MAXIME DE TYR

 

DISSERTATIONS

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

MAXIME DE TYR

 

MAXIME DE TYR

 

 

DISSERTATION XXXV.

Quelle est la fin de la philosophie ?

 

Le Crotoniate aime l'olivier d'Olympie (01) : l'Athénien aime la palme navale : le Lacédémonien aime le service militaire dans l'infanterie : le Crétois aime la chasse : le Sybarite aime le luxe : le Thébain aime la flûte : et l'Ionien aime le chant et la danse. D'un autre côté, le marchand aime l'or : le buveur aime la taverne : ceux qui cultivent les Muses aiment la galanterie (02) : le chanteur aime les vers : et le Rhéteur aime les sujets d'éloquence. Et cet original (03), à qui les hommes donnent le nom de philosophe, n'aime-t-il absolument rien? Il serait donc une pierre, et non pas un être capable de voir, de respirer, de se mouvoir, de penser, d'éprouver des désirs, des sensations, des appétits. A la bonne heure; il aime bien quelque chose, mais il ne pourra pas vous dire, en un seul mot, ce qu'il aime. Qu'est-ce donc à dire, le bonheur? Vous êtes bien bon de penser qu'aucun de ceux dont nous venons de parler, se croie moins sage que vous, dans l'objet de sa prédilection, et que chacun ne vous répondra pas que c'est dans la vue du bonheur qu'il se livre à la gymnastique, à la boisson, au trafic, à la chasse, à la danse (04), à la guerre, à l'amour, au chant, à l'éloquence. Pensez-vous que Sardanapale, en se plongeant dans la mollesse, en amortissant ses livides yeux, en se peignant avec tant d'élégance, en s'enfonçant dans la pourpre, en se claquemurant dans ses palais au milieu de ses courtisanes, ait cherché autre chose que le bonheur ? Certes, il n’avait pas l'intention d'être malheureux. Quoi donc ! Ce Perse qui réduisit en cendres les temples des Egyptiens (05) ; celui qui couvrit leur fleuve d'outrages, qui fit immoler leur bœuf Apis, ne tendait-il pas au même but, par de semblables prouesses ? Et Xerxès, ne dirait-on point qu'il a pu le disputer en bonheur à Jupiter, (tant il se persuada à lui-même qu'il possédait le bonheur dans toute sa réalité) lorsqu'à l'aide de ses vaisseaux de transport disposés en guise de pont, il eut formé un point de contact éphémère entre l'Europe et l'Asie (06)? Lorsque, tandis que chez Homère, Neptune est égal en, puissance à Jupiter, il s'imaginait l'avoir fait fustiger et mettre en prison (07) ?

II. Mais pourquoi parler des Princes Barbares? Ne voyez-vous point Pisistrate, un Grec, un Athénien, marchant, sans relâche, vers la citadelle, comme si le bonheur y avait été déposé pour lui avec l'antique olivier (08) ? On dirait qu'il n'y a plus pour lui de repos, s'il ne parvient à s'en rendre maître. La prédiction égyptienne (09) ne fut point capable de persuader à Polycrate de ne point s'enorgueillir de sa prospérité, tandis qu'il dominait sur toute la mer d'Ionie, tandis qu'il avait à sa disposition de nombreuses flottes ; tandis qu'il possédait une bague du plus grand prix, et qu'il avait à sa Cour, dans Anacréon un ami, et dans Smerdis un Ganymède. Mais Pisistrate et Polycrate ressemblaient à ceux qui se laissent éblouir par les prestiges spécieux et parles funestes illusions du luxe et des jouissances. N'entendez-vous point Homère, louant les Æacides, « de ce qu'ils allaient à la guerre » avec autant de gaîté de cœur qu'à un festin (10) » ? Et néanmoins, quelque peu aimable que soit la guerre, elle a été aimée par des hommes qui n'étaient pas sans-mérite. Tel fut autrefois ce Philippe, qui pouvait fort bien rester tranquille dans la Macédoine, vivre content des trésors d'Amyntas, s'en tenir au bonheur de Perdiccas, au lieu de l'aller chercher ailleurs, comme s'il s'était envolé de son royaume. Tel fut, à ce qu'il paraît, le motif qui le poussa à combattre contre les Triballes, à faire une irruption en Illyrie, à assiéger Byzance, à renverser de fond en comble Olynthie, à tromper les Athéniens, à se coaliser avec les Thessaliens, à faire alliance avec les Thébains, à s'emparer d’Elatée, à saccager la Phocide, à se rendre parjure, menteur, et à se faire mutiler. Il ne respectait ni sa parole, ni ses traités. Il n’avait égard ni à la honte, ni à l'infamie. Demandons à Philippe, en échange de quoi il s'est exposé à tant de fatigues, à tant de dangers, et à se faire crever les yeux (11). Aimais-tu donc le malheur ? Question ridicule. Sans doute, Philippe ne rencontra point ce qu'il cherchait, mais ce fut le désir du bonheur qui le lança dans la carrière. Ce fut pour la même raison qu'Alexandre, ayant dit adieu à l'Europe, comme dénuée d'éléments de bonheur, passa en Asie, dans l'idée qu'il était, à Sardes, au milieu de ses richesses ; en Carie, dans le trésor de Mausole ; à Babylone, dans ses murailles; en Phénicie, dans ses ports; en Egypte, sur ses rivages, ou dans les sables des Hammoniens. Ce ne fut pas assez pour lui de Darius en fuite, de l'Egypte envahie, de la salutation du grand-prêtre de Jupiter Hammon (12), et de Babylone en sa puissance. Il poussa ses armes jusqu'aux Indes. Demandons-lui la cause de tant d'expéditions. Que désires-tu? Qu'ambitionnes-tu? Quel est l'objet que tu t'obstines à poursuivre? Que répandra-t-il, sinon, le bonheur ?

III. Mais laissons-là les Rois et les Souverains. Jetons nos regards sur les conditions privées. N'y voyons-nous pas chacun, de tous côtés, courir après le bonheur ! Et celui qui travaille la terre ; et celui qui fait le commerce maritime; et celui qui embrasse la profession des armes; et celui qui consacre ses loisirs à l'étude des Lettres ; et celui qui se marie ; et celui qui se charge d'élever des enfants; et celui qui fait le métier de voleur ; et celui qui se livre à des jouissances infâmes ; et l'intrigant qui, par des bassesses, se ménage des libéralités dans les testaments ; et celui qui vit dans l'adultère; et celui qui vend ses services? La plupart s'exposent à des inconvénients, à des dangers, au milieu des gouffres et des abîmes. Ils seraient dignes de pitié, s'ils n'agissaient point avec connaissance (13). Mais il en est parmi eux qui portent même de l'affection dans ce qu'ils font. Et cette nombreuse classe d'individus qui vit dans l'oisiveté et à l'aventure, a-t-elle renoncé à toute spéculation de bonheur ! Non, certainement. Car les flatteurs ne se donneraient pas tant de peines pour caresser les passions des riches; ni les farceurs pour exciter le rire et les battements de mains; ni ceux qui font le métier de jongleurs et de baladins (14) ne se feraient une si grande affaire des tours de force et de souplesse qu'ils font exécuter à leur corps ; ni tous autres qui attachent une grande importance à ce qu'ils inventent, quelque futile qu'en soit la matière, n'y mettraient point un aussi vif intérêt.

IV. Un Ionien vint à Babylone se présenter au grand Roi, et lui montrer un tour d'une adresse extraordinaire. Cet Ionien faisait de petites balles rondes: d'une espèce de pâte à gâteau (15). Il plantait une aiguille, la pointe en haut ; et de loin, il jetait ses balles sur la pointe de l'aiguille avec une telle justesse, qu'il ne la manquait jamais. Cet homme, avec ses boulettes et son aiguille, se figurait, sans doute, être un aussi grand personnage qu'Achille avec ses flèches du mont Pélion. Dans la Lybie, un Lybien nommé Psaphon, ambitionna un genre de bonheur qui n’était, certes, ni médiocre, ni vulgaire. Il voulut passer pour un Dieu. Il ramassa plusieurs oiseaux de l'espèce de ceux qui parlent en chantant (16). Il les instruisit à articuler ces mots, le grand Dieu Psaphon. Il les laissa ensuite s'envoler dans les montagnes. Ces oiseaux y répétèrent ce qu'on leur avait enseigné; et les autres oiseaux de la même espèce l'apprirent et le répétèrent avec eux. Les Lybiens ne doutèrent point que ces oiseaux ne fussent inspirés par les Dieux. Ils offrirent des sacrifices à Psaphon, et ils le proclamèrent leur Dieu, sur la foi de ce prestige (17). Ce Lybien, à mon avis, ne fut pas moins adroit que ce Darius, dont les Perses ne voulurent point pour leur Roi, jusqu'à ce que la couronne lui eût été déférée par le hennissement d'un cheval en rut (18).

V. Il n'y a donc, parmi les choses humaines, rien qui réunisse tous les goûts. Chacun des hommes attache l'opinion de son propre bien à des affections particulières (19). Chacun suit une route différente, chacun se fait son sort et sa condition à part. A la vérité, un désir commun à tous c'est celui du bonheur. Mais ils ne le trouvent pas plus les uns que les autres. Semblables à ceux qui chercheraient de l'or et de l'argent dans les ténèbres, sans connaître, d'ailleurs, le son propre et distinctif de ces deux métaux, et qui, n'ayant, pour le juger, que l'infidèle ressemblance du poids et du tact, se jetteraient les uns sur les autres, se pousseraient et se repousseraient tour-à-tour ; n'osant lâcher ce qu'il» tiendraient déjà, de peur que ce ne fût ce qu'ils cherchent; n'osant non plus cesser de chercher, de peur de ne rien tenir encore. De là, du tumulte, des querelles, des provocations, des clameurs de la part de ceux qui se tourmenteraient à chercher, à se plaindre, à se poursuivre les uns les autres, à se lamenter, et à se dépouiller réciproquement. Quelquefois ils pousseraient tous des cris d'allégresse, ils chanteraient victoire à l'envi, comme s'ils étaient déjà en possession du vrai bien. Mais aucun d'eux ne le possèderait encore; et dans leur commune défiance, chacun chercherait à découvrir ce que son voisin aurait trouvé (20).

VI. Telle est l'espèce de maladie qui travaille la terre et la mer. C’est elle qui appelé les Citoyens à leurs assemblées politiques (21) : c'est elle qui institue les tribunaux : c'est elle qui encombre les prisons et c'est elle qui construit des vaisseaux : c'est elle qui fait voguer les galères : c'est elle qui met les armées en campagne : c'est elle qui fait monter la cavalerie sur ses chevaux, les cochers sur leurs chars, les tyrans dans les citadelles (22) : c'est pour elle que les Généraux et les troupes mercenaires (23) s'abandonnent au massacre et à l'incendie : c'est pour elle que d'autres font des enfants, et que d'autres se marient (24) : ce n'est pour nulle autre chose que pour l'espérance de ce bonheur dont ils ignorent les vrais éléments, que les hommes supportent une infinité d'autres maux. Dieu a planté dans le cœur de l'homme le désir du bonheur comme un germe de feu; mais il le lui a rendu difficile à trouver. « Sa racine est noire, et sa fleur blanche comme le lait (25) ». Car Homère ne m'en imposera point avec l'obscurité de son mot. Je connais son moly : je pénètre son énigme; et je vois clairement ce qu'est cette chose, « que les mortels ont tant de peine à trouver, et dont les Dieux possèdent toute la science (26) ».

VII. Cependant Apollon nous parle dans ses oracles, tantôt d'une misérable marmite qui bout en Lydie (27), tantôt d'un rempart de bois, tantôt d'un isthme extrêmement resserré, tantôt d'un tremblement de terre qui vient, tantôt d'une guerre qui se prépare, tantôt d'une famine prochaine. Mais il ne nous dit rien de cette question bien plus ancienne que toutes les autres, et bien plus digne de devenir la matière d'un oracle, quel est le moyen d'empêcher que les hommes ne se fassent la guerre, qu'ils n'aient besoin de remparts, qu'ils n'aient la famine à craindre. Certes, nous n'apprendrons cela ni de l'Apollon de Delphes, ni du Jupiter de Dodone, ni du Dieu de toute autre contrée. Mais la philosophie nous l'enseignera. O le bel oracle ! ô la divination, source des plus salutaires résultats ! Je croirai à ce qui sortira de ta bouche, si j'y vois de la concordance. Dis-moi des choses qui ne soient point susceptibles de controverse. J'ai besoin d'une prédiction sur la foi de laquelle je vive en pleine sécurité. Quelle destination assignes-tu à l'espèce humaine ? Quelle route lui traces-tu ? Vers quel but la diriges-tu ? Qu'il soit unique pour tous, et commun à tous. Néanmoins je vois aujourd'hui plusieurs colonies de philosophes, dont les unes vont d'un côté, et les autres de l'autre, ainsi qu'on vit autrefois Cadmus aller en Béotie, Arçhias à Syracuse (28), Phalanthe à Tarente (29), Nélée à Milet (30), Tlépolème à Rhodes. Sans doute, il est nécessaire que la terre soit morcelée, et que, tandis qu'une partie est habitée par certain peuple, une autre partie soit habitée par un autre peuple. Mais le bien est un, indivisible ; rien ne lui manque ; il n'a besoin de rien ; il a tout ce qu'il faut pour suffire à un être raisonnable et intelligent, de même qu'un seul soleil est l'unique bien dans la nature visible, qu'une seule musique est l'unique bien dans les choses qui sont du ressort de l'ouïe, et qu'une seule santé est l'unique bien dans les choses qui appartiennent à la vie. Or, il a été assigné à tous les animaux, à chacun dans son espèce, un bien unique pour leur conservation. Tous ceux qui se ressemblent, ont une même manière de vivre, une même fin, les volatiles, les quadrupèdes, les reptiles, les aquatiques, ceux qui se nourrissent de chair, ceux qui vivent de fourrage, ceux qui mangent des fruits, ceux qui se réunissent en troupeau, ceux qui s'apprivoisent, ceux qui ne s'apprivoisent pas, ceux qui ont des cornes, et ceux qui ne sont pas cornus. Les faire changer de genre de vie, ce serait renverser l'ordre de la Nature. Et l'espèce humaine, la plus sociable, la plus douce de toutes les espèces, celle qui aime le plus ses semblables, et qui a le plus de Raison, court risque d'être poussée à des affections contraires, non seulement par des désirs grossiers, par des appétits désordonnés, par des passions frivoles, mais encore par la philosophie, la plus stable de sa nature, de toutes les choses du monde, mais qui ne laisse pas d'admettre diversité de sectes, et de chefs, qui sépare, qui disperse le troupeau, et dirige les uns d'un côté et les autres de, l'autre : Pythagore vers la musique, Thalès vers l'astronomie, Héraclite vers la solitude, Socrate vers l'amour, Carnéade vers l'ignorance (31), Diogène vers le travail, Epicure vers la volupté. Voyez-vous combien de chefs ! Voyez-vous combien de systèmes ! Du côté duquel se tourner? Lequel admettre? Auquel croire? Auquel s'attacher (32) ?

 

NOTES.

 

(01) C'est-à-dire, la couronne des jeux olympiques.

(02) Le grec porte ὁ μουσικὸς. Pacci a traduit musicus. Heinsius a rendu le mot grec par elegantiores homines ; et Formey a exprimé le mot latin par les gens du bel air. Je n'ai aperçu dans aucun lexique, sous le mot  μουσικὸς, rien de relatif à l'acception qu'Hensius lui a donnée.

(03) Le texte dit littéralement, cet animal, cette bête. J'ai cru devoir modifier le sarcasme.

(04) Le grec porte, à l'agriculture. Mais Markland a observé que dans le début de la Dissertation, il n’était pas question des agriculteurs ; et il a pensé qu'au lieu de γεοργεῖ il fallait lire χορεύει. Je l'ai suivi.

(05) Le texte grec, sur lequel Heinsius a travaillé, ne referme point ces paroles. Davies les a rétablies, sur la foi de la version de Pacci, et des deux manuscrits qu'il a pris lui-même pour guides. Au reste, le Roi de Perse, dont il s'agit ici, c'est Cambyse, suivant Strabon, liv. XVII ; Justin, liv. I, n° 9 ; et Hérodote, liv. III. Pancirole s'est trompé, lorsqu'il a mis ce trait sur le compte de Xerxès. Mais, en nous donnant la raison qui fit incendier les temples, d'Egypte, il ajoute une réflexion dont la hardiesse mérite d'être remarquée, eu égard à la qualité de l'écrivain ; (il était professeur en Droit dans une des plus célèbres universités d'Italie, à Padoue) ; et eu égard au temps où il écrivait, c’était dans le 16e. siècle, car il mourut en 1599). « Longe aliter Xerxes; qui, Magis Persarum auctoribus, templa Grœciœ inflammavit, quia includi Deos nefas parietibus putarent, quibus omnia essent libera et patentia, et quibus mundus totus domus esset. » Quod utinam ii pependerent qui sacrosanctum Christi corpus Eucharislico pani, vi et efficacia obmurmuratœ consecrationis suæ, quam vocant, includi posse, cum sibi, tum aliis, nugatorie et impie persuadent! » Ipsum illum Deum, quem ex pane sibi fingunt, nefarie et non absque piaculo deglutientes, et ad saxa atque ligna insuper, saxis atque lignis stupidiores ipsi procumbenles, quod et mirabile, et maxime ridiculum. » Ils avaient, en effet, une bien plus haute, une bien plus auguste, une bien plus religieuse opinion de l'Etre Suprême, ces Mages qui conseillèrent à leur Roi de brûler les temples des Égyptiens, parce qu'ils regardaient comme un crime, de renfermer dans l'étroite enceinte d'un édifice, celui qui remplit l'univers entier de sa présence, que ceux qui s'imaginent le faire descendre et l'emprisonner dans le pain de l'Eucharistie, par l'efficace de ce qu'ils appellent la consécration.

Vid. Guidon. Panciroli, reram deperditarum, lib. I. De argent. Suppelleclili, in commentariis, p. 236.

(06) Les annotateurs Anglais ne sont point, ici, d'accord. Davies soupçonne une altération que Markland refuse d'admettre. Reiske est de l'avis de Markland, Davies me paraît néanmoins avoir quelque raison de douter que Maxime de Tyr ait eu, au sujet de la prétendue réalité du bonheur de Xerxès, une opinion si peu compatible avec les principes philosophiques. Quoi! Maxime de Tyr aurait sérieusement pensé que le Roi de Perse qu'il cite, posséda le vrai bonheur, parce qu'il accompagna une opération gigantesque de puérilités ridicules !

(07) Hérodote rapporte que lorsque Xerxès eut fait jeter son pont de bateaux sur l'Hellespont, il survint une tempête qui brisa tous les cordages, et fit disparaître le pont; et que le Roi de Perse, instruit de cet événement, ordonna qu'où donnât trois cents coups de fouet à l'Hellespont, et qu'on jetât dedans une paire de chaînes. Au reste, il est permis de douter de tous ces détails historiques d'Hérodote : Juvénal au moins n'y ajoutait pas une grande foi :

………………………. Crediter olim
Verificatur Athos
, et quidquid Grœcia mendas
Audet in historia
; cum stratum classibus iodem
Suppositumque rotis solidum mare
.

(08) Maxime de Tyr fait allusion à ce que dit Hyginus dans la 164e de ses fables. « Neptune et Minerve disputaient à qui bâtirait, le premier, une ville sur le territoire de l'Attique. Jupiter intervient, et décide en faveur de Minerve, qui avait pris possession, en plantant un olivier », lequel olivier, s'il faut en croire ce qu'on en disait du temps de l'auteur, quel qu'il soit, de ces rapsodies attribuées à Hyginus, contemporain de Jules César, subsistait encore à cette époque. Credat judœus apella.

(09) Polycrate, tyran de Samos, possédait une bague du plus grand prix. Il la jeta dans la mer. Quelque temps après des pêcheurs prirent un poisson, dans le ventre duquel on trouva la bague de Polycrate. Cet événement fit du bruit. Amasis, qui régnait alors en Egypte, l'ayant entendu raconter, en tira un pronostic funeste contre Polycrate ; et prophétisa que, dans peu, ce Prince ferait un mauvaise fin. Ce qui ne manqua pas d'arriver. Voyez Strabon, liv. XIV, et Hérodote, liv. III. Au reste, ce Polycrate est le même tyran que Pythagore, à son retour d'Egypte, trouva, à Samos, le sceptre à la main. Circonstance qui fit renoncer le philosophe à sa patrie, quelque effort que fit Polycrate pour l'y retenir, et qui l'amena en Italie.

(10) La mémoire de Maxime de Tyr l'a trompé, ici. Ce n'est point Homère, c'est Hésiode qui attribue aux Æacides l'intrépidité belliqueuse dont il s'agit. A la vérité on ne cite pas le poème d'Hésiode, d'où ce passage est emprunté. Mais on invoque le témoignage de Polybe, au commencement de son livre cinquième. Je l'ai consulté ; et en effet il attribue le passage en question à Hésiode.

(11) J'ai admis la correction de Markland, qui lit ὀμμάτων, au lieu de σωμάτων. Il paraît, en effet, que notre auteur, en ce qui concerne Philippe, fait allusion à ce qui lui arriva, au siège de la ville de Méthon. Justin, dans son liv. VII, chap. 6, rapporte que, pendant que Philippe faisait le tour des murailles, une flèche partie de la main d'un des assiégés lui creva l'œil droit.

(12) Quinte-Curce raconte, liv. IV, chap. 7, qu'Alexandre pénétra dans la Lybie, et qu'il y vint consulter le célèbre oracle de Jupiter Hammon. On ajoute qu'il fut introduit seul dans le temple ; que tous ses Lieutenants restèrent à la porte ; et qu'à son approche, le plus ancien des prêtres l'appela son fils, en lui disant que Jupiter, son père, lui inspiroit de lui donner ce nom. Hoc nomen illi parentem Jovem reddere affirmans.

(13) Le texte est évidemment altéré, ici. J'ai adopté un autre sens que celui d'Heinsius et de Formey. C'est aux critiques et aux gens de goût à juger.

(14) Il m'a paru que Maxime de Tyr désignait, ici, clairement les bateleurs et les baladins.       

(15) Le mot ἁμάξας du texte, qui, dans son sens ordinaire et propre, signifie, char, chariot, a été la croix des critiques. Le moyen, en effet, de concevoir des chars, des chariots, lancés de loin sur la pointe d'une aiguille. Il a donc fallu avoir recours aux conjectures. Dans la version du traducteur Florentin, on a lu offulas, et dès lors on n'a pas douté qu'il n'eût trouvé dans son manuscrit, μάζας, qui veut dire gâteau, ou pâte à gâteau, à la place de ἁμάξας. Dans le Lexique de Scapula, j'ai trouvé sous le radical ἁμάξα  le mot ἁμαξὶς, ἁμαξίδος, avec cette explication, placentœ genus, ut annotat Scholiastes Aristophanis. Ce Scholiaste dit, en effet, sur le 862e vers des Nuées, que le mot ἁμαξὶς signifie une espèce de gâteau. Il est donc évident qu'il faut lire dans le texte, ἁμαξίδας, au lieu de ἁμάξας.

(16) C'étaient des perruches ou des perroquets, Διά τῶν ψιττακῶν dit en effet, le Scholiaste de Dion Chrysostôme.

(17) Nous devons ce conte au Scholiaste de Dion Chrysostôme, Oraison première, page 3. Il n'y a de différence que dans le nom du personnage, qu'il nomme Apsepha, au lieu de Psaphon.

(18) Justin, dans le premier livre de son Histoire, chap. 10, rapporte, avec un détail curieux, les circonstances de cette supercherie. Hérodote, qui raconte les mêmes détails dans son Hist. III, y ajoute une circonstance de plus, c'est qu'au moment où le cheval de Darius venait de hennir, un éclair brilla, et que le tonnerre se fit entendre, par le plus beau temps du monde.

(19) C'est-là le fameux ..... Trahit sua quemque voluptas du chantre de Mantoue.

(20) Markland conjecture, qu'au lieu de ῥήματα, qui signifie paroles, discours, et qui semble dans ce sens être, ici, une disparate, il vaut mieux lire, εὐρύματα, qui veut dire, les choses qu'on a trouvées, et dont le sens coïncide parfaitement avec l'ensemble de ce qui précède. J'ai trouvé cette conjecture trop judicieuse pour ne pas l'adopter.

(21) Remarquons, ici, que le mot grec ἐκκήσια, qui, dans le droit public des Anciens, signifiait proprement, Assemblée politique des Citoyens, lorsqu'il a été transplanté dans le Droit canonique, a signifié Assemblée religieuse des Croyants. Du mot grec, vint le mot latin Ecclesia, et de ce dernier, le mot Eglise.

(22) Allusion à Pisistrate, dont il a été question plus haut.

(23) Chez les Anciens, et notamment chez les Grecs, les armées étaient quelquefois composées, partie de Citoyens qui, se battant pour l'intérêt de leur patrie, ne mettaient rien de mercenaire dans le service des armes ; partie d'étrangers qui se vendaient pour le métier de la guerre, comme l'on vendait, il n'y a pas encore longtemps, les Allemands et les Suisses. C'est à ce dernier genre de milice que les Grecs avaient approprié les mots du texte ξεναγοὶ καὶ μισθοφόρος.

(24) Quoi donc, Maxime, mettriez-vous sérieusement le mariage et la procréation des enfants, sur la même ligne que les autres traits de votre passage, lesquels je vous permets de compter parmi les fléaux de l'espèce humaine ! Je vous en demande pardon : mais cela ne serait ni moral, ni politique.

(25) Telle est l'expression d'Homère, au dixième chant de l'Odyssée au sujet du préservatif que Mercure donna à Ulysse, pour le rendre inaccessible aux enchantements de Circé.

(26) Odyssée, chant 10, vers 306.

(27) Crésus, roi de Lydie, curieux d'interroger les Oracles sur une question qui l'intéressait beaucoup, s'avisa d'un expédient unique, pour connaître celui de ces Oracles qui méritait le plus sa confiance. Il voulut faire consulter tous ceux de son temps qui avaient quelque réputation. Il fit partir à la même époque, les divers messagers qui furent chargés de cette mission. Ils eurent ordre de ne se présenter pour interroger l'Oracle, qu'au jour fixe et déterminé, qui fut le même pour tous, le centième de leur départ, et de faire tous la même question; savoir, A quoi s'occupait, en ce moment-là, le Roi Crésus. Cet ordre fut ponctuellement exécuté; et, de toutes les réponses rapportées au Roi de Lydie, il n'y eut de vraie, que celle de l'Oracle d'Apollon à Delphes, qui répondit, « Qu'il sentait l'odeur d'un bouillon de tortue, avec de la chair d'agneau, dans une marmite d'airain ». Hérodote, qui rapporte tous ces détails dans son premier livre, nous a transmis la propre réponse de l'Oracle.

(28) Il ne faut pas confondre cet Archias avec le poète de ce nom, pour lequel Cicéron prononça une de ses plus belles Oraisons.

(29) Eustathe et Henri-Etienne ont eu des doutes sur la vraie dénomination de cet ancien Grec. Mais le savant Lefèvre, dans ses notes sur le 3e livre de Justin, n° 4, a fait voir que Phalante était son véritable nom. Un ancien Scholiaste d'Horace, à propos de ces mots de l'Ode VI du livre second :

Et regnata petam Laconi

Rura Phalanto :

raconte que ce Phalante fut chassé de Lacédémone, sa patrie, à cause que, pendant que les Lacédémoniens étaient à la guerre, il avait laissé leurs filles faire des enfants arec des esclaves. A leur retour, ils bannirent tous les enfants nés de ce commerce ; et Phalante, banni avec eux, leur procura un asile dans la ville de Tarente, dont il fut le fondateur. Voyez Strabon, liv. VI.

(30) Les Anciens ne sont pas d'accord sur le vrai nom de ce fondateur de Milet. Un manuscrit anglais de Maxime de Tyr lui donne le nom de Nérée. Elien, liv. VII, chap. 5 ; Harpocration, verbo Εὐριθραῖοι; le Scholiaste de Callimaque, sur le 77e vers de l'Hymne à Jupiter, l'appellent Nélée; Hérodote, liv. IX; Pausanias, liv. VII; Diogène Laërce et Suidas, le nomment Neilée y et Henry de Valois, sur Ammien Marcellin, liv. XXVIII. I, pense que cette dernière dénomination est la véritable, on ne s'accorde pas davantage sur son origine. Car plusieurs le font fils de Codrus ; et Strabon, liv. XIV, dit qu'il était de Pylos.

(31) Carnéade prétendait que l'Entendement humain ne pouvait arriver à la compréhension de rien de ce qui existe dans la Nature : Nihil ab homine comprehendi, atque omnia cœcis olscuritatibus involuta ; dit Arnobe, lib. II, p. 68, en parlant de ce philosophe. Hermias, dans son ouvrage intitulé, Irrision. Gentilit. Philosoph. cap. 15, s'en explique de la même manière. Voyez Cicéron, dans ses académiques, liv. II, n° 31.

(32) A Plutarque, qui, dans son Traité, Comment il faut élever les enfants, nous donne de la nature de la philosophie et de sa véritable fin, l'idée la plus juste et la plus précise. « La philosophie, dit-il, est la seule médecine des infirmités et des maladies de l'âme. Par elle et avec elle, nous connaissons ce qui est honnête et déshonnête, ce qui est juste ou injuste, et généralement ce qui est à fuir ou à élire, comme il se faut déporter envers les Dieux, envers ses père et mère, envers les vieillards, envers les lois, envers les étrangers, envers ses supérieurs envers ses enfants, envers ses femmes et envers ses serviteurs ». Version d'Amyot.

 

Paris, le 24 brumaire an IX. (15 novembre 1800.)