Anatolius

PHILON D'ALEXANDRIE

 

DES ANIMAUX PROPRES AUX SACRIFICES, ET DES DIVERSES ESPÈCES DE SACRIFICES.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 


 

PHILON D’ALEXANDRIE 

DES ANIMAUX PROPRES AUX SACRIFICES, ET DES DIVERSES ESPÈCES DE SACRIFICES;

Traduit sur l’original grec de Philon

Par l’auteur de la notice sur le Calendrier.

Bible. A.T. (hébreu-français). 1831-1851]
traduction nouvelle avec l'hébreu en regard, accompagné des points-voyelles et des accens toniques
 avec des notes philologiques, géographiques et littéraires, et les principales variantes de la version des Septante et du texte samaritain...

par S. Cahen...
Paris : l'auteur, 1831-1851


Il provient du volume 3.

 

 

 

Des animaux destinés aux sacrifices, les uns restent attachés au sol, les antres traversent les airs. Négligeant tant d’innombrables espèces d’oiseaux, entre toutes, il (Moïse) en prit deux seulement, le pigeon, le plus doux des oiseaux volant en troupe, la tourterelle, la plus apprivoisable des espèces qui, par nature, vivent dans la solitude. Passant outre sur tant d’espèces d’animaux terrestres, de nombre pas facile à compter, il en choisit trois principales, le bœuf, le mouton et la chèvre ; car ces espèces sont les plus douces les plus traitables. Les plus grands troupeaux d’entre elles sont menés par un conducteur, par un seul homme, et souvent par un petit enfant. Lorsqu’ils sont au pâturage, s’agit-il de retourner à l’étable, ils reviennent en ordre. Tant d’autres marques d’une extrême docilité sont des indices certains que ces animaux doivent se nourrir d’herbes et ne pas dévorer la chair; qu’ils ne sont point armés d’ongles crochus, et que la série de leurs dents n’est pas continue. En effet, les dents ne germent pas dans toutes leurs alvéoles; plusieurs en sont dépourvues. En outre, de tous les animaux, ils sont les plus utiles à la vie. Les vêtements qui protègent le plus efficacement nos corps c’est au mouton qu’on les doit; le bœuf, labourant la terre, l’approprie aux semailles; et triturant les grains, les prépare pour servir d’aliments. Les poils de la chèvre, sa peau, tissus et cousus, fournissent des manteaux aux citoyens en voyage, surtout aux militaires, et à ceux que la nécessité oblige de travailler au grand air, hors de la cité. De plus, ces animaux devaient être intacts, endommagés dans aucune partie du corps, sans aucune tache, sans souillure. En cette matière, telles étaient les précautions non seulement pour ceux qui offraient les victimes, mais aussi pour les sacrificateurs, que les cohenime les plus experts, les plus éprouvés, visitaient l’animal partout le corps, depuis les extrémités des pieds, afin que le plus petit défaut ne puisse rester inaperçu sous le ventre, entre les cuisses. Ces soins extrêmes, cet examen recherché, n’avait point en vue les victimes, mais ceux qui les présentaient. On voulait leur enseigner, par symbole, qu’en approchant des autels, soit pour solliciter, soit pour rendre grâces, il ne fallait avoir dans l’âme ni vices, ni mauvaise passion ; qu’ils devaient s’efforcer de paraître sans aucune souillure, pour que Dieu ne se détourne pas en l’apercevant.

Comme certaines victimes sont pour toute la nation, ou, à dire vrai, pour tout le genre humain, et d’autres pour des particuliers désirant offrir des sacrifices, nous parlerons d’abord de celles qui intéressent le public.

Il règne dans cette sorte de sacrifices un ordre admirable. Ils sont quotidien, hebdomadaires (Ex., ch. 29, et Nomb, ch. 28), mensuels; il y en a pour les jours de jeûne et pour les trois fêtes principales. La loi ordonne de sacrifier chaque jour deux agneaux, un le matin, et un autre le soir, pour rendre grâce des bienfaits du jour et de la nuit, que Dieu amène continuellement, sans interruption, sur la race des hommes.

Aux septièmes jours, le nombre des sacrifices est doublé; ajoutant égal à égal, honorant le jour hebdomadaire à l’égal de l’éternité, il est le jour natal de l’univers. Par là, ou comprend la raison de la parfaite similitude établie, quant à la continuité, entre les victimes hebdomadaires et quotidiennes. Le législateur ordonne aussi de faire brûler des ingrédients d’une odeur exquise, deux fois par jour, au lever et au coucher du soleil, avant le sacrifice du matin, et avant le sacrifice du soir. Le sang des animaux rédime de ce qu’il y a de matériel dans l’homme; les gaz odoriférants répondent à la partie de nous douée de raison, substance faite à l’instar de Dieu.

Aux septièmes jours, on plaçait des pains sur la table sacrée, égaux en nombre à ceux des mois de l’année, et partagés en deux groupes, symbole des deux équinoxes, car six mois séparent le printemps de l’automne; au printemps, les grains commencent à germer, et les fruits à se former sur l’arbre. Ceux-ci mûrissent en automne, et alors aussi revient le temps des semailles; c’est ainsi que la nature, parcourant des cycles perpétuels, distribue ses bienfaits à la race des hommes. Telle est la signification des pains arrangés en un couple de six. Ils nous rappellent aussi que la sobriété est des vertus la plus utile. Elle entretient la douceur, la simplicité, la frugalité, remparts les plus efficaces contre les atteintes de la cupidité et de l’intempérance, car au sectateur de la sagesse suffit l’alimentation du pain; elle entretient la santé du corps et de la raison, tandis que les mets délicats, les friandises recherchées par le sens du goût, le plus obtus, le plus grossièrement sensuel de tous les sens, procurent le plus souvent des maux incurables au corps et à l’âme.

On mettait sur la table, avec les pains, de l’encens et du sel; l’un montre, selon l’opinion des sages, qu’il n’y a pas d’ingrédients plus suaves que la frugalité et la sobriété. L’autre se rapporte à la perpétuité de toutes choses; car le sel conserve les objets sur lesquels il est répandu, et sert d’accompagnement à tous les aliments. Je sais combien tout cela doit paraître risible à ceux qui ne s’occupent que de banquets et de bonne chère, amateurs serviles de tables bien couvertes d’oiseaux, de poissons et de viandes de toute espèce, et qui, dans leurs rêves même, ne peuvent jouir d’une entière liberté. Ce sont des hommes de peu, pour ceux qui s’efforcent de coordonner la vie selon Dieu, d’une manière à devenir agréables à l’Etre des êtres; qui ont appris à dédaigner les voluptés de la chair, et à trouver le plaisir et le bien-être clans la contemplation de la nature.

Après avoir prescrit ces dispositions, le législateur (Moïse) commence par distinguer les espèces de sacrifices, il les partage en trois classes; savoir les holocaustes, les salutaires et les pénitentiaires. Chacun de ces sacrifices doit être exécuté exactement, ayant égard à ce qui convient à la piété et au décorum. On découvre dans cette classification des sacrifices un ordre parfaitement adapté à son objet. En effet, si on recherche soigneusement les motifs qui portaient les anciens à faire soit des sacrifices, soit des prières, on en trouve deux principaux. Le premier seulement pour honorer Dieu, sans autre raison que la nécessité et la beauté de l’action en elle-même; le second motif, pour un but d’utilité, dans l’intérêt du donateur. Cette utilité est double, soit que nous demandions des faveurs, soit que nous cherchions à éviter des malheurs. Lorsque le sacrifice se rapporte uniquement à Dieu, d’après les prescriptions du législateur, il doit être consumé en toutes ses parties, totalement, afin que la cupidité humaine ne puisse rien y prétendre. Les sacrifices dans un intérêt personnel ayant deux buts, le législateur les a distingués de même; les uns, pour solliciter des bienfaits, sont nommés salutaires; les autres, pour repousser les maux qui nous menacent, sont désignés sous le nom de pénitentiaires. Ainsi l’holocauste est le seul sacrifice qui ait Dieu pour objet unique, sans autre vue que de remplir envers lui un devoir de culte; les deux autres genres de victimes regardent nos propres intérêts. Dans les salutaires, nous demandons la conservation et l’augmentation de notre bien être, et dans les pénitentiaires son rétablissement. Nous allons traiter des diverses dispositions légales relatives à ce genre de sacrifices, et nous commencerons par le plus distingué d’entre eux, et le plus distingué c’est l’holocauste.

Avant tout, dit le législateur, il faut choisir parmi les animaux purs un mâle, veau, agneau ou bouc. Que l’offrant, après avoir lavé ses mains, les pose sur la tête de la victime, et qu’alors un sacrificateur prenne la victime, et l’immole; qu’un autre, ayant reçu le sang dans un vase, le répande en cercle autour de l’autel, qu’il écorche la victime, qu’il coupe les membres en morceaux, et qu’on lave les intestins et les pieds, et qu’ensuite on réunisse sur l’autel de Dieu toutes les parties de l’animal sacré, de un devenu multiple, et de multiple redevenu un. Telle est l’ordonnance qui est énoncée dans la loi. Mais il y a là-dessous un autre sens énigmatique, ayant sa raison dans le symbole, car le symbole consiste à dire obscurément des choses claires, et d’une manière claire les choses obscures. D’abord l’holocauste doit être mâle; parce que le sexe mâle a la supériorité sur le sexe femelle, et qu’il est rapproché de la cause efficiente; le sexe féminin est imparfait, inférieur, comme étant plutôt patient qu’agissant. Or, l’âme est composée de deux parties constituantes; l’une rationnelle, l’autre irrationnelle; la partie rationnelle est du genre mâle, comme possédant la raison, l’entendement; la partie irrationnelle est du femelle, comme ayant en partage la faculté de sentir. L’entendement, élément pur, intègre, parfait en toute vertu, est supérieur à la sensation, comme l’homme à la femme, dans toute l’étendue du genre. Aussi cette victime (mâle) est-elle la plus sainte, la plus agréable devant Dieu.

L’imposition des mains sur la tête de la victime est un indice évident d’innocence, d’une vie non répréhensible, mais conforme aux lois de la nature, à ses prescriptions. Car d’abord Dieu exige de celui qui sacrifie un esprit droit, sanctifié par des maximes belles et utiles; et ensuite une vie formée de bonnes actions, afin que, en imposant les mains, il puisse dire librement, avec une conscience pure; ces mains-là n’ont pas accepté des présents pour l’injustice, ne sont pas souillées du sang de l’innocent, n’ont fait ni tort, ni injure, ni blessure, ni violence; n’ont aidé personne à commettre des actes honteux, coupables: mais ont prêté leur ministère à des actions belles et utiles, louées par les hommes honnêtes, sages et soumis aux lois.

Le sang est répandu en cercle autour de l’autel, parce que le cercle est la figure la plus parfaite, et pour qu’aucune partie de l’autel ne soit privée de cette libation psychique. Le sang, pour ainsi dire, est une libation de l’âme. Ce mouvement, en toute direction, sous forme circulaire, nous enseigne aussi figurativement que dans toutes nos actions, discours, conseils, nous devons chercher à nous rendre agréables à Dieu. La prescription de laver les intestins et les pieds est très symbolique. Par le lavement des intestins, on montre qu’il faut purifier l’âme des passions, faire disparaître les taches qu’imprime l’ivresse, la débauche, les vices qui amènent tant de maux sur l’homme. La lotion des pieds nous commande de ne plus nous traîner terre à terre, mais de nous élever vers la région éthérée; car l’âme, qui aime Dieu en vérité, s’élance de la terre vers le ciel; prenant des ailes, planant dans les hauteurs, désirant errer en chœur avec le soleil, la lune, les astres, et cette milice, harmonie sacrée, arrangée, conduite de Dieu, dont l’empire inexpugnable, invincible, gouverne avec justice le tout et ses parties.

On interprète ordinairement ainsi le morcellement de la victime; il indique que l’unité est dans l’universalité, ou bien que tout est dans l’unité et sorti de l’unité; ce que les uns appellent le résultat suffisant; les autres, la fermentation, l’arrangement des quatre éléments, opposés les uns aux autres. Mais voici, selon moi, la conjecture qui atteint mieux le but. On a en vue de nous enseigner qu’il faut cultiver l’Etre par excellence, non avec ignorance et déraison, mais, au contraire, avec science et raison.

Cette raison consiste à établir, entre les vertus divines et entre les puissances divines, des distinctions convenables. Par exemple, Dieu est bon, fondateur et générateur de tout, Providence pour tous ses ouvrages, conservateur, bienfaiteur, ayant la suprême béatitude, et doué pleinement de toute félicité; chacun de ces attributs est digne d’être célébré, soit qu’on le considère en lui-même ou qu’on le compare aux autres du même genre.

Il faut en dire autant des autres attributs. Ainsi donc, si tu veux louer Dieu au sujet de la formation du monde, alors rends grâce de la totalité de l’univers et de ses parties si admirablement constituées, comme si elles appartenaient à un être vivant parfait; rends grâce, dis-je, du ciel, du soleil, de la lune, des étoiles errantes et non errantes; pour la terre, avec ses plantes, ses animaux; pour la mer, avec ses fleuves, ses torrents, et ce qu’ils renferment; pour l’atmosphère avec ses composants; car l’hiver, l’été, le printemps et l’automne, saisons si utiles à la vie, sont des vicissitudes de l’atmosphère, conservatrices des existences sublunaires. De même, si ton intention est de louer Dieu au sujet des hommes, il faut considérer non seulement le genre humain en général, mais ses espèces les plus considérables, telles que les hommes, les femmes, les Grecs, les barbares, habitants des îles ou du continent. Adresse-t-on des prières pour un individu? il ne faut pas s’attacher à des particularités, mais à des objets important; d’abord à l’âme, au corps ensuite, à la raison, l’esprit, le sentiment. De telles prières sont dignes d’être écoutées de Dieu ; voilà ce qu’il suffit de dire au sujet de la victime dite holocauste.

Maintenant, il nous faut considérer la victime salutaire. Dans celle-ci, il est indifférent que l’animal soit mâle ou femelle; niais trois parties doivent être offertes sur l’autel; la graisse, les lobes du foie et les deux reins; le reste est abandonné au banquet de l’offrant. Ne négligeons pas de rechercher pourquoi il est ordonné de sacrifier sur l’autel la région rénale de la victime. En réfléchissant souvent là-dessus, et scrutant avec soin, j’étais surpris de ce que la loi, au lieu d’exiger la graisse, les lobes du foie et les reins, n’ait pas ordonné le sacrifice du cœur et de la cervelle, deux viscères qui dominent et gouvernent tout l’animal, et je crois que plusieurs de ceux qui lisent les saintes écritures avec l’esprit, et non pas seulement avec les yeux, se font la même question; si, méditant le sujet, ils trouvent un motif probable, ils auront fait chose profitable à eux-mêmes et aux autres; sinon, qu’ils jugent si mon commentaire présente quelque vraisemblance; le voici : notre organe directeur est susceptible d’imprudence, d’injustice, de timidité, et de tous les autres vices; il a son siège dans les deux viscères déjà nommés, le cœur et le cerveau. La parole sainte a donc jugé convenable que sur l’autel de Dieu, où l’on doit trouver le rachat, la rémission des péchés et des iniquités, on n’ait pu offrir des réceptacles, dans l’un et l’autre desquels l’esprit affaibli penche vers l’impudence et l’injustice, et est détourné du chemin qui conduit à la vertu, et à tout ce qui est beau et bon. Il serait absurde de préparer, dans les sacrifices, non l’oubli, mais le souvenir des péchés; telles sont les raisons qui me paraissent avoir fait exclure du sacrifice le cœur et le cerveau. Quant aux parties admises, la raison en est évidente, La matière adipeuse fournit une grasse protection à tous les viscères. Elle les revêtit, donne de l’embonpoint, et par la mollesse de son contact, elle leur devient d’une grande utilité.

Les reins, par l’intermède des prostates et des testicules, faisant office de bons voisins, aident, prêtent leur concours chaque fois que l’acte de la nature s’opère sans empêchements purs.

Ce sont deux glandes sanguines qui secrètent des fluides purs.

Le lobe du foie, un des morceaux de chair du plus important des viscères, convertit les aliments en fluide sanguin, qui, transporté vers le cœur, se distribue par les veines à toutes les parties du corps.

L’estomac, placé sous le pharynx, lubréfie, reçoit, élabore les aliments auparavant brisés sous les dents.

L’abdomen, situé au-dessous de l’œsophage, remplit une seconde fonction, assignée par la nature, et secrète le chyle.

Deux vaisseaux canaliformes naissent de l’estomac; l’un sert à l’acte de la digestion,[1] et l’autre opère l’hématose. Le tube digestif secrète dans la vésicule du fiel toutes les substances d’une décoction pénible et laborieuse. L’autre tube,[2] à l’aide de da chaleur, transmute ce qui est pur et convenable en sang vital, qui, chassé vers le cœur, se répand par les veines, comme il a été dit, dans toutes les régions, et nourrit le corps.

Outre ceci, il convient aussi de prendre en considération la nature supérieure, l’aspect poli du foie, qui brille à l’instar d’un miroir. Lorsque l’esprit, quittant les soucis du jour, se repose dans le sommeil, et, libre des entraves de ses sensations matérielles, commence à réfléchir sur lui-même, à contempler sa pure intelligence, alors il se regarde dans le foie comme dans une glace; il aperçoit, avec pureté, chaque idée, et inspecte successivement toutes ces images, et pour éviter la honte, repousse les unes, choisit les autres, et, se complaisant à toutes ces imaginations, prédit par les songes les choses à venir.

Dans les sacrifices salutaires il est permis de consommer la chair des victimes pendant deux jours seulement; on n’en doit rien laisser pour le troisième jour, disposition motivée sur plusieurs raisons. La première, qui concerne ce qu’on apporte sur la table sainte, doit avoir un temps limité, et se faire promptement; les chairs et les condiments étant sujets à la putréfaction. La seconde raison est pour qu’on n’économise pas sur ces victimes, et qu’on en abandonne une partie aux indigents; car elles n’appartiennent plus à ceux qui les ont offertes, mais à celui qui les acceptées. Comme il est bienfaisant, généreux, il proclame que la propriété de l’autel est commune; il appelle les maîtres du sacrifice au repas, ne voulant pas qu’ils aient donné un banquet; ce sont des suppliants et non des invitants. Lui seul invite, et il ne convient pas de dissimuler l’auteur de la libéralité, en préférant à la générosité une vile et sordide avarice.

La dernière raison est que les sacrifices salutaires ont deux objets en vue, le corps et l’âme; à chacun est assigné son jour; il paraît convenable de fixer le même temps à chaque partie de la vie; mais le premier jour est consacré aux souvenirs de la nourriture de l’âme, le second à la santé du corps. Comme il ne reste pas un troisième objet de salut à solliciter, le législateur a défendu qu’on fasse usage de sacrifice au troisième jour, et ordonné que, si par ignorance ou oubli il en restait quelque chose, de l’anéantir de suite. Celui qui en goûte seulement, le législateur le déclare coupable, et l’interpelle ainsi : O homme ridicule, penses-tu avoir offert un sacrifice? non, tu n’as rien sacrifié. Je ne me soucie point de cette chair profane, souillée, impure, que tu as préparée, ô homme vorace, n’ayant pas même de ce qu’on nomme sacrifice ombre de sentiment.

Les sacrifices dits des louanges sont de même genre que les sacrifices salutaires. Voici à quelle occasion ils sont offerts. Lorsqu’un homme n’éprouve aucune adversité, ni dans son intérieur, ni au dehors, mais jouit d’une vie sans trouble, tranquille, n’éprouve que des sentiments de bien être, de félicité, sans perte, sans affaires, remontant le long fleuve de la vie en paix, avec sécurité, le vent d’une fortune prospère soufflant toujours en poupe; de toute nécessité, c’est au pilote suprême, à Dieu, qu’il doit un bonheur si continu, non altéré par aucune calamité. Le dispensateur de tant de biens mérite en retour des hymnes, des remerciements, des sacrifices et autres actions de grâces, et tout est compris sous le nom de louanges, la victime doit être consommée le jour même et non pendant deux jours; comme un sacrifice salutaire. Ceux qui ont obtenu promptement des bienfaits à souhait doivent s’empresser aussi d’apporter sans délai un échange (de reconnaissance).

Sacrifices de péché. Ils varient selon les personnes et les victimes.

Les personnes comprennent le premier pontife, toute la nation, les chefs et les particuliers; les victimes sont le veau, le bouc, la chèvre et l’agneau; ici on offre aussi des femelles, et elles sont obligatoires pour ceux qui, ayant péché volontairement ou involontairement, prennent des résolutions meilleures, se repentent des fautes commises, veulent désormais mener une vie inoffensive.

Le grand pontife et le peuple sont purifiés par la même espèce de victime: pour l’un et l’autre, la loi désigne un veau; au prince, on accorde le bouc, victime de moindre importance, mais toujours mâle; au particulier, encore moins: la victime doit être femelle et non mâle. Dans les sacrifices, il convient de préférer le prince au particulier, et le peuple au prince; car le tout doit toujours l’emporter sur la partie. Quant au premier pontife, dans les purifications, et pour l’obtention de la rémission des péchés, on l’a jugé digne d’être placé de niveau avec la nation. Cette égalité d’honneur n’est pas accordée à sa personne, mais au ministre de la nation, présentant des actions de grâce, des sacrifices, des victimes, qui appartiennent à tous.

L’ordonnance relative à ce genre de sacrifice est remarquable, admirable. Si, dit le législateur, le pontife pèche involontairement, et il ajoute de suite, pour faire pécher le peuple,[3] enseignant par là indirectement qu’un pontife ne participe pas aux péchés; si jamais il trébuche, il nous apprend que la faute ne vient pas de lui-même, mais à cause de tout le peuple; que le mal n’est pas incurable; qu’au contraire, le remède peut être facilement appliqué, car il ordonne au pontife, dès que le veau est égorgé, d’asperger sept fois du sang avec son doigt contre le voile extérieur, tendu devant l’endroit où l’on conserve les vases sacrés[4] d’oindre et de graisser les quatre coins de l’autel aux fumigations (il était quadrangulaire), et de jeter le restant du sang à la base de l’autel, qui est à l’air en plein vent. Ensuite il offre la graisse, le lobe du foie, les deux reins, trois offrandes comme pour le sacrifice salutaire. Le dos, la peau, le reste du corps, de la tête aux pieds, avec les intestins, sont portés au dehors pour être brûlés dans un endroit,[5] où l’on a coutume de assembler les cendres provenant des victimes.

Le même rite s’observe pour l’expiation de tout le peuple.

Si l’un des princes pèche, il exécute un bouc, comme il a été dit; mais un particulier offre une chèvre ou une brebis, on immole une victime mâle pour le prince, et une femelle pour le particulier; les autres prescriptions sont les mêmes pour les deux; on enduit de sang les cornes de l’autel en plein air, et l’on offre la graisse, le lobe du foie et les deux reins. Mais le reste de la victime appartient aux sacerdotes.

Les péchés sont de deux espèces, ou contre les personnes, ou contre les choses sacrées ou consacrées. Jusqu’ici il a été question des péchés contre les personnes, et commis involontairement. Lorsqu’il s’agit des péchés contre les objets consacrés, la loi ordonne d’abord d’offrir un bélier, et ensuite de payer l’équivalent du dommage, et le cinquième en sus.[6] Voilà ce qui est prescrit pour les fautes involontaires; viennent ensuite les fautes préméditées. Si quelqu’un ment, dit la loi, en affaire de société, en matière de dépôt confié, d’objets enlevés ou perdus; et, dissimulant sa dépravation, prête le serment à lui imposé, croyant ainsi échapper à la réprobation publique; si ensuite il devient son propre accusateur, si intérieurement sa conscience l’incrimine, lui reproche sa dénégation, son parjure; s’il confesse lui-même d’avoir commis une injustice, et réclame le pardon; alors la loi ordonne d’accorder amnistie à celui qui prouve la sincérité de sa pénitence, non par des promesses, mais par des actions, en rendant le dépôt, le larcin ou l’objet trouvé; en général, tout ce qu’il a usurpé sur autrui, et ajoutant le cinquième en sus pour la consolation du propriétaire lésé. Après l’avoir ainsi satisfait, la loi exige que le pénitent aille dans le temple, et sollicite son pardon et la rémission de ses péchés; qu’il y amène un défenseur, jamais dédaigné, qu’il invoque la pitié pour une âme qui vient d’échapper à une grande calamité, à une maladie presque mortelle, pour retourner à l’état d’une entière santé; il immole un bélier, et on suit le même rite que pour le sacrifice offert au sujet des prévarications involontaires contre les choses saintes. La loi assimile les délits, même involontaires, contre les choses saintes, aux délits volontaires contre les hommes, par respect pour les choses saintes; mais pour que le parjure échappe à la peine, il faut qu’il se corrige et devienne meilleur.

Il faut d’ailleurs observer que dans le sacrifice pénitentiaire on offre les mêmes parties de la victime que dans les sacrifices salutaires; savoir, le lobe du foie, la graisse et les reins; car le repentir est aussi en quelque sorte une salvation, puisqu’on est délivré d’un vice de l’âme, plus pénible à supporter qu’une affection du corps.

Les autres parties de la victime sont partagées pour être consommées comme dans le sacrifice salutaire, avec une différence dans les lieux, le temps et les personnes. Car le lieu du repas est le temple; le temps, un jour et non deux jours, les personnes les sacerdotes, mais pas tous ceux qui leur appartiennent, seulement les hommes. Il n’est pas permis d’emporter rien de la victime hors du temple; par là, on veut empêcher qu’on ne reproche au pénitent sa première faute, qu’elle ne soit répandue par les sots amateurs du bruit et du scandale; par ces langues sans frein, qui aiment à divulguer la honte et le blâme d’autrui. Il convient donc que tout se passe dans l’intérieur du temple, où l’expiation a lieu.

On prescrit que la victime soit consommée seulement par les sacerdotes, pour plusieurs raisons. Premièrement, pour honorer celui qui offre, car la dignité des convives est l’ornement de l’hôte; secondement, pour que les repentants croient avec une confiance plus ferme que Dieu leur est devenu propice; troisièmement, on sait qu’un sacrificateur ne peut remplir ses fonctions que lorsqu’il est entièrement sain, et qu’il n’a pas le plus petit défaut corporel. Par là, on avertit ceux qui quittent le chemin du vice, à imiter la pureté des sacerdotes, qui n’ont pas dédaigné de se nourrir des oblations offertes par ces pénitents.

Le sacrifice pénitentiaire doit être consommé dans un seul jour. S’agit-il de pécher, il convient d’aller avec lenteur, de différer, de toujours remettre; mais pour bien faire, on ne saurait mettre trop d’empressement, trop de hâte.

Dans le sacrifice de pénitence offert pour le suprême pontife ou pour le peuple, comme j’ai déjà dit, rien ne doit servir; tout doit être consumé sur les cendres sacrées; car personne n’est au-dessus du suprême pontife ni du peuple. Il n’y a point d’intercesseur pour leurs péchés; on bride tout par le feu, à l’instar de l’holocauste, pour honorer les offrants. Ce n’est pas que les sacrifices prennent qualité de la dignité des personnages; mais souvent les erreurs des hommes éminents en vertus et en vraie sainteté valent autant que ce qu’on appelle la rectitude des autres. De même qu’un sol vigoureux, profond, survienne une récolte fâcheuse, rapporte toutefois plus de fruit qu’un terrain naturellement maigre, de même les efforts des hommes probes et pieux pour ce qui est beau et bon, pour rester quelquefois stériles, sont plus méritoires que les succès qu’obtiennent les gens vulgaires, par hasard et sans intention.

Après avoir ainsi établi spécialement trois sortes de sacrifices, l’holocauste, le salutaire et le pénitentiaire, le législateur en a subordonné un à chacun des trois, pour montrer qu’ils forment tous un seul genre, une seule famille. On a donné le nom de grand vœu à cette réunion de tous les sacrifices: nous allons dire d’où vient ce nom. S’il arrive que quelqu’un ait offert les prémices de tout ce qui compose son avoir, froment, orge, huile, vin, élite de fruits; s’il s donné les premiers-nés, sacrifié les animaux purs, et racheté les impurs au taux convenable, n’ayant plus aucune matière â exercer sa piété, il dédie et consacre sa propre personne, et manifeste ainsi une piété, une sainteté au-delà de toute expression. C’est pour cette raison que cette consécration a été nommée le grand vœu; car il n’existe pas de bien plus grand qu’on puisse céder et aliéner que la personnalité. Voilà ce qui est prescrit à celui qui fait ce vœu. Premièrement, il ne doit pas faire usage du vin, ni de rien de ce qui provient de la vigne, ni boire aucune boisson enivrante, pouvant troubler la raison. En tout temps, il doit toujours se considérer comme exerçant la sacrificature; car on sait que ceux qui exécutent les sacrifices doivent s’abstenir de boisson enivrante, et éteindre la soif avec de l’eau. Le jour de consécration étant arrivé, il lui est ordonné, pour accomplir son vœu, d’offrir trois victimes; un agneau, une brebis, un bélier; le premier holocauste, le second pénitentiaire, le troisième salutaire. Il offre un holocauste pour manifester qu’il ne consacre pas seulement tout ce qu’il possède, mais qu’il donne en entier au Dieu sauveur tout son individu. La victime du péché montre que, quelque parfait qu’il soit devenu, étant homme il ne peut pas échapper au péché. La victime du salut indique qu’il assigne Dieu, être sauveur, et les puissances qui en proviennent, comme cause de la santé, et non les médecins. Ceux-ci, nés mortels, ne savent pas se procurer une santé convenable à eux-mêmes; ils ne sauvent pas tous, et pas toujours leurs propres personnes : quelquefois même ils nuisent, parce que le pouvoir dépend d’un autre, et les puissantes propriétés des médicaments.

Les trois victimes pour des sacrifices différents ne sont pas d’un genre différent, mais d’un même genre; savoir le bélier, l’agneau et la brebis. Cette disposition me paraît admirable; elle indique, comme on vient de le dire, que les trois idées des sacrifices sont sœurs; l’une sert au pénitent à recouvrer la santé du corps; l’autre celle de l’âme. A l’aide de l’une et de l’autre santé, il doit s’empresser de s’offrir en entier, totalement, ce dont l’holocauste est le symbole. Devant ainsi se sacrifier lui-même, et l’autel ne pouvant être souillé de sang humain, il fallait choisir une partie du corps qui n’occasionnât ni amputation, ni blessure, ni douleur. Le corps étant considéré comme un arbre, on en élague les branches inutiles; en conséquence, l’offrant est tenu de faire couper ses cheveux, et on les jette dans le feu qui sert à faire cuire les chairs des victimes salutaires, afin que l’homme dévoué, ne pouvant être offert sur l’autel, au moins une partie serve à alimenter la flamme du feu sacré.

Tels sont les sacrifices des particuliers; les sacerdotes sont aussi tenus de porter les prémices sur l’autel, afin qu’à raison des fonctions qu’ils remplissent, ils ne pensent pas jouir d’une immunité. Ils offrent ce qui convient à des sacerdotes, non des chairs sanglantes, mais ce qu’il y a de plus pur dans les aliments de l’homme; la fleur de farine, de froment. Ce sacrifice est perpétuel; chaque jour un dixième de mesure sacrée; une moitié est offerte le matin, et l’autre le soir; le tout doit être préparé à l’huile; cependant rien ne doit être pris en aliment, car l’oracle ordonne que toute oblation d’un sacerdote doit être consumée par le feu; rien ne doit être conservé pour l’usage. Jusqu’ici nous avons traité des victimes; maintenant nous allons parler de ceux qui les offrent.

 


 


[1] Le canal cystique.

[2] Le canal thoracique.

[3] Lévit., ch. 4, v. 3.

[4] Ibid., v. 4.

[5] Ibid., v. 12.

[6] Lévit., ch. 5, v. 15.