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table des matières de DIOGENE LAERCE

Diogène Laërce

 

 

LIVRE V

 

ARISTOTE

texte grec

 

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  Clitomaque         Théophraste

 

LIVRE V.

ARISTOTE.

[1] Aristote de Stagira était fils de Nicomaque et de Phaestias ; son père descendait de Nicomaque, fils de Machaon, qui était fils d'Esculape, au rapport d'Hermippe, dans son livre sur Aristote. Ce philosophe vécut longtemps à la cour d'Amyntas, roi de Macédoine, dont il était aimé pour son expérience dans la médecine. Il fit ses études sous Platon, et l'emporta en capacité sur tous ses autres disciples. Timothée d'Athènes, dans ses Vies, dit qu'il avait la voix grêle, les jambes menues, les yeux petits; qu'il était toujours bien vêtu, portait des anneaux aux doigts, et se rasait la barbe : selon le même auteur, il eut d'Herpilis, sa concubine; un fils naturel qu'il appela Nicomaque.

[2] Il quitta Platon pendant que ce philosophe vivait encore ; et on rapporte qu'il dit à ce sujet : Aristote a fait envers moi comme un poulain qui regimbe contre sa mère. Hermippe dit, dans ses Vies, qu'ayant été envoyé, de la part des Athéniens, en ambassade auprès de Philippe, Xénocrate prit la direction de l'académie pendant son absence ; qu'à son retour, voyant qu'un autre tenait sa place, il choisit dans le lycée un endroit où il enseignait la philosophie en se promenant, et que c'est de là qu'il fut surnommé péripatéticien. D'autres veulent qu'on lui imposa ce nom parce que Alexandre, après être relevé de maladie, écoutait ses discours en se promenant avec lui; [3] et qu'ensuite, lorsqu'il se vit plusieurs auditeurs, il reprit l'habitude de s'asseoir, en disant, au sujet des instructions qu'il donnait, qu'il lui serait honteux de se taire et de laisser parler Xénocrate. Il exerçait ses disciples à soutenir des propositions, et les appliquait en même temps à la rhétorique.

Il partit ensuite d'Athènes pour se rendre auprès de l'eunuque Hermias, tyran d'Atarne, dont il était fort ami et même parent, selon quelques uns, ayant épousé sa fille ou sa nièce, comme le dit entre autres Démétrius de Magnésie, dans ses livres des Poètes et des Écrivains de même nom; il ajoute qu'Hermias, Bithynien de naissance, fut esclave d'Eubule, et qu'il tua son maître. Aristippe, dans le premier livre des Délices des anciens, dit qu'Aristote prit de l'amour pour la concubine d'Hermias, [4] qu'il l'obtint en mariage, et en eut tant de joie, qu'il fit à cette femme des sacrifices comme les Athéniens en faisaient à Cérés ; et que, pour remercier Hermias, il fit en son honneur un hymne qu'on verra ci-dessous.

Après cela il passa en Macédoine, à la cour de Philippe, qui lui confia l'éducation d'Alexandre ; et, pour récompense de ses services, il pria le roi de rétablir sa patrie dans l'état où elle était avant sa ruine. Philippe lui ayant accordé cette grace, Aristote donna des lois à Stagira. Il fit aussi, à l'imitation de Xénocrate, des règlements dans son école, suivant lesquels on devait créer un des disciples supérieur des autres pendant dix jours. Enfin, jugeant qu'il avait employé assez de temps à l'éducation d'Alexandre, il retourna à Athènes, après lui avoir recommandé Callisthène d'Olynthie, son parent. [5] On dit que ce prince, piqué de ce que Callisthène lui parlait avec autorité et lui désobéissait, l'en reprit par un vers dont le sens était: «Mon ami, quel pouvoir t'arroges-tu sur moi? Je crains que tu ne me survives pas. » Cela arriva aussi. Alexandre, ayant découvert que Callisthène avait trempé dans la conjuration d'Hermolaüs, le fit saisir et enfermer dans une cage de fer, où, infecté de ses ordures, il fut porté de côté et d'autre, jusqu'à ce qu'ayant

Aristote continua de professer la philosophie à Athènes pendant treize ans, au bout desquels il se retira secrètement en Chalcide, pour se soustraire aux poursuites du prêtre Eurymédon qui l'accusait d'impiété, ou à celles de Démophile, qui, selon Phavorin, dans son Histoire, le chargeait non seulement d'avoir fait pour Hermias l'hymne dont nous avons parlé, mais encore d'avoir fait graver à Delphes, sur la statue de ce tyran, l'épitaphe suivante :

[6] Un roi de Perse, violateur des lois, fit mourir celui dont on voit ici la figure ; un ennemi généreux l'eût vaincu par les armes, mais ce perfide le surprit sous le voile de l'amitié.

Eumèle, dans le cinquième livre de ses Histoires, dit qu' Aristote mourut de poison la soixante et dixième année de son âge; il dit aussi qu'il avait trente ans lorsqu'il se fit disciple de Platon : mais il se trompe, puisque Aristote en vécut soixante-trois, et qu'il n'en avait que dix-sept lorsqu'il commença de fréquenter l'école de ce philosophe. Voici l'hymne dont j'ai parlé :

[7] O vertu pénible aux mortels, et qui êtes le bien le plus précieux qui se puisse acquérir dans la vie; c'est pour vous, vierge auguste, que les sages Grecs bravent la mort, et supportent courageusement les travaux les plus rudes ; vous remplissez les âmes d'un fruit immortel, meilleur que l'or, les liens du sang, les douceurs du sommeil C'est pour l'amour de vous que le céleste Hercule elles fils de Léda endurèrent tant de maux : leurs actions ont fait l'éloge de votre puissance. Achille et Ajax sont allés aus lieux infernaux, par le désir qu'ils ont eu de vous conquérir. C'est aussi l'amour de votre beauté qui a privé du jour le nourrisson d'Atarne, illustre par ses grandes actions; les Muses immortelles, ces filles de Mémoire qui ajoutent à la gloire de Jupiter l'Hospitalier et qui couronnent une amitié sincère, augmenteront l'honneur de son nom.

J'ai fait aussi les vers suivants sur Aristote :

Eurymédon, qui préside aux mystères de Cérès, se prépare à accuser Aristote d'impiété ; niais ce philosophe le prévient, en bu vaut du poison. C'était au poison de vaincre une injuste envie. Eurymédon, qui préside aux mystères de Cérès, se prépare à accuser Aristote d'impiété ; mais ce philosophe le prévient, en bu vaut du poison. C'était au poison de vaincre une injuste envie.

[9] Phavorin dit, dans son Histoire, qu'Aristote avant de mourir composa un discours apologétique pour lui, dans lequel il dit qu'à Athènes « la poire naît sur le poirier, et la figue sur le figuier (01). » Apollodore, dans ses Chroniques, croit qu'il naquit la première année de la quatre-vingt-dix-neuvième olympiade ; qu'il avait dix-sept ans lorsqu'il se fit disciple de Platon ; qu'il demeura chez lui jusqu'à l'âge de trente-sept ; qu'alors il se rendit à Mitylène sous le règne d'Eubule, la quatrième année de la cent huitième olympiade; que Platon étant mort la première année de cette olympiade, il partit sous Théophile (archonte) pour aller voir Hermias, auprès duquel il s'arrêta trois ans ; [10] qu'ensuite il se transporta à la cour de Philippe, sous Pythodote (archonte), la seconde année de la cent neuvième olympiade, et lorsque Alexandre avait quinze ans ; que de Macédoine il repassa à Athènes, la seconde année de la cent onzième olympiade; qu'il y enseigna treize ans dans le lycée ; qu'enfin il se retira en Chalcis la troisième année de la cent quatorzième olympiade, et y mourut de maladie, âgé de soixante-trois ans, dans le même temps à peu près que Démosthène mourut, sous Philoclès, à Célauria. On dit qu'Aristote tomba dans la disgrâce d'Alexandre, à cause de Callisthène qu'il lui avait recommandé; et que, pour le chagriner, ce prince agrandit Anaximène et envoya des présents à Xénocrate. [11] Théocrite de Chio fit une épigramme contre lui, qu'Ambryon a rapportée dans la vie de Théocrite :

Le vain Aristote a élevé un vain monument à l'honneur d'Hermias, eunuque, et esclave d'Eubule.

Timon critique aussi son savoir, qu'il appelle la légèreté du discoureur Aristote.

Telle fut la vie de ce philosophe ; voici son testament, à peu près comme je l'ai lu :

SALUT.

Aristote dispose ainsi de ce qui le regarde, au cas que la mort me surprenne, [12] Antipater sera l'exécuteur général de mes dernières volontés, et aura la surintendance de tout; et jusqu'à ce que Nicanor puisse agir par rapport à mes biens (02), Aristomène, Timarque, Hipparque, aideront à en prendre soin, aussi bien que Théophraste, s'il le veut bien et que ce!a lui convienne, tant par rapport à mes enfants que par rapport à Herpilis et aux biens que je laisse. lorsque ma fille sera nubile, on la donnera à Nicanor; s'il lui arrivait quelque malheur, ce que je n'espère pas, qu'elle meure avant de se marier ou sans laisser d'enfants, Nicanor héritera de tous mes biens, et disposera de mes esclaves et de tout d'une manière convenable. Nicanor aura donc soin et de ma fille et de mon fils Nicomaque, de sorte qu'il ne leur manque rien, et il en agira envers eux comme leur frère et leur frère. Que si Nicanor venait à mourir ou avant d'avoir épousé ma fille, ou sans laisser d'enfants, [13] ce qu il réglera sera exécuté. Si Théophraste veut alors retirer ma fille chez lui, il entrera dans tous ses droits que je donne à Nicanor ; sinon les curateurs, prenant conseil avec Antipater, disposeront de ma fille et de mon fils selon qu'ils le jugeront le meilleur. Je recommande aux tuteurs el à Nicanor de se souvenir de moi et de l'affection qu'Herpylis m'a toujours portée, prenant soin de moi et de mes affaires. Si, après ma mort, elle veut se marier, ils prendront garde qu'elle n'épouse personne au dessous de ma condition ; et en ce cas, outre les présents qu'elle a déjà reçus, il lui sera donné un talent d'argent, trois servantes si elle veut, outre celle qu'elle a, et le jeune garçon Pyrrhaeus ; [14] si elle veut demeurer à Chalcis, elle y occupera le logement contigu au jardin ; et si elle choisit Stagira, elle occupera la maison de mes pères, et les curateurs feront meubler celui de ces deux endroits qu'elle habitera. Nicanor aura soin que Myrmex soit renvoyé à ses parents d'une manière louable et honnête, avec tout ce que j'ai à lui appartenant. Je rends la liberté à Ambracis, et lui assigne pour dot, lorsqu'elle se mariera, cinq cents drachmes et une servante ; mais à Thala, outre l'esclave achetée qu'elle a, je lègue une jeune esclave et mille drachmes. [15] Quant à Simo, outre l'argent qui lui a été donné pour acheter un autre esclve, on lui achètera un esclave, ou ou lui en donnera la valeur on argent. Tacho recouvrera sa liberté lorsque ma fille se mariera. On affranchira pareillement alors Philon et Olympius avec son fils. Les enfants de mes domestiques ne seront point rendus ; mais ils passeront au service de mes héritiers jusqu'à l'âge adulte, pour être affranchis alors s'ils l'ont mérité. On aura soin encore de faire achever et placer les statues que j'ai commandées à Gryllion, savoir celles de Nicanor, de Proxène et de la mère de Nicanor. On placera aussi celle d'Arimneste pour lui servir de monument, puisqu'il est mort sans enfants. [16] Qu'on place aussi dans le Némée, ou ailleurs, connue on le trouvera bon, la Cérès de ma mère. On mettra dans mon tombeau les os de Pythias, comme elle l'a ordonné. On exécutera aussi le vœu que j'ai fait pour la conservation de Nicanor, en plaçant à Stagira les animaux de pierre que j'ai voués pour lui à Jupiter et à Minerve sauveurs : ils doivent être de quatre coudées.

Ce sont là ses dispositions testamentaires.

On dit qu'on trouva chez lui quantité de vases de terre. Lycon rapporte qu'il se baignait dans un grand bassin où il mettait de l'huile tiède, qu'il revendait ensuite ; d'autres disent qu'il portait sur l'estomac une bourse de cuir qui contenait de l'huile chaude, et qu'en dormant il tenait dans la main une boule de cuivre au-dessus d'un bassin, afin qu'en tombant dans le bassin elle le réveillât.

[17] On a de lui plusieurs belles sentences. On lui demandait ce que gagnent les menteurs en déguisant la vérité : Il leur arrive, dit-il, qu'on ne les croit pas, lors même qu'ils ne mentent point. On lui reprochait qu'il avait assisté un méchant homme : Je n'ai pas eu égard à ses mœurs, dit-il, mais à sa qualité d'homme. Il disait continuellement à ses amis et à ses disciples que la lumière corporelle vient de l'air qui nous environne; mais qu'il n'y a que l'étude des sciences qui puisse éclairer l'âme. Il reprochait aux Athéniens qu'ayant inventé le froment et les lois, ils se servaient bien de l'un pour vivre, mais ne faisaient aucun usage des autres pour se conduire. [18] Il disait que les sciences ont des racines amères, mais ne faisaient aucun usage des autres pour se conduire. Il disait que les sciences ont des racines amères, mais qu'elles rapportent des fruits doux ; que le bienfait est ce qui vieillit le plus tôt; que l'espérance est le songe d'un homme qui veille. Diogène lui présentant une figue sèche, il pensa que s'il la refusait il lui donnerait quelque occasion de critique ; il l'accepta donc, en disant : Diogène a perdu sa figue avec le mot qu'il voulait dire. En ayant accepté encore une, il l'éleva en l'air, comme les enfants, et la regarda en disant : Ô grand Diogène ! et puis la lui rendit. Il disait que les enfants ont besoin de trois choses : d'esprit, d'éducation et d'exercice. On l'avertit qu'un médisant faisait tort à sa réputation : Laissez-le faire, dit-il, et qu'il me batte même, pourvu que je ne m'y rencontre pas. [19] Il disait que la beauté est la plus forte de toutes les recommandations; mais d'autres veulent que ce soit Diogène qui la définissait ainsi, et qu'Aristote disait que la beauté est un don; Socrate, qu'elle est une tyrannie de peu de durée ; Théophraste, une tromperie muette; Théocrite, un beau mal; Carnéade, une reine sans gardes.

On demandait à Aristote quelle différence il y avait entre un homme savant et un ignorant : Celle qu'il y a, dit-il, entre un homme vivant et un cadavre. Il disait que la culture de l'esprit sert d'ornement dans la prospérité, et de consolation dans l'adversité ; de sorte que les parents qui font instruire leurs enfants méritent plus d'éloge que ceux qui se contentent de leur avoir donné la vie seulement ; au lieu qu'on doit aux autres l'avantage de vivre heureusement. Quelqu'un se glorifiant d'être né dans une grande ville, il dit que ce n'était pas à cela qu'il fallait prendre garde, mais qu'il fallait voir si on était digne d'une patrie honorable. [20] On lui demanda ce que c'était qu'un ami ; il dit que c'était une âme qui animait deux corps. Il disait qu'il y a des hommes aussi avares de leurs biens que s'ils devaient toujours vivre, et d'autres aussi prodigues que s'ils devaient mourir à chaque instant. Quelqu'un lui ayant demandé pourquoi on aimait à être longtemps dans la compagnie des personnes qui sont belles : C'est, dit-il, la demande d'un aveugle. A quoi, lui dit-on, la philosophie est-elle utile? A faire volontairement, repartit-il, ce que d'autres font par la crainte des lois. Sur ce qu'on lui demanda comment des disciples doivent être disposés pour faire des progrès : Ils doivent, dit-il, tâcher d'atteindre ceux qui sont devant eux, et ne pas s'arrêter pour attendre ceux qui vont plus lentement qu'eux.

Un homme, qui parlait beaucoup et indécemment, lui ayant demandé si son discours ne l'avait pas ennuyé : Je vous assure, lui dit-il, que je ne vous ai pas écouté. [21] On lui reprochait qu'il avait donné la charité à un méchant homme : J'ai, dit-il, moins considéré l'homme que l'humanité. On lui demandait quelle conduite nous devons tenir avec nos amis : Celle, dit-il, que nous voudrions qu'ils tinssent avec nous. Il appelait la justice une vertu de l'âme qui nous fait agir avec chacun selon son mérite, et disait que l'instruction est un guide qui nous mène heureusement à la vieillesse. Phavorin, dans le deuxième livre de ses Commentaires, dit qu'il proférait souvent ces paroles qu'on lit aussi dans sa philosophie morale : Chers amis ! il n'y a point de vrais amis.

Il a écrit beaucoup de livres dont je donnerai la liste pour faire connaître le génie de ce grand homme. [22] Quatre livres de la Justice ; trois des Poètes ; trois de la Philosophie; deux de la Politique; un de la Rhétorique, intitulé Gryllus ; un qui a pour titre Nérinthe ; un nommé le Sophiste; un connu sous le nom de Ménexène; un de l'Amour; un intitulé Banquet; un de la Richesse; un d'Exhortations ; un de l'Âme ; un de la Prière ; un de la Noblesse ; un de Volupté ; un intitulé Alexandre, ou des Colonies; un de la Royauté ; un de la Doctrine ; trois du Bien ; autant des Lois de Platon ; deux de la République de ce philosophe; un intitulé Économique ; un de l'Amitié ; un de la Patience dans la douleur ; un des Sciences ; deux des Controverses ; quatre de Solutions de controverses ; autant des Distinctions des sophistes ; un des Contraires; un des Genres et des Espèces; un du Propre; [23] trois de Commentaires épichérématiques (03) ; trois propositions sur la Vertu ; un livre d'Objections; un des choses qui se disent diversement ou suivant le but qu'on se propose ; un des Mouvements de la colère ; cinq de Morale ; trois des Éléments ; un de la Science ; un du Principe ; dix-sept Divisions ; un des Choses divisibles ; deux de l'Interrogation et des Réponses ; deux du Mouvement; un de Propositions ; quatre des Proportions controversées; un des Syllogismes; neuf des premières Analyses; deux des dernières Grandes Analyses; un des Problèmes ; huit de ce qui regarde la Méthode; un du Meilleur; un de l'Idée; sept de Définitions pour les lieux communs; deux de Syllogismes; [24] un intitulé Syllogistique et Définitions; un de ce qui est éligible et de ce qui est accidentel ; un des choses qui précèdent les Lieux communs ; deux des Lieux communs pour les définitions; un des Passions; un intitulé Divisible; un intitulé Mathématicien; treize Définitions ; deux livres sur l'Épichérème, un sur la Volupté ; un intitulé Propositions ; un de ce qui est volontaire; un de l'Honnête ; vingt-cinq Questions épichérématiques; quatre Questions sur l'Amour; deux Questions sur l'Amitié; un livre de Questions sur l'Âme; deux de la Politique; huit de la Politique telle qu'est celle de Théophraste ; deux des Choses justes ; deux sur l'Assemblage des arts ; deux sur l'Art de la Rhétorique ; un autre intitulé l'Art ; deux intitulés Autre Art ; un intitulé Méthodique; un intitulé Introduction à l'Art de Théodecte; deux de l'Art poétique ; un d'Enthymèmes de rhétorique; sur la grandeur; un du Choix des Enthymèmes; deux de la Diction ; un du Conseil ; [25] deux de la Compilation; trois de la Nature; un intitulé Physique ; trois de la Philosophie d'Archytas; un de celle de Speusippe et de Xénocrate ; un des choses prises du Timée et des disciples d'Archytas ; un sur Mélissus ; un sur Alcméon ; un sur les pythagoriciens ; un sur Gorgias ; un sur Xénocrate ; un sur Zénon; un sur les pythagoriciens; neuf des Animaux; huit d'Anatomie; un intitulé Choix d'Anatomie; un des Animaux composés; un des Animaux fabuleux; un intitulé De ne pas engendrer; deux des Plantes; un intitulé Physiognomique ; deux de la Médecine; un de l'Unité; [26] un des signes de la Tempête ; un intitulé Astronomique; un de la Musique; un intitulé Mémorial ; six des Ambiguïtés d'Homère ; un de la Poétique ; trente-huit des Choses naturelles, par ordre alphabétique; deux de Problèmes revus ; deux de Choses concernant toutes les Sciences; un intitulé Mécanique; deux de Problèmes tirés de Démocrite ; un de la Pierre ; deux intitulés Justifications ; un de Paraboles ; douze d'OEuvres indigestes; quatorze de Choses traitées selon leurs genres ; un des Victoires olympiques; un de la Musique des jeux pythiens; un intitulé Pythique ; un des Victoires aux jeux pythiens ; un des Victoires de Bacchus; un des Tragédies; un Recueil sur l'histoire des poètes; un de Proverbes; un intitulé Loi de recommandation ; quatre des Lois ; un des Prédicaments ; un de l'Interprétation ; [27] cent cinquante-huit sur les différentes Polices des villes proposées chacune à part, savoir, celles qui suivent l'ordre démocratique, l'oligarchique, l'aristocratique, et le monarchique. On trouve aussi dans ses œuvres les lettres suivantes : Lettres à Philippe ; Lettres des Sylembriens (04); quatre lettres à Alexandre ; nruf à Antipater ; une à Mentor ; une à Ariston ; une à Olympias; une à Éphestion ; une à Thémistagore ; une à Philoxène ; une à Démocrite.

Il a aussi écrit un poème dont le commencement est : « Saint interprète des dieux, ô vous qui atteignez de loin ! » et une élégie dont les premières paroles sont : « Fille d'une mère qui possède Science. » On compte quatre cent quarante-neuf mille deux cent septante versets dans ses ouvrages.

[28] Voilà pour ce qui regarde le nombre de ses ouvrages : voici les opinions qu'il y établit. Il distingue deux sortes de philosophies, l'une qu'il appelle théorétique et l'autre pratique ; comprenant sous la dernière la morale et la politique, et dans la politique ce qui regarde la police publique et domestique ; sous la philosophie théorétique, il comprend la physique et la logique, et cette dernière, non comme une partie de la philosophie, mais comme un excellent instrument pour parvenir à sa connaissance. Il donne deux objets à la logique, le vrai et le vraisemblable, et se sert de deux méthodes pour chacun, de la dialectique et de la rhétorique pour le vraisemblable de l'analyse et de la philosophie pour le vrai, n'omettant rien, ni de ce qui regarde l'invention, ni de ce qui sert au jugement, ni de ce qui concerne l'usage (05). [29] Sur l'invention il fournit des lieux communs, des méthodes, et une multitude de propositions d'où l'on peut recueillir des sujets pour faire des arguments probables, pour conduire le jugement. Il donne les premières analyses et les secondes; les premières servent à juger des propositions majeures, les secondes à examiner la conclusion. Pour l'usage, il fournit tout ce qui regarde la dispute, les demandes, les difficultés, les arguments sophistiques et les syllogismes, et autres secours de cette nature.

Il établit les sens pour juges de la vérité, par rapport aux opérations de l'imagination, et l'entendement par rapport aux choses qui regardent la police publique, le gouvernement domestique et les lois. [30] Il n'établit qu'une fin, qui est la jouissance de la vertu dans une vie accomplie; et il fait dépendre la perfection de la félicité de trois sortes de biens: ceux de l'âme, auxquels il donne le premier rang et le plus de pouvoir; ceux du corps, comme la santé, la force, la beauté, et les autres biens qui ont rapport à ceux-là ; enfin ceux qu'il appelle extérieurs, comme la richesse, la noblesse, la gloire, et autres semblables. Il dit que la vertu ne suffît pas pour rendre heureux, et qu'il faut pour cela que les biens corporels et extérieurs se trouvent joints avec elle; de sorte que, quoique sage, on ne laisse pas d'être malheureux si on est accablé de travaux, ou dans la pauvreté, ou qu'on soit affligé d'autres maux pareils. Il disait au contraire que le vice suffît pour rendre malheureux, quand on aurait d'ailleurs en abondance les biens du corps et les biens extérieurs. [31] Il croyait que les vertus ne sont pas liées ensemble, en sorte que l'une suive l'autre; mais qu'il se peut qu'un homme prudent, ou tout de même un homme juste, soit intempérant ou incontinent. Il supposait au sage non l'exemption de passions, mais des passions modérées. Il définissait l'amitié une égalité de bienveillance réciproque, et en comptait trois espèces, l'amitié de parenté, l'amour, et l'amitié d'hospitalité ; car il distinguait deux sortes d'amours, disant qu'outre celui des sens il y avait celui qu'inspire la philosophie. Il croyait que le sage peut aimer, remplir des charges publiques, embrasser l'état du mariage, et vivre à la cour des princes. Des trois ordres de vies qu'il distinguait, et qu'il appelait vie contemplative, vie pratique et vie voluptueuse, il préférait le premier. Il regardait toutes sortes de sciences comme utiles pour acquérir la vertu, [32] et dans l'étude de la physique il remontait toujours aux causes ; de là vient qu'il s'applique à donner les raisons des plus petites choses ; et c'est à cela qu'il faut attribuer la multitude de commentaires qu'il a écrits sur la physique.

Aussi bien que Platon, il définissait Dieu un être incorporel ; et il étend sa providence jusqu'aux choses célestes. Il dit aussi que Dieu est immobile. Quant aux choses terrestres, il dit qu'elles sont conduites par une sympathie qu'elles ont avec les choses célestes. Et outre les quatre éléments, il en suppose un cinquième dont il dit que les corps célestes sont composés, et dont il prétend que le mouvement est différent du mouvement des autres éléments ; car il le fait orbiculaire.

Il suppose l'âme incorporelle, disant qu'elle est la première entéléchie (06) d'un corps physique et organique qui a le pouvoir de vivre; [33] il distingue deux entéléchies, et il appelle de ce nom une chose dont la forme est incorporelle. Il définit l'une une faculté, comme est celle qu'a la cire, où l'on imprime une effigie de Mercure, de recevoir des caractères, ou l'airain de devenir une statue; et donne à l'autre le nom d'effet, comme est, par exemple, une image de Mercure imprimée ou une statue formée. Il appelle l'âme l'entéléchie d'un corps physique, pour le distinguer des corps artificiels, qui sont l'ouvrage de l'art, tels qu'une tour ou un vaisseau, et de quelques autres corps naturels, tels que les plantes et les animaux. Il l'appelle entéléchie d'un corps organique, pour marquer qu'il est particulièrement disposé pour elle, comme la vue est faite pour voir et l'ouïe pour entendre. Enfin il l'appelle entéléchie d'un corps qui a le pouvoir de vivre, pour marquer qu'il s'agit d'un corps dont la vie réside en lui-même. [34] Il distingue entre le pouvoir qui est mis en acte et celui qui est en habitude : dans le premier sens l'homme est dit avoir une âme, par exemple lorsqu'il est éveillé; dans le second lorsqu'il dort, de sorte que quoique ce dernier soit sans agir, le pouvoir ne laisse pas de lui demeurer.

Aristote explique amplement plusieurs autres choses qu'il serait trop long de détailler ; car il était extrêmement laborieux et fort ingénieux, comme il paraît par la liste que nous avons faite de ses ouvrages, dont le nombre va à près de quatre cents, et dont on n'en révoque aucun en doute ; car on met sous son nom plusieurs autres écrits, aussi bien que des sentences pleines d'esprit, qu'on sait par tradition.

[35] Il y a eu huit Aristotes : le premier est celui dont nous venons de parler; le second administra la république d'Athènes ; il y a de lui des harangues judiciaires fort élégantes; le troisième a traité de l'Iliade d'Homère; le quatrième, qui était un orateur de Sicile, a écrit contre le panégyrique d'Isocrate ; le cinquième, qui était parent d'Eschine, disciple de Socrate, porta le surnom de Mythus; le sixième, qui était Cyrénien, a écrit de l'art poétique ; le septième était maître d'exercice : Aristoxène parle de lui dans la Vie de Platon ; le huitième fut un grammairien peu célèbre, de qui on a un ouvrage sur le pléonasme. Aristote de Stagira eut beaucoup de disciples; mais le plus célèbre fut Théophraste, de qui nous allons parler.

(01) Le mot de figue entre dans le mot de délateur, et d'envieux.

(02) Je traduis cela d'une manière équivoque, parce qu'on n'est pas d'accord si Nicanor était absent, ou malade, ou mineur.

(03) Sorte de syllogisme.

(04)  Pline fait de Sylembre une ville, Hist. natur., liv. IV, ch. 11.

(05) C'est, je crois, l'application ou la pratique des règles du jugement et de l'invention.

(06) On traduit perfaction : c'est un mot imaginé par Aristote.