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table des matières de l'œuvre PLOTIN

PLOTIN

LES ENNÉADES

ENNÉADE V, LIVRE IV

livre III     livre V

texte grec

 

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Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

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LIVRE QUATRIÈME.

COMMENT PROCÈDE DU PREMIER CE QUI EST APRÈS LUI. — DE L'UN (01).

I. Tout ce qui existe après le Premier en relève, soit immédiatement, soit médiatement, et constitue une série d'ordres différents, tels que le deuxième ordre puisse être ramené au premier, le troisième au deuxième. Il faut en effet qu'au-dessus de tous les êtres il y ait quelque chose de simple et de différent de tout le reste, qui existe en soi-même et qui, sans jamais se mêler à rien, puisse cependant présider à tout, qui soit véritablement l'Un, et non cette unité mensongère qui n'est qu'un attribut de l'être, qui soit enfin un principe supérieur même à l'essence, de telle sorte que ni la parole, ni la raison, ni aucune science ne puisse l'atteindre. Car, s'il n'est complètement simple, étranger à toute complexité et à toute composition, s'il n'est réellement un, il ne saurait être principe (02). Il n'est souverainement absolu (αὐταρκέστατον) que parce qu'il est simple et premier. Car ce qui n'est pas premier a besoin des choses supérieures ; ce qui n'est pas simple a besoin des choses simples qui servent à le composer. Le principe de tout doit donc être un et unique. Si l'on admettait qu'il y eût un second principe de cette espèce, tous deux ne feraient qu'un seul. Car nous ne disons pas que tous deux


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soient des corps, ni que l'Un, le Premier soit un corps ; tout corps est composé et engendré, par conséquent n'est pas principe : car le principe ne saurait être engendré (03). Donc, puisque le Principe de tout ne peut être corporel, qu'il doit être essentiellement un, il doit être le Premier.

S'il existe quelque chose après l'Un, ce n'est plus l'Un simple, c'est l'un-multiple. D'où vient cet un-multiple? du Premier évidemment : car on ne peut supposer qu'il vienne du hasard ; ce serait admettre que le Premier n'est pas le principe de tout. Comment donc l'un-multîple dérive-t-il du Premier? Si le Premier est parfait et le plus parfait, s'il est la Puissance première (δύναμις ἡ πρώτη), il faut bien qu'il soit supérieur en puissance à tout le reste et que les autres puissances ne fassent que l'imiter dans la mesure de leurs forces. Or, nous voyons que tout ce qui arrive à la perfection ne peut se reposer stérilement en soi-même, mais engendre et produit. Non seulement les êtres capables de choix, mais encore ceux qui sont privés de réflexion et même d'âme font participer, autant qu'ils le peuvent, les autres êtres à ce qui est en eux : ainsi, le feu émet de ta chaleur, et la neige, du froid ; les sucs des plantes tendent à communiquer leurs propriétés. Toutes choses dans la nature imitent le Premier principe en engendrant pour arriver à la perpétuité et manifester leur bonté (04). Comment donc Celui qui est souverainement parfait, qui est le Bien suprême resterait-il renfermé en lui-même, comme si un sentiment de jalousie l'empêchait de faire part de lui-même, ou comme s'il était impuissant, lui qui est la Puissance de toutes choses? Comment alors serait-il encore principe ? Il faut donc qu'il engendre quelque


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chose, comme ce qu'il engendre doit engendrer a son tour. Il est en effet nécessaire qu'il y ait quelque chose au-dessous du Premier. Or cette chose [qui est immédiatement au-dessous du Premier] doit être très vénérable, d'abord parce qu'elle engendre le reste, ensuite parce qu'elle est engendrée par le Premier et qu'occupant le second rang elle doit l'emporter en dignité sur les autres choses.

II. Si le principe générateur était l'Intelligence, il faudrait que ce qu'il engendre fût inférieur à celle-ci, qu'il s'en rapprochât en même temps et lui ressemblât plus que tout le reste. Or, puisque le principe générateur est supérieur à l'Intelligence, la première chose engendrée est nécessairement l'Intelligence. — Mais pourquoi le principe générateur n'est-il pas l'Intelligence? — C'est que l'acte de l'Intelligence est la pensée, et que la pensée consiste à voir l'intelligible : car c'est seulement par sa conversion vers lui qu'elle arrive à une existence complète et parfaite ; en elle-même, elle n'est qu'une puissance de voir indéterminée; elle n'arrive à être déterminée que parla contemplation de l'intelligible. C'est pour cette raison qu'il a été dit que de la dyade indéfinie et de l'Un sont nés les idées et les nombres (05), c'est-à-dire l'Intelligence. Aussi, au lieu d'être simple, l'Intelligence est multiple. Elle est composée de plusieurs éléments; ceux-ci sont intelligibles sans doute, mais ce que voit l'Intelligence


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n'en est pas moins multiple. D'ailleurs, elle est à la fois l'objet pensé et le sujet pensant; elle est donc déjà double.

Mais, outre cet intelligible [identique à l'Intelligence] il y a on autre Intelligible [l'Intelligible suprême, le Premier]. Comment l'Intelligence ainsi déterminée procède-t-elle de l'Intelligible [du Premier]? L'Intelligible demeure en lui-même, et n'a pas besoin d'autre chose, comme en a besoin ce qui voit et ce qui pense [je dis que ce qui pense a besoin d'autre chose en ce sens qu'il a besoin de contempler l'Intelligible] . Mais, en demeurant en lui-même, l'Intelligible n'est pas privé de sentiment ; toutes choses lui appartiennent, sont en lui et avec lui; il a donc le discernement de lui-même et il possède la vie, parce que toutes choses sont en lui ; par conséquent, il a la conception de lui-même (κατανόησις αὑτοῦ), conception qui implique conscience et consiste dans un repos éternel et dans une pensée, mais une pensée différente de celle de l'Intelligence. S'il engendre quelque chose en demeurant en lui-même, il l'engendre précisément quand il est au plus haut point ce qu'il est. C'est donc en demeurant dans son état propre qu'il engendre ce qu'il engendre; c'est en demeurant, dis-je, qu'il engendre. Or, puisqu'il demeure l'Intelligible, ce qu'il engendre ne peut être que la Pensée; alors la Pensée, en existant et en pensant le principe dont elle vient (car elle ne saurait penser un autre objet}, devient à la fois intelligence et intelligible; mais ce second intelligible diffère du premier Intelligible dont il procède et n'en est que l'image et le reflet.

Comment le premier Intelligible engendre-t-il un acte? Ici il faut distinguer entre l'acte de l'essence et l'acte qui émane de l'essence. L'acte de l'essence ne peut différer de l'essence : car il est l'essence même. Mais l'acte qui émane de l'essence (et chaque chose a nécessairement un acte de ce genre] diffère de ce qui le produit. C'est comme pour le feu : autre chose est la chaleur qui constitue son essence, autre chose est la chaleur qui en rayonne extérieurement,


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tandis que le feu réalise intérieurement l'acte qui constitue son essence et qui lui fait garder sa nature (06). De même ici, et bien plus encore, le Premier demeure dans l'état qui lui est propre, et en même temps, de la perfection qui lui est inhérente, de l'acte qui se confond avec lui, a été engendré l'acte qui, tenant son existence d'une si grande puissance, que dis-je, de la Puissance suprême, est arrivé à l'existence et à l'essence. Quant au Premier, il est au-dessus de l'essence; il est la Puissance de toutes choses.

Si l'acte que l'Un a engendré est toutes choses, l'Un est au-dessus de toutes choses, par conséquent, au-dessus de l'essence. Puisque l'acte engendré par l'Un est toutes choses et que l'Un est au-dessus de toutes choses, qu'il n'occupe pas le même rang que le reste, il doit encore sous ce rapport être supérieur à l'essence, et par suite, à l'In-


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telligence parce que l'Être est inséparable de l'Intelligence. En effet l'Être n'est pas en quelque sorte mort; il n'est pas sans vie, ni sans pensée : l'Intelligence et l'Être sont une seule et même chose. Les intelligibles n'existent pas avant l'Intelligence qui les pense, comme les objets sensibles existent avant la sensation qui les perçoit. L'Intelligence elle-même est les choses qu'elle pense (07), puisque leurs formes ne lui sont pas apportées du dehors. D'où les recevrait-elle en effet? Elle existe avec les choses intelligibles, elle leur est identique et ne fait qu'un avec elles. Réciproquement, les choses intelligibles n'existent pas sans leur matière [c'est-à-dire sans l'Intelligence (08).]


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LIVRE QUATRIÈME.

COMMENT PROCÈDE DU PREMIER CE QUI EST APRES LUI. — DE L'UN.

Ce livre est le septième dans l'ordre chronologique.

Le paragraphe 9 a été traduit en français par H. Barthélémy Saint-Hilaire, De l'Écoie d'Alexandrie, p. 265-269.

La source des idées que Ptotin développe paraîit être dans le Parménide et le Timée de Platon, comme nous l'avons indiqué dans nos notes, p. 65-66.

Nous avons également montré dans les notes qu'on peut rapprocher du texte de notre auteur des passages de Damascius(p. 69) et d'Ibn-Gébirol (p. 68).


(01) Pour les Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre à la fin du volume.

(02) Voy. Enn, VI, liv. 1, § 27.

(03) La source de ces idées est dans le Parménide de Platon, notamment p. 154. Voy. aussi Cudworlh, Systema intellectuale, IV, 36, p. 708, où ce passage de Plotin est cité et commenté.

(04) Voy. ci-dessus, liv. I, § 6, ρ. 14.

(05) διὸ καὶ εἴρηται ἐκ τῆς ἀοτίστου δυάδος καὶ τοῦ ἑνὸς τὰ εἴδη καὶ οἱ ἀριθμοί. Plotin parait faire ici allusion à Pythagore et à Platon (Parmênide, Timée, Philèbe, Sophiste). Selon Brandis, l'expression de dyade indéfinie est propre aux Néoplatoniciens : « Monendum est vocabulum infinitœ dyadis Ptatonicis recentioribusque Pythagoreis proprium esse, neque ante illos usurpatum. Nunquam enim Aristoteles id tribuit Pythagoreis, ac saepissime commemorât unum eos infinitum posuisse, Platonem vero duo, τὸ μεγά scilicet καὶ τὸ μικρόν, etc. » (Diatribe de perditis Aristotelis librîs de Ideis et de Bono sive Phiilosophia, p. 27.) Voy. aussi Cudworlh, Systema intellectuale, IV, 36, p. 690.

(06) Voy. ci-dessus, liv. 1, § 6, p. 13-14. On trouve les mêmes idées exprimées dans les mêmes termes par Ibn-Gébirol : « Puisque les substances inférieures émanent des substances supérieures comme la force émane de la chose forte, et non pas comme une essence qui émanerait d'une autre essence, il s'ensuit que les substances supérieures ne diminueront pas en faisant naître les substances inférieures. Il s'ensuit aussi que ces forces, je veux dire les substances inférieures, ne sont pas séparées des essences des substances supérieures, quoique Les unes émanent des autres; de même que la chaleur du feu ne diminue pas et ne s'en sépare pas, quoique ce dernier fasse naître une chaleur dans l'air qui est près de lui. C'est que cette dernière chaleur n'est pas la chaleur du feu elle-même : car le feu pourrait être enlevé et la chaleur resterait néanmoins dans l'air; les deux sujets sont différents, et la chaleur qui naît dans l'air diffère en force de celle du feu. De même, la lumière du soleil qui se répand sur la terre ne diminue pas la lumière portée par le soleil lui-même, quoiqu'elle en émane, et la lumière qui se répand sur la terre n'est pas cette même lumière qui est portée par le soleil lui-même ; la preuve en est que les deux sujets [le feu et l'air] cl les deux lumières diffèrent par leur force et leur faiblesse. » (La Source de la Vie, liv. III, trad. de M. S. Monk, Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 41.)

(07) Damascius dit à ce sujet : c Il semble que la connaissance de l'essence soit la génération de l'être. En effet, en s'élevant à l'être, le principe qui connaît devient une essence par le fait même de la connaissance, devient une essence, dis-je, qui n'est point l'essence première, mais qui est engendrée en quelque sorte. L'intelligence est les choses qu'elle pense, comme le dit Aristote. » (Des Principes, 81, p. 227, éd. Kopp.) Voy. Aristote, De l'Âme, III, 4 el 5. La fin de ce livre est citée par le P. Thomassin, qui la commente en ces termes : < Expressius [quam Plato] hœc omnia Plotinus, et primo quod ipsum ens sit omnia, quod prima mens sit omnia, quod prima mens essendo omnia intelligat omnia, quod mens et ens unum idemque sint, quod denique supra omnia, supra ens, supra mentem sit ipsum unum... Non potuit apertius declarari ut Verbum, intellectus, mens, prima proies sit summi Parentis, ipsius unius, sitque ens ipsum, seu essentia rerum omnium quas essendo intelligit. » (Dogmata theologica, t.1, p. 59.)

(08) Καὶ ἡ ἐπιστολὴ μηδὲ τῶν ἄνευ ὕλης τὰ πράγματα. Les mots ἡ ἐπιστολή n'ont point de sens. Ficin semble avoir lu ἐπίσης et traduit : « Atque vicissim neque res ipsœ intelligibiles omnino sunt absque materia scilicet sua, id est intellectu. » Taylor, dans une lettre adressée à Crenzer, lui proposait de changer ἐπιστολὴ en ἐπιστροφή pour se conformer au sens adopté par Ficin, vicissim. Dans l'édition de Plotin publiée par M. Didot, Creuzer propose ἐξ ἐπισολῆς, manifesto. Quelle que soit la correction que l'on adopte pour le texte, le sens proposé par Ficin nous semble, être le véritable. Quant à la matière intelligible, Voy. En. II, IV, § 4-5; t.1, p. 98-201.