table des matières de DIOGENE LAERCE
Diogène Laërce
LIVRE III.
PLATON.
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LIVRE III PLATON.
[1] Platon, fils d'Ariston et de Périctione, ou de
Potone, naquit à Athènes; sa mère descendait de Solon par Dropides,
frère du législateur et père de Critias, qui eut pour fils
Caleschrus. De ce dernier descendit un autre Critias qui fut un des
trente tyrans, et qui eut un fils nommé Glaucon, duquel naquirent
Charmides et Périctione, mère de Platon, qui était ainsi descendant
de Solon au sixième degré, et Solon tirait son origine de Nélée et
de Neptune. [2] En effet, Speusippe, dans son livre intitulé les Soupers de Platon, et Cléarque dans l'éloge de Platon, aussi bien qu'Anaxilide, dans son deuxième livre des philosophes, disent que le bruit courait à Athènes qu'Ariston fut obligé de différer son union avec Périctione, et qu'ayant eu une vision d'Apollon en songe, il n'approcha point d'elle jusqu'à ce qu'elle fût accouchée. [3] Apollodore dit, dans ses Chroniques, qu'elle mit Platon au monde la septième olympiade, le même jour que les habitants de Délos croient qu'Apollon naquit. Hermippe rapporte qu'il mourut la première année de la cent huitième olympiade, dans sa quatre-vingt et unième année, étant à des noces.
Si cela est, il avait six ans de moins
qu'lsocrate, puisque celui-ci naquit sous celui d'Aminias, pendant
le gouvernement duquel Périclès mourut. [4] Platon eut deux frères nommés Adimante et Glaucon, et une sœur nommée Potone, qui fut mère de Speusippe; il eut pour maître de ses études Denys, dont il parle dans ses Rivaux, et il fit ses exercices chez Ariston d'Argos, maître de lutte, qui lui donna le nom de Platon, à causes de la bonne disposition de son corps; au lieu qu'auparavant on l'appelait Aristoclès, du nom de son aïeul, comme le rapporte Alexandre, dans ses Successions; d'autre croient qu'on lui donna ce surnom pour son éloquence, ou parce que, selon la remarque de Néanthe, il avait le front fort large.
[5]
Il y en
a aussi qui disent avec Dicéarque, dans le premier livre de ses
Vies, qu'il combattit dans les jeux isthmiques pour le prix de
la lutte. Il s'appliqua aussi à la peinture et à la poésie, ayant
composé d'abord des hymnes bachiques, et ensuite des chants et des
tragédies. Timothée d'Athènes dit, dans ses Vies, qu'il avait
la voix faible ; et on rapporte que Socrate, ayant songé qu'il
tenait sur ses genoux un jeune cygne, à qui il vint tout d'un coup
des ailes, et qui s'envola avec un doux ramage, Ariston vint le
lendemain lui recommander Platon ; sur quoi Socrate dit au père que
son fils était le cygne dont il avait rêvé la nuit précédente. « Vulcain, dit-il, père du feu, approche ! Platon a besoin de ton secours dans cette occasion. » [6] On dit qu'il avait à peu près vingt ans lorsqu'il devint disciple de Socrate. Après sa mort il s'attacha à Cratyle, disciple d'Héraclite, et à Hermogène, qui enseignait les dogmes de Parménide. A trente-deux ans il se rendit à Mégare avec quelques disciples de Socrate, pour entendre Euclide. De là il fut à Cyrène, d'où, après avoir pris les leçons de Théodore le mathématicien, il passa en Italie pour entendre Philolaüs et Euryte, philosophes pythagoriciens. Après cela il fut voir les prêtres d'Égypte, et on dit qu'il fit ce voyage avec Euripide, et que, pendant leur séjour dans ce pays, Platon tomba malade, qu'il fut guéri par les prêtres d'Égypte, qui le lavèrent d'eau de mer; ce qui lui donna occasion de dire que la mer lave tous les maux des hommes, [7] et lui fit approuver ce que dit Homère, que tous les Égyptiens sont médecins. Platon avait encore dessein d'aller voir les mages ; mais la guerre qui était allumée en Asie l'en empêcha. A son retour à Athènes, il se fixa dans l'académie, qui est un collège situé près de la ville et entouré de bois; il est ainsi nommé à cause d'Académus, demi-dieu. Eupolis en parle à l'occasion de Platon : « Il donnait ses leçons, dit-il, sous l'ombrage des allées du dieu Académus. » Timon pareillement, en parlant de ce philosophe, dit que c'est là que présidait Platon de la bouche duquel sortaient des accents aussi doux que ceux dont les cigales faisaient retentir les bocages d'Hécadémus :
[8] car il faut remarquer qu'autrefois ce nom
s'écrivait avec un E, de sorte que l'endroit s'appelait hécadémie.
[9] Satyre et d'autres disent
qu'il écrivit à Dion en Sicile pour le prier de lui acheter de
Philolaüs trois livres de Pythagore pour cent mines; il était en
état de faire cela, ayant reçu de Denys plus de quatre-vingts
talents, suivant ce que dit Onétor dans son ouvrage qui porte pour
titre : S'il convient au sage d'être riche. Il dit dans le premier que Platon a beaucoup profité d'Épicharme, et que c'est de lui en particulier qu'il a pris les opinions; que les choses sensibles ne sont permanentes ni dans leur qualité ni dans leur quantité, mais qu'elles varient à chaque instant et s'écoulent, [10] à peu près comme une somme dont on retrancherait quelque nombre ne serait plus la même ni dans la qualité des chiffres ni dans la quantité totale; que de plus ce sont des choses qui s'engendrent continuellement et n'ont jamais de subsistance; qu'au contraire les choses intelligibles sont celles qui n'acquièrent et ne perdent rien, et que telles sont les choses éternelles, dont la nature est toujours semblable et ne change jamais. Telles sont aussi les idées d'Épicharme touchant les choses sensibles et intelligibles; voici comment il s'exprime :
A. Les dieux furent de tout temps, et ne cessèrent
jamais d'être; or ce qui est toujours est uniforme, étant par
lui-même. [12] A cela Alcime ajoute encore que les philosophes veulent qu'il y ait des choses que l'âme connaît par le moyen du corps comme par les yeux et les oreilles, et d'autres qu'elle connaît par elle-même, sans le secours du corps; et à cette occasion ils distinguent les choses en sensibles et en intelligibles. De là Platon inférait que, pour parvenir à la connaissance des principes de l'univers, il faut d'abord distinguer les idées que l'âme connaît par elle-même, comme sont celles de la ressemblance, de l'unité, de la multitude, de la grandeur, du repos et du mouvement ; qu'ensuite il faut considérer aussi en elle-même l'idée de l'honnête, du bon et du juste ;
[13] qu'enfin il faut avoir égard aux idées qui renferment
quelque relation, comme la science, ou la grandeur, ou la puissance,
et se souvenir que les choses qui ont rapport à nous-mêmes reçoivent
leur nom de leur participation avec les idées générales : par
exemple, nous appelons justes les choses qui conviennent avec les
idées du juste, et honnêtes les choses qui conviennent avec l'idée
de l'honnête. Chacune de ces espèces de choses est éternelle et
spirituelle; ce qui fait qu'il ne peut y arriver de confusion. Aussi
Platon disait-il que les idées étaient dans la nature comme des
modèles dont les autres choses sont des copies.
[14] A. Le son d'un instrument n'est-il pas quelque chose
de réel ? [15] Platon, dans son Opinion touchant les idées, dit que la mémoire prouve que les choses qui existent ressortissent à des idées, vu que la mémoire suppose un objet qui subsiste et est toujours dans le même état ; or rien n'est constant de cette manière que les idées. Comment, dit-il encore, serait-il possible que les animaux veillassent à leur conservation s'ils n'en avaient l'idée, et si la nature ne leur en avait donné l'instinct? Il allègue pour exemple leur avidité pour tout ce qui ressemble à la nourriture à laquelle ils sont accoutumés; par où il montre qu'ils ont tous une idée naturelle de la ressemblance, qui fait qu'ils connaissent les choses qui sont du même genre. Écoutons encore là-dessus Épicharme : Eumée, dit-il, la sagesse n'est pas particulière à l'homme seul ; tout ce qui vit en a quelque connaissance. La poule ne produit pas des poulets vivants ; elle couve ses œufs et les anime par la chaleur. La nature seule commit cette sagesse, et c'est elle qui l'enseigne à cet animal. Il ajoute: Ne vous étonnez pas de ce que je dis que celle poule se plaît à voir ses poussins, et qu'elle les trouve beaux ; car un chien paraît beau à un chien, et il en est de même du bœuf, de l'âne et du porc. [17] Alcime parle de tout cela et d'autres choses semblables dans ses quatre livres, en faisant remarquer sur combien de choses Platon a profité des ouvrages d'Épicharme, et il n'ignorait pas lui-même le profit qu'on en pouvait faire ; cela paraît parce qu'il dit sur ceux qui pourraient dans la suite marcher sur ses traces. « Je crois et je prévois même qu'on se souviendra de mes discours, que quelqu'un mettra mes vers en prose, et qu'après les a avoir embellis d'expressions fleuries, il s'en prévaudra et surpassera les autres. »
[18]
Sophron le comique est encore un auteur dont Platon parait avoir
fait usage, en se servant pour les mœurs des préceptes qu'il y
trouva; ces livres avaient été jusqu'alors inconnus à Athènes, et ou
dit que lorsque Platon mourut il les avait sous son chevet. [19] et Denys, se livrant à sa colère, forma le dessein de le faire mourir. Il se laissa pourtant fléchir par les prières de Dion et d'Aristomène, et se contenta de le livrer à Polide, envoyé de Lacédémone à sa cour, afin qu'il le vendit à tel prix qu'il voudrait. Celui-ci le mena à Égine, où il le vendit comme un esclave. Alors Charmander, fils de Charmandride, accusa Platon de crime capital, en vertu d'une loi du pays qui condamnait à mort sans forme de procès le premier Athénien qui aborderait dans cette ile. Phavorin, dans son Histoire, fait Charmander lui-même auteur de cette loi. Au reste, quelqu'un ayant dit par raillerie que Platon était philosophe, on le renvoya absous. D'autres disent qu'il fut présenté aux juges, qui, voyant qu'il se taisait et qu'il paraissait résigné à ce qui pourrait lui arriver, changèrent la peine de mort en servitude, et le condamnèrent à être vendu comme les esclaves. [20] Un nommé Annicéris de Cyrène se trouvant là par hasard le racheta pour vingt mines, ou pour trente selon quelques uns, et le renvoya à Athènes auprès de ses amis, qui envoyèrent d'abord à Annicéris la somme qu'il avait payée; mais il ne voulut pas la recevoir, et dit qu'ils n'étaient pas les seuls qui fussent dignes de s'intéresser à la personne de Platon. Il y en a qui disent que Dion envoya aussi de l'argent qui ne fut point ajouté à la somme de son rachat, et que Platon l'employa à s'acheter un petit jardin dans l'académie. Quant à Polide, on dit qu'après avoir été vaincu par Chabrias, il se noya dans l'Hélice par la malignité d'un esprit qui le persécutait à cause du philosophe; et cela est entre autres rapporté par Phavorin, dans le premier livre de ses Commentaires.
[21] Denys n'eut pas
l'âme plus tranquille : ayant appris ce qui était arrivé, il écrivit
à Platon pour le prier de ne pas mal parler de lui; le philosophe
lui répondit qu'il n'avait pas assez de loisir pour penser à lui. ARCHYTAS A DENYS, SALUT. [22] « Nous, les amis de Platon, vous avons envoyé Lamiscus et Photidas, dans l'espérance que vous leur rendrez ce philosophe aussi libre qu'il était lorsqu'il arriva en Sicile. L'équité veut que vous sous souveniez de l'empressement que vous aviez pour lui, des instances que vous nous avez faites pour que nous l'engagions à se rendre auprès de vous, promettant d'exécuter tout ce que nous vous proposions à son sujet, et de lui laisser la liberté de rester auprès de vous ou de s'en retourner. Rappelez-vous encore la joie que vous eûtes de le voir, et l'estime que vous lui avez accordée par-dessus tous les autres philosophes. Si quelque sujet de mécontentement vous a indisposé contre lui, il convient que vous tempériez cela par la douceur, et que la raison vous porte à nous rendre sa personne sans lui faire de mal. En faisant cela, vous agirez avec justice, et vous nous obligerez. » [23] Enfin la disgrâce de Dion obligea Platon de passer dans cette île pour la troisième fois : il travailla à le faire rentrer en grâce auprès de Denys ; mais voyant que ses efforts étaient inutiles, il revint dans sa patrie. Il ne voulut point avoir part au gouvernement, quoiqu'il entendit la politique, comme on le voit par ses ouvrages; et la raison qui l'en empêcha est que le peuple était accoutumé à d'autres règles que celles qu'il aurait voulu faire suivre. Pamphila, dans le XXVe livre de ses Commentaires, rapporte que les Arcadiens et les Thébains, ayant bâti une grande ville, le prièrent de lui donner des lois ; mais ayant appris qu'ils ne voulaient point consentir à l'égalité des conditions, il refusa d'y aller. On dit qu'il fut le seul qui osa tenir compagnie à Chabrias, lorsque ce général s'enfuit pour s'éviter d'être condamné à mort.
[24] Pendant qu'il montait à la
forteresse avec lui, un délateur, nommé Cobryle, lui dit: Tu viens
ici pour secourir un autre, comme si tu ne savais pas que tu dois
t'attendre au même supplice qu'a subi Socrate. Platon lui répondit :
Quand je combattais pour la défense de ma patrie, je m'exposais aux
dangers par devoir; à présent, je le fais par amitié pour un homme
qui réclame mes bons offices.
[25] Il fut aussi le premier des philosophes qui contredit le
discours de Lysias, fils de Céphale, qu'il rapporte tout entier dans
son Phèdre, et qui a senti l'usage qu'on pouvait faire de la
grammaire ; mais comme il a critiqué la plupart de ceux qui l'ont
précédé, on demande souvent pourquoi il n'a rien dit de Démocrite. [26] Héraclide dit que Platon était si retenu et si posé dans sa jeunesse, qu'on ne le vit jamais rire que des lèvres. Cependant sa modestie ne le garantit pas des traits des poètes comiques; Théopompe, dans son Autochare, le raille en ces termes : « Un ne fait pas un, et à peine, selon Platon, deux font-ils un. » Anaxandride, dans son Thésée, en parle ainsi : « Lorsque, semblable à Platon, il avale goulument des olives. » Timon fait un jeu de mots sur son nom en disant ces paroles : « Adroit comme Platon à forger des prodiges. » [27] « Tu viens à propos, dit Alexis, dans sa Méropide: mais moi je vais et je viens en me promenant. Aussi morne que Platon, je ne trouve rien de sage, et je ne fais que me fatiguer les genoux.» Le même auteur dit, dans son Ancylion: « Tu nous apprends des mystères en courant à la manière de Platon; tu connais sans doute les oignons et le salpêtre. » Amphis, dans son Amphicrate, lui donne ce trait : « S. Mais ce bien que vous espérez d'obtenir par elle m'est moins connu que celui de Platon. Ah! mon maître, qu'il est beau ! H. Prends-y donc garde. » [28] Dans le Dexidemis, il dit encore : « Platon, tu ne fais qu'avoir l'humeur sombre; ton front est toujours aussi ridé que la coquille d'un escargot. » Cratinus, dans sa pièce intitulée la Supposition, l'attaque en ces termes: « Vous êtes homme, et vous avez une âme, selon Platon; je ne le sais pas bien, mais je le crois. » Pareillement Alexis, dans son Olympiodore : « Mon corps était ce qu'il y avait en moi de mortel ; ce qu'il y avait en moi d'immortel s'est élevé dans l'air. Ne voilà-t-il pas les chimères qu'on apprend de Platon? » Et dans son Parasite: « Ou de parler comme Platon, qui s'entretient avec lui-même.» Anexilas se moque aussi de lui dans ses pièces intitulées Botrylion, Circé, et les Femmes riches. [29] Aristippe, dans son quatrième livre des Délices des Anciens, dit que Platon eut beaucoup d'amitié pour un jeune homme nommé Aster, qui s'appliquait avec lui à l'astrologie, et pour Dion, dont nous avons parlé plus haut ; quelques uns y ajoutent Phèdre. Les épigrammes qu'il composa sur leur sujet sont des preuves des sentiments qu'il avait pour eux. Voici celles qu'il fit pour Aster :
Cher Aster, je voudrais être le ciel lorsque tu en
considères l'étendue, et te regarder avec autant d'yeux qu'il y a
d'étoiles. [30] Voici celle qu'il fit pour Dion : Les destinées firent verser des torrents de larmes à Hécube et aux Troyennes; au lieu que les dieux t'ont accordé, Dion, les plus belles espérances avec les plus glorieux triomphes. Ta patrie t'aime et tes concitoyens te comblent d'honneur; mais de quel trait, hélas ! perces-tu mon cœur? On dit que cette épigramme sert d'épitaphe à Dion, et fut mise à Syracuse sur son tombeau. [31] Nous avons remarqué que Platon eut aussi de l'amitié pour Phèdre, et on dit qu'il eut aussi beaucoup d'attachement pour Alexis; il parle d'eux dans ces vers: A présent qu'on ne voit plus rien qui soit digne d'attachement qu'Alexis, et que les regards de tout le monde se tournent sur lui, pourquoi tantôt confier mes sentiments et tantôt les cacher (01)? N'est-ce pas ainsi que nous avons perdu Phèdre ? Platon aima Archéanasse de Colophon; voici comment il parle d'elle: J'aime Archéanasse, malgré sa vieillesse et ses rides: vous qui la serviles les premiers, que vous dûtes souffrir de l'attachement que vous aviez pour elle lorsqu'elle était moins âgée ! [32] Il fit aussi ces vers pour Agathone : Tandis que j'étais auprès d'Agathone, mon âme était prête à me quitter. Ceux-ci regardent Xantippe : Je vous donne celte orange : recevez-la et répondez aux sentiments que j'ai pour vous; sinon, prenez-la toujours, et voyez le peu de temps qu'il faut à ce fruit pour perdre sa bonté ; pensez qu'il en est ainsi de moi, et que bientôt vous et moi flétrirons également. [33] On dit qu'il lit aussi cette épitaphe pour les Érétriens, lorsqu'ils furent surpris par une embuscade : Nous étions Eretriens, originaires d'Eubée ; mais nos corps reposent près de Suze, loin de noire patrie et des tombeaux de nos ancêtres. On lui attribue encore les vers suivants : Vénus disait un jour aux Muses : Nymphes. redoutez-moi, ou l'Amour vous fera la guerre. - Finissez ces discours, répondirent les Muses; cet enfant ne passe point par ici. Enfin on lui attribue ceux-ci : Un homme ayant trouvé un trésor, laissa à la place une corde qu'il avait apportée : celui à qui était le trésor, ne trouvant point l'or qu'il avait mis dans cet endroit, prit la corde qu'il y trouva (02). [34] Molon haïssait Platon, et dit un jour qu'il n'était pas si étonnant de voir Denys à Corinthe que Platon en Sicile. Il parait aussi que Xénophon n'a pas été de ses amis; et, par une espèce de jalousie, ils ont écrit sur les mêmes sujets, comme le Banquet, la Défense de Socrate, et des Commentaires sur la morale ; outre cela, Platon a traité de la république, et Xénophon de l'éducation de Cyrus, que Platon, dans son discours sur les lois, nomme un conte fait à plaisir, taxant d'imaginaire le portrait qu'il donne du caractère de ce prince; enfin, quoiqu'ils parlent l'un et l'autre de Socrate, on ne trouve nulle part dans leurs ouvrages qu'ils fassent mention l'un de l'autre, excepté dans le troisième livre des Commentaires de Xénophon, où le nom de Platon se rencontre. [35] On dit qu'Antisthène se proposant de lire en public quelque chose qu'il avait composé, il pria Platon d'y être présent; que celui-ci lui demanda quel était le sujet de son ouvrage ; et qu'Antisthène ayant répondu qu'il roulait sur ce qu'il ne faut pas être contredisant, Platon lui dit : Comment avez-vous traité cette matière? Qu'alors Antisthène, comprenant qu'il n'était pas dans ses idées, en fut offensé jusqu'à publier contre lui un dialogue, sous le titre de Sathon; ce qui fut cause que, depuis ce temps-là, ils ne furent point amis. On dit encore que Socrate, ayant entendu le Lysis de Platon, s'écria : Que de choses ce jeune homme me prête ! En effet, il lui faisait tenir des discours qui n'étaient jamais sortis de la bouche de ce philosophe. [36] Platon avait quelque éloignement pour Aristippe; cela paraît au sujet de la mort de Socrate, à laquelle il lui fait un crime, dans son traité de l'Ame, de ne s'être pas trouvé présent, quoiqu'il fût à Egine, lieu peu éloigné d'Athènes. Il n'était pas non plus ami d'Eschine, qu'il blâmait de s'être rendu en Sicile pour recevoir de l'assistance de Denys, qui faisait cas de lui ; au contraire, Aristippe l'en louait. Idoménée dit que celui qui voulut persuader à Socrate de s'enfuir de prison ne fut pas Criton, mais Eschine; et que Platon n'attribua cela au premier que parce qu'il n'aimait pas Eschine. [37] Il ne parle pas de lui dans ses ouvrages, excepté, en passant, dans son traité de l'Ame, et dans la Défense de Socrate. Aristote remarque que sa manière d'écrire a quelque chose du poème et de la prose. Phavorin dit quelque part que, lorsque Platon lut son traité de l'Ame, il n'y eut qu'Aristote, de tous les assistants, qui l'écouta avec attention, tous les autres s'étant levés et retirés. Quelques uns disent que Philippe d'Opes transcrivit ses Lois, qui étaient écrites sur des tablettes enduites de cire; on attribue aussi au même l'Epinomis. Euphorion et Pannetius disent qu'on a souvent trouvé l'exorde de ses livres de la République changé, et Aristoxène croit que cet ouvrage est inséré presque tout entier dans les Contradictions de Protagore.
[38] Le Phèdre passe pour avoir
été son coup d'essai, et il est vrai que cet ouvrage n'a pas
beaucoup de force; Dicéarque en trouve aussi le style rude. [39] Une autre fois, il dit à un de ses domestiques qu'il le punirait s'il n'était pas en colère. Étant à cheval, il en descendit, par la pensée qui lui vint que cet animal lui donnait un air de fierté. Il recommandait aux ivrognes de se regarder dans le miroir, afin que la honte qu'ils auraient de leur état leur inspirât de l'aversion pour ce vice; et il ne voulait point qu'on bût au delà de ce qu'on pouvait porter, excepté dans les fêtes de Bacchus. Il blâmait ceux qui aimaient le sommeil et dormaient trop. De là vient qu'il dit, dans ses Lois, qu'un dormeur est un homme sans mérite. Il disait que la vérité est la chose la plus agréable qu'on puisse entendre ; d'autres croient qu'il ne parlait pas de la vérité que disent les autres, mais de celle qu'on dit soi–même. Voici une sentence de son livre des Lois :
[40]
« La vérité, mon cher hôte,
est belle et durable ; mais qu'il parait difficile de persuader aux
hommes de la suivre ! » [41] On l'enterra dans l'académie, où il avait longtemps enseigné la philosophie et d'où sa secte prit le nom d'académique. Il fut enterré avec beaucoup de solennité. Voici son testament : Platon laisse et lègue ce qui suit : la métairie d'Ephestiade, qui a au septentrion le chemin qui vient du temple de Céphisiade, au midi Héraclée des Héphestiades, à l'orient Archestrate de Phréare, et à l'occident Philippe de Cholide : il ne sera point permis de la vendre ou de l'aliéner, mais elle appartiendra à mon fils Adimante, qui en jouira absolument. [42] Je lui transporte aussi la métairie des Énérésiades, située cotre les fonds de Démostrate Xypétaron vers le midi, d'Eurymédon de Myrrhina du côté du levant, de Céphise au couchant et de Callimaque au nord, de qui je l'ai acquise par achat. Je lui donne de plus trois mines en espèces, un vase d'argent du poids de cent soixante-cinq drachmes, une coupe de même métal qui en pèse soixante-cinq, un anneau et un pendant d'oreille d'or pesant ensemble quatre drachmes et trois oboles, avec trois mines qui me sont dues par Euclide le tailleur de pierre. Je dégage Diane de toute servitude; mais pour Tychon, Bictas, Appolloniade et Denys, ils continueront d'être esclaves d'Adimante, mon fils, à qui je laisse aussi tous mes meubles, et les autres effets spécifiés dans l'inventaire qui est entre les mains de Démétrius. Je n'ai aucune dette, et j'institue, pour curateurs et administrateurs du présent délaissement, Speusippe, Démétrius, Hégias, Eurymédon, Callimaque et Thrasyppe. On mit plusieurs épitaphes sur son tombeau; en voici une : Ici repose le devin Aristoclès, dont la prudence et les mœurs furent dignes d'éloge. Si jamais la sagesse a honoré les hommes, celui-ci est couvert de gloire et au-dessus de l'envie. En voici une autre : Cette terre couvre le corps de Platon. Le ciel contient son âme bienheureuse. Tout honnête homme doit respecter sa vertu. Celle ci est plus moderne que les autres: Aigle, dis-moi pourquoi tu voles sur ce sépulcre et à quelle demeure de l'empyrée tu vas? Je suis l'âme de Platon qui s'élève au ciel, tandis que le pays d'Athènes conserve son corps. [45] Voici aussi une épitaphe que je lui ai faite : Qu'eût-ce été, Phébus, si tu n'eusses donné Platon aux Grecs pour guérir les âmes des hommes par les lettres? car il est pour les maux de l'âme ce qu'Esculape, ton fils, est pour les maladies du corps. En voici encore une qui porte en particulier sur sa mort : Pour le bonheur des hommes, Apollon a donné le jour à Esculape et à Platon, afin que le premier procurât le bien de leur corps et le second celui de leur âme. Platon est allé assister â un festin nuptial dans la ville dont il avait formé l'idée, et qu'il a fondée dans le ciel.
[46] Platon eut pour disciples Speusippe d'Athènes,
Xénocrate de Chalcédoine, Aristote de Stagira, Philippe d'Opus,
Hestiée de Périnthe, Dion de Syracuse, Amycle d'Héraclée, Éraste et
Corisque de Scepse, Timolaüs de Cyzique, Ævéon de Lampsaque, Pithon
et Héraclide d'Ænia, Hippotale et Callippe d'Athènes, Démétrios
d'Amphipolis, Héraclide de Pont, et quantité d'autres, outre deux
femmes, Lasthénie de Mantinée et Axiothée de Phlias, qui, comme le
rapporte Dicéarque, s'habillait en homme. Il y en a qui comptent
aussi Théophraste parmi ses auditeurs. Chaméléon y ajoute l'orateur
Hypéride, avec Lycurgue. Polémon donne aussi Démosthène pour un de
ses disciples; [48] On prétend donc que le premier qui fit des dialogues fut Zénon d'Élée ; Aristote, dans le premier livre des Poètes, et Phavorin, dans ses Commentaires, disent que ce fut Alexamène de Styra ou de Teïum. Mais Platon a tellement perfectionné ce genre d'écrire, que non seulement on lui est redevable de l'élégance qu'il y a répandue, mais qu'on ne peut aussi lui en refuser l'invention. Le dialogue est un discours composé de demandes et de réponses sur un sujet de philosophie ou de politique, exprimées d'une manière convenable aux personnes qu'on y introduit. La dialectique est l'art d'établir ou de détruire quelque proposition par demandes et par répliques. [49] Il y a deux caractères généraux dans les dialogues de Platon. Les uns sont appelés dialogues d'explication ou d'instruction (05); les autres, dialogues de recherche (06); ceux d'explication ou d'instruction se divisent différemment, selon qu'ils roulent sur la spéculation ou sur l'action; ceux qui ont la spéculation pour objet se partagent en physiques et logiques ; ceux qui regardent l'action sont ou politiques ou moraux. Les dialogues appelés de recherche se divisent en deux classes : les uns sont destinés à s'exercer sur quelque sujet, les autres à combattre quelque idée. Les premiers se distinguent en dialogues appelés mæutiques et en dialogues d'essai (07) ; les seconds en dialogues de démonstration ou d'accusation, et en dialogues appelés destructifs (08).
[50]
Je n'ignore pas qu'il y a des auteurs qui distinguent autrement les
dialogues de Platon. Ils disent que les uns sont dramatiques, les
autres narratifs, et d'autres qu'ils appellent mixtes; mais cette
distinction sent plutôt le style du théâtre que celui de la
philosophie. Parmi ces dialogues, il y en a qui roulent sur la
physique, comme le Timée; d'autres sur la logique, comme le
Politique, le Cratyle, le Parménide et le Sophiste;
sur la morale, comme l'Apologie, le Criton, le
Phédon, le Phèdre, le Banquet, le Ménexène,
le Clitophon, les Lettres, le Philèbe, l'Hipparque,
et les Rivaux ; [51] sur la politique, comme la République,
les Lois, le Minos, l'Épinomis et l'Atlanticus. [52] On donne le nom de dogme à un sentiment, et à l'opinion qu'on en a. Or Platon explique certaines choses comme véritables, en critique d'autres comme fausses, et ne définit point ce qui lui paraît incertain. Sur les choses qu'il croit lui-même, il introduit quatre interlocuteurs, qui sont Socrate, Timée, l'étranger d'Athènes, et l'étranger d'Élée; ces étrangers ne sont pas, comme quelques uns le présument, Platon et Parménide, ce sont des personnages supposés. Quand Platon enseigne des dogmes, il fait parler Socrate et Timée ; quand il combat des erreurs, il lait venir sur la scène Thrasimaque, Callicle, Polus, Gorgias, Protagore, Hippias, Euthydème, et d'autres semblables. [53] Dans les raisonnements, il se sert beaucoup de l'induction, non de la simple, mais de celle qui est double. L'induction est un discours dans lequel, de quelques vérités on en infère une autre. Il y en a de deux sortes : l'une qu'on peut appeler du contraire, l'autre qu'on peut appeler de conséquence. La première est celle dans laquelle, quelque réponse que fasse celui qui est interrogé, il en suit le contraire de ce qui est. Par exemple : Mon père est, ou autre que le vôtre, ou le même; si donc votre père est autre que mon père, il ne sera point père, étant autre qu'un père ; que s'il est le même que mon père, il sera mon père, étant le même que le mien. [54] Autre exemple: Si l'homme n'est pas un animal, il sera du bois ou de la pierre. Mais il n'est point du bois ou de la pierre, car il est animé et il a des mouvements spontanés : il est donc un animal. Et si cela est, et qu'un bœuf et un chien soient des animaux aussi, l'homme sera tout ensemble un animal, un bœuf et un chien. Platon se servait de cette induction dans la dispute, non pour établir des vérités, mais pour réfuter des objections. L'autre espèce d'induction qui se fait par conséquence est aussi de deux sortes : dans l'une on conclut du particulier au particulier, dans l'autre du particulier au général; la première sert aux orateurs, la seconde aux dialecticiens. Dans la première on demande, par exemple, si cet homme a commis l'homicide dont il s'agit; et la raison qu'il avait les mains sanglantes dans ce temps-là est une conséquence de laquelle on infère qu'il a commis le meurtre. [55] J'ai dit que cette espèce d'induction sert aux orateurs, parce que la rhétorique se borne aux choses particulières et ne s'étend point aux générales, n'entrant point, par exemple, dans l'examen de ce qui regarde la justice même, et se bornant à celui des choses justes en particulier. Dans l'espèce d'induction que j'ai dit être propre aux dialecticiens, on prouve le général par le particulier, comme sur la question Si l'âme est immortelle, et si les morts conservent quelque vie. Platon prouve cela dans son traité de l'Ame, par la proposition générale que les contraires se font des contraires; et cette proposition générale, il la prouve par des cas particuliers, comme : que le sommeil naît de la veille, et la veille du sommeil ; que le plus grand naît du moindre, et le moindre du plus grand. Cette sorte d'induction était celle qu'employait Platon pour établir ses propres opinions.
[56]
Au reste, de même qu'autrefois le chœur représentait seul la
tragédie, jusqu'à ce que Thespis inventa un acteur pour donner au
chœur le temps de se reposer, Eschyle un second, et Sophocle un
troisième, ce qui est la manière dont la tragédie se perfectionna,
de même la philosophie fut longtemps restreinte à la physique,
jusqu'à ce que Socrate y ajouta la morale, et Platon la dialectique;
ce qui mit la dernière main à cette science. [57] Thrasylle dit donc que tous les dialogues authentiques de Platon se montent à cinquante-six. Sa République est divisée en dix livres, qui se trouvent presque tout entiers dans les contradictions de Protagore, selon Phavorin, au deuxième livre de son Histoire diverse. Son traité des Lois est divisé en douze livres. Il y a neuf quadriloques, et le traité de la République y tient la place d'un livre, et celui des Lois pareillement. Le premier quadriloque roule sur un sujet commun à tous les dialogues qui y entrent, le but que Platon s'y propose étant de faire voir quelle doit être la vie d'un philosophe ; il distingue chaque livre par un double titre : l'un est pris du principal interlocuteur, l'autre du sujet dont il parle. [58] Ainsi le premier quadriloque contient l'Eutyphron, ou de la sainteté, dialogue d'essai ; la défense de Socrate; le Criton, ou ce que l'on doit faire; le Phédon, ou de l'âme, qui sont des dialogues moraux. Le second quadriloque contient le Cratyle, ou de la justesse des noms, matière de logique; le Théétète, ou de la science, entretien d'essai ; le Sophiste, ou de ce qui est, discours de logique; le Politique, ou du gouvernement, aussi dialogue de logique. Le troisième quadriloque contient le Parménide, ou des idées, sujet de logique ; le Philèbe, ou de la volupté ; le Banquet, ou du bien; le Phèdre, ou de l'amour, dialogues moraux. [59] Le quatrième comprend le premier Alcibiade, ou de la nature de l'homme, entretien selon la méthode maïeutique; le second Alcibiade, ou de la prière, selon la même méthode; l'Hipparque, ou de l'amour du gain; les Rivaux, ou de la philosophie, dialogues de morale. Le cinquième renferme le Théagès, ou de la philosophie, selon la méthode mæutique; le Charmide, ou de la valeur; Lysis, ou de l'amitié, selon la méthode mæutique. Le sixième contient l'Euthydème, ou le disputeur, dialogue destructif; Protagore, ou les sophistes, démonstratif; Gorgias, ou de la rhétorique, destructif; Ménon, ou de la vertu, dialogue d'essai. [60] Dans le septième quadriloque se trouvent les deux Hippias, dont le premier traite de l'honnête, et le second du mensonge, tous les deux du genre destructif; l'Ion, ou de l'Iliade, dialogue d'essai ; le Ménexène, ou l'Épitaphius, du genre moral. Le huitième est composé du Clitophon, ou celui qui fait des exhortations, discours moral ; de la République, ou de la justice, entretien politique; du Timée, ou de la nature, discours physique; du Critias, ou Atlanticus, moral. Enfin le neuvième contient Minos, ou de la loi ; les Lois, ou de la manière d'en faire ; Épinomis, ou, l'assemblée nocturne, autrement le Philosophe, dialogues politiques.
[61]
Il y a treize épîtres morales de Platon dont l'inscription est
Bonne vie! au lieu qu'Épicure, dans les siennes, mettait
Bonheur! et Cléon se servait du mot de Salut! Il y a une
de ces épîtres adressée à Aristodème, deux à Archytas, quatre à
Denys, une à Hermias, Éraste et Corisque, une à Léodamas, une à
Dion, une à Perdiccas, deux aux amis de Dion. Voilà quelle est la
distinction des ouvrages de Platon selon Thrasyllus, et plusieurs
auteurs l'admettent.
[62] dans le second, le Sophiste, le
Politique, le Cratyle; dans le troisième, les Lois, le Minos,
l'Epinomis; dans le quatrième, le Théétète, l'Eutyphron, la défense
de Socrate ; dans le cinquième, le Phédon, le Criton, les Lettres.
Les autres ouvrages, ils les rangent un à un et sans ordre. Quelques
uns, comme nous l'avons dit, commencent l'énumération des œuvres de
Platon par sa République, d'autres par le premier Alcibiade, ou par
le Théagès, par l'Eutyphron, par le Clitophon, le Timée, le Phèdre,
le Théététe ; enfin par la défense de Socrate. [63] Platon a emprunté à dessein différents noms, pour empêcher que des gens non lettrés entendissent facilement ses ouvrages. Il croit que la sagesse consiste proprement dans la connaissance des choses qui sont spirituelles, et qui existent véritablement, lui donnant pour objet Dieu et l'âme séparée du corps. Lorsqu'il prend le mot de sagesse dans son sens propre, il entend par là la philosophie, comme étant un désir de la sagesse divine; mais dans le sens commun il applique le mot de sagesse à toute sorte de talents, donnant par exemple le nom de sage à un artisan. Souvent il se sert des mêmes termes pour signifier différentes choses : par exemple, il met le mot de négligé pour simple, à la manière d'Euripide, qui, en parlant d'Hercule dans son Lycimnius, dit qu'il était « négligé, sans ajustement, ne pensant qu'a faire bien, faisant consister toute la sagesse à en faire les actions, et ne mettant point d'ornements dans ses discours. » [64] Quelquefois Platon se sert de ce même mot pour désigner ce qui est beau, et d'autres fois ce qui est petit. Il donne la même signification à divers termes, appelant l'idée espèce, genre, modèle, principe et cause. Il se sert aussi de termes contraires pour désigner la même chose, comme quand il applique aux choses sensibles les mots d'existence et de non-existence, disant que ce qui est sensible existe en tant qu'il a été produit, et n'existe point en tant qu'il est sujet à des changements continuels; et quand il dit que l'idée n'est ni une chose qui se meut ni une chose en repos, qu'elle est la même, qu'elle est une et qu'elle est plusieurs. Cet usage de Platon se remarque en divers endroits de ses ouvrages.
[65]
Ils demandent trois sortes d'explications : il faut voir
premièrement ce qu'il dit; secondement, s'il le dit dans la vue
d'atteindre le but qu'il s'est proposé, ou par voie de comparaison,
et si c'est pour établir quelque vérité, ou pour réfuter des
objections; en troisième lieu, s'il parle à la lettre.
[66] On marque
les expressions et les figures usitées aux platoniciens par un X.
Cette double ligne = désigne les dogmes et les opinions
particulières de Platon. Les manières de parler et les élégances de
style sont marquées avec un
•X•
entre deux points. Cette figure >: marque les endroits que quelques
auteurs ont corrigés; celle-ci
÷, les choses inutiles qui doivent être ôtées; cette autre ℶ
désigne les endroits dont il faut changer l'ordre et ceux qui
peuvent recevoir deux sens. Celle qu'on appelle foudre ↓désigne
l'ordre et la liaison des vérités philosophiques; l'étoile
✿ des
idées qui se ressemblent: et cette marque — des choses qu'on
rejette.
[67]
Quant à ses sentiments, il croyait que l'âme est immortelle, et
qu'elle est revêtue (09) de plusieurs
corps; qu'elle a un principe numéral, et le corps un principe
géométrique : il la définissait une idée de l'esprit qui est
distribué partout (10), et croyait
qu'elle est, elle-même, le principe de son mouvement. Il la divisait
en trois parties, plaçant la partie raisonnable dans la tête,
l'irascible dans le cœur, et la concupiscible dans le foie. Il
disait que du milieu du corps elle l'embrasse de toutes parts
circulairement; qu'elle est composée des éléments et partagée par
des intervalles harmoniques, qui lui font former deux cercles
conjoints, dont l'intérieur, coupé en six autres, forme en tout sept
cercles.
[69] II ajoutait que
cette division, depuis le milieu, étant telle qu'elle se joint vers
les extrémités, l'âme aperçoit les choses qui sont et les joint
ensemble, parce qu'elle a en elle-même l'harmonie des éléments;
connaissance qui n'est qu'une simple opinion lorsqu'elle est acquise
par l'élévation du cercle qui est de la nature de l'autre, et une
science, lorsqu'elle est acquise par le cercle qui est de la nature
du même. [70] Son essence se change en quatre sortes d'éléments, qui sont le feu, l'eau. l'air et la terre, éléments dont est composé le monde même, et tout ce qu'il renferme : la terre seule est exempte de transmutation. Il donne pour raison de cela la différence qu'il y a entre la figure des parties dont elle est composée et la figure des parties des autres éléments, qui sont toutes homogènes, comprenant dans la conformation un triangle oblong. Au lieu que les parties de la terre out leur figure particulière, celles de l'élément du feu sont pyramidales, celles de l'air ont huit côtés, et celles de l'eau en ont vingt; mais celles de la terre sont de forme cubique, et cela empêche que la terre ne se change dans les autres éléments, et que ceux-là ne puissent se changer en terre.
[71] Ils ne sont pas
séparés par une situation différente de lieu pour chacun, parce que
la circonférence qui les comprime et les pousse vers le milieu unit
les petites parties et sépare les grandes, de sorte que le
changement d'espèces emporte aussi changement de lieu. [72] Il croyait qu'il est de figure sphérique, parce que son auteur a une forme semblable (13), et que, comme le monde renferme en soi tous les autres animaux, la forme sphérique renferme toutes les autres formes. Il le croit léger et sans organes à l'entour, parce qu'il n'en a pas besoin. Il croit aussi que le monde est incorruptible, parce que Dieu ne le dissoudra pas (14); que Dieu est la cause de toute la génération des choses, parce qu'il est de la nature du bon d'être bienfaisant, et que le ciel devant être la production de la cause la plus excellente (parce que ce qu'il y a de plus beau doit avoir pour cause ce qu'il y a de meilleur parmi les êtres intelligibles, ce qui est Dieu, et que le ciel est fait à la ressemblance de ce qu'il y a de meilleur, puisqu'il est ce qu'il y a de plus beau ), il s'ensuit qu'il ne ressemble à aucun être créé, mais à Dieu.
[73]
Platon dit que le monde est composé de feu, d'eau, d'air, de terre :
de feu, afin qu'il fût visible; de terre, afin qu'il fût solide;
d'eau et d'air, afin qu'il fût proportionné, parce que les vertus
des solides se proportionnent à l'aide de deux milieux qui servent à
unir le tout; enfin, ces éléments réunis rendent le monde parfait et
incorruptible. [74] Il croit aussi que le soleil, la lune et les étoiles ont été créés pour former le temps; que Dieu a allumé les rayons du soleil pour former le nombre des heures et en donner la connaissance aux animaux ; que la lune est immédiatement au-dessus de l'orbe de la terre, le soleil dans l'orbe suivant, et les étoiles dans les orbes situés au-dessus de ceux-là. II supposait le monde animé parce qu'il est lié ensemble par un mouvement animé, et disait que les autres animaux ont été créés, afin que le monde fût parfait et semblable à un animal intelligent; que comme le monde renferme des animaux, le ciel en renferme aussi ; que les dieux sont principalement de la nature du feu, et que les autres animaux sont de trois genres, volatiles, aquatiques, et terrestres. [75] II pensait que la terre est plus ancienne que les dieux qui sont dans le ciel; qu'elle a été construite pour former les jours et les nuits, et qu'étant située au milieu de l'univers, elle se meut autour du centre du monde. Il croyait encore qu'y ayant deux sortes de causes, il y a des choses qui se font avec délibération et d'autres qui se font par des raisons de nécessité ; il mettait dans ce nombre l'air, le feu, la terre et l'eau, qui, à proprement parler, n'étaient point des éléments, mais étaient propres à le devenir, étant composés de triangles joints dans lesquels ils se résolvent; il suppose que le principe des éléments est le triangle oblong et le triangle isocèle. [76] Il établit donc les deux principes et causes dont nous avons parlé, et dont il dit que Dieu et la matière sont l'exemplaire qui doit nécessairement être sans forme, ainsi que par rapport aux autres choses qui reçoivent les qualités qu'elles ont. La cause qui les produit agit par nécessité, car elle produit les essences dont elle reçoit les idées; et étant mise en mouvement par les effets différents de la puissance qui agit sur elle, elle contrecarre par son mouvement les choses auxquelles elle l'a communiqué. Auparavant ces causes se mouvaient sans ordre ni règle; mais lorsqu'elles commencèrent à former le monde par la vertu qu'elles reçurent de Dieu, elles acquirent de l'ordre et de l'harmonie :
[77] car avant la
création du ciel il y avait deux causes, et une troisième, savoir la
génération; mais elles n'étaient pas manifestes: ce n'étaient que
des traces, et elles n'avaient point d'ordre; ce ne fut que lorsque
le monde fut créé qu'elles furent arrangées. [78] Sur le bien et le mal, il croyait que l'homme doit se proposer pour fin de devenir semblable à Dieu ; que la vertu lui suffit pour être heureux, mais qu'il a besoin aussi d'autres biens, comme de force, de santé, de bonne disposition des sens, et d'autres avantages corporels, aussi bien que de richesses, de noblesse et de gloire ; que cependant, quoique ces biens lui manquent, le sage n'en vit pas moins heureux. Il croit que le sage peut se mêler du gouvernement, qu'il doit se marier, et observer fidèlement les constitutions établies, procurer à sa patrie tout le bien qu'il peut, et affermir sa constitution par de bonnes ordonnances, à moins qu'il ne prévoie que la trop grande dépravation du public rendrait ses bons desseins inutiles.
[79]
Il pensait que les dieux voient les actions des hommes, qu'ils
veillent aux choses de ce monde, et qu'ils sont de purs esprits. Il
disait que l'honnête n'est point différent de ce qu'on appelle
louable, raisonnable, utile, beau et convenable, parce que tout
cela sert à exprimer ce qui est dicté par la nature et la raison.
[80] on
lui donna aussi à cette occasion le nom de fabuleux, parce que,
quoique incertain de ce qui se passait dans l'autre monde, il mêlait
ses écrits d'histoires pareilles pour intimider les hommes et les
empêcher de violer les lois. Voilà pour ce qui regarde ses dogmes. [81] Il divise l'amitié en trois espèces, la naturelle, la sociale, et celle d'hospitalité : l'amitié naturelle est cette tendresse que les pères et les mères ont pour leurs enfants, et ce penchant qui porte les proches, et même les animaux, à s'entr'aimer les uns les autres; l'amitié sociale, qui n'est formée par aucun lien du sang, naît d'une liaison formée par l'habitude, comme celle de Pylade et d'Oreste; l'amitié d'hospitalité est un attachement qui se contracte avec des personnes qu'on reçoit chez soi ou chez qui on est reçu, soit par lettres, soit par recommandation. A ces trois sortes d'amitié quelques uns en ajoulent une quatrième espèce, savoir celle qui naît de l'amour. [82] Il partage le gouvernement civil en cinq états : le démocratique, l'aristocratique, l'oligarchique, le monarchique, et le tyrannique. Le démocratique a lieu dans les villes où le peuple commande, élit les magistrats et fait les lois; l'aristocratique est celui où ni les riches, ni les pauvres, ni les nobles, ni d'autres qui se sont acquis de la gloire, mais les plus gens de bien, ont l'administration publique; l'oligarchique a lieu lorsque les riches, toujours inférieurs en nombre aux pauvres, nomment les magistrats. L'état monarchique est de deux sortes : l'un est fondé sur les lois, comme celui de Carthage, [83] l'autre sur la naissance, comme ceux de Lacédémone et de Macédoine, où les descendants de la race des princes succèdent à la royauté. On appelle un état tyrannique quand un peuple reçoit la loi de quelqu'un qui s'est emparé de l'autorité souveraine par artifice ou par violence. Platon admettait trois genres de justice, l'une qui s'exerce envers les dieux, la seconde envers les hommes, et la troisième envers les morts. Faire des sacrifices, suivant les cérémonies établies, et révérer les choses sacrées, c'est rendre aux dieux le culte qui leur est dû. Restituer un dépôt au prochain, est un acte de justice à l'égard de la société. Assister aux obsèques des morts, et respecter leurs sépulcres, c'est remplir la troisième partie de la justice. [84] Il distingue trois espèces de science: la première, qui a l'action pour objet, se nomme science pratique ; l'autre, qui a pour objet l'effet de l'action, se nomme efficiente; la troisième, qui regarde la spéculation, porte le nom de théorique. Par exemple, la science de bâtir une maison, ou de construire un vaisseau, appartient à l'action, puisque nous voyons résulter de ce travail un édifice ou nu navire; au contraire, l'art de gouverner, l'adresse de jouer de la flûte, de toucher du luth et d'autres instruments, se réfèrent à la pratique, vu qu'après qu'on a fini, il ne reste rien que l'oeil puisse apercevoir, et que le tout demeure dans l'action même de gouverner ou de jouer de quelque instrument. Quant à la géométrie, la musique et l'astrologie, elles sont du ressort de l'entendement et purement spéculatives, n'ayant ni action ni suit; d'action; le géomètre considère le rapport que les lignes ont les unes avec les autres ; le musicien juge de la justesse des sons par la mesure ; l'astrologue contemple le ciel et les astres. [85] Platon distinguait cinq parties dans la médecine, la pharmaceutique, la chirurgique, la diététique, la nosognomique, et la boéthétique : on appelle pharmaceutique cette partie de la médecine qui rétablit la santé par l'usage des médicaments; chirurgie, celle qui rend la santé par l'opération de la main; la diète est un régime de vivre; la nosognomique est la connaissance des maladies jointe à l'art; la boéthétique est le soulagement prompt des douleurs par la vertu des spécifiques.
[86]
Dans sa division de la loi, il entend par loi écrite le gouvernement
civil ; et par loi non écrite, cette répugnance, par exemple, que
la nature et la coutume inspirent à se présenter nu en public, ou
à y paraitre vêtu en habits de femmes; car lors même qu'aucune loi
écrite ne défend ces actions en termes exprès, la loi naturelle les
interdit tacitement. [87] celui qu'emploient les orateurs dans la démonstration, lorsqu'ils louent, ou blâment, ou accusent quelqu'un, s'appelle rhétorique; le troisième, usité dans les entretiens privés, est appelé idiotique ; le quatrième, qui consiste en raisonnements par courtes demandes et réponses, porte le nom de dialectique; le cinquième, qui consiste dans la conversation des gens de quelque métier, lorsqu'ils parlent de leur profession, est dit technique.
[88]
Il compte trois sortes de musique: la première s'exécute par la
voix, qui est le chant; la seconde par quelque instrument joint à la
voix; la troisième: par les instruments sans la voix.
[89]
la quatrième enfin est celle des gens qui se
distinguent par leur grandeur d’âme : ceux-là aussi sont appelés
nobles, et c’est la meilleure forme de noblesse. Ainsi donc on peut
être noble de quatre façons, selon que les ancêtres furent honnêtes,
puissants, ou illustres, ou qu’on est soi-même personnellement un
homme de coeur.
[90]
II distingue trois parties dans la nature de l'âme, la raisonnable, la concupiscible et l'irascible ; attribuant à la partie
raisonnable les pensées, les desseins, les réflexions, les
conseils et autres actions de l'esprit; à la partie concupiscible
l'appétit des aliments, le plaisir charnel, et ce qui y a rapport; à
l'irascible la sécurité, la volupté, la douleur et la colère.
[91] La prudence
fait qu'on agit en tout comme il faut; la justice empêche que, dans
la société civile, on ne viole le droit de personne ; la force
encourage à persévérer, malgré la crainte et les dangers, dans ce
qu'on a entrepris ; la tempérance amortit les passions, rend
invincible à la volupté, et contient dans les bornes d'une vie
régulière. [92] Le gouvernement est légitime lorsque celui dont le peuple a fait choix gouverne selon les règles; il est naturel quand, à l'exemple de la supériorité que la nature a donnée aux hommes sur les femmes, on confie l'autorité aux hommes ; le gouvernement de coutume est celui des maîtres et des précepteurs à l'égard de leurs disciples ; le gouvernement est héréditaire, s'il passe des mains d'un descendant dans celles d'un autre, comme cela se pratique dans la personne des princes de Lacédémone et de Macédoine que la succession appelle au trône, en vertu des lois; enfin le gouvernement tyrannique est celui où la force l'emporte sur la raison, et auquel on n'obéit qu'avec peine et avec contrainte. [93] Platon compte six espèces de rhétorique : il appelle exhortation un discours dans lequel l'orateur invite à entreprendre une guerre ou à donner du secours contre quelque ennemi; dissuasion, lorsqu'au lieu de proposer l'une ou l'autre de ces entreprises, il suggère le parti de la neutralité ; accusation, s'il représente le tort qu'on a fait d'un côté et le dommage souffert de l'autre ; défense, si on produit des preuves qu'on n'a ni violé les droits ni offensé la raison ; [94] louange ou éloge, quand l'orateur n'a que du bien à dire; censure, lorsqu'il fait voir la honte et les suites d'une mauvaise action. A ces distinctions il ajoute quatre observations sur le discours : premièrement, il veut qu'on considère ce qu'on doit dire ; en second lieu, combien il faut parler ; en troisième lieu, à qui l'on parle; et enfin quand il est à propos de parler. Il faut dire des choses également utiles à celui qui parle et à celui qui écoute. Il faut parler autant qu'il est nécessaire, ni trop ni trop peu.
[95] Il faut
employer des expressions proportionnées à l'âge de ceux avec qui on
parle, user de ménagement avec des vieillards qui s'obstinent dans
leur sentiment, et prendre un ton plus ferme avec de jeunes gens.
Enfin le temps de parler est de ne le faire ni avant que l'occasion
s'en présente, ni après que la raison le voulait. S'écarter de ces
règles c'est tomber en faute.
[96] par ses talents, en instruisant
les ignorants, ou en contribuant par son expérience à la guérison
des maladies ; enfin par la parole, lorsqu'on plaide pour un ami qui
est mis en justice,
[97]
fin de hasard, comme un événement
inattendu.
[98]
Il remarque principalement trois marques de civilité : la première
consiste à se saluer et à se toucher la main lorsqu'on se rencontre;
la seconde, à rendre de bons offices à ceux qui en ont besoin ; la
troisième, à recevoir amicalement ses amis. [99] Les bons conseils qu'on suit naissent de la science, de la capacité et de l'expérience dans l'usage du monde. La bonne disposition des sens dépend de l'organisation du corps : c'est avoir la vue perçante, l'ouïe fine, l'odorat subtil, le goût fin et délicat. Les succès viennent de la sagesse des entreprises et du courage avec lequel on les exécute. La bonne renommée naît de l'opinion qu'on a de notre probité. L'abondance est une affluence de biens dont on emploie une partie à ses propres besoins et le reste à ceux de ses amis. Quiconque jouit de tous ces avantages peut se dire parfaitement heureux. [100] Il range les arts sous trois classes : dans la première, il place ceux qui consistent à manier le fer et les autres métaux, à tailler et à préparer les matières; dans la seconde, les arts qui font former des ouvrages, comme des armes et des instruments de musique, qui se font de fer ou de bois, les unes par l'armurier, les autres par l'artisan ; dans la troisième il met les arts qui consistent à faire usage de ces ouvrages: par exemple, les cavaliers se servent de brides, les soldats d'épées, les musiciens d'instruments. [101] Platon divisait le bien en quatre genres : Premièrement, dit-il, nous appelons homme de bien celui qui a de la vertu ; en second lieu, nous donnons le nom de bien à la vertu même et à la justice ; troisièmement, nous appelons ainsi les aliments, l'exercice du corps, et les médicaments; en quatrième lieu, l'harmonie des instruments, l'art poétique, l'art comique, et autres choses semblables. [102] Il y a d'ailleurs des choses que nous désignons par les titres de bonnes, de mauvaises et d'indifférentes. Nous appelons mauvaises celles qui sont toujours nuisibles, comme l'intempérance, la folie, l'injustice, et autres excès pareils. Les bonnes sont celles qui sont utiles. Enfin on appelle indifférentes celles qui n'apportent ni utilité ni perte. [103] Il fait consister la bonté du gouvernement en trois choses : si les lois sont bonnes, si le peuple y est bien soumis, si les coutumes et les maximes suppléent au défaut des lois. Il y a aussi autant de sources du mauvais gouvernement : si les lois ne sont utiles ni aux naturels du pays ni aux étrangers; si on les transgresse impunément; s'il n'y a point de loi, et que la licence soit la seule règle de conduite.
[104] De
même une administration est mauvaise de trois façons : si les lois
sont lourdes et désagréables aux citoyens comme aux étrangers, si
l’on n’obéit pas aux lois, ou s’il n’y a pas de loi du tout.
[105] Ces derniers
contraires ne sont ni du bien au mal, ni du mal au mal; ils sont
opposés comme des choses neutres à d'autres choses neutres. [106] Il donne trois objets à la réflexion, le passé, le présent et l'avenir. Le passé nous retrace les exemples des maux que chaque nation a soufferts ( tels sont ceux que les Lacédémoniens se sont attirés par leur trop grande sécurité ), afin que, faisant attention à leurs fautes, nous évitions de les commettre, et que, prenant garde à celles de leurs mesures qui ont été justes, nous marchions sur leurs traces. Les réflexions sur le présent nous ouvrent les yeux sur ce qui se passe devant nous ; elles nous font voir les faibles remparts des hommes timides, la cherté des vivres, et autres semblables avantages ou désavantages, afin de nous apprendre ce que nous devons tantôt espérer, tantôt craindre. Les réflexions sur l'avenir nous avertissent de ne rien hasarder témérairement, d'avoir égard à notre réputation, et de ne pas nous livrer à des soupçons qui nous conduisent à violer le droit des gens, par exemple, dans la personne des ambassadeurs, ce qui ternirait notre gloire, comme il est arrivé aux Grecs, qui se déshonorèrent par cet endroit.
[107]
Platon distingue la voix en animée, qui est celle des animaux, et en
inanimée, qui est le bruit et le son des choses muettes. La première
est ou articulée, qui est celle des hommes, ou non articulée, qui
est le cri des bêtes.
[108] Cette composition est ou
de parties similaires, de manière que le tout ne diffère de la
partie que par le nombre des parties, comme l'eau, l'or, et autres
choses semblables ; ou bien cette composition est de parties
dissimilaires, comme une maison et autres choses pareilles.
[109] les secondes ont besoin d'interprétation pour être
comprises, comme lorsqu'on dit plus grand, plus prompt, meilleur,
parce que cela se dit relativement à ce qui est plus petit, plus
lent, moins bon, et ainsi du reste.
(01)
Ce passage assez obscur renferme un proverbe grec qu'on peut voir
chez Erasme, Adages, page 146. |