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table des matières de DIOGENE LAERCE

 

 

Diogène Laërce

 

 

ANAXAGORE.

texte grec

 

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  Anaximène                 Archelaüs

 

LIVRE II.


ANAXAGORE.

[6] Anaxagore, Clazoménien de naissance et issu d'Hégésibule, ou Eubule, étudia sous Anaximène. II fut le premier des philosophes qui joignit un esprit à la matière. Il commence ainsi son élégant et bel ouvrage : « Tout n'était autrefois qu'une masse informe, lorsque l'esprit survint et mit les choses en ordre; » de là vient qu'il fut surnommé Esprit. Timon convient de cette vérité, lorsqu'il demande dans ses poésies satiriques

« Où dit-on qu'est à présent Anaxagore, cet excellent héros qu'on appela Esprit, parce que, selon lui, il y eut un esprit qui, rassemblant subitement toutes choses, en arrangea l'amas auparavant confus ? »

[7] Non seulement il brilla par la noblesse de son extraction et par ses richesses, mais encore par sa grandeur d'âme, qui le porta à abandonner son patrimoine à ses proches. Ceux-ci le blâmant du peu de soin qu'il avait de son bien : Quoi donc ! dit-il, est-ce que je ne vous en remets pas le soin ? Enfin il quitta ses parents pour ne s'occuper que de la contemplation de la nature, ne voulant pas s'embarrasser des affaires publiques; et quelqu'un lui ayant reproché qu'il ne se souciait point de sa patrie, il lui répondit en montrant le ciel : Ayez meilleure opinion de moi, je m'intéresse beaucoup à ma patrie.

On croit qu'il avait vingt ans lorsque Xerxès passa en Grèce, et qu'il en vécut soixante-douze. Apollodore rapporte, dans ses Chroniques, qu'il naquit dans la soixante-dixième olympiade, et qu'il mourut la première année de la soixante-dix-huitième (01). Dèmétrius de Phalère veut, dans son Histoire des Archontes, qu'il commença dès l'âge de vingt ans à exercer la philosophie à Athènes, sous l'archontat de Callias; et on dit qu'il fit un séjour de trente ans dans cette ville.

[8] Il disait que le soleil est une masse de feu plus grande que tout le Péloponnèse; d'autres attribuent cela à Tantale. Anaxagore pensait aussi que la lune est habitée, et qu'il y a des montagnes et des vallées; que les principes des choses consistent en petites parties, toutes semblables les unes aux autres; que comme l'or est composé de parties très subtiles, semblables à des raclures, de même l'univers fut formé de corpuscules de parties menues et conformes entre elles ; que l'esprit est le principe du mouvement; que les corps pesants se fixèrent en bas, comme la terre, et que les légers occupèrent le haut, comme le feu, mais que l'air et l'eau tinrent le milieu ; que, suivant cette disposition, la mer s'étend sur la surface de la terre, et que le soleil convertit l'humidité en vapeur; [9] qu'au commencement les astres se mouvaient en manière de voûte, de sorte que le pôle visible tournait toujours au-dessus du même point de la terre, mais qu'ensuite il acquit une inclinaison ; que la voie lactée est une réflexion des rayons du soleil qui n'est point interceptée par des astres; que les comètes sont un assemblage d'étoiles errantes qui jettent des flammes, et que l'air élance comme des étincelles ; que les vents viennent de l'air raréfié par le soleil ; que le tonnerre est produit par le choc des nues, l'éclair par leur frottement, et le tremblement de terre par l'air qui pénètre dans la terre ; que les animaux furent d'abord produits d'un mélange d'eau et de terre, échauffées à un certain degré; que les mâles vinrent du côté droit et les femelles du côté gauche de la matrice.

[10] On raconte qu'il prédit. la chute de la pierre qui tomba près d'Egespotame (02), et qu'il avait dit qu'elle tomberait du soleil ; on ajoute que ce fut pour cette raison qu'Euripide, son disciple, dans sa pièce de Phaéton, appela le soleil lingot d'or. On dit qu'Anaxagore étant parti pour Olympie dans un beau temps, mit un habit de peau, comme s'il avait prévu qu'il pleuvrait bientôt, et que son pressentiment se trouva juste. A la question que lui fit quelqu'un, si la mer couvrirait un jour les montagnes de Lampsaque, il répondit que oui, si le temps ne finissait pas. On lui demanda pour quelle fin il était né? Pour contempler, dit-il, le ciel, le soleil et la lune. Et sur ce qu'on lui demanda s'il était banni par les Athéniens, il répondit : Nullement; ce sont eux qui le sont à mon égard. Ayant vu le sépulcre de Mausole, il dit qu'un beau monument représentait des richesses transformées en pierres. [11] Voyant un homme qui s'affligeait de ce qu'il mourrait dans un pays étranger : Consolez-vous, lui dit-il ; le chemin pour aller vers les morts est le même partout.

Au reste, suivant ce que dit Phavorin dans son Histoire diverse, il paraît avoir été le premier qui a cru que le sujet du poème d'Homère était de recommander la vertu et la justice; opinion qui fut fort étendue par Métrodore de Lampsaque, l'un de ses amis, qui se servait aussi beaucoup d'Homère pour l'étude de la nature.

Anaxagore fut encore le premier qui publia une description par écrit ; et Silène, dans le premier livre de ses Histoires, rapporte qu'une pierre étant tombée du ciel, sous l'archontat de Dimylus, [12] ce philosophe dit que tout le firmament était pierreux, et que, sans le mouvement de tourbillon qui l'affermissait , il s'écroulerait.

Les sentiments sont partagés pour ce qui regarde sa condamnation. Sotion, dans la Succession des Philosophes, dit que Cléon l'accusa d'impiété, pour avoir défini le soleil une masse ardente ; mais que Périclès, son disciple, ayant pris sa défense, Anaxagore fut condamné à une amende de cinq talents et envoyé en exil. Satyre, dans ses Vies, taxe Thucydide de s'être rendu son accusateur par esprit de parti contre Périclès, que Thucydide contrecarrait dans les affaires du gouvernement, et dit qu'il ne chargea pas seulement Anaxagore d'impiété, mais encore de trahison; il ajoute qu'il fut condamné à mort pendant son absence, [13] et que, comme on lui eut annoncé en même temps qu'il avait perdu ses fils et qu'on l'avait condamné à mourir, il dit que quant au dernier article il y avait longtemps que la nature l'avait soumis lui et ses accusateurs à cet arrêt, et qu'à l'égard de ses enfants il savait qu'il les avait engendrés mortels. Il y en a qui attribuent cette réponse à Solon le législateur, d'autres à Xénophon. Démétrius de Phalère, dans son livre de la Vieillesse, nous apprend qu'il enterra lui-même ses enfants. Et Hermippe prétend, dans ses Vies, qu'il fut mis en prison et jugé coupable de mort; que Périclès là-dessus ayant demanda si quelqu'un avait quelque crime capital à lui imputer à lui-même, et personne ne répondant, il ajouta : « Or cet homme est mon maître : ainsi ne vous laissez pas prévenir par la calomnie pour le perdre, et suivez mon avis en le renvoyant absous; » qu'Anaxagore obtint là-dessus son élargissement, mais qu'il ne put supporter cet affront et s'ôta la vie.

[14] Mais Jérôme, au deuxième livre de ses Commentaires divers, dit que Périclès le fit comparaître dans un temps qu'il était si chancelant et si exténué de maladie, qu'il fut absous plutôt par pitié que juridiquement : tant on est peu d'accord sur la condamnation de ce philosophe. D'autres ont cru encore qu'il était devenu ennemi de Démocrite , parce que celui-ci lui avait refusé sa conversation.

Enfin Anaxagore alla mourir à Lampsaque. Les principaux de la ville ayant envoyé chez lui pour savoir s'il n'avait rien à ordonner avant sa mort, il pria qu'il fût permis aux enfants de se divertir, tous les ans, le jour du mois qu'il serait décédé; coutume qui est encore en usage aujourd'hui. [15] Les habitants de Lampsaque rendirent à sa mémoire tous les honneurs possibles, et l'ensevelirent dans un tombeau sur lequel ils mirent cette épitaphe :

Ici repose Anaxagoras, étant arrivé au monde céleste, et ayant atteint avec la fin de sa carrière la connaissance entière de la vérité.

En voici une autre que j'ai faite pour lui :

Anaxagore est condamné à mort pour avoir soutenu que le soleil est une masse ardente ; Périclès son ami le sauve, et lui-même s'ôte la vie dans une langueur de sagesse.

Il y a eu trois autres personnages de même nom, mais tous peu considérables. Le premier était orateur et disciple d'Isocrate; le second statuaire, duquel Antigone a parlé; le troisième grammairien, et disciple de Zénodote.

(01) Comme cela ne fait pas soixante et douze ans de vie, Ménage corrige d'après Meursius et Pelau, et croit qu'il mourut dans la quatre-vingt-huitième olympiade.

(02) Egespotame était une ville de l'Hellespont, Voyez la note de Ménage et le Thrésor d'Estienne.