal l’a encore imité, sat. vi, v. 622:
............ Tremulumque caput descendere jussit
In cœlum, et longam manantia labra salivam.
Demisso (v. 213). On a proposé de lire: labitur ex humeris demissa et corpore vestis; mais aucun manuscrit n’appuie cette conjecture.
Terram.... reditura (v. 218). La construction de redire avec l’accusatif paraît d’abord insolite ; cependant elle est fréquemment employée par les poètes, et Virgile a dit, avec des verbes analogues (Énéide, liv. vi, v. 638):
Devenere locos lætos, et amœna vireta;
et plus bas (v. 696):
.................... Tua me, genitor, tua tristis imago,
Sæpius occurrens, hæc limina tendere adegit.
Fitque tripes (v. 219). Le poète fait allusion à l’énigme du Sphinx devinée par Œdipe. Ausone (Idylles, xx, v. 38) rapporte ainsi cette fable
Illa etiam thalamos per trina ænigmata quærena,
Qui bipes et quadrupes foret et tripes omnia solus,
Tenuit Aoniam volucris, leo, virgo, triformis
Sphinx, volucris pennis, pedibus fera, fronte puella.
Flebile (v. 220). Parmi les commentateurs, les uns regardent flebile comme un adverbe, les autres comme une exclamation, en s’appuyant de Silius Italicus, liv. iv, v. 570
Palantes agit ad ripas, miserabile! Pœnos.
Quelque parti que l’on adopte, le sens est le même.
Pulsat humum (v. 224). Outre le sens naturel et qui se présente de lui-même, les commentateurs en ont trouvé un autre auquel Maximien n’a probablement pas songé, mais qui leur semble bien plus délicat, parce qu’il est plus subtil. Verbere pulsare humum, disent-ils, c’est comme frapper à une porte pour être introduit; c’est demander à la terre qu’elle reçoive au plutôt dans son sein le malheureux qui la frappe; et l’on cite à l’appui un passage de Cicéron (Tuscul., liv. ii, ch. 25) où Cléanthe frappe du pied la terre, comme pour appeler son maître Zénon. Que d’érudition en pure perte !
Crebro vestigia passu (v. 225). On trouve communément certo; ce qui convient peu à la marche vacillante du vieillard. Quant à numerosa, il faut le prendre dans l’acception ordinaire de nombreux, multiplié, et non, avec un commentateur, dans l’acception de nombreux, cadencé.
Attriti (v. 238). On lit encore: contracti, attenti, abstracti, attracti. Wernsdorff préférerait ce dernier à la leçon ordinaire, et il en donne pour raison ce vers d’Ovide (Héroïdes, liv. xi, v. 27):
Fugerat ore color, macies adduxerat artus;
et cet autre de Manilius (liv. iv, v. 717):
Asperior solidos Hispania contrahit artus.
Mais trouverait-il beaucoup de lecteurs du même avis?
Quis sub vitali (v. 240). Wernsdorff ne voit encore aucun sens à ce pentamètre, à moins d’écrire sub vitali polo, et il propose quis non vitali me putet esse toro? Par torus vitalis, dit-il, on entendrait par euphémisme le lit funèbre: car cet euphémisme a été employé par Pétrone, ch. xlii et lxxvii; par Sénèque, épître xcix, et par Lactance, qui a dit, en parlant du Phénix, v. 90
Vitalique toro membra quieta locat.
Parmi les quatre exemples cités, le premier, tiré de Pétrone, qui a dit lectus vitalis, et celui de Lactance, se rapprochent le plus de la conjecture qu’ils sont appelés à défendre, mais ils ne prouvent rien en sa faveur. Il est évident que, dans Lactance, lectus vitalis ne signifie pas lit funèbre, mais lit sur lequel le phénix va reprendre une vie nouvelle; expression vraiment remarquable par son élégance et sa beauté. Dans Pétrone, les critiques ont expliqué lectus vitalis par la glose quo quis vivens usus est; ce qui est encore bien loin du sens que Wernsdorff propose. Quant au second exemple de Pétrone., et à celui de Sénèque, ils montrent simplement que vitalia était quelquefois employé par euphémisme pour mortualia, expression par laquelle on désignait tout ce qui sert aux funérailles. Faut-il en conclure que les anciens prenaient vitalis comme synonyme de funèbre? je ne le pense pas.
Voyons maintenant s’il est en effet impossible de trouver un sens à la leçon ordinaire. Serait-ce la difficulté de lier ensemble le pentamètre et l’hexamètre? Mais si le christianisme appelle la terre une vallée de larmes, les anciens la considéraient du moins comme un lieu d’épreuves et de fatigues, où l’homme devait toujours agir et ne se reposer jamais. Serait-ce le pentamètre seul qui serait obscur? Avec polo pour loco, le sens, a-t-on dit, offrirait peu de difficulté, et l’on pouvait dire aucune. Cependant loco me parait avoir encore plus de délicatesse « Me croirait-on? dit le poète, non pas sur la terre, non pas en tel ou tel lieu particulier, mais généralement dans un lieu où l’on vive, quand même ce serait sous terre. Sub est pris d’ailleurs pour in. Parmi les exemples nombreux que l’on en pourrait citer au besoin, même dans Virgile, nous signalerons comme se rapportant plus immédiatement à notre sujet, le vers d’Ovide, Tristes, liv. i, élég. 3, v. 19
Nata procul Libycis aberat diversa sub oris,
et celui de Properce, liv. iii, élégie, v. 36:
Tuta sub exiguo flumine nostra ratis.
Senectus (v. 246). Il y a une faute de quantité. On a proposé, pour la faire disparaître, ruga senilis, que le sens rejette.
Nutat (v. 260). Un seul manuscrit donne nutat, qui est la leçon véritable; les autres donnent mutat, erreur adoptée généralement par les éditeurs de Maximien. Pulmann proposait : Est tam præcl. q. m. mutat opus.
Vitam ducere mortis (v. 265). C’est expliquer avec prétention et obscurité l’idée qu’Ovide a rendue dans ses Pontiques, liv. ii, lett. 3, v. 42
Instar et hanc vitam mortis habere puta
et Eschyle dans son Prométhée, V. 749
................ Κρεῖσσον γὰρ εἰσάπαξ θανεῖν
Η τὰς ἀπάσας ἡμέρας πάσχειν κακᾶς
Il vaut mieux mourir une fois, que de souffrir tous les jours.
Fracta diu (v. 271). Ommeren conjecture fracta die, changement heureux, que paraît réclamer le texte. Il faut construire rabidi diu.
Caspia tigris (v. 272). Les poètes d’un âge meilleur disaient plutôt Armenia ou Hyrcania tigris. Cependant on trouve dans Sénèque (Hercule sur l’Œta, v. 144):
Num Titana ferum te Rhodope tulit,
Te præruptus Athos, te fera Caspias,
Quæ virgata tibi præbuit ubera?
Subito perferre ruinam (v. 277). Sénèque exprime d’une autre manière la même pensée, lorsqu’il dit dans les Troyennes, v. 869:
Optanda mors est, sine metu mortis mori.
Dominum jam vocitare suum (v. 284). Allusion à la formule employée pour saluer chez les Romains mi domine, d’où nous avons tiré notre appellation monsieur. Or, chez nous encore, mais parmi le peuple, il est vrai, on dirait que ce titre est refusé à la vieillesse, et chaque jour nous l’entendons remplacer par le mot de père, non comme titre d’honneur, mais plutôt comme une formule moins obséquieuse.
Missa ruunt (v. 292). Claudien (contre Rufin, liv. i, v. 21) a exprimé la même pensée:
Jam non ad culmina rerum
Injustos crevisse queror : tolluntur in altum,
Ut lapsu graviore ruant.
Res fuit una (v. 2). On a expliqué res par fortune, comme dans cette formule du divorce, res tuas tibi habeto: mais des critiques l’ont aussi regardé comme la traduction du mot grec τὸ πρᾶγμα ou τὸ ἔργον, employé pour signifier une liaison amoureuse.
Indivisi (v. 3). On citerait à peine un autre exemple où le participe indivisus soit pris avec la même acception et se rapporte à un nom de personne. Il veut dire ordinairement une chose indivise, c’est-à-dire, qui n’a pas été partagée.
Gaudia vitæ (v. 7). Au commencement du vers, presque toutes les éditions ont mis nec meminisse volet, qu’Ommeren changeait pour nec m. solet, parce que le futur ne s’accordait guère avec les présents qui suivent. De même on lisait transactœ dulcia vitæ; ce qui était peu latin, même pour l’époque où Maximien écrivait. Nous avons rétabli gaudia, d’après un manuscrit et une ancienne édition très estimée.
Expuit (v. 12). A ne considérer que nos mœurs, l’expression du poète n’indiquerait que le mépris inspiré par la vieillesse. Les mœurs romaines prêtent à un autre sens: c’était, en effet, la coutume de cracher trois fois pour détourner un mauvais présage, et Lycoris jugeait ainsi la rencontre de son ancien amant. Tibulle, dans une circonstance à peu près semblable, se sert de la même idée, liv. i, élég. 2, v. 98:
Hunc (senem) puer, hum juvenis turba circumterit arta,
Despuit in molles et sibi quisque sinus.
Prodere (v. 18). Prodere veut dire ici avouer. Des éditions nombreuses donnent quod sibi.... turpe putat. La phrase serait plus latine, mais appartiendrait moins au temps de Maximien. Alors la conjonction quod était fréquemment remplacée par ut, surtout avec une construction semblable.
Atque ea, dum nivei.... (v. 25). En adoptant la leçon de Wernsdorff, d’après un manuscrit, nous ne prétendons pas adopter l’explication qu’il en donne. Suivant lui, le distique entier doit se rapporter à Lycoris, parce que, s’il se rapportait à Maximien, le dernier trait serait plus faible que le premier. Cette raison peut être bonne, en effet, pour l’hexamètre; mais, dans ce qui précède, je ne trouve rien aussi fort que le cœruleus inficit ora color. Si l’explication qu’il propose était la véritable, il faudrait au moins convenir qu’il est bien difficile de trouver une femme encore belle avec des cheveux blancs, et surtout avec une teinte livide, comme dit le poète.
Prœstat adhuc (v. 27). C’est la leçon presque unanimement admise. Une autre édition ancienne donne restat, qui a bien moins de grâce.
Atque inter cineres (v. 30). Cette expression pleine d’énergie est beaucoup mieux appliquée par Horace, Od., liv. iv, ode i
Possent ut juvenes visere fervidi,
Multo non sine risu,
Dilapsam in cineres facem.
On peut croire que Maximien, quand il écrivait son élégie, a eu l’ode entière constamment présente aux yeux ou au souvenir, tant il y a de ressemblance pour les idées et quelquefois pour les mots.
Luxuriantur (v. 36). Martial est le premier qui se soit servi, mais une seule fois, du mot luxuria dans un autre sens que celui de luxe; il a dit, liv. iii, épigr. 69, en s’adressant à un de ses amis
................ Nihil est te sanctius uno:
At mea luxuria pagina nulla vacat.
Quos remoretur (v. 38). Il y a peu de vers qui offrent, dans les manuscrits et les anciennes éditions, une telle quantité de variantes. Wernsdorff conjecture: « Nullus, ad ampkius quod remoretur, habet. »
Tot modo damna fleo (v. 40). Quelques manuscrits intercalent ici un distique
Omnia nemo potest, non omnes omnia possunt
Efficere; hoc vincit femina juncta viro.
S’il fallait l’admettre, il troublerait la suite naturelle des idées: aussi les meilleurs critiques le regardent-ils comme une interpolation ridicule d’un premier copiste.
Quum repetunt (v. 44). Tous les manuscrits sont unanimes dans l’emploi de l’indicatif aux deux vers du distique, à cause de l’indicatif des vers suivants, et presque toutes les éditions, au contraire, mettent les six verbes au subjonctif, comme si c’était une simple possibilité et non un fait positif que Maximien énonce. Wernsdorff a pris un milieu qu’il croit juste: c’est de mettre les deux premiers au subjonctif et de conserver à l’indicatif les quatre autres, en terminant la phrase par un point après dulce cubile feris. On voit peu ce qui a pu dicter cette distinction et cette ponctuation; car il n’est pas très vrai que le deuxième et le troisième distique soient, comme il le dit, les développements individuels de l’idée générale exposée dans le premier. Pourquoi dès lors s’éloigner des manuscrits sans motif légitime?
Alba (v. 53). On a observé que cana eût été le mot propre, et qu’il n’admet point alba pour son synonyme.
Expertum deflet cecidisse (v. 59). Remarquez expertus avec le sens passif, ce que l’usage n’autorise pas.
Au lieu de cecidisse, leçon de tous les manuscrits, les éditions donnent généralement cessisse, que Burmann change pour cessasse, leçon adoptée par Wernsdorff et Lemaire. Il me semble qu’on peut bien supposer à cecidisse une signification analogue.
Victor (v. 60). Des éditions préfèrent miles, qui vaut moins et que l’on ne rencontre pas dans les manuscrits. Il faut entendre le vainqueur aux jeux Olympiques. Cicéron (ch. v, de la Vieillesse) nous a conservé d’Ennius une pensée presque semblable
Sicut fortis equus, spatio qui sæpe supremo
Vicit Olympia, nunc senio confectu quiescit.
On sait que plus d’une fois les anciens dressèrent à leurs coursiers de magnifiques tombeaux; Alexandre bâtit même une ville en l’honneur de Bucéphale.
Gravitas (v. 63). On pourrait traduire par constance, comme dans Properce, liv. ii, élég. 20, v. 14:
Tu modo ne dubita de gravitate mea;
mais c’est plutôt le même sens avec lequel Cicéron s’en est servi dans le dialogue de l’Amitié, ch. xxv: œ « Quanta illa, dii immortales, fuit gravitas! » et dans plusieurs endroits de ses ouvrages.
Quam vis cœca (v. 70). On a souvent lu quamvis d’un seul mot. L’interprétation en est moins claire.
Percussa a cuspide (v. 9). Les manuscrits donnaient percussa cupidine, que les meilleurs critiques ont changé pour notre leçon généralement admise. Je n’aime cependant guère la préposition qui précède cuspide, ni son hiatus avec le participe.
Notis (v. 14). Notœ est pour tabellœ, comme dans ces vers d’Ovide (Art d’aimer, liv. iii, v. 469):
Verba vadum tentent abiegnis scripta tabellis;
Accipiat missas apta ministra notas.
D’ailleurs Lemaire fait, je crois, un contresens, lorsqu’il entend par ces paroles que la jeune Aquilina ne savait même pas écrire.
Me pedagogus (v. 17). Il y a dans ce dernier mot faute de quantité et faute d’orthographe. On trouve cependant dans quelques inscriptions contemporaines ou à peu près, pœdagogus écrit sans diphtongue, ainsi que d’autres mots qui commencent de même: mais la syllabe n’en doit pas moins rester logique. On a essayé de corriger la faute en écrivant pœdagogus adit me.... Ce serait une leçon à adopter malgré l’autorité contraire de tous les manuscrits, si Maximien n’avait blessé que dans ce vers les règles de la prosodie.
Il y a entre pœdagogus et prœceptor la même différence que, chez nous, entre gouverneur et précepteur. Néanmoins les Latins ont regardé quelquefois ces deux mots comme synonymes.
Verecundia (v. 23). Autre faute de quantité. On la retrouvera au vers 61, et au 55e de la cinquième élégie.
Atque superciliis (v. 26). Ovide a dit (Héroïdes, épit. xvii, v. 82)
............................Quoties ego tecta notavi
Signa supercilio pæne loquente dari!
et encore (Amours. liv. ii, élég. 5, v. 15)
Multa supercilio vidi vibrante loquentes.
Augentur cœdibus ignes (v. 31). Nous restituons la leçon que donnent tous les manuscrits, à l’exception que l’un d’eux écrit fovemus et un autrefois foventur. Les anciennes éditions, et d’après elles les modernes, avaient préféré ignes in pectore ou cum verbere crescunt. On ne voit pas quel motif a pu dicter une altération semblable: mais quand même l’une de ces dernières leçons serait plus élégante, s’ensuivrait-il qu’il fallût l’attribuer au poète contre l’autorité des manuscrits?
Flamma rogo (v. 32). La manière même dont nous avons traduit, nous force à relever l’interprétation de Wernsdorff et de Lemaire. Rogo, dit-il, doit se traduire par sarment, signification que lui a donnée un certain âge chez les auteurs latins, et la comparaison deviendra ainsi plus juste entre les sarments sous lesquels on voudrait éteindre un commencement d’incendie, et les verges (autre espèce de sarment) que la mère d’Aquilina emploie contre sa fille. Or, 1° où est-il question de verges dans le texte latin? 2° De ce que rogus ait été pris quelquefois dans une acception détournée, s’ensuit-il qu’il faille la lui attribuer sans nécessité? 3° La comparaison en sera-t-elle moins juste, quand on ne verrait dans le pentamètre que la traduction de notre proverbe français : Verser de l’huile sur le feu? C’est nous arrêter longtemps sur peu de chose : mais pourquoi disséquer un passage jusque dans ses moindres détails, afin d’y trouver des rapprochements auxquels l’auteur n’aura jamais pensé?
Turpes (v. 37). On peut entendre déchirés ou peut-être froissés; mais il est peu probable que ce soit souillés de sang, comme l’indiquent quelques commentateurs.
Voluntas (v. 41). De bonnes éditions ont préféré voluptas.
Passio (v. 42). On a remarqué avec raison que ce mot, dans l’acception de souffrance, appartenait à un âge avancé de la littérature latine.
Habebat opus (v. 46). Ovide avait dit avec plus d’élégance (Art d’aimer, liv. x, v. 574)
Sæpe tacens vocem verbaque vultus habet.
Boëti (v. 48). Voyez la Vie de Gallus.
Nulla est curatio morbi (v. 55). Boèce a exprimé la même idée dans l’ouvrage intitulé Consolation de la philosophie, liv. i : « Si operam medicantis exspectas, oportet vulnus detegas. »
Verecunda (v. 61). Withof a proposé la correction diuturna.
Unguibus et morsu (v. 69). Claudien développe la même idée :
Ne cessa, juvenis, cominus aggredi,
Impacata licet sæviat unguibus:
Crescunt difficili gaudia jurgio,
Accenditque magis, quæ refiigit, Venus.
et Properce, liv. iii, élég. 8, v. 21 :
Immorso æquales videant mea vulnera collo;
Me doceat livor mecum habuisse meam.
Magis apta plagœ (v. 70). Le poète confond plaga, plage ou filet avec plaga, coup. Il en résulte une faute de quantité.
Permissum fit vile nefas (v. 77). Ovide a dit aussi (Amours, liv. iii, élég. 4, v. 9):
Cui peccare licet, peccat minus; ipsa potestas
Semina nequitiæ languidiora facit.
Virginitas (v. 84). Les auteurs du bon siècle ont employé ce mot dans le sens de virginité, en parlant d’une jeune fille, et c’est ce que demandait l’étymologie; mais les écrivains ecclésiastiques l’ont fait prendre dès le quatrième siècle avec l’acception de chasteté, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme.
Sic mihi (v. 91). Nombre d’éditions donnent sic tibi, en mettant encore ce distique dans la bouche de Boèce. La pensée du distique suivant est alors mal amenée et tronquée.
Restat adhuc (v. 1). Un manuscrit réunit les six premiers vers de cette élégie à l’élégie précédente.
Sic vicibus variis (v. 5). On a généralement entendu vicibus par événements; ce qui augmente le décousu des trois premiers distiques. Je l’ai pris avec le même sens que dans cette phrase usitée, fungi suis vicibus, et je regarde la pensée du pentamètre comme exprimée d’une manière générale. Dès lors on ne fait plus dire à Maximien qu’il aime la vieillesse, ce qui est contraire aux plaintes continuelles qu’il fait dans une multitude d’endroits; dès lors aussi l’hexamètre se lie parfaitement avec le distique qui précède. On se demandait encore comment le poète pouvait, dans le même distique, changer tellement de manière de voir, qu’il donnât à la même action deux noms si différents, turpes casus et molles jocos. C’est que le second se rapporte au plaisir de faire des vers : ce que prouve la conjonction etenim, qui commence le distique suivant.
Peut-être, au lieu de et mutata, faudrait-il lire at mutata, et traduire: Mais, quoi qu’il en soit, le temps passé (litt., qui a été changé) a toujours pour moi plus de charmes. On reconnaîtrait mieux dans cette leçon l’inspiration ordinaire de Maximien.
Cymbala multiplices (v. 10). Il est bien évident que cymbala ne doit pas avoir ici le sens ordinaire de timbales. Ou le mot avait changé d’acception au temps de Maximien, ou le poète s’est trompé dans l’application qu’il en a faite. Mais quelle a été sa pensée? que faut-il entendre d’après les mots dont cymbala se trouve accompagné? Wernsdorff propose, une espèce quelconque de lyre; parce que, dit-il, la différence de cordes expliquera très bien le multiplices sonos, et parce qu’une lyre, ajoute-t-il, est portée de telle manière: Ut pendeat ex corpore, vel parte corporis; comme le dit Tibulle, liv. iii, élég. 4, v. 38 :
........................Fulgens testudine et auro,
Pendebat laeva garrula parte lyra.
L’explication de Wernsdorff est forcée : car multiplices indique le nombre, et non la différence des sons, et le vers de Tibulle ne jette qu’une bien faible lumière sur le per totum pendentia corpus. Lemaire paraît supposer que cymbala est pour crotala, ce que d’autres avaient fait avant lui. Peut-être essayerait-on de prouver avec avantage cette synonymie par ce passage de Pignorius, dans son Commentaire sur les esclaves: « Croton græce pulsus dicitur, et inde cymbala sic dicuntur. » Mais au moins est-il certain que les anciens réunissaient quelquefois le cymbalum et le crotalum, d’après la xxie épître à Priape :
Cymbala cum crotalis, pruriginis arma, Priapo
Ponit, et adducta tympana pulsa manu.
Ce qui eût été un motif bien léger, il est vrai, de prendre l’un des deux noms pour l’autre, mais ce qui a probablement suffi à certains dictionnaires pour admettre la synonymie comme incontestable.
Toutefois je me range volontiers à l’opinion de Lemaire. Reste alors à expliquer crotalum. C’était dans l’origine une espèce de castagnettes ordinairement en métal, que l’on agitait en dansant comme pour battre la mesure. Les documents historiques nous montrent qu’au temps de Scipion Émilien ce genre de danse était en usage chez les grands, ce qui excitait l’indignation du vainqueur d’Antiochus. Or, ce premier sens ne saurait convenir à notre distique: Heureusement Isidore de Séville nous atteste que l’on appelait crotala, des grelots, c’est-à-dire, comme il le définit lui-même, « Sonoras sphærulas, quæ quibusdam granis interpositis pro quantitate sui et specie metalli varios sonos edunt. » Le sens du mot cymbala étant ainsi déterminé, il serait possible d’expliquer facilement per totum corpus, en faisant remonter jusqu’à Maximien cette coutume des fous de roi dans le moyen age, mais aussi des saltimbanques, qui attachaient à leurs habits de semblables grelots. Ceci n’est toutefois qu’une conjecture; car je dois avouer que si de nombreuses recherches n’ont rien fourni qui la contredise, elles n’ont aussi donné aucun argument qui puisse l’appuyer.
Nunc pulsans (v. 11). Ommeren préfère Sive n. pulsas n. chordas Arg. quidquid m. d. loqui. La leçon quidquid est souvent admise.
Fallebam (v. 24). C’est une heureuse correction de Wernsdorff, pour fallebar.
Atque aliquis (v. 25). Voyez la Vie de Gallus.
Ludibria (v. 43). Wernsdorff trouve à cette phrase deux sens « Le sommeil présente-t-il à son esprit de purs fantômes? » ou: « Veut-il se jouer réellement de moi, à l’aide d’un sommeil supposé? » Ni l’un ni l’autre ne me paraît admissibles, et les mots en donnent un troisième, que la traduction essaie de reproduire.
Voluisse meum est (v. 54). De bonnes éditions donnent: « Et quod non possum, non potuisse juvat. » La pensée vaudrait mieux en elle-même; mais elle entrerait bien moins dans la série des idées du poète.
Hoc etiam meminisse licet (v. 55). Cette fin fait transition à l’élégie suivante, en sorte qu’on pourrait la réunir à celle-ci.
Missus ad Eoas (v. 1). Voyez la Vie de Gallus.
Hic me suscipiens (v. 5). Hospitio publico, ont ajouté les commentateurs; et ils ont rapporté à ce sujet la coutume où l’on était d’entretenir des courtisanes dans les hôtelleries pour attirer les voyageurs. Fallait-il donc tant d’érudition pour expliquer le texte? Le manuscrit de Vossius écrit suspiciens.
Etruscœ gentis (v. 5). Quand l’empire romain eut été détruit, et que les Goths se furent établis, sous la conduite de Théodoric, dans les plaines de la Lombardie et de la Toscane, où était plus particulièrement le siège de leur domination, Etruscus devint, synonyme de Romanus, surtout par opposition à l’empire d’Orient. C’est ainsi que le grammairien Phocas appelle Virgile vatem Etruscum, et l’Italie Tuscam tellurem. Toutefois on peut aussi prendre l’expression dans son acception rigoureuse.
Graia puella (v. 6). C’est le même sentiment qui fait dire à Énée dans Virgile (Énéide, liv. ii, v. 152) :
........ Ille dolis justructus et arte Pelasga.
Plusieurs manuscrits et éditions donnent grata.
Docta loqui digitis (v. 17). On a pour cette expression deux sens différents, suivant qu’on la rapporte à la pensée d’Ovide (Tristes, liv. ix, v. 453):
....... Digitis sæpe est nutuque locutus;
ou à celle de Tibulle (liv. iii, élég. 4, v. 4i):
Sed postquam fuerant digiti cum voce locuti.
Rien n’amène et n’indique le premier sens; le second fait pléonasme avec le pentamètre.
Sireniis (v. 19). Withof propose Sirenum, et au vers suivant, instar Uyssis ego, afin de réconcilier Maximien avec la prosodie. Quant au pentamètre, je préférerais avec Lemaire alter Ulyxus; ce qui se rapprocherait davantage de la leçon unanime des manuscrits.
Si l’on examine ensuite la pensée en elle-même, on trouvera la comparaison fautive: car Maximien rappelle les Sirènes, dont Ulysse évita les artifices avec tant d’adresse; tandis que lui, cède presque aussitôt à li coquetterie d’une femme. Puis, quelle est cette folie que Maximien parait attribuer à Ulysse? serait-ce celle qu’il feignit pour ne pas aller à la guerre de Troie? La chose n’est pas probable, et cependant je ne lui en connais pas d’autre.
Certa se lege moventes (v. 23). Tout porte à croire que l’idée de l’hexamètre est la même que celle de Pétrone, ch. cxxvi: « Incessus tute compositus, et ne vestigia quidem pedum extra mensuram aberrantia. » La signification du second vers n’est pas aussi évidente; ou croit généralement qu’il s’agit de la danse, et l’on explique le plausibus par ce vers de Virgile (Énéide, liv. vi, v. 644):
Pars pedibus plaudunt choreas ................
Comme ni l’expression ni la série des pensées ne prouve qu’il faille traduire ainsi, peut-être vaut-il mieux regarder le pentamètre comme la répétition de la pensée que le vers précédent exprime, ce qui est si ordinaire chez les poètes même du bon siècle.
Gradibus (v. 25). On retrouve exactement le même mot dans Suétone (Vie de Néron, ch. li): « Circa cultum habitumque adeo pudendus, ut comam semper in gradus fqrmatam peregrinatione Achaica, etiam pone verticem summiserit. »
Stomachi fultura (v. 29). Horace a employé la même expression dans ses Satires (liv. ii, sat. 3, v. 154):
Deficient inopem venæ te, ni cibus, atque
Ingens accedat stomacho fultura ruenti.
Mais chez lui les mots étaient pris dans leur acception ordinaire, tandis que Maximien les prend comme une périphrase peu heureuse et peu claire du mot ventre. Son intention devient assez évidente, en rapprochant deux passages d’Ovide : l’un dans les Métamorphoses, liv. viii, v. 805, où il dit, en parlant de la faim:
Ventris erat pro ventre locus; pendere putares
Pectus ...........................
l’autre dans le livre i des Amours, élég. v, v. 21 :
Quam castigato planus sub pectore venter! -
Quantum et quale lattas! quam juvenile femur!
Exhausto pectore (v. 30). Scaliger donne à exhausto le sens d’épuisé, étique; mais ce n’est pas toujours ainsi que l’ont entendu Virgile, Ovide et les autres poètes. Pectore est impropre; il fallait latere, comme dans le vers d’Ovide qui est cité plus haut.
Urebar (v. 31). Peut-être, à cause des vers suivants, faudrait-il entendre urebar adstringens, le vers n’indiquant pas seulement le désir, mais un sentiment produit par la réalité.
Dirigui (v. 35). Ce vers est une imitation de Virgile (Énéide, liv. iii, v. 308), mais une imitation bien maladroite; car il fait contresens.
Troja (v. 41). On sait qu’après la mort d’Hector, Troie succomba sous les ruses d’Ulysse, ruses que Virgile décrit avec tant de richesse au livre xx de son Énéide.
Nil tactus profuit illis (v. 59). C’est la leçon que Wernsdorff préférée, d’après l’édition des Deux-Ponts; d’autres critiques distingués ont écrit nil tactis profuit illis. Les manuscrits portent nil tactus profuit ullus.
Foco (v. 60). On a voulu lire toro, mais sans aucun motif. Le poêle tire une métaphore très juste d’un foyer que le feu même, suivant lui, ne pourrait; parvenir à échauffer.
Ardet amor (v. 80). Cette dernière idée paraît au premier abord en contradiction manifeste avec l’un des vers précédents, quand le poète dit
Cogimur heu! segnes crimen vitiumque fateri,
Ne meus extinctus forte putetur amor.
Cependant il y a un sens qui peut tout concilier, et c’est, je crois, celui-ci: L’ennemi, qui m’arrache à toi, est d’autant plus difficile à vaincre, que mon amour, malgré sa véhémence, voit ses feux amortis avec plus d’empire.
Argivas.... artes (v. 81). Est-ce une expression vague et générale, comme au vers 6 et au vers 39? ou le poète veut-il mettre en opposition la corruption des Grecs avec les mœurs d’un peuple que son séjour en Orient et en Italie n’avait pas encore eu le temps d’énerver? ou enfin faut-il prendre Argivas pour Thessalicas, magicas, comme l’ont voulu quelques critiques, et entendre les charmes à l’aide desquels on essayait d’exciter à l’amour? Rien n’indique l’un des trois sens à l’exclusion des autres, et le vague même de l’expression lui donne ici plus d’énergie.
Expositum (v. 84). Suétone (Vie de Claude, ch. xxv) rapporte que l’on exposait les malades, et surtout les malades désespérés, dans le temple d’Esculape. Peut-être Maximien a-t-il tiré de cette coutume l’expression expositum, qui signifierait alors malade; il aurait pu encore la prendre comme synonyme de depositus, employé par Virgile, Ovide et les meilleurs auteurs. On sait, en effet, que les Romains déposaient les mourants sur la terre, pour qu’ils rendissent à la terre leur dernier soupir, usage que le christianisme a souvent adopté, mais avec une intention différente.
Onus (v. 84). Tous les manuscrits donnent opus: cependant nous préférons onus, avec Ommeren et Wernsdorff, parce que l’expression se trouve plusieurs fois dans l’élégie du livre xix des Amours d’Ovide, et que Maximien ne cesse d’imiter à chaque instant cette élégie.
Lacrymarum gurgite (v. 89). Quelle expression ampoulée! Ovide, plus simple, avait dit, dans ses Métamorphoses, liv. ix, v. 655:
.................. Et humectat lacrymarum gramina rivo.
Feritura (v. 97). Une édition donne peritura mais quel sens aurait-il? Mieux vaut laisser la faute de quantité.
Deducta voce (v. 105). Macrobe (Saturn., liv. vi, ch. 4) no a conservé un passage de Pomponius qui rend parfaitement compte de l’expression deducere vocem. Le voici: « Vocem deducas oportet ut mulieris videantur verba. Jube modo adferatur unus, ego vocem reddam tenuem et tinnulam. » Nous avons n. français une expression analogue, filer des sons; elle vient par catachrèse, comme en latin, de l’expression propre « filer la laine, » deducere lanam.
Vade, inquam (v. 109). Des manuscrits et des éditions transportent ce distique après le 122e ou le 124e vers.
Deliciis (v. 110). Il y a un premier sens pour ce vers qu’il est très facile de saisir; mais il y en a aussi un autre plus caché, et que Maximien a dû avoir en vue, d’après le genre de l’élégie entière. On appelait quelquefois Deliciœ, ces amantes d’un autre sexe que Juvénal a flétris dans ses satires avec tant d’énergie. Le cognosis devient alors une ironie mordante, soit qu’on entende qui te ressemblent, soit qu’on traduise qui sont de ta famille, parce qu’ils venaient ordinairement d’Alexandrie, en Orient. L’emportement que le poète suppose immédiatement à Aquilina rendrait la seconde explication plus probable.
Chaos (v. 112). Nombre d’éditions donnent malum.
Impendunt (v. 139). Withof voudrait impendent, Lemaire intendunt ou intentant. Il y aurait plus d’élégance dans l’expression; mais tous les manuscrits sont unanimes; et Maximien, après tout, a fort bien pu écrire impendunt.
Affectum ducere (v. 145). On a essayé de justifier affectum ducere, que d’autres changent pour affectum discere, en citant plusieurs exemples analogues. Virgile a pu dire colorem ducere; Ovide, en parlant des pierres de Deucalion, ducere formam: Maximien n’en est pas moins pour l’étrangeté de son langage.
Deserit exsequiis (v. 154). On lit souvent, dans les éditions:
Ac velut expletis desinit exsequiis;
ce qui fait pléonasme avec l’hexamètre. Des manuscrits donnaient deserit.
Claude, precor (v. 1). Un manuscrit joint cette élégie à la précédente.
Numquid et hoc (v. 2). Les critiques me paraissent avoir peu compris ce pentamètre. Ils semblent expliquer: Veux-tu encore dévoiler tes malheurs ? mais le hoc n’est pas rendu, et il est essentiel à rendre. Maximien dit: « Cesse tes plaintes, âge verbeux; à moins que tu ne veuilles, indépendamment des calamités qui t’accompagnent et que j’ai énumérées plus haut, dévoiler encore ton penchant à la loquacité et à la plainte. »
Adstrictum (v. 9). Des manuscrits ont lu adtritum, qui serait bon; ruais il y a une idée de plus dans adstrictum. Seulement le poète renverse la pensée, et dit que le chemin est attaché à l’homme, au lieu de dire que l’homme est attaché au chemin. On a remarqué depuis longtemps que la chaîne retenait également le geôlier et son captif.
Hac me defunctum (v. 12). La pensée est assez obscure. Ai-je été assez heureux pour la comprendre, en rapportant hac parte à infelix? c’est ce que je n’oserais décider. Mais, en la rapportant avec Lemaire au 17e vers de la première élégie, c’est-à-dire en construisant defunctum hac parte, je n’ai pas vu de sens possible.
FIN.